CHAPITRE PREMIER :

UNE CONCURRENCE FISCALE NON MAÎTRISÉE
PRÉSENTE DES DANGERS

L'objet de ce chapitre est de présenter les principaux enseignements de l'analyse économique sur les effets de la concurrence fiscale entre Etats ou plus généralement entre collectivités publiques. En effet, sauf à considérer que les gouvernements nationaux ont un comportement prédateur que la concurrence entre Etats pourrait permettre de contenir, il faut bien reconnaître qu'une concurrence fiscale non maîtrisée pose de sérieuses questions eu égard aux objectifs d'équité et de redistribution traditionnellement assignés au système de prélèvement. Il n'en demeure pas moins que la coopération fiscale est difficile à mettre en oeuvre, notamment quand il existe des Etats, souvent de petite taille et très ouverts, dont la fiscalité est particulièrement avantageuse.

I. LA CONCURRENCE FISCALE EST SUSCEPTIBLE D'ENGENDRER UNE DYNAMIQUE DE " MOINS-DISANT " FISCAL MAIS LA COOPÉRATION EST DIFFICILE À METTRE EN oeUVRE

La littérature sur la concurrence fiscale entre collectivités locales ou entre Etats pour attirer du capital physique s'est très largement développée dans le cadre du modèle d'incidence de Harberger (1962), et ce, depuis l'article précurseur de Zodrow et Miezskowsky (1986). Dans ces conditions, les mécanismes fondamentaux de la concurrence fiscale peuvent être décrits de façon très simple, moyennant quelques hypothèses simplificatrices. Ainsi, dans un premier temps, on supposera que la concurrence fiscale ne porte que sur les taux de prélèvement et que les règles de détermination de la base imposable sont partout les mêmes. En outre, l'impôt est prélevé dans tous les Etats selon le principe de la source et les investisseurs privés sont supposés parfaitement mobiles entre les différents Etats. Enfin, les revenus du capital sont supposés versés à des actionnaires privés qui ne résident dans aucun des Etats en concurrence et on fait abstraction de la fiscalité des revenus personnels.

A. CONCURRENCE FISCALE ET MOBILITÉ PARFAITE DU CAPITAL PHYSIQUE : UN MODÈLE DE CONCURRENCE SUR LES TAUX D'IMPOSITION

Dans le modèle standard de concurrence fiscale (pour une présentation formelle du modèle, voir Annexe 1), l'économie considérée est celle d'une union monétaire, ce qui permet d'éliminer tout risque de change. On suppose que le capital physique est mobile à l'échelle de l'union tandis que les individus, et donc la main-d'oeuvre, sont parfaitement sédentaires. Le capital et le travail servent à fabriquer un bien privé composite qui est utilisé, soit sous forme de consommation intermédiaire pour fabriquer un bien collectif destiné aux seuls ménages, soit directement sous forme de consommation finale par les ménages. Autrement dit, le bien-être de ces derniers dépend à la fois de la consommation de bien privé et de bien collectif.

Chaque gouvernement taxe le capital physique (dont l'assiette est supposée homogène dans tous les pays) investi sur son territoire pour financer le bien collectif fourni aux ménages. En revanche, il n'existe pas d'imposition sur les revenus du travail et le capital est seulement taxé à la source). Chaque unité de capital physique est détenue par un actionnaire unique qui l'investit dans le pays qui lui offre le rendement après impôt le plus élevé possible. Le capital physique pouvant se déplacer sans supporter de coût irrécupérable, le retour net sur investissement est le même à l'équilibre dans tous les pays. Enfin, le volume global d'épargne, et donc de capital physique, dans la zone est considéré comme exogène 6( * ) .

Dans ces conditions, la mobilité spatiale du capital physique place les Etats en situation de concurrence face aux implantations économiques. Un Etat qui déciderait d'augmenter unilatéralement son taux d'impôt verrait baisser le capital industriel investi sur son territoire pendant que les autres pays bénéficieraient d'un supplément de base imposable. Dans ces pays, le bien-être des ménages s'accroîtrait car l'augmentation de la base imposable constitue une externalité fiscale positive que les gouvernements peuvent utiliser, soit pour augmenter leurs dépenses publiques à pression fiscale inchangée, soit pour baisser la pression fiscale sur les entreprises pour un niveau de dépenses donné, soit enfin pour faire les deux (pour une définition formelle du concept d'externalité fiscale, voir Annexe 2).

La concurrence fiscale est généralement modélisée sous la forme d'un jeu non coopératif entre Etats, chacun d'entre eux souhaitant attirer le plus de capital physique possible. Le concept de solution utilisé pour résoudre ce jeu est l'équilibre de Nash (pour une présentation formelle de l'équilibre de Nash, voir Annexe 3). On suppose ainsi que chaque gouvernement choisit son taux d'impôt sur le capital de façon à maximiser l'utilité de l'individu représentatif en considérant comme donné les taux d'impôt de ses concurrents.

La théorie microéconomique nous enseigne qu'un gouvernement qui cherche à satisfaire au mieux les ménages qui résident dans sa juridiction, doit déterminer la quantité de bien public qu'il offre (et donc le taux d'impôt qu'il doit prélever sur le capital physique) de telle façon que l'avantage marginal que retirent les ménages de la consommation du bien collectif soit précisément égal à son coût marginal.

Or, les gouvernements ne s'intéressent qu'au seul bien-être des ménages résidents. Ils vont par conséquent surestimer le coût marginal de la dépense publique car ils prennent en compte dans leur calcul non seulement le coût unitaire de production du bien public (supposé ici égal à un) mais aussi le coût lié au fait qu'une augmentation du taux d'impôt sur le capital industriel se traduit par des délocalisations de capital physique. Or celles-ci sont à l'origine d'une baisse du revenu des ménages résidents (équation (E.12) de l'Annexe 3) et donc de leur consommation de bien privé qui n'est pas totalement compensée par la consommation supplémentaire de bien collectif, celle-ci étant trop faible compte tenu de la perte de matière imposable et donc de recettes fiscales subie.

Par conséquent, à l'équilibre, l'avantage marginal retiré par les ménages d'un franc supplémentaires de dépenses publiques financé par une augmentation de l'impôt sur le capital physique, est supérieur au coût marginal de production exprimé en terme de bien privé sacrifié (équation (E.14) de l'Annexe 3).

On montre alors généralement que les gouvernements, soumis au risque de délocalisation du capital physique ou de toute autre base mobile, taxent trop faiblement ce facteur pour offrir le bien collectif en quantité suffisante.

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