9. Diversification linguistique - Rapport de M. Jacques LEGENDRE, sénateur (RPR) (Mercredi 23 septembre)

Le rapporteur propose une série de mesures pour lutter contre la désaffection des jeunes à l'égard des langues autres que l'anglais.

La diversité linguistique doit constituer une des priorités des politiques linguistiques dans les Etats membres, souligne le projet de recommandation. Des enquêtes comparatives menées à l'échelle européenne pourraient servir de base à leur élaboration.

Selon le rapporteur deux langues étrangères au moins devraient être parlées en fin de scolarité et les petits établissements qui ne peuvent pas dispenser les grandes langues européennes devraient avoir accès à l'enseignement à distance.

Le rapporteur propose de développer l'enseignement bilingue, de rendre obligatoires les séjours linguistiques, de privilégier l'expression orale et de recourir plus largement aux enseignants étrangers.

L'ensemble de ces mesures permettraient d'inverser la tendance actuelle et de promouvoir des grandes langues telles que le français, l'allemand, l'espagnol et l'italien aujourd'hui laissées pour compte par rapport à l'anglais.

Le rapporteur regrette la place minime accordée dans les cursus scolaires au russe, à l'arabe ou au chinois, parlées par des centaines millions de personnes.

Le projet de recommandation note enfin que l'Assemblée parlementaire souhaite s'associer à la préparation de l'Année européenne des langues, envisagée par le Conseil de la Coopération Culturelle pour 2001.

Présentant son rapport au nom de la Commission de la Culture et de l'éducation, M. Jacques LEGENDRE, sénateur (RPR), formule les observations suivantes :

" Ce rapport entend témoigner d'un attachement très fort à la diversité linguistique de l'Europe qui constitue un riche patrimoine qu'il faut sauvegarder, car la pluralité des langues garantit la pluralité des cultures européennes.

Mais le nécessaire pluralisme linguistique se heurte au besoin d'un langage international de communication à l'heure de la mondialisation. C'est de nos jours l'anglais qui, pour l'essentiel, joue ce rôle.

La conciliation de ces deux impératifs : diversité linguistique et langage international de communication, suppose que chaque Etat élabore une politique cohérente d'apprentissage des langues.

Or un constat doit être fait : même quand ils ne le reconnaissent pas, de nombreux Etats concentrent leurs efforts sur la connaissance d'une seule langue étrangère, essentiellement l'anglais.

Sans doute répondent-ils ainsi au besoin de participer aux échanges mondiaux. Mais le risque existe, en Europe, de voir des Etats européens voisins perdre la capacité d'échanger et de dialoguer dans leurs langues respectives.

Concrètement, est-il raisonnable que la France laisse diminuer régulièrement le nombre de ses élèves et étudiants apprenant l'allemand, et que l'Allemagne fasse de même en ce qui concerne le français ?

Si les jeunes Tchèques n'apprennent plus l'allemand, ils devront lire Kafka en traduction. L'espagnol et le portugais donnent aussi accès à d'autre continents que l'Europe.

Le présent rapport a donc pour objectif de proposer des mesures conciliant la nécessité d'assurer les échanges internationaux avec la capacité laissée aux Etats européens de se comprendre, d'échanger, de dialoguer. La capacité aussi d'imaginer, de créer dans leurs langues respectives et dans tous les domaines - littérature, théâtre, cinéma - afin que vivent ces cultures singulières qui font la richesse de la civilisation commune.

Tout d'abord, le rapport se propose de fixer comme norme, outre la connaissance de la langue maternelle, l'acquisition d'une compétence satisfaisante dans au moins deux langues étrangères par l'ensemble des élèves en fin de scolarité.

Pour parvenir à cet objectif, il est demandé à l'Assemblée de recommander au Comité des Ministres de définir la diversification linguistique comme une priorité de la politique linguistique, en prescrivant au Comité directeur de la culture de procéder régulièrement à des enquêtes comparatives sur la diversification linguistique dans ses pays membres, et ce dès 1999 à l'occasion de la Conférence sur les politiques pour l'apprentissage des langues ; d'associer l'Assemblée parlementaire à la préparation de l'Année européenne des langues envisagée pour 2001 ; d'accélérer les travaux sur les " niveaux seuils ", le Cadre européen commun de référence et le Portfolio européen des langues et de poursuivre l'aide pour l'engagement d'experts en matière de politiques linguistiques nationales ; de s'assurer que les travaux entrepris au sein du CDCC dans le domaine de l'éducation tout au long de la vie et dans celui des nouvelles technologies comportent un volet linguistique.

Il est également proposé que l'Assemblée recommande au Comité des Ministres d'inviter les Etats membres à promouvoir des schémas linguistiques régionaux, établis en liaison avec les élus régionaux et les collectivités locales afin de recenser les potentialités linguistiques existantes et de développer l'enseignement des langues concernées, en prenant en compte la présence des groupes humains d'origine étrangère, les jumelages, les échanges et la proximité des pays étrangers ; à développer les accords de coopération linguistique entre régions frontalières ; à promouvoir l'enseignement à distance et à constituer des réseaux d'établissements pour assurer la diversité de l'offre linguistique ; à promouvoir et à développer les classes bilingues ; à étendre les formules de séjours linguistiques ; à recourir plus largement aux enseignants étrangers en développant des échanges massifs d'enseignants, assortis de garanties de carrière et de statut ; à veiller à la formation et au recrutement des professeurs de langues rares ou minoritaires ; à privilégier une pédagogie destinée à développer l'expression orale à l'aide des matériaux audiovisuels des médias interactifs ; à promouvoir un enseignement davantage centré sur la dimension culturelle et sociale des pays concernés.

Monsieur le Président, mes chers collègues, l'unification linguistique est une tendance lourde. Elle peut donner l'impression d'aller dans le bon sens, celui de l'économie et des simplifications. Mais elle est réductrice et appauvrissante.

Ce rapport appelle donc à résister à cette tentation. Il y faudra du temps et une volonté politique. Je souhaite que cette volonté s'exprime aujourd'hui à l'Assemblée du Conseil de l'Europe. "

M. Jacques LEGENDRE, sénateur (RPR), prend à nouveau la parole pour répondre en sa qualité de rapporteur aux différents orateurs :

" Monsieur Upton, il ne m'a pas échappé que le gaélique n'est pas une langue officielle de l'Union européenne, pour des raisons que j'ignore. Je crois que le Gouvernement irlandais ne l'avait pas exigé au départ, mais j'ignore la raison de fond.

J'ai bien noté aussi ce qu'a dit M. Kelemen András sur la situation en Hongrie. J'espère que ce rapport pourra contribuer à la définition de la stratégie hongroise dans le domaine linguistique. Nous avons souhaité débattre de ce sujet ici, afin précisément d'aider les Etats du Conseil de l'Europe à adapter leurs stratégies linguistiques.

J'ai bien noté ce qu'a dit Mme Isohookana-Asunmaa et je ne suis pas étonné de sa remarque. Ce n'est pas par hasard que sont utilisés les mots " langue maternelle " dans le rapport. Il est clair que la nécessité de connaître des langues étrangères ne doit jouer au détriment de la langue maternelle. Piétiner une langue maternelle est le plus sûr moyen de provoquer des réactions de rejet extrêmement fortes et justifiées. L'esprit de ce rapport tend d'abord au respect des langues maternelles. Qu'elles soient largement ou peu parlées, elles sont les langues du coeur. Il faut s'en souvenir, les respecter et leur permettre de s'exprimer.

Mme Kulbaka a rappelé l'importance de la langue russe. J'ai bien entendu aussi M. Zhebrovsky à ce sujet. Le russe subit actuellement, dans un ensemble de pays, une espèce de phénomène de rejet de caractère politique. Nous l'avons connu aussi pour le français à d'autres moments, notamment en Algérie, où l'on parle encore beaucoup le français, mais où celui-ci a parfois été rejeté, également pour des raisons politiques, car considéré comme la langue de l'ancien colonisateur. Il faut espérer qu'après un temps, on en revienne à comprendre l'importance de ces langues.

J'ai constaté avec regret que dans nos pays d'Europe occidentale, notamment en France, le russe n'était pas non plus suffisamment enseigné. En mentionnant deux langues, ce rapport tend à démontrer que la culture russe et la culture française, qui ont eu tant de liens communs, ne se comprendront encore bien que si suffisamment de Russes parlent le français et si suffisamment de Français parlent le russe. J'aurais pu prendre des exemples d'autres pays.

J'ai été également très sensible aux propos de M. Popescu, qu'il a, de plus, tenus, dans un excellent français. Je salue sa performance. Sociolinguiste, il a eu raison de rappeler qu'il fallait respecter les langues des minorités. Ce que je viens de dire va tout à fait dans son sens. Il ne s'agit pas de menacer d'assimilation ces minorités, ce n'est pas du tout l'esprit du rapport.

Mme Folco et Mme Lalonde ont chacune rappelé quelle était la politique canadienne dans le domaine des langues : la coexistence du français et de l'anglais, la nécessité de recourir à d'autres langues. La définition des classes bilingues dont a parlé Mme Lalonde n'est pas la même au Canada que dans d'autres pays. Les classes bilingues dont nous parlons ici sont une façon d'apprendre une langue étrangère à un jeune en n'y consacrant pas seulement le temps de l'étude de la langue, mais aussi celui d'autres matières.

Enfin, j'ai été très sensible à l'intervention de M. Pereira Marques sur l'importance de la langue portugaise. Nous savons bien, et je l'ai d'ailleurs mentionné dans le rapport, que le portugais est non seulement la langue du Portugal, mais aussi celle du Brésil. C'est une langue d'importance internationale qui, à ce titre, doit être enseignée dans nos pays européens du Conseil de l'Europe. "

A l'issue du débat, la recommandation 1383, amendée, figurant dans le rapport 8173 est adoptée à l'unanimité.

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