2. Des moyens inadaptés

a) L'organisation déficiente du service public de l'emploi

Selon les observations de la délégation, le service public de l'emploi souffre actuellement de certains dysfonctionnements qui ne lui permettent pas de remplir sa mission avec l'efficacité voulue.

Le service public de l'emploi en Guyane

Il s'articule autour de cinq organismes.

L'ANPE

Trois agences locales pour l'emploi ont été créées en Guyane : Cayenne, Kourou, Saint-Laurent-du-Maroni.

L'ANPE emploie 47 salariés.

Elle reçoit environ 400 offres d'emplois par mois.

L'AFPA-Guyane

Créée en 1968, l'AFPA-Guyane compte trois centres : un centre régional de psychologie du travail à Cayenne et deux centres de formation à Cayenne et à Kourou.

Elle emploie 60 salariés.

En 1998, elle a réalisé 4.203 entretiens d'évaluation ou d'orientation et a assuré 570.000 heures de formation.

L'Agence départementale d'insertion (ADI)

Etablissement public local depuis la loi du 25 juillet 1998, l'ADI, qui reçoit les crédits d'insertion de la créance de proratisation du RMI, a pour rôle d'élaborer et de mettre en oeuvre le programme départemental d'insertion.

Elle est présente sur le territoire guyanais à travers trois antennes locales : Cayenne, Kourou, Saint-Laurent-du-Maroni.

La PAIO

Mise en place en 1982 et gérée par l'AFPA-Guyane, la PAIO est chargée d'assurer l'insertion sociale et professionnelle des jeunes de 16 à 25 ans.

Elle comprend trois antennes : Cayenne, Kourou, Saint-Laurent-du-Maroni.

Le service militaire adapté (SMA)

Il s'agit d'une forme de service militaire propre à l'outre-mer qui combine la formation militaire et civique, la formation professionnelle et la participation au développement local.

Il est présent en Guyane à :

- Cayenne avec le 3 ème régiment du SMA de la Guyane

- Saint-Jean-du-Maroni avec le groupement du SMA de la Guyane.

Ces dysfonctionnements peuvent être regroupés en trois catégories.

Des incohérences générales

La délégation a tout d'abord constaté une coordination insuffisante entre les différents organismes du service public de l'emploi. Elle rappelle à ce propos que le rapport Merle précité préconisait la création " d'un véritable pôle de compétence en matière d'emploi et de formation, associant notamment l'Etat (DDTE, ANPE, AFPA, délégation régionale de l'OMI, rectorat, SMA), les services de la région et les organismes consulaires ", pour permettre une meilleure régulation du marché du travail en assurant notamment l'adéquation entre l'offre et la demande en particulier en termes de formation.

L'implantation des antennes du service public de l'emploi ne permet pas non plus une véritable action de proximité envers les populations de l'intérieur, toutes les antennes étant situées sur le littoral.

Enfin, le " turn-over " rapide des responsables des différentes structures (ils restent souvent en poste moins d'un an) ne fait que désorganiser plus encore le service public de l'emploi.

Des lacunes évidentes

L'organisation actuelle du service public de l'emploi souffre de deux lacunes :

- L'absence de mission locale

Il n'existe actuellement qu'une PAIO régionale. Cette structure ne dispose pas des moyens suffisants pour faciliter l'insertion professionnelle des jeunes alors que ceux-ci rencontrent d'extrêmes difficultés. Un récent rapport 5( * ) observait les limites actuelles de la PAIO : " d'une manière générale, les acteurs constatent les moyens insuffisants de la PAIO en personnel et en lieux d'accueil, ainsi qu'en moyens matériels : la technologie de l'information y est encore peu développée et peu structurée. De plus, même si un effort important de formation des correspondants a été réalisé, ils manquent de formation sur les réalités économiques et la connaissance des entreprises existant sur le territoire. De toutes façons, leur travail est difficile : ils ne sont que six pour l'ensemble de la région " .

La mise en place d'une mission locale pourrait pallier ces carences en permettant notamment un maillage plus efficace du territoire avec la constitution de pôles locaux. Envisagée depuis plusieurs années, mais sans cesse reportée, la création d'une mission locale pourrait d'ailleurs intervenir cette année.

- L'absence de structures d'insertion par l'économique

L'insertion par l'économique vise l'insertion des personnes sans emploi rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières, par un contrat de travail, avec la mise en oeuvre de modalités spécifiques d'accompagnement.

A l'évidence, de telles structures seraient très adaptées au contexte guyanais où les difficultés d'insertion sont particulièrement accentuées du fait de la faiblesse des qualifications et des problèmes sociaux des demandeurs d'emploi.

Il n'existe pourtant dans le département ni entreprise d'insertion, ni association intermédiaire.

Des difficultés propres à certains organismes

Le fonctionnement de l' ADI n'est pas satisfaisant. Certes, le problème se situe assez largement en amont dans la mesure où les trois commissions locales d'insertion (CLI) sont en quasi-sommeil (non-renouvellement des membres, absentéisme général, défection des services de l'Etat et des associations, rareté des réunions), ce qui explique la piètre proportion de contrats d'insertion signés. En 1998, seuls 7,3 % des allocataires du RMI avaient signé un contrat d'insertion contre 50 % environ en métropole, mais aussi dans les autres DOM.

Pour autant, le bilan de l'activité de l'ADI reste décevant.

Nombre de bénéficiaires des mesures d'insertion menées par l'ADI

 

1996

1997

1998

Variations 1998/1997

Contrats d'insertion par l'activité

944

1.288

1.227

- 4,7 %

Logement

160

195

80

- 59,0 %

Vie sociale et santé

501

434

580

33,6 %

Insertion professionnelle

341

909

981

7,9 %

Autres actions d'insertion (1)

28

270

165

- 38,9 %

TOTAL

1.974

3.096

3.033

- 2,0 %

Source : ADI

(1) Mesures d'insertion en milieu rural et aides financières personnalisées

Certes, le fonctionnement de l'ADI reste entravé par les atermoiements sur la réforme de son statut législatif. Certes, les allocataires du RMI cumulent fréquemment de graves handicaps (illettrisme, problèmes de santé, nécessité d'un accompagnement social) qui limitent leurs possibilités d'exercer une activité professionnelle et qui obligent l'ADI à mener prioritairement une action de " remise en état " préalable.

Il n'en reste pas moins que seuls 37 % des allocataires du RMI ont pu bénéficier d'une action d'insertion en 1998, quelle que soit sa forme.

L'activité de l'ANPE soulève également certaines interrogations. Certes, environ 70 % des offres d'emplois déposées à l'ANPE sont pourvues par un demandeur d'emploi inscrit à l'ANPE. Mais la part de marché de l'ANPE reste faible : elle n'est destinataire que d'environ 45 % des offres d'emplois locales.

La délégation s'est également inquiétée du positionnement du SMA . Alors que les jeunes Guyanais sont massivement frappés par le chômage, les deux unités de SMA localisées en Guyane accueilleraient principalement de jeunes Antillais. Il serait alors souhaitable de réserver en priorité le SMA aux jeunes Guyanais, celui-ci délivrant d'ailleurs une formation de base aux jeunes les plus en difficulté avec des résultats le plus souvent probants.

b) Une politique de l'emploi trop orientée vers le secteur non marchand

Dans ses grandes lignes, la politique de l'emploi menée en Guyane ne fait que reproduire, parfois en les accentuant, les principales orientations de la politique de l'emploi métropolitaine et, parmi elles, la priorité accordée à l'emploi dans le secteur non marchand. Ainsi, en 1998, seuls 10 % des contrats du FEDOM conclus en Guyane ont visé l'insertion dans le secteur marchand.

Or, le contexte guyanais ne se prête qu'imparfaitement à cette orientation si l'on veut assurer un développement durable de l'emploi dans le département.

D'une part, on a vu qu'il existait déjà une surreprésentation de l'emploi public dans la structure de l'emploi. Celui-ci ne pourra donc continuer à se développer indéfiniment.

D'autre part, plusieurs interlocuteurs de la délégation ont souligné avec force les paradoxes d'une telle politique de l'emploi. Les pouvoirs publics demandent en effet aux entreprises de participer à la lutte contre le chômage en recrutant des jeunes en difficulté, mais, parallèlement, ils se réservent le recrutement des jeunes les plus qualifiés, notamment par l'intermédiaire des emplois-jeunes, laissant alors au secteur privé la tâche d'employer les jeunes les moins qualifiés. Cette pratique porte, en définitive, en elle le germe d'une éviction professionnelle des jeunes les plus en difficulté.

c) Les carences de l'offre de formation

Elles se vérifient d'abord pour la formation initiale . Ainsi, seuls 26 % d'une classe d'âge accède à une seconde générale ou technologique (contre 54 % en métropole).

- Une scolarisation incomplète

La scolarisation des enfants reste très imparfaite. Une enquête de l'inspection académique datant de 1996 estimait qu'environ 1.600 enfants n'étaient pas scolarisés.

- Un niveau de formation initiale faible

Mais si le développement de la scolarisation est un préalable, l'augmentation du niveau de formation initiale constitue également une obligation. En 1998, 76 % des jeunes s'inscrivant à la PAIO avaient un niveau inférieur ou égal au niveau V bis. Cet objectif est pourtant d'autant plus difficile à atteindre que la population scolaire croît de 5 % par an.

- L'inadéquation de l'offre et de la demande de formation

A cet égard, la délégation a déploré le très faible développement de l'apprentissage. Le nombre de contrats d'apprentissage signés est en effet dérisoire : 111 en 1997, 175 en 1998. Et encore, environ un quart des contrats sont rompus avant terme et près de 80 % des apprentis échouent aux examens.

L'apprentissage constitue pourtant un moyen efficace d'assurer que les formations initiales professionnalisées correspondent effectivement aux besoins du marché du travail.

Mais les carences de l'offre de formation concernent également la formation professionnelle .

Le dispositif actuel de formation professionnelle souffre en effet de deux difficultés.

- Un positionnement peut-être trop ambitieux

Etant donné l'absence quasi générale de qualification des demandeurs d'emploi, il est sans doute illusoire de vouloir intégrer les demandeurs d'emploi dans une démarche de formation qualifiante. On observe d'ailleurs que plus du quart des personnes en formation abandonnent avant la fin du programme.

Aussi vaut-il mieux concentrer l'activité vers une action de pré-qualification assurant une simple remise à niveau.

On observe d'ailleurs que l'AFPA rééquilibre son action en ce sens en privilégiant les actions de lutte contre l'illettrisme et les chantiers-écoles.

Actions de formation de l'AFPA-Guyane en 1998 pour 1.341 stagiaires

Source : AFPA-Guyane

Il importe de poursuivre cette action en ciblant l'offre de formation vers des stages n'exigeant pas un niveau de formation initiale élevé comme, par exemple, dans les secteurs du bâtiment, de la cuisine ou de la mécanique.

- L'absence de programmation

L'offre de formation est également en inadéquation avec les besoins des acteurs économiques.

En dépit de la mise en place d'un schéma régional d'orientation des formations, celles-ci sont encore trop souvent montées sans véritable consultation avec les acteurs économiques, ni mise en perspective.

- Des difficultés de recrutement

La Guyane est également confrontée à des difficultés pour recruter des formateurs qualifiés.

Ainsi, alors que les besoins de formation ont été identifiés dans certains secteurs, les organismes de formation éprouvent des difficultés à mettre en place des programmes de formation en l'absence d'un nombre suffisant de formateurs. C'est le cas notamment pour la " filière froid ", pour la réparation automobile ou pour l'horticulture.

d) Les risques du RMI

Lors de ses précédentes missions effectuées à La Réunion et aux Antilles, la commission des Affaires sociales avait insisté sur certains effets pervers du RMI. Cette situation peut être également observée en Guyane, sans doute plus tardivement mais avec peut-être plus d'intensité. Cela contribue à expliquer, en partie, le résultat décevant de la politique de l'emploi.

Le premier risque consiste en une désincitation au travail . Elle se traduit notamment par la difficulté croissante pour les employeurs de main-d'oeuvre temporaire ou saisonnière de trouver le personnel nécessaire, ce qui contribue alors à alimenter les flux migratoires. Mais elle consiste surtout à freiner les perspectives de retour à l'emploi des allocataires du RMI. Ceux-ci apparaissent en effet souvent réticents à s'inscrire dans une démarche d'insertion comme en témoignent le faible taux de CIA conclus et le niveau élevé des abandons au cours de stages de formation.

Le second risque tient au développement du travail illégal . Celui-ci est déjà fortement alimenté par l'immigration, sous une double forme. Il s'agit d'abord d'une immigration saisonnière, limitée dans le temps. C'est notamment le cas de l'immigration brésilienne qui travaille régulièrement dans les secteurs du bâtiment, des travaux forestiers et de l'orpaillage. Il s'agit également d'une immigration économique plus durable, concernant les immigrés venus d'Haïti, de Guyana et du Surinam, qui fuient les difficultés économiques de leur pays et cherchent à exercer une activité professionnelle continue en Guyane.

Mais le travail illégal ne se nourrit pas seulement de l'immigration clandestine, même si les étrangers constituaient en 1997 60 % des salariés illégalement employés selon la verbalisation opérée par les services de contrôle. Le RMI joue aussi un rôle, bien que son impact soit difficile à évaluer. Il est cependant clair qu'il est loin d'être négligeable, comme le montrent, par exemple, les statistiques de sortie de l'ANPE. De mai 1998 à mai 1999, 66 % des personnes sorties de l'ANPE l'ont été pour " absence au contrôle " -ce qui laisse penser qu'ils exerçaient parallèlement une autre activité- et 8 % seulement pour " reprise d'emploi ".

Dans ce contexte, il importe sans doute de repositionner le RMI. Il semble alors prioritaire de réactiver les CLI qui ne jouent pas actuellement leur fonction de contrôle du RMI. Celles-ci devraient en effet exercer pleinement cette fonction, pouvant aller jusqu'à la suppression de l'allocation pour toute personne se refusant à entrer dans un parcours d'insertion ou pratiquant le travail illégal.

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