CONCLUSION
Si le
diagnostic porté par la délégation sur la situation
sanitaire et sociale de la Guyane se révèle être en
définitive assez sombre, le malaise social constaté sur place
s'avère être paradoxalement la contrepartie des formidables
potentialités de ce département.
Territoire immense profondément ancré dans le plateau amazonien,
population jeune et dynamique, la Guyane dispose de nombreux atouts pour
assurer son développement durable. Mais ces atouts apparaissent
aujourd'hui comme autant d'handicaps susceptibles d'entraver ce
développement. C'est ce profond malaise social qu'ont
révélé les graves troubles qui ont agité la Guyane
en 1996.
Pour autant, ce diagnostic sévère ne doit pas appeler un
catastrophisme excessif. Si la situation sanitaire et sociale apparaît
dégradée, des voies d'amélioration restent possibles. Mais
elles exigent le respect de certaines conditions.
Ces conditions, qui sont les principaux enseignements qu'a tirés la
délégation de sa mission d'information, sont au nombre de deux.
•
La nécessité d'un véritable plan de
rattrapage
Ce plan de rattrapage, rendu d'autant plus nécessaire par la pression
démographique, doit concerner prioritairement le secteur sanitaire
.
Les moyens matériels et humains des structures sanitaires restent en
effet très insuffisants.
A cet égard, il est à craindre que la situation de la Guyane se
soit détériorée. En 1967, on pouvait écrire :
"
dans l'ensemble, et bien qu'étant le moins peuplé des
départements français, la Guyane possède donc un
équipement sanitaire comparable à celui des départements
métropolitains les mieux dotés
"
6(
*
)
. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.
Ce n'est donc pas dans une perspective de rationalisation de l'offre de
soins qu'il faut s'inscrire, mais dans celle d'une remise à niveau.
Aussi, ce n'est pas l'augmentation actuelle des dotations
régionalisées de dépenses hospitalières (+
3,87 % en 2000) qui contribuera à ce rattrapage. De la même
manière,
le
rattachement des centres de santé
, qui
constitue un maillon primordial de l'offre sanitaire,
à
l'hôpital de Cayenne
va dans le bon sens, mais les crédits
annoncés pour leur mise à niveau paraissent bien
dérisoires.
Ce plan de rattrapage doit également concerner le secteur de
l'emploi.
Le risque d'une explosion du chômage rend nécessaire
un effort tout particulier de formation des jeunes qui passera par un
renforcement des moyens de l'éducation nationale et par la poursuite de
la construction de locaux scolaires. Mais il importe également de
restructurer en profondeur les dispositifs de la politique de l'emploi pour les
mettre en adéquation avec les besoins locaux. Sur ce plan,
la mise en
place d'une mission locale et le développement de l'insertion par
l'économique
apparaissent prioritaires.
Toutefois, ce rattrapage sur le plan sanitaire et social ne pourra
être véritablement effectif qu'au prix d'un effort
d'aménagement du territoire.
L'équipement en infrastructures
de base (voies de communication, assainissement de l'eau, fourniture
d'énergie, liaisons téléphoniques...) est donc un
préalable. A cet égard, la délégation observe que
la Guyane se trouve placée en tête des régions
françaises pour le montant versé par habitant
7(
*
)
pour les contrats de plan 2000-2006. Il
n'est toutefois pas évident que l'écart de dotation entre la
Guyane et la Corse (deuxième région en termes de dotation par
habitant
8(
*
)
) reflète les
écarts réels d'équipement entre ces régions.
•
L'indispensable adaptation des politiques publiques au
contexte guyanais
Au-delà de ce nécessaire plan de rattrapage, la
délégation a tiré de cette mission un enseignement majeur.
La Guyane est confrontée à des difficultés sociales
d'une telle ampleur et d'une nature si particulière qu'elle exige des
réponses spécifiques. L'application uniforme de la
réglementation nationale peut parfois se révéler
inadaptée, voire conduire à des aberrations.
Dès lors,
il importe d'adapter non seulement la réglementation, mais aussi
l'ensemble de l'action publique, notamment sous sa forme budgétaire, aux
particularités de la Guyane afin de pouvoir résoudre avec
pertinence les difficultés locales. C'est à cette condition
seulement qu'un plan de rattrapage pourrait avoir un impact réel sur la
situation du département.
Ces adaptations s'imposent sur le plan sanitaire.
La politique de
santé en Guyane est en effet largement dépendante d'un contexte
bien particulier, marqué par des données démographiques
(forte natalité), géographiques (enclavement),
géopolitiques (importance de l'immigration), climatiques
(développement des maladies infectieuses et parasitaires) ou sociales
(apparition de comportements à risque). Dans ce contexte, comme
l'observe l'IGAS, "
il paraît donc difficile de plaquer sur ce
territoire un système de santé importé de la
métropole ou même des départements d'outre-mer
antillais
"
9(
*
)
.
Au cours de sa mission, la délégation a pourtant eu l'occasion
d'observer plusieurs exemples d'inadaptation évidente de l'application
d'une politique sanitaire importée de métropole. Deux exemples
sont ici tout particulièrement significatifs.
Ainsi, alors que la Guyane connaît actuellement une
progression de
l'endémie palustre
qui touche près de 10 % de la
population notamment dans la région des fleuves et que se confirme une
chimio-résistance aux traitements traditionnels, les médicaments
efficaces pour lutter contre cette endémie ne sont pas remboursables par
la sécurité sociale et les prix pratiqués sont libres,
seuls les médicaments prescrits par les hôpitaux publics
étant actuellement remboursables.
Cette situation est totalement inadaptée au contexte guyanais. Les trois
hôpitaux sont déjà surchargés. Ils sont en outre
très éloignés les uns des autres, ce qui oblige les
patients à des déplacements fréquents, longs et
coûteux, les délivrances de médicaments ne pouvant
être faites que pour un mois de traitement. La solution la plus
adaptée serait donc, dans l'intérêt de la santé
publique et des assurés sociaux, l'inscription de ces médicaments
sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux
assurés sociaux.
Aussi, à l'occasion de l'examen par le Sénat de la
loi n°
99-1123 du 28 décembre 1999 portant ratification de trois ordonnances
visant à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable
outre-mer
,
votre commission des affaires sociales a voulu corriger cet
état de fait.
Sur proposition de notre collègue, Jean-Louis
Lorrain, rapporteur, le Sénat a adopté un amendement modifiant
l'article L. 753-4 du code de la sécurité sociale, afin de
préciser que, dans les départements d'outre-mer, la liste des
spécialités pharmaceutiques remboursables peut être
complétée pour tenir compte des nécessités
particulières à ces départements, "
notamment dans
le domaine de la prophylaxie et de la thérapeutique
palustres
".
Cette modification législative,
ultérieurement adoptée à l'Assemblée nationale
ouvre donc la voie à un remboursement de ces médicaments en
Guyane.
Un autre exemple d'inadaptation concerne la
question des
maternités
. La politique de regroupement des maternités
menée en métropole tend à s'appliquer aussi en Guyane.
Désormais, les centres de santé ne réalisent plus
directement les accouchements, les femmes enceintes étant
évacuées vers les hôpitaux.
Cette pratique apparaît pourtant largement inadaptée à la
situation guyanaise, marquée par un fort enclavement du territoire et
par des difficultés de communication qui touchent aussi les transports
sanitaires. Dès lors, il apparaît préférable de
maintenir cette activité dans les centres de santé, au moins pour
les accouchements sans risque. A cet égard, l'exemple du Canada qui
réimplante dans les zones isolées des postes de santé avec
des sages-femmes apparaît bien plus adapté à la situation
locale que le modèle métropolitain.
Aussi, plutôt que de chercher à imposer les normes et les
pratiques métropolitaines, il importe d'adapter la politique de
santé en s'appuyant au besoin sur des expériences innovantes.
Il serait ainsi souhaitable de développer la
télémédecine
dans les centres de santé de
manière à concilier qualité des soins et maintien d'un
maillage sanitaire optimal du territoire.
Il serait également intéressant de réfléchir
à une
évolution du statut du centre hospitalier de
Saint-Laurent-du-Maroni
. L'engorgement du service de maternité
s'explique avant tout par la présence de mères
étrangères souhaitant accoucher en France, essentiellement dans
la perspective d'offrir la nationalité française à leurs
enfants, alors même qu'il existe un hôpital à Albina, de
l'autre côté du fleuve. On pourrait alors réfléchir
à un statut international pour le centre hospitalier de
Saint-Laurent-du-Maroni, ce qui limiterait cette attractivité
artificielle.
Au-delà du seul secteur sanitaire, ce souci d'adaptation aux
réalités locales doit également se vérifier en
matière de politique de l'emploi.
Il importe d'adapter l'offre de formation aux besoins du marché local du
travail en développant prioritairement les actions de
pré-qualification du type chantier-école et les formations en
alternance.
Il semble aussi nécessaire de repositionner les dispositifs de la
politique de l'emploi vers les jeunes. Sur ce point, on pourrait notamment
imaginer de réaffecter une part des crédits de la créance
de proratisation du RMI à l'allégement des charges des
entreprises embauchant des jeunes.
Mais la délégation estime que ces adaptations de la
réglementation et de l'action publique doivent également avoir
une traduction budgétaire
.
A l'heure actuelle, les crédits du secrétariat d'Etat à
l'outre-mer ne représentent qu'environ 11 % des dotations
budgétaires en faveur de l'outre-mer et ne regroupent, en matière
sociale, que les crédits relatifs à l'emploi, à
l'insertion et au logement social. Les dépenses relatives à la
solidarité, à la santé, à la formation
professionnelle, à la politique de la ville restent en effet pour la
plupart inscrites au budget du ministère de l'Emploi et de la
Solidarité. Or, en 2000, ces crédits s'élèvent
à 5,5 milliards de francs, soit presque autant que les
crédits du secrétariat d'Etat.
La délégation considère qu'un regroupement de l'ensemble
des crédits sociaux dans le budget du secrétariat d'Etat à
l'outre-mer ne pourrait que favoriser l'adaptation des politiques publiques aux
particularités de l'outre-mer.
A cet égard, elle tient à rappeler la position affichée
par la commission sur ce sujet lors du dernier débat budgétaire,
par la voix de son rapporteur pour avis.
" Votre commission estime que le mouvement de transfert de
crédits vers le secrétariat d'Etat à l'outre-mer doit se
poursuivre.
" Elle y voit en effet un triple avantage :
" - une plus grande lisibilité des documents
budgétaires,
" - un meilleur ciblage de l'effort budgétaire en faveur de
l'outre-mer,
" - une plus grande adaptation aux besoins locaux.
" L'expérience en matière de politique de l'emploi, avec la
création du FEDOM, et de politique du logement social, avec la
création de la Ligne budgétaire unique (LBU), a montré que
l'évolution de la nomenclature budgétaire avait permis de
repositionner ces politiques pour les adapter aux spécificités
locales.
" A cet égard, deux domaines apparaissent prioritaires.
Le
transfert des crédits relatifs à la formation professionnelle
est sans doute le plus urgent, l'effort de formation étant actuellement
très insuffisant et les dispositifs applicables en métropole,
notamment la formation en alternance, n'y étant visiblement pas
adaptés. Le
transfert des crédits relatifs à la
santé
est également nécessaire à court terme,
l'état et l'équipement sanitaires de l'outre-mer restant en
retard par rapport à ceux de la métropole. "
10(
*
)
Au total, la conviction de la délégation est que le
développement social de la Guyane rend nécessaires la mise en
oeuvre d'un plan de rattrapage et l'adaptation de la réglementation aux
spécificités locales. Il s'agit là d'un enjeu
considérable tant pour le Gouvernement que pour le Parlement, mais c'est
avant tout un défi pour les Guyanais eux-mêmes, le
développement social ne pouvant se fonder durablement que sur les
initiatives des acteurs locaux.
" Nous avons à réaliser, vous sur place et la France avec
vous, une grande oeuvre française telle qu'on s'aperçoive dans
toutes les régions du monde où se trouve ce
département "
.
Cette phrase du Général de Gaulle sur la Guyane conserve
aujourd'hui encore, et peut-être plus que jamais, toute son
actualité.