compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

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PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

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DEMANDE D'AUTORISATION D'UNE MISSION D'INFORMATION

M. le président. M. le président du Sénat a été saisi par M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles, d'une demande tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner une mission d'information afin de se rendre en Russie, du 11 au 19 septembre prochain, pour étudier, outre la politique culturelle, l'organisation de la recherche et du système universitaire.

Le Sénat sera appelé à statuer sur cette demande dans les formes fixées par l'article 21 du règlement.

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PROtocole à la convention portant création d'un fonds international d'indemnisation de la pollution par les hydrocarbures

Adoption d'un projet de loi

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation du protocole à la convention du 27 novembre 1992 portant création d'un fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures
Art. unique (début)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 308, 2003-2004), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation du protocole à la convention du 27 novembre 1992 portant création d'un fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures. [Rapport n° 338 (2003-2004).]

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la douloureuse litanie des catastrophes maritimes qui, depuis près de quarante ans, du Torrey Canyon au Prestige en passant par l'Erika, souillent les côtes américaines et européennes, a suscité une mobilisation croissante de la communauté internationale contre ce fléau qu'est la marée noire.

Celle-ci a réagi pour la première fois en 1969, avec la convention sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, qui prévoit un régime plafonné de responsabilité du propriétaire du navire.

Puis, deux ans plus tard, la création du fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, le FIPOL I, a permis d'indemniser les victimes au-delà du plafond de la première convention. Dans le FIPOL, la charge de l'indemnisation repose sur les principaux importateurs d'hydrocarbures.

La pression des armateurs des « navires poubelles » sur certains Etats a cependant retardé l'entrée en vigueur de ces deux conventions jusqu'en 1978.

Très vite, il est apparu nécessaire de renforcer le dispositif de ces deux conventions, ce qui a été réalisé en 1992 avec l'adoption de protocoles triplant le montant maximum d'indemnisation, qui est passé à environ 163 millions d'euros.

Pourtant, trois ans après son entrée en vigueur, l'ampleur de la catastrophe du naufrage de l'Erika en 1999 a eu des conséquences financières qui ont dépassé le plafond d'indemnisation alors prévu.

La France a réagi immédiatement en saisissant l'Organisation maritime internationale, l'OMI, le FIPOL et l'Union européenne, afin d'obtenir très rapidement une révision du système d'indemnisation ainsi que des normes de sécurité maritime. Grâce à cette démarche, l'OMI a inscrit la question de l'indemnisation en tête de ses priorités.

Ainsi, en octobre 2000, les Etats parties ont décidé de relever de 50 % le plafond d'indemnisation prévu dans les conventions de 1969 et 1971. De ce fait, le montant total disponible pour les indemnisations a été porté à environ 245 millions d'euros par sinistre, cette mesure entrant en vigueur en novembre 2003.

Pour autant, le mécanisme ne permet pas l'indemnisation rapide et complète des victimes dans le cas des sinistres importants, en raison de la modicité des fonds disponibles. C'est pourquoi, sur l'initiative de la France, un nouveau protocole, instituant un dispositif supplémentaire d'indemnisation, a été adopté par l'OMI le 16 mai 2003.

Ce protocole porte création d'un second fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, appelé plus communément FIPOL II. Il permettra de mobiliser au total 900 millions d'euros pour indemniser les victimes d'un sinistre. Un tel montant aurait permis une indemnisation intégrale de l'ensemble des victimes du naufrage de l'Erika, alors que, vous vous en souvenez, l'Etat a dû accorder la priorité à l'indemnisation des particuliers et des collectivités territoriales, et que ce n'est qu'en mai 2004 qu'il a pu transmettre au FIPOL une demande d'indemnisation à hauteur de 67 millions d'euros.

En raison de divergences, au sein de l'Organisation maritime internationale, entre les Etats aux côtes souillées, les Etats qui acceptent de servir de pavillon de complaisance et les Etats en développement aux capacités contributives réduites, il n'a pas été possible de se limiter à une simple révision des plafonds en vigueur et il a fallu créer une nouvelle organisation, appelée « fonds complémentaire » ou « FIPOL II ». Celle-ci est juridiquement indépendante du fonds existant, mais son fonctionnement s'appuie en grande partie sur les procédures en place, qu'elle ne fait que compléter.

Ainsi, les victimes n'auront à présenter qu'une seule demande d'indemnisation, qui vaudra pour le fonds de 1992 et pour le fonds complémentaire.

Désormais, l'indemnisation d'un sinistre sera en premier lieu à la charge du propriétaire du navire jusqu'à environ 108 millions d'euros, en vertu de la convention de 1969. Le fonds de 1992 interviendra ensuite jusqu'à un plafond de 245 millions d'euros environ, et le fonds complémentaire prendra le relais, portant ce plafond à environ 900 millions d'euros.

Les caractéristiques de ce FIPOL II présentent certaines similitudes avec le fonds de 1992. Ainsi, les Etats membres du fonds complémentaire prennent les décisions de principe. La charge financière des indemnisations est assurée par une contribution sur les compagnies qui importent dans chaque Etat partie plus de 150 000 tonnes d'hydrocarbures par voie maritime par an. A ce titre, les industriels français participent à hauteur de 10 % de l'indemnisation de chaque sinistre qui survient dans un des 85 Etats parties au FIPOL I.

Désormais, tout Etat contractant sera réputé recevoir un minimum d'un million de tonnes d'hydrocarbures et devra acquitter des contributions sur cette base. De cette façon, il sera remédié au problème de la trop faible implication dans la prise de décision de l'organisation de certains Etats qui importent relativement peu d'hydrocarbures.

Une autre faille du système du fonds de 1992 concerne l'obligation faite aux Etats parties de faire rapport à l'Organisation des quantités d'hydrocarbures reçues, ce qui est pourtant indispensable pour déterminer la répartition des parts contributives de chacun. Désormais, des sanctions dissuasives à l'encontre de l'Etat qui ne remplit pas son obligation s'appliqueront : suspension des indemnisations des nationaux de cet Etat, puis refus d'indemnisation si le manquement n'a pas été régularisé à temps.

Il convient de se féliciter d'avoir pu obtenir la création du fonds complémentaire, qui permettra l'indemnisation rapide et importante des victimes.

Toutefois, cette amélioration significative ne résout pas toutes les questions que pose l'architecture actuelle du régime international. Aussi, la France maintient toute sa vigilance, au niveau tant international qu'européen.

Tout d'abord, l'entrée en vigueur du protocole va modifier la répartition de la charge de l'indemnisation, qui a reposé, lors des vingt-cinq dernières années, à 53 % sur les armateurs et à 47 % sur l'industrie pétrolière. C'est pourquoi il convient de réexaminer la structure du système, de façon à éviter le risque d'une déresponsabilisation des propriétaires de navires ou des autres parties prenantes au transport d'hydrocarbures.

A cet égard, il convient de renforcer la coordination communautaire et d'accroître les pressions diplomatiques pour parvenir à un consensus au sein du FIPOL. En effet, lors de sa dernière réunion, du 24 au 28 mai dernier, dix-sept délégations, représentant 70 % des contributions, se sont prononcées en faveur d'une révision du régime de responsabilité des propriétaires de navires, mais dix-sept autres délégations s'y sont opposées.

En revanche, les débats ont montré que le dossier progressait s'agissant de l'intégration dans les conventions de dispositions tendant à décourager le recours à des navires présentant des risques, grâce à la création de niveaux de responsabilité supplémentaires pesant sur les affréteurs, les propriétaires de cargaison ou les réceptionnaires.

La France souhaite, dans cette perspective, que la part financière relevant de la responsabilité directe des armateurs des navires ne respectant pas les normes de sécurité les plus exigeantes soit augmentée. Une telle mesure aura pour effet de limiter la concurrence déloyale des « navires poubelles » avec les armateurs européens qui respectent ces normes de sécurité.

Enfin, il convient de se féliciter de l'adoption, vendredi dernier, à Luxembourg, de la directive européenne harmonisant la définition des infractions de pollution maritime et obligeant les Etats membres à créer et à imposer des sanctions pénales aux auteurs de pollution.

Si le dispositif adopté au Conseil est confirmé par le Parlement européen, les infractions punissables dans l'Union européenne engloberont, au-delà de la « faute intentionnelle » et du « comportement téméraire », la « négligence grave » de tous les acteurs du transport maritime.

Pour m'être rendue en Grèce il y a quelques jours, avant l'adoption de la directive, je sais qu'il y avait des réticences vis-à-vis de cette notion de « négligence grave ».

Pour autant, ce texte, qui constitue une avancée, doit encore être complété par une directive cadre sur les sanctions pécuniaires, dont la négociation suit son cours.

Il est important de montrer à quel point la France, parmi les Etats membres de l'Union européenne et au sein de l'Organisation maritime internationale, a soutenu des initiatives et fait preuve de dynamisme.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appelle le protocole à la convention du 27 novembre 1992 portant création d'un fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. André Boyer, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le protocole que nous examinons aujourd'hui a été adopté le 16 mai 2003 dans le cadre de l'Organisation maritime internationale et tire directement son origine des insuffisances flagrantes apparues après la marée noire du Prestige dans le traitement des demandes d'indemnisation.

J'ai détaillé dans mon rapport écrit les modalités de fonctionnement du système international d'indemnisation, qui fait intervenir, pour un montant limité, la responsabilité civile du propriétaire du navire et, au-delà, un fonds d'indemnisation alimenté par les importateurs pétroliers, le FIPOL.

Dans le cadre de la réglementation internationale en vigueur au moment du naufrage du Prestige, les sommes disponibles au titre de l'assurance du pétrolier et du FIPOL n'ont permis de répondre aux demandes qu'à hauteur de 15 % du préjudice subi.

Le relèvement d'un peu plus de 50 % des plafonds d'indemnisation, décidé en octobre 2000, n'est devenu effectif qu'au 1er novembre 2003 et n'a donc pu profiter aux victimes du Prestige. En tout état de cause, ces nouveaux montants n'auraient couvert qu'une partie encore trop faible des réparations.

L'objet du protocole adopté il y a un an est de couvrir les dommages pour des montants du même ordre que ceux du Prestige, en créant un nouveau fonds international en complément du FIPOL pour constituer un troisième niveau d'indemnisation profitant aux Etats qui souhaitent y adhérer.

Pour les pays les plus désireux d'améliorer la réparation des dommages, notamment la France et plusieurs de ses partenaires européens, la création de ce fonds complémentaire est apparue comme le moyen le plus efficace d'atteindre à court terme l'objectif recherché, sans avoir à obtenir un consensus parmi les quatre-vingt-cinq Etats parties aux conventions sur la responsabilité civile et sur le FIPOL.

Comme vous venez de l'indiquer, madame la ministre, ce fonds complémentaire, alimenté, comme le FIPOL, par les contributions des importateurs des pays adhérents, pourra indemniser les dommages jusqu'à 1,1 milliard de dollars, soit le niveau atteint lors de la marée noire du Prestige.

Deux particularités sont à relever.

Tout d'abord, afin d'éviter un déséquilibre au sein des pays contributeurs durant la phase de montée en puissance du fonds complémentaire, un mécanisme provisoire de plafonnement a été institué. Aucun pays ne contribuera pour plus de 20 % à ce fonds tant que celui-ci n'aura pas atteint une certaine taille critique définie dans le protocole. Ce plafonnement était une condition posée par le Japon, premier contributeur au FIPOL, pour adhérer au fonds complémentaire.

D'autre part, le fonds complémentaire n'entrera en vigueur qu'après la ratification du protocole par huit Etats, représentant au moins 450 000 tonnes de pétrole brut importé. Ces conditions pourraient être réunies d'ici à la fin de l'année 2004.

La commission des affaires étrangères a approuvé ce projet de loi, jugeant, notamment, que la ratification rapide du protocole permettrait d'éviter, dans les mois à venir, une situation aussi critique que celle qui a suivi la marée noire du Prestige.

Pour autant, elle a estimé que, en dépit des améliorations immédiates qu'il apporte, ce protocole, dicté par l'urgence, ne peut être considéré comme une réponse satisfaisante aux lacunes du régime international d'indemnisation des marées noires.

Il accentue certains défauts de ce régime, en particulier le déséquilibre de plus en plus fort entre la responsabilité limitée des propriétaires de navires et celle, bien plus étendue, des importateurs.

L'assureur du Prestige ne sera pas mis à contribution au-delà de 25 millions de dollars et, si les nouveaux montants qui sont entrés en vigueur à la fin de 2003 avaient pu s'appliquer, cette somme aurait été portée à 37 millions de dollars.

Avec le protocole, c'est la quasi-totalité de la charge qui pèserait sur la collectivité des importateurs, par le biais du FIPOL et du fonds complémentaire, soit plus d'un milliard de dollars.

Nous avons d'ailleurs relevé que, dans l'exposé des motifs du projet de loi, le Gouvernement reconnaît pleinement les limites de ce texte, qui risque d'augmenter « l'irresponsabilité des propriétaires de navire ... en les déchargeant de presque tout le poids de l'indemnisation », dans l'hypothèse où ne serait pas engagée parallèlement une révision substantielle du régime international, notamment de la convention sur la responsabilité civile des propriétaires de pétroliers.

Les différents travaux parlementaires, notamment ceux du Sénat, qui ont été réalisés à la suite des deux marées noires de l'Erika et du Prestige plaident tous dans le sens d'un relèvement des plafonds de responsabilité des propriétaires de pétroliers, avec des modulations tenant non pas exclusivement à la jauge du navire, comme c'est le cas aujourd'hui, mais également à l'état d'entretien du bâtiment et à la dangerosité de la cargaison transportée.

De même, il paraît indispensable que le régime international, tout en préservant le principe de l'assurance et de la mutualisation, nécessaire à un bon niveau d'indemnisation, permette de mieux responsabiliser tous les acteurs concernés.

Enfin, il est bien évident que, au-delà du rôle préventif et réparateur de ces conventions internationales, bien d'autres actions sont nécessaires pour éviter que ne se renouvellent les catastrophes qui ont frappé notre pays ces dernières années : je mentionnerai simplement la réglementation de la navigation, la surveillance du trafic, l'organisation des secours et le traitement des pollutions.

Certains progrès ont été réalisés, tels que la mise en place de l'Agence européenne de la sécurité maritime, la publication par les instances européennes d'une liste noire de navires, le renforcement des procédures d'inspection des navires, l'accélération du retrait des pétroliers à simple coque, l'amélioration des normes sociales applicables aux équipages, ou encore l'aggravation des sanctions pénales à l'encontre des pollueurs.

Il faut, bien entendu, poursuivre dans ce sens en ralliant à ces objectifs le plus grand nombre de pays.

C'est donc avec quelques réserves, mais en tenant compte des diverses actions déjà engagées à l'échelon national ou européen pour compléter ce protocole par lui-même insuffisant, que la commission des affaires étrangères vous demande, mes chers collègues, d'adopter le présent projet de loi. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Pintat.

M. Xavier Pintat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens d'emblée à saluer l'excellent travail de notre rapporteur sur le projet de loi dont nous abordons aujourd'hui la discussion et qui vient compléter le système international d'indemnisation des dommages causés par une pollution par les hydrocarbures.

Au regard de la répétition de catastrophes maritimes comme celles de l'Erika et du Prestige, encore très présentes dans nos mémoires, cette question est rendue particulièrement importante pour notre pays, avec ses 5 000 kilomètres de côtes, compte tenu de l'augmentation prévisible du trafic maritime.

En effet, si les naufrages du Prestige et de l'Erika ont mis l'accent sur la nécessité de renforcer nos moyens d'action contre les « navires poubelles », ces deux accidents ont aussi démontré l'insuffisance de l'indemnisation des victimes, telle qu'elle est prévue par les conventions internationales de 1992, à savoir la convention internationale sur la responsabilité civile, dite convention CLC, ou Civil Liability Convention, et la convention créant le fonds international d'indemnisation, communément désigné sous le vocable FIPOL.

Ces textes organisent aujourd'hui le régime conventionnel de responsabilité et d'indemnisation des dommages causés par les marées noires et force est de constater que ce système est largement en deçà de ce que l'on est en droit d'en attendre. En effet, non seulement il ne retient que deux niveaux d'intervention - celle du propriétaire du navire et celle du FIPOL - mais, de surcroît, ces deux acteurs ne peuvent verser qu'une indemnisation plafonnée.

Bien sûr, les victimes n'ont ni à prouver ni à rechercher le comportement fautif pour être indemnisées. Cependant, la responsabilité civile est financièrement limitée et, sur le plan pénal, la condamnation des pollueurs est toujours extrêmement difficile, puisqu'il s'agit de rapporter la preuve de fautes lourdes et, pour ce faire, d'être capable d'identifier la chaîne des responsabilités, trop souvent opaque, entre les différents protagonistes du transport d'hydrocarbures que sont l'affréteur, l'armateur, l'équipage et les contrôleurs techniques.

Dans le cas du Prestige, ce ne sont pas moins de huit nationalités qui sont concernées par la cargaison. C'est pourquoi les voies de recours offertes aux victimes de marée noire, si elles ont le mérite d'exister, doivent impérativement évoluer.

En révisant à la hausse les plafonds d'indemnisation en vigueur, le protocole du 16 mai 2003 constitue une avancée positive. Lorsqu'il entrera en vigueur, 900 millions d'euros seront mobilisables, contre 250 millions d'euros auparavant.

Certes, je constate avec regret que cette majoration ne sera pas rétroactive. De fait, elle exclut les Aquitains, victimes du Prestige, du bénéfice de ce nouveau fonds. Et mon amertume est d'autant plus grande que ces 900 millions d'euros correspondent au coût total des dommages estimés pour couvrir les dégâts causés par le Prestige.

Bien sûr, la ratification de ce protocole ne doit pas être remise en cause. Mais il nous faut aller plus loin. Les efforts du Gouvernement doivent donc être poursuivis pour améliorer ce système international, même si l'on ne peut que saluer, je le dis en tant que maire d'une station balnéaire de la côte Atlantique, la vitesse de réaction du Gouvernement et des services de l'Etat, qui fut, lors de ce sinistre, très appréciée.

Toutefois, je le répète, les efforts du Gouvernement doivent être poursuivis, car, comme l'ont clairement exprimé Mme la ministre et M. le rapporteur, ce texte, dicté par l'urgence, ne remédie pas aux faiblesses originelles de cette mutualisation collective.

Permettez-moi, à cet égard, trois remarques.

En premier lieu, Il y aura toujours une inadéquation chronique entre les fonds mobilisables et les besoins exprimés pour couvrir les sinistres. Cela tient à l'architecture du FIPOL, trop administrative et totalement inadaptée aux réalités du droit maritime.

Evoquons, à titre d'exemple, les principes régissant sur le terrain la recevabilité des demandes d'indemnisation. Non seulement la nature des dommages recevables est limitée - pour ne citer que le plus marquant, le préjudice écologique n'est pas indemnisé dans ce cadre - mais, surtout, les dommages indemnisables reposent sur des notions assez floues et mal définies, tels que « les dommages par pollution » et « les mesures de sauvegarde ». Par ailleurs, il ne suffit pas que ces dommages relèvent de ces catégories, encore faut-il qu'ils correspondent à un certain nombre de critères. Or, ces derniers étant essentiellement déterminés par le FIPOL, à la lumière de chaque catastrophe maritime, ils évoluent donc selon les circonstances.

En deuxième lieu, le découplage du droit à indemnisation et de la détermination de la responsabilité renforce inévitablement la déresponsabilisation des acteurs maritimes. Pourquoi, en effet, modifieraient-ils leurs comportements dès lors qu'ils n'ont pas à supporter les conséquences de leur négligence ? Cela n'est pas acceptable, car, finalement, ce sont les contribuables qui paient à la place des pollueurs.

Les Etats-Unis ont d'ailleurs bien compris les limites d'un tel dispositif. Aussi ont-ils préféré retenir la responsabilité illimitée des armateurs et des affréteurs. Depuis, plus aucun navire ne prend le risque de naviguer dans les eaux américaines sans être assuré pour au moins 1,5 milliard de dollars.

Nous pouvons donc faire mieux, et nous devons le faire vite, car des catastrophes comme celles que nous avons connues peuvent survenir à tout moment.

C'est la raison pour laquelle j'espère que la France continuera à mobiliser les Etats européens - ainsi que vous vous y êtes engagée, madame la ministre - pour obtenir de l'Organisation maritime internationale la refonte globale de ce système, afin de parvenir à une pleine et totale responsabilité des acteurs du transport maritime.

Enfin - ce sera ma dernière remarque - il est bien évident que le renforcement des normes environnementales devra s'accompagner de la mise en place de tous les moyens d'inspection et de contrôle nécessaires, à l'image de ceux dont disposent les Etats-Unis grâce, notamment, à la présence des garde-côtes qui jouent un rôle tout à fait important.

Madame la ministre, notre sécurité est à ce prix, même si le texte que vous nous proposez va dans le bon sens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Henri de Richemont.

M. Henri de Richemont. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le texte dont nous débattons aujourd'hui est attendu depuis longtemps, car nous devons faire face aux pollutions maritimes majeures.

Mes propos seront sans doute un peu différents de ceux des orateurs qui m'ont précédé, puisque je souhaite souligner les qualités du régime international en ce qui concerne les conventions organisant tant la responsabilité civile que le FIPOL.

Il faut comprendre que ces textes internationaux privilégient - et c'est une bonne chose - une logique d'indemnisation à une logique de responsabilisation.

A l'époque du naufrage de l'Amoco Cadiz, en 1978, il n'existait pas de convention internationale. Les victimes de la pollution, communes et Etat, ont dû aller devant le tribunal de Chicago, qui a rendu une décision quinze ans plus tard.

Les sommes allouées aux communes et aux collectivités se sont élevées à 130 millions de francs, ce qui correspondait au montant des honoraires des avocats américains. Il a donc fallu que l'Etat indemnise les communes. Et, sur les 10 milliards de francs reçus par l'Etat, 20 % ont été consacrés aux honoraires des avocats.

L'instauration d'un système international a mis fin à l'obligation d'engager des procédures longues et coûteuses pour obtenir une indemnisation.

Dans l'affaire du Tanyo, comme dans celles de l'Erika et du Prestige, les indemnisations sont intervenues moins d'un an après les faits, même si, effectivement, on peut se plaindre de leur insuffisance.

Je ne pense pas qu'il faille, comme certains le font, chanter les louanges du fonds d'indemnisation américain, l'International Oil Pollution Compensation Funds, et dire qu'il fonctionne mieux que notre système. Ce n'est pas vrai ! Le système américain prévoit en effet une limitation de responsabilité pour les propriétaires des navires.

Il est vrai que certains Etats américains ont une responsabilité illimitée. Que font alors les importateurs américains ? Pour importer du pétrole aux Etats-Unis, ils n'utilisent jamais le navire d'une société américaine, ils affrètent toujours le bateau d'une compagnie étrangère qui répond au principe du « single ship compagny », c'est-à-dire « un bateau, un pavillon », afin de limiter la responsabilité au bateau, ce qui crée ipso facto une responsabilité limitée des importateurs de pétrole aux Etats-Unis. Qu'on ne vienne donc pas nous dire que la responsabilité serait illimitée aux Etats-Unis et que leur système serait meilleur que le nôtre !

Pourquoi notre système est-il bon ? Comme cela a été dit à juste titre, il prévoit une responsabilité objective, sans faute, du propriétaire du navire. Point n'est besoin de connaître le véritable propriétaire : c'est le propriétaire enregistré qui est automatiquement responsable.

Certes, la responsabilité du propriétaire est limitée. Mais c'est un principe du droit maritime que de limiter la responsabilité des propriétaires de navire. Autrement, il n'y aurait pas de transport maritime, car il n'y aurait pas d'assurance maritime...

Il est vrai que la convention de 1969 prévoyait que seule la simple faute permettait de supprimer la limitation de responsabilité. En 1972, on a augmenté le plafond de la limitation, mais on a exigé une faute inexcusable pour s'exonérer de ladite limitation. Si, demain, on augmente encore le plafond, il ne sera plus possible de s'exonérer de cette limitation !

Dans le rapport d'information intitulé Erika : indemniser et prévenir, j'avais indiqué qu'il était effectivement fort dommageable de calculer la limitation de responsabilité en fonction du tonnage du navire. En effet, madame le ministre, on se trouvait dans une situation paradoxale : de vieux navires de petite taille transportaient les marchandises et les cargaisons les plus dangereuses. Or, si l'on considère le tonnage, on obtient toujours une limitation de responsabilité restreinte, ce qui simplifie le problème de l'assurance.

Pour ma part, j'avais proposé non pas de parler de « navires poubelles » ou de navires plus ou moins bien entretenus, notions tout à fait subjectives, mais plutôt d'augmenter automatiquement le plafond de la limitation de responsabilité pour tout navire de plus de quinze ans qui transporte certains produits « noirs ». Cette mesure se serait traduite par une augmentation du coût de l'assurance, ce qui aurait permis d'exclure ces navires du commerce international.

Il faut, selon moi, prendre des données objectives, telles que l'âge du navire ou la nature du produit, et augmenter le plafond de la limitation en fonction de ces paramètres.

Il existe un autre élément fondamental dont personne ne parle, ce que je regrette. Il s'agit de l'obligation d'assurance et du recours direct contre la compagnie d'assurance, c'est-à-dire du « club P&I », ou Protection and Indemnity, du navire. Contrairement à tous nos principes de droit international, en ces matières, l'assurance est obligatoire et l'assureur doit payer, qu'il y ait faute ou non, que l'armateur soit solvable ou non. C'est un avantage qui doit être fortement souligné.

Il est vrai que le FIPOL intervient au-delà du plafond de limitation de responsabilité. Mais, lorsqu'on évoque le FIPOL, mes chers collègues, il s'agit non pas des contribuables, mais des affréteurs, c'est-à-dire des importateurs. L'indemnisation repose donc sur ces derniers.

Je suis très heureux que l'on nous propose la constitution d'un troisième fonds, avec les moyens correspondants, que nous appelions tous de nos voeux.

Cependant, comme cela a été dit tout à l'heure, la méthode d'indemnisation peut poser des problèmes. En effet, le FIPOL indemnise le dommage au bien, les mesures de sauvegarde, le préjudice économique. Il indemnise non pas le préjudice écologique, mais les mesures de restauration de l'environnement, à condition que les mesures envisagées aient un coût raisonnable, qu'elles soient proportionnelles au préjudice et qu'elles aient une chance de succès.

Permettez-moi de vous faire part, à ce propos, d'une anecdote. Après le naufrage de l'Erika, le gouvernement français a acheté des mouettes en Irlande. Or le FIPOL a refusé d'indemniser le coût de ces mouettes, parce que ces dernières sont toutes reparties en Irlande ! (Sourires.) Le succès de la mesure n'était donc pas avéré...

Des améliorations sont donc encore nécessaires, madame le ministre. Il est souhaitable de hiérarchiser les créances, pour faire en sorte que les créances dites de subsistance soient indemnisées en priorité.

Une autre amélioration, dont on ne parle pas et qui concerne les communes, me semble possible à mettre en oeuvre. En effet, l'Etat, dans le cadre des plans POLMAR, ne prend en charge que les dépenses exceptionnelles. Pour les dépenses normales, la commune doit s'adresser au FIPOL, qui indemnise le coût du secrétaire de mairie, des cantonniers, etc. Or le dialogue qui s'instaure entre les mairies et le FIPOL pour déterminer les dépenses devant être prises en charge est kafkaïen !

Je souhaite donc que, pour les dépenses usuelles, l'Etat indemnise les communes et qu'il s'occupe ensuite de discuter avec le FIPOL, car ses arguments seront sans doute plus efficaces !

J'avais par ailleurs préconisé des améliorations importantes et qui me paraissaient tout à fait réalisables mais qui n'ont jamais été mises en oeuvre.

En toute logique, il ne devrait pas y avoir de procédures judiciaires contre le FIPOL, car elles ont pour conséquence d'accroître la durée de distribution du fonds puisqu'il faut attendre leur issue pour savoir quelles seront les sommes prises en compte pour « partager le fromage ».

C'est la raison pour laquelle je suggère que le FIPOL propose six médiateurs à l'Etat, qui lui-même en choisira un. Ce médiateur sera automatiquement saisi en cas de conflit entre la victime et le FIPOL et ce dernier - mais non pas la victime - sera lié par la décision du médiateur. La victime, quant à elle, pourrait recourir aux tribunaux dans les cas où elle serait en désaccord avec le FIPOL. Ce dispositif permettrait de trancher rapidement un litige entre le FIPOL et les victimes de la pollution.

Je préconise également que le délai de prescription soit ramené de trois ans à deux ans. En effet, pendant la durée de la prescription, le fonds ne peut pas être distribué, ce qui reporte l'indemnisation définitive.

Si le FIPOL n'a pas indemnisé la victime dans un délai de six mois, je suggère que celle-ci puisse réclamer des intérêts de retard.

Je regrette que ces modifications, qui me paraissaient raisonnables et simples à obtenir, n'aient pas été adoptées.

J'évoquerai un dernier point.

Je souhaite que la parole de la France soit de plus en plus forte. Madame le ministre, soyez donc notre interlocuteur auprès du Gouvernement pour qu'il se rende compte que notre flotte ne représente que 0,5 % de la flotte internationale - nous sommes au soixantième rang en la matière ! - et pèse malheureusement peu au sein de l'Organisation maritime internationale et au sein de l'Europe.

Il faut donc développer la flotte sous pavillon français, ce qui aura pour incidence de renforcer le poids de la France en tant que puissance maritime internationale et, donc, la sécurité dans ce domaine, parce que le contrôle de l'Etat du pavillon est plus important que le contrôle de l'Etat du port.

Si le Gouvernement français réussit à faire en sorte que notre flotte se développe, nous serons encore plus écoutés lorsque nous affirmons que la sécurité maritime est la priorité des priorités. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de l'article unique.

Discussion générale
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Art. unique (fin)

Article unique

Est autorisée l'approbation du protocole à la convention du 27 novembre 1992 portant création d'un fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, fait à Londres le 16 mai 2003, dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. La parole est à M. Claude Estier, pour explication de vote.

M. Claude Estier. Le protocole à la convention de 1992 destinée à améliorer les systèmes d'indemnisation des victimes de marées noires est un texte bienvenu. Les dernières catastrophes ont révélé les limites du régime d'indemnisation existant et ont fait apparaître la nécessité du protocole examiné aujourd'hui par le Sénat.

Ce protocole relève les plafonds d'indemnisation du fonds pour les sinistres survenant à compter du 1er novembre 2003. Il corrige certains dysfonctionnements du fonds. Toutefois, il ne revient pas sur la procédure d'examen de la recevabilité des demandes par le FIPOL ni sur l'évaluation des dommages subis, puisque seuls les dossiers jugés recevables par le fonds de 1992 pourront donner lieu à une indemnisation complémentaire.

Ce texte, nécessaire, est donc aussi insuffisant. En l'absence d'une réévaluation des plafonds des indemnités dues par les transporteurs au titre de la convention de 1992, le présent protocole pourrait avoir pour conséquence d'encourager l'irresponsabilité desdits transporteurs. II convient donc de revoir rapidement ces plafonds. La perspective d'une forte indemnisation des victimes ne doit pas encourager les « voyous de la mer » à l'irresponsabilité.

Au lendemain de l'élection des députés au Parlement européen, nous réaffirmons notre souhait de voir se concrétiser la mise en place d'une politique européenne de sécurité maritime plus ambitieuse et plus efficace, qui mette l'accent sur le principe de sanction.

Les Etats-Unis - d'une façon unilatérale, certes, mais néanmoins énergique - ont adopté en 1990 une législation caractérisée par la possibilité de mettre en jeu la responsabilité de l'armateur et soumettant à des conditions préalables, peut-être pas illimitées mais cependant contraignantes, l'entrée des pétroliers dans leurs eaux territoriales.

En Europe, nous devrions essayer de faire au moins aussi bien que les Etats-Unis, en particulier face aux dangers engendrés par le transport des hydrocarbures, mais aussi face à l'augmentation constante du transport des produits chimiques par voie maritime.

Nous savons aussi que 40 % de la flotte mondiale a dépassé le seuil des quinze années d'existence, ce qui n'est pas rassurant ! Notre collègue M. de Richemont a eu raison d'évoquer ce point.

Le principe pollueur-payeur doit devenir un axe important d'une politique européenne de sécurité maritime. Ce principe pourrait aussi avoir un rôle dissuasif.

Voilà pourquoi nous devons nous entendre rapidement sur la mise en oeuvre de normes de sécurité européennes très contraignantes en matière de transport de produits dangereux et en matière de dégazages sauvages.

Nous devrions également veiller tout particulièrement aux conditions de travail, souvent pénibles, sur les navires à risques, qui augmentent le danger encouru.

Enfin, il importe que la France ratifie dans les meilleurs délais la convention sur la responsabilité et l'indemnisation pour les dommages liés au transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses, dites SNPD, convention qui prévoit la mise en place de mécanismes analogues à ceux du FIPOL pour les produits toxiques autres que les hydrocarbures.

En conséquence, et comme le souligne le rapport de notre collègue André Boyer, il est nécessaire d'améliorer le régime international de responsabilité civile et d'indemnisation.

A l'occasion du débat sur ce texte, il convient de rappeler que beaucoup reste à faire, d'une part, pour garantir le droit à une juste et rapide réparation pour les victimes des catastrophes, y compris pour les collectivités locales et, d'autre part, pour augmenter les mesures destinées à éviter les catastrophes maritimes polluantes.

Ainsi, le protocole qui est soumis à notre vote est loin d'être parfait. Toutefois, parce qu'il constitue un pas dans la bonne direction, le groupe socialiste votera ce texte, tout en invitant le Gouvernement à augmenter ses efforts pour faire aboutir une politique européenne forte et efficace de sécurité maritime. (Applaudissements.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté à l'unanimité.)

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Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation du protocole à la convention du 27 novembre 1992 portant création d'un fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures