II. FACE À LA PERSISTANCE D'INÉGALITÉS, QUELLES ACTIONS ET QUELS ACTEURS ?

1. Des inégalités persistent

Le principe de l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes est aujourd'hui acquis en droit et les évolutions sont réelles sur le marché du travail : le taux d'activité des femmes se rapproche de celui des hommes, leur qualification initiale s'est beaucoup améliorée, le niveau de leurs salaires et retraites a progressé, le pourcentage des femmes payées moins d'une fois et demie le SMIC ayant même baissé dans la période récente (en passant de 55 à 49 %), cependant que celui des hommes augmentait (de 28 à 35 %).

La participation croissante des femmes à l'activité économique s'accompagne néanmoins de la persistance d'inégalités en matière de salaires, d'accès aux postes de responsabilité, et de précarité.

a) Les inégalités salariales

Les écarts de rémunération entre hommes et femmes ont diminué mais demeurent une réalité : le salaire moyen de la femme reste inférieur de 27 % à celui des hommes.

Cette différence n'est cependant pas une spécialité française, on la constate dans les autres pays et souvent dans des proportions semblables.

Elle n'est pas le fruit de discriminations proprement dites et elle est moins liée aux diplômes que par le passé puisque les jeunes femmes sont aujourd'hui plus diplômées que les hommes (selon l'enquête emploi de 1997, 24,3 % des femmes actives contre 21 % des hommes actifs ont un niveau de diplôme supérieur au baccalauréat).

Elle trouve essentiellement son origine, d'une part, dans une segmentation de fait des emplois et, d'autre part, dans le déroulement des carrières professionnelles :

- le marché du travail est un marché compartimenté : 60 % des emplois féminins se concentrent sur six groupes socioprofessionnels (" le ghetto des cols roses " 3 ( * ) ), lesquels ne représentent que 30 % de l'emploi total. Au compartimentage des professions s'ajoute l'existence d'une hiérarchisation sectorielle en matière de salaires : les secteurs fortement féminisés (industries du textile, services personnels et domestiques, commerce de détail, hôtels et restaurants) offrent des emplois peu qualifiés et, partant, des salaires souvent moins élevés qu'ailleurs ;

- le profil de carrière des femmes est plus discontinu que celui des hommes : les femmes sont davantage exposées aux interruptions de carrière (pour les maternités et congés pour l'éducation des enfants, mais aussi, éventuellement, pour suivre leur conjoint en cas de mutation professionnelle, l'arbitrage entre les carrières des époux se faisant le plus souvent en faveur du mari) ; elles sont par ailleurs, pour des raisons familiales encore, moins mobiles que les hommes, alors que beaucoup de promotions passent par une mobilité professionnelle ou géographique ; de même doivent-elles renoncer aux occasions de formation qui leur paraissent trop gourmandes en temps, ce qui ralentit leur carrière par rapport à celle des hommes de diplômes équivalents.

En France, comme aux États-Unis et dans d'autres pays, on attribue un écart de salaire d'environ 6 % à l'effet de structure de l'emploi et un autre du même ordre aux différences d'expérience ou de carrière professionnelle. On constate donc, au-delà, un écart résiduel : lorsque les conditions (poste, qualification, entreprise, région...) sont identiques, la différence de salaire entre hommes et femmes (le " gender gap " anglo-saxon) est encore de 15 %.

b) Les inégalités dans l'accès aux postes de responsabilité

La présence des femmes dans le haut encadrement des entreprises ou des administrations est encore une chose relativement rare. On ne peut nier que des progrès significatifs ont été accomplis ces dernières décennies, puisque chacun connaît désormais des femmes qui exercent d'importantes responsabilités, parfois aux tous premiers postes des hiérarchies, quand ce n'est pas à la direction générale même des sociétés, alors que de telles situations étaient inexistantes il y a encore cinquante ans.

Pourtant, le seul fait que ces exemples soient connus et remarqués, qu'ils constituent parfois les sujets d'articles ou d'enquêtes de presse, que l'on s'en félicite et qu'ils soient mis en avant pour démontrer que la parité est en marche est en lui-même " suspect ". Reconnaître que l'on peut être femme et diriger des entreprises, des administrations, des équipes, n'est-ce pas supposer in petto que l'équation n'est pas a priori évidente ?

Plusieurs des personnalités entendues par votre Délégation ont relevé que le développement de la mixité, bien qu'indéniable, ne suivait pas le même rythme selon le niveau hiérarchique observé. Si la féminisation croissante de certaines professions est aujourd'hui telle que la parité est atteinte en termes d'effectifs, voire qu'un déséquilibre nouveau se crée avec une sur-représentation des femmes (dans l'éducation nationale ou la magistrature, par exemple), les ratios ne sont plus du tout les mêmes, et s'inversent parfois, dès que l'on atteint les postes de responsabilité et de direction. Ainsi, une seule femme figure parmi les patrons des 200 plus grands groupes ou sociétés français et on ne compte que 7 % de femmes dirigeantes dans les 5.000 premières entreprises. Dans l'enseignement secondaire, si 51,4 % des professeurs agrégés et 60,5 % des professeurs certifiés sont des femmes, celles-ci ne président les jurys de concours que dans moins de 18 % des cas pour l'agrégation et 32 % des cas pour le CAPES, et elles ne sont que 35,8 % à diriger des établissements.

Si les catégories d'exécution sont fortement féminisées, à l'exception notable des emplois dits " techniques ", la place des femmes est la plupart du temps réduite à la portion congrue à mesure que l'on s'élève dans la hiérarchie de l'administration ou des entreprises.

On peut expliquer en partie les différences entre sexes par un effet de génération : l'accession aux postes de responsabilité n'intervenant qu'après plusieurs années passées dans la carrière, la féminisation des professions ne s'est pas encore accompagnée d'une féminisation des emplois de direction. Les statistiques du rapport Colmou indiquent, s'agissant de la haute fonction publique de l'État hors Éducation nationale, qu'au 31 décembre 1996, le pourcentage des effectifs féminins de fonctionnaires de catégorie A de 50 ans et plus atteignait 19,8 %, tandis que celui des effectifs masculins s'élevait à 31,6 %. Or, à cette même époque, si les femmes représentaient 25 % des administrateurs civils, elles étaient moins de 10 % à occuper un emploi de directeur d'administration centrale.

L'argument devrait être de moins en moins pertinent, les générations de femmes qui arrivent actuellement à l'âge d'occuper les emplois de direction ayant profité du mouvement de mixité. Ainsi apparaîtra plus clairement l'importance d'un certain nombre d'autres freins à la promotion des femmes dans les structures hiérarchiques. De ces freins, on a pu dire qu'ils construisent un " plafond de verre " que les femmes ne parviennent que très difficilement à franchir, une limite d'autant plus invisible qu'elle ne résulte d'aucune disposition interdisant aux femmes d'occuper des postes de responsabilité ou des fonctions d'autorité élevés. Au contraire, le Code du travail et les textes statutaires, comme la jurisprudence prud'homale, judiciaire ou administrative, font de l'égalité des sexes un principe absolu, dont la méconnaissance est sévèrement sanctionnée.

Le poids des contraintes familiales et domestiques est sans aucun doute essentiel pour comprendre ce phénomène.

La maternité présente pour les femmes un premier " handicap " en ce qu'elle les écarte, souvent à plusieurs reprises, de l'environnement professionnel. Le fait que, dans les catégories socioprofessionnelles supérieures, la maternité intervienne aujourd'hui à un âge assez élevé, au cours de la trentaine, au moment où les profils de carrière se dessinent et les stratégies personnelles s'élaborent de manière précise, rend les absences, surtout si elles sont multiples, particulièrement coûteuses. Par ailleurs, à l'issue de leur congé de maternité, les mères ont, pendant quelque temps, une disponibilité moins grande.

Les femmes, ensuite, doivent faire face, beaucoup plus que leurs conjoints, aux obligations familiales et domestiques, ce que méconnaît l'organisation du travail en France, qu'il s'agisse du secteur privé ou de la haute fonction publique.

Il en est ainsi de l'usage du temps : une place probablement démesurée est accordée dans notre pays aux déjeuners d'affaires ou de travail et aux horaires tardifs qui pénalisent directement les femmes. Notre pratique des réunions est sans doute elle-même excessive : le nombre de ces dernières, leur préparation, leur durée, leur déroulement, tout concourt à une " chronophagie " à la fois néfaste en termes d'efficacité générale et extrêmement préjudiciable aux femmes. Or, la promotion hiérarchique récompense souvent et s'accompagne toujours d'une grande disponibilité.

Un autre élément pèse de plus en plus dans les processus de promotion : la mobilité professionnelle et, surtout, géographique. Dans un nombre significatif d'emplois de la fonction publique, le passage au grade supérieur ou l'accession à certains postes de responsabilité sont subordonnés à l'obligation de mobilité. Dans les entreprises privées, le phénomène a également tendance à se généraliser, en particulier dans les grandes structures où " le passage par l'international " devient une étape obligée de la carrière des futurs dirigeants. Les contraintes familiales s'accommodant mal de telles mobilités, les femmes sont la plupart du temps contraintes d'y renoncer et perdent ainsi des occasions de progresser dans la hiérarchie.

Enfin, beaucoup de promotions s'appuient sur un système de " réseaux " qui est plus souvent activé par les hommes que par les femmes et qui semble particulièrement efficace pour entretenir la barrière du " plafond de verre ".

c) Les inégalités face à la précarité

Les situations de précarité se rencontrent proportionnellement davantage chez les femmes que chez les hommes.

Il existe, tout d'abord, une inégalité entre hommes et femmes devant le chômage : pour les premiers, le taux de chômage s'établit à 9 %, il est de 12,5 % pour les secondes. Le rapport Génisson évalue à 51 % la proportion des femmes parmi les demandeurs d'emploi, alors qu'elles ne représentent que 45 % des actifs, et il semble que l'amélioration récente de l'emploi leur profite moins qu'aux hommes.

Le " sur-chômage " féminin s'observe notamment chez les demandeurs d'emploi de longue durée, pour des raisons de moindre qualification, et chez les jeunes femmes qui font leur entrée sur le marché du travail (à l'exception des plus diplômées d'entre elles), l'éventualité d'une maternité prochaine pesant -de moins en moins, mais encore- sur leur recrutement.

La précarité touche également les femmes par le biais du travail à temps partiel. Le travail à temps partiel est une réalité essentiellement féminine : il ne dépasse guère, selon les enquêtes emploi de l'INSEE, 5 ou 6 % de l'emploi masculin et concerne, en revanche, plus du tiers des femmes qui travaillent. Il correspond certes très souvent à un choix pour concilier vies professionnelle et familiale. Telle est même son image dominante.

Mais il est parfois subi, contraint, accepté faute de mieux.

Le rapport Génisson précité estime à 38 % le travail à temps partiel non choisi et à plus d'un million le nombre des femmes concernées. Ces chiffres tiennent notamment à la très forte féminisation des secteurs qui, comme la grande distribution, recourent au temps partiel pour des raisons de flexibilité.

Ce mode de travail s'accompagne fréquemment d'horaires irréguliers, atypiques, qui, loin de faciliter l'organisation de la vie familiale, lui sont particulièrement préjudiciables, et qui interdisent aussi tout cumul éventuel avec un autre emploi afin de compléter des salaires souvent modiques, le travail à temps partiel concentrant les emplois peu qualifiés et donc les bas salaires.

Hors des cas où il est choisi, le travail à temps partiel peut donc déboucher, pour les femmes, sur des situations individuelles difficiles.

C'est en particulier le cas lorsqu'elles vivent avec un conjoint chômeur ou sont chef de famille. Les familles monoparentales sont en forte progression (1,6 million en 1999 contre 847.000 en 1982) et représentent aujourd'hui 16 % des familles. Dans un écrasante majorité des cas, plus de neuf fois sur dix, le parent isolé est une femme. Or, on estime à 30 % la proportion de ces familles qui vivent en situation de pauvreté.

Certains fondent sur le double handicap économique que représentent la famille monoparentale et le travail à temps partiel subi l'apparition d'un monde, très majoritairement féminin, de " travailleurs pauvres ". Le phénomène n'a certes pas en France l'importance qu'il peut avoir ailleurs (avec, par exemple, les  " working poors " anglo-saxons), mais on ne saurait le sous-estimer.

2. Les leviers d'action

a) L'orientation et la formation

Trente ans après que la mixité a été introduite dans l'ensemble du système scolaire, on observe que les filles sont plus nombreuses que les garçons à se présenter au baccalauréat (71,7 % d'une génération contre 62 %) et qu'elles sont plus nombreuses aussi à le réussir (elles ont représenté 54 % des lauréats en 1999). Les filles sont également majoritaires à l'université (56 % des effectifs) et les rares études disponibles démontrent que, globalement, elles sont toujours plus jeunes que les garçons et réussissent mieux qu'eux dans les cursus qu'elles suivent.

Pourtant, les femmes sont ensuite majoritaires dans les postes peu qualifiés et mal payés et minoritaires dans les fonctions de responsabilité. Elles ne valorisent pas leurs diplômes.

Il est tout d'abord indispensable d'agir au niveau de l'orientation des filles au cours de leur scolarité, dans le secondaire.

Dès le stade du lycée, apparaissent distinctement deux ensembles fortement sexués. Si la ségrégation la plus forte peut être observée dans les sections techniques (ainsi la filière industrielle (STI) est masculine à près de 95 % et la filière tertiaire (STT) féminine à plus de 65 %), elle existe également dans les filières générales où, globalement, les sections scientifiques sont majoritairement masculines et les sections littéraires en majorité féminines. Ces différences d'orientation se poursuivent à l'université et dans les grandes écoles, avec une accentuation de la " sexualisation " des disciplines à mesure que se précisent les spécialisations professionnelles. Les statistiques de la présence des jeunes filles à différentes étapes de certaines filières scientifiques sont éloquentes : 59 % en seconde, 43 % en 1ère S, 40 % en terminale S, 31 % en DEUG scientifique, 9 % en maîtrise électronique ou 13 % en maîtrise informatique, mais 58 % en maîtrise de biologie.

Le phénomène paraît d'abord d'ordre culturel. Il repose sur une sorte de conformisme des mentalités  : les élèves et les étudiants, mais aussi et peut-être surtout leurs parents, considèrent que les garçons sont naturellement adaptés à certaines disciplines et les filles à d'autres. On doit déplorer à cet égard la carence de modèles féminins dans les supports pédagogiques d'information sur les filières professionnelles considérées comme masculines.

Une autre explication tient à l'insuffisance de la formation et de l'information des enseignants et des personnels éducatifs chargés de l'orientation des élèves. Votre Délégation croit indispensable que ceux-ci soient mieux informés sur les carrières en regard de la situation de l'emploi, sur la réalité des métiers nouveaux et sur l'évolution des conditions d'exercice de professions traditionnellement réservées dans l'opinion aux garçons (métiers de l'électronique, de l'informatique, voire de la mécanique). Une telle démarche pourrait favoriser l'insertion des jeunes filles dans les filières d'avenir.

Votre Délégation a relevé, et s'en félicite, que la Convention pour la promotion de l'égalité des chances entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif , du 25 février 2000, visait de manière concrète à améliorer l'orientation des élèves et à développer l'information de tous les acteurs du système éducatif (élèves, étudiants, familles, enseignants, conseillers d'orientation, chefs d'établissement) afin de lutter contre les images stéréotypées sur le rôle des hommes et des femmes dans la société et contre les " clichés " qui sont associés aux métiers. De même juge-t-elle intéressants les objectifs de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) qui visent à doubler la proportion de filles dans les filières d'avenir ou ceux des Programmes nationaux d'action pour l'emploi (PNAE) qui fixent à 35 % la part des contrats d'apprentissage réservée aux jeunes filles.

Au-delà des insuffisances de l'orientation, certaines des personnalités auditionnées par votre Délégation ont fait valoir que les méthodes mêmes d'enseignement et les barèmes d'évaluation retenus pour apprécier l'acquisition des savoirs étaient parfois pénalisants pour les jeunes filles et conduisaient à " sexualiser " les disciplines en faisant appel à des qualités considérées comme plutôt masculines ou, au contraire, plutôt féminines. Au titre des premières, on trouverait le " brio ", la rapidité, l'aisance à contourner les difficultés d'une épreuve et à " foncer ", un goût presque ludique pour la compétition, et au titre des secondes figureraient le souci d'analyser en profondeur, de ne négliger aucun détail ou de s'acharner à résoudre des questions difficiles, ainsi qu'une forte capacité à travailler de manière collective. Selon que serait privilégiée telle ou telle famille de qualités, aux épreuves d'un examen ou d'un concours, on obtiendrait des résultats " sexuellement " différents. C'est ainsi que s'expliqueraient la diminution progressive, au cours de la scolarité, de la présence des filles dans les enseignements scientifiques, et les taux de réussite relativement plus importants des garçons aux concours des grandes écoles.

Votre Délégation estime que la féminisation des jurys de concours, leur mixité, peut être en la matière une réponse, sans être cependant une garantie absolue pour la valorisation des jeunes filles. Elle souligne par ailleurs que la démonstration ci-dessus rapportée ne repose, de l'aveu même de ceux qui l'utilisent, sur aucune étude fiable et concrète. Elle pourrait jouer contre le camp de ceux qui veulent promouvoir les femmes et suscite ainsi la méfiance. Il n'est pas inutile de rappeler au passage que des grands concours scientifiques ont aujourd'hui des majors féminins. Il semblerait à votre Délégation en définitive plus pertinent de s'interroger sur le poids des arbitrages que les jeunes filles sont amenées très tôt à faire entre la vie professionnelle et les perspectives de la vie familiale.

Il convient ensuite de faire porter l'effort sur la formation professionnelle des femmes.

Il est clairement ressorti des auditions de votre Délégation que l'accès à la formation professionnelle continue était tout à fait inégal entre les hommes et les femmes. Une femme de 35 ans aurait ainsi aujourd'hui deux fois moins de chances qu'un homme du même âge d'accéder à la formation tout au long de sa vie. Or, le progrès technologique entraîne de profondes modifications dans l'exercice de nombreuses activités professionnelles, et ce à presque tous les niveaux de la hiérarchie, et impose des mises à niveau régulières, voire la reconversion périodique des agents économiques.

Moins présentes que les hommes dans les actions de formation continue, principalement par manque de temps, les femmes sont confrontées, au cours de leur carrière, à une perte relative de qualification, qui est à l'origine du " sur-chômage " féminin et de la sur-représentation des femmes dans la catégorie des chômeurs de longue durée.

Votre Délégation a noté avec intérêt que la convention précitée du 25 février 2000 visait, parmi ses objectifs, à mieux informer et orienter les femmes en matière de formation continue par la voie de conseils personnalisés, notamment dans le cadre de la plate-forme nationale d'accueil et d'orientation à distance du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et du Centre national d'enseignement à distance (CNED), à l'instar de ce que les services d'orientation de l'AFPA organisent à l'attention des demandeurs d'emploi en grande difficulté.

Elle regrette, en revanche, que le problème de la validation des acquis professionnels fasse l'objet d'un examen, non pas dans le cadre de la proposition de loi sur l'égalité professionnelle, mais dans celui du projet de loi sur la modernisation sociale, une telle validation apparaissant comme un instrument correcteur particulièrement intéressant pour la carrière de certaines femmes.

Par ailleurs, votre Délégation attire l'attention sur le fait que c'est principalement au niveau des entreprises qu'il faut agir, en ouvrant plus largement aux femmes les actions de formation proposées et en incitant les organisations syndicales à y porter une attention plus soutenue. Elle estime qu'il s'agit là d'une question essentielle qui devrait faire l'objet d'un examen particulier dans le cadre de la refondation du dialogue social.

b) Favoriser les réinsertions professionnelles

Les femmes, au cours de leur carrière, peuvent être confrontées au problème de la réinsertion professionnelle.

Tel est le cas, notamment, lorsqu'elles ont pris un congé parental d'éducation après la naissance ou l'adoption d'un enfant. Le Code du travail (article L. 122-28-1), en visant " tout salarié ", ouvre ce congé de manière identique aux femmes et aux hommes. Mais des considérations d'ordre culturel et d'autres relatives à la place différente des hommes et des femmes dans l'entreprise, à leurs tâches et responsabilités, au niveau de leurs salaires respectifs, font qu'il est presque exclusivement demandé par les mères de famille (tel est le cas également du congé pris pour la garde d'un enfant malade).

Or, le congé parental d'éducation s'accompagne d'une allocation très concurrentielle par rapport aux bas salaires et à la rémunération du temps partiel et éloigne, certains jugent trop longtemps, de la vie professionnelle. A son terme, les femmes les moins qualifiées parviennent mal à se réinsérer dans le monde du travail. Sur les 500.000 bénéficiaires du congé parental d'éducation, 120.000 ne reprennent pas d'activité. On peut s'interroger sur la proportion de femmes pour lesquelles il s'agit vraiment d'un choix délibéré et non d'une résignation.

D'autre part, certaines femmes qui travaillent à temps partiel souhaiteraient travailler à temps plein, même si elles sont, dans cette catégorie, moins nombreuses que les hommes, et si les femmes qui travaillent à temps complet et aimeraient pouvoir le faire à temps partiel sont elles-mêmes plus nombreuses.

L'émergence visible en France du travail à temps partiel ne résulte pas, à titre principal du moins, d'une démarche attentive aux préoccupations des femmes, laquelle fut par exemple plus évidente dans les pays d'Europe du nord. C'est en effet à la faveur des années de crise qu'il est devenu une composante importante de notre marché du travail. Il concernait 1,5 million de femmes en 1980, il en compte près de 4 millions aujourd'hui.

Lorsque le temps partiel est choisi, il présente un double intérêt économique (il contribue à la création d'emplois et à la baisse du chômage) et social (il permet de mieux concilier la vie de famille et l'exercice d'une profession). Les femmes qui optent délibérément, par aspiration, pour le travail à temps partiel sont en majorité des femmes diplômées ou qui bénéficient de la sécurité de l'emploi. Pour ces femmes, les avantages de la formule l'emportent sur les pénalisations dont elle s'accompagne en termes de rémunération, de carrière et de retraite.

Les femmes qui " subissent " le temps partiel sont, au contraire, principalement les femmes sans qualification ou peu qualifiées, celles qui ont une faible ancienneté ou qui viennent du chômage. Ces femmes-là souhaiteraient souvent travailler davantage. C'est à leur propos qu'on a pu dire que le travail à temps partiel était un piège pour les femmes et même " l'ennemi principal de l'égalité devant l'emploi " 4 ( * ) .

Depuis le début des années quatre vingt-dix, les sorties du chômage vers le temps complet ont diminué tandis qu'elles augmentaient vers le temps partiel. En 1998, 60 % des femmes qui ont retrouvé un emploi étaient à temps partiel, contre 31 % en 1982. Le travail à temps partiel, non choisi la plupart du temps, est devenu dans bien des cas un passage obligé de réinsertion dans l'emploi. Certes, le temps partiel apparaît, dans ce cas, comme une solution transitoire qui n'est pas à écarter -mieux vaut, dans les situations de détresse, un temps partiel non choisi que pas d'emploi-, mais il doit pouvoir déboucher, pour celles qui le souhaitent, sur un travail à temps complet car il est, en termes de rémunération et de conditions de travail (manque de régularité, éclatement des horaires, fréquence du travail le week-end), peu favorable aux femmes. Or, malgré les garanties offertes par le Code du travail, trop de femmes voient leur souhait rester insatisfait.

c) Aider matériellement les femmes

Les femmes qui travaillent, particulièrement les mères d'enfants en bas âge, sont bien plus que les hommes confrontées à la contrainte du temps.

Selon l'INSEE (" France, Portrait social 1999-2000 "), les deux-tiers des tâches familiales leur incombent : les hommes en couple consacrent en moyenne chaque jour 2h30 aux travaux domestiques, les femmes qui travaillent 3h30 et les " inactives " 6 heures ; si l'on s'en tient au " noyau dur " de l'activité domestique -courses, cuisine, vaisselle, linge, soins matériels aux enfants-, la part des femmes atteint 80 %. Même s'il existe un certain effet de génération, le partage reste donc largement inégalitaire. Certains comptent sur la réduction du temps de travail pour établir un meilleur équilibre dans la répartition des tâches familiales et ménagères, d'autres -sont-ils plus sceptiques ou plus lucides ?- prédisent qu'elle aura un impact limité et que les hommes consacreront aux activités de loisirs l'essentiel du temps dégagé.

Pesant sur le parcours et le plan de carrière des femmes, la contrainte du temps -la tyrannie même, dans certains cas- est sans doute la principale source d'inégalité professionnelle entre les deux sexes. L'objectif d'égalité professionnelle rend donc indispensable, selon votre Délégation, de l'alléger, ce qui suppose une politique ambitieuse sur le plan matériel.

Lorsqu'on les interroge 5 ( * ) , les femmes de 25-40 ans ne réclament pas de nouveaux droits pour concilier leurs vies professionnelle et familiale, mais, outre l'application de l'existant, une plus grande aide matérielle.

Leur revendication majeure concerne la prise en charge des jeunes enfants, qu'il est souhaitable d'améliorer par la mobilisation de tous les acteurs publics et privés (État, collectivités territoriales, entreprises, caisses d'allocations familiales, associations), chacun à son niveau de responsabilité.

Renforcer l'offre de garde d'enfants suppose d'abord d'augmenter le nombre des équipements collectifs, crèches ou garderies -dans la plupart des villes, mais aussi en milieu rural où l'insuffisance des infrastructures est plus manifeste encore. Ce type d'accueil est de loin le moins onéreux pour les parents, notamment par l'application d'un barème lié aux revenus, et celui qui présente le plus de garanties grâce à l'encadrement des enfants par un personnel qualifié. Or, il ne bénéficie actuellement qu'à seulement 8 % des moins de trois ans.

Les entreprises, du moins les plus importantes d'entre elles, devraient elles-mêmes être incitées à créer des crèches ou à souscrire des places dans des crèches municipales ou familiales. Votre Délégation rappelle que les entreprises sont de plus en plus nombreuses à créer, à plusieurs, des restaurants communs pour leurs personnels. La même démarche pourrait être faite -elle apparaît sporadiquement- en faveur de crèches collectives d'entreprises.

Les heures d'ouverture des crèches et garderies devraient par ailleurs être assouplies pour tenir compte des horaires irréguliers qui accompagnent le développement de la flexibilité du travail.

Au-delà, tous les modes de garde des enfants devraient être mieux aidés. Ajoutons que cette démarche devrait concerner, au-delà de la petite enfance, la prise en charge des enfants d'âge scolaire après ou en dehors du temps d'école (fins d'après-midi, vacances).

Pour faire face aux besoins de financement, il existe des solutions traditionnelles comme les instruments de la politique fiscale (rappelons, au passage, que notre système fiscal, qui assoit l'impôt sur le revenu sur le ménage, a été imaginé à une époque où les femmes travaillaient peu, et qu'une imposition séparée serait certainement moins pénalisante pour le travail féminin) ou les prestations sociales et familiales. A cet égard, un mécanisme comme celui de l'allocation de garde d'enfant à domicile (AGED) a fait la preuve de son efficacité pour aider les femmes à desserrer la contrainte du temps, notamment les femmes cadres auxquelles il peut permettre de percer le fameux " plafond de verre ", et on peut regretter qu'il ait été revu à la baisse, surtout si l'on se reporte à la relative modestie de son coût (1,7 milliard de francs, à rapporter au montant total des aides aux familles, 130 milliards de francs 6 ( * ) ). Au-delà, il pourrait être recouru à des formules plus novatrices. Les comités d'entreprise pourraient être par exemple invités à s'investir dans la garde des enfants du personnel, sous forme de cofinancement de formules comme celle du chèque emploi-service.

D'une manière générale, peut-être faudrait-il revoir la politique familiale française, laquelle est devenue brouillonne et ne met pas suffisamment l'accent sur les formes d'aides qui sont à la fois les moins coûteuses et les plus efficaces pour aider le travail féminin (cas de l'AGED ci-dessus évoqué, mais aussi des crèches dont le coût relatif, 12 milliards de francs, est également modeste).

Au-delà du problème principal de la garde des enfants, votre Délégation tient à souligner les initiatives intéressantes qui se font jour dans le cadre de la politique de la ville. Elles sont calquées sur l'expérience de certaines municipalités d'Italie du nord, qui mènent une politique du temps de la ville (" tempo della città ") pour l'adapter aux besoins des mères de famille qui travaillent. Les horaires des services publics, sociaux et administratifs, et des commerces ont été assouplis, le système des transports adapté ; certaines villes ont même étendu l'innovation aux activités socioculturelles, comme les bibliothèques, ou sportives. Sur la base de chartes communales sur l'articulation des temps sociaux (expérience baptisée " temps de vie, temps de ville "), une plus grande flexibilité de l'organisation sociale est aujourd'hui recherchée par quelques villes françaises, dans le cadre de la politique contractuelle de l'État avec les collectivités territoriales, pour permettre aux femmes d'assumer dans de meilleures conditions la multiplicité de leurs rôles sociaux. De telles solutions, qui jouent incontestablement en faveur de l'amélioration de la qualité de la vie, devraient être appelées à se développer avec la différenciation croissante des rythmes de travail. Votre Délégation insiste pour qu'elles ne laissent pas à l'écart les femmes du monde rural, qui sont notamment confrontées à la contrainte de l'éloignement et des transports.

Votre Délégation ne saurait trop insister sur la nécessité d'aider matériellement les femmes. Il est prouvé que, lorsqu'on aide massivement les femmes à concilier vies professionnelle et familiale, comme dans les pays d'Europe du nord, on enregistre à la fois un fort taux d'activité des femmes et une stabilisation voire une remontée de la fécondité. Au contraire, lorsque les tensions sont trop fortes entre famille et travail, les femmes ou bien reportent le moment de la maternité et le taux de fécondité baisse, ou bien renoncent à travailler pour élever leurs enfants et le taux d'activité des femmes est plus faible qu'ailleurs.

d) La représentation des femmes dans les instances paritaires

Si la proposition de loi de Mme Catherine Génisson vise, dans son titre II, à établir un équilibre entre les femmes et les hommes dans la représentation de l'administration au sein des instances paritaires de la fonction publique, force est de constater qu'elle n'impose aucune règle similaire pour les délégués des fonctionnaires ou, s'agissant du secteur privé, pour les organisations représentatives du personnel. Or, la mixité des structures de négociation et de concertation ne peut être atteinte si les représentations syndicales ne traduisent pas elles-mêmes, pour ce qui les concerne, l'application d'une règle de proportionnalité.

Il s'agit là d'une préoccupation majeure de votre Délégation. Nombre des personnalités qu'elle a auditionnées ont insisté sur les effets positifs de l'engagement des femmes dans l'activité syndicale et les instances paritaires. A l'inverse, comme le souligne le rapport Génisson, la faible participation des femmes à la représentation des salariés explique l'insuffisante prise en compte de leurs difficultés, et leur présence réduite dans les syndicats à l'échelon de l'entreprise, l'insuffisante application sur le terrain de la loi Roudy.

L'attention que les femmes portent aux mesures concrètes pour faciliter la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale fait souvent émerger des solutions d'organisation du travail originales, dont les hommes bénéficient tout autant. La prise en compte dans les négociations de problèmes apparemment spécifiques aux femmes a des répercussions favorables sur la vie professionnelle de l'ensemble des salariés. La mixité des instances de concertation est ainsi une source indéniable d'enrichissement du dialogue social.

D'un point de vue juridique, des obstacles constitutionnels s'opposeraient probablement à ce que le législateur impose aux organisations syndicales des règles de présentation des candidatures comparables à celles que le projet de loi relatif à l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives est en passe de fixer en matière politique. Aussi le rapport Génisson donne-t-il la préférence à une modulation des crédits de formation accordés par l'État aux syndicats en fonction de la prise en compte de l'objectif de mixité.

Opposées à toute contrainte qui porterait atteinte au principe de la liberté syndicale, certaines organisations font en tout état de cause observer qu'une règlementation des candidatures risquerait d'être techniquement difficile à mettre en oeuvre, certaines élections autorisant, au second tour, la présentation de candidats par des listes émanant d'organisations non représentatives au plan national, voire de listes indépendantes de toute structure fédérale ou confédérale.

Les syndicats, par ailleurs, mettent en avant la politique volontariste qu'ils mènent pour favoriser la représentation des femmes. De fait, les plus importants d'entre eux ont entamé, ces dernières années, un effort significatif pour garantir aux femmes une plus juste représentation dans leurs instances de direction, au regard de leur poids dans le mouvement syndical. C'est ainsi qu'aujourd'hui, le bureau confédéral de la CGT compte 47,8 % de femmes et le Conseil national de la CFDT 28 % (42 % des adhérents de cette organisation étant des femmes). Mais force est de constater que de telles proportions sont encore loin d'être atteintes aux échelons professionnels ou locaux, et encore moins au sein des entreprises où le pouvoir syndical est encore très largement masculin.

Les femmes hésitent à accepter des responsabilités syndicales pour la simple raison qu'elles manquent de temps pour les exercer. Elles sont peu nombreuses à pouvoir supporter les contraintes non pas seulement d'une double, mais en l'espèce d'une triple vie. Il est ainsi clair, pour votre Délégation, que les mesures volontaristes en faveur de la mixité des instances syndicales et paritaires n'auront d'effet visible à tous les niveaux que pour autant que des mesures matérielles d'accompagnement et des aides pratiques seront mises en oeuvre.

Le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle préconise une parité généralisée de toutes les instances représentatives du personnel que les syndicats jugent, de bonne foi ou non, irréaliste. Votre Délégation souhaiterait à tout le moins, et il s'agit là de l'un de ses voeux principaux, que l'on réfléchisse à l'introduction en France d'une juste représentation des femmes dans le dialogue social. Elle rappelle à cet égard que la loi allemande (article 15 de la loi du 15 janvier 1972 relative à l'organisation interne de l'établissement) assure aux femmes une représentation au conseil d'établissement -l'équivalent de notre comité d'entreprise- proportionnelle à leur effectif dans l'entreprise : les sexes, dit-elle, doivent être représentés conformément à leur proportion numérique.

e) Ne pas oublier les travailleurs indépendants

On compte en France environ 1.500.000 chefs d'entreprise indépendants, commerçants ou artisans. Plus du tiers d'entre eux emploient leur conjoint -leur conjointe la plupart du temps- comme collaborateur.

La loi du 10 juillet 1982 a reconnu le travail accompli par les conjoints dans l'entreprise familiale en leur permettant d'opter entre trois statuts : conjoint salarié, conjoint associé ou conjoint collaborateur. Mais ce dispositif juridique n'a pas eu l'impact attendu et l'activité du conjoint du chef d'entreprise artisanale ou commerciale n'est pas encore suffisamment reconnue.

Beaucoup trop de femmes d'artisans -30 à 40 % 7 ( * ) - demeurent sans statut, dans le cadre réducteur de l'entraide conjugale. Leur situation est celle de simples conjoints aidants auxquels les textes n'accordent, à titre personnel, ni rémunération ni couverture sociale.

C'est le plus souvent " après coup ", dans les situations dramatiques, que se révèle la nécessité d'un statut. Lorsque le lien matrimonial est rompu par le décès ou le divorce, la femme doit en effet pouvoir prouver qu'elle a travaillé dans l'entreprise.

Votre Délégation estime indispensable d'améliorer l'information des conjoints de travailleurs indépendants. Mieux vaut sans doute informer sur les statuts, encourager les démarches volontaires d'acquisition statutaire, plutôt que d'imposer telle ou telle formule, car les situations individuelles sont variées. Il convient en particulier de tenir compte de l'existence possible de " doubles statuts ", les conjoints collaborateurs pouvant exercer une activité professionnelle hors de l'entreprise artisanale.

Pour être efficace, l'information sur les différents statuts ne devrait pas être dirigée vers le seul conjoint, mais intégrer la dimension du couple, lequel est plus à même en effet de faire le meilleur choix statutaire en fonction des possibilités et de la dimension de l'entreprise.

Les différents statuts posent par ailleurs des problèmes spécifiques.

Les conjoints salariés -46 % des conjoints dans les entreprises artisanales qui comptent entre 10 et 20 salariés, 12 % dans celles qui ont moins de 10 salariés- sont confrontés à une injustice fiscale 8 ( * ) : la rémunération du conjoint salarié est entièrement déductible lorsque les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens, mais elle l'est sous plafond seulement dans le cas d'un régime matrimonial de communauté (déduction actuellement fixée à 17.000 francs ou trente-six fois le SMIC mensuel si l'entreprise adhère à un centre de gestion agréé). Compte tenu de la communauté d'intérêts qui existe entre les époux, on considère en effet que la rémunération versée au conjoint de l'artisan présente plus le caractère d'une affectation de bénéfice que celui d'une charge déductible.

S'agissant des droits au chômage du conjoint salarié, on doit en revanche se féliciter que la Cour de cassation ait récemment levé toute ambiguïté, alors que les ASSEDIC ont parfois refusé par le passé l'indemnisation en contestant le lien de subordination existant entre l'artisan et son conjoint.

Reposant sur un régime d'affiliation volontaire, le statut de conjoint collaborateur assure, en contrepartie de cotisations modulables, la possibilité d'acquérir des droits propres de retraite ; il demeure pourtant peu prisé puisqu'on estime à guère plus de 6 % le nombre des conjoints collaborateurs.

Il faut tout d'abord rappeler que la loi de 1982 a réservé le statut de conjoint collaborateur au conjoint de chef d'entreprise individuelle considéré comme une personne physique, écartant ainsi du bénéfice d'un tel statut le conjoint d'artisan en EURL.

Ensuite, la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 sur les régimes matrimoniaux a réduit l'importance de la protection du conjoint collaborateur qu'avait introduite la loi du 10 juillet 1982. En réécrivant l'article 1421 du Code civil pour reconnaître à tout conjoint un pouvoir de gestion parallèle dans l'entreprise en bien commun, elle a vidé de sa portée la présomption de mandat de gestion courante que le législateur avait créée en 1982 au profit du conjoint collaborateur afin qu'il ne soit pas assimilé à un gérant de fait en cas de faillite. De plus, elle a posé de nouvelles règles d'obligation au passif (articles 1413 à 1415 et 1418 du Code civil) aux termes desquelles les dettes nées pendant la communauté, contractées par l'un ou l'autre des époux, peuvent toujours être poursuivies sur les biens communs, sauf fraude du débiteur ou mauvaise foi du créancier.

Un autre problème est celui du cautionnement solidaire : les banques y recourent pour garantir les dettes de l'entreprise artisanale, en se livrant même parfois à une sorte de chantage auprès du conjoint (si ce dernier refuse d'apporter son cautionnement ou hésite à le faire, c'est que la viabilité de l'entreprise est douteuse et donc une éventuelle avance bancaire serait bien hasardeuse...).

Le recours à cette pratique met les conjoints d'artisans dans des situations parfois très délicates alors même qu'existent d'autres solutions, comme les garanties (nantissement, hypothèque) sur les biens de l'exploitation. Aussi votre Délégation estime-t-elle indispensable d'améliorer la protection juridique et financière du conjoint.

Elle croit enfin nécessaire d'attirer l'attention sur la situation des conjoints des membres des professions libérales, qui reste plus précaire que celle des autres conjoints collaborateurs, bien que la loi n° 87-588 du 30 juillet 1987 ait ouvert la voie à la reconnaissance sociale du travail des intéressés (possibilité de se constituer une retraite personnelle partielle sur la base d'une assurance volontaire).

D'une manière générale, votre Délégation regrette le traitement par trop catégoriel réservé par le droit français aux conjoints qui participent à l'entreprise familiale et souhaiterait que l'on réfléchisse à la possibilité d'une approche plus globale.

3. Les rôles respectifs du législateur et de la négociation sociale

La proposition de loi de Mme Catherine Génisson a conduit votre Délégation à se poser deux questions :

a) Est-il indispensable, pour améliorer l'égalité professionnelle entre hommes et femmes, de compléter l'arsenal législatif existant ?

Des auditions auxquelles elle a procédé, votre Délégation a retenu que la loi Roudy était généralement considérée comme une bonne loi. Une loi qui a même été qualifiée devant elle par une représentante syndicale " d'une des meilleures lois en matière d'égalité entre hommes et femmes par sa globalité "... mais aussi " d'une des lois les plus mal appliquées par sa complexité ".

Votre Délégation estime, à l'issue de sa réflexion, que la priorité devrait être à l'utilisation des moyens légaux et réglementaires existants. Les partenaires sociaux disposent d'un arsenal qui paraît assez complet mais y recourent insuffisamment. Est-il raisonnable dès lors de faire peser de nouvelles obligations sur les entreprises alors que le dispositif de la loi Roudy demeure peu ou mal appliqué ? A trop compliquer les textes, on encourt le risque d'en compromettre d'entrée de jeu l'application.

En outre, il est apparu contestable à votre Délégation d'assortir l'obligation annuelle de négocier sur l'égalité professionnelle -d'autant que sa formulation est floue- d'une sanction pénale. Est-ce avec la création de nouveaux délits que l'on fera progresser l'égalité professionnelle... ?

Enfin, quitte à légiférer sur l'égalité professionnelle, il aurait sans doute été plus pertinent de joindre au texte les dispositions qui seront prochainement proposées au Parlement dans le cadre du projet de loi sur la modernisation sociale et qui, par leur objet, touchent à l'égalité entre hommes et femmes, qu'il s'agisse de la validation des acquis professionnels ou de la transposition de la réglementation communautaire sur le travail de nuit 9 ( * ) ou sur l'aménagement de la charge de la preuve en matière de discrimination en fonction du genre 10 ( * ) , transposition à laquelle la France doit procéder d'ici janvier 2001.

b) Faut-il préférer la loi à la négociation collective ?

L'égalité professionnelle a été retenue parmi les neuf thèmes qui, selon un accord du 3 février 2000, seront examinés, à l'initiative du MEDEF, dans le cadre paritaire de la " refondation sociale ". Elle devrait être abordée par les partenaires sociaux au cours du second semestre 2000.

Il ne faudrait pas que l'intervention du législateur vienne gêner, contrarier, la négociation paritaire, grief dont elle a déjà fait l'objet pour la réduction du temps de travail.

Aussi aurait-il été préférable de différer la discussion de la proposition de loi de Mme Catherine Génisson. Son report aurait en outre permis au Parlement d'examiner en même temps, souhait déjà exprimé, les mesures législatives de modernisation sociale qui sont envisagées et qui concernent l'égalité professionnelle.

Mais s'il n'appartient pas au législateur de se substituer à la négociation sociale, il n'est pas étranger à sa vocation d'intervenir en amont pour favoriser la qualité du dialogue social, laquelle passe, notamment, par un meilleur équilibre entre les sexes dans les instances de concertation. A l'image de la loi allemande de 1972 ( v. supra ) qui assure aux femmes, dans les structures de représentation du personnel, une présence proportionnelle à leur importance dans l'entreprise, une loi pourrait être mise en chantier pour renforcer la place des femmes dans toutes les instances de représentation des salariés. Les femmes auraient ainsi plus de chances de voir leurs préoccupations prises en considération, la législation sur l'égalité professionnelle mise en oeuvre dans le fonctionnement de l'entreprise, et un terme mis à ce que certains appellent la " culture mâle d'entreprise ".

Les évolutions seront plus faciles si les femmes sont davantage associées au processus de négociation. Améliorer leur place dans le dialogue social suppose aussi de favoriser leur égal accès aux élections professionnelles et organismes consulaires et à l'activité syndicale.

Le Premier ministre a saisi, le 8 mars dernier, le Conseil économique et social d'une étude sur la présence et la place des femmes dans les instances économiques et sociales et dans le dialogue social. Votre Délégation s'en félicite et souhaite que la réflexion du Conseil débouche sur des initiatives intéressantes pour améliorer la place des femmes dans les lieux de concertation et de décision.

S'agissant du cas particulier des organisations syndicales et devant l'impossibilité pour le législateur de leur imposer la parité pour le choix de leurs représentants, votre Délégation juge intéressante la suggestion du rapport Génisson de moduler les crédits de formation qui leur sont accordés par l'État en fonction de la prise en compte de l'objectif de mixité. Elle regrette que l'occasion de la proposition de loi n'ait pas été saisie pour débattre de cette question.

* 3 B. Majnoni d'Intignano - " Le sexe médiateur ".

* 4 M. Maruani et C. Nicole - " Au labeur des dames, métiers masculins, emplois féminins ".

* 5 Voir notamment l'enquête parue dans le journal " Elle " en novembre 1999.

* 6 B. Majnoni d'Intignano - " Le sexe médiateur ".

* 7 Chiffres cités, lors de leur audition, par les représentants de l'Union professionnelle artisanale (UPA).

* 8 Conjoints salariés d'une entreprise individuelle ou d'une société soumise à l'impôt sur le revenu.

* 9 La directive européenne de 1976 sur l'égalité entre les hommes et les femmes autorise le travail de nuit des femmes. La législation française, pour l'heure, l'interdit sous réserve de dérogations (article L. 213-1 du Code du travail). La Commission de Bruxelles a demandé en avril 1999 que la France soit condamnée sous astreinte pour maintien de cette législation.

* 10 Transposition d'une directive européenne du 15 janvier 1997.

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