TROISIÈME PARTIE : L'ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION ET LE DIAGNOSTIC PRÉNATAL

Avant d'analyser, à la lumière des données statistiques et des auditions auxquelles il a été procédé, les conditions dans lesquelles l'assistance médicale à la procréation s'est développée et a évolué dans le cadre que lui avait fixé le législateur, il convient de rappeler, ici encore, les objectifs assignés aux règles qui ont été édictées en 1994.

I - LES OBJECTIFS VISÉS PAR LE LÉGISLATEUR DE 1994

1. Consacrer une approche médicalisée de la procréation à partir d'une définition fondée sur les évolutions possibles des techniques

L'article L 152-1 du Code de la santé publique vise " toutes pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, le transfert d'embryons et l'insémination artificielle, ainsi que toute technique d'effet équivalent permettant la procréation en dehors du processus naturel " . Cette définition très large permet d'englober non seulement les pratiques existantes lors de l'élaboration de la loi, mais encore les techniques nouvelles qui seraient amenées à se développer ultérieurement. Elle laisse donc une large part d'initiative aux praticiens, ce qui n'a pas été sans poser quelques problèmes, comme on le verra plus loin, en ce qui concerne l'absence de recherche préalable à l'application clinique dans le domaine des micro-injections.

2. Prendre en compte l'intérêt de l'enfant à naître plutôt que le droit à l'enfant

L'article L 152-2 a posé à cet égard un certain nombre de conditions à la mise en oeuvre de l'assistance médicale à la procréation :

o conditions d'ordre médical : remédier à l'infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement constaté ou éviter la transmission à l'enfant d'une maladie d'une particulière gravité ;

o conditions d'ordre social : l'homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d'apporter la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans et consentants préalablement au transfert des embryons ou à l'insémination.

Ces conditions excluent la satisfaction de demandes de pure convenance personnelle, celles des personnes seules notamment ou bien encore de couples homosexuels. Elles écartent également toute possibilité de procréation post mortem. Les choix ainsi faits par le législateur " reposent sur la conviction qu'il faut donner à l'enfant à naître le plus de chances d'épanouissement possibles en le plaçant nécessairement dans le cadre d'un couple traditionnel et consentant " .

3. Conférer un caractère subsidiaire à l'assistance médicale à la procréation avec tiers donneur

Selon l'article L 152-6 du Code de la santé publique, l'AMP avec tiers donneur ne peut être pratiquée que comme ultime indication lorsque la procréation médicalement assistée à l'intérieur du couple ne peut aboutir.

La volonté du Sénat, qui est à l'origine de cette disposition, était d'en limiter le plus possible l'emploi compte tenu des problèmes psychologiques que ce type de don risque de créer, tant chez l'enfant ainsi conçu que chez les couples qui en seraient les bénéficiaires.

Sans remettre en cause une pratique éprouvée, la loi a par ailleurs fixé les modalités selon lesquelles un don de gamètes en vue d'une AMP peut être réalisé et elle a subordonné l'utilisation de ces gamètes à un certain nombre de conditions qui s'inspirent, pour l'essentiel, des règles éthiques et déontologiques mises en place par les CECOS (centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humain) depuis de nombreuses années (gratuité, consentement, anonymat, sécurité sanitaire) et formalisées dans la charte qu'ils ont adoptée.

4. Soumettre les activités d'assistance médicale à la procréation à un encadrement réglementaire strict

La nécessité de cet encadrement avait été soulignée dès 1984 par le Comité consultatif national d'éthique mais il n'avait été qu'imparfaitement assuré par les textes réglementaires édictés avant 1994. Organisé sur la base d'une distinction entre activités cliniques et biologiques, cet encadrement se traduit par :

o un agrément des praticiens, subordonné à des conditions de qualification propres à la nature de l'activité exercée ;

o une autorisation des activités pratiquées dans des établissements et laboratoires satisfaisant à des conditions de personnel, de locaux ainsi qu'à certaines obligations de nature à garantir le respect des principes posés par la loi. Des exigences particulières ont été imposées aux établissements sans but lucratif qui sont seuls habilités à pratiquer des activités de recueil, traitement, conservation et cession de gamètes issus d'un don.

Un rôle essentiel a été dévolu, dans ce dispositif, à la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal (CNMBRDP) qui est chargée, d'une part de donner un avis sur les demandes d'autorisation, d'autre part de participer au suivi et à l'évaluation du fonctionnement des établissements et laboratoires autorisés. Cette instance doit remettre chaque année au ministre chargé de la Santé un rapport portant sur l'évolution de la médecine et de la biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal . Sa composition a été élargie en 1994 afin d'y faire siéger, outre des praticiens désignés sur proposition de leurs organisations représentatives, des personnalités choisies en raison de leur compétence dans les domaines de la procréation, de l'obstétrique, du diagnostic prénatal, du conseil génétique et du droit de la filiation, et des représentants des administrations et des ordres professionnels ainsi qu'un représentant des associations familiales.

5. Refuser toute réification de l'embryon en l'entourant d'un certain nombre de protections sans aller toutefois jusqu'à lui conférer un véritable statut

Le législateur n'a pas voulu se prononcer sur la nature de l'embryon, " personne humaine potentielle " selon le Comité consultatif national d'éthique, mais s'est efforcé de tenir la balance égale entre l'exigence spiritualiste tendant à le considérer comme un être humain et la vision pragmatique ouvrant la voie à la recherche, sous certaines conditions strictement limitées.

On a ainsi cru pouvoir discerner, dans le dessin en creux de la loi, un " quasi-statut de l'embryon "  dont les éléments tiendraient aux finalités assignées à sa conception in vitro qui ne peuvent être que celles définies à l'article L 152-2 du Code de la santé publique, à l'exclusion de toutes fins de recherche ou d'expérimentation. Mais on a, par ailleurs, relevé que la loi était porteuse d'ambiguïtés, voire de contradictions, tenant au fait que :

o des études à finalité médicale et ne portant pas atteinte à l'embryon pouvaient être menées avec le consentement du couple ;

o les embryons abandonnés et conçus avant l'entrée en vigueur de la loi pouvaient être détruits dans un délai de cinq ans. " Il existe une ambiguïté, voire un paradoxe, dans le quasi-statut ainsi défini lorsqu'il interdit des recherches sur des embryons dont il autorise la destruction. De même, comment parvenir à résoudre le problème éthique des embryons surnuméraires, si cette interdiction de la recherche bloque la mise au point des techniques permettant de limiter la production embryonnaire aux stricts besoins de la procréation médicalement assistée ? "

On touche là, bien évidemment, à l'une des questions fondamentales qui se reposeront à l'occasion de la révision. Sans prétendre y apporter une réponse catégorique, on versera au dossier, dans un des développements de cette partie du rapport, les opinions et suggestions qui ont pu être recueillies au cours de notre travail d'évaluation.

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