CHAPITRE II :

LES PERSPECTIVES OFFERTES PAR LA NÉCESSAIRE ÉVOLUTION DU PROGRAMME-CADRE DE L'UNION EUROPÉENNE

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Il n'y a pas de prédétermination absolue à ce que les petites et moyennes entreprises participent aux programmes de soutien à la recherche de l'Union européenne. En première analyse même, on pourrait légitimement s'interroger sur l'intérêt de cette participation :

situées dans la plupart des cas en aval de la chaîne de recherche et d'innovation, ces entreprises ne sont pas concernées au premier chef par une action concentrée sur les avancées scientifiques et la progression de leur développement ;

pas toujours armées, administrativement et financièrement, pour avoir de réelles chances dans l'accès aux programmes, elles semblent plus relever d'actions nationales spécifiques.

On peut donc, à juste titre, considérer que l'appui aux PME est normalement un domaine où la subsidiarité nationale -voire régionale- doit jouer fortement, et que l'Europe se doit de faciliter les contacts directs entre PME ou les contacts entre compétences et PME (programmes, mobilité).

Toutefois, les nombreuses petites et moyennes entreprises impliquées dans la production de biens ou la prestation de services de haute technologie -et notamment les start-up - ont pour vocation à coopérer avec d'autres entreprises européennes. Par ailleurs, la sous-traitance peut et doit traverser les frontières des États.

Mais, ce qui est certain, c'est que l'appui de l'Union européenne au développement scientifique et au renforcement technologique des petites et moyennes entreprises dépend de la pertinence et de la diversité de l'offre de soutien qui leur est faite. Il serait donc irréaliste de ne pas considérer, dans son ensemble, l'évolution du programme-cadre de recherche et de développement de l'Union, afin de cerner la pertinence de cette offre.

Ceci d'autant plus que cette action, si elle peut s'adresser aux petites et moyennes entreprises existantes, doit aussi être le creuset de la création de PME à croissance rapide dont le domaine d'élection actuel se situe, pour une part, dans les secteurs à haute et moyenne technologie.

Après un rapide bilan des quatre premiers programmes-cadres de recherche et de développement, on détaillera la tentative de rénovation effectuée à l'occasion de la préparation du V e PCRD, puis on soulignera que l'instrument paraît aujourd'hui dépassé dans sa conception, et atteint les limites de ses possibilités d'exécution.

I. BILAN DES PREMIERS PROGRAMMES-CADRES DE RECHERCHE DÉVELOPPEMENT

A. LE DÉVELOPPEMENT DE LA COOPÉRATION SCIENTIFIQUE

Le Rapport européen sur les indicateurs scientifiques et technologiques précité fournit quelques éléments généraux sur l'application des premiers programmes-cadres.

Il note qu'en 1990 et 1996, près de 180.000 liens transnationaux de coopération ont été établis dans le cadre du PCRD entre des entreprises, des universités et des centres de recherche.

Il relève également que " le nombre total de coopération à frais partagés est passé de 13.064 dans le II e PCRD à 18.360 dans le III e "

Le rapport annuel 1999 de la Commission sur Les activités de recherche et de développement technologique permet d'estimer que ce renforcement de la coopération s'est développé au cours du quatrième programme-cadre :

6.200 projets nouveaux ont été lancés en 1998, dernière année d'exécution, portant le nombre de projets mis en oeuvre au titre de ce programme cadre à 22.000 ;

compte tenu du nombre moyen de partenaires par projet, cela représente 28.000 participations nouvelles, dont 21.000 participations à frais partagés 3 ( * ) . Pour 1998, ces 21.000 participations représentent 90.000 liens de collaboration entre les chercheurs européens, dont 83 % de liens transnationaux.

Considérés sous l'angle du développement de la coopération scientifique , probablement activée par les progrès techniques de la mise en réseau, les programmes-cadres de la Communauté représentent un indiscutable succès . Ce constat recoupe assez exactement celui développé au chapitre précédent sur la croissance de la part mondiale des publications scientifiques européennes.

Précisons ici que ce développement a pour assise une réalité financière : de 1985 à 1996, la part des dépenses publiques de recherche et de développement des États membres a diminué de 0,9 point, et la part du budget de l'Union, consacrée à cette action, s'est accrue de 3 points.

Quoique ces deux grandeurs ne soient pas directement comparables, on peut affirmer que les PCRD ont joué un rôle de substitution, prenant le relais des contributions nationales. La plus-value européenne incontestable, financée par les États membres, a permis une meilleure connaissance mutuelle des réseaux scientifiques européens.

B. DES INTERACTIONS ENTRE LA SCIENCE ET LA TECHNOLOGIE ENCORE TROP FAIBLES

A l'origine, les programmes-cadres de recherche et de développement n'avaient pas pour vocation d'encourager directement le développement technologique. Il est donc assez compréhensible qu'une partie de ces programmes ait concerné prioritairement les universités et les centres de recherche des États membres, au détriment d'une participation plus active des entreprises, qu'il s'agisse de grandes entreprises ou de petites et moyennes entreprises.

Mais, le domaine d'élection de ces programmes s'est élargi avec le Traité de Maastricht, dont les dispositions codifiées à l'article 163 du Traité instituant la Communauté européenne portent les objectifs suivants :

" 1. La Communauté a pour objectif de renforcer les bases scientifiques et technologiques de l'industrie de la Communauté et de favoriser le développement de sa compétitivité internationale , ainsi que de promouvoir les actions de recherche jugées nécessaires au titre d'autres chapitres du présent traité.

2. A ces fins, elle encourage dans l'ensemble de la Communauté les entreprises, y compris les PME , les centres de recherche et les universités, dans leurs efforts de recherche et de développement technologique de haute qualité ; elle soutient leurs efforts de coopération, en visant tout particulièrement à permettre aux entreprises d'exploiter pleinement les potentialités du marché intérieur à la faveur, notamment, de l'ouverture des marchés publics nationaux, de la définition de normes communes et de l'élimination des obstacles juridiques et fiscaux à cette coopération. "

On se situe, dès lors, beaucoup plus clairement dans le cadre d'une action qui doit se partager entre la science et la technologie, avec pour objectif, de développer la compétitivité internationale de l'Union européenne.

A cette aune, il semble qu'en dépit d'une amélioration de l'association des PME au programme-cadre, la diffusion de cet effort auprès des entreprises reste insuffisante, et que les défauts d'interaction entre science et technologie perdurent près de dix ans après la conclusion du Traité de Maastricht .

1. Une amélioration notable de la participation des PME

Il convient de rappeler que, compte tenu des observations présentées aussi bien par les États membres que par le Parlement européen, la Commission s'était efforcée de mettre en oeuvre, dès le III e programme-cadre, des " mesures de stimulation technologique en faveur des PME " .

Ces mesures sont de deux types :

les primes exploratoires qui permettent aux PME, sur la base d'une ébauche de projet, d'obtenir un préfinancement communautaire pour la préparation d'une proposition complète de participation au programme-cadre ;

les projets dits de recherche coopérative (CRAFT) qui ont pour objet de permettre à des PME confrontées à des problèmes technologiques et disposant même de moyens de recherche, de confier l'exécution de celles-ci à des tiers.

L' unité " PME et innovation " de la Direction générale de la recherche a effectué un bilan de la participation des PME au IV e programme-cadre. Ce bilan prouve, sans conteste, qu'un nouvel élan a été donné à cette participation, qu'il s'agisse des primes exploratoires, de la recherche coopérative ou des actions à frais partagés (procédure de droit commun).

Le nombre de PME associées au programme a progressé de 272 % entre le III e et le IV e programme-cadre.

Répartition de la participation des PME

Programme

Primes exploratoires

Projets de recherche coopérative

Autres types de projets de recherche à frais partagés

TOTAL

Techniques industrielles

1.694

3.301

2.385

7.380

Sciences du vivant

478

449

650

1.577

Environnement

106

181

295

582

Énergie non nucléaire

192

290

1.003

1.485

Transport

69

N/A

649

718

Télématique

N/A

N/A

1.217

1.217

Technologies des communications

39

N/A

406

445

ESPRIT

57

8

1.285

1.350

Total 4 e PC (1994-1998)

2.635

4.229

7.890

14.754

Total 3 e PC (1990-1994)

1.572

1.203

2.649

5.424

N/A : Non applicable.

Sur les mêmes bases, le financement communautaire alloué aux PME a progressé de 194 %.

Répartition du financement alloué aux PME (en MECU)*

Programme

Primes exploratoires

Projets de recherche coopérative

Autres types de projets de recherche à frais partagés

TOTAL

Techniques industrielles

29,4

206,3

322,6

558,4

Sciences du vivant

11,0

33,3

75,2

119,6

Environnement

2,5

13,3

35,5

51,3

Énergie non nucléaire

3,9

19,7

180,3

203,9

Transport

1,2

N/A

55,8

57,0

Télématique

N/A

N/A

116,9

116,9

Technologies des communications

0,1

N/A

49,9

50,0

ESPRIT

1,8

0,3

268,3

270,3

Total 4 e PC (1994-1998)

50,0

272,9

1.104,4

1.427,3

Total 3 e PC (1990-1994)

10,5

64,0

657,5

732,0

N/A : Non applicable.

L'analyse des projets CRAFT montrent, du III e au IV e programme-cadre, un déport des demandes technologiques des PME, des secteurs industriels classiques (cuir, textile...) vers des secteurs incorporant plus de technologie (énergie, matériaux et transformation de matériaux, équipement biomédical...)

Au total, l'exécution du IV e programme-cadre a marqué un progrès : 14.500 PME y ont pris part, dont 20 % bénéficieront des primes exploratoires et 35 % des dispositifs de recherche coopérative CRAFT.

2. Une participation des entreprises encore insuffisante et qui ne renforce pas assez le lien entre science et technologie

Si l'on considère l'accès de l'ensemble des entreprises au regard des seules actions à frais partagés (donc hors mesures spécifiques réservées aux PME) qui supposent une implication plus forte dans des projets de recherche et de développement, on mesure que leur participation est encore insuffisante (38,5 % pour la participation et 36,2 % pour le financement) .

Les données qui précèdent, purement quantitatives, ne permettent pas d'établir dans quelle mesure le IV e programme-cadre a contribué à tisser des liens plus étroits entre la science et la technologie.

Par exemple, les statistiques d'ensemble sur la participation des entreprises (grandes entreprises ou PME) ne nous renseignent pas sur la nature, et surtout sur l'ampleur, des liens de coopération passés par celles-ci avec des laboratoires universitaires ou des organismes de recherche .

Ceci ne signifie pas que le programme-cadre n'a pas enregistré d'incontestables succès dans le domaine du transfert des avancées de la recherche aux marchés.

Sans insister outre mesure, on doit citer les succès de la norme GMS, ceux de GEMPLUS ou de la start-up britannique AKM qui joue un rôle déterminant pour les microprocesseurs à faible consommation employés dans la téléphonie mobile. On aurait pu citer d'autres exemples tout aussi spectaculaires dans les sciences du vivant ou la haute technologie des matériaux. Mais, dans la plupart des cas, il s'agit soit d'entreprises qui ont été à la source d'un développement technologique, soit d'entreprises qui ont su développer une intégration achevée de leur chaîne de recherche et d'innovation . Dans ces configurations, les programmes-cadres ont , sans nul doute, apporté (assez souvent en soutenant des politiques de normalisation) une plus-value européenne incontestable .

En définitive, les programmes-cadres n'ont pas réussi à déplacer fortement le centre de gravité de la recherche-développement dans l'Union européenne vers l'aval, et le monde de l'entreprise.

Un des intervenants du colloque organisé par votre rapporteur le 27 janvier 2000 sur " Les problèmes de la recherche industrielle européenne " , M. Michel Richonnier, directeur à la Direction générale de la société de l'information de la Commission, résumait exactement ce constat. Il rappelait qu'un rapport du Commissariat au Plan publié en 1983 sur " La stratégie de la France dans les années 1980 " insistait sur trois objectifs :

"  remédier à la fragmentation et à l'insuffisance des efforts nationaux de recherche en Europe en créant un espace européen de la recherche ;

créer un grand marché européen à travers des standards européens pour les nouveaux produits et services de la troisième révolution industrielle ;

remédier à la fragmentation et la faiblesse de l'industrie européenne et stimuler la naissance en Europe de nouvelles entreprises innovantes de la troisième révolution industrielle. "

Le rapide bilan des handicaps de la recherche européenne esquissé au chapitre I de ce rapport montre que, près de vingt ans plus tard, la situation s'est légèrement améliorée, mais sans plus .

Il serait incorrect d'imputer cet échec à la seule action de la Communauté.

On sait qu'il trouve sa source dans l'attitude culturelle de beaucoup d'enseignants et de chercheurs qui ne se sont pas assez sentis concernés par son aval, et dans l'attitude des acteurs économiques qui ne sont pas assez conscients de l'importance de l'innovation dans leurs métiers. Mais, rien n'interdit de penser qu'il était de la responsabilité de la Commission d'axer l'essentiel de ses propositions d'action sur les modifications nécessaires des comportements.

Aussi, doit-on s'interroger sur l'absence de programmes visant à s'appuyer sur les trop rares exemples où les handicaps culturels cités n'existaient pas, pour aider à généraliser la prise de conscience de l'entrée dans la nouvelle économie, où il faut plus de recherche industrielle et d'innovation pour améliorer la compétitivité des entreprises européennes, y compris les PME, qui -soulignons-le à nouveau- était un des objectif du Traité de Maastricht .

C. UNE PROCÉDURE QUI N'EST PAS CONÇUE EN FONCTION DES BESOINS DES ENTREPRISES, NI ADAPTÉE À LEURS CONTRAINTES

Le taux relativement moyen de participation des entreprises au programme-cadre dérive de deux séries de facteurs.

D'une part, les conditions de sa préparation en font un cadre peu réactif à leurs besoins.

D'autre part, les modalités de son exécution ne sont pas adaptées aux contraintes du marché .

Enfin, la lourdeur des procédures provoque la lenteur, ce qui empêche les start-up les plus dynamiques de recevoir tout financement, puisque celui-ci ne peut être obtenu en moins de plusieurs mois.

1. Un cadre peu réactif

a) Des délais de préparation trop importants

Les programmes-cadres de recherche et de développement de l'Union européenne sont préparés sur la base du Traité, avec le respect de très nombreuses étapes procédurales qui en allongent à l'excès les délais d'adoption.

Si l'on se réfère à la chronologie de préparation du V e programme-cadre on réalise qu'il a fallu passer par les étapes suivantes :

formulation des propositions de la Commission au Conseil (juin 1997) ;

adoption par le Conseil et le Parlement européen (décembre 1998) ;

adoption des programmes spécifiques par le Conseil (janvier 1999) ;

avis favorable des comités de gestion sur le programme de travail qui sert de base aux premiers appels à proposition (février 1999) ;

enfin, lancement des appels à propositions (du début à la fin du printemps 1999), les quelques mois perdus dans cette dernière phase étant imputables à la crise institutionnelle qu'a connue la Commission dans le premier semestre de 1999.

Ces délais sont imposés par les procédures complexes.

Une recherche académique avec des cycles longs de production de connaissances (comme certains aspects des sciences du vivant) peut s'en satisfaire. Par contre, les entreprises de haute technologie qui doivent concevoir leurs produits pour les vendre sur des marchés où l'évolution devient rapide, ne peuvent pas attendre.

L'objectif " Accroître la compétitivité des entreprises " du Traité de Maastricht ne peut pas admettre des méthodes de ce style. Il faut changer de procédures.

Certes, comme cela a déjà été souligné, le programme-cadre est conçu pour se limiter aux recherches et au développement " précompétitifs ". Mais, quelle que soit l'acception que l'on donne à cette expression, il y avait une bonne part de schizophrénie à estimer qu'il est, d'une part, possible de poser des objectifs de compétitivité internationale et, d'autre part, de ne pas s'attacher à l'amélioration des procédures qui doivent concourir à la valorisation des recherches et des développements de l'amont.

b) Un manque de lisibilité prévisionnelle

Certains des stades procéduraux évoqués ci-dessus affaiblissent également les liens que le programme-cadre devrait s'efforcer d'établir entre recherche et technologie :

le stade de préparation des propositions de la Commission qui est opaque ;

la recherche d'un compromis entre les États membres qui est peu transparente ;

et la phase de mise au point des programmes spécifiques qui s'effectue confidentiellement.

Ce manque de lisibilité prévisionnelle décourage d'emblée certaines entreprises.

Si l'on considère le cas d'une entreprise qui envisageait, à la mi-1996, de réaliser un développement et de le mettre sur le marché dans un délai de deux ans (délai déjà long dans certains secteurs), l'on imagine mal qu'elle ait pu attendre que le programme-cadre ait été proposé, accepté, débattu -alors qu'à chacun de ces stades elle aurait accepté de subir, dans un domaine déjà aléatoire, les vicissitudes de choix qu'elle avait peu de chances d'orienter.

Et, lorsque le programme spécifique est approuvé, le même schéma se reproduit, avec une nouvelle incertitude puisqu'il est nécessaire que les projets de développement scientifique et technologique de l'industrie correspondent à des appels d'offres qui sont lancés chaque année.

A cela, on doit ajouter que, le plus souvent, lorsqu'un projet de recherche a fait l'objet d'un appel d'offres, il est peu probable, qu'il fasse l'objet d'un autre appel d'offres pendant la durée d'exécution du programme-cadre.

La succession de ces calculs de probabilité à faible espérance mathématique de réalisation explique que beaucoup d'entreprises ne recourent pas aux aides proposées par le programme-cadre.

Les entreprises les plus dynamiques, les plus créatrices d'emplois, donc celles dont l'Europe a le plus besoin, sont totalement exclues par ces procédures. Ce n'est pas admissible.

2. Des procédures d'exécution quelquefois dissuasives

A l'occasion ou au moment de la préparation du V e programme-cadre de très nombreuses critiques ont été émises sur ses procédures d'exécution 4 ( * )

Avant d'analyser ces critiques, en fonction des auditions qu'il a effectuées en France et en Europe, votre rapporteur souhaite rappeler qu'il existe souvent deux attitudes opposées vis-à-vis de la présentation de dossiers de réponses aux appels d'offres en vue de la signature d'un contrat de recherche dans le cadre du PCRD.

D'un côté, une vision naïve, consiste à croire qu'il y a un guichet à Bruxelles où il suffit de se présenter avec un vague projet de recherche pour bénéficier de la manne européenne. Ce comportement génère évidemment des déceptions.

D'autres entreprises abordent le programme-cadre avec des stratégies d'approche très élaborées qu'il s'agisse de peser en amont sur la définition des programmes spécifiques, sur la configuration des appels d'offres, ou sur les déterminants des décisions des experts ou, après sélection, sur la rédaction des contrats.

Entre ces deux extrêmes, la masse des entreprises légitimement intéressées par le programme-cadre ne sont pas toujours conscientes des aléas et des chausse-trappes des procédures d'accès.

Votre rapporteur relèvera, ci-après, les principaux reproches adressés à cette procédure, étant précisé que les tentatives d'amélioration de certaines de ces insuffisances, introduites à l'occasion du V e PCRD, seront détaillées ultérieurement.

a) La longueur des délais d'instruction

Au cours du quatrième programme, les délais séparant le lancement d'un appel d'offres et les premiers versements des subventions d'une action de recherche à frais partagés étaient généralement supérieurs à un an.

Les délais séparant la réponse à l'appel d'offres de la sélection du projet étaient, quant à eux, de l'ordre de cinq à six mois.

Ceci signifiait que, pendant cette période, les entreprises concernées restaient dans l'incertitude la plus totale sur les suites données à leur demande.

A n'en pas douter, ces durées sont, en général, excessives. Lorsqu'il s'agit de conduire des développements sur des marchés très réactifs à l'innovation, comme ceux des nouvelles techniques de communication et d'information, elles sont totalement rédhibitoires.

A cet égard, les intervenants dans la création d'entreprises à croissance rapide, rencontrés par votre rapporteur aux États-Unis, lui ont affirmé qu'ils ne recouraient plus aux aides de la Small Business Administration (SBA) dont les délais d'intervention -souvent inférieurs à six mois- ne correspondaient plus aux contraintes de leur marché.

b) Les coûts d'accès au programme

Lors du colloque organisé le 27 janvier 2000 par votre rapporteur sur " La place de la recherche industrielle en Europe et les partenariats publics et privés qui y concourent " , M. François Colling, membre de la Cour des Comptes de l'Union européenne, a rappelé que le taux moyen d'acceptation des demandes de projets de recherche à frais partagés atteignait 20 %.

Et, en cas de succès, l'intérêt financier est relatif : une étude des autorités allemandes a évalué le coût d'accès d'une demande acceptée à 40 % de la subvention versée.

Un calcul de probabilité simple conduit à considérer que, pour mille entreprises effectuant une demande, la somme des coûts d'accès dépasse en moyenne de 100 % la somme des subventions versées. S'ajoutent à ces coûts externes, les coûts supportés par la Commission (salaires des fonctionnaires, des experts, frais généraux, etc.). Globalement, pour l'économie européenne, cela se traduit par des surcoûts inadmissibles.

Il convient, toutefois, de tempérer ces données en soulignant :

que le chiffre qui traduit la faiblesse des taux de succès (environ un dossier accepté sur cinq) inclut des demandes qui n'étaient pas réellement éligibles au programme, compte tenu de leur faible intérêt scientifique ;

et, que le taux de retour net de subvention (60 %) peut être source d'apports financiers intéressants lorsqu'il concerne des projets d'envergure, d'autant plus que, dans ce cas, le coût d'accès est probablement inférieur à 40 %.

Mais, sous réserve de ces deux observations, on ne peut qu'agréer, sur ce point, le jugement " à l'emporte-pièce " d'un ministre de la recherche d'un État membre qui estime que les programmes-cadres consistent " à donner beaucoup d'argent à Bruxelles afin d'en dépenser beaucoup pour en récupérer un peu " .

Compte tenu du faible taux d'accès au programme-cadre, celui-ci constitue un mécanisme d'encouragement financier à somme négative pour l'économie européenne.

Celle-ci évalue, en fonction de l'importance des dossiers, le coût de préparation et de présentation de ceux-ci entre 150.000 F et 350.000 F (ce dernier chiffre -qui se réfère à des dossiers importants- figurant dans le rapport de la Cour des Comptes de l'Union européenne sur le budget de 1996).

Pourquoi ces coûts sont-ils si élevés ?

La préparation et la présentation du dossier -qui suppose notamment de remplir d'épais formulaires dans ce qu'on appelle communément le " bruxellois " -sorte d'anglais simplifié qui semble être la Iingua franca du fonctionnement communautaire- mobilise indiscutablement des ressources en compétence et en argent.

De plus, pour une première expérience d'accès au programme, il est jugé prudent de recourir à une société extérieure de services -dont certaines ont défrayé la chronique en 1999-. Ces officines connaissent les grilles d'interprétation des appels d'offres et savent faire progresser les dossiers.

Pour utile que puisse être cette contribution, votre rapporteur ne peut que s'interroger sur les ressorts d'un instrument qui devient tellement complexe qu'il est nécessaire de stipendier des experts pour en assurer l'herméneutique .

Dans ce contexte, il va de soi que les grandes entreprises qui ne souhaitent perdre ni leur temps, ni leur argent peuvent être dissuadées de participer au programme, et que les PME dont les équilibres financiers sont plus fragiles peuvent être découragées d'essayer d'y accéder -tout au moins par les actions à frais partagés pour lesquelles les mêmes règles d'accès leur sont appliquées.

Votre rapporteur citera ainsi le cas de multiples présidents de PME de très haute technologie, dans des domaines stratégiques, qui après un ou plusieurs échecs ont renoncé à la tentation d'obtenir un agrément communautaire à leurs projets.

Quant aux jeunes start-up des secteurs de haute technologie, il est très rare que leurs dirigeants soient " tentés par Bruxelles ", et lorsqu'ils ont pu lever quelques finances via des sociétés de capital-risque ou des business angels , ils se cantonnent sur leur marché national ou visent le marché américain.

c) Les experts : l'opacité des critères de choix et la confidentialité des décisions

Plusieurs fois par an, lors de courtes sessions, des experts scientifiques se réunissent à Bruxelles et se prononcent sur les dossiers qui sont présentés en réponse aux appels d'offres.

Leur choix doit être effectué rapidement : en une journée, deux ou trois experts visent au moins une cinquantaine de dossiers en leur apportant une notation au regard d'un certain nombre de critères.

Les participants à cette formation de jugement doivent, sans nul doute, être des gens exceptionnels alliant une haute compétence scientifique à une sûreté et à une rapidité d'évaluation exceptionnelle.

Mais, en postulant que le choix de ces experts corresponde aux qualités que l'on est en droit d'attendre d'eux, cette organisation de l'évaluation des dossiers comporte plusieurs inconvénients pour les entreprises.

On en mentionnera trois.

En premier lieu, l' opacité des critères de choix . Si une indiscutable volonté de rectifier ce défaut a caractérisé le cinquième programme-cadre (cf. infra ), dans les précédents programmes les impétrants étaient dans l'impossibilité de savoir pourquoi les dossiers étaient refusés, et donc de rectifier les erreurs commises pour participer efficacement à un appel d'offres ultérieur. Il arrive que l'information soit donnée, mais dans ce cas, on peut démontrer qu'il s'agit d'une erreur manifeste. Ainsi, a été signalé à votre rapporteur, le cas d'un dossier comportant trois partenaires importants -anglais, français et allemand- présenté une première fois par un organisme de Munich, et refusé pour " insuffisance d'aspect européen ". Présenté une deuxième fois, sans modification, il a été accepté et même félicité !

En second lieu, la pondération des critères . Sur la base de ce que le programme-cadre s'exécute prioritairement en fonction de la spécialité de son objet, c'est à dire de l'encouragement à la recherche et au développement pré-compétitifs, les critères scientifiques prévalent dans le choix des dossiers. Cette pondération ne convient pas au monde de l'entreprise, pour lequel les considérations économiques conservent leur importance.

Enfin, la confidentialité . En principe les experts commis à une évaluation doivent respecter une règle déontologique : éviter toute imputation de collusion lorsqu'ils traitent un dossier.

Cette règle semble dans la plupart des cas observée. Toutefois, certaines des personnes entendues par votre rapporteur ont, de temps à autre, eu quelques doutes sur l'absence d'implication extérieure des experts chargés de juger les dossiers qu'ils présentaient.

Or, si l'on admet bien volontiers que ces cas sont rares, on doit également admettre qu'il suffit d'une simple suspicion pour inciter les entreprises à ne pas présenter à la Commission de dossiers portant sur les domaines les plus importants de leur recherche scientifique ou de leur développement. Il en résulte, assez souvent, une attitude qui consiste à ne présenter des projets de recherche que sur des aspects périphériques de l'activité de l'entreprise ou dans des secteurs de veille scientifique et technologique.

d) La propriété industrielle

Les problèmes de propriété industrielle sont périphériques au programme, mais ont une importance en cas de réussite d'un développement mené entre plusieurs partenaires ou pays de l'Union européenne.

Il apparaît qu'au moment de la conclusion des contrats, entre l'Union et les partenaires d'un projet, les règles de valorisation, entre partenaires, ne sont pas toujours assez précises Il peut en résulter, en cas de succès du développement financé par le contrat, un retard très important en cas de valorisation.

Au terme de ce rapide bilan des quatre premiers programmes-cadres de recherche et de développement, votre rapporteur estime :

1. que ces programmes ont enregistré de réels succès :

dans la mise en réseau transnationale des laboratoires publics de recherche,

et dans la mise en oeuvre d'opérations industrielles de recherche-développement, surtout lorsque l'industrie européenne possédait un haut degré d'intégration de sa chaîne de recherche, ou lorsqu'elle était à l'origine des avancées scientifiques ou de leurs développements.

2. mais qu'ils ont connu un échec dont ils ne sont pas les seuls responsables dans l'établissement de liens plus constants entre la recherche publique et la recherche industrielle qui se traduit directement :

par une faible implication des entreprises, notamment les PME,

et par un déficit de lancement d'entreprises à croissance rapide, du moins lorsque l'on compare la situation européenne à celle des États-Unis, étant toutefois précisé que le domaine d'activités de ces entreprises ne les rend pas toujours éligibles au programme-cadre.

Il est particulièrement regrettable que le principal apport des programmes-cadres -qui n'est pas financier, mais qui permet des mises en contact effectives de structures, de personnes et de compétences transnationales- exclue, par le seul fait des procédures, les entreprises les plus dynamiques et les projets les plus innovants.

* 3 C'est-à-dire avec un co-financement de l'Union européenne

* 4 On consultera notamment les rapport de la Cour des Comptes européenne sur L'exécution des budget 1996 qui analyse la mise en oeuvre du IV e programme-cadre) et les rapports présentés au nom des délégations pour les Affaires européennes du Sénat par M. James Bordas (n° 59, 1997-1998) et de l'Assemblée nationale par Mme Michèle Rivasi (n° 685).

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