ANNEXE n° 2 -
EXTRAITS DE LA DÉCISION n° 97-394 DC DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL RELATIVE AU TRAITÉ D'AMSTERDAM

Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 4 décembre 1997, par le Président de la République et le Premier ministre, conformément à l'article 54 de la Constitution, de la question de savoir si, compte tenu des engagements souscrits par la France et des modalités de leur entrée en vigueur, l'autorisation de ratifier le traité d'Amsterdam modifiant le traité sur l'Union européenne, les traités instituant les communautés européennes et certains actes connexes, signé le 22 octobre 1997, doit être précédée d'une révision de la Constitution.

Le Conseil constitutionnel

[Visas]

SUR LES NORMES DE RÉFÉRENCE APPLICABLES :

1. Considérant que le peuple français a, par le préambule de la Constitution de 1958, proclamé solennellement son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946" ;

2. Considérant que, dans son article 3, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen énonce que "le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation" ; que l'article 3 de la Constitution de 1958 dispose, dans son premier alinéa, que "la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum" ;

3. Considérant que le préambule de la Constitution de 1946 proclame, dans son quatorzième alinéa, que la République française se "conforme aux règles du droit public international" et, dans son quinzième alinéa, que "sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix" ;

4. Considérant que, dans son article 53, la Constitution de 1958 consacre, comme le faisait l'article 27 de la Constitution de 1946, l'existence de "traités ou accords relatifs à l'organisation internationale", que ces traités ou accords ne peuvent être ratifiés ou approuvés par le Président de la République qu'en vertu d'une loi ;

5. Considérant qu'aux termes de l'article 88-1, résultant de la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 : "La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instaurées, d'exercer en commun certaines de leur compétences" ;

6. Considérant qu'il résulte de ces textes de valeur constitutionnelle que le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce que, sur le fondement des dispositions précitées du préambule de la Constitution de 1946, la France puisse conclure, sous réserve de réciprocité, des engagements internationaux en vue de participer à la création ou au développement d'une organisation internationale permanente, dotée de la personnalité juridique et investie de pouvoirs de décision par l'effet de transferts de compétences consentis par les Etats membres ;

7. Considérant, toutefois, qu'au cas où des engagements internationaux souscrits à cette fin contiennent une clause contraire à la Constitution ou portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, l'autorisation de les ratifier appelle une révision constitutionnelle ;

8. Considérant que c'est au regard de ces principes qu'il revient au Conseil constitutionnel de procéder à l'examen du traité signé à Amsterdam le 2 octobre 1997 ;

9. Considérant qu'aux termes de l'article 88-2, ajouté à la Constitution par la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 : "Sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, la France consent aux transferts de compétences nécessaires à l'établissement de l'union économique et monétaire européenne ainsi qu'à la détermination des règles relatives au franchissement des frontières extérieures des Etats membres de la Communauté européenne" ; qu'il résulte de cette disposition qu'appellent une nouvelle révision constitutionnelle les clauses du traité d'Amsterdam qui opèrent, au profit de la Communauté européenne, des transferts de compétences qui mettent en cause les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, soit que ces transferts interviennent dans un domaine autre que l'établissement de l'union économique et monétaire européenne ou que le franchissement des frontières extérieures communes, soit que ces clauses fixent d'autres modalités que celles prévues par le traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992 pour l'exercice des compétences dont le transfert a été autorisé par l'article 88-2 précité ;

10. Considérant que l'article 2 du traité d'Amsterdam insère dans le traité instituant la Communauté européenne un titre III A intitulé : "Visas, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation des personnes" ;

11. Considérant que, s'agissant de la libre circulation des personnes, le nouveau titre comprend un article 73 J qui autorise le Conseil, statuant conformément à la procédure prévue à l'article 73 O du même titre, à prendre, dans les cinq ans qui suivent l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, un certain nombre de mesures, qu'il énumère, relatives au franchissement des frontières intérieures et extérieures des Etats membres, ainsi qu'à la libre circulation des ressortissants des pays tiers sur leur territoire ;

12. Considérant que les mesures relatives au franchissement des frontières intérieures comprennent des "mesures visant, conformément à l'article 7 A, à assurer l'absence de tout contrôle des personnes, qu'il s'agisse de citoyens de l'Union ou de ressortissants des pays tiers, lorsqu'elles franchissent les frontières intérieures" ;

13. Considérant que les mesures relatives au franchissement des frontières extérieures des Etats membres fixent "les normes et les modalités auxquelles doivent se conformer les Etats membres pour effectuer les contrôles des personnes aux frontières extérieures" et "les règles relatives aux visas pour les séjours prévus d'une durée maximale de trois mois" ; que ces dernières règles comprennent, notamment, "la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa ...", les "procédures et conditions de délivrance des visas par les Etats membres", la définition d'un "modèle type de visa", ainsi que les règles applicables "en matière de visa uniforme" ;

14. Considérant, enfin, que les mesures relatives à la circulation des ressortissants des pays tiers fixent les conditions dans lesquelles ces ressortissants peuvent circuler librement sur le territoire des Etats membres pendant une durée maximale de trois mois ;

15. Considérant que, s'agissant des politiques de l'asile et de l'immigration, le nouveau titre III A comprend en outre un article 73 K énonçant que le Conseil, statuant conformément à la procédure prévue à l'article 73 O, peut également prendre, dans les cinq ans qui suivent l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, un certain nombre de mesures relatives à l'asile, aux réfugiés et à l'immigration ;

16. Considérant que les mesures relatives à l'asile portent sur les "critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers", sur les "normes minimales régissant l'accueil des demandeurs d'asile dans les Etats membres", sur les "normes minimales concernant les conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers pour pouvoir prétendre au statut de réfugié" ou encore sur les "normes minimales concernant la procédure d'octroi ou de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres" ;

17. Considérant que les mesures relatives aux réfugiés et aux personnes déplacées auront trait aux "normes minimales relatives à l'octroi d'une protection temporaire" de ces personnes et aux "mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres" pour les accueillir et "supporter les conséquences de cet accueil" ;

18. Considérant que les mesures relatives à la politique d'immigration porteront sur "les conditions d'entrée et de séjour", sur les "normes concernant les procédures de délivrance par les Etats membres de visas et de titres de séjour de longue durée, y compris aux fins de regroupement familial", ainsi que sur "l'immigration clandestine" et le "séjour irrégulier, y compris le rapatriement des personnes en séjour irrégulier" ;

19. Considérant, enfin, que sont également envisagées "des mesures définissant les droits des ressortissants des pays tiers en situation régulière de séjour dans un Etat membre de séjourner dans les autres Etats membres et les conditions dans lesquelles ils peuvent le faire" ; qu'il est par ailleurs précisé à l'avant-dernier alinéa de l'article 73 K que les mesures adoptées par le Conseil en matière d'immigration et de droit de séjour dans les Etats membres "n'empêchent pas un Etat membre de maintenir ou d'introduire, dans les domaines concernés, des dispositions nationales compatibles avec le présent traité et avec les accords internationaux" ;

20. Considérant que l'article 73 O prévoit les modalités d'adoption, par le Conseil, des décisions qui font l'objet du titre III A ; qu'il est stipulé, en son premier paragraphe, que "pendant une période transitoire de cinq ans après l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, le Conseil statue à l'unanimité sur proposition de la Commission ou à l'initiative d'un Etat membre et après consultation du Parlement européen" ; qu'il est ajouté, au deuxième paragraphe, qu'"après cette période de cinq ans, le Conseil statue sur des propositions de la Commission", celle-ci étant toutefois tenue d'examiner "toute demande d'un Etat membre visant à ce qu'elle soumette une proposition au Conseil", et que "le Conseil, statuant à l'unanimité après consultation du Parlement européen, prend une décision en vue de rendre la procédure visée à l'article 189 B applicable à tous les domaines couverts par le présent titre ou à certains d'entre eux et d'adapter les dispositions relatives à la compétence de la Cour de justice" ; qu'il est précisé, au troisième paragraphe, que, par dérogation aux règles prévues aux deux premiers, les règles relatives à la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa de court séjour et concernant le modèle type de visa seront, dès l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, "arrêtées par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen" ; qu'il est enfin prévu au quatrième paragraphe que, par dérogation au deuxième, les mesures concernant les procédures et conditions de délivrance de ces mêmes visas, ainsi que les règles en matière de visa uniforme, seront, au terme d'une période de cinq ans suivant l'entrée en vigueur du traité, "arrêtées par le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l'article 189 B" ;

En ce qui concerne les mesures relatives à l'asile, à l'immigration et au franchissement des frontières intérieures des Etats membres :

21. Considérant que les premier et troisième paragraphes de l'article 73 J et l'article 73 K prévoient, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, des transferts de compétences au profit de la Communauté dans les domaines de l'asile, de l'immigration et du franchissement des frontières intérieures qui intéressent l'exercice de la souveraineté nationale et n'entrent pas dans le champ de l'habilitation prévue par l'article 88-2 de la Constitution ;

22. Considérant, il est vrai, que, s'agissant de domaines ne relevant pas de la compétence exclusive de la Communauté, le respect du principe de subsidiarité, énoncé par l'article 3 B du traité instituant la Communauté européenne et dont les conditions de mise en oeuvre sont précisées par un protocole annexé au traité d'Amsterdam, implique que la Communauté n'intervient que si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les Etats membres ; que, toutefois, la seule mise en oeuvre de ce principe pourrait ne pas faire obstacle à ce que les transferts de compétence autorisés par le traité soumis à l'examen du Conseil constitutionnel revêtent une ampleur et interviennent selon des modalités telles que puissent être affectées les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ;

23. Considérant que les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ne seront pas affectées pendant la période transitoire de cinq ans à compter de l'entrée en vigueur du traité, au cours de laquelle, en application du premier paragraphe de l'article 73 O, les décisions du Conseil seront prises à l'unanimité et où les Etats membres conserveront le pouvoir d'initiative ;

24. Considérant, en revanche, qu'au terme de cette période transitoire, en vertu du deuxième paragraphe de l'article 73 O, le Conseil statue sur proposition de la seule Commission, les Etats membres perdant ainsi le pouvoir d'initiative ; que, surtout, sur simple décision du Conseil prise à l'unanimité, l'ensemble des mesures intervenant dans les domaines précités, ou certaines d'entre elles, pourront être prises à la majorité qualifiée selon la procédure dite de "codécision" prévue par l'article 189 B du traité instituant la Communauté européenne ; qu'un tel passage de la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée et à la procédure de "codécision" ne nécessitera, le moment venu, aucun acte de ratification ou d'approbation nationale, et ne pourra ainsi pas faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité sur le fondement de l'article 54 ou de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution ;

25. Considérant que, dans ces conditions, et nonobstant les dispositions de l'avant-dernier alinéa de l'article 73 K, l'application des dispositions du deuxième paragraphe de l'article 73 O pourrait conduire à ce que se trouvent affectées les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ;

26. Considérant qu'il suit de là que doivent être déclarées contraires à la Constitution les dispositions du deuxième paragraphe de l'article 73 O, ajouté au traité instituant la Communauté européenne par l'article 2 du traité d'Amsterdam, en tant qu'elles s'appliquent aux mesures prévues par les premier et troisième paragraphe de l'article 73 J et par l'article 73 K du traité instituant la Communauté européenne ;

En ce qui concerne les mesures relatives au franchissement des frontières extérieures des Etats membres :

27. Considérant que, dans sa décision du 2 septembre 1992, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution, et notamment à son article 88-2, les stipulations de l'article 100 C du traité instituant la Communauté européenne relatives à la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à obligation de visa et relatives à l'instauration d'un modèle type de visa ; que l'autorité qui s'attache à la chose jugée par le Conseil constitutionnel s'oppose à ce que soient remises en cause les dispositions du troisième paragraphe de l'article 73 O qui se bornent à reprendre les règles de décision prévues par l'article 100 C précité ;

28. Considérant, en revanche, que le passage automatique à la règle de la majorité qualifiée et à la procédure de "codécision", au terme d'une période de cinq ans après l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, pour la détermination des procédures et conditions de délivrance des visas de court séjour par les Etats membres et des règles applicables en matière de visa uniforme, prévu par le quatrième paragraphe de l'article 73 O, constitue, au regard du traité sur l'Union européenne, une modalité nouvelle de transfert de compétences dans des domaines où est en cause la souveraineté nationale ; que le passage de la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée et à la procédure de "codécision", dans de telles matières, pourrait conduire à ce que se trouvent affectées les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

29. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le quatrième paragraphe de l'article 73 O, ajouté au traité instituant la Communauté européenne par l'article 2 du traité d'Amsterdam, doit être déclaré contraire à la Constitution ;

30. Considérant, enfin, que le passage à la majorité qualifiée et à la procédure de "codécision", sur simple décision du Conseil, selon la procédure prévue au deuxième paragraphe de l'article 73 O, s'agissant des mesures visées au a) du deuxième paragraphe de l'article 73 J, qui fixent les "normes et modalités auxquelles doivent se conformer les Etats membres pour effectuer les contrôles des personnes aux frontières extérieures", porte atteinte, pour les motifs ci-dessus énoncés, aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ; qu'il y a lieu, dès lors, de déclarer contraires à la Constitution les dispositions du deuxième paragraphe de l'article 73 O en tant qu'elles s'appliquent aux mesures prévues par le a) du deuxième paragraphe de l'article 73 J ;

- SUR L'ENSEMBLE DE L'ENGAGEMENT INTERNATIONAL SOUMIS A L'EXAMEN DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL :

31. Considérant qu'aucune des autres dispositions de l'engagement international soumis au Conseil constitutionnel au titre de l'article 54 de la Constitution n'est contraire à celle-ci ;

Considérant que, pour les motifs ci-dessus énoncés, l'autorisation de ratifier, en vertu d'une loi, le traité d'Amsterdam exige une révision de la Constitution ;

D E C I D E :

Article premier. - L'autorisation de ratifier en vertu d'une loi le traité d'Amsterdam ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution.

Article 2. - La présente décision sera notifiée au Président de la République, ainsi qu'au Premier ministre, et publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 31 décembre 1997, où siégeaient : MM. Roland DUMAS, Président, Georges ABADIE, Michel AMELLER, Jean CABANNES, Maurice FAURE, Yves GUENA, Alain LANCELOT, Mme Noëlle LENOIR et M. Jacques ROBERT.

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