CHAPITRE 7 : LES PROGRES ENREGISTRES POUR CONFERER UNE CAPACITE OPERATIONNELLE A L'UEO

A. Les missions dites " de Petersberg"

Au cours de sa quarante-et-unième session (2ème partie), l'Assemblée de l'UEO s'est particulièrement attachée à démontrer, au long de ses débats, les capacités de l'organisation à s'impliquer directement dans des opérations dites de " type Petesberg ", c'est-à-dire ne relevant pas directement du principe de légitime défense collective des Etats membres qui seraient confrontés à une agression initialement dirigée en tout ou partie à leur égard, mais d'interventions de sécurité précises et parfois durables dans un contexte déterminé et sur la base d'un mandat (Nations Unies, OSCE, OTAN) ou d'une demande expresse de l'Union européenne.

Dans sa séance du 3 décembre 1996 (deuxième partie de la quarante-deuxième session), elle a ainsi examiné en urgence, sur le rapport (doc. 1553) de M. Pietro GIANNASTTASIO (Italie/Forza Italia), le rôle de l'Europe en Bosnie-Herzégovine. La résolution n° 604 exprime ainsi l'absolue nécessité de poursuivre au-delà de son mandat initial l'action de l'IFOR par la création d'une force capable d'assurer une complète application des Accords de Dayton en insistant sur l'urgence des opérations à entreprendre en matière de déminage, opérations que l'UEO pourrait être à même d'organiser tout en appelant de ses voeux la création d'une force de police dépassant le champ d'action de celle mise en oeuvre pour la seule ville de Mostar.

On retiendra ensuite que la Commission permanente de l'Assemblée a, le 13 mars 1997, enjoint au Conseil des ministres de l'UEO, au sujet de la crise albanaise, " ...de charger la Cellule de planification de l'UEO d'établir des plans de circonstance en vue d'opérations éventuelles en Albanie, couvrant toute la gamme des missions de Petesberg, allant de missions humanitaires et d'évacuation aux missions de maintien ou de rétablissement de la paix, y compris le contrôle de la restitution des armes et des munitions " (Recommandation n° 609 sur la situation en Albanie, adoptée à l'unanimité par la Commission permanente).

B. L'implication de l'Assemblée de l'UEO dans l'analyse des potentialités de crises

1) Le risque méditerranéen.

Plus généralement, l'Assemblée a examiné la question de la sécurité dans la région méditerranéenne. Au nom de la Commission politique, M. Jean de LIPKOWSKI (député, RPR) a rapporté devant l'Assemblée (doc. n°1543 et amendements) en soulignant l'importance de cette zone pour l'ensemble des pays européens :

"  Les peuples des deux rives sont loin d'être des étrangers pourtant les uns pour les autres. Ils se sentent liés par une attirance mutuelle, mais celle-ci est tempérée par les rancunes ou les souvenirs d'une histoire faite trop souvent d'antagonismes. Ce n'est donc que très récemment qu'a émergé l'idée d'établir dans cette zone la sécurité et donc la paix dans le respect mutuel et de concevoir un partenariat sur un pied d'égalité. La Méditerranée n'est plus, pour les Européens, le théâtre où s'affrontent leurs visées impérialistes. En revanche, l'Europe se rend compte qu'elle est solidaire de son pourtour sud pour sa sécurité. Depuis la fin de la guerre froide, c'est dans cette zone que peuvent naître des conflits périphériques dans lesquels nous serions nécessairement impliqués, sans parler de toutes les autres menaces latentes créées soit par la montée du fondamentalisme anti-occidental, soit par la démographie foudroyante, enfin par l'écart de développement qui va s'accentuant entre le nord et le sud ".

M. de LIPKOWSKI s'est d'ailleurs félicité de la prise en compte par l'Union européenne de la nécessité d'un dialogue élargi à tous les pays de la région et visant à fonder un futur partenariat favorable à la coopération et à la paix :

" De part et d'autre, on a donc multiplié ces dernières années les initiatives pour y parvenir. Je les ai énumérées dans mon rapport :

- lancement en 1990 d'une conférence sur la sécurité et la coopération en Méditerranée,

- initiative, reprise de manière intéressante par l'Union interparlementaire, pour permettre aux parlements des 24 Etats riverains, donc à leurs opinions publiques, de prendre une place centrale dans le processus,

- exercice " 5 + 5 " à l'initiative de la France,

- forum pour le dialogue et la coopération en Méditerranée, lancé par l'Egypte en 1994.

Je passe sur les initiatives prises par l'OSCE, qui ne me paraissent pas décisives ou les tentatives faites par l'OTAN pour établir également un dialogue avec six pays du sud. E puis nous-mêmes, à l'UEO, nous avons amorcé le même dialogue dans le cadre de notre Groupe Méditerranée.

Mais toutes ces initiatives, à part la Conférence interparlementaire et le forum pour le dialogue et la coopération amorcé par l'Egypte, sont pratiquement aujourd'hui dépassées par l'initiative prise par l'Union européenne, qui a le grand mérite d'avoir cherché à Barcelone, les 26, 27 et 28 novembre derniers, une approche globale pour contribuer à la sécurité de la région. Cette Conférence a regroupé 27 pays, les Quinze ainsi que le Maghreb, l'Egypte, Israël, la Syrie, le Liban, la Jordanie, l'Autorité palestinienne, Malte, Chypre et la Turquie. Les Américains, malgré une très vive pression, n'ont été admis que comme observateurs ".

Il a toutefois relevé les difficultés toujours inhérentes à certains des aspects des différends qui opposent la Grèce et la Turquie :

" Quant au problème qui sépare la Turquie et la Grèce en ce qui concerne la mer Egée, ni l'Union européenne ni l'UEO ne constituent des organisations aptes à servir de médiateurs. La Grèce est membre de l'Union européenne et la Turquie n'est que membre associé à l'UEO. Le Conseil de l'Europe n'est pas non plus le cadre adéquat. Il convient donc d'inciter les parties à s'en remettre aux respects des traités internationaux existants et donc d'instaurer un dialogue positif. En tout cas, l'Europe ne sera pas crédible aux yeux des partenaires du pourtour sud si elle n'est pas capable de régler ses propres tensions qui affectent la stabilité de la région. De même que l'Europe a suscité la méfiance de la part des pays islamiques par son comportement dans la crise bosniaque où elle est apparue comme faisant des efforts insuffisants pour soutenir la cause des Musulmans ".

Dans sa conclusion, M. de LIPKOWSKI a évoqué ce que pourrait être l'implication de l'UEO pour certaines grandes questions liées à l'espace méditerranéen :

" Notre Organisation a été tenue à l'écart de la Conférence de Barcelone à laquelle elle n'a pas été conviée. Cela ne doit pas nous empêcher de présenter des propositions lors de la prochaine réunion ministérielle qui doit se tenir en avril 1997 dans le cadre du suivi de la Conférence de Barcelone. L'UEO devrait, par exemple, étudier sérieusement dans quelle mesure elle pourrait offrir ses bons offices pour relancer les activités du groupe de travail sur le contrôle des armements et la sécurité régionale. Il est dommage que ce groupe soit toujours boycotté par la Syrie et qu'il soit au point mort ; il devrait au contraire être remis sur les rails. Nous pourrions offrir notre expérience dans les domaines suivants : échange de renseignements militaires, notification des activités militaires à venir, contacts et visites d'ordre militaire, création de centres de sécurité régionaux, mesures de confiance, communications ".

Reprenant l'essentiel des conclusions du rapporteur, M. Nicolas ABOUT, sénateur (R.I.), a estimé que la zone méditerranéenne exigeait " ...une plus grande attention et participation de la part de l'UEO ". Il a ainsi mis en garde l'Assemblée " quant à l'exclusivité américaine dans le processus de paix (israelo-arabe) dont vient de parler le rapporteur, je me permets d'exprimer des doutes sur sa réelle efficacité puisque, depuis plusieurs mois, les incidents s'y multiplient. Cette volonté hégémonique comporte également un risque pour la sécurité en Méditerranée puisqu'elle attise les sentiments anti-européens dans le monde arabe ".

M. ABOUT a souhaité en conclusion de son intervention une initiative forte :

" Afin de développer dès à présent cette coopération entre le nord et le sud de la Méditerranée, je souhaite que l'Assemblée de l'UEO invite plusieurs Chefs d'Etat de la rive sud de la Méditerranée, et en particulier le Président Moubarak, à venir s'exprimer et débattre devant nous de la sécurité en Méditerranée ainsi que des perspectives de coopération militaire et politique entre les deux rives. Il faut également envisager l'ouverture d'un bureau d'information de l'UEO au Caire, au siège de la Ligue arabe. Seuls de tels actes permettront d'atténuer à terme les frustrations du Sud et les angoisses collectives du Nord ".

Au cours de la discussion, le rapport de M. de LIPKOWSKI a fait l'objet de critiques émanant toutefois de la seule délégation grecque, au motif que l'approche du rapporteur aurait éludé de façon par trop délibérée la question de Chypre. M. Kimon KOULOURIS (Grèce/PASOK) a notamment dénoncé un " parti pris " qui aurait consisté, " comme d'autres rapporteurs avant lui ", à essayer de faire entrer " ...par la petite porte la Turquie dans l'UEO, alors qu'elle n'est pas membre de l'Union européenne...je suis convaincu que, tant qu'elle se comportera de la sorte, il est exclu que la Communauté l'accueille en son sein ". En sa qualité de Président de la commission concernée, M. Jacques BAUMEL, député (RPR) a tenu à intervenir, estimant que ce " rapport difficile " essayait de traiter globalement les problèmes de sécurité en Méditerranée : " ...je crains que certains n'aient vu, à travers ce rapport général, qu'un aspect, certes préoccupant, de la question mais qui ne devait pas nous cacher l'ensemble des problèmes de la Méditerranée ".

Au terme du débat, l'Assemblée a adopté la recommandation amendée n° 605.

2) L'Analyse géopolitique et stratégique de la situation en Asie centrale et dans le Caucase :

Sur le rapport (doc. n° 1586) de M. Jacques BAUMEL, député (RPR), Président de la Commission politique, assisté de M. Cevdet AKÇALI (Turquie/membre associé/Parti de la Prospérité), l'Assemblée a examiné le 3 décembre 1997 " la situation en Asie centrale et dans le Caucase et la sécurité européenne ".

En remarque liminaire, M. Jacques BAUMEL a considéré que l'Europe commençait seulement à porter attention à l'évolution de cette vaste région qui compte dorénavant huit nouveaux Etats indépendants entre Mer Noire et frontière chinoise. Leur position géostratégique, l'importance de leurs ressources naturelles, les diversités ethniques, culturelles et religieuses font pourtant de ces pays un centre essentiel des intérêts, notamment de la Russie, sans qu'il soit nécessaire de mentionner les luttes d'influence dont la plupart de ces pays avaient été l'objet au XIXè siècle.

Il a rappelé que le Conseil de l'UEO avait déjà été amené à publier plusieurs déclarations sur le conflit du Haut-Karabakh pour lesquels il soutenait notamment les efforts de l'OSCE pour parvenir à un règlement pacifique du conflit.

M. Jacques BAUMEL a ensuite souligné l'intérêt de l'Europe à favoriser une coopération avec les pays de la région et c'est pourquoi la Commission politique de l'Assemblée avait décidé de se pencher sur les axes possibles d'une politique concrète en ce sens : la Commission ayant d'ailleurs créé dans le cadre de ce rapport une sous-commission qui s'est rendue au Kazakstan en Ouzbékistan et en Azerbaïdjan.

Puis, après avoir décrit le jeu des influences actuelles - totales ou partielles - de la part de la Russie, de la Chine, de l'Iran, voire de la Turquie -, le rapporteur a plus particulièrement détaillé les enjeux économiques directement liés à la ressource gazière et pétrolière, non sans avoir insisté sur le rôle " du Groupe de Minsk ", auquel participe la France, pour le règlement du conflit entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie, depuis le cessez-le-feu de mai 1994, d'ailleurs respecté par les belligérants. A ce jour, de très importants contrats ont en effet été signés, tant par le Kazakhstan que l'Azerbaïdjan, avec des groupes pétroliers : les compagnies américaines y occupent des positions de " leaders " alors que les pétroliers européens (Elf, Agip, Statoil, etc...), turcs ou encore japonais n'ont obtenu qu'une part modeste au sein des consortiums.

M. Jacques BAUMEL a également insisté sur " la bataille des oléoducs " qui s'est ouverte dans la région, citant comme exemple le projet qui relierait le Turkménistan à la Turquie et à l'Europe en passant par l'Iran dont l'ancien Secrétaire d'Etat américain, Alexander HAIG, est l'un des coordonateurs, ce qui prouve que la Caspienne est bien " une éponge à pétrole ", comme il est courant de l'appeler.

Concluant sur l'orientation de la politique étrangère des différents pays de cette zone au regard des intérêts géopolitiques comme économiques des grandes puissances, M. Jacques BAUMEL a souligné les évolutions récemment enregistrées en mentionnant l'excellence des relations entretenues par la Turquie et la Géorgie, l'abandon par l'Iran de l'ambition d'imposer un modèle de société aux pays de la région et les perspectives de coopération dès lors offertes à l'Union européenne, voire à la BERD dont le rôle mériterait d'être intensifié sur la zone.

M. Cedvet AKÇALI, corapporteur, a pour sa part plus spécialement insisté sur la quête d'influence de la Russie sur les pays d'Asie centrale par le biais de la CEI, mais partiellement repoussée du fait, notamment, de leurs efforts visant à désintégrer leurs économies à celle de l'ex-Union soviétique. Il a également précisé le sens des relations que souhaite naturellement entretenir la Turquie avec les Etats turcophones en indiquant que leur adoption d'un alphabet latin restait capitale pour l'Europe alors que l'alphabet arabe favoriserait inexorablement l'influence de l'Iran et de l'Arabie Saoudite, mais qu'en tout état de cause, le soutien financier de l'Occident demeurait déterminant quant à cette question, qualifiant d'ailleurs d'exorbitant le coût du passage de l'alphabet cyrillique à l'alphabet latin pour le seul Ouzbékistan. Enfin, il a réaffirmé sa confiance dans une possible coexistence avec une certaine forme de laïcité d'Etat, y compris dans des pays comme l'Azerbaïdjan dont la majorité de la population est chiite, en considérant, en outre, que l'Ouzbékistan et le Kazakhstan entendaient rejeter toute incidence du conflit afghan dont l'origine est religieuse.

Au terme d'un débat où les différents participants se sont plus à souligner la qualité du travail comme la clarté de l'exposé oral du rapporteur, l'Assemblée à adopté la recommandation n° 624 dont l'objet principal est, d'une part, d'inciter l'UEO à prendre des initiatives pour contribuer, en accord avec l'OSCE, au maintien de la paix dans des foyers de crise tels que le Haut-Karabakh et, d'autre part, que les pays membres de l'UEO aident certains Etats de la région à moderniser leurs équipements militaires ou à entraîner leurs forces armées dans le but de renforcer leur indépendance dans l'intérêt de la stabilité et de la paix.

C. L'examen du rôle du " Comité militaire " récemment créé au sein de l'UEO

L'Assemblée a également débattu, le 3 décembre 1997, du rôle du Comité militaire de l'UEO sur le rapport (doc. n° 1591) de M. Pietro GIANNATTASIO (Italie/Forza Italia), une structure créée sur mandat du Conseil des ministres au Comité permanent.

Le rapporteur a d'abord mentionné que ce Comité ne pouvait être considéré comme une copie de ce qui existe au sein de l'OTAN sous une même appellation. Il a toutefois regretté que, s'agissant de l'Albanie, la Commission permanente de l'Assemblée n'ait pu être suivie par les gouvernements dans sa recommandation de charger la Cellule de planification de concevoir une intervention de l'UEO incluant la gamme des missions de type Petesberg, même si une action positive a pu être conduite à l'initiative de l'Italie et des pays de l'EUROFOR et de l'EUROMARFOR.

Il a ensuite évoqué les forces relevant de l'UEO (FRUEO) : celles-ci sont en fait " à la disposition " de l'Organisation ou " disponibles sur appel " et non " affectées " comme c'est le cas pour l'OTAN. M. GIANNATTASIO a souhaité voir révisé ce mode de fonctionnement, d'autant que, du fait de l'élargissement de l'OTAN, les procédures particulières à ce système vont nécessairement s'alourdir. Il a recommandé en conséquence la création d'une division multinationale d'infanterie légère de 10 000 à 12 000 hommes et assurée d'un soutien naval et aérien disponible à très brefs délais. Selon lui, le Comité militaire devrait se transformer en une véritable " interface " militaire et ne plus être un simple organe consultatif pour le Conseil des ministres de l'UEO : ses tâches courantes seraient ainsi d'évaluer les situations, d'établir des directives de planification, d'entraînement, de logistique ou d'opérations. A cet égard, le rapporteur a considéré comme positive la décision de renforcer le rôle des Chefs d'Etats-majors (CEMA) au sein de l'UEO.

Dans son rapport, M. GIANNATTASIO s'est montré sévère vis-à-vis du Conseil des Ministres, puisqu'il a déclaré qu'" actuellement, l'organe suprême de l'UEO donne l'impression de ne pouvoir fonctionner qu'en théorie ". En même temps, il a constaté que c'est " l'absence de forces immédiatement utilisables par l'UEO qui rend les décisions du Conseil des Ministres constamment inopportunes, celles-ci étant, soit en avance, soit en retard sur les décisions prises par l'OTAN ". Selon lui, l'UEO " ferait peut-être bien de revoir d'urgence la notion de " forces relevant de l'UEO " telle qu'elle est acceptée à ce jour " à cause en particulier du principe de la " double casquette " appliqué à ces forces, qui " suppose la subordination de leur état de préparation opérationnelle aux besoins de l'OTAN ". Or, selon le rapporteur, l'important, pour les forces de l'UEO, c'est d'être plus réduites et immédiatement disponibles, car les interventions de l'UEO ne faisant pas appel aux moyens et capacités de l'OTAN sont " censées être limitées aux cas de crise mineure dans un cadre européen ".

Mme CALLEJA (Espagne) a estimé que le thème dominant du rapport était moins le rôle du Comité militaire que la nécessité de doter l'organisation d'une force permanente, seul instrument qui lui fasse encore défaut. En réponse à l'intervenante, M. GIANNATTASIO a rappelé que l'UEO était unie à l'OTAN par un lien de subordination et qu'il convenait de modifier la nature de ce lien pour parvenir à une complémentarité.

Au terme de cette présentation, l'Assemblée a adopté la recommandation n° 623.

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