TROISIÈME PARTIE -
LA LIBRE CIRCULATION DES PERSONNES, LA SÉCURITÉ ET LA JUSTICE : DES AVANCÉES RÉELLES

L'ensemble des questions liées à la justice et aux affaires intérieures relevaient d'une coopération intergouvernementale que le traité de Maastricht, pour bien en souligner la spécificité, avait présentée dans un dispositif distinct, constituant le troisième pilier de la construction communautaire.

Le traité d'Amsterdam assigne à l'Union européenne un nouvel objectif, la mise en place d'un espace de liberté, de sécurité et de justice (art. 5 TUE). Cet ajout présente trois mérites principaux :

- il tire les conséquences du principe de la liberté de circulation et de séjour posé par le traité de Maastricht,

- il institue un lien entre une double exigence : la libre circulation des personnes et les "mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d'asile, d'immigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène",

- il consacre ainsi les avancées acquises dans le cadre plus restreint des Etats signataires des accords de Schengen.

Le principe d'un espace de liberté, de sécurité et de justice admis, il restait à déterminer les conditions de mise en oeuvre de cet objectif. Fallait-il poursuivre dans le cadre de la coopération intergouvernementale fixé par le troisième pilier au risque de demeurer paralysé par la règle de l'unanimité ? Convenait-il au contraire de revenir au régime commun des procédures communautaires (initiative de la Commission, décision à la majorité qualifiée au sein du Conseil, codécision du parlement européen) dans un domaine qui touche si étroitement aux souverainetés nationales ?

Le débat entre tenants de la logique intergouvernementale et partisans de la procédure communautaire a pu parfois revêtir un tour dogmatique et masquer la vraie question : comment garantir la libre circulation des personnes tout en luttant de la façon la plus efficace contre le développement d'une criminalité transfrontalière ? L'expérience a montré qu'une action concertée et coordonnée s'avérait plus efficace que l'isolement. C'est pourquoi, dans le domaine des affaires intérieures et de la justice, l'impératif d'efficacité interdisait le statu quo.

Ce souci, associé à la volonté de ménager les souverainetés nationales, a inspiré la solution retenue par le traité fondé sur un triple compromis :

- une partie des questions relevant du troisième pilier a été "communautarisée" pour former le nouveau titre IV du traité instituant la Communauté européenne (visas, asile, immigration, franchissement des frontièrees extérieures, coopération judiciaire civile) tandis que la coopération policière et judiciaire en matière pénale continue de relever de la coopération intergouvernementale dans le cadre d'un troisième pilier maintenu ;

- la "communautarisation" organisée par le nouveau titre IV apparaît à la fois progressive et partielle ;

- le Danemark, le Royaume-Uni et l'Irlande, résolument hostiles à la "communautarisation" ou, pour les deux derniers pays, au principe même d'une coopération renforcée dans les domaines concernés ont obtenu des statuts dérogatoires.

Malgré ses limites sur lesquelles votre rapporteur reviendra,le traité d'Amsterdam permet, à ses yeux, dans ce domaine trois avancées notables :

- la mise en place de procédures de décision plus efficaces -à travers la "communautarisation"- pour réaliser cet espace de liberté ;

- l'intégration dans le cadre de l'Union européenne de "l'acquis de Schengen" et, partant, la reconnaissance d'un socle minimal de règles préalables à la libre circulation ;

- l'amélioration du dispositif de coopération intergouvernemental pour les matières demeurées sous le régime du troisième pilier.

I. UNE COOPÉRATION RENFORCÉE MAIS ENCADRÉE

A. L'INTÉGRATION DE L'ACQUIS DE SCHENGEN À L'UNION EUROPÉENNE : UN LIEN GARANTI ENTRE LIBRE CIRCULATION ET MESURES D'ACCOMPAGNEMENT NÉCESSAIRES

Le traité d'Amsterdam institue un lien que votre rapporteur juge essentiel entre la libre circulation des personnes et les mesures d'accompagnement relatives aux contrôles aux frontières extérieures, à l'asile et à l'immigration (art. 2 TUE) .

La France, la première, avait subordonné la suppression des contrôles aux frontières communes de l'Union à la mise en oeuvre des mesures d'accompagnement nécessaires dans le domaine des contrôles aux frontières extérieures notamment. Notre pays avait même suggéré que la décision de lever les contrôles aux frontières intérieures soit prise par le Conseil, à l'issue d'un délai de cinq ans, au vu de la réalisation des mesures d'accompagnement nécessaires, sur la base d'un rapport détaillé de la Commission.

Si cette proposition n'a pas été retenue, le traité organise cependant une mise en oeuvre parallèle des mesures relatives à la suppression des contrôles aux frontières intérieures et des mesures d'accompagnement communes sur le contrôle aux frontières extérieures, dont la logique répond aux préoccupations françaises.

Le traité fixe en outre un délai butoir de cinq ans à l'harmonisation des mesures dans les domaines déterminés par le titre IV afin de favoriser la dynamique de la négociation, comme le souhaitait d'ailleurs le gouvernement français.

Cependant, le traité n'a pas établi un lien formel entre la levée des contrôles et la mise en oeuvre des mesures relatives à la sécurité. En outre, la lutte contre la toxicomanie n'a pas été reprise parmi les "mesures compensatoires" liées à la libre circulation et il faut le regretter.

Toutefois l'intégration de "l'acquis de Schengen" à l'Union européenne apporte en principe la garantie d'un lien entre libre circulation et sécurité .

En effet, l'abolition décidée dans le cadre des accords de Schengen des contrôles fixes aux frontières intérieures des Etats signataires de ces textes avait pour contrepartie nécessaire un renforcement de la coopération en matière de sécurité, en particulier pour la surveillance des frontières extérieures.

Si le bilan des accords de Schengen en la matière apparaît encore insuffisant, du moins le dispositif définit un socle minimal de règles qui ont vocation à s'appliquer désormais aux premier et troisième piliers.

Une déclaration (n° 15) de la Conférence tire toutes les conséquences de l'intégration de l'acquis de Schengen et rappelle ainsi que les mesures adoptées par le Conseil pour prendre la suite des dispositions relatives à l'abolition des frontières communes contenues dans la convention de Schengen de 1990 maintiendront un niveau identique de protection et de sécurité.

*

Le dispositif mis en place, dans le cadre des accords de Schengen, pour supprimer progressivement les contrôles aux frontières communes entre les Etats-membres de l'Union européenne -à l'exception du Royaume-Uni et de l'Irlande- a été intégré aux traités européens sous la forme d'un protocole annexé au traité d'Amsterdam.

Cette intégration permet, selon votre rapporteur, de rétablir une plus grande cohérence dans la mise en oeuvre de la libre circulation des personnes mais elle soulève aussi plusieurs incertitudes compte tenu des particularités du dispositif Schengen.

1. Une plus grande cohérence

a) Les conséquences de l'intégration

L'intégration se traduit par deux séries de mesures :

l'application immédiate aux Etats-membres de l'"acquis de Schengen" qui comprend non seulement les textes fondateurs de la coopération Schengen (accord de Schengen du 14 juin 1985 et convention d'application de l'accord de Schengen du 19 juin 1990) et les accords d'adhésion, mais aussi l'ensemble des décisions adoptées par le Comité exécutif Schengen,

la substitution du Conseil de l'Union européenne au Comité exécutif, instance de décision des accords de Schengen .

L'intégration de "l'acquis de Schengen" met ainsi un terme à la dualité des structures intéressées à la mise en place d'un espace voué à la libre circulation des citoyens. En effet, les Quinze, dans le cadre du troisième pilier, abordaient des sujets très proches des thèmes traités par les États signataires des accords de Schengen: coopération dans le domaine des visas, mise en place d'un système d'information européen... En fait, seuls certains aspects de la coopération policière propre à Schengen, comme le droit d'observation et de poursuite transfrontalière, échappaient aux initiatives des Quinze. Aussi, la proximité des préoccupations de deux instances dont la composition se recoupe, par ailleurs, très largement, n'aurait-elle pas manqué à terme de poser des problèmes de redondance même si, jusqu'à présent, les négociations poursuivies à Quinze marquaient le pas par rapport aux avancées enregistrées par les Etats Schengen.

b) Le maintien de garanties propres à Schengen.

Si l'intégration revêt la forme d'une coopération renforcée , elle n'en conserve pas moins plusieurs traits propres au dispositif Schengen.

- En premier lieu, comme le précise l'article 2 de la déclaration, l'application du dispositif Schengen n'est immédiate que pour les Etats signataires des accords de Schengen qui ont déjà rempli les conditions d'adhésion ; les autres ne prendront une part entière au dispositif que lorsqu'ils auront satisfait aux critères fixés par la convention.

- De même, le principe d'une ouverture automatique de la coopération renforcée à tout Etat-membre de l'Union européenne à condition qu'il respecte la décision initiale et les décisions prises dans ce cadre plus restreint, n'est pas de mise ici.

La participation d'un nouvel Etat est en effet subordonnée à un accord unanime du Conseil (composé pour la circonstance des Etats parties à la coopération renforcée et de l'Etat candidat).

Le Conseil pourra ainsi veiller au respect par l'Etat demandeur des conditions fixées par la convention d'application de l'accord de Schengen.

La Cour de justice exercera sur les dispositions et décisions constituant l'acquis de Schengen les compétences que lui confère le traité en fonction de la base juridique retenue. Elle ne pourra pas statuer, ici encore, sur les mesures relatives au maintien de l'ordre public.

En conséquence, le contrôle de la Cour de justice ne pourra pas s'appliquer à la mise en oeuvre de la clause de sauvegarde prévue à l'article 2 de la convention d'application de l'accord de Schengen (possibilités de rétablir des contrôles aux frontières intérieures pour des raisons d'ordre public ou de sécurité nationale, après consultation des autres Etats signataires et pour une période limitée).

2. Les incertitudes

Plusieurs incertitudes pèsent encore sur l'application du dispositif Schengen.

a) La définition de la base juridique applicable

En premier lieu, le Conseil devra déterminer, à l'unanimité, la base juridique pour chacune des dispositions qui constituent l'acquis de Schengen (art. 2).

Il conviendra ainsi de faire le partage entre les décisions appelées à prendre leur place au sein du pilier communautaire (nouveau titre IV du TUE sur la libre circulation des personnes, l'asile et l'immigration) ou au sein du troisième pilier (titre VI du TUE). Dans l'attente de cette ventilation, l'ensemble des dispositions relève de la coopération intergouvernementale du titre VI.

Une déclaration (n° 44) à l'acte final précise que les travaux préparatoires seront entrepris en temps utile pour permettre au Conseil, dès la date d'entrée en vigueur du traité, d'adopter toutes les mesures relatives à la définition des bases juridiques pertinentes.

Un groupe de travail du Conseil a été créé pour examiner la ventilation de l'acquis de Schengen entre les différentes bases juridiques du premier et du troisième piliers. Les travaux progressent même si certaines difficultés subsistent en particulier sur le Système d'Information Schengen (SIS).

b) La multiplication des statuts particuliers

L'intégration de l'acquis Schengen soulève la question des relations entre l'Union européenne, d'une part, et la Norvège et l'Islande, d'autre part , devenues membres associés des accords de Schengen le 19 décembre 1996. Le protocole appelle en conséquence (art. 6) à la signature d'un accord destiné à fixer les obligations financières des deux Etats concernés ainsi que les conditions de leur participation aux instances de Schengen désormais fondues au sein des institutions européennes.

L'entrée en vigueur d'un tel accord et du traité d'Amsterdam devraient intervenir à une date rapprochée afin de faire concorder les engagements des Etats membres au sein des deux instances.

Enfin, les statuts particuliers réservés au Danemark, au Royaume-Uni et à l'Irlande constituent à coup sûr un point supplémentaire de complexité. Le premier pays participe à la totalité des activités conduites dans le cadre de l'acquis Schengen mais sur la seule base d'une coopération intergouvernementale. Comment, dès lors, s'organisera concrètement la participation du Danemark pour les mesures relevant du pilier communautaire ? Quant au Royaume-Uni et à l'Irlande, s'ils n'ont pas souscrit à l'acquis de Schengen, ils pourront participer à tout ou partie des dispositions de cet acquis. Cette "participation à la carte" -certes subordonnée à un accord unanime du Conseil (art. 4)- a été refusée aux Etats candidats appelés, comme c'était du reste souhaitable, à accepter l'intégralité de l'acquis Schengen (art. 8).

Malgré ces incertitudes, l'intégration de l'acquis Schengen constitue, selon votre rapporteur, une garantie très appréciable pour la mise en place d'un espace de libre circulation qui s'inscrira ainsi dans le cadre des normes et des principes éprouvés de Schengen.

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