Service des Affaires européennes

décembre 2004

PARTIE II

LA CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX DE L'UNION

Commentaire liminaire

Comme il a été indiqué dans le commentaire sur l'article I-7, la partie II de la Constitution reprend le texte de la Charte des droits fondamentaux proclamée lors du Conseil européen de Nice de décembre 2000. Le préambule et l'ensemble des articles de cette partie II doivent donc être considérés comme nouveaux, dans le sens où ils ne reprennent pas des dispositions contenues aujourd'hui dans les traités. Leur libellé n'a en revanche aucun caractère novateur car la Conférence intergouvernementale n'a généralement fait que reprendre les articles dans leur rédaction d'origine, sous réserve des adaptations rendues nécessaires par la Constitution (notamment pour tenir compte de la disparition de la Communauté européenne et, par voie de conséquence, de l'impossibilité de conserver des références au « droit communautaire »). Les seules exceptions, qui donneront donc lieu à commentaires, concernent l'article II-102 (relatif à l'accès aux documents), et les articles relatifs à l'interprétation de la Charte (articles II-111 à II-114, dits articles « horizontaux »), lesquels ont fait l'objet de quelques précisions.

A l'exception des articles horizontaux, les dispositions de cette partie II s'expliquent par leur texte même et n'appellent donc pas de commentaires. Il serait d'ailleurs prématuré de se livrer à toute interprétation sur leur portée avant que la Cour de Justice, appelée à veiller au respect de la partie II par les institutions européennes et par les États lorsqu'ils mettront en oeuvre le droit de l'Union, ait posé les premières pierres de sa jurisprudence en la matière.

Toutefois, aux termes du préambule et de l'article II-112, la Cour de justice, et avant elle le Tribunal de première instance, devront interpréter la partie II au regard des explications qui avaient été rédigées lors de l'élaboration de la Charte des droits fondamentaux. Ces explications sont reprises à la déclaration n° 12 annexée à la Constitution. Cette déclaration précise que « bien que (les) explications n'aient pas en soi de valeur juridique, elles constituent un outil d'interprétation précieux destiné à éclairer les dispositions de la Charte » .C'est pourquoi le texte de ces explications sera rappelé dans les commentaires des articles suivants.

PRÉAMBULE

Les peuples d'Europe, en établissant entre eux une union sans cesse plus étroite, ont décidé de partager un avenir pacifique fondé sur des valeurs communes.

Consciente de son patrimoine spirituel et moral, l'Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d'égalité et de solidarité; elle repose sur le principe de la démocratie et le principe de l'État de droit. Elle place la personne au coeur de son action en instituant la citoyenneté de l'Union et en créant un espace de liberté, de sécurité et de justice.

L'Union contribue à la préservation et au développement de ces valeurs communes dans le respect de la diversité des cultures et des traditions des peuples d'Europe, ainsi que de l'identité nationale des États membres et de l'organisation de leurs pouvoirs publics aux niveaux national, régional et local; elle cherche à promouvoir un développement équilibré et durable et assure la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux, ainsi que la liberté d'établissement.

À cette fin, il est nécessaire, en les rendant plus visibles dans une Charte, de renforcer la protection des droits fondamentaux à la lumière de l'évolution de la société, du progrès social et des développements scientifiques et technologiques.

La présente Charte réaffirme, dans le respect des compétences et des tâches de l'Union, ainsi que du principe de subsidiarité, les droits qui résultent notamment des traditions constitutionnelles et des obligations internationales communes aux États membres, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, des Chartes sociales adoptées par l'Union et par le Conseil de l'Europe, ainsi que de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et de la Cour européenne des droits de l'Homme. Dans ce contexte, la Charte sera interprétée par les juridictions de l'Union et des États membres en prenant dûment en considération les explications établies sous l'autorité du praesidium de la Convention qui a élaboré la Charte et mises à jour sous la responsabilité du praesidium de la Convention européenne.

La jouissance de ces droits entraîne des responsabilités et des devoirs tant à l'égard d'autrui qu'à l'égard de la communauté humaine et des générations futures.

En conséquence, l'Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés ci-après.

Commentaire

Sous réserve d'un aménagement destiné à tenir compte de la disparition de la Communauté européenne, le préambule de la partie II ne contient qu'une seule différence par rapport au préambule de la version d'origine de la Charte : l'obligation pour les juridictions de l'Union et des États membres d'interpréter la Charte « en prenant dûment en considération les explications établies sous l'autorité du Praesidium de la Convention qui a élaboré la Charte et mises à jour sous la responsabilité du Praesidium de la Convention européenne » . Cette ajout, dont la Convention avait pris l'initiative et que la CIG a précisé, trouve son origine dans les craintes d'une interprétation trop extensive de la portée de la Charte exprimées par les conventionnels britanniques : le renvoi à des explications, plaidant à leur yeux en faveur d'une interprétation restrictive, était apparu comme susceptible de rassurer les membres de la Convention les plus réservés sur l'intégration de la Charte dans la Constitution.

TITRE I. DIGNITÉ

Article II-61: Dignité humaine

La dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée.

Explication établie sous l'autorité du Praesidium de la Convention européenne

La dignité de la personne humaine n'est pas seulement un droit fondamental en soi, mais constitue la base même des droits fondamentaux. La Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 a inscrit la dignité humaine dans son préambule: "... considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde". Dans son arrêt du 9 octobre 2001 dans l'affaire C-377/98 Pays-Bas contre Parlement européen et Conseil, rec. 2001, p. 7079, points 70 à 77, la Cour de justice a confirmé que le droit fondamental à la dignité humaine faisait partie du droit de l'Union. Il en résulte, notamment, qu'aucun des droits inscrits dans cette Charte ne peut être utilisé pour porter atteinte à la dignité d'autrui et que la dignité de la personne humaine fait partie de la substance des droits inscrits dans cette Charte. Il ne peut donc y être porté atteinte, même en cas de limitation d'un droit.

Article II-62: Droit à la vie

1. Toute personne a droit à la vie.

2. Nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté.

Explication établie sous l'autorité du Praesidium de la Convention européenne

1. Le paragraphe 1 de cet article est fondé sur l'article 2, paragraphe 1, première phrase, de la CEDH, dont le texte est le suivant :

"1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi...".

2. La deuxième phrase de cette disposition, qui concerne la peine de mort, a été rendue caduque par l'entrée en vigueur du protocole n° 6 annexé à la CEDH, dont l'article 1er est libellé comme suit: "La peine de mort est abolie. Nul ne peut être condamné à une telle peine ni exécuté". C'est sur la base de cette disposition qu'est rédigé le paragraphe 2 de l'article II-62 de la Constitution.

3. Les dispositions de l'article II-62 de la Constitution correspondent à celles des articles précités de la CEDH et du protocole additionnel. Elles en ont le même sens et la même portée, conformément à l'article II-112, paragraphe 3, de la Constitution. Ainsi, les définitions "négatives" qui figurent dans la CEDH doivent être considérées comme figurant également dans la Charte:

a) l'article 2, paragraphe 2, de la CEDH: "La mort n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d'un recours à la force rendu absolument nécessaire:

a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;

b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue ;

c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection."

b) l'article 2 du protocole n° 6 annexé à la CEDH: "Un État peut prévoir dans sa législation la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre; une telle peine ne sera appliquée que dans les cas prévus par cette législation et conformément à ses dispositions... »

Article II-63: Droit à l'intégrité de la personne

1. Toute personne a droit à son intégrité physique et mentale.

2. Dans le cadre de la médecine et de la biologie, doivent notamment être respectés :

a) le consentement libre et éclairé de la personne concernée, selon les modalités définies par la loi ;

b) l'interdiction des pratiques eugéniques, notamment celles qui ont pour but la sélection des personnes ;

c) l'interdiction de faire du corps humain et de ses parties, en tant que tels, une source de profit ;

d) l'interdiction du clonage reproductif des êtres humains.

Explication établie sous l'autorité du Praesidium de la Convention européenne

1. Dans son arrêt du 9 octobre 2001 dans l'affaire C-377/98, Pays-Bas contre Parlement européen et Conseil, rec. 2001, p. 7079, points 70, 78, 79 et 80, la Cour de justice a confirmé que le droit fondamental à l'intégrité de la personne fait partie du droit de l'Union et comprend, dans le cadre de la médecine et de la biologie, le consentement libre et éclairé du donneur et du receveur.

2. Les principes contenus dans l'article II-63 de la Constitution figurent déjà dans la convention sur les droits de l'homme et la biomédecine, adoptée dans le cadre du Conseil de l'Europe (STE 164 et protocole additionnel STE 168). La présente Charte ne vise pas à déroger à ces dispositions et ne prohibe en conséquence que le seul clonage reproductif. Elle n'autorise ni ne prohibe les autres formes de clonage. Elle n'empêche donc aucunement le législateur d'interdire les autres formes de clonages.

Article II-64: Interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants

Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

Explication établie sous l'autorité du Praesidium de la Convention européenne

Le droit figurant à l'article II-64 de la Constitution correspond à celui qui est garanti par l'article 3 de la CEDH, dont le libellé est identique: "Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants". En application de l'article II-112, paragraphe 3, de la Constitution, il a donc le même sens et la même portée que ce dernier article.

Article II-65 : Interdiction de l'esclavage et du travail forcé

1. Nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude.

2. Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire.

3. La traite des êtres humains est interdite.

Explication établie sous l'autorité du Praesidium de la Convention européenne

1. Le droit inscrit à l'article II-65 de la Constitution, paragraphes 1 et 2, correspond à l'article 4, paragraphes 1 et 2, au libellé analogue, de la CEDH. Il a donc le même sens et la même portée que ce dernier article, conformément à l'article II-112, paragraphe 3, de la Constitution. Il en résulte que :

- aucune limitation ne peut affecter de manière légitime le droit prévu au paragraphe 1;

- au paragraphe 2, les notions de "travail forcé ou obligatoire" doivent être comprises en tenant compte des définitions "négatives" contenues à l'article 4, paragraphe 3, de la CEDH : "N'est pas considéré comme "travail forcé ou obligatoire" au sens du présent article :

a) tout travail requis normalement d'une personne soumise à la détention dans les conditions prévues par l'article 5 de la présente Convention, ou durant sa mise en liberté conditionnelle;

b) tout service de caractère militaire ou, dans le cas d'objecteurs de conscience dans les pays où l'objection de conscience est reconnue comme légitime, à un autre service à la place du service militaire obligatoire;

c) tout service requis dans le cas de crises ou de calamités qui menacent la vie ou le bien-être de la communauté;

d) tout travail ou service formant partie des obligations civiques normales".

2. Le paragraphe 3 résulte directement de la dignité de la personne humaine et tient compte des données récentes en matière de criminalité organisée, telles que l'organisation de filières lucratives d'immigration illégale ou d'exploitation sexuelle.

La convention Europol contient en annexe la définition suivante, qui vise la traite à des fins d'exploitation sexuelle: "Traite des êtres humains: le fait de soumettre une personne au pouvoir réel et illégal d'autres personnes en usant de violence et de menaces ou en abusant d'un rapport d'autorité ou de manoeuvres en vue notamment de se livrer à l'exploitation de la prostitution d'autrui, à des formes d'exploitation et de violences sexuelles à l'égard des mineurs ou au commerce lié à l'abandon d'enfants".

Le chapitre VI de la convention d'application de l'accord de Schengen, qui a été intégré dans l'acquis de l'Union et auquel le Royaume-Uni et l'Irlande participent, contient, à l'article 27, paragraphe 1, la formule suivante, qui vise les filières d'immigration illégale: "Les Parties contractantes s'engagent à instaurer des sanctions appropriées à l'encontre de quiconque aide ou tente d'aider, à des fins lucratives, un étranger à pénétrer ou à séjourner sur le territoire d'une Partie contractante en violation de la législation de cette Partie contractante relative à l'entrée et au séjour des étrangers".

Le 19 juillet 2002, le Conseil a adopté une décision-cadre relative à la lutte contre la traite des êtres humains (JO L 203, p. 1) dont l'article 1er définit précisément les infractions liées à la traite des êtres humains à des fins d'exploitation de leur travail ou d'exploitation sexuelle que les États membres doivent rendre punissables en application de ladite directive.

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