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INITIATIVE ÉCONOMIQUE

Discussion d'un projet de loi

 
Dossier législatif : projet de loi pour l'initiative économique
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 170, 2002-2003), adopté par l'Assemblée nationale, pour l'initiative économique. [Rapport n° 217 (2002-2003).]

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation. Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, madame le rapporteur, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le 27 février 2002, à Saint-Cyr-sur-Loire, avant l'élection présidentielle, M. le Président de la République dressait ainsi le tableau économique de notre pays : « Au cours des dernières années, la France a bénéficié d'une croissance mondiale exceptionnelle. Dans ce contexte, nos entreprises, nos commerçants, nos artisans ont su créer de nombreux emplois, ce qui a permis à beaucoup de Français de retrouver du travail. « Aujourd'hui, constatait le Président de la République, la situation économique a changé. La croissance s'est arrêtée ; au quatrième trimestre 2001, la production a même reculé. Le chômage a repris. L'investissement de nos entreprises est en baisse. La France tourne au ralenti. Porté pendant quatre années par la conjoncture mondiale, le Gouvernement n'a pas suffisamment préparé l'avenir et il s'est laissé surprendre. » Il ajoutait : « Pour renforcer notre dynamisme, il faut mobiliser les énergies en faveur de l'entreprise créatrice d'emplois et de richesse. Pour cela, je souhaite un effort massif en faveur de la création d'entreprise. »

Redresser la situation économique dégradée que nous avons trouvée voilà quelques mois à peine et qui nous prive de bien des marges de manoeuvre budgétaires, la redresser malgré une croissance mondiale et une conjoncture internationale incertaines, préparer l'avenir en augmentant la capacité de nos entreprises, de nos artisans, commerçants, professions libérales, de nos PME à créer des emplois, en permettant à plus d'entreprises de naître, de se développer, de se transmettre, préparer l'avenir en refondant le pacte républicain sur un dynamisme économique incontestable, pour que la France soit le moteur de l'Europe - ce qu'elle peut être - tel est l'objectif du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin.

Cet objectif a été clairement formulé par le Premier ministre, le 3 juillet 2002, dans son discours de politique générale.

Depuis quelques mois se met en place cette nouvelle politique de croissance active, qui marque une rupture avec la politique précédente non seulement par les réformes qu'elle met en oeuvre mais aussi par son volontarisme, par sa foi dans le talent des Français à entreprendre. La nouvelle politique de croissance active est un appel à l'action et à la mobilisation des Français pour l'emploi. C'est une politique résolument anti-déflation, anti-récession, anti-morosité dans un pays dont le potentiel de croissance est fort, dont le ressort économique est puissant.

L'allégement des charges, vous le savez, a été un premier pas.

La revalorisation du travail, avec l'augmentation prévue du SMIC et, immédiatement, de la prime pour l'emploi, avec la réduction substantielle et immédiate de l'impôt sur le revenu, voilà autant de mesures qui permettent d'inciter plus de Français à entrer dans la vie active.

Une réflexion est en cours sur l'apprentissage. Le Premier ministre m'a demandé de réfléchir sur ce sujet pour que plus de jeunes puissent intégrer nos entreprises, notamment dans l'artisanat et le commerce où l'on manque de jeunes vocations. Le contrat « jeunes en entreprise » est un succès, et de nombreux jeunes trouvent un emploi grâce à ce nouvel instrument.

Il faut revaloriser le travail. Chaque jour, je vois dans les entreprises que je côtoie l'effet négatif des 35 heures, non seulement du point de vue économique, mais également sur les mentalités. La réussite sociale et la réussite professionnelle supposent qu'une société soit animée par l'envie de travailler, non pas comme hier, mais comme on le fera de plus en plus demain, c'est-à-dire avec plus de matière grise, avec une plus grande implication dans l'entreprise et avec des relations sociales rénovées.

Le travail de demain, celui qu'une majorité moderne peut construire aujourd'hui, ne ressemblera pas à celui d'hier : il devra être plus épanouissant pour la personne mais aussi plus efficace pour la collectivité nationale.

Nous voyons bien que les Français sont en quête d'une nouvelle conception du travail. Et l'esprit d'entreprise est un élément très important pour la dessiner.

Le présent projet de loi, tout en constituant une réforme pour la croissance économique, est donc aussi une réponse à une aspiration sociale nouvelle de nos concitoyens.

Plus d'un quart des Français, 27 % exactement, souhaitent créer une entreprise, selon l'enquête réalisée par l'IFOP pour le salon des entrepreneurs. Derrière ce désir se profile celui d'une autre forme de travail en même temps qu'une forte aspiration à la liberté, à l'épanouissement individuel, à la réussite sociale dans une société trop souvent bloquée.

Les 35 heures ont fait souffler non pas l'esprit d'entreprise, mais l'esprit de renoncement. Certes, des emplois ont été créés entre 1997 et 2000, mais il n'y a pas eu de politique active pour l'emploi s'appuyant sur l'esprit d'entreprise. C'est donc bien une rupture que nous vous proposons aujourd'hui avec ce projet de loi.

L'esprit d'entreprise, il faut le semer partout et à tous les âges de la vie, en particulier à l'école. C'est la raison pour laquelle M. Luc Ferry et moi-même venons de signer une convention inédite. Voilà trente ans, une telle convention aurait fait scandale ; aujourd'hui, elle paraît tout à fait normale : essayer d'ouvrir les portes de l'entreprise vers l'école et les portes de l'école vers l'entreprise, permettre à nos jeunes Français, dans les collèges, dans les lycées, dans les IUT, dans les universités dans les grandes écoles, dans les écoles d'apprentissage, de mieux connaître la réalité de l'entreprise. Prochainement, je signerai une deuxième convention avec Mmes Claudie Haigneré et Nicole Fontaine, afin de développer l'esprit d'entreprise dans les établissements d'enseignement supérieur.

Ce projet de loi pour l'initiative économique a, mesdames, messieurs les sénateurs, trois objectifs.

Le premier objectif tient à la création d'emplois nouveaux. Nous devons au minimum retrouver un rythme de 200 000 entreprises nouvelles créées chaque année. Mieux encore, nous devons améliorer la pérennité des entreprises créées, ce qui suppose de favoriser l'accompagnement des créateurs : 100 000 entreprises nouvelles par an, c'est 160 000 emplois créés l'année même de la création et 270 000 emplois cinq ans après ! La création d'entreprises, c'est une politique pour l'emploi.

Nous devons ensuite développer les entreprises existantes, car, trop souvent, les capacités de croissance des entreprises françaises sont entravées. Le niveau de notre investissement est trop faible. L'épargne des Français représente 17 % du revenu disponible brut, soit un montant important. En effet, la France n'est pas un pays de cigales : elle est au contraire l'un des pays les plus fourmis d'Europe. Or l'épargne des Français est canalisée non pas vers les entreprises, mais vers les acteurs publics, dont les besoins sont croissants : l'Etat, la sécurité sociale, les collectivités territoriales en absorbent en effet une grande partie. Il faut donc réorienter cette épargne vers les placements les plus productifs, c'est-à-dire vers l'entreprise. C'est là l'un des objectifs de ce projet de loi.

Enfin, nous devons faciliter la transmission des entreprises françaises, car 500 000 chefs d'entreprise vont passer la main dans les dix années qui viennent. Ils vont transmettre leur entreprise à une nouvelle génération. Il faut donc veiller à ce que les conditions de transmission permettent d'assurer la pérennité de ces entreprises. Plus de 300 millions d'euros sont mobilisés à cette fin dans le projet de loi.

Ce projet de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, doit beaucoup à Francis Mer et à Alain Lambert. Je tiens à les remercier tous deux devant vous, car ils m'ont apporté le soutien nécessaire pour que ce texte soit assorti de véritables et substantielles réductions de charges fiscales.

Ce projet de loi a été bâti avec les organisations professionnelles, avec les réseaux d'accompagnement, avec les conseillers naturels des entreprises, avec les chambres de métiers et de commerce et avec de nombreuses associations.

Il a reçu une franche approbation de tous ceux qui, à un titre ou un autre, représentent les forces économiques de notre pays ou les acteurs de l'accompagnement des entreprises.

Parmi eux, je citerai le « réseau Force », qui représente huit acteurs essentiels de la création d'entreprises : l'assemblée des chambres de commerce, l'assemblée des chambres de métiers, l'Association pour le développement de l'information environnementale, ou ADIE, France Active, France Initiative Réseau, le Conseil supérieur des experts-comptables, le réseau des boutiques de gestion et le réseau Entreprendre. Tous se sont exprimés, par leurs représentants, devant votre commission et ont affirmé leur adhésion aux principes essentiels du texte.

De même, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, ou CGPME, le Mouvement des entreprises de France, le MEDEF et l'Union professionnelle artisanale, ou UPA, ont indiqué que ce texte allait globalement dans le bon sens, même s'il ne peut répondre à tout, comme chacun en conviendra.

Nos concitoyens ont montré qu'ils étaient réceptifs à ce projet de loi puisque, à l'occasion d'un récent sondage, 57 % d'entre eux ont déclaré connaître les dispositions que le Gouvernement entendait mettre en oeuvre pour stimuler la création d'entreprises.

L'étude menée dans le même cadre place la France au quatrième rang en Europe pour l'accompagnement, la stimulation et l'encouragement des créateurs d'entreprise, à condition, est-il précisé, que les mesures prévues dans le présent texte soient mises en oeuvre.

Selon une étude d'opinion de la SOFRES réalisée pour l'Association française de capital investissement, Croissance plus, la Caisse des dépôts et consignations - PME, « 80 % des personnes interrogées estiment que les mesures proposées vont stimuler la création et la transmission en France ». Parmi les mesures les plus intéressantes étaient cités : la création des fonds d'investissement de proximité, la réduction de la fiscalité sur les mutations, la transition progressive du statut de salarié vers le statut d'entrepreneur, le différé des charges sociales, l'amélioration de l'accompagnement du créateur.

Ce texte comporte des mesures inspirées non par une vision idéologique de l'économie, mais tout simplement par le souci de mettre en oeuvre ce qui marche.

M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat. Or ce qui marche, c'est bien souvent à l'étranger qu'il faut aller le chercher. C'est ce que j'ai fait, en pratiquant ce que l'on appelle le bench-marking, en observant chez nos voisins européens en particulier, mais aussi aux Etats-Unis, terre d'entrepreneurs s'il en est, ce qui va dans le bon sens.

Il est intéressant de noter qu'il n'y a pas de corrélation entre la croissance et la création d'entreprises. Ainsi, pendant la législature précédente, sous le gouvernement de M. Jospin, alors que la croissance était soutenue du fait d'une conjoncture internationale très active, la création d'entreprises a stagné. Le nombre de 270 000 tous chiffres confondus, transmissions et créations, est resté inchangé alors que la croissance mondiale aurait dû stimuler l'envie d'entreprendre. Il faut donc mettre en place des solutions nouvelles.

Je voudrais, en cet instant, saluer le travail qu'a effectué la commission spéciale du Sénat, travail remarquable, comme c'est souvent le cas dans cette assemblée. Je remercierai tout particulièrement son président, M. Francis Grignon, ainsi que les trois rapporteurs, Mme Annick Bocandé, MM. Jean-Jacques Hyest et René Tregouët, qui se sont partagés le travail, mais aussi tous les membres de cette assemblée qui ont étudié et souhaité modifier ce texte.

Ce projet de loi s'adresse tout particulièrement aux très petites entreprises, aux artisans, aux commerçants, aux professions libérales et même aux agriculteurs, bref à tous ces entrepreneurs qui font le choix courageux de l'entreprise individuelle.

Je rappellerai tout d'abord cette évidence qu'aucune entreprise ne naît grande, que 40 % des entreprises les plus importantes de la cote à New York n'existaient pas en 1960 et que multiplier le nombre d'entreprises de petite taille, c'est augmenter notre chance de créer les champions économiques de demain.

Notre tissu économique est avant tout un tissu de petites entreprises : 93 % des entreprises ont moins de dix salariés, 99,8 % moins de deux cents salariés, et ces dernières emploient près de 60 % des salariés.

Ce sont surtout les petites entreprises qui créent de nouveaux emplois et non pas, hélas ! les grandes entreprises. Ainsi, les entreprises de moins de dix salariés ont créé 2 millions d'emplois entre 1991 et 1999 alors que les très grandes entreprises en ont détruit 1,2 million.

Dès lors, qui peut dire que la loi sur l'initiative économique, dont les mesures concernent pour l'essentiel les petites entreprises, n'est pas une loi pour l'emploi et le premier acte fort de la politique du Gouvernement en faveur de l'emploi ?

La libre détermination du capital social, la protection du patrimoine de l'entrepreneur individuel - mesure demandée depuis plus de vingt ans par les artisans -, le relèvement du seuil d'exonération des plus-values de cession - mesure coûteuse s'il en est, puisque plus de 200 millions d'euros sont consacrés à cette innovation ; mais, ainsi, près de 83 % des cessions seront concernées ; leur impôt passant de 26 % à 0 % -, l'amélioration des conditions de domiciliation chez soi de son entreprise, le différé de charges sociales la première année pour tous les créateurs et non pas pour telle ou telle catégorie d'entre eux, voilà autant de mesures qui sont faites pour les très petites entreprises, même si les moyennes entreprises, en particulier grâce à l'aménagement de la fiscalité sur les transmissions, ne sont pas oubliées.

Dans les semaines qui viennent, le Gouvernement présentera au Parlement un projet de loi d'habilitation autorisant le Gouvernement à prendre par ordonnances des mesures de simplification et de codification du droit.

M. Francis Grignon, président de la commission spéciale. Bravo !

M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat. Le Premier ministre avait annoncé ce projet dans sa déclaration de politique générale. S'inscrivant pleinement dans la réforme de l'Etat, il représente l'un des volets majeurs de l'action du Gouvernement.

Parmi les mesures envisagées, deux mesures phares, auxquelles beaucoup de très petites entreprises tiennent, vont dans le sens d'une amélioration de la vie quotidienne des entrepreneurs : je pense au guichet social unique et au titre emploi-salarié.

Le guichet social unique permettra à l'entrepreneur indépendant, au lieu d'avoir à régler, selon des échéanciers différents et selon des barèmes incohérents, les cotisations à de multiples organismes de protection sociale, de s'adresser à un seul organisme de recouvrement pour déclarer, puis régler ses cotisations sociales. N'oublions pas la médiation que nous améliorerons et le contentieux que nous simplifierons.

Dans le même esprit, le titre emploi-salarié permettra d'étendre aux salariés des toutes petites entreprises le principe du chèque-emploi service qui a été couronné de succès dans le secteur des emplois à domicile.

La détermination du Gouvernement pour mettre en oeuvre ces deux mesures est totale. Les députés ont d'ailleurs mesuré l'importance de ces dispositifs puisqu'ils ont souhaité les adopter lors de l'examen en première lecture du présent projet de loi.

La question du véhicule législatif - une loi, une ordonnance ? - est secondaire. L'essentiel est que ces deux mesures figurent dans la loi et donc qu'elles soient inscrites dans le projet d'ordonnances que je prépare à l'heure actuelle afin qu'elles entrent en vigueur le plus rapidement possible.

J'ai bon espoir, car, des nombreux contacts que j'ai eues depuis que nous avons incité tous les acteurs concernés à évoluer, à bouger, on peut déduire que le chemin de la réforme est possible et qu'il suffit d'un peu de dialogue de part et d'autre pour le baliser et s'y engager rapidement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi entend répondre également au principal obstacle à la création d'entreprise : le manque de moyens financiers. Pour deux tiers des porteurs de projet, c'est le principal frein à la création d'entreprise. Au demeurant, l'ensemble de nos entreprises, quelle que soit leur taille, souffrent d'une faiblesse de fonds propres, ce qui les fragilise par rapport aux risques de retournement conjoncturel et les rend trop dépendantes du crédit bancaire, pénalisant leurs capacités d'investissement.

Jamais autant de dispositions n'ont été prises pour drainer l'argent des Français vers les entreprises, quelle que soit leur taille.

Les FIP, ou fonds d'investissement de proximité, permettront aux épargnants d'investir dans l'économie locale tout en bénéficiant d'un avantage fiscal très substantiel. C'est ainsi que l'on pourra investir 20 000 euros dans un FIP et bénéficier d'une réduction d'impôt - pas de l'assiette de l'impôt, mais de l'impôt lui-même - de 5 000 euros, ce qui n'est pas négligeable, loin s'en faut !

Nous entendons également tripler l'avantage fiscal lié à l'investissement direct dans une entreprise. On pourra investir jusqu'à 40 000 euros dans une entreprise et bénéficier de 10 000 euros de réduction d'impôt sur le revenu. Cette réduction d'impôt n'est pas un cadeau, c'est la contrepartie d'un investissement qui va créer de la richesse, créer de l'emploi, créer de l'innovation. C'est donc une bonne utilisation de l'argent des Français. Si nous pouvons améliorer la fiscalité pour inciter plus de Français à placer leur argent dans un emploi productif qui concourt à la création d'emplois, pourquoi s'en priver ?

Nous souhaitons également réduire le risque des investisseurs en le couvrant par le doublement du seuil de déductibilité des pertes. Ce système très efficace permet de socialiser le risque « entrepreneurial ». Il incitera un plus grand nombre de créateurs à se lancer sans craindre le risque d'échec.

Toutefois, notre société doit aussi s'habituer à cette possibilité d'échec. Il est essentiel que la deuxième chance, la troisième chance, soit considérée comme la bonne, celle qui permet de redémarrer après une première expérience.

Nous proposons aussi d'améliorer le régime de déduction des intérêts des emprunts pour permettre à des repreneurs de souscrire des emprunts.

La fiscalité sur les donations et les transmissions devraient être allégée. Vous le savez, lorsqu'une entreprise est reprise, ce sont des emplois qui sont sauvegardés alors que lorsqu'une entreprise est vendue à des intérêts étrangers, ce sont des emplois qui sont mis en danger.

Il est essentiel de s'appuyer sur la patrimonialité française des PME. Mieux vaut permettre à des PME françaises de rester détenues par des capitaux français plutôt que de voir - comme c'est souvent le cas aujourd'hui - ces mêmes PME disparaître ou être cédées à des intérêts étrangers parce que la fiscalité a empêché les héritiers de poursuivre l'action d'une génération d'entrepreneurs. Chacun comprend que la nature même du capital est importante pour la sauvegarde de l'emploi.

Le différé de charges sociales de la première année d'activité - y compris de la contribution sociale généralisée et du rembourssement de la dette social - que nous souhaitons mettre en oeuvre représente une aide nouvelle d'environ 5 000 euros par créateur ; aucun effet de ressaut n'en sera la contrepartie grâce à l'étalement des remboursements sur cinq ans.

Les députés ont complété ce dispositif déjà très riche par quelques amendements intéressants.

Ainsi, les banques devront respecter un préavis avant d'interrompre leur concours financier aux entreprises en difficulté.

Par ailleurs, les sommes versées dans un plan d'épargne en actions, ou PEA pourront être investies dans la création d'entreprises ce qui libérera potentiellement 70 milliards d'euros vers la création d'entreprises.

Enfin, dès l'examen du texte à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a jugé utile à la création d'emplois de déposer un amendement visant à intéresser les personnes disposant d'un patrimoine plus élevé au financement des PME. Ainsi, les souscriptions en numéraire au capital des PME pourront être totalement exonérées de l'impôt de solidarité sur la fortune.

Cet aménagement est conforme à l'esprit de la loi qui est de créer des emplois, de transformer l'argent dormant en argent fertile et créateur d'emplois. Comme le disait Gilles Carrez, rapporteur du texte à l'Assemblée nationale, « il ne s'agit pas de supprimer un impôt, mais d'éliminer ses effets destructeurs sur l'emploi ».

De fait, nombreux sont les parlementaires, à droite comme à gauche, qui ont préconisé de telles adaptations de l'ISF.

M. Gérard Le Cam et Mme Odette Terrade. Pas nous ! (Sourires.)

M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat. Entre la peur superstitieuse de voir toucher à un impôt et la nécessité de créer de l'emploi, il n'y a pas à hésiter : il faut choisir l'emploi et la réforme de la fiscalité.

J'ajoute, pour ceux que ces aspects inquiéteraient, que le coût budgétaire des différentes mesures proposées dans le projet de loi a été évalué et qu'il devrait être considéré avant tout comme un investissement pour l'avenir. Diminuer la fiscalité - ce qui peut inciter les Français à placer leurs économies dans la création d'emplois, dans la création de richesses et dans la création d'entreprises - est évidemment bénéfique pour l'Etat et pour les collectivités locales. En effet, immanquablement, les nouvelles entreprises augmenteront l'assiette fiscale, et l'Etat recevra à ce moment-là les dividendes de son action réformatrice.

Enfin, le Gouvernement s'attachera au problème du financement des entreprises créées par des entrepreneurs individuels. Certains, bien sûr, peuvent souhaiter créer une société, et de nombreuses mesures sont prévues pour qu'ils puissent le faire plus facilement. Mais certains peuvent aussi vouloir - c'est un choix - entreprendre individuellement. Nous voulons faire en sorte qu'ils puissent le faire également dans de bonnes conditions. Les FIP permettront d'abonder les sociétés de caution mutuelle qui consacrent une partie de leur action à garantir des prêts à des entrepreneurs individuels, notamment dans le secteur de l'artisanat.

Je veillerai à ce que le système du PCE, ou prêt à la création d'entreprise, et du PRE, ou prêt à la reprise d'entreprises, prêts en grande partie financés par les crédits affectés à la SOFARIS, soit amélioré dans les années qui viennent.

Le Gouvernement mettra en place des mesures particulières en faveur de l'innovation. Dans peu de temps, Claudie Haigneré et Nicole Fontaine vous présenteront des dispositions nouvelles destinées à rattraper des années de retard technologique. Elles formuleront des propositions audacieuses, qui placeront la France au premier rang en matière d'investissements dans le secteur de l'innovation.

Au-delà des polémiques convenues, qui font plus couler d'encre qu'elles ne créent d'emplois, et à un moment où toutes les ressources de notre pays doivent être mobilisées pour l'emploi, il s'agit de savoir si, oui ou non, nous voulons mobiliser de l'argent pour les entreprises. En effet, mobiliser de l'argent pour les entreprises, n'est pas s'intéresser à une seule catégorie de Français, comme si les entrepreneurs ne concouraient pas, eux aussi à l'intérêt général ! Il faut cesser d'opposer en permanence la République et les entreprises.

M. Henri de Raincourt. Très bien !

M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat. Elles vont dans le même sens, celui de l'intérêt général.

A cet égard, je voudrais insister sur un aspect trop méconnu : ce projet de loi peut ouvrir une voie nouvelle à la réussite de tous les Français ; il peut leur permettre de tirer profit de leur vitalité et de leur imagination afin de traduire leurs talents personnels dans une voie encore trop peu explorée, la voie de la réussite par l'entreprise.

Mesdames, messieurs les sénateurs, notre société est encore inégalitaire. Contrairement à ce qu'impliquerait le principe d'égalité qui est inscrit dans la devise de la République, la chance de réussir n'est pas la même pour tous.

Vous le savez, c'est bien souvent la trajectoire scolaire qui détermine la réussite sociale ; or cette trajectoire est largement fonction des origines sociales. Dans notre société où l'or gris, la matière grise, compte plus que l'or jaune, le vrai patrimoine, c'est le savoir. On s'est aperçu que ceux qui avaient le plus de chances d'atteindre le niveau du baccalauréat général ou du baccalauréat technologique étaient les enfants d'enseignants : selon le ministère de l'éducation nationale, 84,8 % d'entre eux contre 23,3 % pour les enfants d'inactifs, à savoir les chômeurs et les RMIstes, 31,2 % pour les enfants d'ouvriers non qualifiés et 38,7 % pour les enfants d'ouvriers qualifiés, atteignent ce niveau.

Autrement dit, les uns ont beaucoup de chances d'atteindre le niveau du baccalauréat, qui est le passeport pour la réussite, quand les autres, les enfants d'ouvriers, qualifiés ou non qualifiés, les enfants d'exclus, se trouvent écartés de la réussite parce que notre école ne parvient pas encore, en dépit des efforts qui ont été consentis, à assurer l'égalité des chances.

M. Jean-Claude Carle. C'est vrai !

M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat. C'est là un constat qui paraîtra paradoxal à certains. Il n'en est que plus utile de le rappeler.

De cette situation, il résulte, de surcroît, que l'accès à la fonction publique, qui devrait être l'accès le plus égalitaire, est en réalité le plus inégalitaire parce qu'il est essentiellement tributaire du parcours scolaire. On a donc beaucoup plus de chances de réussir un concours administratif si l'on est fils d'enseignant que si l'on est fils d'ouvrier.

En promouvant la création d'entreprise, la réussite par l'entreprise, le Gouvernement entend élargir, voire créer une autre voie de la réussite individuelle, celle de l'initiative économique. Celle-ci, bien sûr, est influencée par le parcours scolaire, mais elle paraît plus ouverte, plus démocratique, plus accessible à tous.

Les fait sont là : près de 40 % des créateurs d'entreprise seulement ont exercé des responsabilités d'encadrement, par exemple, alors que 43 % étaient employés ou ouvriers au moment où ils ont créé une entreprise. De même, 55 % n'ont pas le niveau du baccalauréat, et 20 % n'ont aucun diplôme. Enfin, un créateur sur trois est un demandeur d'emploi.

Ces chiffres montrent bien que la création d'entreprise est une voie nouvelle pour tous ceux qui, après avoir subi, pour différentes raisons, des échecs dans la conquête du diplôme, ont néanmoins des qualités qui peuvent être reconnues dans le monde économique.

C'est pourquoi le Gouvernement entend améliorer la formation des créateurs, en réduire le coût, encourager l'accompagnement. Ainsi, dès cette année, j'ai augmenté de 50 % les subventions aux réseaux d'accompagnement, auxquels le projet de loi étend le régime de mécénat d'entreprise. En outre, nous mettons en place, pour la première fois, un régime juridique légal de l'accompagnement à la création d'activités économiques, qui stimulera autant l'essaimage stratégique des salariés des grandes entreprises ou des PME que le portage de projets très sociaux.

Dans le coeur de nos villes, dans nos quartiers victimes de l'exclusion économique, là où le Gouvernement crée les zones franches, en milieu rural, le projet de loi offrira de nouvelles perspectives à ceux qui ont un projet ; il offrira aux territoires, grâce aux fonds d'investissement de proximité, des outils de développement maîtrisés, associant les collectivités territoriales. Il permettra surtout à nos énergies, si nombreuses, de se diriger mieux et plus vite qu'avant vers la création de richesses et d'emplois.

Ce projet de loi sera prolongé par d'autres initiatives, que j'évoquerai brièvement pour conclure.

Tout d'abord, l'accès des PME aux marchés publics sera facilité avant l'été. Ainsi, plus de PME pourront accéder aux marchés ouvers par les collectivités territoriales et l'Etat.

M. Francis Grignon, président de la commission spéciale. Très bien !

M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat. Par ailleurs, va être entreprise une réforme de l'apprentissage. C'est en effet un paradoxe scandaleux que, dans notre pays, il y ait tant d'emplois sans jeunes et tant de jeunes sans emploi. Or l'apprentissage est un moyen de réconcilier l'emploi et les jeunes.

Nous allons également améliorer le statut de l'entrepreneur et celui du conjoint de l'entrepreneur. Je souhaite que, grâce à ce projet de loi qui sera présenté à la fin de l'année, plus aucune femme d'artisan se retrouve sans statut, comme c'est malheureusement trop souvent le cas aujourd'hui.

Tous ces projets sont actuellement en préparation, et vous en serez saisi, mesdames, messieurs les sénateurs, dans les mois qui viennent.

En votant ce projet de loi et en l'amendant, vous donnerez à notre pays de nouveaux outils pour qu'un vent de liberté et d'égalité entraîne un nombre croissant de Français et contribue à ce pour quoi nous sommes tous mobilisés : la création de richesses et la création d'emplois. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.

M. Francis Grignon, président de la commission spéciale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il y a quelques années, lorsqu'il était encore sénateur, M. Jean-Pierre Raffarin avait présidé le groupe de travail « Nouvelles entreprises et territoires », constitué en juin 1998 par la commission des affaires économiques. Les travaux de ce groupe de travail avaient conduit au dépôt d'une proposition de loi, que j'eus l'honneur de rapporter au début de l'année 2000 et qui détaillait dix-huit mesures visant à promouvoir la création ainsi que le développement des entreprises et des territoires.

Devenu Premier ministre, notre ancien et très estimé collègue est demeuré fidèle à ses ambitions en affirmant, dans sa déclaration de politique générale du 3 juillet 2002, sa volonté de libérer « toutes les forces vives de notre pays ».

Seulement trois mois plus tard, le 7 octobre 2002, vous avez, monsieur le secrétaire d'Etat, traduit cet engagement par la présentation des principales mesures du présent projet de loi, lors du colloque de Lyon « Agir pour l'initiative économique ».

J'ai alors eu le plaisir de constater une continuité dans l'approche législative des conditions à créer pour doper l'initiative économique. En effet, la création des fonds d'investissement de proximité ou la protection de la résidence principale de l'entrepreneur individuel - des dispositions souhaitées depuis longtemps par les uns et les autres - figuraient déjà dans la proposition de loi précédemment évoquée, qui a été adoptée par le Sénat le 10 février 2000 mais n'a, hélas ! jamais été examinée par l'Assemblée nationale.

La célérité dont le Gouvernement a fait preuve résulte d'un constat d'urgence : la France a plus que jamais besoin d'offrir à ceux de nos concitoyens qui souhaitent créer, développer ou reprendre une entreprise la faculté de le faire, non seulement parce que la création d'entreprises est le moteur de la création d'emplois, mais aussi parce que, comme le soulignent les auteurs du Livre vert de la Commission européenne du 27 janvier 2003 sur l'esprit d'entreprise en Europe, « l'initiative économique » est un « vecteur d'épanouissement personnel ». J'ajouterai qu'elle est également un formidable vecteur d'innovation, une source de lien social et, pour beaucoup de nos concitoyens, un levier de promotion sociale.

La commission spéciale se félicite donc du dépôt de ce projet de loi, dont les dispositions, adaptées à la diversité des entreprises et des entrepreneurs, profitent à l'ensemble des activités économiques, quels que soient leur secteur et leur forme juridique, en rompant avec le désintérêt progressif pour l'initiative économique constaté ces dernières années.

La commission spéciale s'en félicite d'autant plus que ce projet de loi ne constitue nullement « la » réponse du Gouvernement, pour solde de tout compte. Comme vous l'avez également rappelé, monsieur le secrétaire d'Etat, il s'inscrit au contraire dans un ensemble cohérent rassemblant, outre le présent projet de loi, celui qui, annoncé pour la fin de l'année, traitera du statut de l'entreprise et de l'entrepreneur, ainsi que le projet portant habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnances des mesures de simplification et de codification du droit, qui devrait nous être soumis prochainement.

Alors que tout indique que nos concitoyens souhaitent s'engager dans l'aventure entrepreneuriale, force est de constater qu'ils ne le font pas suffisamment. Aujourd'hui, on ne compte chaque année qu'environ 170 000 créations ou reprises d'entreprise : on est bien loin des 200 000 qui fleurissaient au milieu des années quatre-vingt ! Et pourtant, ils sont nombreux à affirmer leur désir d'entreprendre : les résultats du dernier baromètre Salon des entrepreneurs - Agence pour la création d'entreprises - attestent que plus d'un Français sur quatre envisage de créer son entreprise.

D'où vient ce décalage entre les souhaits et la réalité ? D'un certain nombre d'obstacles à la création et à la reprise d'entreprises, qui n'ont évidemment pas été levés par les gouvernements passés. Quels sont ces obstacles ?

Les premiers sont d'ordre culturel : notre pays est encore trop imprégné de méfiance à l'égard de l'initiative économique,...

M. Henri de Raincourt. Absolument !

M. Francis Grignon, président de la commission spéciale. ... sinon d'une culture de dénigrement des « patrons », d'aversion profonde au risque et de stigmatisation de l'échec.

En outre, on ne peut que déplorer le peu de place qu'occupent la formation économique et la culture entrepreneuriale dans notre système d'enseignement, secondaire ou universitaire. Au Japon, par exemple, on apprend aux collégiens l'existence des brevets d'invention.

Ce constat fait ressortir la nécessité d'un discours public mobilisateur, accompagné d'une action pédagogique de longue haleine, de nature à réhabiliter la prise de risques, à valoriser la création d'entreprises et à apporter aux entrepreneurs, y compris s'ils échouent, la reconnaissance et la confiance qui leur font trop souvent défaut.

A cet égard, je voudrais rappeler ici que l'entreprise est une organisation sociale, matérielle et financière dont l'objectif est de produire de la valeur ajoutée, l'utilisation de celle-ci étant fixée, d'une part, par la loi et, d'autre part, par la nécessité de garantir la pérennité de l'entreprise elle-même. C'est ainsi que la première valeur ajoutée produite par l'entreprise est sociale, à travers les salaires et les charges ; la deuxième est citoyenne, à travers les impôts et taxes divers ; la troisième est axée sur le développement, à travers les investissements matériels et immatériels ; la quatrième, s'il en reste, est capitalistique, à travers la rémunération des actionnaires.

Dans ce contexte culturel de réhabilitation de l'entreprise, il me semblait important de rappeler cette hiérarchie des valeurs ajoutées, qui place l'homme au centre de l'entreprise et l'entreprise au centre de la société.

Cela étant, les créateurs d'entreprise potentiels sont également souvent dissuadés par la complexité du processus de création d'entreprise. Ce sentiment repose pour partie sur des idées qui ne reflètent plus la réalité. Il est, en effet, d'ores et déjà possible de créer son entreprise en une journée.

Cependant, ce sentiment, qui contribue à expliquer l'écart impressionnant entre le désir d'entreprendre de nos concitoyens et leur passage à l'acte, justifie de nouvelles avancées, même si elles sont symboliques - surtout si elles sont symboliques, en vérité -, comme la suppression d'une exigence de capital minimal pour la SARL, suppression prévue par le présent projet de loi.

Par ailleurs, la transition entre le statut de salarié et celui d'entrepreneur, qui constitue déjà en elle-même une réelle prise de risques personnels, et souvent familiaux, peut être freinée par des obstacles juridiques et sociaux ainsi que par un manque de souplesse de notre droit du travail.

En outre, les créateurs d'entreprise sont trop souvent seuls pour faire face à un environnement économique et administratif complexe et stressant. Ainsi, contrairement à une idée reçue, moins d'une création d'entreprise sur quatre est aidée par les pouvoirs publics. Les risques économiques encourus au cours des toutes premières années sont aggravés par une législation sociale qui ponctionne immédiatement les revenus tirés de l'activité, sans considération pour les capacités de financement du créateur.

De plus, seules 25 000 à 30 000 créations d'entreprise par an bénéficient d'un accompagnement, alors même que les taux de réussite des créations accompagnées sont considérablement plus élevés que la moyenne, et que l'accompagnement constitue parfois la condition sine qua non pour que certains de nos concitoyens les plus démunis puissent donner vie à leurs idées.

La difficulté de trouver des financements constitue aussi un frein pour les porteurs de projet. En effet, les créateurs ou repreneurs d'une petite entreprise n'ont, sauf exception, pas accès aux marchés financiers. En outre, malgré les dispositifs publics de garantie ou l'intervention des sociétés de caution mutuelle, le crédit bancaire leur est souvent rationné, notamment du fait des effets conjugués des coûts d'examen de la viabilité d'un micro-projet, des normes internationales de fonds propres imposées aux établissements de crédit à raison de leurs concours aux PME, et du plafonnement à un bas niveau des taux d'intérêts du fait de notre législation sur l'usure.

Enfin, la reprise d'entreprises existantes est logiquement plus efficace que la création ex nihilo d'entreprises nouvelles dans le même secteur d'activité. Or la transmission d'une entreprise est considérablement freinée par les contraintes fiscales que subissent le vendeur ou l'acquéreur du fait de l'imposition des plus-values, des droits de mutation et, dans certains configurations, de la non-déductibilité des intérêts des emprunts souscrits par le repreneur. Il est, à cet égard, indispensable de rompre avec un discours qui, bien éloigné de la vie de nos territoires, consiste à mettre en avant les créations pures pour mieux ignorer les problèmes de transmission des entreprises ayant fait la preuve de leur pérennité.

C'est à cette multiplicité d'obstacles et de contraintes que s'attaque, avec détermination et méthode, le projet de loi pour l'initiative économique, dont l'objectif est de modifier en profondeur l'environnement juridique dans lequel évoluent les créateurs et entrepreneurs de ce pays.

La commission spéciale vous félicite, monsieur le secrétaire d'Etat, pour ce texte novateur qui, tout à la fois, adresse un signe bienvenu d'encouragement et de reconnaissance aux entrepreneurs de ce pays et leur donne de nouveaux outils pour mener à bien leurs projets.

Après avoir entendu près d'une quarantaine de personnes au cours d'une vingtaine d'auditions, elle est en mesure d'enrichir votre projet de dispositions complémentaires, que mes collègues rapporteurs vont maintenant présenter et qui s'inscrivent exactement dans votre démarche de soutien à la création et à la reprise des entreprises.

Concluant sur une note plus personnelle, j'émettrai le souhait que ce projet de loi constitue la première pierre d'une réflexion visant à créer une structure aux objectifs identiques à ceux de la Small Business Administration américaine, la SBA, et bénéficiant de moyens similaires. Mais j'ai compris qu'à travers l'accès aux marchés publics, monsieur le secrétaire d'Etat, vous alliez déjà un peu dans cette direction. Je suis en effet convaincu, pour avoir, en 1996, observé la SBA de près pour le compte de la commission des affaires économiques du Sénat, qu'un tel organisme est de nature à favoriser dans la durée le soutien aux créateurs et aux repreneurs d'entreprise, mais aussi, plus largement, à l'ensemble des animateurs du réseau des PME, dont notre pays a tant besoin.

Je vous sais, monsieur le secrétaire d'Etat, également soucieux d'atteindre cet objectif et je fais confiance à votre esprit d'« initiative » ainsi qu'à votre détermination pour avancer dans cette voie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission spéciale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce projet de loi est particulièrement bienvenu, car l'initiative économique est le signe du dynamisme. Or notre pays souffre de nombreux blocages dans ce domaine.

Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez présenté l'essentiel de votre projet de loi avec autant de brio que de conviction.

M. le président de la commission spéciale vous a fait écho avec son expertise : il travaille en effet depuis longtemps sur la question du développement des entreprises et a produit des rapports tout à fait intéressants.

Je note que, dans un certain nombre de dispositions de ce projet de loi, on retrouve des propositions qui émanaient du Sénat, notamment celle d'un certain Jean-Pierre Raffarin ! Il y a de bonnes lignées, n'est-ce pas ?

Vous l'avez dit vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, la loi ne peut, à elle seule, créer le désir d'entreprendre. D'ailleurs, ceux qui croient que tous les problèmes sont réglés dès lors qu'une loi est votée ou qu'un décret est pris se trompent lourdement. Bien souvent, plutôt que de réglementer, mieux vaudrait inciter. Précisément, votre projet de loi s'inscrit tout à fait dans cette philosophie.

Vous avez également évoqué la simplification, dont certains volets sont encore à venir. Je dirai au passage que, en matière de simplification, notamment, la voie des ordonnances est une bonne voie, car, lorsqu'il s'agit de mettre tout le monde d'accord, le processus législatif classique peut se révéler trop lourd et complexe. Il me paraît juste que, de temps en temps, dans un certain nombre de domaines, le législateur délègue son pouvoir.

Les incitations à la création d'entreprise, l'accompagnement social des projets, les dispositions concernant la transmission des entreprises et le financement de l'initiative économique constituent des leviers puissants propres à inverser la tendance actuelle.

Cela étant, il m'appartient de traiter une partie du titre Ier, qui est consacré à la simplification de la création d'entreprise.

Ce titre comportait initialement six articles mais, par un prompt renfort de l'Assemblée nationale, nous en comptons maintenant douze !

Monsieur le secrétaire d'Etat, toutes les dispositions du titre Ier visent à simplifier la création d'entreprise, non seulement en facilitant le démarrage de l'activité, mais également en créant un climat de confiance et en sécurisant la situation de l'entrepreneur et de ses proches.

On dit souvent qu'il est difficile de créer une entreprise dans notre pays. Mais si tous ceux qui s'occupent du démarrage de l'entreprise respectaient les normes légales, notamment de délai, vous n'auriez pas eu à proposer un nouvel « objet » juridique : le récépissé de création d'entreprise.

En tout état de cause, une réflexion doit être menée, et le rôle du ministère de tutelle d'un certain nombre d'organismes doit être d'inciter ces derniers à respecter leurs engagements.

Le respect des engagements est un élément d'autant plus important que, quand tous les éléments sont remplis, il n'est pas si difficile de créer une entreprise.

En revanche, les difficultés apparaissent après la création de l'entreprise, dans les premiers mois ou les premières années de vie de cette dernière. L'essentiel du projet de loi traite d'ailleurs de ces questions.

L'article 2 en particulier instaure le récépissé de création d'entreprise.

A cet égard, je ne voudrais pas qu'une guerre picrocholine se déclare. Je ne souhaiterais pas non plus que, sous prétexte de vouloir faciliter la création d'entreprise, chacun défende ses intérêts, même s'ils sont légitimes.

Il ne faut en effet jamais oublier qu'un certain nombre d'organismes sont au service du public. A l'occasion de la création d'une entreprise, la gratuité devrait donc toujours être la règle.

Dans ce domaine, monsieur le secrétaire d'Etat, un certain nombre de progrès doivent encore être accomplis. En même temps, diverses querelles devraient être apaisées grâce au développement de nouveaux procédés, notamment à la possibilité d'effectuer une déclaration de création d'entreprise par voie électronique, comme le prévoit l'article 3.

Monsieur le secrétaire d'Etat, les membres de la commission spéciale souhaitent simplement que toutes les garanties soient prises pour que, à l'occasion de la création d'entreprise, il n'y ait pas d'« intermédiaire » dangereux pour le créateur et pour ses partenaires.

S'il y a un registre du commerce et des sociétés, s'il y a un registre des métiers, c'est pour préciser très clairement l'identification de l'entreprise et l'objet de la société.

Les déclarations sont des éléments de la sécurité juridique.

Le projet de loi comporte ensuite un ensemble de dispositions relatives à l'assouplissement des conditions de domiciliation des entreprises. Nous sommes tout à fait favorables, à ces dispositions, comme au renforcement des garanties accordées à la caution envers un créancier professionnel. A ce sujet, nous vous proposerons d'ailleurs des améliorations de même nature que celles qui figurent dans le code de la consommation et que celles qui sont applicables en matière de crédit immobilier. Ces dispositions visent à éviter de perturber les cautions personnes physiques. En effet, il faut apporter plus de sécurité aux familles de ceux qui veulent se consacrer à la création d'entreprise.

Le projet de loi prévoit également la simplification de la procédure de mainlevée d'un nantissement de fonds de commerce.

En ce qui concerne la libre fixation par les statuts du montant du capital social, je pense que, s'il ne faut pas laisser croire qu'on peut créer des entreprises sans moyens financiers, il ne faut pas oublier que, progressivement, on a considéré, pour les SARL, que le capital social n'avait pas une signification importante.

Il est vrai que, aujourd'hui, le capital ne représente pas vraiment une garantie : 7 500 euros ne suffisent souvent pas pour faire face aux dettes de l'entreprise.

C'est pourquoi le plus important me semble être le dispositif permettant le financement des entreprises, et je partage tout à fait, de ce point de vue, le sentiment du président de la commission spéciale, M. Grigron : le financement des entreprises ne résultera pas forcément des seules banques ; il faut un ensemble de dispositifs, comme ce qui existe notamment dans la Small Business Administration.

La déclaration d'insaisissabilité du domicile est une autre mesure importante.

Un certain nombre de nos collègues avaient préconisé le patrimoine d'affectation. Le Sénat lui-même avait examiné cette proposition. Nous y avons renoncé, car le patrimoine d'affectation est une notion très difficile à mettre en place juridiquement. En revanche, il faut permettre au créateur d'entreprise de protéger son domicile par une mesure de publicité foncière, c'est-à-dire par un acte authentique. C'est une bonne mesure de protection destinée aux entrepreneurs qui hésiteraient par peur de se voir saisir leur domicile.

L'extension aux entreprises individuelles du champ d'action des groupements de prévention agréés institués par la loi du 1er mars 1984 relative à la prévention et au règlement amiable des difficultés des entreprises est également une bonne mesure.

Parmi les autres dispositions de ce projet de loi, monsieur le secrétaire d'Etat, une en particulier était souhaitée par beaucoup, concernant l'artisanat. Cela dit, ce projet de loi ne doit pas s'éparpiller, et il ne faut pas vouloir traiter de tout l'artisanat sous prétexte qu'il est question d'artisanat. Il faut conserver un cadre à peu près cohérent, un certain nombre de dispositions pouvant trouver leur place dans d'autres textes.

Ce texte doit conserver sa cohérence, disais-je. Il ne doit pas devenir un projet de loi portant diverses dispositions d'initiative économique : ce n'est pas forcément la meilleure formule.

Néanmoins, la commission proposera une disposition tendant à améliorer les contrôles sur l'exercice de certaines activités artisanales, en conformité avec les exigences légales relatives à la qualification. Cela concerne notamment les entreprises alimentaires et de sécurité. L'application de la loi dite « loi Raffarin » est une bonne précaution. Ce faisant, on ne réglemente pas tellement et on ne rend pas impossible tout développement économique.

Telles sont les principales dispositions du titre Ier sur lesquelles, bien entendu, la commission spéciale proposera au Sénat d'émettre un avis très favorable, sous réserve de quelques modifications, ou plutôt d'améliorations, du texte de l'Assemblée nationale. Il faut bien, monsieur le secrétaire d'Etat, que nous soyons aussi très utiles dans ce domaine ! (Sourires. - Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat. Personne nedoute de votre utilité !

M. le président. La parole est à Mme Annick Bocandé, rapporteur.

Mme Annick Bocandé, rapporteur de la commission spéciale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, notre pays connaît une situation économique et sociale difficile. L'attentisme et le traitement social du chômage ne peuvent - on l'a constaté ces dernières années - constituer des voies de sortie pertinentes.

Fort opportunément, le Gouvernement, en ouvrant le chantier de la création d'entreprises, a choisi de parier sur l'avenir. Son objectif est non seulement de concrétiser le potentiel de croissance des entreprises nouvelles et de réinsérer sur le marché de l'emploi les populations en difficulté, mais aussi, plus fondamentalement, comme le rappelait M. le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, de « réconcilier l'homme avec le travail ».

Le programme annoncé par le Gouvernement semble être d'ores et déjà à la hauteur de l'ambition affichée. En effet, pour créer plus d'un million d'entreprises en cinq ans, il a entre autres prévu trois textes législatifs : le présent projet de loi pour l'initiative économique, un projet de loi d'habilitation visant à simplifier notre droit par ordonnances, et, d'ici à la fin de l'année, un projet de loi sur le développement de l'entreprise.

Notre pays doit reconsidérer l'entreprenariat, composante incontournable d'une politique économique dynamique. Il y va de sa compétitivité et de l'attractivité de son territoire. Or, depuis cinq ans, le nombre de créations d'entreprise a stagné, malgré une conjoncture économique favorable.

Paradoxalement - cela a été rappelé -, les Français sont quinze millions à vouloir créer leur entreprise. Cet engouement en dit long sur leur souhait d'être professionnellement indépendants. Besoin d'indépendance, mais aussi désir de réussite sociale, ou encore volonté de sortir de l'exclusion, envie de se réaliser dans un projet collectif : nombreuses sont les raisons de se lancer dans un projet de création ou de reprise d'entreprise. Alors, chaque année, ils sont 180 000 à créer leur entreprise, employant 300 000 salariés. De plus, ils contribuent à hauteur de 2 % à la valeur ajoutée de notre économie.

Les pouvoirs publics n'ignorent pas ce potentiel. Mais, jusqu'à présent, ils n'ont pas su créer un environnement favorable à son épanouissement. Les carences de l'accompagnement, les difficultés d'accès au financement, la complexité administrative sont autant de difficultés décourageantes auxquelles se heurtent les entrepreneurs débutants. C'est pour que puissent être relevés tous ces défis que vous avez, monsieur le secrétaire d'Etat, déposé le présent projet de loi pour l'initiative économique.

La commission spéciale se réjouit que le Gouvernement ait accordé une large place au volet social dans ce texte, démontrant ainsi sa volonté d'aménager un environnement favorable à l'acte de création ou de reprise.

Resserré à l'origine autour de huit articles regroupés aux titres II et IV, ce volet social à été significativement étendu après son passage à l'Assemblée nationale, avec l'adoption de trente-cinq amendements dont sept articles additionnels. Son champ couvre des mesures diverses, à travers lesquelles le Gouvernement vise trois objectifs.

En premier lieu, le Gouvernement veut permettre au salarié de devenir entrepreneur sans entrer dans un conflit d'intérêts avec son employeur, par une adaptation significative du contrat de travail.

En deuxième lieu, il souhaite améliorer la qualité de l'accompagnement, élément essentiel pour la pérennisation des entreprises nouvelles, en créant un nouveau contrat d'accompagnement et en renforçant la participation des collectivités publiques.

En troisième lieu, il veut adapter le système de cotisations sociales au service de la création d'entreprises, pour éviter de pénaliser économiquement le démarrage des activités, mais aussi en réponse à des préoccupations d'équité et de simplification.

A cet égard, au-delà des mesures de report et de réduction des cotisations sociales du texte initial, l'Assemblée nationale a ajouté des dispositions de simplification administrative visant à soulager les entrepreneurs de leurs obligations déclaratives sociales et fiscales. La simplification du système de déclarations et de recouvrement des cotisations sociales est en effet une nécessité pour cesser de décourager l'embauche, exigence à laquelle le Gouvernement entend au demeurant s'attaquer en prévoyant d'y procéder par voie d'ordonnances. Mais l'Assemblée nationale a voulu anticiper une telle réforme de quelques semaines, donnant ainsi au projet de loi initial une dimension inattendue.

Ces dernières modifications, dont la conception n'apparaît pas totalement achevée, ne doivent pas pour autant occulter les autres dispositions du texte qui - faut-il le rappeler ? - constituent l'essentiel du projet initial. Une vingtaine d'auditions exclusivement réservées au volet social nous ont permis de prendre la mesure des espoirs soulevés par ce projet de loi, mais aussi des attentes qui se sont exprimées.

C'est pourquoi la commission spéciale a souhaité améliorer le texte en plusieurs points pour le rendre, d'abord, plus explicite, ensuite, plus équitable et, enfin, plus équilibré.

Tout d'abord, la commission spéciale se félicite que ce cadre juridique soit enfin mis en place, aux articles 10 et 11 du projet de loi, pour réglementer l'activité des accompagnateurs. Mais elle s'est émue de ce que le dispositif d'accompagnement proposé par le Gouvernement ne soit pas suffisamment explicite dans ses modalités d'application. Elle a donc tenu à apporter des précisions indispensables à sa mise en place en rappelant notamment que les repreneurs d'entreprise devaient être mentionnés chaque fois que les créateurs étaient évoqués. En effet, il est indispensable que les repreneurs d'entreprise soient encouragés car, comme M. le secrétaire d'Etat et M. le président de la commission spéciale l'ont rappelé, le nombre des reprises d'entreprise est en baisse depuis de nombreuses années, phénomène qui risque de s'aggraver encore dans les années à venir compte tenu du nombre de départs à la retraite des dirigeants actuels.

S'agissant toujours de l'accompagnement, la commission spéciale a craint que la coresponsabilité légale des accompagnants en matière d'engagements ne les décourage, surtout lorsque il s'agit de bénévoles. Aussi, de peur que le nouveau contrat d'accompagnement, aussi pertinent soit-il, ne reste lettre morte, elle a tenu à expurger le caractère systématique de la coresponsabilité après l'immatriculation de l'entreprise, afin de permettre aux accompagnateurs d'exercer leur activité de la manière la plus libre qui soit, dans le seul cadre du contrat.

Dans un deuxième temps, la commission spéciale a souhaité rendre certains dispositifs plus équitables. Ainsi, tout en se félicitant de la volonté du Gouvernement et de l'Assemblée nationale de favoriser la création ou la reprise d'entreprises par les salariés et par les conjoints d'assurés, elle s'est montrée dubitative quant au champ restreint des personnes visées. Dès lors, elle proposera d'étendre le dispositif d'exonération temporaire des cotisations sociales de l'article 8 à tous les créateurs d'entreprise disposant d'une couverture sociale, quel que soit leur statut, et, par voie de conséquence, de supprimer l'article 8 bis.

Parallèlement, elle souhaite plus de pragmatisme quant aux modalités de calcul des cotisations sociales des travailleurs indépendants occasionnels. Elle a donc estimé nécessaire, à l'article 12, que leur montant soit établi proportionnellement au bénéfice réel.

De même, l'équité étant une exigence non pas seulement sociale mais aussi territoriale, la commission spéciale suggérera d'étendre aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle les dérogations relatives au travail continu, afin de favoriser l'initiative économique dans ces départements où le maintien du droit local peut parfois pénaliser leur compétitivité économique. Enfin, elle proposera également de faciliter la transition entre le statut de salarié et celui d'entrepreneur en supprimant ce qui peut actuellement constituer un obstacle à ce passage en matière de gestion des contrats d'assurance vie de groupe. Ces deux dispositions seront soumises au Sénat par voie d'amendements tendant à insérer des articles additionnels dans le projet de loi.

En dernier lieu, soucieuse de sécurité juridique et convaincue que la clarté du droit est un élément incontournable de la compétitivité des entreprises, la commission spéciale proposera, aux articles 9 et 9 bis, deux amendements tendant à clarifier certaines dispositions du texte relatives au travail à temps partiel, afin d'éviter toute confusion préjudiciable à leur applicabilité.

J'en viens à présent aux mesures de simplification relatives aux guichets uniques et au chèque-emploi entreprises. Monsieur le secrétaire d'Etat, la commission spéciale à été unanime pour affirmer que la simplification administrative était une nécessité qui ne pouvait plus être reportée.

M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat. Je m'en réjouis !

Mme Annick Bocandé, rapporteur. Les résistances exprimées ici ou là ne doivent pas empêcher une réforme attendue et souhaitée de longue date par les entrepreneurs.

M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat. Très bien !

Mme Annick Bocandé, rapporteur. Cependant, l'analyse technique des articles 6 quater, 6 quinquies et 18 bis démontre que beaucoup de difficultés pratiques doivent encore être résolues pour permettre leur mise en oeuvre. En outre, les très nombreuses auditions auxquelles a procédé la commission spéciale ont révélé qu'aucun dialogue préalable formel et précis n'avait été entrepris avant l'adoption par l'Assemblée nationale de ces mesures, ni avec des syndicats de salariés et les organisations professionnelles d'employeurs ni avec les divers organismes de sécurité sociale.

Il a donc semblé à la commission spéciale que ce temps de la concertation était absolument nécessaire pour parvenir à réformer et à simplifier de manière utile. A cette occasion, il s'agira d'examiner les problèmes de cohérence avec les dispositifs déjà existants comme les guichets électroniques, les formules simplifiées de déclaration sociale et les mécanismes de titres-emploi. Il s'agira aussi de prendre le temps pour renégocier toutes les conventions collectives pour l'utilisation du chèque-emploi entreprises, adapter les systèmes informatiques, harmoniser les dates d'échéance des cotisations entre les divers organismes sociaux, voire les modes de calcul.

La commission spéciale s'est donc prononcée en faveur de la suppression des articles 6 quater, 6 quinquies et 18 bis de ce projet de loi, introduits par l'Assemblée nationale, parce qu'elle est convaincue que les dispositifs qu'ils concernent pourront être prochainement institués par voie d'ordonnance.

Fidèle à une tradition qui a fait ses preuves, elle a voulu donner le temps au dialogue et à la concertation. D'ailleurs, le Gouvernement l'a précédée dans cette démarche en diligentant plusieurs enquêtes et consultations, dont la connaissance des résultats est indispensable pour pouvoir légiférer efficacement et sereinement.

Le Gouvernement pourra compter sur le Sénat pour soutenir, dans le cadre des ordonnances, une réforme qui, nous n'en doutons pas, doit aboutir. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. René Trégouët, rapporteur.

M. René Trégouët, rapporteur de la commission spéciale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, notre collègue M. Francis Grignon, qui préside aux travaux de la commission spéciale avec un talent et une gentillesse auxquels je souhaite rendre hommage, rappelait tout à l'heure que le principal obstacle opposé à nos concitoyens souhaitant se lancer dans cette grande aventure humaine qu'est la création ou la reprise d'entreprise est en fait d'ordre financier.

Les Français ont en effet, plus qu'on ne le croit, le goût d'entreprendre, mais ils peinent souvent à trouver des financements pour donner vie à leurs projets.

On dit parfois que la vie d'une entreprise peut être comparée à un marathon. Encore convient-il de pouvoir prendre le départ ! Si l'on ne peut courir les 250 premiers mètres, on ne peut évidemment espérer courir plus loin.

C'est pourquoi j'attache une grande importance aux dispositions du titre III du présent projet de loi.

En effet, les neuf articles de ce titre tendent à proposer un éventail de mesures de nature à catalyser une nouvelle dynamique en faveur du financement des PME et, plus spécifiquement, en faveur de la création d'entreprises.

Six de ces articles, qui répondent d'ailleurs aux préconisations formulées depuis plusieurs années par la commission des finances et par la commission des affaires économiques du Sénat, tendent ainsi à renforcer les fonds propres des petites entreprises.

Il en est ainsi de l'article 15 qui triple la réduction d'impôt du dispositif « Madelin », de l'article 16, qui double - ce qui n'est que justice - le montant déductible des pertes en capital subies à la suite de la souscription au capital d'une société nouvelle ou d'une société en difficulté. Il en est ainsi également de l'article 16 bis, empreint de bon sens, qui permet aux créateurs ou repreneurs d'entreprise de mobiliser de manière anticipée l'épargne investie dans des plans d'épargne en actions, les PEA, pour leur projet de création ou de reprise d'entreprise, sans perdre leur avantage fiscal et sans clôturer leur plan. Enfin, il en est ainsi de l'article 17 bis, qui prévoit d'instaurer une sortie en sifflet pour le régime de zone franche de Corse.

La commission spéciale se félicite tout particulièrement des articles 13 et 14, qui créent les fonds d'investissement de proximité, les FIP, et qui leur confèrent un avantage fiscal important. Elle estime d'ailleurs nécessaire de préciser que seront également éligibles au financement par les FIP les entreprises ayant établi leur siège social dans la zone géographique couverte par le fonds, afin d'éviter que certaines PME ne puissent être éligibles à aucun FIP.

En outre, en contrepartie de la dépense fiscale consentie en faveur du développement des FIP, la commission spéciale souhaite que 10 % des fonds récoltés financent les entreprises nouvelles créées depuis moins de trois ans.

Enfin, la commission spéciale vous proposera, pour compléter ce dispositif, de remédier à une omission, survenue lors de la codification du code monétaire et financier, qui crée une source d'insécurité juridique pour les souscripteurs des fonds communs de placement dans l'innovation, les FCPI.

Au-delà de ces dispositions fiscales, deux articles importants tendent à remédier au rationnement du crédit bancaire au détriment des PME et à accroître la confiance mutuelle entre les PME et leurs établissements de crédit.

En premier lieu, l'article 13 A, introduit sur l'initiative de l'Assemblée nationale, tend à instituer un délai de préavis d'une durée fixée par décret pour la suppression par un établissement de crédit de ses concours à une entreprise, ce qui est de nature à rassurer les plus vulnérables d'entre elles.

En second lieu, l'article 17 tend à supprimer le plafonnement des taux d'intérêt sur les concours accordés « à froid » par les établissements de crédit à l'ensemble des personnes morales se livrant à une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou professionnelle non commerciale.

Je m'en félicite, car cet article est la preuve du courage manifesté par le Gouvernement - j'espère qu'il sera approuvé totalement par la Haute Assemblée - pour faire sauter les verrous entravant la création d'entreprise.

Ceux qui connaissent un peu l'histoire économique de notre pays savent combien ce taux d'usure a joué un rôle important, surtout dans nos pays catholiques, par rapport aux pays de la Réforme. Il s'agit donc là d'une décision essentielle pour les entreprises françaises, qui revêt la même portée symbolique que la libération des prix à son époque.

On peut, en effet, rappeler que le plafonnement des taux d'intérêt n'est qu'une forme de contrôle des prix qui empêche aujourd'hui les banques d'accorder des micro-crédits ou de financer plus largement des activités risquées, telles que la création d'entreprise, le développement d'entreprises innovantes ou le soutien aux entreprises confrontées à des difficultés de trésorerie. Nous aurons l'occasion d'aborder ce sujet très intéressant lors de la discussion des articles.

Pour conclure sur le titre III, je me dois d'ajouter que la commission spéciale vous proposera de compléter ce titre par un article additionnel prévoyant le dépôt par le Gouvernement d'un rapport annuel au Parlement sur les achats des services de l'Etat aux PME. Cette disposition est inspirée des travaux du président de la commission spéciale Francis Grignon sur la Small Business Administration, selon laquelle les achats publics peuvent contribuer efficacement au développement des petites et moyennes entreprises.

J'en viens au titre V. Les cinq articles initialement proposés par le Gouvernement visent à réduire le frottement fiscal des transmissions d'entreprise aussi bien pour les vendeurs que pour les repreneurs.

L'article 22 relatif au régime d'exonération des plus-values professionnelles des entrepreneurs individuels est sans doute le plus important. En effet, la dépense fiscale qui résulte de ce seul article représente plus que celle de tous les autres articles du projet de loi.

C'est d'ailleurs là un démenti à tous ceux qui affirment que ce projet de loi privilégierait seulement les activités exercées sous la forme sociétaire et oublierait les entrepreneurs individuels, qui sont pourtant les seuls concernés par ce régime.

C'est aussi une invitation adressée à ceux de nos collègues qui, sur toutes les travées, ont souhaité aller beaucoup plus loin et beaucoup plus vite pour prendre en compte la situation de nos finances publiques. La commission spéciale leur demandera ainsi de se rallier à un amendement tendant à supprimer les effets de seuils du régime d'exonération.

Par ailleurs, il convient de rappeler que l'Assemblée nationale a introduit trois articles additionnels qui visent à diminuer les effets antiéconomiques liés à l'impôt de solidarité sur la fortune, l'ISF.

Là encore, la commission se félicite du courage politique dont sont empreintes ces dispositions : notre fiscalité doit être appréciée à l'aune non pas de clichés idéologiques, mais bien de ses conséquences en termes de créations d'emplois.

C'est bien dans cet esprit pragmatique que la commission spéciale vous présentera des amendements à ces articles, ainsi que quatre amendements visant à insérer des articles additionnels après l'article 26 quater, dont l'objet est de favoriser l'investissement des patrimoines concernés dans l'économie.

Au total, j'espère que ces mesures se traduiront, bien au-delà de leur seul effet mécanique, par un électrochoc de nature à réanimer la création d'entreprises. Elles constituent, en effet, une véritable reconnaissance pour les créateurs d'entreprise, c'est-à-dire pour tous ceux qui prennent des risques personnels au bénéfice de tous.

J'ai d'ailleurs fait un rêve, le rêve que ce projet de loi favorise l'évolution de nos mentalités, afin que le créateur qui a connu un premier échec ne soit plus accablé, dénigré, rejeté et, notamment du fait du dispositif de cotation des dirigeants, empêché de créer de nouveau. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 82 minutes ;

Groupe socialiste, 44 minutes ;

Groupe de l'Union centriste, 18 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 13 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Daniel Raoul.

M. Daniel Raoul. Lors de la présentation au Sénat de votre projet de loi, monsieur le secrétaire d'Etat, nous vous avions écouté avec une oreille attentive, sinon « gourmande », si vous me permettez l'expression. Les six thèmes déclinés concernaient les mesures visant à faciliter la création d'entreprise, l'essaimage, le financement, l'accompagnement et le développement de l'esprit entreprenarial, termes que je préfère à ceux d'esprit d'entreprise, qui datent d'une vingtaine d'années, époque à laquelle il était bon de développer la culture d'entreprise. Mais ce n'est plus le cas actuellement.

Ces six thèmes rejoignaient les objectifs visés par le texte proposé par votre prédécesseur, M. François Patriat. Vous avez d'ailleurs repris, dans leur esprit, certaines de ses dispositions, ce qui souligne leur justesse. Ce texte prenait en compte les besoins respectifs des PME, des artisans, des petits commerçants et des très petites entreprises, les TPE.

Avant la discussion devant la Haute Assemblée, avant vos explications, monsieur le secrétaire d'Etat, et les débats sur les différents articles, globalement, le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale donne l'impression d'une focalisation sur la créativité réduite à la seule question fiscale et sur le dogme de l'abaissement des charges sociales créant de l'emploi, ce qui n'a jamais été démontré. Mes collègues MM. Massion et Godefroy aborderont plus en détail ces deux aspects.

En revanche, les moyens d'assurer le développement réel par la formation, l'accompagnement des entrepreneurs, les dimensions sociales en matière d'emploi liées à la création, les aspects relatifs à l'aménagement du territoire auxquels, nous, élus locaux, sommes très attachés, ne sont que partiellement ou partialement abordés.

Dans un contexte de ralentissement économique et de multiplication des plans de licenciements, que l'on baptise par euphémisme plans de sauvegarde de l'emploi, votre majorité prétend favoriser l'emploi par la remise en cause de l'impôt de solidarité sur la fortune, qui avait pour vocation, à l'origine, de financer le RMI, ce qui frise la provocation et donne lieu à une surenchère entre le Gouvernement et sa majorité.

L'objectif de création d'un million d'entreprises sur cinq ans, repris par le Président de la République - dans sa campagne électorale, il est vrai, mais vous venez de confirmer cet objectif, monsieur le secrétaire d'Etat, à raison de 200 000 créations d'entreprises par an -, était assorti de la volonté d'assurer la pérennité des entreprises. Le projet de loi qui nous est soumis laisse totalement ouverte la question de la durabilité des projets et oublie les réseaux d'accompagnement, pourtant si importants pour les petites entreprises et les entreprises individuelles.

Ainsi, les artisans et les TPE sont les oubliés de ce projet.

M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat. Mais non !

M. Daniel Raoul. L'Union professionnelle artisanale elle-même se déclare déçue, car la majorité des incitations sont destinées aux sociétés et ne concerneront pas de très nombreux artisans, qui sont à 60 % des entreprises individuelles.

Il y a d'autres oublis : les mesures destinées à assurer la survie à long terme des entreprises, la réflexion sur la sécurisation de concours bancaires et la protection réelle des entrepreneurs, notamment individuels, en cas d'échec.

Pourquoi ne pas avoir repris la mise en place d'un « reste à vivre » plus large et plus sécurisant, au-delà de l'insaisissabilité de l'habitation principale, dont la procédure reste complexe ?

Il en est de même du statut de conjoint collaborateur, question que vous renvoyez à des échéances ultérieures.

Pourquoi refuser l'orientation de l'épargne populaire vers des emplois productifs, alors que le Gouvernement dit vouloir « combattre l'argent qui dort » et favoriser « l'argent qui travaille » ?

Nous ne trouvons aucune réflexion générale sur le rôle des collectivités, les réseaux locaux d'entreprises ou la prise en compte des zones particulièrement défavorisées ; un rapport de la Haute Assemblée a été consacré à ces zones en difficultés.

Au-delà du relèvement des seuils des plus-values, pour favoriser la transmission ou la reprise d'entreprise et éviter les fermetures de services et de commerces dans les quartiers urbains et dans les communes, il aurait fallu étaler le paiement de l'impôt sur la plus-value sur plusieurs exercices, et non pas la faire payer « cash », alors que le créateur a mis quelquefois trente ans à constituer et à développer son fonds de commerce ou son activité.

Face à ce problème fiscal, les élus locaux, qui ont souvent participé à la création ou à l'implantation d'une entreprise, sont totalement démunis pour aider le salarié, souvent seul compagnon, ou le chômeur à franchir cette marche trop élevée en une seule fois.

Dans le contexte économique national que nous connaissons tous dans nos régions, comment ne pas évoquer le coût de votre projet : environ 350 millions d'euros, plus 50 millions d'euros d'exonérations et, en prime - vous venez de le confirmer, monsieur le secrétaire d'Etat -, les 200 millions de la réforme de l'ISF ? Comment ne pas comparer ce coût à la mesquinerie qui consiste à transformer la prime en un avoir remboursable ?

L'ensemble des mesures apparaissent disproportionnées par rapport à leur effet sur les créateurs d'entreprise, alors que la France se fait rappeler à l'ordre par Bruxelles, alors que Bercy gèle des parts énormes des budgets des différents ministères - logement, équipement, recherche - et que, dans le même temps, vous allez creuser le déficit de la sécurité sociale.

Enfin, monsieur le secrétaire d'Etat, j'ose espérer que vous allez mettre fin au suspense en ce qui concerne le guichet unique en nous informant de la voie que vous prendrez pour mettre en place un dispositif qui, pour le moins, n'est pas mûr et qui nécessite une plus large concertation, comme l'a souligné Mme le rapporteur.

Nous vous assurons de notre volonté de corriger les dérives du texte qui est issu des travaux de l'Assemblée nationale : elles ont une connotation trop marquée et les cadeaux ne font l'objet d'aucune contrepartie pour favoriser l'emploi.

Mais nous sommes prêts à avoir une démarche constructive. En tout cas, tel est le sens et l'esprit des amendements que nous présenterons pour corriger les oublis en direction des TPE et des artisans, pour rectifier des inégalités face à l'impôt et aux charges sociales - je pense tout spécialement à la différence entre un salarié et un chômeur - et pour rétablir la solidarité s'agissant de l'ISF. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.

Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à l'heure où les grandes entreprises licencient massivement, un projet de loi s'intéressant au potentiel d'emplois que recèlent nos PME, nos petits commerces de proximité et notre artisanat est évidemment bienvenu.

Pour soutenir, consolider et développer ce secteur, nous devons tous avoir à l'esprit que, pour l'essentiel, nos PME sont de très petite taille : sur le territoire métropolitain, 97 % d'entre elles comprennent en effet moins de vingt salariés.

Leur participation au développement économique de notre pays est pourtant loin d'être négligeable, puisqu'elles contribuent pour 27 % à la création de la valeur ajoutée et représentent 37 % de l'emploi salarié. Ce sont ces mêmes entreprises qui auront connu, au cours des années quatre-vingt-dix, une progression de l'emploi de 9 %, alors que, parallèlement, l'emploi diminuait de 2 % dans les grandes entreprises.

Vous le signalez vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, entre 1991 et 1998, les entreprises de moins de dix salariés ont créé deux millions d'emplois, tandis que celles de plus de cent salariés en détruisaient plus d'un million.

Il faut également insister sur la place toute particulière qu'occupe l'artisanat, qui ne compte pas moins de 2,3 millions emplois et qui a connu une progression de 4 % en matière d'emploi depuis le début des années quatre-vingt-dix. Autant souligner le rôle d'amortisseur qu'a pu, globalement, jouer ce secteur.

Nous savons aussi combien ce réseau de PME est essentiel à l'aménagement équilibré de notre territoire national au moment où les grands groupes ont tendance à le disloquer au profit d'une intégration au marché mondial.

La présence territoriale de petites entreprises contribue incontestablement à la consolidation du tissu social. Elle oppose autant de freins à la désertification de certaines zones, notamment - mais pas exclusivement - des zones rurales.

Nous sommes donc attentifs, monsieur le secrétaire d'Etat, à ce projet de loi, qui a pour ambition de valoriser les gisements d'activités de ce secteur.

Certaines des mesures que vous prônez pourront être entendues. Ainsi en est-il de celles qui tendraient à simplifier certaines démarches et procédures administratives en s'appuyant sur les nouvelles technologies de communication.

On peut également s'intéresser aux dispositions visant à accorder des facilités aux salariés qui ont l'ambition de créer leur propre entreprise.

De même, la mise en place d'un contrat d'accompagnement qui permettrait d'assurer une certaine protection aux salariés s'engageant dans la voie risquée de la création d'entreprise constitue plutôt une avancée. Les mesures d'accompagnement peuvent, en effet, contribuer à conforter le salarié dans sa démarche, l'aider à faire face aux aléas et aux embûches qui sont inhérents au pari qu'il a fait et qui, dans bien des cas, contribuent à l'échec des projets entrepris. Elles peuvent concourir à lui faire passer le cap fatidique des trois années au terme desquelles 40 % des entreprises créées disparaissent.

Faciliter pour les entreprises la domiciliation, assurer la protection de la résidence principale de l'entrepreneur, renforcer la sécurité des personnes qui se portent caution sont aussi des mesures intéressantes.

Les dispositions concernant les droits de mutation lors d'une transmission d'une entreprise à l'un de ses salariés méritent une attention particulière. Nous savons combien, notamment pour les entreprises artisanales, de tels droits constituent un obstacle non négligeable à la poursuite de l'activité et au maintien de l'emploi. Le vieillissement des dirigeants des PME nous invite à prendre ce genre de mesures qui facilitent la transmission d'entreprises afin de préserver notre potentiel économique.

Ces dispositions sont certes nécessaires, monsieur le secrétaire d'Etat, mais votre projet de loi ne permettra ni de dynamiser ce secteur ni de favoriser, comme vous le prétendez, la création d'emplois par le biais de la création de nouvelles entreprises. En effet, sur le fond, ce texte, dont le caractère fiscal est prédominant, n'apporte guère de réponses appropriées aux attentes et aux exigences de ce secteur d'activité. Il risque donc de rater les objectifs qui le sous-tendent. Créer plus d'entreprises est totalement inutile si celles-ci ne subsistent pas. Or - je l'ai signalé tout à l'heure - 40 % des entreprises créées disparaissent au bout de trois ans, dont 47 % quand le créateur est chômeur et 46 % lorsque l'entreprise créée est une entreprise individuelle.

Nous savons tous que le financement constitue la clé de la pérennisation de ces entreprises. Selon une étude de l'INSEE réalisée en mars 2000, la clé de la viabilité d'une entreprise réside d'abord dans les moyens consacrés au lancement du projet, à savoir les achats de machines, les dépenses d'équipement et d'installation. Moins de 50 % des entrepreneurs ayant investi un montant initial inférieur à 1 500 euros ne franchissent pas le cap du troisième anniversaire. En revanche, plus de 80 % de ceux qui ont investi au moins 7 500 euros ont réussi à maintenir leur activité et à la faire prospérer. Au rang des facteurs qui contribuent à la réussite de l'entreprise viennent ensuite l'expérience professionnelle dans le secteur et le niveau de diplôme, autrement dit la formation.

Le renforcement des fonds propres des entreprises, notamment des plus petites d'entre elles, est donc incontournable.

Nous savons que du montant du capital social de départ dépendent les crédits futurs que le banquier est susceptible d'accorder aux PME, qui, à cet égard, sont dans une situation très inégalitaire face aux grandes sociétés.

A l'heure où les nouvelles technologies pénètrent avec force dans nos PME, contribuant ainsi à la modernisation de notre tissu industriel, mais a fortiori aussi au renchérissement du coût du capital, l'accès privilégié au crédit, à des taux préférentiels, constitue l'une des conditions, pour ne pas dire la condition sine qua non, de la durabilité de nos petites entreprises. En effet nous savons que, aujourd'hui, l'une des sources majeures des difficultés des PME réside dans le poids des charges financières qu'elles supportent. Pour le dire autrement, notre système de crédit ne répond pas efficacement à leurs besoins de financement.

Vos fonds d'investissement de proximité, monsieur le secrétaire d'Etat, dont on pourrait se demander, au vu des dispositions fiscales qu'ils comportent - mais ce n'est là qu'une simple interrogation -, s'ils n'ont pas été créés dans l'unique but d'accorder des avantages fiscaux, ne sont destinés qu'aux seules sociétés. Au total, 60 % des entreprises artisanales sont donc exclues de votre dispositif.

Les moyens de financement ne ratent-ils donc pas leur cible, lorsque l'on sait le manque crucial de fonds dont souffrent nos plus petites entreprises ? Comment ne pas penser, par ailleurs, que ces FIP viennent à point, au moment où les fonds communs de placement à risques régionaux connaissent de grandes difficultés, liées sans doute au reflux boursier ? S'agit-il d'une simple coïncidence ?

Enfin, comment ne pas souligner encore le faible risque que prend le souscripteur par l'affectation du quota d'investissement de 10 % au financement des entreprises de moins de huit ans ?

Monsieur le secrétaire d'Etat, votre texte, dont le caractère nettement fiscal a encore été accentué par des allégements honteux de l'impôt de solidarité sur la fortune décidés à l'Assemblée nationale - nous aurons l'occasion d'y revenir en présentant nos amendements -, s'inscrit pleinement dans le programme libéral de votre gouvernement !

M. Jacques Oudin. Que les Français soutiennent !

M. Alain Fouché. C'est vraiment un discours d'une autre époque !

Mme Odette Terrade. Après de nombreux allégements des charges sociales dont l'efficacité, si l'on considère la multiplication des plans sociaux, est plus que douteuse, vous multipliez les cadeaux fiscaux au prétexte que de telles mesures seraient à même de développer l'emploi.

Nous n'avons pas oublié les incitations fiscales décidées en 1996...

M. Jacques Oudin. Loi que j'avais défendue !

Mme Odette Terrade. ... en faveur de la souscription de parts de copropriété de navires, dont le coût - 303 millions d'euros - n'aura permis de sauver que quelque trois cent cinquante navires !

M. Jacques Oudin. Pas du tout ! Vingt-deux milliards d'euros d'investissements programmés !

Mme Odette Terrade. Quel gaspillage, monsieur le secrétaire d'Etat ! Les allégements d'impôt de solidarité sur la formule représentent un montant équivalent aux besoins de financement de l'allocation personnalisé d'autonomie, que vous remettez en cause, soit 500 millions d'euros.

M. Jacques Oudin. Quel est le rapport ?

Mme Odette Terrade. C'est le produit de l'ISF qui paie !

M. le président. Poursuivez, madame Terrade !

Mme Odette Terrade. D'un côté, on tire vers le bas les salaires, autrement dit les revenus du travail - et ce ne sont pas les 5,5 millions d'actifs de ce secteur qui subissent de plus en plus la pression des grands groupes qui me démentiront -, de l'autre, on tire vers le haut le patrimoine des plus riches, autrement dit des rentiers.

Au moment même où vous remettez en cause l'ISF, vous transformez les aides financières destinées aux personnes en difficulté en avances remboursables pour, dites-vous, responsabiliser leurs bénéficiaires. Quelle fracture sur le plan de la justice sociale !

Durcir le régime d'aide aux personnes en difficulté, aux chômeurs de longue durée qui voudraient créer une entreprise en contrepartie d'un allégement de l'ISF révèle à n'en pas douter votre conception particulière de l'équité sociale !

Cette manière de procéder ravive, comme il a été souligné dans les rangs même de l'UMP, « des oppositions de classe ». Et vous m'accusez de discours d'un autre temps ! Elle donne de la politique gouvernementale « une tonalité résolument libérale ».

Or, loin de stopper cette fuite en avant, j'observe que la commission spéciale poursuit obstinément dans cette voie en accordant de nouveaux cadeaux fiscaux. Elle propose même - et cela frôle l'indécence, monsieur le secrétaire d'Etat - d'écarter pour six mois le droit de reprise de l'administration fiscale en cas de dépôt spontané d'une déclaration rectificative ou nouvelle à l'ISF, sous prétexte de rapatriement de capitaux délocalisés !

Enfin, la majorité sénatoriale vient d'adopter, lors de la discussion du projet de loi de sécurité financière, et, comme le précise un grand quotidien du soir, « dans la plus grande discrétion », un amendement supprimant l'obligation faite aux dirigeants de sociétés non cotées de rendre publiques leurs rémunérations.

M. Jacques Oudin. C'est mon amendement, et j'en suis fier !

Mme Odette Terrade. Pour un texte qui se targuait de favoriser la transparence financière, voilà chose faite !

Comme le souligne l'un des sociologues français spécialiste de la haute bourgeoisie, pour cette « véritable classe sociale », « comme les handicaps sociaux se cumulent, les privilèges s'accumulent » ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Jacques Oudin. Pour les petits entrepreneurs ?...

Mme Odette Terrade. Sur le plan économique, je suis convaincue, quant à moi, monsieur le secrétaire d'Etat, que ceux qui devraient faire preuve de plus de sens des responsabilités sont ceux qui se sont livrés depuis des années à la spéculation financière. Nous héritons aujourd'hui d'une situation économique particulièrement dégradée, avec des prévisions de croissance de l'ordre de 1,3 % qui sont sans cesse révisées à la baisse, sur fond de chômage croissant.

Rappelons qu'il y a deux mois la majorité de droite ovationnait le Premier ministre, qui prétendait atteindre une croissance de 2,5 %. Aujourd'hui, nous frôlons dangereusement la déflation, tandis que nous sommes contraints d'apurer les pertes financières liées à la dernière vague de spéculation et d'euphorie boursières ! Les PME sont les premières à souffrir de cette situation parce qu'elles ont, plus qu'hier, des difficultés à trouver des financements.

C'est là que le bât blesse, monsieur le secrétaire d'Etat : vos allégements fiscaux ne permettront sans doute pas de ranimer l'esprit d'entreprendre ! Car ce qui tue l'esprit d'entreprendre, c'est l'esprit affairiste, la volonté de rentabilité immédiate et de gains juteux réalisés sur les marchés financiers !

M. Joseph Ostermann. Cela n'a rien à voir !

Mme Odette Terrade. Nous pensons que les difficultés économiques et sociales que connaissent aujourd'hui nos économies sont le résultat d'une répartition de plus en plus inégale des richesses.

Au fond, votre texte, qui a été « retravaillé » par la majorité, loin de répondre aux besoins du secteur, a eu pour unique visée la mise en oeuvre d'un projet de société libérale. J'en veux pour preuve les diverses dispositions qui portent directement atteinte au droit du travail.

Ainsi, sous couvert de simplification administrative, vous tentez de mettre en place un guichet unique qui ne répond absolument pas aux attentes des professionnels du secteur et qui risque, qui plus est, de provoquer des suppressions d'emplois dans un contexte déjà particulièrement déprimé ! C'est, sans aucun doute, faire preuve d'écoute sociale et de pragmatisme !

Ainsi, la généralisation du système de chèque-emploi entreprises risque de faire voler en éclats les conventions collectives de nombreux secteurs. Nous ne nions pas que, dans certains cas, le recours à un dispositif de ce genre serait utile, mais il devrait répondre à des besoins spécifiques de la profession et donc être strictement encadré. Dans le cas contraire, tous les abus, en termes de travail dissimulé, sont possibles.

Ainsi, le retour à la présomption de non-salariat, qui figurait dans la loi Madelin de 1994, faciliterait les pratiques de marchandage, voire de tâcheronage, que souhaitent développer les grandes sociétés donneuses d'ordres. Une telle présomption risque d'accroître l'insécurité du travailleur indépendant en le plaçant sous la coupe du donneur d'ordres. (M. le secrétaire d'Etat fait un signe de dénégation.)

Dans le même esprit, votre projet de loi semble avant tout adapté aux exigences de cette flexibilité que réclament les grands groupes. Ces derniers ont en effet intérêt au développement de la sous-traitance. Qui nierait qu'ils externalisent déjà de plus en plus d'activités, pour s'entourer d'un réseau de PME sous-traitantes sur lesquelles ils font peser des exigences de rentabilité toujours plus lourdes ? L'article 10 du projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui va précisément dans ce sens.

« Produire sans usine » : telle est la formule, lapidaire, mais ô combien éclairante, du PDG d'Alcatel à propos de la transformation actuelle de notre société. On cherche aujourd'hui à intégrer les cadres à ce projet de société libérale, en facilitant leur transition entre l'activité salariée et l'activité de créateur d'entreprise. Il s'agit là d'une réponse à la volonté des grands groupes d'externaliser une main-d'oeuvre qualifiée, qui garde néanmoins un lien de subordination avec l'entreprise, mais sans plus bénéficier des droits sociaux attachés au statut de salarié.

Le développement de la sous-traitance aujourd'hui contribue à aggraver la dégradation de notre situation économique en tirant l'ensemble des coûts salariaux, et consécutivement des prix, vers le bas.

Votre politique, monsieur le secrétaire d'Etat, va précisément dans ce sens, en cherchant à assouplir toutes les contraintes liées aux coûts. Elle risque de nous faire glisser sur un sentier de croissance plus faible encore, flirtant dangereusement avec la déflation.

Vous nous dites vouloir favoriser la compétitivité de nos PME. Mais vous avez une vision très réduite de la compétitivité, vous qui la ramenez à sa forme primaire, à savoir la compétitivité par rapport au coût. La compétitivité de nos entreprises est aussi fondée sur la qualification et donc sur la formation de leur main-d'oeuvre. Sur ce dernier point, votre projet de loi est bien discret !

Le dispositif du contrat d'accompagnement aurait mérité d'être complété par des programmes de formation destinés aux créateurs d'entreprise. Nous savons, en effet, que le manque de formation est l'une des sources d'échec de la création d'entreprise.

Au vu du caractère libéral de votre texte, nous craignons que les créations nettes d'entreprises et d'emplois ne soient pas au rendez-vous. Les PME pourraient-elles jouer un rôle d'amortisseur face aux licenciements massifs auxquels se livrent nos grandes entreprises ? Evidemment non, si le développement de la sous-traitance et de l'externalisation constitue un transfert d'activité, organisé par les grandes sociétés, précisément à l'occasion des plans sociaux. Nous observons concrètement que les grands groupes se livrent précisément aux pratiques d'essaimage lors des licenciements massifs !

Malgré quelques mesures intéressantes - nous reconnaissons qu'il y en a -, votre texte de loi semble être destiné plus aux grandes entreprises qu'aux petites, en ce qu'il consacre un renforcement des inégalités et des injustices sociales. Vous comprendrez que, pour toutes ces raisons, le groupe CRC vote contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Serge Vinçon.)