2. Un marché européen qui n'existe que pour les Américains

Certes, la production européenne garde, dans la plupart des pays, une position forte sur son propre marché national. Mais, lorsque l'on examine l'origine des programmes diffusés on constate que seules les entreprises américaines profitent véritablement du marché européen : selon les derniers travaux de l'Observatoire européen de l'audiovisuel, en 1995, 70 % des fictions importées par 92 chaînes européennes étaient américaines, contre 5,8 % d'origine britannique et 2,7 % pour les programmes français, - la part des coproductions européennes s'élevant à 2,9 %, et celle des coproductions Europe/reste du monde à 2,7 %. La circulation des oeuvres européennes reste donc, en tout état de cause, très faible.

La politique mise en place au niveau européen, tant avec la directive Télévision Sans Frontières et les quotas qu'avec le plan média, a heureusement permis de protéger les positions acquises par les producteurs nationaux sur leur propre marché. Mais on ne peut pas dire qu'elle soit parvenue à renforcer l'industrie européenne de programmes.

En effet, comme le montrent les bilans établis par l'Idate et l'Observatoire européen de l'audiovisuel, cette politique a abouti paradoxalement à renforcer le poids des entreprises américaines, faute de groupes européens suffisamment puissants, organisés au niveau européen.

Longtemps, la production européenne a été protégée par la forte intégration verticale du secteur de la télévision. Celle-ci s'est progressivement réduite, mais sans que les producteurs réussissent à trouver - et à prouver - leur indépendance économique, c'est-à-dire sans que le désengagement financier des diffuseurs soit compensé par le développement d'un second marché, ou l'augmentation des ventes à l'étranger.

De ce point de vue, les initiatives françaises qui pourraient être prises pour limiter les positions dominantes arrivent à contre-courant.

Dans un marché européen fragmenté par la diversité des cultures et des langues, l'absence de réglementation sur les positions dominantes a permis, de surcroît, aux entreprises nord-américaines d'accompagner la commercialisation de leurs programmes par la mise en place de structures de distribution pan-européennes, et le contrôle de réseaux de diffusion.

Le cinéma constitue le parfait exemple de cette stratégie. Les films produits par les majors américaines ne sont que très rarement vendus à des distributeurs nationaux. Ils sont distribués par des filiales qui peuvent prendre plusieurs formes, soit elles appartiennent à 100 % aux majors, soit elles résultent du rapprochement de plusieurs majors entre elles (exemple UIP, qui regroupe les films de MGM, Universel et Paramount), soit elles ont été constituées conjointement avec de gros distributeurs nationaux, afin de pouvoir bénéficier de leur savoir-faire et de leurs réseaux de salles, (exemple Buena Vista, créant une structure commune avec Gaumont, ou Fox, et se rapprochant d'UGC). Les majors contrôlent les plans de diffusion et la politique marketing des films, dont les principaux arbitrages se font à l'échelle européenne depuis Hollywood.

Les entreprises américaines ont investi massivement dans l'acquisition de réseaux de salles dans la plupart des pays d'Europe, et plus récemment, dans la construction de multiplexes assurant de façon privilégiée la diffusion de leur production. La France reste encore largement à l'écart de cette évolution.

A l'inverse, la production européenne n'est mise en valeur que de façon très exceptionnelle. Les majors préfèrent le plus souvent faire venir à Hollywood les talents européens, ou acheter les droits des films qui les intéressent.

En matière de télévision également, les Américains sont maîtres du jeu. D'abord parce qu'ils détiennent les droits de films de cinéma ou de séries susceptibles d'attirer le plus large public. Les nouvelles chaînes thématiques cinéma ont dû en passer par leurs conditions et se sont même livrées à une concurrence ruineuse. Pour alimenter ses chaînes cinéma, TPS a signé des contrats avec Paramount, MGM, Regency, MCA - Universal, Disney et Columbia - Tristar ; CanalSatellite a conclu des alliances avec Miramax, Warner, Disney, 21th Century Fox, Columbia et MCA.

Ensuite, parce que les Américains peuvent désormais accéder directement au marché européen, dans la mesure où les majors tendent, aujourd'hui, à vendre des bouquets numériques et plus seulement des programmes et des catalogues de films, mais des chaînes clé en mains qu'elles continuent à exploiter. CanalSatellite compte ainsi 7 chaînes à capitaux américains (CON, Bloomberg, Disney Channel, Cartoon Network, Fox Kids, MTV, et 13ème rue).

M. Gilles Fontaine, responsable des études à l'ldate, prévoit que, " à terme, nous pourrions assister à une américanisation du tour de table des chaînes thématiques françaises. Les opérateurs de bouquets risquent d'être confrontés à de réelles contradictions. Comment continuer à alimenter leurs chaînes cinéma, si les studios diffusent déjà leurs propres chaînes dans leurs bouquets ? "

Mais, plus fondamentalement, on doit constater que l'explosion du nombre de chaînes résultant des technologies numériques débouche sur une course au contenu qui pourrait bien ne pas profiter à la production européenne.

Ainsi, pour l'Idate, " ce sont les chaînes généralistes anciennes qui sont le véritable moteur du marché de la production audiovisuelle en Europe. Certaines chaînes thématiques sur le câble ou le satellite, peuvent venir enrichir un peu le marché, mais, si on considère le budget (infime) que ces chaînes peuvent réserver au financement d'oeuvres originales, on se rend compte que l'explosion attendue du secteur aura des effets très limités sur les investissements dans la production ".

Non seulement la plupart de ces nouvelles chaînes se développent aujourd'hui à partir de catalogues, mais les programmes, qu'elles passent, proviennent en général du groupe qui en est l'actionnaire, ce qui a pour effet de réduire le bénéfice que peut en attendre la production indépendante. De ce point de vue, a pu faire remarquer l'Idate, le respect de l'obligation - faite par les pouvoirs publics français - des 10 % pour les producteurs indépendants est peu réaliste, car il va à l'encontre de la stratégie qui a justifié la création de la chaîne. Les limites d'une telle obligation sont encore plus évidentes lorsqu'il s'agit de la reprise pure et simple d'un format américain.

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