M. Jean HAUSER,
Professeur à l'Université de Bordeaux,
Président de la Mission de recherche droit et justice
sur le Pacte d'intérêt commun

M. HAUSER. - Merci, Monsieur le Président, de m'accueillir pour présenter une fresque qui risquerait d'être bien longue, compte tenu du retard que votre vigilance présidentielle ne saurait admettre trop important.

Il est d'abord présomptueux de vouloir traiter du droit de la famille sans savoir que ce ne sont pas seulement des aspects personnels, mais des aspects patrimoniaux considérables. Près de la moitié du Code civil se trouve englobée dans cette expression droit de la famille qui comporte les régimes matrimoniaux, les successions. Il faudrait y ajouter du droit social et du droit fiscal.

Il n'y a plus de possibilité de pensée partielle en droit de la famille, réformer un morceau sans réformer l'autre ou sans réfléchir à l'autre consiste finalement à détruire l'ensemble ou à en faire un monument byzantin et complexe.

Il faut rappeler que c'est à partir de 1964 que les très grandes réformes de droit de la famille moderne ont été entreprises. On ne peut oublier, cela nous mettra du baume au coeur en constatant que rien de grave ne se produit, les débats parlementaires d'une rare violence lors du vote de la loi de 1912 sur l'action en recherche de paternité naturelle. La lecture de ces débats est très intéressante. Entre les prévisions apocalyptiques ou paradisiaques, l'avenir a montré que la loi de 1912 n'a pas fait trembler la société sur ses bases. Il faut relire aussi les débats de la loi de 1884 qui ont introduit le divorce. Un peu d'histoire en quelques secondes méritait, peut-être, de nourrir cette introduction.

En résumant de façon très abusive une législation complexe et souvent subtile, ces trente dernières années il s'est agi de faire remonter les faits vers le droit, alors que jusque là le droit était plutôt conçu comme impératif et avait pour prétention et objet de discipliner et contraindre les faits à un prix que l'on estimait finalement modeste.

A vrai dire, l'évolution vers un droit plus soucieux du réel qu'un droit normatif avait déjà envahi, en partie, les branches détachées du droit civil pur, notamment le droit social. Depuis longtemps, le droit social, voire le droit fiscal à la philosophie beaucoup plus empirique, étaient plus soucieux du fait que de définition juridique. L'assimilation progressive, par exemple, des filiations avait été largement anticipé dans d'autres domaines. Le droit civil a souvent plus suivi que précédé. N'oublions jamais que la grande scène du droit de la famille n'est pas seulement une scène civiliste, qu'elle est pour une large partie une scène de droit social, et pour une petite partie une scène de droit fiscal. Nous n'avons pas à réfléchir dans un splendide isolement civiliste, c'est une donnée que tous les spécialistes n'ont peut-être pas toujours assimilée.

Cette adaptation doit être poursuivie, et c'est pour cela que nous sommes là, pour évoquer, réfléchir. Elle n'est pas plus dramatique qu'elle le fut dans le passé. Les grandes lois du droit de la famille ont été votées à travers des majorités d'idées qui ont transcendé les clivages politiques. La loi de 1975 a été votée dans une certaine atmosphère de consensus et il n'y a pas eu de cataclysme familial. Nous ne sommes pas plus à la veille d'un cataclysme familial que nous ne l'étions en 1912, en 1884 ou en 1975.

Pour autant, l'adaptation proposée ne doit pas consister à faire remonter tous les faits vers le droit. S'il s'agit aujourd'hui ou à d'autres moments, de se soumettre dans tous les cas à la dictature des faits, parce que les époux, les parents, les enfants naturels sont comme ça, je ne vois guère à quoi sert le droit, c'est la sociologie qui doit alors servir, elle est peut-être la photographie la plus fidèle, mais le droit ne sert à rien.

Comme avant, il doit rester un jugement de valeur final sur ce qui est proposé par la loi. Je ne crois pas à la neutralité de la loi familiale, sauf à avouer la disparition du droit de la famille.

Cette politique législative qui doit être volontariste n'est pas obligée de se cantonner dans un respect tatillon du passé présumé comme si nos ancêtres avaient pour toujours fixé les modèles idéaux d'organisation familiale. Affirmation qui méprise souvent la réalité historique car nos ancêtres ont eu une pensée plus complexe et évolutive qu'il n'y paraît. Ce que nous croyons être séculaire n'est souvent finalement que le produit de quelques dizaines d'années passées. Nous manions les siècles en droit de la famille avec un peu de légèreté. La société doit trier, comme elle l'a toujours fait, dans la réalité.

Pour ne pas prolonger, je vous propose quelques réflexions rapides sur quelques grands thèmes du droit de la famille dont certains d'entre eux ont déjà été évoqués.

Le mariage, je vous en parle d'abord parce qu'il me paraît tout à fait regrettable que dans ce grand bouillonnement d'idées, personne ne pense à modifier le droit du mariage. Comme si on pouvait toucher au divorce sans se préoccuper de l'existence du mariage, comme si au fond il était réservé à de lointaines peuplades en voie d'instinction.

Il faut le rappeler, l'apparat législatif du mariage dans les textes du Code civil est incroyablement vieillot, obsolète, démodé, beaucoup trop long. Songeons aux publications, aux oppositions : je sais que les candidats au mariage ne vont pas d'abord lire le Code civil, je l'espère pour eux, sinon je garantis qu'il y aurait moins de personnes mariées. Tout cela mériterait un nettoyage sérieux.

Certaines parties de ce droit matrimonial sont à peine conformes au droit international. Il n'est pas sûr que le droit des parents de faire opposition sans indiquer un motif précis soit encore conforme à nos engagements internationaux. Il faudrait peut-être peigner ce droit du mariage et, pourquoi pas, le rénover, le dynamiser, en faire quelque chose de neuf.

Est-il inconcevable, qu'en parallèle à une réforme visant à l'admission partielle de couples non mariés, on rénove la vieille maison, gardant alors une balance équilibrée ?

Pourquoi plutôt que de faire une réforme des droits successoraux du conjoint survivant, noyée dans une réforme successorale d'ensemble (qui d'ailleurs n'a pas abouti), ne pas procéder à une réforme plus significative, axée autour du thème du mariage, de ses avantages et obligations, et en même temps réfléchir aux manifestations du couple hors mariage ? Ce serait un grand chantier matrimonial et para matrimonial dans lequel il faudrait s'investir et où l'objectivité serait probablement sauvée.

Sur le divorce : j'écoutais, il y a quelques minutes nos trois magistrats, éminentes, il ne peut y avoir de réforme du divorce sans toucher au mariage. J'ai eu l'impression qu'on parlait du divorce comme s'il n'était pas la fin du mariage. Il n'y a pas de réforme du divorce qui soit innocente quant au mariage. Chaque fois qu'on touche, même à un petit détail sur le divorce, c'est le mariage qui se trouve touché.

Sur les causes du divorce, je vais exprimer mes accords et mes désaccords. Je suis d'accord sur le fait que le divorce pour cause objective devrait être mieux introduit et mieux traité en droit français. Le divorce pour rupture de la vie commune a été vu comme scélérat. En 1975, c'était un traité de paix entre des forces contraires. La Cour de cassation n'a rien arrangé, elle l'a durci encore plus, multiplié les exigences tatillonnes, ne s'est pas montrée généreuse, sauf sur la clause de dureté dont nous ne voyons plus guère de manifestations.

Il serait peut-être utile d'avoir un divorce pour cause objective, pour séparation de fait un peu assoupli. On pourra toujours négocier sur la durée de la séparation, il est plus facile de négocier sur les chiffres que sur les idées, les chiffres se divisant à l'infini..

Peut-être serait-il temps de créer ce divorce dont on nous a dit abusivement qu'il était celui de tous les pays voisins. En réalité les pays voisins ont des divorces pour cause objective, mais souvent réintroduisent la faute au niveau des effets. Il s'agit de faux divorce pour cause objective, la faute gardant tout de même un certain rôle.

Supprimer le divorce pour faute, je serais tenté de rester plus modeste. Je dirais, comme le Doyen Carbonnier en 1975, si près de la moitié des Français veulent divorcer pour faute, de quel droit les en empêcherions-nous ? S'ils ont une conception de la dissolution du mariage contentieuse, est-ce aussi ignoble que cela ?

N'est-ce pas parce qu'ils avaient mis dans leur mariage quelque chose de bien plus élevé qu'une sorte de contrat qui sera rompu demain ou après-demain quand on ne s'entendra plus, que le drame se produit ?

Y a-t-il véritablement ici à critiquer le fait que des personnes recourent au divorce pour faute ? Que des mesures techniques soient nécessaires, que la preuve de la faute (souvent mal organisée) soit apportée, que la procédure soit à revoir, bien. Quant à supprimer le divorce pour faute, c'est la dernière sanction des devoirs nés du mariage. Il n'y en a point d'autres. Il y a bien longtemps que l'on ne fait plus ramener les conjoints manu militari, d'ailleurs cela n'a jamais bien marché, même au XIXème siècle, que l'on ne prononce plus guère de dommages et intérêts dans ce domaine. Il n'y a plus guère que le divorce pour faute. S'il est supprimé, les obligations nées du mariage n'ont quasiment plus de sanctions.

Il faudrait réfléchir, avant de supprimer complètement cette idée, au rôle exact qu'elle joue. J'avoue être plus prudent que ce qui vient d'être dit.

La compétence en matière de divorce. Elle a envahi le devant de la scène. On nous a proposé deux scénarios, les deux sont très obscurs. En effet, derrière l'écran des mots, je ne sais pas ce que veut dire divorce municipal, divorce à l'état civil. Encore faudrait-il m'expliquer ce que fera l'état civil, quel sera son rôle ? Qui va recevoir le divorce et comment va-t-on faire entrer dans les actes d'état civil cette déclaration de divorce ?

Le premier scénario me paraît fallacieux. La municipalisation du divorce conduirait probablement à des difficultés et à zéro économie de juges. Actuellement, s'il n'y a pas de recours trop nombreux, c'est sous l'argument que la convention de divorce est homologuée par le juge. On s'arc-boute sur cette idée, le juge a lavé la convention de divorce de tous les défauts qu'elle pouvait avoir : point de vice du consentement, point de recours en rescision pour cause de lésion, Dieu sait si la Cour de cassation veille au grain dans ce domaine. L'homologation du juge devient solennelle et absolutoire.

Demain, personne ne pourra soutenir ce raisonnement quand le divorce se bornera à être déclaré à l'état civil. Nous risquons d'avoir après coup un lourd contentieux, car on nous a décrit des personnes qui auraient divorcé comme cela et qui seraient vraiment la main dans la main ; on finit par se demander pourquoi elles divorcent si elles sont d'accord sur tout. Elles vont donc déclarer leur divorce à l'état civil ; au nom de quels principes leur interdira-t-on de recourir le lendemain en nullité de leur convention ?

On va alors retomber dans un contentieux de type civil très ordinaire, avec des vices du consentement (j'ai consenti à tort l'abandon de la maison de campagne, je n'aurais pas dû admettre que...). Au nom de quoi pourrions-nous nous y opposer ? Nous le pouvons actuellement parce que le juge lave la convention de ses vices. On ne pourra pas dire de même de l'officier d'état civil.

De toute façon, si nous supprimons tout recours, se reposera la question de savoir si notre procédure et si notre déclaration sans aucun recours, y compris s'il y avait eu vice du consentement, seront conformes aux instruments de ratification internationale.

Je ne pense pas qu'on ferait de sérieuses économies, ni que l'on aboutirait à un chiffre significatif de divorces simplement déclarés devant l'officier d'état civil, même en réfléchissant à cette réforme lancée plus que proposée. Je pense que nous n'irons pas jusqu'au bout.

En revanche, il y a d'autres scénarios sur lesquels je ne vais pas m'étendre. Ils visent à alléger la procédure de divorce sur requête conjointe. Il est vrai qu'un certain nombre de formalités, de comparutions ne sont peut-être pas utiles, que l'on pourrait simplifier et admettre qu'un divorce sur dossier soit prononcé par le juge dans un certain nombre cas. Nous n'entrons pas dans le détail, mais quelques propositions sont possibles.

N'oublions jamais que toute réforme du divorce, que ce soit la suppression du divorce pour faute ou la municipalisation du divorce, est d'abord une réforme du mariage. La nature juridique du mariage ne sera plus la même le jour où nous aurons admis qu'un divorce peut être enregistré par sa déclaration devant l'officier d'état civil. Rien ne dit qu'il ne faille pas franchir un pas, il faut en mesurer la longueur.

Quant aux conséquences du divorce, elles ont également envahi le devant de la scène médiatique. La technique de la prestation compensatoire est au centre des discussions et des critiques. Je me demande si nous ne sommes pas en train de redécouvrir la plus belle invention du monde, après la roue, quand on nous propose de réintroduire des révisions de prestations compensatoires.

Pourquoi, en 1975, le Doyen Carbonnier et les auteurs de la loi, ont-ils supprimé le pouvoir de révision ? Parce que la situation antérieure était impossible, les pensions révisables impliquant un contentieux énorme après divorce qui ne cessait de renaître de ses cendres. Si la prestation compensatoire a été rendue forfaitaire et définitive, c'est précisément pour éviter une telle situation. Que l'on ne nous propose pas maintenant, comme une redécouverte unique, une prestation compensatoire qui pourrait redevenir révisable. Il faut faire très attention aux contentieux nouveaux que l'on ouvrirait.

En revanche, il est sans doute possible, nous l'avons proposé dans un projet, que ce soit d'abord une mesure transitoire. En effet , de vieilles prestations ont été prononcées au lendemain de 1975, qui sont des poids importants peut-être parce qu'à l'époque on ne mesurait pas la technique de la prestation compensatoire, beaucoup de juges et d'auxiliaires de justice raisonnaient encore en termes de pension alimentaire révisable et ils n'ont pas toujours mesuré l'impact du prononcé d'une prestation compensatoire. Admettons que dans un texte de loi il existe une disposition transitoire permettant de rouvrir, pour quelques mois, quelques semaines ou quelques années, un contentieux de révision pour les prestations compensatoires les plus anciennes, en y mettant comme condition que le débiteur les ait exécutées ponctuellement, ce qui supprimerait déjà un certain nombre de demandes.

Quant à l'avenir, la proposition est la suivante, elle est équilibrée et viserait à donner au juge, qui prononce des prestations compensatoires, la possibilité quand il estime qu'il n'a pas tous les éléments en main pour décider, de fixer dans sa décision une date à partir de laquelle il pourrait éventuellement être ressaisi pour refaire un examen de la situation.

Enfin, j'ajouterai insidieusement que si on se décidait de s'attaquer sérieusement au régime fiscal de la prestation compensatoire en capital, on éviterait un certain nombre de difficultés

M. LARCHÉ, président. - Il faut le dire au Gouvernement, il nous a opposé l'article 40.

M. HAUSER. - Je le dis à qui veut l'entendre. Je ne doute pas que les négociations soient difficiles. L'argument que l'on fait toujours valoir dans l'Administration fiscale est que les époux feraient exprès de divorcer pour avoir un système préférentiel qu'ils n'auraient pas autrement. Quels sont les époux qui vont se livrer à de tels calculs ? Une procédure de divorce sur requête conjointe, avec une fausse prestation compensatoire qui serait indexée... si on suit cette voie, il est préférable de supprimer le mariage qui sert aussi quelquefois à frauder le Fisc. Il faut supprimer les reconnaissances d'enfants naturels fictives qui servent également à frauder le fisc. Je croyais qu'en droit civil la fraude ne se présumait pas, que c'était la bonne foi. Dans une vision peut-être exagérément optimiste j'en resterai là.

J'en viens à la vie à deux que nous préférons appeler pacte d'intérêt commun. Il y a ici deux revendications qui s'entremêlent et brouillent beaucoup le débat.

Il y a d'abord une première revendication d'ordre symbolique. Quand nous avons commencé le chantier de la réflexion, c'est celle-là qui est d'abord apparu. Une première revendication symbolique vise, pour certains couples, à obtenir une reconnaissance du droit à travers l'extension de techniques très chargées de symboles qui sont, pour l'essentiel, le mariage (qui retrouve un respect assez étonnant) et la parenté.

Le symbole ne me paraît pas être de l'ordre du jugement juridique. Il suppose une appréciation politique, philosophique. Il faut remarquer que les exemples de droit comparé que l'on nous oppose doivent être maniés avec beaucoup de prudence. Dans l'ensemble des pays qui nous entourent et qui ont admis un contrat d'union civile ou l'équivalent ou un contrat de partenariat, c'est une déclaration pure et simple à l'état civil et qui n'entraîne que fort peu de conséquences (le cadeau ne coûte pas cher). Il y a fort peu de pays où le contrat entraîne les mêmes conséquences qu'entre personnes mariées, où l'assimilation est complète.

Quand on crée un contrat de partenariat parallèle pour ceux qui ne veulent pas du mariage, je ne comprends pas en quoi la valeur symbolique de ce contrat doit être mise en avant puisque cela consiste à leur donner un système spécifique. Je laisse de côté ce qui est de l'ordre du symbole qui nous échappe. Après tout, dans les textes constitutionnels on affirme souvent la liberté du mariage. Somme-nous prêts à aller affirmer dans nos constitutions la liberté de constituer un couple ? Je ne sais pas. La société est-elle prête à aller jusque que là ? Cette question dépasse le droit.

Une seconde revendication est d'ordre pratique. Là, je me sens plus sur un terrain concret. Elle vise à offrir civilement, socialement, fiscalement des droits (et des droits techniques) permettant d'organiser la communauté de vie de deux personnes autour d'une définition simple. On peut discuter de l'opportunité. Elle nous a paru démontrée autour de l'idée suivante : jusqu'à une époque récente la société définissait un modèle familial et elle en fixait les contours, les conditions d'existence et les conséquences. Ce modèle familial est un modèle séculaire adopté depuis longtemps, mais qui a beaucoup changé dans sa forme.

Nous pensons qu'actuellement le problème se pose un peu différemment. A côté du modèle familial que la société impose et auquel elle doit continuer à donner la primauté et des droits plus étendus, existe une deuxième difficulté qui est la solitude. Alors que jusqu'ici la société n'avait d'intérêt à donner des droits et un statut spécifique qu'à ceux qui entraient dans sa définition, il est concevable de dire que la société, en notre temps, a peut-être intérêt, bassement, à donner un certain nombre de droits à ceux qui ne vivent pas seuls parce que la solitude est un fléau.

Cela conduit à constater que les relais sociaux, familiaux, villageois, communaux ayant souvent disparu, la vie à deux devient une valeur en tant que telle, en dehors du jugement qu'on peut porter et qui reste un jugement supérieur. Cette vie à deux mérite peut-être un embryon de statut et un certain nombre de conséquences.

Je ne propose pas de faire confiance à la bonne mine des concubins. Je dis que la société a intérêt à franchir un certain pas et à considérer que la notion de vie à deux mérite non pas une récompense, mais des droits supplémentaires.

Ces droits devraient être accordés et l'appellation importe peu. Nous avons proposé " pacte d'intérêt commun ", le mot " pacte " étant marqué par une histoire intéressante, le pacte sociétaire. Nous avons proposé de mettre les textes non pas dans la partie " personnes " du Code civil. Tous les projets proposés mettaient les textes dans la partie " personnes " du Code civil et aboutissaient à des rapprochements scabreux, à des places difficiles, on finissait par voir les droits des concubins après la distinction entre les meubles et les immeubles. Les projets se sont promenés un peu partout. Pour nous, la place naturelle est entre la société et l'indivision. En effet, ce pacte est un peu moins qu'une société et un peu plus d'une indivision.

Tout cela ne répond pas aux droits que l'on va accorder à ce pacte. Ces droits doivent suivre certaines logiques. D'abord, il ne me semble pas que les droits octroyés doivent aboutir aux droits accordés aux personnes mariées. La société, pour l'instant, peut-être pas pour toujours, a plus d'intérêt à voir des personnes mariées que non mariées. Le jour où l'intérêt de la société sera égal, nous verrons.

A part pour les droits fondamentaux, pour tous les autres c'est une négociation qui devra s'ouvrir avec, là encore, estimations chiffrées et des discussions sur les seuils de durée à prévoir. Les administrations sociales et fiscales n'admettront probablement pas qu'ayant signé un PIC hier on puisse avoir aujourd'hui tous les droits. Il est très probable que l'on opposera à nouveau la fraude comme en matière de prestations compensatoires.

La seconde idée est que je ne pense pas -et je sais que sur ce point les discussions seront vives- qu'il faille distinguer parmi les cohabitants. Les prémisses sont simples, c'est la solitude. Peu m'importe comment on traite sa solitude, on la traite, avec quelqu'un avec qui on accepte de " coucher " ou avec quelqu'un avec qui on n'a pas ce type de relation.

Dans les deux cas, je ne vois pas comment on pourrait extraire du pacte commun ceux qui n'ont pas de relations, sauf à faire, paradoxe des paradoxes, de l'existence de liens de parenté un empêchement à pacte, ce qui mènerait loin. Ma logique est celle de la vie en commun : dès lors qu'elle existe, il doit y avoir statut de la vie en commun. Il serait sans doute difficile d'expliquer aux Français la différence entre le cas du frère et de la soeur qui vivent à la campagne et exploitent ensemble un bien et de l'autre côté le couple homosexuel ou hétérosexuel ; le jour du décès de l'un des membres, le couple de concubins aurait un système fiscal de transmission préférentiel et le frère et la soeur n'auraient rien, parce qu'ils sont frère et soeur. Que ceux qui peuvent m'expliquer cela me fassent signe car je ne comprends pas.

Dès lors que l'on est sorti de la logique institutionnelle du mariage, on entre dans la logique de fait de la vie en commun, il me semble que c'est elle qui doit être retenue.

La filiation et les relations familiales : on a beaucoup parlé de filiation dans des termes tout à fait défendables. Un certain nombre de détails sont à revoir. Je ne vois pas qu'il y ait lieu de remettre sur le chantier l'ensemble de la loi de 1972. Il faut se méfier beaucoup des lois sur la famille. On ne les remet pas en chantier tous les dix ans. La loi de 1975 sur les divorces a mis vingt ans à entrer dans la tête d'un certain nombre de praticiens. Si le divorce sur demande acceptée a mis quinze ans pour démarrer, c'est parce que durant ce temps de très nombreux avocats, qui n'avaient jamais connu cela, pensaient que c'était impossible. Beaucoup m'ont dit : mais cela n'a jamais existé. C'est comme le régime matrimonial de participation aux acquêts, il faudra certainement attendre encore. Donc, ne changeons pas trop souvent la loi car personne ne sait si la précédente aurait pu s'appliquer puisqu'elle est abrogée, avant même qu'elle n'ait eu quelque chance. Le droit de la famille n'est pas la bourse de Tokyo, l'indice ne change pas tous les jours, heureusement, il faut longtemps, c'est en cela qu'il me plaît, pour ainsi mesurer les évolutions.

En revanche, il me semble que le grand chantier de réforme devrait être celui des délais. Il faut raisonner sur une constatation simple pour finir. Le délai n'était guère nécessaire jadis parce que l'impossibilité des preuves était naturelle. La nature se chargeait de faire mourir les preuves de la filiation, les personnes mouraient (nous l'avons vu récemment, cela ne suffit plus). Elle se chargeait aussi de faire mourir toutes les preuves en général parce que la mémoire était fragile, les papiers disparaissaient. Maintenant nous avons une mémoire redoutable, elle est génétique, ce qui remet au devant de la scène les délais de prescription. On en parlait à peine quand j'étais étudiant. Nous pensions qu'ils ne s'appliquaient jamais, que c'était loin, et qu'il n'y avait plus de preuves. Eh bien non, maintenant même après trente ans il y a des expertises et toute sorte de possibilités. On a parlé des dix années pour les possessions d'état concernant les reconnaissances, il faut revoir l'ensemble de nos délais en matière de droit de la filiation car c'est la dernière protection que nous ayons contre les actions abusives. Il n'y a pas d'autres protections puisque nous n'oserons plus devant une action téméraire refuser la preuve scientifique. On vient de le voir dans quelques affaires célèbres.

Puisque nous n'oserons plus, c'est le temps qui doit être réintroduit, or il est beaucoup trop long. La prescription trentenaire qui reste le droit commun provoque dans les études de notaires un désordre incommensurable, notamment dans les départements d'outre-mer. L'article 334-8, voté en 1982, permet pendant trente ans d'établir la filiation naturelle alors qu'on n'avait rien fait du vivant des parents. Voilà un exemple où la prescription trentenaire, prévue par la Cour de cassation et non pas par les textes, est beaucoup trop longue

Concluons : il n'y a pas à craindre l'évolution du droit de la famille, d'abord parce que nos instruments de connaissance sont très supérieurs à ceux du passé. Nous imaginons mal qu'on ait statué, légiféré il y a encore trente ou quarante ans, en ignorant tout de la réalité avec une superbe indifférence envers elle. On avait l'impression que nous connaissions. Nous sommes maintenant assommés de chiffres, d'expériences de droit comparé. Peut-être faut-il aussi faire attention à l'abondance.

Il faut inlassablement rappeler qu'au-delà des manifestations bruyantes et souvent marginales, l'immense majorité des sujets de droit se satisfait du système actuel. Certes, il y a 3 millions de concubins, mais il y a aussi 17 millions de couples mariés, certes un certain nombre de couples finissent devant le juge, mais il y a encore beaucoup de couples, près de 60 %, qui ne terminent pas devant le juge.

Gardons-nous de faire un droit de la marginalité. Le droit de la famille n'a jamais été cela. Tous ceux qui ont des problèmes sont seulement demandeurs d'une adaptation supplémentaire et de solutions ponctuelles à des problèmes précis. Contrairement à ce qui se dit ou s'écrit, ici ou là, les citoyens semblent rester très attachés à la famille. Ils veulent simplement en être plus souvent la source.

Merci Monsieur le Président.

M. LARCHÉ, président. - Vous avez avancé cette idée du pacte, le pacte d'intérêt commun.

Quelles sont les conséquences concrètes de la conclusion du pacte ? Intéresse-t-il le droit de la succession ? Intéresse-t-il le droit au maintien dans les lieux ? Intéresse-t-il le droit à la pension de réversion? Intéresse-t-il, par exemple, le droit au regroupement familial pour les fonctionnaires ?

Toute une série de conséquences vont en découler. Ou bien il se rapproche de ce qui est la logique du couple marié, ou bien il ne reconnaît pas à ceux qui l'ont conclu les mêmes conséquences. A quoi sert le pacte ?

Je vais retrouver la notion de dilemme que M. Malaurie nous a très bien exposée tout à l'heure. Sur ce point il existe quelques conséquences concrètes. Si nous sommes un jour saisis en tant que législateurs, nous aurons à décider, au delà des avis très autorisés que nous avons entendus.

A la commission des Lois nous aimons toujours essayer de connaître la portée de nos décisions. Que mettez-vous ou ne mettez-vous pas ? Est-ce un pacte à géométrie variable ?

M. HAUSER. - Monsieur le Président, jusqu'ici on a fait l'inverse de ce que nous proposons. On est parti des conséquences en répétant tous les jours qu'il faudrait un jour définir la structure. Ce n'est pas moi qui ai donné des droits aux concubins, ni personne ici présent. Voilà cinquante ans qu'on leur en donne, sans jamais avoir défini le concubinage. Il existe cinq ou six définitions différentes : le notoire, celui qui implique des relations maritales, etc.

Est-il de bonne politique, dans un pays qui se veut cartésien, de commencer par la fin ? Il faut reprendre le problème au départ. Quand on a voté le titre " du mariage " dans le Code civil, on ne s'est pas interrogé sur les conséquences sociales et fiscales du mariage. On l'a voté, après on devait voir ce qu'on lui accorderait.

M. LARCHÉ, président. - On a défini d'abord les obligations du mariage.

M. HAUSER. - Elles étaient définies depuis longtemps. Une fois définie une structure optionnelle, le législateur aura à décider, point par point, ce qu'il veut accrocher à cette structure optionnelle. Il y a d'abord une part qui restera entre les mains des concubins. Il y aura des gros PIC, des petits PIC, des PIC complets, après tout, les personnes mariées font la même chose, celles qui se marient sous le régime légal et d'autres qui adoptent des contrats de mariage très compliqués. Nous pouvons estimer que la liberté leur est offerte.

Quant aux droits de type social ou fiscal, il y a une limite que nous ne franchirons pas. Je ne crois pas qu'il faille donner des droits de succession " ab intestat " aux signataires d'un pacte d'intérêt commun. Ces droits ne sont donnés qu'en fonction d'une reconnaissance solennelle de la société qui estime que sans que les personnes aient à se prononcer, on peut penser qu'elles ont voulu hériter l'une de l'autre.

Personne ne peut me dire aujourd'hui que ce raisonnement peut être appliqué à des concubins, personne ne sait. D'ailleurs il y aura des concubins de toutes sortes et des signataires de PIC très différents, nous ne pouvons créer un modèle unique en disant que tous les " PICistes " ont voulu que leur cocontractant hérite " ab intestat ", alors que c'est possible aux personnes mariées. Voilà pourquoi il y aurait des limites à ne pas franchir, celle entre la reconnaissance institutionnelle (celle du mariage), et celle d'un fait (la vie en commun). On ne fonde pas des droits successoraux " ab intestat " sur un fait, fût-il reconnu dans un contrat. Ces droits se fondent sur une institution que la société reconnaît.

Le système me semble pouvoir être appliqué ailleurs, pour d'autres conséquences sociales et fiscales. A aucun moment les techniques ne seront les mêmes. Il y a des techniques chargées de signification, elles restent matrimoniales. D'autres techniques, plus neutres et plus indifférenciées, peuvent servir pour le pacte d'intérêt commun.

Il faudra rester attentif chaque fois à ne jamais mélanger les genres. Le projet que nous avons proposé, parmi d'autres, ne les confond pas.

M. BADINTER . - Vous dites que l'on passe du fait du concubinage au contrat, passer du fait à l'acte n'est pas mince. Vous paraît-il possible qu'une personne puisse conclure plusieurs pactes ?

M. HAUSER. - Non, mais successifs, certainement.

M. BADINTER . - Je ne crois pas qu'on puisse l'interdire. Ce serait comme interdire le mariage ou le remariage.

La Cour européenne des droits de l'homme a sanctionné la disposition du droit de Lausanne qui interdisait le remariage à l'époux coupable. Je voulais dire plusieurs, concomitamment ou sans avoir dénoncé le premier. C'est bien ici un contrat qui, par là, rejoint le mariage, une sorte de mariage bis ou de sous mariage.

M. DREYFUS-SCHMIDT. - Et entre plusieurs personnes, deux frères et une soeur, par exemple ?

M. HAUSER. - Nous avons beaucoup réfléchi. C'est d'ailleurs le premier exemple qui s'est présenté à notre esprit. Le PIC est à mi-chemin entre l'indivision et la société. Quand on est plus de deux, on peut faire une société. La demande qui nous est faite est simple. Il faut rappeler un élément qui est trop ignoré : les concubins qui ont beaucoup d'argent ensemble ont, depuis longtemps, utilisé le régime de la société. Les sociétés civiles entre concubins existent depuis longtemps.

Notre PIC est destiné aux personnes qui n'ont pas eu l'idée ou les moyens de passer par la société civile. C'est une petite société civile, une petite structure d'accueil qui permet d'introduire une once de prévisibilité dans un statut qui ne mérite pas d'être complètement marginalisé dans l'imprévisible. C'est une structure intermédiaire.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page