III. LE POINT DE VUE DES INDUSTRIELS
A. AUDITION DE M. PIERRE LE SOURD, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SCIENTIFIQUES, PHARMACEUTIQUES ET MÉDICALES DU SYNDICAT NATIONAL DE L'INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE (SNIP)
M. Pierre LE SOURD - Monsieur le
Président,
Mesdames et Messieurs les sénateurs, l'objet de cette audition est de
présenter très brièvement les applications du principe de
précaution appliqué au domaine du médicament. En d'autres
termes, comment l'industrie pharmaceutique applique les règles et
contrôles spécifiques dont elle est l'objet concernant
précisément la mise en oeuvre de ce principe de précaution.
Le principe d'Hypocrate : "
Primum non nocere
" est
censé dans l'acte thérapeutique de tout médecin
s'être à juste titre transformé en une évaluation
scientifique pluridisciplinaire et indépendante du rapport
bénéfice/risque, évaluation qui, tout au long de la vie du
médicament, apporte au consommateur une information
éclairée.
Dans ce process, l'industrie pharmaceutique associée aux experts du
corps médical et pharmaceutique, et sous le contrôle des
autorités réglementaires françaises et européennes,
suit des procédures très précises. L'industrie, dans un
souci de santé publique et d'harmonisation, en a d'ailleurs souvent
été l'initiatrice.
Pour le médicament, il faut distinguer les étapes de recherche de
celles de développement et de commercialisation. Sur le fond,
l'innovation est difficile à encadrer d'une réglementation quelle
qu'elle soit, la recherche fondamentale dans ses phases précoces ne
saurait être censurée.
C'est sur les moyens utilisés par la recherche que la prudence s'impose,
ainsi que sur l'application de la découverte qui en est issue. On
comprend bien, dès lors, que le principe de précaution dans la
recherche médicale et d'application est limité, même si
l'impact qu'une découverte peut éventuellement avoir
auprès du grand public doit être pris en compte.
Résumons cette philosophie du principe de précaution
appliqué à la recherche fondamentale par cette phrase d'Hubert
Curien :
" Soyons originaux en restant
prudents
!
". Fondamentalement différent dans ses
modalités et sa rigueur, le principe de précaution concernant
toute nouvelle substance susceptible de devenir un médicament et entrant
en phase de développement préclinique puis clinique est largement
appliqué et selon un niveau d'exigences peu critiquable.
Au plan de l'expérimentation sur l'animal, les étapes
précliniques, analytiques, toxicologiques, pharmacologiques concernent
les différents tests de laboratoire, et lors de cette étape,
l'expérimentation doit avoir des règles de bonne pratique de
laboratoire.
Au plan de l'expérimentation clinique chez l'homme, le Comité
Consultatif de Protection des Personnes dans la Recherche Biomédicale,
le CCPPRB, est un comité indépendant prévu par le code de
santé publique qui se prononce sur les conditions de validité de
l'essai envisagé au regard de la protection des personnes participant
à l'essai, leur information et les modalités de recueil de leur
consentement. Il se prononce également sur la pertinence
générale du projet et l'adéquation entre les objectifs
poursuivis, les moyens mis en oeuvre et la qualification du ou des
investigateurs.
M. Charles DESCOURS - Nous n'avons pas le temps malheureusement
de parler longuement, durant cette journée, du principe de
précaution mais vous, les industriels pharmaceutiques, le SNIP,
avez-vous des relations confiantes avec l'Agence de Sécurité
Sanitaire des Produits de Santé ?
Considérez-vous que les autorisations de mise sur le marché sont
données dans des délais suffisamment brefs, etc. ?
Que pense le SNIP du fonctionnement actuel des autorisations de mise sur le
marché, du rôle de l'AFSSAPS et de l'ensemble du dispositif de
sécurité sanitaire ?
M. Pierre LE SOURD - Sans trahir ce que pense le
Président du SNIP, je pense que nous ne pouvons que porter un jugement
favorable sur le mode de fonctionnement de l'Agence Française, sur le
fait que les procédures centralisées à Bruxelles sont
très efficaces.
M. Claude HURIET - Sur l'organisation des vigilances, la
question qui nous mobilise ne concerne pas seulement le fonctionnement de telle
ou telle agence, voire même de tel ou tel département, mais
l'ensemble du dispositif.
Nous avons cherché à optimiser le fonctionnement des institutions
qui préexistaient à la loi, à donner plus de
cohérence, d'efficacité, tout cela a été dit
maintes fois. Il y a l'appréciation que vous portez sur l'Agence avec
laquelle les contacts doivent être quotidiens, mais l'ensemble du
dispositif tel que vous le percevez a-t-il gagné en cohérence, en
efficacité ?
Et si non, quelles sont les observations et les remarques que vous pourriez
formuler pour améliorer le fonctionnement du dispositif actuellement en
place ?
M. Pierre LE SOURD - En matière de pharmacovigilance, je
pense qu'un dispositif s'est progressivement mis en place. Le risque
zéro n'existe pas mais la rigueur du dispositif de pharmacovigilance, le
fait que, de français, il soit devenu européen, le fait que par
le Net il se mondialise et qu'à un instant t une collection d'effets
indésirables de n'importe quelle agence sera mondialement mise à
la disposition des autres agences et de l'ensemble des partenaires est un
progrès considérable par rapport à l'objectif global de
santé publique.
Le médicament est très encadré, il n'est pas question de
nier le fait que le médicament par définition a un rapport
bénéfice/risque et qu'il sera toujours impossible
d'éliminer par définition le risque inhérent au
progrès thérapeutique.
Cependant, même si nous devons être vigilants au fait que ces
systèmes ne soient pas trop contraignants, ne soient pas assortis d'une
bureaucratie excessive et ne retardent pas la mise à disposition du
médicament auprès du grand public, ces systèmes
aujourd'hui ont considérablement gagné en efficacité par
rapport à l'objectif de sécurité auquel vous faites
allusion.
M. Charles DESCOURS - Je rappelle à nos collègues,
qui se sont déplacés avec nous aux Etats-Unis, que nous avons vu
des laboratoires se plaindre que la FDA avait parfois des délais de
délivrance d'AMM très longs. Aujourd'hui, y a-t-il des
problèmes de délais d'AMM pour les industriels en France ou en
Europe ?
M. Pierre LE SOURD - Par définition, dès lors
qu'ils sont convaincus de la qualité de leur molécule, les
industriels souhaitent pouvoir la mettre sur le marché de façon
mondiale simultanément dans tous les pays. C'est un objectif
légitime. Les progrès qui ont été faits, notamment
par le biais de l'Agence ou de l'institution de la procédure
centralisée, sont indiscutables puisqu'un timing très
précis est respecté.
Les autorisations de mise sur le marché par le biais de la
reconnaissance mutuelle sont plus longues, plus complexes, et ne
prévoient pas la mise sur le marché du produit
simultanément dans tous les pays. Il existe certes des retards parce que
les dossiers ne sont pas tous aussi limpides et faciles à évaluer
que nous le souhaiterions, mais globalement, à part quelques exceptions,
je pense que les délais de mise sur le marché ont fait des
progrès, même si encore une fois il faut être très
vigilant pour essayer de raccourcir au maximum ces délais.
M. Claude HURIET - J'évoquais un de nos objectifs
concernant la lisibilité de l'ensemble de la nouvelle organisation mise
en place après 1998 ; le médicament a pu y perdre parce
qu'avant la mise en place de la loi de juillet 1998 l'Agence du
Médicament était pour vous l'interlocuteur naturel unique, tout
au moins concernant la qualité, la sécurité et la
procédure d'AMM, en mettant de côté l'économie du
médicament. Or, désormais le département du
médicament se trouve inscrit dans un organisme plus large qui couvre
l'ensemble des produits de santé.
Du point de vue de la lisibilité, de l'efficacité, des contacts
directs que vous pouvez avoir avec la nouvelle agence, considérez-vous
que vous n'y avez rien perdu ou au contraire avez-vous rencontré
davantage de lourdeur, ce qui nous désolerait parce que tout ce que nous
avons fait allait dans le sens opposé ?
M. Pierre LE SOURD - Il faut rappeler que l'objectif de
l'industrie pharmaceutique est d'avoir le maximum d'informations et le maximum
de rigueur car lorsque vous dépensez des centaines de millions de
dollars pour développer un médicament, vous êtes
extrêmement soucieux de son bon usage et du fait que l'information soit
extrêmement rigoureusement collectée.
Il y a là un combat commun entre les autorités de tutelle et les
industriels par rapport à la sécurité, nous par rapport
à l'investissement, et vous, en tant que responsables de la santé
publique, et c'est là un objectif commun.
Je ne crois pas que le dispositif mis en place trouble les industriels ou soit
considéré par ces derniers comme un obstacle à
l'innovation et certainement pas comme un obstacle au bon usage du
médicament qui est le principal objectif d'un industriel.
M. LE PRÉSIDENT - Dans la continuité de ces discussions
pourrions-nous demander à MM. Dumont et Scherrer de donner la position
de leur secteur industriel ?
Nous sommes sur l'appréciation des conséquences de la loi sur les
entreprises.
B. AUDITION DE M. JACQUES DUMONT, PRÉSIDENT DU SYNDICAT NATIONAL DE L'INDUSTRIE DES TECHNOLOGIES MÉDICALES (SNITEM)
M. Jacques DUMONT - J'ai éliminé
une
partie de ma présentation qui était un peu redondante avec ce qui
s'est dit ce matin parce que le domaine des matériaux médicaux et
des technologies médicales est un domaine peu connu. Je voudrais
préciser quatre points qui nous différencient de la pharmacie.
D'une part, la composante industrielle : sur les 200 entreprises du secteur, la
moitié de nos industriels a entre 20 et 50 employés, il y a des
personnes très pointues sur des domaines très spécifiques,
tels que l'orthopédie, et des grandes multinationales, donc un
mélange très varié d'industriels.
D'autre part, il existe une extrême
hétérogénéité du domaine ; c'est un domaine
très complexe, car là où il existe 3.500 molécules
en pharmacie, nous avons plus de 70.000 produits qui vont de l'imagerie en
passant par la seringue, le pacemaker... L'éventail est
considérable.
Concernant la durée de nos produits, lorsque nous déposons une
molécule, en pharmacie nous sommes couverts pour plusieurs
années. Nos dispositifs sont des dispositifs liés à un
ingénieur, à un technicien, qui font en permanence l'objet
d'évolutions ; un produit peut être obsolète en 6 mois
dans certains domaines très pointus. La moyenne se situe entre 6 mois et
2 ans, cela suppose que les processus qui seront mis en place n'aillent pas
au-delà de la durée normale du produit lui-même, sinon on
butera en permanence contre des délais qui seront insurmontables.
Le dernier point qui nous différencie de la pharmacie est le fait que
nos produits sont totalement dépendants des utilisateurs,
c'est-à-dire qu'ils sont dans la prolongation des mains des chirurgiens,
des praticiens, des infirmières et qu'à partir de ce moment,
même si le produit est bien conçu, il pourra être
éventuellement mal utilisé si la formation et l'information n'ont
pas été bien faites ou s'il est utilisé dans de mauvaises
conditions.
Notre préoccupation, lorsque l'AFSSAPS a été
créée, était de rentrer dans un domaine où la
culture pharmaceutique était très implantée et de se dire
:
" on va essayer de nous faire entrer dans un entonnoir qui ne
correspondra pas à nos technologies et nous allons nous heurter à
des impossibilités de fonctionnement ou à des demandes excessives
en matière de sécurité et de risque qui vont nous conduire
à l'échec total, l'échec du développement de
nouvelles technologies, l'échec de sortie de nouveaux produits sur le
marché, etc. ".
Nous avons eu un gros travail d'enseignement et
d'échanges avec l'Agence.
M. Charles DESCOURS - Et avec le législateur, je le
rappelle ; nous vous avons beaucoup vu pendant la rédaction de la
loi.
M. Jacques DUMONT - Nous avions affaire à des hommes de
l'art qui connaissaient bien ce domaine. Il y a eu beaucoup de travail à
l'origine, mais également après avec les personnes qui mettent
actuellement cette Agence en place et qui travaillent sur ces projets. C'est
encore assez difficile parce qu'on a tendance à appliquer aux
dispositifs des règles qui étaient celles de la pharmacie.
Toutefois, je pense que les choses s'améliorent, que les contacts
permanents que nous avons avec l'Agence permettent de mieux faire passer les
messages et de mieux comprendre notre problématique.
Certains points méritent encore un éclairage, notamment le
décret qui va sortir sur les produits à risques particuliers.
Nous avions été consultés sur un premier texte qui
était totalement inacceptable pour l'industrie, parce que certains
matériels pouvaient être dangereux lorsqu'ils étaient mis
sur le marché en utilisation normale, ce qui allait à l'encontre
de la réglementation européenne et du marquage CE.
Des échanges intéressants et nourris ont eu lieu, et nous avons
pu obtenir des modifications. Il faut dire que ce qui, à l'origine,
devait être une AMM, est devenue une déclaration, ce qui veut dire
que pendant un délai de trois mois l'Agence aura à statuer sur le
contenu des études cliniques et sur le contenu du dossier.
Mais là aussi nous nous sommes battus, parce que le dossier
demandé à l'origine était d'une complexité
incroyable, c'était presque à l'identique du dossier de marquage
CE, c'est-à-dire un bon mètre cube de papier, et je ne voyais pas
comment l'Agence pouvait s'en sortir sinon en recertifiant un produit, ce qui
me semblait aberrant.
M. Claude HURIET - Ce qui n'était pas dans l'esprit de la
loi !
M. Jacques DUMONT - Voilà, il y a, dans le marquage CE,
des analyses de risque très pointues qui, par un travail entre les
experts, les expérimentateurs, nos techniciens et ingénieurs,
permettent de déterminer les risques potentiels d'un produit, à
savoir s'il est mal utilisé ou si un embout ne va pas avec un
branchement etc., toutes choses qui sont très dangereuses pour le
patient.
Une analyse de risques très sérieuse est faite dans le dossier,
reprenons cette analyse et je pense que l'Agence pourra facilement
statuer ; en tout cas le délai de trois mois est là et il a
été mis en place.
D'autres points ont été évoqués dans la loi et
n'ont pas encore fait l'objet de décrets d'application, ce sont les
problèmes de maintenance des matériels. L'expérience que
nous avons eue avec le bug de l'an 2000 a mis en évidence la
méconnaissance du parc de matériel installé dans les
hôpitaux et surtout du niveau de maintenance de ces matériels. En
effet, des matériels sont là depuis 5, 10 ou 15 ans sans que
l'industriel, dont c'est la responsabilité, n'ait pu intervenir parce
que des tiers, ou l'hôpital lui-même, peuvent intervenir sur la
maintenance. Je pense donc que le décret qui sortira situera bien les
responsabilités et éclaircira aussi le champ dans ce domaine.
Un autre point très important est un article paru dans l'avant-projet de
PLFSS 2000 concernant la possibilité de sélectionner, pour des
technologies innovantes, des centres d'expertise, des personnes bien
formées. Malheureusement, cet article a
" sauté " ; Mme Gillot nous a confirmé que ce
texte réapparaîtrait dans la loi de modernisation qui passera sans
doute en juin à l'Assemblée.
M. Charles DESCOURS - Nous verrons au mois de juin.
M. Jacques DUMONT - Pour l'instant, des innovations restent
à la porte parce qu'on ne veut pas prendre le risque de lancer sur le
marché, utilisables par tout le monde, des technologies innovantes
requérant une formation et un environnement spécifique.
Nous sommes tous partie prenante, les industriels sont d'accord sur ce
point : plutôt que de laisser une technologie à
l'extérieur de l'hexagone, peut-être faut-il mieux l'encadrer afin
qu'elle apparaisse au moins sur le marché pour la juger.
C. AUDITION DE M. VICTOR SCHERRER, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION NATIONALE DES INDUSTRIES AGRO-ALIMENTAIRES (ANIA)
M. Victor SCHERRER - Je vais aller à
l'essentiel. Tout d'abord, nous nous réjouissons de la création
et de la mise en place de l'Agence Française de Sécurité
Sanitaire des Aliments. Vous savez à quel point nous avions craint
à une époque qu'il y ait un amalgame : pour nous, l'aliment
est l'aliment et le médicament est le médicament.
L'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments,
l'AFSSA, va dans le bon sens, mais nous avons un certain nombre de
préoccupations. Ces préoccupations sont liées à des
enjeux majeurs : 816 milliards de francs sont en jeu, nous sommes la
première industrie française, la première industrie en
Europe. Lorsque les Allemands ont fait la réunification, l'industrie
alimentaire allemande est devenue la première mais actuellement nous
devançons à nouveau l'Allemagne de près de
120 milliards de francs , nous avons la première part de
marché mondial devant les U.S.A, nous sommes des producteurs de valeur
ajoutée et les porteurs du modèle alimentaire français,
c'est-à-dire que nous voulons allier nutrition, goût, plaisir,
variété et sécurité.
Face à ces enjeux, l'Agence répond à un certain nombre de
besoins, parce qu'à l'heure où je vous parle, X dizaines de
millions de consommateurs dans le monde achètent des produits
français et votent donc en notre faveur. Mais, si la
sécurité alimentaire de nos produits est mise en cause, nous
allons assister à une crise de confiance qui va se déplacer du
consommateur français au consommateur mondial, nous l'avons vu au Japon
et même en Chine récemment, c'est un vrai problème.
L'Agence est mise en place, nous nous en réjouissons, son
périmètre est bien l'aliment et non le médicament. Cela va
dans le bon sens mais c'est un peu lent, le coeur du système n'est pas
encore mis en place, les comités d'évaluation non plus et j'ai
dit hier à M. Chevassus et M. Glavany que c'était un
peu long et que nous aimerions que cela aille plus vite.
Il est surtout important de bien distinguer le rôle d'expertise et
d'évaluation et le rôle de gestion des risques, et que l'Agence
reste bien dans son rôle d'expertise et d'évaluation. La gestion
du risque est une affaire qui est donnée aux politiques, c'est une
affaire dans laquelle d'autres facteurs entrent en jeu, et nous le voyons
actuellement avec l'ESB. Il y a eu des tentatives de dérapage, des
tentations ou des maladresses mais, dans l'ensemble, ce principe est bien en
place.
Par contre, le rôle de l'expert n'est pas bien reconnu. Il y a deux ans,
en ce lieu, j'avais eu l'occasion de vous dire à quel point le vrai
débat sur l'expertise scientifique en France était
escamoté. Constater que lorsqu'un scientifique passe du temps et de
l'énergie sur l'expertise, il ne valorise pas sa carrière, nous
pose un problème. Or, nous avons besoin plus que jamais, que ce soit au
Codex Alimentarius, à l'OMC, dans les panels ou les disputes qui ne
manqueront pas de se multiplier, d'une très bonne expertise
française.
Nous insistons beaucoup sur la revalorisation, dans la carrière d'un
scientifique, du temps et de l'énergie qu'il passe sur l'expertise. Je
suis frappé de voir dans des grandes réunions internationales la
faiblesse, non pas qualitative, mais quantitative de notre expertise parce que
nous n'avons pas les moyens, nous n'avons pas eu le temps, nous n'avons pas
trouvé les hommes etc.
Par ailleurs, nous avons des outils fantastiques, il y a donc une
sous-optimisation à laquelle nous aimerions voir trouver remède.
Au plan des 4.200 entreprises, grosses, petites et moyennes de la
première industrie alimentaire mondiale, l'expertise est
considérable. C'est une expertise que nous voulons mettre à la
disposition de l'Agence tout en sachant que celle-ci, qu'elle soit individuelle
ou collective, ne doit jamais décrédibiliser l'Agence.
Nous voulons être des fournisseurs d'informations, nous voulons suivre un
dossier ; en revanche, au moment de la décision, nous
considérons que les experts venant de l'industrie n'ont pas à
être pris en compte sinon dans les informations qu'ils ont
apportées. Nous devons participer au processus en tant qu'observateurs
et fournisseurs de données. Il n'est pas possible qu'une entreprise se
retrouve au bout d'un an et demi devant une décision dont elle n'aura
pas pu enrichir le processus.
Enfin, les associations de consommateurs peuvent saisir l'Agence, tandis que
nous, industriels, ne pouvons pas la saisir. On m'a dit
" créez
une association factice de consommateurs et vous pourrez saisir
l'Agence "."
. Non, nous voulons pouvoir saisir l'Agence !
M. Glavany nous a proposé hier une solution pragmatique en
disant :
" Saisissez-moi et je saisirai l'Agence ."
.
Nous allons formellement dans certains cas saisir le ministre lorsque cela nous
paraîtra essentiel. Cela dit, il ne nous semble pas normal que les
principaux acteurs de la première industrie française ne puissent
pas saisir l'Agence de Sécurité Sanitaire des Aliments.
Nous nous réjouissons de la création d'une Autorité
européenne de sécurité sanitaire des aliments. Nous sommes
en faveur des simplifications, mais nous ne pensons pas qu'elles doivent
être réductrices, aussi nous ne pensons pas qu'il faille
actuellement fondre l'AFSSA dans une agence européenne. Nous pensons, au
contraire, que l'autorité européenne doit s'inspirer de ce qui
est fait par l'AFSSA, en particulier sur le périmètre,
c'est-à-dire l'aliment, tout l'aliment et rien que l'aliment.
Ensuite, il faut mettre cette articulation sous forme de réseau,
c'est-à-dire que l'autorité européenne puisse puiser dans
les meilleures compétences de l'Agence Française et enfin, au fur
et à mesure, à force de travailler ensemble, que les avis de
l'Autorité européenne aient une prééminence
très nette sur les avis français. Et nous verrons plus tard.
N'allons pas trop vite dans ce domaine, donnons à l'AFSSA qui va dans le
bon sens, toutes ces prérogatives, mettons la bien en réseau avec
l'autorité européenne, qu'elle s'en inspire et ensuite que ces
personnes travaillent en réseau, qu'il y ait une
prééminence et après nous verrons.
M. Charles DESCOURS - Ces exposés étaient
très intéressants ; je n'ai pas de questions
particulières à poser ni à M. Le Sourd ni à
M. Dumont, mais j'ai une remarque à faire à
M. Scherrer
.
Nous avions sous-estimé le problème des dispositifs
médicaux dans notre première rédaction. Je suis de ceux
qui considèrent que le lobbying est positif au moment de la
rédaction de la loi, et nous avons vu celui du ministère de
l'Agriculture qui était un des plus forts que nous ayons eu à
subir. Votre lobbying nous a montré ce que pouvait entraîner pour
votre industrie ce que nous étions en train de faire.
Concernant ce que vous avez évoqué, Monsieur Scherrer, nous
n'avions pas ressenti le fait que vous n'aviez pas le pouvoir de saisir
l'Agence, parce que vous ne l'aviez pas montré. Nous ne réglerons
pas cela en cinq minutes mais vous avez posé là une vraie
question dont nous aurions peut-être dû débattre ; nous
ne l'avons pas fait parce que nous n'avons pas senti cela. Ce n'est pas pour
nous dédouaner, mais ce que vous avez dit m'a semblé
intéressant, nous ne l'avions pas vu au moment de la rédaction de
la loi.
M. Claude HURIET - J'ai été très
intéressé par vos propos et la spontanéité de
ceux-ci, vous nous avez permis d'être au coeur du sujet de cette
journée.
Dans son introduction, M. Scherrer a dit :
" le médicament
n'est pas un aliment et réciproquement "
et je le remercie
d'avoir cité cette phrase forte puisque c'est la justification
même du dispositif que nous avons eu quelquefois quelque peine à
mettre en place, à savoir deux agences et non une. Il est important, au
stade où nous en sommes, d'avoir deux agences, avec une asymétrie
sur laquelle je reviendrai.
Vous avez évoqué les lenteurs dans la publication de certaines
dispositions réglementaires, vous avez pu interroger M. Glavany
pour lui faire part des conséquences de cette lenteur, et M. Dumont
a également évoqué quelques-unes de ces
conséquences.
Vous dites : "
il faut maintenir la différence entre le
rôle de l'Agence, l'expertise, l'évaluation, la gestion
étant du ressort des politiques "
et sur ce point je ne suis
pas d'accord. Je l'ai déjà dit maintes fois et en particulier
pour l'aliment, le dernier argument en date que je fais valoir est qu'au moment
où le Comité Dormont, en tant qu'expert de l'AFSSA, s'est
prononcé en rendant un avis différent de celui rendu au plan
européen, on a constaté que le politique, qui s'est donc
réservé le pouvoir de gestion des crises, avait suivi l'avis des
experts peut-être contraint et forcé.
Je crois que ce cas de figure, qui était particulièrement
dramatique, montre bien qu'il y a quelque chose d'artificiel à maintenir
cette distinction, d'autant que les agences ne sont pas coupées du
pouvoir politique, les Directeurs Généraux des agences
reçoivent tout de même leur pouvoir du Conseil des ministres.
Sur ce point, je serais d'autant moins d'accord que l'évolution de
l'AFSSA, à travers la mise en place de dispositifs au plan
européen, risque de mettre en question la fonction uniquement
d'évaluation de l'AFSSA.
Vous dites :
" il faudra se plier, au moins dans un premier temps,
à l'autorité des experts de la structure experte
européenne ",
je ne vois pas à quoi ce premier temps
peut correspondre. Si la mise en place de la structure européenne va
dans une sorte de subordination des structures nationales par rapport à
la structure européenne, à coup sûr nous nous poserons
rapidement la question de savoir pourquoi maintenir des structures expertes
nationales.
Le dernier point a été évoqué par Charles Descours
à propos de la saisine de l'AFSSA. Il était intéressant de
voir le rôle fondamental de l'expertise avec tout ce qui avait
été dit précédemment quant à la
difficulté du rôle des experts qui, indirectement, ont un pouvoir
de décision. On ne voit pas le pouvoir de gestion aller à
l'encontre du pouvoir des experts, pour autant que l'expertise soit de
qualité.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Je voudrais revenir sur la
question, qui a été évoquée, de la coexistence des
agences sur le même créneau de compétence à
l'échelon européen et à l'échelon français.
Monsieur Scherrer, vous dites qu'il faut maintenir les deux échelons et
ne pas fusionner des agences. Je voudrais de façon plus simple poser la
question de l'AMM dont les conditions d'obtention ou les critères
d'attribution ne sont pas exactement les mêmes selon qu'il s'agisse de
l'Agence européenne ou de l'Agence française, et je me dis : quid
d'un médicament qui n'obtient pas l'AMM en France et qui l'obtient
à Bruxelles ? Quel est le champ territorial de vente ?
N'allons-nous pas vers des difficultés qui vont se
généraliser avec des avis différents entre lesquels nous
devrons trancher ?
Ma deuxième question s'adresse à M. Le Sourd et concerne le
financement de l'Agence des produits de santé. M. Duneton nous a
dit ce matin que son budget était de 579 millions de francs, qu'il
était abondé à 40 % par l'Etat et, bien qu'il ne
l'ait pas dit, nous savons que le reste vient de l'industrie pharmaceutique.
Nous étions un certain nombre à travailler sur cette loi et
quelques-uns s'inquiétaient un peu du lien financier étroit
existant entre cette Agence, qui existait d'ailleurs au préalable avec
l'Agence du Médicament, et l'industrie pharmaceutique. Je voudrais avoir
votre avis sur l'indépendance de l'Agence et sa parfaite autonomie
lorsqu'il s'agit de délivrer une AMM.
M. Alain GOURNAC - Monsieur Scherrer, l'expertise de votre
profession est connue, mais je crois qu'on ne peut pas être juge et
partie et qu'il faut faire attention. Je pense qu'il faut laisser la
décision aux experts de l'Agence parce que, sinon, elle ne sera pas
respectée. C'est ainsi, nous sommes en France. Il faut qu'elle soit
respectée par tous et d'ailleurs également par votre profession.
J'ai souhaité que l'Agence soit vraiment indépendante pour qu'il
n'y ait pas de discussion possible.
Vous parlez de
" pression de la politique " : surtout
pas, Monsieur Scherrer, ni la politique ni le Gouvernement, il faut que cette
Agence soit libre et indépendante pour qu'elle soit respectée.
M. Pierre LE SOURD - L'objectif de la procédure
européenne est de permettre l'accès à l'innovation
simultanément dans tous les pays de l'Union européenne et c'est
un progrès majeur. L'accès à l'innovation dont nous avons
parlé, par rapport à cet objectif de mondialisation de
l'information, est un véritable souci, nous avons du mal à
imaginer qu'un produit innovant soit disponible en Europe et ne le soit pas aux
Etats-Unis et vice versa.
De ce point de vue, la procédure européenne est un
véritable progrès ; la procédure
décentralisée, qui est amenée à disparaître,
concerne beaucoup moins les produits d'innovation qui sont ceux dont nous
parlons aujourd'hui.
La contribution de l'industrie pharmaceutique au bon fonctionnement de l'Agence
a été soutenue par l'industrie, et cela doit rester très
raisonnable. Ce n'est pas le rôle des industriels de financer l'Agence
au-delà d'un pourcentage de son budget qui doit rester très
limité.
L'indépendance de l'Agence est indiscutable, même si la presse se
fait l'écho de la capacité de lobbying de certaines firmes
pharmaceutiques auprès de certains experts ; fondamentalement, il
n'y a pas de doute possible quant au fait que l'Agence est irréprochable
dans sa capacité de porter une évaluation sur la
sécurité et l'efficacité d'un nouveau médicament
sans aucune influence.
M. Victor SCHERRER - Je voudrais revenir sur cette notion
d'évaluation et de gestion des crises.
La dioxine est arrivée, les scientifiques se prononçaient plus ou
moins, nous ne savions pas où nous en étions et, le samedi matin,
la DGCCRF a rendu un avis. Si nous avions appliqué l'avis, le lundi
matin toutes les routes de France et de Navarre auraient été
bloquées par des camions, et toutes nos flottes de camions n'auraient
pas suffi à reprendre nos produits dans les linéaires de la
grande distribution ; c'était irréalisable. C'est ça,
la gestion de crise, c'est : "
que faisons-nous le lundi
matin
? ".
Le lundi matin nous nous sommes réunis au ministère de
l'Agriculture avec Mme Lebranchu, nous avons simplement essayé de
traduire cet avis en possibilité de gestion de la crise et nous y sommes
arrivés. Il y a eu des avis scientifiques -pour autant que l'on puisse
les avoir très rapidement- il y a eu le politique qui est en charge d'un
bien commun qui nous dépasse, et il y a eu l'industriel. Je voulais dire
qu'à certains moments, l'expertise scientifique et l'évaluation
du risque ne peuvent pas déborder et devenir gestionnaires du risque.
C'est très dangereux, et je ne suis pas sûr que l'Agence le
souhaite.
M. Charles DESCOURS - Nous avons regardé depuis quelque
temps ce qui s'est passé ; nous souhaitons que l'Agence parle, et
non le ministre de l'Agriculture, avant le ministre de la Santé parce
que nous avons assisté à quelques cacophonies gouvernementales
très regrettables.
Vous devez savoir, Monsieur Scherrer, ainsi que les industriels, que, pour
nous, celui qui doit parler à l'opinion est bien l'Agence. Nous avions
un peu critiqué M. Kouchner en lui disant qu'il s'était
laissé déborder par le ministre de l'Agriculture dans l'affaire
de la
vache folle
, la fois suivante, Mme Gillot est intervenue la
première à la télévision et ensuite, il y a eu
M. Glavany... Nous voyons que cela donne des cacophonies terribles ;
recentrons les choses sur l'Agence et cela évitera ces
dysfonctionnements très préjudiciables à la bonne gestion
des crises.
M. Victor SCHERRER- C'est notre état d'esprit, nous
considérons actuellement que la lenteur de mise en place de certaines
instances vient du fait que les ministères ont trop d'importance. Les
personnes de l'Agence elles-mêmes et d'autres ont envie, dans leur
domaine, de pouvoir mieux gérer leur boutique. Nous sommes à
100 % d'accord. Je parlais ici de la gestion presque économique de
la crise.
Madame Dieulangard, comment voulez-vous qu'une instance unique à
Bruxelles puisse gérer des questions spécifiques sur le
Camembert, le Munster, l'Epoisse etc. ?
Ils n'ont pas actuellement la capacité d'appréhender le
modèle alimentaire français comme nous. Nous voulons un temps
d'acclimatation pour permettre de traiter des questions liées aux
terroirs. Le mot terroir est intraduisible en anglais ; nous
représentons 4.250 entreprises, dont les multinationales et les PME,
nous raisonnons en termes de Camembert, de Bourgogne, de rillettes, de nougat
etc. : ce sont nos adhérents. Lorsqu'il y a des problèmes
sur ces produits, comment voulez-vous qu'un Belge ou un Allemand puisse rendre
un avis sur le Camembert ?
Quant à l'indépendance, il y a dans notre entreprise des
scientifiques de valeur et vraisemblablement le budget total que nous
dépensons en matière d'expertise scientifique est très
nettement supérieur à celui de l'Agence. Nous demandons
simplement, lorsque l'information scientifique est disponible, qu'elle puisse
être à la disposition de l'Agence.
En outre, je vous l'ai bien dit tout à l'heure, j'insiste sur le fait
que nous ne voulons absolument pas faire partie du processus de
décision. Il est de notre intérêt vital que l'Agence soit
totalement indépendante et que l'on ne puisse en aucune façon
dire :
" Vous voyez, les industriels ont encore fait leur coup ".
Surtout pas ! En revanche, que l'on prenne ce principe et qu'on le
retourne contre nous en disant "
pour ne pas être
suspectés d'influencer des industriels, nous n'utiliserons même
pas la compétence scientifique qui est chez eux
", je crois que
c'est une grave erreur.