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indépendance énergétique de la France

Discussion d'une question orale avec débat

(Ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat (n° 11) de M. Ladislas Poniatowski à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur l'indépendance énergétique de la France.

M. Ladislas Poniatowski demande à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie quelles sont, dans le contexte actuel du marché pétrolier, les orientations retenues par le Gouvernement pour garantir l'indépendance énergétique de notre pays.

Il souhaite en particulier savoir quelle est la stratégie arrêtée pour assurer la sécurité d'approvisionnement électrique, dans le cadre du développement tant des infrastructures de production ayant recours au nucléaire ou aux énergies renouvelables que des infrastructures de transport.

Il s'interroge, en outre, sur les initiatives communautaires visant à développer les interconnexions entre les différents pays membres de l'Union européenne et à garantir la sécurité d'approvisionnement au niveau européen ; il souhaiterait connaître les positions du Gouvernement sur ce sujet.

En ce qui concerne l'approvisionnement en gaz, il désire obtenir des précisions sur la mise en place de contrats à long terme et sur les partenariats noués avec les pays producteurs de gaz.

Enfin, dans le contexte de la hausse des prix du baril de pétrole, il aimerait connaître les initiatives que compte prendre le Gouvernement pour préserver l'économie nationale de ses effets les plus néfastes et pour atténuer la dépendance de notre économie envers cette source d'énergie.

La parole est à M. Ladislas Poniatowski, auteur de la question.

M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques et du Plan, ainsi que M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie, qui ont permis l'organisation de cette discussion.

Mes chers collègues, la raison principale qui m'a conduit à poser cette question est liée à l'évolution des prix du pétrole, qui constitue une menace pour le dynamisme de nos économies et qui ne manque pas de continuer à nourrir certaines interrogations, voire certaines inquiétudes, chez nos concitoyens.

Je profiterai également de cette occasion pour aborder les enjeux liés aux secteurs gazier et électrique.

Je ne ferai que réaffirmer un fait désormais largement débattu en rappelant que nous assistons, depuis la fin de l'été dernier, à une véritable envolée des prix du baril de pétrole.

Sans évoquer le spectre d'un troisième choc pétrolier, il est inquiétant de constater que les cours du brut ont dépassé le seuil psychologique des 50 dollars le 26 octobre dernier, enregistrant ainsi leur niveau le plus élevé depuis dix ans. Malgré une relative accalmie au cours du mois de décembre, les prix sont remontés au début de cette année, en raison de la vague de froid qui a touché le nord-est des Etats-Unis et de la persistance de risques géopolitiques au Moyen-Orient, notamment en Irak. Il s'agit d'un véritable yoyo...

Les conséquences de cette hausse sont connues et redoutées de nos concitoyens. Certes, la dépendance au pétrole des économies occidentales, et singulièrement celle de l'économie française, grâce au recours à l'énergie nucléaire, a considérablement diminué depuis les années soixante-dix. Dans le cas d'une hausse durable des prix du brut, cela exclut que notre économie soit aussi profondément touchée qu'elle ne l'avait été à l'époque. Il n'en reste pas moins que l'envolée des cours fragilise directement la conjoncture européenne - et française - de par ses répercussions sur le pouvoir d'achat des ménages.

D'une part, nos concitoyens le ressentent pleinement avec la hausse des prix de l'essence à la pompe, dont les fluctuations sont, au surplus, retardées par rapport aux évolutions des cotations sur les marchés mondiaux, ce qui ne manque pas d'entretenir une certaine confusion dans l'esprit du consommateur. D'autre part, ils sont également touchés par le renchérissement du fioul domestique, qui est encore utilisé dans plus d'un tiers des foyers français pour le chauffage.

La conjoncture pétrolière pose également directement la question de notre dépendance à l'égard de nos fournisseurs.

La dépendance de l'Europe - qui, dans le domaine pétrolier, est très importante, pour ne pas dire quasi totale - est d'ailleurs appelée à croître avec l'épuisement progressif des gisements de la mer du Nord. Ainsi, selon l'Agence internationale de l'énergie, l'AIE, à l'horizon 2030, l'Europe dépendra à 94 % des importations pour son approvisionnement pétrolier.

Cette évolution a, bien entendu, des conséquences géopolitiques importantes. En premier lieu, elle ne peut que nous inciter à renforcer notre coopération politique et économique non seulement avec la Russie, dont le poids dans les exportations de pétrole va croître fortement avec la mise en exploitation des réserves de Sibérie orientale, mais aussi avec les pays du Moyen Orient, comme l'Iran. En second lieu, elle nécessite de continuer à accompagner les entreprises pétrolières européennes dans leur recherche de partenariats avec les pays producteurs de pétrole afin de diversifier nos approvisionnements.

Pour autant, nous le savons tous, les réserves pétrolières mondiales ne sont pas extensibles. Deux paramètres ont une influence pour leur évaluation. Le premier a trait à la nature des réserves considérées, qu'il s'agisse des réserves prouvées, qui ont une probabilité supérieure à 90 % d'être extraites du sol, ou des réserves probables, pour lesquelles cette probabilité s'établit à 50 %. Le second tient au rythme de consommation, qui a lui aussi une influence directe. Or la stabilité de ce rythme est loin d'être assurée compte tenu de la hausse des besoins pétroliers de certaines zones en forte croissance, comme la Chine ; vous le savez tous, mes chers collègues.

Au total, on peut estimer que la planète dispose encore de quarante à quatre-vingts années de réserves pétrolières devant elle. En outre, certains gisements devenant rentables avec un prix du pétrole durablement élevé, il est plus que probable que nous pourrons bénéficier de vingt années de consommation supplémentaires.

Il nous reste donc moins d'un siècle de réserves pétrolières. Pouvons-nous pour autant rester inertes face à cette disparition inéluctable de l'or noir ? Bien évidemment non ! Il nous appartient de jeter dès aujourd'hui les bases de l'économie de l' « après-pétrole », en favorisant le recours à des énergies alternatives comme les biocarburants ou la pile à combustible. A ce sujet, monsieur le ministre, je ne peux que me réjouir de la décision qui a été prise par le Gouvernement de doubler nos capacités de production de biocarburants à l'horizon 2007. Je souhaiterais néanmoins savoir, monsieur le ministre, quelles actions le Gouvernement entend mettre en oeuvre en la matière à plus long terme.

Les logiques et les évolutions que je viens d'évoquer pour le pétrole sont, peu ou prou, les mêmes s'agissant du secteur gazier. Les prix du gaz ont également augmenté au cours des derniers mois, en raison de leur indexation sur ceux du pétrole. En outre, l'Europe sera confrontée, pour ses approvisionnements, à une dépendance accrue vis-à-vis de la Russie, qui possède plus du quart des réserves mondiales gazières et qui fournit déjà près de 40 % du gaz consommé en Europe, essentiellement via l'entreprise Gazprom.

Monsieur le ministre, pourriez-vous faire le point sur nos différentes sources d'approvisionnement gazier et nous indiquer les perspectives de diversification possibles ?

Pourriez-vous également nous préciser les types de contrats qui nous lient avec nos fournisseurs et nous donner des précisions sur l'ampleur du recours aux contrats de long terme et sur les velléités, très malvenues selon moi, de la Commission européenne de mettre fin à ce type de relations contractuelles ?

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. Ladislas Poniatowski. Par ailleurs, dans le cadre de l'ouverture à la concurrence des marchés électriques et gaziers, il est indispensable que nos compagnies nationales prennent des parts de marché à l'étranger et nouent des alliances stratégiques avec de nouveaux partenaires.

M. Daniel Raoul. C'est moins bien !

M. Ladislas Poniatowski. Gaz de France a d'ailleurs parfaitement su anticiper cette nouvelle donne en prévoyant d'investir plus de 6 milliards d'euros dans les années à venir, pour prendre notamment des participations dans des gisements gaziers afin de se doter de ressources propres. Pourriez-vous nous détailler cette stratégie, monsieur le ministre ?

Au-delà de cette stratégie, nos entreprises doivent se donner les moyens d'acheminer le gaz en toute sécurité, afin de diversifier nos modes d'approvisionnement. Ainsi, je ne peux que me réjouir - et je ne suis d'ailleurs pas le seul, si je me réfère au dernier débat que nous avons eu sur ce sujet - de la mise en service prochaine du terminal méthanier de Fos II, prévue en 2007, qui donnera à nos deux opérateurs principaux, GDF et Total, de nouvelles chaînes d'approvisionnement en gaz naturel liquéfié. Toutefois, monsieur le ministre, je m'interroge sur un point : la construction d'un seul nouveau terminal sera-t-elle suffisante compte tenu des enjeux liés à la diversification et de l'insuffisance de la ressource gazière dans certaines zones de notre territoire ?

Il est tout aussi indispensable de développer nos interconnexions avec les pays producteurs par le biais des gazoducs. Il s'agit bien évidemment d'un enjeu stratégique, car la construction programmée d'un nouveau gazoduc dans le sud de la France permettra de nous approvisionner plus massivement en Algérie.

La mise en service de cette infrastructure répond également à la nécessité de permettre une réelle concurrence sur notre marché gazier national. En effet, dans le bilan de l'ouverture à la concurrence du marché du gaz qu'elle a rendu public en novembre dernier, la Commission de régulation de l'énergie mettait en évidence le fait que la concurrence était moins vive dans le sud et l'ouest de notre pays, en raison essentiellement de la faiblesse de la ressource disponible dans cette région.

Aussi, monsieur le ministre, je souhaite saisir cette occasion pour vous demander de nous éclairer sur le développement prévu des infrastructures de transport de gaz.

J'en viens, pour terminer, au troisième et dernier pilier de notre approvisionnement énergétique, bien évidemment l'un des plus importants puisque qu'il s'agit de l'électricité.

Je ne souhaite pas davantage m'étendre sur la contribution majeure de l'énergie nucléaire à notre indépendance énergétique. Il s'agit là d'une réalité désormais largement admise qui, certes, n'est pas sans poser d'autres types de problèmes ; je pense, bien sûr, à la question des déchets nucléaires.

Néanmoins, je souhaiterais simplement exprimer publiquement, rappelant ainsi la position traditionnelle de la commission des affaires économiques, toute ma satisfaction quant à la décision qui a été prise par le conseil d'administration d'Electricité de France, à la fin de l'année dernière, de lancer les démarches devant aboutir à la construction d'un réacteur de troisième génération EPR, european pressurised reactor.

Cette décision était attendue et nécessaire, tant pour apporter une réponse au problème du vieillissement de notre parc électronucléaire que pour conserver l'avance technologique et économique dont notre pays dispose dans ce secteur.

Toutefois, d'un point de vue plus général, le nouveau cadre concurrentiel doit nous inciter à une certaine vigilance. Je pense notamment à la nécessité de garantir un niveau d'investissement suffisant pour assurer le développement de nos capacités de production.

Je crois savoir qu'est actuellement en négociation au niveau communautaire une proposition de directive visant à garantir la sécurité de l'approvisionnement en électricité et les investissements dans les infrastructures. Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous nous indiquiez à quel stade se situent aujourd'hui les négociations relatives à ce projet et que vous nous précisiez la position de la France.

Enfin, je souhaiterais plus particulièrement évoquer la question des énergies renouvelables.

Conformément à nos engagements européens, nous devrions atteindre, d'ici à 2010, une proportion de 21 % pour la consommation d'électricité brute provenant des énergies renouvelables. Même si les conditions climatiques de l'année peuvent influencer à la marge la production d'énergies renouvelables, cette proportion est légèrement inférieure à 15 % dans notre pays. Reprenant par là même des positions que j'ai défendues à de nombreuses reprises, je tiens ici à réaffirmer qu'il n'est pas souhaitable que notre pays reste sous-développé en matière d'énergies renouvelables.

Que l'on se réfère au solaire ou à l'éolien, notre pays souffre en effet difficilement la comparaison avec l'Espagne, l'Allemagne, et surtout avec le Danemark. Ainsi, entre 1985 et 2001, la consommation totale d'énergies renouvelables doublait en Allemagne quand elle ne progressait que de 15 % en France.

Dans ces domaines, c'est un euphémisme de dire que nous ne sommes pas en avance, puisque la production annuelle en matière de solaire photovoltaïque, par exemple, n'atteignait que 19 gigawattheures en 2003, et 28 000 tonnes d'équivalent pétrole pour le solaire.

Autre statistique parlante, l'Allemagne dispose aujourd'hui d'un parc de panneaux solaires de 5,4 millions de mètres carrés, loin devant la France, dont le parc compte seulement un peu plus de 700 000 mètres carrés. Le Gouvernement espagnol souhaite, quant à lui, multiplier par dix la superficie du parc de panneaux solaires d'ici à 2010, et envisage même de rendre obligatoire la pose de panneaux solaires pour les nouvelles constructions.

En matière d'hydroélectricité, première source d'énergies renouvelables dans notre pays, je suis persuadé qu'il y a encore des perspectives importantes d'expansion, notamment pour le petit hydraulique. Même s'il est fondamental de poursuivre le travail de protection des cours d'eau et des milieux aquatiques entrepris depuis de nombreuses années, il n'est pas souhaitable, monsieur le ministre, que le futur projet de loi sur l'eau fixe, pour l'énergie hydraulique, des contraintes de nature a entraver, voire empêcher son développement.

Enfin, plus frappant encore, la puissance installée en France en matière d'éoliennes n'atteignait que 0,3 térawattheures en 2003, contre 11 térawattheures en Allemagne. Pourtant, les éoliennes que nos entreprises spécialisées ont su mettre au point dans cette technologie sont performantes et notre territoire est riche en sites exposés au vent. Nous disposons là d'un vaste potentiel, qui est malheureusement largement sous-utilisé.

Certes, le recours plus massif à l'énergie éolienne reste une question controversée dans notre pays. Si je suis moi-même un partisan de l'éolien, je ne suis pas un partisan des éoliennes partout et n'importe où. Selon moi, il est nécessaire de définir des schémas de développement éoliens intelligents, alliant efficacité énergétique et protection des sites naturels.

Il est tout aussi indispensable de faire preuve de pédagogie avec nos concitoyens, qui considèrent encore l'éolien comme une source de nuisances directe et qui ne perçoivent pas nécessairement les enjeux en termes de développement durable attachés à cette énergie. Je n'en comprends pas moins les inquiétudes de nos concitoyens. En effet, à ce stade de la discussion, je ne peux pas m'empêcher de penser aux habitants de Normandie - vous ne m'en voudrez pas ! -, région à habitat dispersé qui compte déjà trois centrales nucléaires, lesquelles subissent déjà de fortes contraintes environnementales.

Néanmoins, nous devons sensibiliser nos concitoyens à ces enjeux environnementaux et, en favorisant une implantation harmonieuse des éoliennes, les convaincre de la nécessité de promouvoir ces dernières.

A ce sujet, le Gouvernement ayant décidé de lancer plusieurs appels d'offres sur l'éolien terrestre et offshore à la fin de l'année dernière, pourriez-vous, monsieur le ministre, nous dresser le bilan de ces appels d'offres et nous donner les perspectives de développement de l'énergie éolienne dans les prochaines années ?

Enfin, monsieur le ministre, je souhaiterais vous interroger sur les perspectives à très long terme de la filière électrique et vous demander de faire le point sur la question du réacteur expérimental de fusion thermonucléaire ITER. Où en sont les négociations avec nos partenaires sur ce sujet ? S'achemine-t-on vers la construction de ce réacteur expérimental sans le concours des Américains et des Japonais ?

Voilà, monsieur le ministre, brièvement évoqués, les différents points que je souhaitais aborder au cours de ce débat.

Je reste profondément optimiste quant à l'avenir énergétique de notre pays et à notre indépendance. Nous avons su, avec la constitution progressive de deux champions nationaux, créer les conditions de cette indépendance. Le nouveau contexte créé par les directives de libéralisation nous oblige à nous adapter et à réagir ; c'est ce que vous avez su faire avec Nicolas Sarkozy en présentant le projet de loi transformant le statut d'EDF et de GDF.

Certes, ce processus d'ouverture à la concurrence n'est pas exempt de critiques.

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. Ladislas Poniatowski. L'Union des industries chimiques est venue nous rappeler tout récemment que les coûts de l'électricité, qui représentent jusqu'à 40 % des prix de revient, avaient augmenté de 55 % entre 2001 et 2005.

M. Daniel Raoul. C'est exact !

Mme Michelle Demessine. Nous l'avions dit !

M. Ladislas Poniatowski. De même, l'Union des industries utilisatrices d'énergie, l'UNIDEN, souligne l'impossibilité pour les gros consommateurs d'électricité de négocier les prix de cette énergie et de conclure des contrats à long terme. Je pense qu'il y a là un véritable problème, qui ne manque pas de nous interpeller du fait de ses répercussions sur la compétitivité de bon nombre d'industries et que nous devrons certainement saisir à bras-le-corps.

Au total, la disparition programmée des ressources pétrolières et la nécessité de trouver les voies d'un développement durable nous incitent à définir un nouveau « mix » énergétique, plus économe en énergies fossiles, plus riche en énergies renouvelables. Je reste persuadé que nous saurons, avec le sens de l'innovation qui caractérise nos énergéticiens et notre appareil de recherche, trouver les voies d'un nouvel équilibre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

- Groupe Union pour un mouvement populaire, 75 minutes ;

- Groupe socialiste, 49 minutes ;

- Groupe Union centriste - UDF, 20 minutes ;

- Groupe Communiste républicain et citoyen, 16 minutes.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsqu'il est intervenu à cette tribune au nom du groupe de l'Union centriste, dans le cadre du débat sur le projet de loi d'orientation sur l'énergie, notre collègue M. Marcel Deneux avait déploré la précipitation dans laquelle le Sénat avait dû travailler, le Gouvernement ayant déclaré l'urgence sur ce projet et l'ayant inscrit à l'ordre du jour de la Haute Assemblée huit jours seulement après que l'Assemblée nationale en eut discuté.

Aujourd'hui, huit mois après cet examen en première lecture, je constate que ce projet de loi est resté bloqué et que l'on est toujours en attente de sa deuxième lecture à l'Assemblée nationale. La question de notre collègue M. Ladislas Poniatowski vient donc à point nommé.

Si l'on en croit les propos du président du Syndicat des énergies renouvelables, la part des énergies renouvelables dans la production totale d'électricité, qui était de 18 % en 1990, ne serait plus aujourd'hui que de 13,5 %, notre collègue Ladislas Poniatowski ayant, quant à lui, cité le chiffre de 15 % il y a un instant. Or, une directive européenne du 27 septembre 2001 a fixé l'objectif à atteindre à 21 % d'ici à 2010.

Il est donc urgent de prendre des mesures concrètes non seulement pour atteindre cet objectif, mais aussi et surtout pour tenir nos engagements internationaux pris dans le cadre du protocole de Kyoto et renouvelés à Johannesburg par le Président de la République lui-même.

Certes, le Gouvernement n'est pas resté les bras croisés.

Il a notamment sélectionné, en début d'année, quinze projets de production d'énergie renouvelable, dont quatorze à partir de la biomasse et un à partir du biogaz, pour une puissance cumulée de 232 mégawatts, et il a d'ores et déjà indiqué qu'un deuxième appel d'offres serait prochainement lancé.

Par ailleurs, un crédit d'impôt de 40 % sur les dépenses d'équipements de production d'énergie renouvelable s'applique depuis le 1er janvier de cette année et devrait accélérer les investissements effectués par les particuliers dans ce domaine, tels que l'installation de panneaux solaires pour le chauffage photovoltaïque.

De même, EDF a décidé, en octobre dernier, et ce avant même que la loi d'orientation sur l'énergie n'ait été votée, d'engager la procédure d'implantation d'un réacteur nucléaire de type EPR, European pressurized reactor, à Flamanville.

Ces décisions vont dans la bonne direction et confortent notre indépendance énergétique, même si beaucoup reste à faire et si se pose encore un certain nombre de questions.

Le Premier ministre a également annoncé, en septembre dernier, dans l'Oise, un plan de développement des biocarburants, sur lequel des précisions ont été apportées la semaine dernière ; il y a déjà été fait allusion.

Par ailleurs, le Plan national d'affectation des quotas d'émission de gaz à effet de serre est aujourd'hui approuvé par la Commission européenne et va permettre à notre pays de participer au marché européen des quotas d'émission. C'est une mesure phare du plan « climat 2004 » qui est ainsi mise en oeuvre.

Ces deux dernières décisions présentent l'avantage non seulement de conforter l'indépendance énergétique de notre pays, du moins pour la première relative aux biocarburants, mais aussi - et je dirai même surtout - de préserver l'environnement et de nous permettre de faire un premier pas vers le respect des objectifs du protocole de Kyoto.

Cependant, si les nouveaux agréments accordés par le Gouvernement pour une production supplémentaire de 800 000 tonnes de biocarburants à l'horizon 2007 vont permettre à ce secteur, et notamment à la filière éthanol, de prendre son essor, il n'en reste pas moins vrai que ceux-ci ne permettront pas d'atteindre l'objectif européen de 5,75 % de biocarburants dans les essences en 2010 et qu'il faut donc dès maintenant décider des investissements dans les unités nouvelles qui seront encore nécessaires après 2007.

Ce plan n'est donc qu'une première étape et nous ne devons pas remettre à demain les décisions que nous devrions prendre aujourd'hui pour atteindre les objectifs européens.

Je rappelle en effet que le secteur des transports représente 30 % des émissions de gaz à effet de serre et que le développement des biocarburants est aujourd'hui - et pour longtemps encore - le seul moyen opérationnel de réduire de manière significative ces émissions. Ne nous faisons pas d'illusion sur la pile à combustible : le moteur à hydrogène n'est pas pour demain, il faudra encore longtemps avant qu'il puisse être développé en grande série.

De même, en ce qui concerne le développement des énergies renouvelables pour la production d'électricité, l'énergie éolienne et le photovoltaïque, qui présentent l'avantage d'éviter le difficile problème des déchets radioactifs - qui n'est d'ailleurs pas encore résolu aujourd'hui -, n'auront qu'un impact extrêmement limité sur la préservation de l'environnement. En effet, le secteur électrique français est structurellement peu émetteur de gaz carbonique du fait du recours massif à l'énergie nucléaire et hydraulique pour la production d'électricité. Ainsi, à titre de comparaison, la France rejette huit fois moins de tonnes de gaz carbonique par habitant que l'Allemagne et dix-huit fois moins que les Etats-Unis.

De plus, si le nucléaire pose de vrais problèmes, il a en revanche l'avantage d'avoir assuré à la France son indépendance en matière de production d'électricité, à un prix très abordable et sans production de gaz à effet de serre. Cette filière a aussi permis à notre pays d'être excédentaire en électricité et de développer un savoir-faire dont on devrait tirer d'importants bénéfices au moment où décolle l'économie de pays aussi importants que la Chine ou l'Inde, qui vont avoir des besoins croissants en termes de production d'énergie électrique.

Nous ne devons donc pas réduire la question de l'indépendance énergétique de notre pays et celle du respect des engagements pris dans le cadre du protocole de Kyoto au développement des énergies renouvelables dans le domaine de la production d'électricité. Notre collègue M. Ladislas Poniatowski a cité d'autres pistes ; il a tout à fait raison.

C'est en substituant les énergies renouvelables aux énergies fossiles consommées dans le domaine des transports et de l'industrie que nous réduirons significativement notre dépendance à l'égard des énergies fossiles et que nous aurons un impact réel sur le plan environnemental.

Il serait donc intéressant, monsieur le ministre, au-delà de la question précédemment posée sur la sécurité d'approvisionnement énergétique de notre pays, que vous nous précisiez ce que vous comptez faire pour améliorer la substitution d'énergies renouvelables aux énergies fossiles, permettant ainsi de réduire significativement nos émissions de gaz à effet de serre. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on ne peut qu'être surpris de l'inscription à l'ordre du jour de cette question orale avec débat sur l'indépendance énergétique de la France.

Non qu'une telle question serait sans intérêt ou manquerait de pertinence, bien au contraire ! Notre indépendance énergétique, résultat du volontarisme politique de l'après-Seconde Guerre mondiale, n'avait en effet jusqu'à présent jamais été autant remise en cause, voire contestée.

A maints égards, cette question sur notre indépendance énergétique est donc opportune, mais elle apparaît quelque peu provocatrice alors que nous avons entamé l'été dernier, dans la plus grande précipitation et la confusion, la discussion d'un projet de loi d'orientation qui concerne précisément ce sujet, le projet de loi d'orientation sur l'énergie.

Dans la plus grande précipitation en effet, puisque quelques jours à peine après son adoption à l'Assemblée nationale, le 1er juin 2004, le projet de loi d'orientation était inscrit à l'ordre du jour du Sénat. Alors que nous ne disposions encore que de « la petite loi », il nous a fallu, en un temps record, en moins d'une semaine, tout d'abord tenter d'apprécier les véritables intentions du Gouvernement sur un projet loi qui devait engager l'avenir énergétique de la France sur le long terme, ensuite analyser les modifications introduites par l'Assemblée nationale et, enfin, tenter de comprendre les raisons des sérieux désaccords entre les commissions des deux chambres, relatifs à l'intégration ou non dans le corps du texte des vingt et une pages annexées au projet de loi d'orientation.

Pour ajouter à la confusion, l'on s'interrogeait encore récemment pour savoir si, finalement, ce projet de loi d'orientation ferait l'objet d'une deuxième lecture ou s'il resterait déclaré d'urgence.

On parle aujourd'hui du mois de mai ou du mois de juin pour la deuxième lecture au Sénat, soit pratiquement un an après l'inscription du texte à l'ordre du jour de la Haute Assemblée. Pourquoi, après tant de précipitation, un si long délai ? Pouvez-vous d'ailleurs nous confirmer, monsieur le ministre, qu'il y aura bien une deuxième lecture sur ce projet de loi d'orientation ?

Cette question orale avec débat est la bienvenue si elle permet au Gouvernement de revoir sa copie afin de ne pas en rester à des déclarations d'intention. En l'état, nous continuons de penser que ce projet de loi d'orientation manque de souffle et de réel volontarisme politique.

Si nous apprécions la décision de relancer le programme civil nucléaire, force est de constater que les efforts effectués dans les autres directions, en matière d'énergie renouvelable, de maîtrise des dépenses d'énergie et de réduction de notre dépendance à l'égard du pétrole, font défaut.

Nous sommes très réservés quant aux certificats d'économies d'énergie, car nous doutons de leur réelle efficacité.

En matière d'énergie verte, les récentes statistiques produites par le Syndicat des énergies renouvelables sont particulièrement alarmantes. La France est en effet loin de pouvoir respecter l'engagement européen de porter à 21 % en 2010 la part d'énergie renouvelable dans sa production d'électricité. Alors qu'elle représentait 18 % en 1990, cette part n'a cessé de se réduire, pour atteindre seulement 13,5 % en 2003.

L'effort en matière de recherche et développement est indispensable pour renforcer les énergies propres, comme le photovoltaïque. Cela suppose, vous le savez, des moyens financiers et la programmation d'investissements.

Une autre question se pose : quel sort sera-t-il réservé à l'hydraulique dans le projet de loi sur l'eau ?

Le projet de loi d'orientation sur l'énergie ne prévoit pas un réel programme de développement à long terme de notre secteur énergétique et de nos services publics de l'électricité et du gaz, au contraire !

Et pourtant, nous avons besoin d'un projet fondé sur le développement de notre outil industriel à travers une programmation des investissements visant la diversification des sources énergétiques et leur complémentarité à long terme.

Au lieu de sécuriser à long terme nos approvisionnements énergétiques, l'actuel projet de loi ne vise, hélas ! qu'à prendre des dispositions pour s'adapter et gérer les pénuries futures, voire les dysfonctionnements liés à la régulation par le marché. N'oublions pas la crise californienne et la faillite d'Enron.

Enfin, posée par vous, cette question est une provocation à l'égard des électriciens et des gaziers qui manifestaient récemment dans les rues pour défendre leur outil industriel et leur conception du service public alors que l'ouverture du capital d'EDF et de GDF est déjà avancée !

Qui nierait que le caractère public de ces entreprises est l'une des conditions, sinon la condition, de la préservation de notre indépendance énergétique ?

Certes, cette condition n'est peut-être pas suffisante, car elle suppose que la contrainte soit exercée par le volontarisme politique pour orienter le comportement des entreprises publiques ; j'y reviendrai dans un instant. Or, on est au regret de constater - et cela a pu aussi être observé dans d'autres services publics, tels que les services postaux - un retrait inquiétant du volontarisme politique au profit d'une régulation purement marchande.

L'abandon de la maîtrise publique de nos tarifs de l'électricité ou du gaz ne serait-il pas le signe le plus patent de la remise en cause de l'indépendance énergétique que nous avions conquise ?

Nous en savons quelque chose d'ailleurs en ce qui concerne le pétrole. Après le premier choc pétrolier, notre facture pétrolière s'était considérablement accrue, subissant plus la politique du dollar fort que la décision des pays de l'OPEP tentant finalement de se réapproprier la gestion de leurs ressources fossiles.

Allons-nous être condamnés à revivre cette situation, alors que rien n'est réellement fait pour réduire notre dépendance pétrolière extérieure ?

Comment pouvez-vous, par exemple, afficher la volonté de renforcer le rail alors que vous appelez de vos voeux sa libéralisation ? Le secteur des transports, outre qu'il constitue l'une des principales sources de pollution, représente une part très importante de nos importations de pétrole. Réduire notre dépendance pétrolière extérieure suppose une véritable politique en faveur du rail, avec, avant tout, les investissements financiers à la clé.

Le débat sur le fret ferroviaire que nous avons eu dans cette enceinte, le 26 janvier dernier, a montré combien était défaillante la volonté politique de rééquilibrer le rail face à la domination du tout-routier !

L'analyse présentée par mon collègue et ami Michel Billout à l'occasion de ce débat est probante : une réorientation fondamentale de la politique des transports favorisant la complémentarité intermodale plutôt que la mise en concurrence des modes de transport est nécessaire si l'on veut réduire notre dépendance à l'égard des hydrocarbures. Or, telle n'est manifestement pas l'option qu'a choisie le Gouvernement.

Enfin, nous subirions moins les effets de la volatilité du dollar si l'euro pouvait, lui aussi, jouer un rôle de monnaie de transaction internationale au sein de la zone euro. La France devrait, me semble-t-il, pouvoir porter une telle ambition en demandant la tenue d'une conférence internationale sur ce sujet.

Pour en revenir aux prix de l'électricité, notre pays, grâce au nucléaire et à l'hydraulique, disposait jusqu'à maintenant des tarifs les plus bas et les plus compétitifs. Or, comme l'ont souligné certains de nos collègues, depuis l'ouverture de notre marché énergétique, les prix de l'électricité ont connu une forte envolée qui a augmenté les factures des usagers domestiques, mais aussi celles de nos services publics comme la SNCF et les hôpitaux, de nos grandes industries et de nos PME.

Cette perte de la maîtrise tarifaire, par un alignement de nos prix intérieurs sur les prix plus volatils fixés par la bourse européenne de l'électricité, est doublement pénalisante.

D'abord, parce qu'elle nous prive d'un instrument de politique industrielle : comment éviter la délocalisation de nos entreprises électro-intensives si nous sommes privés de notre politique en matière de prix ? C'est aussi à ce niveau, par la marge de manoeuvre dont nous disposons en matière de politique industrielle, que se mesure le degré de notre indépendance énergétique.

Avouez que les mesures incitatives d'exonérations fiscales des pôles de compétitivité que vous proposez ne pèseront pas lourd par rapport à cette variable. A la fin des années quatre-vingt, le groupe Pechiney n'aurait certainement pas installé une nouvelle usine d'électrolyse sans la garantie de tarifs préférentiels. A la clé, il y avait la création de 550 emplois directs.

La perte de la maîtrise tarifaire nous pénalise également parce qu'elle nous prive d'une politique sociale permettant d'agir sur la facture d'électricité des usagers dans un sens visant l'équité sociale et l'accès de tous, à un prix le plus bas possible, à ce bien de première nécessité qu'est l'électricité.

Avec la privatisation d'EDF et de GDF, vous nous privez des outils industriels nous permettant de consolider nos acquis en matière d'indépendance énergétique. C'est aussi à ce niveau que réside le caractère un peu provocateur de ce débat.

En tout état de cause, monsieur le ministre, vous ne pouvez pas recourir à l'alibi européen pour justifier l'abandon du statut public d'EDF et de GDF. Comme l'a souligné cet été Mario Monti, alors commissaire européen chargé de la concurrence, les traités européens n'obligent aucunement les Etats à privatiser leurs services publics de l'énergie !

Pourquoi, monsieur le ministre, les intérêts de l'actionnariat privé, qui, dans le contexte actuel de mondialisation, est de plus en plus nomade ou apatride,...

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. « Apatride », le vilain mot !

Mme Michelle Demessine. ... et finalement, lui aussi, volatile, coïncideraient-ils avec l'intérêt national ou avec l'intérêt général de nos populations ? Malheureusement, nous sommes bien obligés de le constater.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Je vous croyais internationalistes !

Mme Michelle Demessine. Contrairement aux mouvements de capitaux, nous sommes, nous, pour un internationalisme solidaire !

Il est presque absurde de discuter de l'indépendance énergétique de la France au moment où le Gouvernement, en ouvrant le capital de nos deux entreprises publiques énergétiques, prive le pays des instruments et des moyens permettant de mettre en oeuvre une politique visant à assurer la sécurité de nos approvisionnements. Car le statut public des EPIC comme EDF et GDF a précisément permis à la France non seulement de se donner les moyens de devenir indépendant sur le plan de l'électricité, mais aussi d'accroître son taux global d'indépendance énergétique de 26 % à 50 %, en une trentaine d'années !

Je continue de penser qu'aujourd'hui il est nécessaire de créer, autour d'EDF et de GDF, un pôle public de l'énergie, pour faire émerger toutes les synergies possibles et les économies d'échelle afin de contribuer à la sécurité de nos approvisionnements.

En effet, qu'est-ce qui nous garantit que la desserte des usagers et des clients éligibles sur notre territoire national demeurera en toutes circonstances la priorité d'une entreprise comme EDF avec un actionnariat privé ?

Que ce soit pour EDF ou pour GDF, nous nous sommes prononcés contre la séparation des activités de transport et leur filialisation. Aujourd'hui, on veut aller plus loin encore, vers une indépendance totale de la gestion des réseaux, autrement dit vers une séparation patrimoniale par le biais de la cession d'actifs.

Déjà, la filialisation des activités de transport et l'ouverture du capital de RTE, Réseau de transport d'électricité, risquent de contribuer à des ruptures de continuité entre production et distribution d'électricité, à des dysfonctionnements remettant en cause notre sécurité d'approvisionnement.

Dans cette conception libérale, les réserves de capacités de production d'électricité, qui, comme l'a montré le débat de cet été, permettent de réguler les flux et de faire face aux pointes de demandes, seront-elles préservées ?

En ce qui concerne le gaz, nous avions eu l'occasion de souligner que l'activité de transport contribue de manière fondamentale à la sécurité de nos approvisionnements. Elle regroupe, dans un ensemble cohérent, les activités de réseaux de transport, de stockage et les terminaux méthaniers. La filialisation de ces activités, avec, à terme, le risque d'une séparation patrimoniale, compromet leur intégration au sein de l'entreprise et porte préjudice à la sécurité de nos approvisionnements et à la continuité de la fourniture.

Quant à nos capacités de stockage, tant enviées par certains de nos partenaires européens, nous savons combien elles participent à la régulation de nos flux et sont essentielles à la sécurité de nos approvisionnements et à l'équilibre de nos réseaux de transports. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'en juillet dernier nous nous étions opposés à la décision de la commission des affaires économiques visant à permettre l'accès des tiers aux stockages de gaz, qui plus est dans des termes qui ouvraient la voie à leur dissociation, par le biais de leur filialisation, et, à terme, à leur possible autonomisation. Nous savons qu'en 2003 des tentatives de marchandage des capacités de stockages de gaz du futur terminal de Fos 2 avaient eu lieu entre GDF et Eon-Ruhrgas. Voilà, avec la privatisation, ce qui nous attend, alors que nous ne possédons pas de gaz et que les capacités de stockage sont un élément important de la sécurité de nos approvisionnements !

Enfin, si nous nous réjouissons que la Commission européenne ait finalement renoncé à remettre en cause les contrats de gaz à long terme, nous demeurons inquiets devant le recours croissant au marché spot pour assurer notre approvisionnement.

De fait, le recours plus important à ce type de marché ces derniers mois - de l'ordre de 11 % - ne signifie-t-il pas que notre sécurité d'approvisionnement en gaz risque d'être entamée ?

Jusqu'à présent l'approvisionnement sur ce marché à court terme représentait seulement entre 1% et 2% de nos besoins. Il faut savoir que les prix sur ce marché sont actuellement deux à trois fois plus élevés que ceux des contrats à long terme.

Il semble que nous devions cette situation - et c'est là où le bât blesse, monsieur le ministre - à l'accident du terminal méthanier Skikda, qui a privé l'Algérie d'un tiers de sa capacité d'exportation, soit près de 8% de l'approvisionnement de la France. Cette situation est particulièrement inquiétante. En cas de défaillance d'une source d'approvisionnement, la solution pour la France est-elle de s'approvisionner sur le marché spot ? Quelle est réellement la capacité d'absorption des chocs par le marché spot ? C'est in fine notre sécurité d'approvisionnement en gaz qui est remise en cause.

Dans le contexte géostratégique actuel, où aucune hypothèse ne peut a priori être exclue, que se passera-t-il, par exemple, si la source d'approvisionnement défaillante était la Russie, qui représente actuellement 25 % du gaz que nous consommons ? Dois-je rappeler que l'article 4 du décret du 19 mars 2004 précise que Gaz de France « doit être en mesure d'assurer la continuité de fourniture », notamment en cas « de disparition pendant six mois au maximum de la principale source d'approvisionnement », cette situation représentant environ 25 % à 30 % du marché ?

Une telle défaillance se traduirait par une saturation du marché spot et par une envolée des prix fortement préjudiciable à notre économie. Comment exclure une telle éventualité, qui montre la fragilité de notre sécurité d'approvisionnement en gaz, surtout dans le contexte actuel de libéralisation ?

En conclusion, monsieur le ministre, notre politique énergétique doit être consolidée et rénovée pour faire face aux nouveaux défis posés par le développement durable. Sans une politique volontariste en la matière, nous risquons de remettre en cause notre indépendance énergétique et la sécurité de nos approvisionnements en électricité et en gaz. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.

M. Daniel Raoul. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. Ladislas Poniatowski s'interroge aujourd'hui, au vu du contexte actuel du marché pétrolier, sur les orientations que le Gouvernement entend arrêter pour garantir l'indépendance énergétique de la France.

M. Charles Revet. C'est important !

M. Daniel Raoul. Permettez-moi d'emblée d'en être un peu surpris. En effet, le projet de loi d'orientation sur l'énergie attend une deuxième lecture à l'Assemblée nationale, alors que, dans un premier temps, il avait été déclaré d'urgence. Je me souviens également des conditions dans lesquelles...

M. Daniel Raoul. ...le Gouvernement nous avait obligés à travailler au mois de juin 2004 : première lecture par l'Assemblée nationale le 1er juin ; fin de la première lecture par le Sénat le 10 juin, notre collègue Henri Revol ayant déposé son rapport le 2 juin.

M. Charles Revet. Très bon rapport !

M. Daniel Raoul. Je soupçonne notre collègue de souffrir d'insomnie pour avoir réussi à rédiger son rapport dans la nuit.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. M. Revol a une grande capacité de travail.

M. Daniel Raoul. Certes, et je ne la mésestime pas !

Que devons-nous déduire de cette démarche ? Ou bien, il y a une crainte de voir ce texte noyé dans les méandres du calendrier parlementaire, mais quid, alors, de l'intérêt de l'urgence de juin 2004 ? Ou bien, au vu des événements récents survenus au Moyen-Orient et de leur conséquence sur le prix du pétrole, M. Poniatowski manifeste, par le dépôt de cette question, une défiance envers l'efficacité des propositions du Gouvernement lors de la première lecture devant notre assemblée.

Plutôt qu'une question orale avec débat, nous aurions préféré poursuivre et achever la discussion du projet de loi d'orientation sur l'énergie, commencée à l'Assemblée nationale voilà près de neuf mois.

L'examen de ce texte s'enlise. Au regard du contexte actuel, des difficultés que nous rencontrons avec la Commission européenne et des problèmes géopolitiques du Moyen-Orient, ce n'est pas admissible. Non que sur le fond nous soyons d'accord avec les propositions qui ont été faites - je ne referai le débat, mais nous avions alors considéré qu'il y avait trop de déclarations incantatoires, trop de droit gazeux non normatif, absence de programmation financière et budgétaire, et aucune disposition sur les transports -,...

M. Daniel Raoul. ...mais parce que nous estimons que, compte tenu des enjeux sociétaux, économiques et environnementaux, le législateur doit fixer lui-même les orientations de la politique énergétique.

L'examen du projet de loi ira-t-il jusqu'à son terme, monsieur le ministre, ou sera-t-il abandonné, nous confirmant dans l'idée qu'il s'agit d'un simple texte d'affichage, instrumentalisé par le Gouvernement pour répondre à certaines revendications syndicales - le vote d'une loi sur l'énergie et le lancement de l'EPR - et espérer ainsi rendre acceptable l'ouverture du capital d'EDF et de Gaz de France ?

M. Jean-Marc Pastor. Bonne question !

M. Daniel Raoul. Certaines dispositions du projet de loi d'orientation sur l'énergie, en particulier celles qui sont relatives au diagnostic de performance énergétique des bâtiments, ont certes été adoptées dans la loi de simplification du droit de décembre dernier, mais cela ne laisse rien présager de bon et atténue la portée de la loi d'orientation.

L'indépendance énergétique et la sécurité d'approvisionnement sont en effet menacées. Sur ce point, je vous renvoie, mes chers collègues, à votre presse favorite, car tous les organes de presse, en particulier la presse économique, se font l'écho des problèmes qui se posent.

Mais, tout aussi grave, notre indépendance énergétique était déjà faible. En effet, selon un document de décembre 2004 émanant de votre ministère, monsieur le ministre, elle s'établissait en 2002 à 50,6 % et était plus faible que celle de l'Union à vingt-cinq, qui s'élève à 53,4 %, ou celle des Etats-Unis - ils ont certes du pétrole -, qui se monte à 72,8 %. Le débat bat son plein sur la fin de l'abondance pétrolière et le pétrole cher pose un défi à l'économie mondiale. La cherté du pétrole pourrait d'ailleurs contribuer à la désindustrialisation de la France - M. Poniatowski a évoqué le problème du prix de l'électricité pour les industries chimiques - et accélérer les délocalisations, en particulier s'agissant des industries électro-intensives. Or, le prix de l'énergie, et en particulier la facture pour la France, a augmenté de 7,3 % au cours des sept premiers mois de l'année. Pis, le prix des produits énergétiques s'est envolé, avec une augmentation de 10,2 % entre décembre 2003 et décembre 2004, le prix des produits pétroliers ayant, quant à lui, crû de 14,6 %, malgré la diversification de nos approvisionnements, car la part des hydrocarbures reste importante.

Par ailleurs, on constate la fin de la surcapacité de production électrique d'origine nucléaire en raison du choix politique un peu hypocrite de l'Allemagne et du vieillissement des centrales.

Assurer l'indépendance énergétique et la sécurité d'approvisionnement sont des objectifs qui doivent être partagés par tous. Mais encore faut-il nous dire comment on s'y prend et quels moyens on met en oeuvre !

Dans ce domaine, l'Union européenne a failli : l'ouverture à la concurrence des marchés ne peut être l'alpha et l'oméga de sa politique de l'énergie. L'ouverture des marchés de l'électricité a nuit à la compétitivité des entreprises : la déréglementation du marché européen s'est soldée par une progression des prix de plus de 25 %, et même de 40 % pour la chimie, comme l'a précisé M. Poniatowski.

M. Roland Courteau. Et ça continue !

M. Daniel Raoul. Les objectifs fixés par la législation européenne n'ont, pour l'instant, pas été atteints : il n'y a pas de marché de l'électricité intégré à l'échelon européen. La sécurité d'approvisionnement est mise à mal, faute d'interconnections suffisantes, et la Commission, elle-même, le reconnaît. Mais avant de parler de développement des interconnexions, certes nécessaires pour créer un marché intérieur, ne faudrait-il pas encourager les Etats membres à accroître leurs propres capacités de production et à ne pas compter sur leurs voisins ?

M. Daniel Raoul. L'Allemagne a ainsi décidé de ne plus produire d'électricité nucléaire et a fait le choix de s'approvisionner en France ! En revanche, et je salue leur courage politique, nos voisins britanniques ont récemment décidé de construire un réacteur.

La politique de privatisation et d'ouverture du capital des grandes entreprises industrielles et énergétiques - AREVA, EDF et Gaz de France - menée par ce Gouvernement fragilise l'indépendance énergétique de la France.

L'indépendance énergétique suppose le contrôle du capital par l'Etat des entreprises qui exercent, en ces domaines, un rôle essentiel, et qui maîtrisent donc les outils de production. C'est d'autant plus vrai pour le nucléaire car la sécurité et la sûreté sont en jeu. A ce propos, monsieur le ministre, faut-il faire entrer des entreprises électro-intensives dans le tour de table pour financer l'EPR ?

L'indépendance énergétique suppose de diversifier les sources d'énergie : le renouvelable ne décolle pas, pire il diminue en pourcentage, comme l'atteste le rapport de notre collègue Courteau. Et pour diversifier, il faut une vraie politique de recherche et développement. Selon l'Agence internationale de l'énergie, moins de 8 % des crédits publics de recherche et développement dédiés à l'énergie ont été consacrés au renouvelable entre 1987 et 2002, période à laquelle vous aimez bien vous référer, monsieur le ministre !

L'effort doit être porté sur le stockage de l'électricité, le transport et le stockage de la chaleur et du froid, la production et le stockage de l'hydrogène, la pile à combustible, le solaire voltaïque, les réseaux électriques intelligents et la biomasse. A ce sujet, monsieur Détraigne, il existe déjà des bus qui roulent aux USA avec des piles à combustible, grâce à l'appui de grands constructeurs comme Mercedes. La pile à combustible sera opérationnelle dès demain dans les transports en commun, et non dans des décennies !

M. Daniel Raoul. Le Président de la République a annoncé la création d'une agence de l'innovation industrielle, à la suite du rapport Beffa. Il est prévu de la financer grâce aux recettes des privatisations. Voilà donc à quoi servira l'ouverture du capital d'EDF, de Gaz de France et d'AREVA ! C'est une façon de tourner en rond, monsieur le ministre. Il aurait sans doute été préférable de laisser ces capitaux à EDF, Gaz de France et AREVA afin de développer notre indépendance énergétique. Mais c'est un autre débat, et nous y reviendrons dans le cadre de l'examen du projet de loi d'orientation.

L'indépendance énergétique suppose aussi le maintien de la filière nucléaire. Il faut, bien sûr, soutenir le projet ITER. L'Union européenne a, sur ce point, réaffirmé sa volonté de lancer la construction d'ITER à Cadarache sans le Japon, si aucun accord n'est trouvé. Où en est-on, monsieur le ministre ?

Le maintien de la filière nucléaire suppose de traiter l'aval du cycle et de tenir les engagements de la loi Bataille. Sur ce point, en tant que scientifique j'ai été quelque peu déçu à propos de l'espoir que l'on nous avait fait entrevoir sur la transmutation des déchets. Il s'agit en effet d'une technologie très énergétivore et qui n'aboutira sans doute pas. Si les déchets ne peuvent être transmutés, reste le problème de leur stockage.

Le maintien de cette filière suppose également que le Parlement adopte rapidement la loi sur la transparence nucléaire. Le gouvernement Jospin avait déposé un projet de loi, que le gouvernement Raffarin a d'ailleurs repris. Quand en débattrons-nous ?

L'indépendance énergétique suppose, enfin, de maîtriser la demande d'énergie, ce qui passe par une action volontariste dans le secteur tertiaire et dans les transports. Nous savons tous pertinemment que le plus grand gisement - qui favoriserait d'ailleurs notre indépendance énergétique - réside dans les économies d'énergie. Depuis le dernier choc pétrolier, nous avons tous levé le pied et nous sommes coupables de consommer de l'énergie importée.

Or, s'agissant des transports, le Gouvernement va à contresens : il a supprimé l'aide aux collectivités locales pour les transports en commun en sites propres ; il ne respecte pas ses engagements sur les financements de contrats de plan. Des gels importants - 45 % en 2003 et peut-être plus de 50 % en 2004 - ont bloqué la montée en puissance des investissements ferroviaires. Nous avons eu récemment, au Sénat, un débat sur une question de M. Reiner concernant le fret ferroviaire - je n'y reviendrai pas. Pour autant, ce blocage et l'impossibilité dans laquelle se trouve la SNCF - peut-être par manque de volonté - de développer le fret ferroviaire posent un vrai problème : non seulement sur le plan énergétique, bien sûr, mais aussi au niveau de la concurrence. Cela a en particulier pour effet de favoriser la route par rapport au rail. Sur le plan environnemental, la file - voire les deux files - de camions sur l'autoroute A1 pose un problème réel de maîtrise d'émission de CO2.

Si le gel de 2004 pour les contrats de plan est confirmé, le taux d'avancement ne sera que de 33,4 %, soit moins que les trois septièmes de l'engagement initial de l'Etat. Si l'exécution de ces contrats se poursuit au même rythme, seulement 50 % du volet ferroviaire du contrat de plan 2000-2006 sera réalisé, soit un retard de sept ans. Les dotations en faveur du combiné ont en effet été réduites de moitié et le plan fret, sur lequel je reviens encore, aboutit à fermer certaines lignes.

Nous espérons pouvoir débattre de tout cela, monsieur le ministre, lors de la deuxième lecture du projet de loi d'orientation.

En revanche, si un sujet mérite une réponse et une action rapide à l'échelon européen, c'est bien celui des contrats à long terme de gaz, les fameux CLT. Vous connaissez les dangers d'une lecture de la Commission ; ils pourraient priver Gaz de France d'une sécurité d'approvisionnement.

En effet, la poursuite de l'ouverture des marchés doit préalablement faire l'objet d'un rapport d'évaluation d'ici à la fin de l'année 2005, aux termes de l'article 31-3 de la directive.

C'est au regard de ce document que la Commission appréciera au cas par cas les conditions d'accès et si des sociétés intégrées, comme de Gaz de France, pourront être exemptées, à la demande des Etats membres - dont la France, je l'espère, monsieur le ministre -, de l'obligation de séparation juridique du gestionnaire de réseau de la distribution.

Dans l'immédiat, le rapport annuel de 2004 de benchmark a fait l'objet d'une communication solennelle devant le Parlement et devant le Conseil.

Ce rapport, dont la grille d'analyse peut être discutée, pourrait conduire la Commission à avoir une mauvaise opinion de l'ouverture des marchés. Nous aussi, monsieur le ministre, nous avons une très mauvaise opinion à cet égard, mais pour des raisons diamétralement opposées, notamment au vu de l'évolution des prix constatée pour les gros consommateurs. On pourrait en effet connaître la même évolution pour l'ensemble des consommateurs lors de l'ouverture totale du marché.

En effet, la déréglementation a abouti non pas à une baisse des prix, comme cela avait été annoncé, mais, au contraire, à une progression significative, pouvant atteindre 40 % dans certains cas.

Nous le savons, pour le gaz, le contenant, c'est-à-dire le réseau de distribution, et le contenu, c'est-à-dire le gaz, sont intimement liés, ne serait-ce que pour l'investissement dans la distribution finale. Il est donc important que Gaz de France soit une entreprise intégrée.

Nous souhaitons donc, monsieur le ministre, sur les questions très urgentes que sont les contrats à long terme et l'entreprise intégrée ainsi que sur ITER connaître la position du Gouvernement, et en particulier les actions qu'il compte entreprendre auprès de la Commission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Henri Revol.

M. Henri Revol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie Ladislas Poniatowski de son initiative, qui nous permet de débattre aujourd'hui de cette importante question de l'indépendance énergétique de notre pays, en complément de nos discussions sur la loi d'orientation. Monsieur Raoul, j'espère que lors de la deuxième lecture du projet de loi d'orientation nous disposerons en effet d'un peu plus de temps qu'en première lecture.

Mes chers collègues, je centrerai mon propos sur le cas de l'électricité, en particulier sur sa production à partir du nucléaire, qui, tous les orateurs l'ont dit, joue un rôle déterminant pour assurer notre indépendance. En effet, le parc électronucléaire français représente près de 80 % de la production brute d'électricité dans notre pays.

Le choix courageux et ambitieux qui a été fait, à la suite du premier choc pétrolier, de se lancer dans cette voie a, selon moi, porté tous ces fruits puisqu'il a permis de bénéficier tout au long de ces années d'une électricité à un prix tout à fait raisonnable pour les particuliers et a favorisé le développement de nombreuses industries en assurant le maintien de leur compétitivité.

Comme je le soulignais dans mon rapport relatif au projet de loi d'orientation sur l'énergie, hormis l'opposition de quelques petites fractions de nos concitoyens, certes farouches et irréconciliables, cette stratégie a reçu l'assentiment d'une très large majorité de nos concitoyens.

Pour autant, je ne souhaite pas dresser un tableau par trop idyllique du panorama énergétique français.

Deux points plus particuliers méritent, selon moi, d'être améliorés.

Il s'agit, en premier lieu, de la question des déchets nucléaires.

Nous le savons tous, l'énergie nucléaire a le mérite de nous fournir une électricité bon marché et encore abondante compte tenu des réserves mondiales d'uranium, qui correspondent, au bas mot, à plus de trois siècles de consommation, et bien au-delà grâce aux réacteurs surgénérateurs, soit une durée largement supérieure à celle qui est prévue pour les réserves pétrolières.

Cela étant, le choix du nucléaire ne manque pas de nous confronter à de véritables enjeux environnementaux. En effet, la réaction de fission nucléaire donne naissance à des éléments radioactifs qui, pour certains, peuvent être recyclés et réutilisés après retraitement dans les combustibles et qui, pour d'autres, nous posent plus de problèmes. Sans chauvinisme effréné, je souhaiterais avant toute chose rappeler l'excellence de l'industrie française du retraitement en la matière, notamment la technicité de l'entreprise COGEMA, qui retraite plus de mille tonnes de combustible irradié chaque année dans ses unités de l'usine de La Hague et qui fait partie des leaders mondiaux du secteur.

Toutefois, en dépit d'un taux de récupération plus qu'honorable et de la production du combustible MOX, qui permet l'utilisation du plutonium, la réaction nucléaire donne également naissance à des éléments hautement radioactifs à vie longue, les actinides mineurs, que l'on ne sait pas encore réutiliser dans le cycle de production électrique, et à des corps dits « produits de fission », radioactifs, dont la durée de vie est assez longue.

Le législateur a, en 1991, et j'avais eu l'honneur d'être le rapporteur de ce texte, voté une loi qui prévoyait d'organiser notre recherche dans le domaine des déchets nucléaires autour de trois axes pour essayer de trouver une solution à ce problème, et qui disposait qu'un bilan de ces travaux sera présenté devant le Parlement en 2006. Ces trois axes sont: la séparation-transmutation des éléments radioactifs, le stockage de ces éléments en couche géologique profonde et l'entreposage de ces déchets. La commission nationale d'évaluation présente, comme l'a fixé la loi, chaque année au Gouvernement et au Parlement un rapport sur l'état de ces recherches.

L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, que j'ai l'honneur de présider, vient juste d'achever, la semaine dernière, trois grandes journées d'auditions publiques consacrées à ces trois axes de recherche. Vous avez d'ailleurs bien voulu, monsieur le ministre, nous faire l'honneur de clore l'une de ces journées. Ces auditions ont été organisées sur l'initiative de nos collègues députés MM. Birraux et Bataille, qui travaillent à l'élaboration d'un rapport de l'Office destiné à préparer cette échéance de 2006. Les débats que nous avons eus dans ce cadre furent d'excellente qualité et permettront de préparer au mieux les discussions que nous aurons l'année prochaine sur cette thématique.

Mes chers collègues, ne nous trompons pas. Je sais que le fait d'aborder le sujet des déchets nucléaires peut déchaîner les passions et faire entrer le débat dans la sphère de l'irrationnel. Toutefois, j'aimerais dire ici solennellement qu'il s'agit d'une question dont il convient a contrario de ne pas exagérer l'importance. En effet, peu de personnes savent que la totalité des déchets nucléaires à vie longue produits par le parc électronucléaire français depuis sa création tiennent dans un volume équivalant à celui d'une piscine olympique, dans l'attente des décisions qui seront prises par le législateur l'an prochain. En outre, selon moi, le terme « déchet » est utilisé à tort puisqu'il s'agit de produits intégrés dans des conteneurs, objets de haute technologie, qui, nous l'espérons tous, pourront un jour permettre la valorisation de ces déchets.

Je rappelle également un fait important : alors que la planète est confrontée plus que jamais à l'enjeu du réchauffement climatique, l'énergie nucléaire est la source qui émet le moins de gaz carbonique.

M. Henri Revol. Ainsi, au sein de l'Union européenne, la France est l'un des pays qui émet le moins de dioxyde de carbone.

M. Daniel Raoul. Effectivement !

M. Henri Revol. Surtout, les émissions de CO2 par habitant dues à la production électrique sont largement inférieures à celles des autres pays de l'Union : 0,44 tonne par habitant pour la France, contre 3,67 tonnes par habitant pour l'Allemagne ; notre collègue Yves Détraigne l'a souligné à juste titre tout à l'heure. Il y a donc bien un modèle français de l'énergie, qui est respectueux des enjeux liés au développement durable et à la lutte contre l'effet de serre.

Tant que l'on n'aura pas trouvé une meilleure solution pour garantir l'indépendance électrique française, nous devons raison garder en la matière et continuer de soutenir notre appareil de recherche pour que des solutions puissent être trouvées au problème de ces déchets, car même si des résultats très intéressants ont déjà été obtenus, il y aura lieu de poursuivre les recherches après 2006.

Pour l'un des axes de la loi de 1991, la transmutation, évoquée tout à l'heure par notre collègue Raoul, des résultats très intéressants ont été obtenus, mais il faut poursuivre les recherches et lorsque nous n'aurons plus à notre disposition le réacteur Phénix de Marcoule, qui doit être arrêté prochainement en raison de son âge, nous serons obligés de demander à la Russie et au Japon de bien vouloir mettre à notre disposition leur réacteur surgénérateur pour que nous puissions mener ces recherches. Et cela parce que, il y a un certain nombre d'années, le gouvernement Jospin a pris la désastreuse décision d'arrêter Superphénix. (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Au total, je ne peux conclure mon propos sur ce sujet sans évoquer, à mon tour, toute ma satisfaction quant au lancement de l'EPR, qui était devenu nécessaire pour apporter une solution au futur renouvellement de nos centrales nucléaires. Cette décision ambitieuse, à laquelle, avec Nicolas Sarkozy, vous avez beaucoup contribué, monsieur le ministre, va permettre de redonner un nouvel élan à notre filière nucléaire et elle est synonyme du maintien de notre indépendance énergétique à long terme.

En second lieu, je souhaiterais évoquer les conséquences du processus d'ouverture à la concurrence des marchés énergétiques, notamment sur les prix et sur le développement des infrastructures.

Les directives européennes ont imposé, à compter du 1er juillet dernier, une libéralisation plus large, qui touche désormais non seulement l'ensemble des gros consommateurs mais aussi les PME-PMI, les très petites entreprises - par exemple, les boulangers de village - ainsi que les collectivités territoriales ; tous peuvent maintenant faire appel à la concurrence. Aussi, nous devons nous préparer à la prochaine étape de ce mouvement, à savoir l'ouverture totale à la concurrence pour tous types de consommateurs, c'est-à-dire pour tous les abonnés, entreprises ou particuliers.

Dans le cadre du groupe d'études de l'énergie, que j'ai l'honneur de présider, j'ai réalisé au cours de l'année 2003, à la demande de la commission des affaires économiques, une série d'auditions portant sur la question de la hausse des prix de l'électricité.

Je rappellerai simplement une évidence désormais largement connue et qui a été soulignée par les orateurs précédents : les prix de l'électricité ont, en particulier depuis l'ouverture à la concurrence des marchés énergétiques, grimpé fortement, puisque le prix par mégawattheure d'une fourniture annuelle de courant a presque doublé depuis six ans.

Cette évolution est très nettement problématique et fragilise la compétitivité de larges pans de notre industrie, notamment ceux que l'on appelle « les électro-intensifs », à savoir le secteur de la chimie, de la sidérurgie ou du papier carton.

M. Daniel Reiner. C'est le libéralisme !

M. Henri Revol. De nombreuses entreprises françaises envisagent d'ailleurs de s'installer à l'étranger si ce mouvement haussier doit se poursuivre.

Alors que, comme je l'ai souligné au début de mon intervention, l'un des principaux mérites de l'énergie nucléaire a été de fournir aux entreprises et aux ménages français une électricité bon marché, il est curieux de constater que seul un changement de contexte dans l'organisation des marchés puisse provoquer la hausse des prix.

Il est aussi inquiétant de constater que certains énergéticiens souhaitent attendre la fin de cette montée des prix pour réinvestir dans les installations de production. En d'autres termes, l'intérêt commercial des entreprises ne serait-il pas d'organiser une sorte de pénurie électrique pour que l'offre, inférieure à la demande, puisse exercer des pressions à la hausse sur les prix ?

M. Daniel Raoul. Bien vu !

M. Henri Revol. Ce mouvement doit impérativement être analysé en détail. En effet, demain, l'ensemble des Français sera concerné par l'ouverture à la concurrence. Je n'ose imaginer les conséquences qu'aurait sur le pouvoir d'achat des ménages une flambée des prix de l'électricité après l'ouverture totale de 2007.

D'où l'importance d'une stratégie ambitieuse de développement des infrastructures et du projet de directive visant à garantir les investissements, sur lequel je souhaiterais connaître votre sentiment, monsieur le ministre.

Enfin, j'examinerai avec attention les termes de l'offre commerciale à long terme qu'EDF souhaite lancer à destination de ses clients industriels. Elle devrait permettre d'assurer une certaine visibilité en matière de prix et d'associer ces industriels à la construction de l'EPR.

En conclusion, je soulignerai que, à l'image de celui de nombreuses économies industrielles occidentales, le bilan énergétique français fait ressortir une très forte dépendance à l'égard des hydrocarbures, massivement importés, quoique cette dépendance soit tempérée par le recours au nucléaire. Il n'en reste pas moins que cette situation ne peut que nous inciter à poursuivre dans les choix que nous avons faits, quitte à les infléchir en recourant davantage aux énergies renouvelables, ce qui nécessite un effort de recherche accru en la matière.

Toutefois, deux aspects doivent être précisés et améliorés : l'information du public à l'égard de la sécurité nucléaire - ce sujet sera abordé dans le texte sur la transparence et la sécurité nucléaire que nous devrions discuter prochainement ici même - et la question des déchets, dont nous parlerons abondamment l'année prochaine. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

(M. Guy Fischer remplace M. Jean-Claude Gaudin au fauteuil de la présidence.)