A. UNE STABILISATION POLITIQUE EN COURS

1. L'échec de la transition démocratique

a) Une transition mouvementée

La vie politique au Congo, depuis les premières élections pluralistes de 1992, s'est jouée autour de trois pôles incarnés par des personnalités contrastées : Denis Sassou-Nguesso, responsable du Parti congolais du travail (PCT), influent surtout dans le nord du pays où se recrutent traditionnellement les cadres de l'armée depuis la fin des années soixante, Pascal Lissouba, responsable de l'Union panafricaine pour la démocratie sociale (UPADS), dont le fief se trouve dans les trois provinces du sud (Niari, Bouenza, Lekoumou), communément appelées "Nibolek" et peuplées en majorité par les Babembés et Bernard Kolelas, fondateur du Mouvement congolais pour la démocratie et le développement intégral (MCDDI). Ce mouvement domine la capitale et la province adjacente, le Pool, et sa composition se confond en pratique avec l'ethnie Lari à laquelle appartient M. Kolelas. Le rapport de forces entre ces trois mouvements a rythmé la vie politique congolaise depuis 1992. Ainsi trois étapes peuvent être distinguées.

. L'élection de Pascal Lissouba

Pascal Lissouba est élu président de la République, le 16 août 1992, avec 61,3 % des suffrages. Il a pu compter, avant le second tour, sur le soutien du général Sassou-Nguesso accordé en contrepartie d'une promesse de participation au futur gouvernement. L'entente ne devait pas cependant survivre à la formation du gouvernement où la place dévolue aux représentants du PCT apparaissait très en deçà des souhaits de M. Sassou-Nguesso (trois portefeuilles accordés au lieu des sept escomptés).

Pascal Lissouba n'apparaissait pas a priori comme le représentant d'une ethnie particulière. Cette caractéristique, qui devait précisément l'appeler à dépasser les antagonismes traditionnels, le conduisit à adopter une attitude défensive. Certes, le nouveau président se trouvait dans une position vulnérable avec une majorité fondée sur l'alliance fragile entre le parti présidentiel et le PCT et une armée dominée par les cadres du nord traditionnellement attachés à M. Sassou-Nguesso. Il chercha dès lors à former des milices dans sa région natale, sans peser les graves conséquences de cette initiative, appelée à servir d'exemple pour ses adversaires politiques.

. La première guerre civile de 1993

Une deuxième période marquée par de nouvelles violences s'ouvre à la suite de la dissolution, en décembre 1992, par Pascal Lissouba, de l'Assemblée nationale élue en juin de la même année. Au premier tour des élections législatives, en mai 1993, l'UPADS remporte 62 des 125 sièges. L'opposition dénonce la fraude.

Immédiatement contestés par l'opposition, ces résultats provoquent une grave crise, exacerbée par les agissements des milices rivales. Le second tour permettra à l'opposition d'emporter les sièges litigieux sans lui donner cependant les moyens de gouverner, faute de majorité. Les affrontements opposèrent principalement les milices de MM. Lissouba et Kolelas et se soldèrent par quelque 2 000 morts, 300 000 personnes déplacées et environ 15 000 habitations détruites. Le calme revint après l'organisation d'élections locales décidées à la suite de la loi sur la décentralisation de juin 1994. L'opposition prit le contrôle de la moitié des collectivités locales -deux de ses principales figures devenant maires des deux métropoles du Congo : Bernard Kolelas à Brazzaville, Jean-Pierre Thystère-Tchicaya à Pointe-Noire.

. La deuxième guerre civile (5 juin-15 octobre 1997)

Le déroulement de la deuxième crise congolaise a connu trois temps forts.

- La montée des violences . Malgré l'engagement, souscrit en mai 1997, des partis politiques à renoncer à l'usage des armes pour résoudre les conflits, les violences prennent une intensité croissante à l'approche de l'élection présidentielle prévue pour juillet 1997. Le 5 juin, les troubles gagnent la capitale et opposent l'armée régulière aux partisans de M. Sassou-Nguesso. Parallèlement, la France organisait, dans des conditions difficiles, le rapatriement de quelque 6 000 personnes parmi lesquelles 1 800 de nos compatriotes.

- L'échec des tentatives de médiation . Tandis que redoublaient les violences, le président Lissouba paraît animé à la fois par le souci de sauvegarder les apparences (arrêté du ministère de l'intérieur du 7 juillet 1997 annonçant trois candidatures pour l'élection présidentielle -MM. Lissouba, Kolelas, Milongo) et la volonté de conserver le pouvoir : prorogation, le 19 juillet, de son mandat arrivé à échéance le 31 août par un Conseil constitutionnel peu représentatif mis en place le 23 juin, sous les bombardements, devant une vingtaine de parlementaires sur 185, nomination de M. Kolelas -dont la milice avait observé jusque là une certaines neutralité- comme premier ministre, suivie de la constitution d'un gouvernement dit "d'union nationale", même s'il excluait en fait les partisans de M. Sassou-Nguesso.

Dans le même temps, les deux parties se prêtaient à la médiation internationale dirigée par le président Bongo en liaison avec M. Shahnoun, représentant spécial conjoint de l'ONU et de l'OUA, pour trouver une solution politique négociée à la crise. Mais les adversaires n'ont cessé d'entretenir l'ambiguïté sur leur volonté réelle de parvenir à une solution négociée.

- La victoire de M. Sassou-Nguesso . Tandis que les deux camps s'opposaient avec une violence redoublée, appuyés par des armes de plus en plus sophistiquées, l'issue de la crise est restée indécise jusqu'au moment de l'intervention, aux côtés des forces du PCT, des forces angolaises. L'appui apporté par l'Unita au président Lissouba, comme les menées séparatistes du Front de libération du Cabinda, enclave angolaise dans l'ex-Zaïre dotée d'une frontière commune avec le Congo, et au large de laquelle se trouve l'essentiel des ressources pétrolières de l'Angola, constituaient un double argument décisif aux yeux des autorités de Luanda pour répondre à l'appel de M. Sassou. En octobre dernier, fort du soutien angolais, les "Cobras" se rendaient successivement maîtres de Brazzaville et de Pointe-Noire.

b) Les causes d'un échec

Les nouvelles institutions démocratiques mises en place au Congo, au lendemain de la conférence nationale de 1991, n'ont pas vraiment fonctionné. L'Assemblée nationale élue en 1992, dissoute la même année, n'a jamais pu réunir le nombre de députés prévus compte tenu d'un contentieux électoral dans une région. Parallèlement, les principales libertés publiques et, en particulier, la liberté de la presse subissaient de nombreuses entraves.

Le dévoiement des principes affichés dans la constitution de 1991 s'explique en partie par la politique conduite par le président Lissouba. Le Haut Conseil de la Magistrature et le Haut Conseil de la Communication n'ont été mis en place qu'en 1997. Quant au Conseil constitutionnel, ses membres désignés au terme du quinquennat présidentiel ont prêté serment sous les bombes et ont tenu leur première réunion le 21 juillet 1997 pour proroger, on le sait, le mandat présidentiel.

Toutefois, au-delà de l'attitude du président de l'époque, l'ensemble des acteurs de la vie politique congolaise paraît avoir refusé de se plier aux règles du jeu démocratique. Héritiers d'un système de parti unique, les responsables politiques n'ont pas vraiment adopté les principes du pluralisme. Comme l'a noté un observateur 2( * ) , les partis ne se distinguent aucunement par leurs projets politiques : tous prônent en effet le libéralisme économique et la rigueur de la gestion.

Les différences recouvrent en fait des oppositions régionales, plus encore d'ailleurs que des antagonismes ethniques -dans la mesure où l'urbanisation a entraîné des brassages importants- ; du reste, les deux grands groupes ethniques, les Kongos (48 % de la population) et les Tékés (22 % de la population) ne se sont pas dotés d'une représentation partisane propre. Le vote des grandes ethnies se fractionne en fait entre les différents mouvements représentatifs des régions où elles résident. Les Kongos, à titre d'exemple, se reconnaissent plutôt dans des sous-groupes attachés à une zone particulière : les Laris dans la région du Pool, les Bembés à Bouenza et les Vilis dans le Kouilou ; "tout se passe donc comme si le parti unique avait éclaté en plusieurs formations couvrant chacune une portion de territoire mais continuant à pratiquer le même monolithisme". Plus familiers de l'anathème que du dialogue, ces mouvements n'hésitent pas à porter leurs querelles hors de l'espace politique et à s'opposer par milices interposées.

La décomposition du paysage politique congolais associée à la pérennité des habitudes politiques propres à la période du "marxisme-léninisme" constitue sans doute l'un des facteurs décisifs de l'instabilité politique du Congo depuis le début des années 1990.

Ces observations permettent de prendre la mesure des difficultés que devra surmonter M. Sassou-Nguesso pour pacifier le pays.

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