2. Une réponse à des aspirations convergentes

Si l'actionnariat salarié a récemment changé de dimension, il a également changé de nature. De sujet conflictuel, il est devenu un thème fédérateur, à défaut d'être encore consensuel.

L'actionnariat salarié répond aujourd'hui aux aspirations convergentes des entreprises et des salariés.

a) Les motivations de l'entreprise

L'enquête Altédia précitée réalisée auprès d'un échantillon de sociétés cotées a cherché à évaluer les motivations incitant les entreprises à développer l'actionnariat.

Les arguments avancés par les entreprises
en faveur de l'actionnariat des salariés

Source : Enquête Altédia, avec la collaboration de la COB, juin 1999

L'actionnariat salarié semble répondre, pour l'entreprise, à toute une série de justifications. Plus synthétiquement, on peut identifier quatre motivations majeures.

L'actionnariat salarié constitue d'abord un facteur de cohésion sociale à l'intérieur de l'entreprise. Le salarié étant associé au capital de l'entreprise, il s'implique plus dans la vie et dans l'avenir de celle-ci. En outre, en devant actionnaire, le salarié acquiert une culture économique et financière qui lui permet de mieux cerner les contraintes d'une entreprise et de mieux comprendre ses décisions. Dans le cas de sociétés très internationalisées ou ayant différents métiers, la gestion décentralisée tend à limiter l'émergence d'une identité de groupe, dans laquelle se reconnaîtraient tous les salariés. Dans un tel cas, l'actionnariat peut servir d'élément fédérateur.

L'actionnariat salarié constitue également un facteur de redistribution de la richesse créée . Il s'inscrit là pleinement dans la logique de participation-association du salarié à la croissance de l'entreprise. Or, actuellement, la richesse créée par l'entreprise bénéficie moins au salarié (par le salaire) ou à l'entreprise elle-même (par ses résultats) qu'à l'actionnaire. Ainsi, en 1998, le " salarie horaire de base ouvrier " (SHBO) a augmenté de 1,9 % tandis que l'indice CAC 40 progressait de 31,5 %. Le développement de l'actionnariat est donc le moyen de repositionner la politique participative en fonction de l'évolution du mouvement de " création de valeur ".

L'actionnariat salarié apparaît aussi comme un complément de la politique salariale . Les contraintes de compétitivité imposent aux entreprises une stricte maîtrise des coûts. Les politiques salariales sont donc plus rigoureuses. Dans ce contexte, l'actionnariat salarié -tout comme les autres systèmes de participation financière- permet de compenser en partie la faible évolution des salaires, en assurant au salarié un " salaire différé ". Il permet d'augmenter le revenu des salariés sans alourdir la masse salariale, ni menacer la compétitivité.

Enfin, l'actionnariat salarié joue un rôle financier considérable en permettant de contribuer à la stabilité du capital de l'entreprise . Au moment où l'arrivée massive d'investisseurs étrangers rend le capital des entreprises françaises plus volatile, l'actionnariat salarié peut permettre de lui assurer une plus grande stabilité.

A fortiori , il peut même apparaître comme une forme de garantie face aux menaces d'offres publiques d'achat (OPA) ou d'offres publiques d'échange (OPE) dont peuvent faire l'objet des entreprises au capital dispersé. L'exemple récent de l'échec de l'OPE de la BNP sur la Société Générale témoigne de l'importance que peuvent acquérir les actionnaires salariés dans un tel contexte : premiers actionnaires de leur entreprise avec 8,6 % du capital de leur entreprise, les salariés de la Société Générale se sont massivement opposés à l'offre de la BNP. Les actionnaires salariés ont donc une influence non négligeable sur les réactions des opérateurs de marché.

En outre, un fort pourcentage d'actionnariat salarié est désormais un signal positif pour les marchés : il témoigne de la confiance qu'inspire une entreprise à ses salariés.

b) Les aspirations des salariés

L'enquête de l'institut Ipsos Opinion précitée, réalisée en juin 1999 auprès d'un échantillon de salariés, présente les motivations qui incitent ou inciteraient les salariés à devenir actionnaires de leur entreprise. Ceux-ci considèrent en effet très majoritairement que le développement de l'actionnariat est une bonne chose pour l'entreprise (80 %) et pour les salariés (81 %).

Les arguments des salariés en faveur de l'actionnariat salarié


Pour quelles raisons êtes-vous devenu actionnaire ?

 

Pourquoi seriez-vous intéressé à devenir actionnaire de votre entreprise ?

 

Source : Ipsos Opinion

Cette enquête permet de mettre en évidence les deux motivations principales des salariés :

- il s'agit d'un placement attractif

- il permet de mieux les associer à la marche de leur entreprise.

L'actionnariat salarié constitue à l'évidence un placement attractif pour le salarié.

D'une part, il bénéficie de conditions très favorables pour investir son épargne en actions françaises, avec pour seule contrepartie un blocage minimal de 5 ans (sauf déblocage anticipé). Il peut en effet acquérir des actions avec :

- une décote sur le prix d'acquisition (20 % pour les privatisations ou les augmentations de capital dans le cadre d'un PEE, 10 % dans le cadre des plans d'actionnariat de 1973) ;

- la possibilité d'attribution d'actions gratuites (privatisations) ;

- un abondement éventuel de l'employeur (plafonné à 22.500 francs par an) ;

- des délais de paiement ;

- l'absence de frais de gestion du portefeuille (qui restent à la charge de l'entreprise dans les PEE) ;

- une fiscalité avantageuse (le produit de l'intéressement et de la participation versée sur le PEE pour souscrire des actions est exonéré d'impôt sur le revenu, comme l'abondement, les plus-values et les revenus réinvestis dans le PEE sont exonérés d'impôts).

- éventuellement des prêts bancaires sans intérêt et une garantie de capital ou de performance pour les opérations à " effet de levier ".

D'autre part, les FCPE investis en actions connaissent un rendement élevé , supérieur au montant des autres formes de placement de l'épargne salariale et a fortiori au rendement de l'épargne administrée. Ainsi, de 1993 à 1998, le rendement annuel actuariel moyen d'un FCPE " actions " dépassait 12 %.

Performance des FCPE au 30 décembre 1998

 

1 an

5 ans

FCPE

Rendement (en %)

Encours (en MF)

Nombre

Rendement annuel actuariel

Encours (en MF)

Nombre

Actions

20,69

4.884

55

12,20

2.865

33

Diversifiés à dominante action

19,33

21.434

277

11,02

15.224

161

Diversifiés sans dominante

16,23

13.052

117

10,36

11.845

89

Diversifiés à dominante obligation

13,56

7.322

118

9,32

4.197

72

Obligations

9,63

16.263

109

6,94

10.096

45

Total

 

62.755

676

 

44.227

400

Source : AFG-ASFFI/EuroPerformance

L'actionnariat salarié permet donc de réaliser des placements à moindre coût et à performance très compétitive même s'ils conservent une part de risque. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que l'on observe une fidélisation croissante de l'épargne salariale et notamment de celle investie en actions de l'entreprise. L'Association française pour la gestion financière (AFG-ASFFI) évalue l'encours disponible des FCPE (c'est-à-dire au-delà de la période de blocage de 5 ans) à 40 % de l'encours total, l'encours disponible progressant régulièrement.

Mais, au-delà du simple intérêt de l'épargnant, l'actionnariat salarié permet au salarié d'être mieux associer à la marche de son entreprise . L'actionnariat permet en effet au salarié d'échapper à la logique conflictuelle qui caractérise encore très largement la relation entre employeur et employé et que la négociation collective et les institutions de représentation du personnel ont pour vocation à encadrer. L'actionnariat permet de modifier le statut du salarié : il s'engage dans une démarche de reconnaissance qui fait de lui un partenaire et non plus un simple " instrument ".

Cette association peut prendre plusieurs formes.

Elle concerne d'abord l'information du salarié . Les entreprises ayant un fort pourcentage d'actionnariat salarié pratiquent le plus souvent une communication particulière et approfondie auprès de leurs salariés actionnaires.

Cette information spécifique se fait aussi bien par l'organisation de réunions, l'accès au réseau intranet de l'entreprise, la distribution de périodiques d'information (de type " lettre aux actionnaires "), l'existence d'un service d'information réservé, la communication des rapports annuels... A cette information venant de l'entreprise s'ajoutent celles venant du gestionnaire des FCPE et du dépositaire des titres.

L'information des salariés actionnaires :

l'exemple de la Société Générale

Elle prend plusieurs formes :

- le service d'information interne à l'entreprise (Intranet), disponible dans le réseau et les services centraux, comporte :

• des informations complètes et actualisées chaque jour sur le cours ;

• le point de vue des analystes sur notre titre ;

• les données boursières ;

• le dividende ;

• l'agenda de l'actionnaire ;

• les publications disponibles ;

• les informations pratiques sur le FCP, le PEE ;

• les valeurs de part des 4 FCP actualisées à chaque décade.

- Une fiche sur le cours de l'action est diffusée dans l'ensemble du réseau et des services centraux ;

- une fiche sur le prix de la valeur de la part des fonds est diffusée chaque mois ;

- un rapport de gestion simplifié sur l'ensemble des FCP du PEE est distribué à chaque salarié et aux retraités porteurs de parts ;

- une information complète lors des augmentations de capital réservées est dispensée pendant la période de souscription ;

- les relevés de comptes de l'épargne salariale précisent l'équivalent actions des avoirs détenus ;

- le service d'information automatisée (serveur vocal) ESALIA permet aux salariés, 7 jours/7 et 24 h/24 d'entrer en relation par téléphone avec un serveur vocal pour consulter les valeurs de part du fonds, les avoirs ainsi que les modalités de demandes de remboursement anticipé.

Au-delà de la simple information, le salarié actionnaire peut également accéder à une meilleure expression dans l'entreprise . Cela peut prendre bien sûr la forme de la prise de parole dans les assemblées générales. Mais cette expression se concrétise souvent par la création d'associations d'actionnaires salariés.

Ces associations, qui sont essentiellement nées dans les sociétés privatisées à partir de 1986, se sont donné pour mission d'informer et de représenter les salariés actionnaires. Une partie d'entre elles se sont regroupées dans la fédération française des associations d'actionnaires salariés et anciens salariés (FAS) qui regroupe 15 associations de ce type. Ces associations interviennent le plus souvent de quatre manières : elles éditent une lettre d'information à l'attention des salariés actionnaires, organisent des réunions d'information, interviennent lors des assemblées générales et reçoivent des délégations pour le vote des résolutions.

Enfin, l'actionnaire salarié peut exercer une fonction de décision . En tant qu'actionnaire, il dispose d'un droit de vote aux assemblées générales qu'il exerce directement ou par l'intermédiaire du conseil de surveillance du FCPE. En outre, cette fonction de décision peut également s'exercer au conseil d'administration ou au conseil de surveillance de la société.

La loi du 25 juillet 1994 prévoit en effet que, lorsque les salariés possèdent plus de 5 % du capital social de l'entreprise, une assemblée générale extraordinaire doit être convoquée pour se prononcer sur l'introduction dans les statuts prévoyant qu'un ou deux administrateurs (ou membres du conseil de surveillance) doivent être nommés parmi les salariés actionnaires ou, le cas échéant, parmi les salariés membres du conseil de surveillance d'un FCPE détenant des actions de l'entreprise. En cas de rejet de la modification proposée, les actionnaires devront alors être consultés à nouveau dans un délai de cinq ans ( art. 93-1 et 129-2 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales ).

Devenir actionnaire permet donc au salarié d'obtenir un nouveau statut dans l'entreprise. C'est sans doute pourquoi les salariés sont attentifs à l'actionnariat salarié.

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