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Nomination de membres d'organismes extraparlementaires

M. le président. Je rappelle que les commissions des affaires sociales et des affaires économiques ont proposé leurs candidats pour deux organismes extraparlementaires.

La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du règlement.

En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame M. Jean-Claude Etienne membre du Conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine et M. Michel Bécot membre de la Commission supérieure du Crédit maritime mutuel.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est reprise.

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Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution
Discussion générale (suite)

Modification du titre XV de la Constitution

Discussion d'un projet de loi contitutionnelle

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution
Motion d'ordre

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, modifiant le titre XV de la Constitution (n° 167, 180).

Comme vous le savez, mes chers collègues, ce projet de révision constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale il y a peu, a pour objet d'adapter notre texte fondamental aux avancées prévues par le traité constitutionnel européen.

Il faut s'en féliciter : ce traité est, pour l'essentiel, le résultat des travaux de la convention sur l'avenir de l'Europe, au sein de laquelle ont siégé nos excellents collègues Hubert Haenel et Robert Badinter, que j'avais désignés pour nous représenter .

Ce traité reconnaît à l'Assemblée nationale et au Sénat, placés sur un pied d'égalité, de nouvelles compétences pour nous permettre d'être plus vigilants quant au respect du principe de subsidiarité, auquel nous sommes tous très attachés. Il y va du juste équilibre dans la répartition des pouvoirs entre les instances européennes et les parlements nationaux.

Si le traité entre en vigueur, au plus tôt le 1er novembre 2006, nous devrons définir au préalable dans notre règlement les modalités pratiques de ces nouveaux mécanismes d'alerte, de recours ou d'opposition qui nous mettent en relation directe avec les institutions européennes.

A nous de faire vivre ces nouvelles prérogatives, conformément aux préoccupations de nos concitoyens, qui veulent une Europe plus proche et mieux comprise d'eux-mêmes.

Avant de donner la parole à M. le garde des sceaux, j'évoquerai également l'organisation de nos travaux sur ce projet de révision constitutionnelle, pour lequel la conférence des présidents a prévu trois jours de discussion, étant entendu que nous avons programmé le vote par scrutin public à la tribune jeudi matin.

En accord avec M. le président de la commission des lois, nos travaux se dérouleront de la manière suivante : cet après-midi et ce soir, nous pourrions procéder à la discussion générale et à l'examen des deux motions de procédure portant sur l'ensemble du projet de loi ; demain, mercredi, l'après-midi et le soir, nous pourrions examiner les articles sur lesquels quarante-huit amendements ont été déposés ; enfin, jeudi matin, à partir de neuf heures trente, pourraient intervenir les explications de vote sur l'ensemble du texte, puis le vote par scrutin public à la tribune.

Je suis persuadé que cette organisation nous permettra de conduire cet important débat dans les meilleures conditions.

Il n'y a pas d'opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte établissant une Constitution pour l'Europe, signé à Rome le 29 octobre dernier, a pour objet de consolider et de développer les acquis de l'Union européenne.

Ces acquis ont permis à l'Union, qui compte aujourd'hui vingt-cinq Etats membres, de contribuer de manière déterminante à l'émergence, sur notre continent, d'un vaste espace de paix, de prospérité et de liberté, valeurs cardinales au nombre de celles qui sont communes à tous les peuples.

Comme tous les traités, le traité établissant une Constitution pour l'Europe est le fruit d'un compromis, sur la base duquel vingt-cinq Etats aux histoires et aux intérêts particuliers se sont accordés et sont déterminés à unir leurs efforts pour atteindre des objectifs communs qui transcendent leurs différences.

L'enjeu est majeur. En effet, ce n'est pas un traité de plus dans l'histoire de la construction européenne. C'est, sans aucun doute, une nouvelle étape de cette construction.

Le traité innove en améliorant profondément le fonctionnement de l'Union européenne. La consécration du Conseil européen comme institution de l'Union, l'élection d'un président du Conseil européen pour deux ans et demi, la création d'un ministre des affaires étrangères de l'Union, qui permettra à cette dernière de mieux se faire entendre sur la scène internationale, l'intégration de la Charte des droits fondamentaux dans le traité, ce qui conférera aux citoyens de l'Union le plus haut niveau de protection de leurs droits et de leurs libertés, sont quelques exemples emblématiques de cette amélioration.

D'autres dispositions modifient sensiblement l'organisation des compétences et le fonctionnement institutionnel de l'Union, permettant une meilleure lisibilité de l'action d'une Union au sein de laquelle vingt-cinq pays vont travailler et vivre ensemble plus étroitement.

En France, vous le savez, la ratification de ce nouveau traité de Rome se déroulera en deux phases.

La première phase consiste en une révision de notre Constitution. Cette révision est nécessaire pour adapter notre loi fondamentale à celles des stipulations du traité dont le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 19 novembre 2004, a jugé qu'elles n'étaient pas conformes à son texte actuel.

Lors de la seconde phase, suivant la décision du chef de l'Etat, le peuple français se prononcera directement, par la voie du référendum, sur la ratification par la France du traité établissant une Constitution pour l'Europe.

Le projet de loi constitutionnelle qui vous est aujourd'hui soumis a d'abord été élaboré afin de répondre aux incompatibilités existant entre notre Constitution et le traité établissant une Constitution pour l'Europe, sur le fondement des indications figurant dans la décision du Conseil constitutionnel du mois de novembre.

Le Conseil constitutionnel a identifié deux séries de dispositions du traité incompatibles avec notre Constitution.

La première série est relative aux stipulations du traité concernant les compétences de l'Union. Comme en 1992, à l'occasion du contrôle du traité de Maastricht, puis en 1997, lors du contrôle du traité d'Amsterdam, le Conseil constitutionnel a identifié un certain nombre de stipulations prévoyant de nouveaux transferts de compétences au profit des institutions de l'Union, qui, malgré le principe de subsidiarité, ont pour effet d'affecter les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

Sont, à ce titre, notamment visées certaines des stipulations du traité en matière de coopération judiciaire, en matière civile et en matière pénale, mais aussi la création d'un parquet européen compétent pour poursuivre les auteurs d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union.

D'autres stipulations modifient les règles d'adoption des normes européennes dans des matières ayant déjà fait l'objet de transferts de compétences dans des traités antérieurs et réclament, par voie de conséquence, une révision de la Constitution. Il en est ainsi en ce qui concerne les règles relatives à la structure, au fonctionnement et au domaine d'action d'Eurojust et d'Europol.

La seconde série de stipulations contraires à notre Constitution concerne les nouvelles prérogatives reconnues par le traité aux parlements nationaux : premièrement, la faculté qui leur est ouverte de s'opposer à une décision du Conseil mettant en oeuvre le mécanisme de la clause passerelle générale prévue à l'article IV-444 du traité ; deuxièmement, les pouvoirs reconnus à chaque assemblée parlementaire dans le cadre du contrôle du respect, par les institutions de l'Union, du principe de subsidiarité.

Ces stipulations méritent qu'on s'y arrête quelques instants. En effet, leur objectif est de permettre, comme nous l'avons si souvent demandé, aux parlements nationaux d'assurer un contrôle politique sur les initiatives de la Commission. Pour ce faire, le traité associe directement les parlements nationaux au contrôle de la bonne application du principe de subsidiarité à travers la création de deux procédures.

La première procédure pourra être mise en oeuvre par chacune des assemblées composant notre Parlement. Elle leur permettra, lors de l'examen d'un projet d'acte législatif européen, d'adresser aux institutions européennes un avis motivé exposant les raisons pour lesquelles il est considéré comme susceptible de porter atteinte au principe de subsidiarité.

La seconde procédure permettra, si l'acte est malgré tout adopté, de le déférer à la censure de la Cour de justice de l'Union européenne.

Ce dispositif confère, pour la première fois, un rôle actif aux parlements nationaux dans le processus décisionnel européen. Il s'agit là, me semble-t-il, d'une avancée majeure vers une Europe plus démocratique et plus proche de ses citoyens.

Le projet du Gouvernement, qui a fait l'objet de quelques améliorations lors de son examen par l'Assemblée nationale, est organisé en trois volets.

Le premier volet comprend l'article 1er du projet de loi. Son objet est à la fois unique et simple : il s'agit de lever les obstacles constitutionnels à la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe. Sa rédaction, qui renvoie au traité signé en octobre dernier, est suffisamment générale pour couvrir toutes les inconstitutionnalités que ce traité est susceptible de contenir. L'entrée en vigueur de cet article ouvrira la voie à l'organisation du référendum.

Le deuxième volet est constitué par l'article 3 du projet de loi. Il se distingue des trois autres articles par sa substance, beaucoup plus importante, ainsi que par le fait que son dispositif n'entrera en vigueur, il faut l'avoir à l'esprit, que lorsque tous les Etats membres de l'Union auront ratifié le traité établissant une Constitution pour l'Europe. L'article 3 consiste en une réécriture totale du titre XV de la Constitution, réécriture rendue nécessaire par les modifications profondes qu'induit la mise en oeuvre du traité.

C'est également l'ampleur de ces modifications qui a commandé que ce dispositif n'entre pas en vigueur avant le traité lui-même. Notamment, les nouvelles prérogatives du Parlement français en matière de contrôle du respect du principe de subsidiarité par les institutions européennes ne pourront être mises en oeuvre que lorsque le traité établissant une Constitution pour l'Europe aura été ratifié.

Toutes les modifications apportées au titre XV de la Constitution n'auront pas, pour autant, la même ampleur. Ainsi, les articles 88-1 et 88-2 seront profondément remaniés.

Au moment où le traité entrera en vigueur, le nouvel article 88-1 de la Constitution, qui continuera à consacrer le principe de la participation de notre pays à l'Union européenne, aura également pour objet et pour effet de lever les obstacles constitutionnels à la mise en oeuvre des stipulations de ce traité.

Ces obstacles, comme je vous l'ai indiqué, sont nombreux et divers. Le Conseil constitutionnel n'en a pas présenté une liste exhaustive. Dès lors, il n'était pas nécessaire d'établir, dans la Constitution, comme cela avait été fait en 1992 et en 1999, la liste des domaines dans lesquels la France consent aux transferts de compétences prévus par le traité.

Il est simplement précisé dans le nouvel article 88-1 que la participation de la République française à l'Union européenne s'entend « dans les conditions fixées par le traité établissant une Constitution pour l'Europe signé le 29 octobre 2004 ». Cette formulation, semblable à celle qui est utilisée à l'article 1er du projet de loi, produit les mêmes effets : toutes les inconstitutionnalités contenues dans les stipulations de ce traité seront couvertes juridiquement par ce dispositif. Dans le même temps, ce dispositif assurera qu'à l'avenir, si un nouveau traité devait être conclu, les inconstitutionnalités qu'il pourrait contenir imposeraient une nouvelle révision de la Constitution.

La conséquence de ce choix est de faire disparaître les deux premiers alinéas de l'actuel article 88-2, qui, intégrés au nouvel article 88-1, n'ont plus de raison d'être.

Seul le troisième alinéa de l'article 88-2 actuel sera maintenu. En effet, les inconstitutionnalités qu'il a pour objet de couvrir trouvent leur source non pas dans les traités, mais dans des actes de droit dérivé pris par les institutions européennes. Pour assurer leur pérennité et pour que les règles régissant le mandat d'arrêt européen continuent de s'appliquer en France, il est donc indispensable de maintenir cet alinéa dans notre Constitution.

Les articles 88-3 et 88-4 ne faisaient l'objet que de modifications de forme dans le projet initial du Gouvernement.

S'agissant de l'article 88-3, qui prévoit la possibilité - mais c'est aujourd'hui une réalité - de conférer aux citoyens de l'Union européenne, dans certaines conditions, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales, le Gouvernement a choisi de faire disparaître la réserve de réciprocité et l'adjectif « seuls » qui figurent au premier alinéa de cet article.

En effet, la réserve de réciprocité, classique dans le cadre du droit international, n'a pas de sens s'agissant d'un dispositif européen.

Quant à l'adjectif « seuls », dès lors que l'article 88-3 ne permet pas d'accorder le droit de vote à des ressortissants de pays qui ne sont pas membres de l'Union européenne, il est sans utilité juridique.

Ainsi, dans les deux cas, les modifications apportées au texte constitutionnel sont sans portée juridique.

L'article 88-4, en revanche, a été, au terme d'un débat de grande qualité, sensiblement modifié sur le fond par l'Assemblée nationale.

Cet article, vous le savez, impose au Gouvernement de transmettre au Parlement les projets ou propositions d'acte des Communautés européennes ou de l'Union européenne comprenant des dispositions de nature législative et leur permet d'adopter des résolutions à leur sujet.

Outre la suppression de la référence aux Communautés européennes, absorbées par l'Union, la notion de « dispositions de nature législative » a été remplacée par celle de « dispositions du domaine de la loi » pour éviter l'ambiguïté entre les notions d'acte législatif européen et d'acte législatif français. Les mots « domaine de la loi » figurent déjà dans six autres articles de la Constitution de 1958 et permettent, en renvoyant à l'article 34, de dissiper tout risque de confusion.

Mais à ces modifications de forme, d'ordre mineur, l'Assemblée nationale a ajouté, avec l'accord du Gouvernement, une modification de fond relative au champ d'application de cet article.

Le Gouvernement, je le rappelle, n'entend pas qu'à l'occasion de la présente réforme de la Constitution la répartition des compétences entre les pouvoirs exécutif et législatif, telle qu'elle résulte de la Constitution, soit remise en cause.

Pour autant, le Gouvernement a bien compris la préoccupation des parlementaires quant à la place des assemblées dans le processus d'élaboration de la norme européenne. C'est pourquoi il a pris deux engagements forts.

Le premier s'est concrétisé par le soutien apporté à l'amendement qui a rallié les suffrages des députés. Celui-ci a pour objet de prévoir la transmission obligatoire au Parlement de tous les projets d'acte législatif européen, quel que soit leur contenu. Cela permettra à chaque assemblée parlementaire d'adopter, sur le fond, des résolutions relatives à un projet d'acte législatif européen. Une telle orientation est cohérente avec celle du traité, qui rend les parlements nationaux systématiquement destinataires de ces projets par les institutions européennes elles-mêmes.

Le deuxième engagement du Gouvernement concerne la mise en oeuvre des dispositions de l'article 88-4. La circulaire du 13 décembre 1999 qui organise cette mise en oeuvre sera modifiée ou remplacée. Y figurera la règle selon laquelle, à la demande d'une assemblée parlementaire ou de l'une de ses commissions, les documents qui n'entrent pas dans le cadre de la transmission obligatoire au Parlement devront être transmis, sauf exception. Les avis alors rendus par l'une ou l'autre assemblée devront faire l'objet d'un examen attentif de la part du Gouvernement.

Le Parlement français disposera ainsi de prérogatives d'information et d'action propres à garantir sa participation active au processus d'élaboration de la norme européenne.

Enfin, les articles 88-5 et 88-6 sont totalement nouveaux. Ils ont pour objet de permettre aux assemblées parlementaires françaises de mettre en oeuvre les prérogatives nouvelles que le traité établissant une Constitution pour l'Europe leur reconnaît.

L'article 88-5 a été, avec l'accord du Gouvernement, entièrement réécrit à l'Assemblée nationale. II permettra à chaque assemblée, dans des conditions d'initiative et de discussion fixées par son règlement intérieur, de voter des résolutions lui permettant, d'une part, d'émettre un avis motivé à destination des institutions européennes lorsqu'un projet d'acte législatif européen est susceptible de méconnaître le principe de subsidiarité et, d'autre part, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne dans le cas où l'acte en cause serait tout de même adopté.

Compte tenu des délais relativement brefs dans lesquels ces résolutions doivent intervenir, il est prévu qu'elles puissent être adoptées en dehors des périodes de session. Les termes utilisés doivent permettre à chaque assemblée d'adopter ces résolutions sans inscription systématique à l'ordre du jour d'une séance publique.

Le Gouvernement, qui est tenu informé dans le premier cas, a pour seul rôle de transmettre à la Cour de justice les recours décidés sur le fondement du deuxième alinéa.

L'article 88-6, adopté sans modification par l'Assemblée nationale, est relatif à la mise en oeuvre du droit de veto reconnu aux parlements nationaux de se prononcer d'une seule voix, y compris lorsqu'ils sont composés de manière bicamérale, contre la mise en oeuvre du mécanisme de révision simplifiée figurant à l'article IV-444 du traité établissant une Constitution pour l'Europe.

Là encore, ce sont les règlements intérieurs des deux assemblées qui devront fixer les modalités procédurales d'adoption de la motion commune votée en termes identiques - j'y insiste - par laquelle le Parlement français pourra faire échec au passage de la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée dans les domaines de compétence matérielle de l'Union européenne.

L'article 88-7 n'appelle pas d'observations particulières puisqu'il est destiné à reprendre les dispositions que l'article 2 du présent projet de loi aura intégrées à l'article 88-5 de la Constitution en attendant l'entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l'Europe.

Ces dispositions font partie du troisième et dernier volet de ce projet de loi, qui comprend les articles 2 et 4 et qui entrera en vigueur même si le traité établissant une Constitution pour l'Europe n'était pas ratifié par tous les Etats.

Il a pour objet de concrétiser l'engagement pris par le Chef de l'Etat de soumettre au peuple français, par la voie du référendum, toute nouvelle adhésion d'un Etat à l'Union européenne.

Seul le principe de ce recours au référendum sera inscrit dans la Constitution. Les dispositions de l'article 4 du projet de loi, qui présentent un caractère transitoire, n'y figureront pas. Leur objet est de réserver le cas des pays pour lesquels les négociations en vue de leur adhésion ont déjà commencé ou sont sur le point de commencer. Il ne faut pas, en effet, que soient modifiées les règles qui étaient applicables lorsque ont été décidées les négociations en vue de l'adhésion de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Croatie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, à l'issue de mon propos, je tiens à souligner de nouveau l'importance du projet de loi constitutionnelle qui vous est aujourd'hui soumis.

En adaptant la Constitution de notre pays pour permettre que la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe soit proposée au peuple français, il constitue une étape nécessaire dans le processus qui permettra à la France de poursuivre, avec ses vingt-quatre partenaires, la construction d'une Union européenne seule à même, j'en suis convaincu, de garantir la paix et la prospérité de ses membres. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C'est la cinquième fois que nous sommes amenés à aborder, au Parlement, une révision de la Constitution en relation avec le processus de construction européenne.

A chaque étape de cette construction marquée par la signature d'un traité important, nous devons en effet réviser notre Constitution de telle sorte que le traité en question soit conforme à celle-ci.

C'est de nouveau le cas avec le traité « établissant une Constitution pour l'Europe ».

Relevons au passage que l'expression même de « Constitution pour l'Europe » pose problème dans la mesure où le mot « Constitution » a, chez nous, une signification très précise, qui ne correspond pas tout à fait à ce que l'on entend en l'occurrence s'agissant de la construction européenne, ni d'ailleurs à la notion de Constitution dans le monde anglo-saxon.

En réalité, nous sommes plus en face des « statuts » de l'Union européenne que d'une Constitution à proprement parler. Une Constitution, c'est le propre d'un Etat. Or l'Union européenne, pour l'heure, n'est pas un Etat, c'est une union d'Etats. On a donc quelque peu joué sur les mots, le mot « Constitution » n'ayant pas la même signification dans les vingt-cinq pays.

Le traité établissant une Constitution pour l'Europe compte 448 articles divisés en quatre parties.

La partie I, la plus importante, celle qui nous concerne le plus, a trait aux objectifs fondamentaux et aux institutions de l'Union européenne.

La partie II concerne la Charte des droits fondamentaux de l'Union, proclamée à Nice.

La partie III vise les politiques et le fonctionnement de l'Union.

Enfin, la partie IV comprend les dispositions transitoires et finales.

A ces quatre parties sont annexés deux protocoles qui nous concernent directement : le protocole n° 1 sur le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne et le protocole n° 2 sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Nous reviendrons sur ces deux points lorsque nous aborderons la portée de la révision constitutionnelle qui nous est proposée.

Il ne nous appartient pas, en cet instant, de juger le contenu du traité établissant une Constitution pour l'Europe : nous sommes là pour examiner la conformité de notre Constitution à ce nouveau traité.

A ce point de mon propos, je crois utile de rappeler un certain nombre d'éléments.

La construction européenne s'est opérée jusqu'à maintenant sur les bases du droit international public et non sur les bases d'un droit fédéral en cours de construction, même si certains des Etats membres de l'Union européenne ont d'ores et déjà inscrit dans leur Constitution des éléments de pré-fédéralisme ; c'est le cas, par exemple, du Portugal. Pour notre part, nous n'en sommes pas là : nous avons conservé, pour la construction européenne, les modalités de transposition du droit international en droit interne.

Permettez-moi d'évoquer brièvement ces modalités.

Tout d'abord, aux termes de l'article 52 de la Constitution, c'est le Président de la République qui négocie et ratifie les traités, l'article 53 prévoyant néanmoins que les traités les plus importants ne peuvent être ratifiés qu'en vertu d'une loi, ce que nous ferons éventuellement par la suite, sous la forme d'une loi référendaire.

Cela signifie que nous nous inscrivons dans une conception moniste du droit international, qui apparaît dans l'article 55 de la Constitution, aux termes duquel les traités, dès leur ratification, ont une autorité supérieure à la loi. C'est un point tout à fait important qui explique pourquoi nous n'avons pas eu le même comportement qu'un certain nombre de pays de l'Union européenne ; je pense à la Grande-Bretagne, aux Pays-Bas ou aux Etats scandinaves, qui ont, eux, une conception dualiste du droit international, telle que le droit international ne peut intégrer leur droit interne qu'à condition que ce droit international soit transformé en loi.

Cette conception ne s'inscrit pas dans nos traditions. Chez nous, le droit international s'impose automatiquement, sous réserve de l'intervention du Parlement pour les documents les plus importants. Cette conception moniste s'explique par le fait que les traités ont toujours une autorité supérieure à la loi, mais non pas, j'y insiste, à la Constitution.

Je rappelle par ailleurs les termes de l'article 54 de la Constitution : « Si le Conseil Constitutionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier ministre, par le président de l'une ou l'autre assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré qu'un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l'autorisation de ratifier ou d'approuver l'engagement international en cause ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution. »

Je précise qu'une telle disposition n'a pas un caractère automatique : il suffit ainsi que le Conseil constitutionnel ne soit pas saisi pour que nous ratifiions un traité qui serait contraire à la Constitution. Mais tel n'est pas le cas en l'occurrence.

J'en profite pour répondre aux auteurs de l'une des motions de procédure qui sera défendue tout à l'heure. Ils prétendent qu'il aurait été possible de coupler la ratification du traité et à la modification de la Constitution dans le cadre d'un seul référendum : cela est contraire à l'article 54 puisque celui-ci exige de modifier la Constitution préalablement à la ratification.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Absolument !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Dans la décision qu'il a rendue le 19 novembre 2004 après avoir été saisi par le Président de la République, le Conseil constitutionnel a rappelé un certain nombre de principes qu'il avait déjà développés dans des décisions antérieures.

Ainsi, le Conseil constitutionnel a fait sienne la primauté du droit de l'Union européenne, en rappelant que ce droit a le caractère des traités internationaux. A partir de là, il a examiné la portée des articles I-5 et I-6 du traité, articles qui, dans une certaine mesure, se contredisent.

Aux termes de l'article I-6, « la Constitution et le droit adopté par les institutions de l'Union, dans l'exercice des compétences qui sont attribuées à celle-ci, priment le droit des Etats membres ». Cela ne paraît-il pas signifier que la Constitution et le droit adopté par les institutions de l'Union priment sur notre Constitution ?

Or le premier alinéa de l'article I-5 pose le principe suivant : « L'Union respecte l'égalité des Etats membres devant la Constitution ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l'autonomie locale et régionale. Elle respecte les fonctions essentielles de l'Etat, notamment celles qui ont pour objet d'assurer son intégrité territoriale, de maintenir l'ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. »

Le Conseil constitutionnel a bien cerné cette contradiction en réaffirmant le principe de la supériorité de notre Constitution sur le droit communautaire. La Cour de Karlsruhe a d'ailleurs adopté une position identique en Allemagne.

Toutefois, un problème se pose, et je suis convaincu que mon excellent collègue Hugues Portelli le soulignera dans son intervention : que se passerait-il si jamais la Cour de justice des Communautés européennes de Luxembourg contredisait la jurisprudence du Conseil constitutionnel ?

A mon sens, en vertu de l'article I-5, la Cour de Luxembourg ne pourra plus maintenir en l'état sa jurisprudence. Dans le cas contraire, l'Union européenne serait vraisemblablement confrontée à une crise institutionnelle.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Il faudrait résoudre cette crise autrement que par les dispositifs actuellement à notre disposition.

En tout état de cause, le 19 novembre 2004, le Conseil constitutionnel a estimé qu'il n'y avait pas lieu de modifier la Constitution compte tenu de la lecture combinée des articles I-5 et I-6 du traité et a donc confirmé la supériorité de notre Constitution sur le droit communautaire.

J'en viens maintenant, sans reprendre tout ce qu'a dit parfaitement M. le ministre tout à l'heure, aux raisons pour lesquelles le Conseil constitutionnel a estimé nécessaire de réviser notre Constitution, en réaffirmant d'ailleurs une jurisprudence antérieure.

Il faut, tout d'abord, réviser la Constitution parce que le traité prévoit des transferts de compétences dans des matières nouvelles. Certaines sont d'ailleurs évoquées dans la décision : notamment, le contrôle aux frontières, la coopération judiciaire, la création d'un parquet européen.

Il faut, ensuite, modifier la Constitution eu égard à l'institution, par le traité, de nouvelles modalités d'exercice de compétences déjà transférées. A ce titre, le Conseil constitutionnel mentionne le cas d'Eurojust et d'Europol, les initiatives conjointes de saisine d'Eurojust, ainsi que les mesures nécessaires à l'usage de l'euro.

Ces dispositions feront l'objet des articles 88-1 et 88-2 de la Constitution.

Deux autres points appellent une révision de la Constitution, mais ils ne seront pas traités de la même façon. Il s'agit des « clauses-passerelles » spécifiques et de la procédure de révision simplifiée du traité instituée par son article IV-444.

Enfin, il convient de réviser la Constitution eu égard aux nouvelles prérogatives reconnues aux parlements nationaux, ou à chacune des chambres qui les composent, dans les protocoles nos 1 et 2, qui feront l'objet des articles 88-5 et 88-6.

Le projet de loi constitutionnelle qui nous est aujourd'hui soumis comprend deux sortes de dispositions, trois volets, quatre articles et deux innovations juridiques.

J'évoquerai d'abord les innovations juridiques, qui présentent un intérêt non seulement sur le plan théorique, mais aussi sur le plan pratique.

Il convient de souligner l'existence, dans ce texte, d'articles à vocation transitoire et d'articles à vocation définitive.

En effet, les deux premiers articles du projet de loi constitutionnelle « disparaîtront » lorsque le traité établissant une Constitution pour l'Europe aura été ratifié par l'ensemble des Etats membres et « laisseront la place » aux dispositions prévues par l'article 3.

Cette première innovation me paraît tout à fait positive : cela évite d'avoir à réviser la Constitution en deux fois et cela permet d'adapter le texte constitutionnel en fonction de la réalité juridique. (M. le Premier ministre fait son entrée dans l'hémicycle.)

Monsieur le Premier ministre, je vous salue !

La deuxième innovation réside dans le fait que l'article 4 prévoit une disposition constitutionnelle qui ne sera pas inscrite dans la Constitution. Vous me rétorquerez, avec raison, que cela existe déjà : la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et le préambule de la Constitution de 1946 - et, peut-être demain, la Charte de l'environnement - figurent en effet, non pas dans le texte constitutionnel, mais « à côté », et ont néanmoins valeur constitutionnelle.

Il est d'ailleurs préférable que la disposition prévue à l'article 4, qui a lui-même une vocation transitoire, ne figure pas dans le texte constitutionnel dans la mesure où elle porte sur un cas d'espèce, à savoir l'admission de la Bulgarie, de la Roumanie et de la Croatie dans l'Union européenne. Rien, en effet, ne permet de justifier l'inscription dans la Constitution d'une disposition aussi précise, qui sera appelée à disparaître le jour où ces trois pays auront effectivement intégré l'Union européenne.

J'en viens maintenant aux deux sortes de dispositions qui figurent dans le projet de loi constitutionnelle.

Une première série de dispositions provient, en réalité, de l'application de la décision du Conseil constitutionnel. Elles ont pour objet de lever les obstacles juridiques à la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe.

A ce titre, seuls les articles 1er et 3 sont concernés, à l'exception des dispositions de l'article 3 insérant un article 88-7 dans notre Constitution.

Mme Hélène Luc. C'est très clair !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Une deuxième série de dispositions résulte, quant à elle, de la volonté politique du Président de la République et du Gouvernement.

Ces dispositions prévoient qu'à l'avenir tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un Etat à l'Union européenne ne pourra être adopté que par la voie référendaire. Elles figurent à l'article 2 et dans le texte proposé par l'article 3 pour l'article 88-7 de la Constitution.

Il s'agit d'une décision politique importante, répondant à une préoccupation fondamentale des Français. Ces derniers étant en effet directement concernés par l'élargissement de l'Union européenne, ils seront ainsi, à l'avenir, systématiquement consultés par référendum.

J'ai également parlé de trois volets.

L'article 1er, qui constitue le premier volet, vise à compléter la rédaction de l'article 88-1 de la Constitution. Il s'agit, en fait, d'un article « ramasse-tout », destiné à lever l'ensemble des obstacles constitutionnels à la ratification du traité qui nous occupe et permettant de soumettre cette ratification au référendum.

Le deuxième volet, qui est constitué des articles 2 et 4, ainsi que du texte proposé pour l'article 88-7 de la Constitution, a spécifiquement trait au référendum obligatoire s'agissant de l'adhésion de nouveaux Etats.

L'article 2 est également une mesure transitoire, « fongible », puisque ses dispositions seront actualisées et déplacées, en application de l'article 3 du projet, à compter de l'entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l'Europe.

Quant à l'article 4, je l'ai déjà dit, il a pour objet d'exclure de l'obligation du référendum les projets de loi autorisant la ratification des traités d'adhésion à l'Union européenne de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Croatie, et donc d'en permettre l'adoption par la voie parlementaire, dans la mesure où ces adhésions ont fait l'objet d'une procédure définie antérieurement à la signature du traité établissant une Constitution pour l'Europe.

Le troisième volet est constitué par l'article 3, qui prévoit la refonte complète du titre XV de la Constitution, de façon à permettre la mise en oeuvre du traité.

Je ne reprendrai pas tout ce qu'a dit parfaitement M. le ministre sur ce point.

L'article 88-1 est refondu, simplifié, et sa portée est généralisée.

L'article 88-2 a donné lieu à un débat important : était-il utile de le maintenir ? Comme le ministre l'a souligné, nous ne connaissons pas les implications ultérieures de la création du mandat d'arrêt européen. En l'espèce, l'avis rendu par le Conseil d'Etat nous incite à beaucoup de prudence. Par conséquent, nous maintenons l'article 88-2, du moins son dernier alinéa actuel.

L'article 88-3 porte sur le droit de vote et d'éligibilité des ressortissants de l'Union européenne aux élections municipales. Les seules modifications consistent à supprimer la réserve de réciprocité et l'adjectif « seuls », dépourvus de portée juridique.

Les articles 88-4, 88-5 et 88-6 sont capitaux : ils renforcent les compétences de notre Parlement. Nous serons dorénavant systématiquement associés à la construction européenne.

En ce qui concerne l'article 88-4, le texte émanant du Gouvernement a été réécrit après un accord entre les formations politiques de l'Assemblée nationale. Cette nouvelle rédaction me convient parfaitement. En effet, devront être soumis aux assemblées non seulement les projets ou propositions d'acte européen comportant des dispositions qui relèvent du domaine de la loi française, mais également les projets d'acte législatif européen. Le champ d'application retenu est donc plus vaste par rapport au droit en vigueur.

Nous avons tous entendu tout à l'heure l'engagement du Premier ministre... Pardonnez-moi ! Je voulais dire : l'engagement du garde des sceaux...

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. C'est la même chose ! (Sourires.)

M. Patrice Gélard, rapporteur. ... de nous soumettre en outre la quasi-totalité des documents. Pour ce faire, la circulaire en la matière sera modernisée et adaptée.

L'article 88-5 est une innovation totale puisqu'il s'agit de la reconnaissance du rôle de chacune des deux chambres en matière de contrôle du respect du principe de subsidiarité.

Cela étant, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, je me permettrai d'ouvrir une parenthèse sur l'application des articles 88-4 et 88-5.

A l'heure actuelle, plus de 300 projets ou propositions d'acte sont soumis chaque année aux assemblées en application de l'article 88-4, plus de 1000 documents leur étant, au total, communiqués. Naturellement, l'Assemblée nationale et le Sénat ont fait le nécessaire pour que cette masse considérable de documents puisse être traitée correctement.

Or, avec l'extension de la nature des documents concernés par l'article 88-4, avec le nouveau rôle reconnu aux assemblées dans l'article 88-5, nous aurons certainement à faire face à une surcharge de travail importante, qui nous obligera à revoir nos façons de travailler.

Il faudra dégager du temps et des moyens pour que les membres de la délégation pour l'Union européenne et des commissions permanentes, ainsi que les administrateurs qui sont mis à leur disposition, puissent faire face aux missions nouvelles et particulièrement importantes qui leur sont reconnues par cette révision constitutionnelle. Car il ne s'agit pas d'être, cette fois encore, le plus mauvais élève de la classe en ce qui concerne la mise en oeuvre de la législation européenne ! Cependant, ce qui était vrai auparavant ne l'est plus aujourd'hui (M. Robert Badinter manifeste son scepticisme), monsieur le garde des sceaux, puisque nous parvenons maintenant à « digérer » et à assimiler cette législation pratiquement en temps utile.

Il n'en demeure pas moins que nous allons vers quelque chose que nous ne connaissons pas. Permettez-moi de dire que, à l'avenir, nous n'hésiterons pas à mener, s'agissant de la construction européenne, une réflexion constitutionnelle d'ensemble.

En effet, les mécanismes du droit international public deviennent inadaptés au fur et à mesure de la construction européenne et sans doute faudra-t-il un jour inventer d'autres règles.

Concernant le nouveau rôle reconnu au Parlement, qui est considérable, nous devrons donc innover.

Dans un premier temps, vraisemblablement, nous devrons faire évoluer énormément nos règlements pour tout ce qui concerne l'Europe. Mais cela ne suffira peut-être pas. Sans doute serons-nous alors conduits à engager une large réflexion sur ce sujet.

Cette parenthèse étant refermée, j'en arrive à l'article 88-6, qui prévoit que l'Assemblée nationale et le Sénat réunis, et non pas séparés comme dans les articles 88-4 et 88-5, peuvent « s'opposer à une modification des règles d'adoption d'actes de l'Union européenne selon la procédure de révision simplifiée du traité établissant une Constitution pour l'Europe ».

Par ailleurs, l'article 88-5 dispose que chaque assemblée aura la possibilité de saisir la Cour de justice de l'Union européenne. Cela nous conduira également à innover, à inventer des mécanismes permettant d'assurer le suivi des recours qui seront introduits.

Quant à l'article 88-7, il reprend le dispositif de l'article 2, mais de manière pérenne, en prévoyant que « tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un Etat à l'Union européenne est soumis au référendum par le Président de la République. »

Ces dispositions ont également donné lieu, au sein de la commission des lois, à des débats importants, car elles créent en réalité une nouvelle catégorie de référendums, s'ajoutant à celles des articles 11 et 89 de la Constitution.

Au demeurant, je tiens à souligner qu'elles sont en parfaite adéquation avec l'article 3 de la Constitution, selon lequel « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Il n'est donc pas possible de critiquer un tel dispositif.

Il reste qu'il s'agit d'un mécanisme un peu nouveau puisque le Président de la République aura, dans le cadre de l'article 88-7, une compétence liée, ce qui n'est pas le cas dans les articles 11 et 89.

Pour autant, on ne peut pas dire, et M. le garde des sceaux nous a rassurés sur ce point tout à l'heure, que le Parlement ne pourra pas débattre préalablement à l'utilisation de l'article 88-7.

Tout d'abord, ne l'oublions pas, le Parlement a toujours les moyens d'exiger un débat, notamment sous la forme d'une question orale avec débat. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Patrice Gélard, rapporteur. Ensuite, M. le garde des sceaux s'est engagé tout à l'heure à ce que tous les documents demandés par le Parlement lui soient soumis. Par conséquent, en cas de procédure d'admission d'un nouvel Etat, le Parlement sera nécessairement saisi de cette question et en débattra.

Enfin, n'oublions pas non plus que, dans une campagne référendaire, comme dans une campagne électorale, chacun a son mot à dire, ...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est bien ce que nous pensons !

M. Patrice Gélard, rapporteur. ... de telle sorte que la population est parfaitement informée.

M. René-Pierre Signé. L'abstention sera importante !

M. le président. Monsieur le rapporteur, je crois que M. Signé souhaite vous interrompre...

M. René-Pierre Signé. M. le rapporteur a très bien compris mon propos !

M. Jean-Luc Mélenchon. Moi, je veux bien interrompre M. Gélard, monsieur le président !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Monsieur Signé, je vous dirai simplement que, dans une démocratie, il est en effet tout à fait dommage que le peuple souverain estime ne pas avoir intérêt à exercer ses droits et à s'exprimer par le biais d'un référendum. (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP.)

En conclusion, le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale répond totalement aux préoccupations exprimées par le Conseil constitutionnel.

Lorsqu'un texte ne pose pas de véritable problème de fond - je pense aux articles 88-1, 88-2, 88-3, 88-4 et 88-6 -, il n'y a pas de raison de le modifier. C'est la raison pour laquelle je vous proposerai, mes chers collègues, d'adopter ces articles conformes.

Je vous demanderai également d'adopter sans modification les articles 2 et 4 du projet de loi constitutionnelle, ainsi que les dispositions proposées par l'article 3 pour insérer un article 88-7. En effet, les décisions du Conseil constitutionnel ne portent pas sur ces articles, qui appartiennent à un domaine plus vaste, éminemment politique. Il s'agit en effet de l'élargissement de l'Union européenne et de la compréhension de celle-ci par nos concitoyens.

Il est sans doute dommage que, à chaque étape de la construction européenne, nous n'ayons pas toujours, par le passé, utilisé le référendum.

M. Patrice Gélard, rapporteur. On est frappé de constater à quel point nos concitoyens ne connaissent que superficiellement l'Union européenne. Or, en tant qu'hommes politiques, nous avons le devoir de les instruire en profondeur, en les motivant et en leur expliquant ce qu'est l'Union européenne, pour qu'ils la comprennent et s'associent à sa construction.

Pour atteindre un tel but, quel meilleur outil que le référendum chaque fois qu'un nouveau traité se présentera, chaque fois qu'un nouvel Etat souhaitera entrer dans l'Union ? Il s'agit d'avancer vers une Europe plus intégrée, vers une sorte de prototype, peut-être vers une esquisse de fédéralisme européen. (Applaudissements sur de nombreuses travées de l'UMP et sur les travées de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Je salue à mon tour M. le Premier ministre, qui nous fait l'honneur de participer à nos débats. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

La parole est à M. le président de la délégation pour l'Union européenne.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, il nous faut, aujourd'hui, résister à l'envie de procéder à l'analyse du traité qui va donner une Constitution à l'Europe.

Ayant été membre de la Convention pour l'avenir de l'Europe, j'aurais, bien sûr, aimé le faire. Cependant, tel n'est pas l'objet de notre débat puisque nous évoquerons le traité constitutionnel lors du débat parlementaire qui précédera le référendum.

A présent, il s'agit d'adapter notre propre Constitution afin de rendre possible l'approbation du nouveau traité.

Prenant la parole après le doyen Gélard, orfèvre en la matière, je n'aborderai pas non plus tous les aspects du projet de loi constitutionnelle. Au demeurant, il me paraît clair que ce texte règle de manière satisfaisante les problèmes qu'avait soulevés le Conseil constitutionnel, un texte que les travaux de l'Assemblée nationale ont permis d'améliorer sur quelques points.

Je centrerai donc mon propos sur un aspect à mes yeux capital du projet de révision, à savoir le nouveau rôle européen des deux assemblées.

Durant les débats qui ont préparé la rédaction du traité constitutionnel, un large accord est apparu autour d'une idée lancée, en son temps, par Jacques Delors et selon laquelle ce qui fait l'originalité de la construction européenne, c'est qu'il s'agit de construire non pas d'un Etat fédéral mais une fédération d'Etats-nations. Or une fédération d'Etats-nations est caractérisée par l'association de toutes les légitimités, y compris celle qu'incarnent les parlements nationaux.

C'est la raison pour laquelle siégeaient, au sein de la Convention, non seulement des représentants des gouvernements, de la Commission européenne et du Parlement européen, mais aussi des représentants des parlements nationaux. Je devrais dire qu'il y avait surtout des représentants des parlements nationaux puisque ceux-ci étaient majoritaires.

Par conséquent, si nous voulons, demain, faire vivre cette fédération d'Etats-nations, il est essentiel d'impliquer vraiment les parlements nationaux dans les débats européens.

Nous devons réfléchir à un paradoxe. Nos compatriotes sont, dans leur très large majorité, attachés à la construction européenne. Or le traité constitutionnel - la plupart d'entre nous en conviendront - apporte un progrès dans cette construction. En bonne logique, nous devrions donc être parfaitement confiants quant à l'issue du référendum. Cependant, nous savons tous que ce n'est pas gagné, que beaucoup d'électeurs sont sur la réserve, s'interrogent ou, pis, se désintéressent de la question.

Ce paradoxe tient notamment au fait que beaucoup de nos concitoyens ont le sentiment que l'Europe se fait loin d'eux, au-dessus d'eux, voire sans eux.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est vrai qu'elle est loin d'eux !

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Force est de constater que le Parlement européen ne suffit pas à faire le lien entre les citoyens et l'Europe. Bien au contraire, comme nous avons pu récemment nous en rendre compte, la participation diminue à chaque élection européenne, ce qui est un autre signe du même malaise.

Cette situation nous donne, à nous parlementaires nationaux, une responsabilité particulière. En effet, la construction européenne a besoin de fils conducteurs pour que le courant passe avec les citoyens. Nous devons être l'un de ces fils conducteurs !

Le contrôle de l'action européenne du Gouvernement est l'une des premières dimensions de ce rôle. Vous le savez, mes chers collègues, la construction européenne transforme les gouvernements en colégislateurs de l'Union, conjointement avec le Parlement européen. Les parlements nationaux doivent donc contrôler la manière dont les gouvernements s'acquittent de ce rôle : c'est l'un des aspects de la légitimation démocratique de l'Union.

Dans ce domaine, depuis une quinzaine d'années, nous avons progressé. En 1989 a été lancée la COSAC, la Conférence des organes spécialisés des assemblées de la Communauté, qui permet une concertation régulière entre les organes chargés des affaires européennes au sein de chaque Parlement. C'est une réelle avancée, car les parlements nationaux, s'ils restent isolés les uns des autres, ne peuvent pas bien contrôler des gouvernements qui, eux, travaillent ensemble.

En 1990, nous avons renforcé le rôle des délégations européennes de chaque assemblée, en gardant malheureusement leur dénomination bizarre, qui évoque un peu les « steppes de l'Asie centrale », qui est incompréhensible pour nos interlocuteurs étrangers.

Lors de la révision constitutionnelle de 1992, le Parlement s'est doté d'un instrument spécifique de contrôle du Gouvernement, à savoir les résolutions prévues à l'article 88-4 de la Constitution.

Cependant, ces progrès ne doivent pas dissimuler que nous restons loin du niveau de contrôle existant chez nos partenaires allemands ou anglais, pour prendre l'exemple de pays comparables au nôtre.

Ainsi, dans le système britannique, le gouvernement adresse aux deux assemblées un mémorandum explicatif dans lequel il fait une première analyse du texte et précise les grandes lignes de son approche. Les assemblées peuvent donc réagir rapidement et prendre position par rapport à l'approche du gouvernement. Ce dernier est également tenu d'adresser régulièrement des rapports aux assemblées sur les suites qu'il a données à leurs prises de position. Ainsi sont réunies les conditions d'un véritable dialogue entre parlement et gouvernement sur les sujets européens. Convenons que, dans notre pays, on en est loin !

Il serait d'ailleurs injuste d'en rejeter la faute sur le seul Gouvernement. Pour mettre en oeuvre l'article 88-4, nous avons imaginé une procédure trop compliquée, trop lente et insuffisamment réactive.

M. Michel Mercier. Très bien !

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. En effet, quand nous adoptons une résolution, il est souvent trop tard pour qu'elle puisse être prise en compte. De toute manière, nous n'avons aucun échange avec le Gouvernement sur le suivi de nos résolutions : nous ne savons pas ce qu'elles deviennent !

Avec le traité constitutionnel, avec la révision qui nous occupe aujourd'hui, c'est une nouvelle voie qui s'ouvre.

Pour la première fois - j'ose dire que c'est une petite révolution juridique -, les parlements nationaux joueront un rôle direct dans le processus de décision européen, rôle qu'ils exerceront de manière autonome, indépendamment de leur gouvernement.

En effet, les parlements nationaux seront directement saisis des projets législatifs européens. Ils pourront, dans les six semaines, adresser directement aux institutions européennes des avis motivés sur le respect du principe de subsidiarité : c'est ce que l'on appelle familièrement le « carton jaune ». Dans le même but, ils pourront, le processus législatif achevé, saisir la Cour de justice de l'Union européenne : c'est le « carton rouge ».

Les parlements nationaux auront également, de manière autonome, un droit d'objection en cas d'utilisation de la clause-passerelle qui permet de remplacer la décision à l'unanimité par le vote à la majorité qualifiée.

Ces pouvoirs nouveaux n'ont pas été faciles à obtenir. De fortes réticences se sont manifestées au sein de la Convention, du côté du Parlement européen comme de celui de certains gouvernements. Mais le pas a été franchi.

Les parlements nationaux disposeront désormais d'un instrument qui pourra faire beaucoup pour rapprocher les citoyens et l'Europe. Car l'une des raisons qui éloignent les citoyens de l'Europe, c'est que l'Europe intervient parfois dans des domaines qui ne la concernent en rien, alors qu'au contraire elle n'est pas assez active dans des domaines où elle seule peut être efficace, si bien que l'on ne comprend plus qui fait quoi, ni pourquoi on le fait.

Ce n'est pas à l'Europe de subventionner des orchestres, de surveiller les eaux de baignade ou de réglementer les cages des animaux de laboratoire, pour ne prendre que ces exemples-là. Je ne parle pas de la chasse, monsieur le président ! (Sourires.) Cela, nous pouvons très bien le faire nous-mêmes !

Il est des domaines, en revanche, où il nous faut plus d'Europe : politique internationale, défense, lutte contre la grande délinquance transfrontière, encouragement à la croissance, lutte contre le dumping social et fiscal.

Il convient donc de recentrer l'Union européenne sur ses vraies compétences. Alors, les citoyens la comprendront mieux et, du même coup, s'y retrouveront davantage. Désormais, nous allons pouvoir favoriser ce recentrage. C'est un pouvoir nouveau et, en même temps, ce sera pour nous, parlementaires, une responsabilité importante. Nous serons, dans cette affaire, complètement autonomes, et si nous ne jouons pas efficacement ce nouveau rôle, nous ne pourrons nous en prendre qu'à nous-mêmes.

C'est pourquoi la délégation pour l'Union européenne a déjà eu, à deux reprises, un débat sur la manière dont le Sénat pourrait mettre en oeuvre le « carton jaune » et le « carton rouge ».

Je voudrais rappeler les termes du problème. Nous aurons, chaque année, plusieurs centaines de textes à examiner en vertu du futur article 88-5. Pour faire le tri entre ces nombreux textes, il faudra pouvoir s'appuyer sur des critères, avoir une cohérence, une doctrine et des réflexes. C'est donc forcément un même organe qui devra examiner l'ensemble des textes. Pour procéder à cet examen, cet organe disposera d'un délai strict de six semaines et, pendant ces six semaines, il devra aussi, le cas échéant, chercher des alliés au sein des autres parlements nationaux. Car, pour que la Commission européenne soit tenue de revoir sa copie, il faudra qu'un tiers des parlements nationaux lui adresse des avis motivés.

Nous sommes parvenus à la conclusion que, pour faire face à l'ensemble de ces exigences, la seule solution réaliste et efficace, donc la meilleure, serait de confier à la délégation pour l'Union européenne la responsabilité en première instance du « carton jaune ». On verra ensuite s'il y a lieu d'aller plus loin ! Naturellement, si l'avis de la délégation était contesté, la décision définitive serait élevée de plein droit pour être prise par une autre instance : soit en séance plénière, soit par la conférence des présidents, où sont représentés tous les groupes et toutes les commissions ; toute autre formule pourrait, au demeurant, être envisagée.

Pour le « carton rouge », la décision devrait être prise dans tous les cas en séance plénière ou, en dehors des sessions, éventuellement par la conférence des présidents En tout cas, il faudra bien trouver une solution !

Ainsi, le dispositif serait à la fois efficace et légitime, ce qui permettrait au Sénat de remplir son rôle dans les délais prescrits.

Nous étant largement accordés sur cette formule, nous nous sommes interrogés : cette solution, à supposer qu'elle soit retenue par le Sénat, serait-elle jugée acceptable par le Conseil constitutionnel dès lors que les délégations pour l'Union européenne ne sont pas mentionnées dans la Constitution ? La réponse n'était pas claire. C'est pourquoi, dans un premier temps, conformément à la suggestion qu'avait faite quelques semaines plus tôt le président Christian Poncelet, j'ai proposé que les délégations reçoivent un statut constitutionnel, afin que le Sénat soit libre, en tout état de cause, de choisir le moment venu la formule qu'il jugerait la plus appropriée.

Mais cette solution, forcément controversée, était-elle vraiment nécessaire ? Reprenant pour un temps ma « casquette » d'ancien membre du Conseil d'Etat, j'ai recueilli des avis autorisés. Il en est ressorti une conclusion claire : l'article 3 du projet de loi constitutionnelle habilite le Sénat, ainsi que l'Assemblée nationale, bien sûr, à définir par son règlement les modalités de mise en oeuvre du « carton jaune » et du « carton rouge ». Dans ces conditions, rien n'empêche qu'il confie à la délégation le rôle de première instance, dès lors - et c'est le point capital - qu'il ressortira des travaux parlementaires que le Constituant n'a voulu exclure aucune formule.

Je me tourne donc, d'abord, vers le Gouvernement. Naturellement, ce n'est pas à lui de dire comment le Sénat doit s'organiser ; il n'a pas à entrer dans ce débat. Mais en tant qu'auteur du projet de loi constitutionnelle, il est co-responsable de la bonne interprétation de ce texte. Je souhaite donc, au nom de la délégation, que le Gouvernement nous confirme qu'il a voulu s'en remettre sur ce point au règlement des assemblées, sans vouloir exclure telle ou telle solution.

Et je me tourne maintenant vers la commission des lois. Il ne s'agit pas, je le répète, de définir par avance la solution qui sera retenue le moment venu. Peut-être le Sénat adoptera-t-il une solution complètement opposée à celle que j'ai proposée. Là n'est pas le problème ! Ce que nous souhaitons, c'est que le Sénat conserve le libre choix entre toutes les formules possibles, y compris celle que j'ai proposée, ce qui suppose que l'article 3 soit interprété comme n'excluant a priori aucune formule.

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. S'il est ainsi confirmé que toutes les options restent ouvertes, alors, il devient inutile, dans le cadre de cette révision constitutionnelle, de donner un statut constitutionnel aux délégations, le problème que ce changement de statut devait résoudre étant d'ores et déjà réglé.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, la construction européenne est désormais au coeur de la vie nationale et elle le sera de plus en plus. Mais notre vie politique et administrative ne s'est pas encore suffisamment adaptée à cette situation. Nous avons l'occasion et le devoir de réduire ce décalage.

Nous devrons faire vivre le futur article 88-5 et mieux faire vivre l'actuel article 88-4. Choisir des formules efficaces incitera le Gouvernement à renforcer son dispositif interministériel européen, tout en permettant un contrôle parlementaire plus approfondi. Un rôle plus actif du Parlement en matière européenne répondra au souhait des citoyens de voir leurs préoccupations mieux relayées tant auprès du Gouvernement qu'auprès de l'Union elle-même.

Le Sénat a un rôle important à jouer en matière européenne, un domaine où il se trouve placé à égalité avec l'Assemblée nationale. S'il parvient à être à la fois enraciné dans les collectivités territoriales et pleinement ouvert sur l'Europe, il pourra être un trait d'union particulièrement utile.

Nous devons envoyer un message aux citoyens : le traité constitutionnel ouvre la voie d'une Europe plus démocratique, où ils seront mieux associés, par l'intermédiaire de leurs représentants, à la vie de l'Union. À nous, mes chers collègues, aujourd'hui en approuvant la révision, demain en utilisant pleinement les possibilités offertes par le traité, de nous montrer à la hauteur de cette tâche. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 103 minutes ;

Groupe socialiste, 67 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 26 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 20 minutes ;

Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 15 minutes ;

Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 9 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M.  Bernard Seillier.

M. Bernard Seillier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, dans le débat qui nous occupe aujourd'hui, je voudrais m'intéresser surtout au rôle de notre Parlement, fondement de la République, dans la perspective d'une nouvelle construction européenne.

Il me semble souhaitable que le Parlement français puisse se saisir des projets de texte des institutions européennes. Plus il pourra intervenir en amont avec le Gouvernement, plus il pourra peser sur les décisions. Il faudrait, de ce point de vue, compléter l'article 88-4 de la Constitution pour créer un droit d'investigation, permettant au Parlement d'avoir accès à tout document émanant d'une institution européenne. Dans cette perspective, la proposition de notre collègue Hubert Haenel tendant à la création d'une commission de l'Union européenne à l'Assemblée nationale et au Sénat me semble la bienvenue.

Il apparaît toutefois nécessaire que la France, pionnière de la construction européenne, améliore ses performances en matière de délai de transposition des directives. C'était d'ailleurs l'objet de la proposition de loi déposée par le groupe du RDSE en 2001 et visant à réserver une séance mensuelle à la transposition des directives communautaires.

Toujours pour améliorer le fonctionnement de notre démocratie, le Président de la République a souhaité que l'adhésion des futurs Etats soit soumise à référendum. Cette consultation me paraît indispensable et implique, bien sûr, qu'il y ait autant de questions prévues que d'Etats candidats.

Par ailleurs, le traité constitutionnel donne aux Etats membres la liberté de se désengager de l'Union à condition que l'Etat concerné le prévoie dans ses règles constitutionnelles. Or tel n'est pas à ce jour le cas pour la France : pour le moment, notre Constitution ne le permet pas. Il me semblerait opportun d'y introduire cette mesure afin d'apaiser un certain nombre d'inquiétudes.

Se posera aussi le problème du contrôle de la subsidiarité. Comment celui-ci va-t-il s'exercer concrètement ? Si les compétences exclusives de l'Union sont assez clairement énoncées, un grand flou persiste s'agissant des compétences partagées. Plus simplement, la subsidiarité imposerait que soient mieux définies les compétences attribuées aux nations et à l'Union.

Une grande confusion règne sur cette notion de subsidiarité faute d'admettre qu'elle n'est pas principalement procédurale, mais qu'elle est indissociable de l'essence même de la démocratie. La participation des citoyens à l'organisation de leur destin implique que, pour chaque catégorie de problèmes, soit reconnue une compétence au niveau le plus proche du citoyen, dans la mesure, bien sûr, où celui-ci est en mesure de l'assumer seul. C'est l'esprit même de la décentralisation ! C'est aussi un principe d'efficacité. Il est significatif qu'une grande organisation mondiale comme l'Organisation international du travail assoie aujourd'hui leur stratégie de progrès en matière de droit du travail sur cette conception de la subsidiarité. L'Europe devra tôt ou tard s'y résoudre pour être efficace.

Celles et ceux, dont je suis, qui pensent que la réalité nationale est une assise politique, culturelle, économique et sociale incontournable, mais non exclusive, pour les citoyens d'un pays savent que l'attrait que constitue l'Union européenne pour des millions de femmes et d'hommes des nations de l'ancien bloc soviétique comporte bien cette double exigence d'affirmation de soi et de dépassement de soi. Les manifestations dans les rues de Kiev, en décembre dernier, étaient significatives à ce titre.

Comment répondre à l'appel de ces peuples qui ont souvent recouvré la liberté depuis peu de temps, sans aussitôt mépriser leur souveraineté retrouvée et transformer leurs parlements en simples chambres d'enregistrement dont les pouvoirs seraient confisqués au profit de superstructures lointaines ?

Mais cet élargissement à l'Est ne peut pas être contingenté a priori par des critères quantitatifs, nécessairement arbitraires. Après les adhésions de 2004, celles qui se dessinent avec la Croatie, la Bulgarie, la Roumanie en 2007 - et pourquoi pas, demain, l'Ukraine, des pays des Balkans ? - modifieront non seulement la configuration de l'Union, mais également la nature même du projet communautaire.

Les plus chauds partisans des institutions européennes actuelles le reconnaissent eux-mêmes : toute idée d'Europe fédérale à vingt-cinq, demain à trente, est désormais un objectif difficile à atteindre, si ce n'est sous la forme d'une vaste zone de libre-échange et de coopérations renforcées. D'où l'urgence, pour la France, de se recentrer sur la défense de ses intérêts nationaux et de se fixer des objectifs concrets servis par la constitution d'alliances.

Tel est le défi que nous avons à relever aujourd'hui !

C'est en effet au travers des coopérations renforcées que les nations et leurs parlements devraient devenir les véritables acteurs de la nouvelle construction européenne envisagée. Or ces coopérations renforcées prévues par le traité constitutionnel sont inapplicables dans les faits : les Etats doivent réunir au moins un tiers des Etats membres, huit aujourd'hui, dix dans une Europe à trente, pour constituer de telles coopérations. La Commission soumettra, selon son bon vouloir, la proposition au Conseil, qui donnera son autorisation à la majorité qualifiée, et ce après l'approbation du Parlement européen.

De telles initiatives sont condamnées par avance en raison de la complexité de la procédure.

En revanche, il est, à mes yeux, une disposition du traité plus prometteuse, bien qu'elle ne soit prévue pour l'instant que dans le domaine militaire. Il s'agit des coopérations structurées, réservées aux Etats membres remplissant des critères élevés en matière de capacités militaires. Ici, la souplesse et l'efficacité sont de mise. Une telle coopération pourra être lancée à partir du moment où deux Etats le souhaiteront. La liste des Etats participants étant arrêtée par le Conseil statuant à la majorité qualifiée, seuls ces mêmes Etats fondateurs de la coopération structurée pourront se prononcer ultérieurement sur la venue des Etats qui envisageront de les rejoindre.

Mes chers collègues, que le oui ou le non l'emporte en juin prochain, le traité de Nice ou le traité constitutionnel devra tenir compte de ces réalités. Les coopérations nouvelles devront être rendues aussi souples que les coopérations structurées et être ouvertes à d'autres domaines, notamment la politique étrangère, la protection de l'environnement, la recherche, la politique industrielle... Celles et ceux qui voudront aller de l'avant devront avoir la possibilité d'avancer ensemble, quitte à ce que les autres les rejoignent ensuite. Construisons, ainsi, un projet européen souple et novateur !

Ce type de coopérations devra être piloté par les gouvernements et les parlements nationaux des pays membres. Elles permettront ainsi aux parlements nationaux de retrouver le pouvoir qui leur revient de droit puisqu'ils sont l'émanation des peuples, et de faire en sorte qu'ils interviennent davantage dans les prises de décisions. Les parlementaires des différents parlements nationaux devront travailler ensemble dans le cadre d'une COSAC rénovée, qui pourrait devenir à terme un Sénat européen.

Notre Parlement ne doit pas devenir une simple chambre d'enregistrement, mais il lui faut au contraire retrouver sa vocation démocratique fondatrice. La loi reste un élément du bien commun de chaque peuple : lorsque, à partir de ces coopérations, un projet imposera des convergences législatives, les parlements interviendront en amont.

Le ministre allemand des affaires étrangères, M. Joschka Fischer, déclarait en 2002 : « Les Etats-nations sont des réalités indispensables, et plus la mondialisation et l'européanisation créent des superstructures éloignées du citoyen, plus les êtres humains s'accrocheront à la sécurité et à l'abri moral que leur apportent les Etats-nations. »

Pour que notre Europe n'implose pas demain comme a implosé hier le bloc soviétique sous le poids d'une bureaucratie paralysante, et pour qu'elle ne se dissolve pas non plus dans une banale zone de libre échange sans âme, il faut imaginer de véritables fonctions structurantes autour de projets politiques spécifiques. C'est la condition pour que la réalité nationale ne soit pas niée ou, au contraire, considérée comme un absolu indépassable, ce qu'elle ne saurait être. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le Gouvernement soumet à notre discussion son projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution. Notre débat, quel qu'en soit l'intérêt, n'est que secondaire par rapport à celui qui portera, lors du référendum, sur la ratification ou le refus du traité signé à Rome le 29 octobre 2004 par vingt-cinq chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne.

Ce débat principal, essentiel pour l'avenir de la construction européenne, les socialistes l'ont tranché, en ce qui les concerne, dans une consultation interne. Cet exercice démocratique exigeant a permis à tous les socialistes, dans le respect des convictions de chacun, de déterminer la position que le parti socialiste adopterait vis-à-vis du traité établissant une Constitution pour l'Europe.

En cohérence avec ce vote favorable au traité, les sénateurs socialistes, dans leur majorité, répondront oui lors du prochain référendum. Par voie de conséquence, ils voteront dans les mêmes conditions en faveur de la révision constitutionnelle puisque son adoption constitue la condition préalable à la ratification.

Pour autant, monsieur le ministre, votre projet de révision n'est pas pleinement satisfaisant. Certes, vous levez les obstacles d'inconstitutionnalité relevés par la décision de novembre 2004 du Conseil constitutionnel, mais vous ne limitez pas votre projet de révision à ce seul objet. Aux articles 1er et 3, qui permettent de mettre la Constitution en conformité avec cette décision, vous avez ajouté les articles 2 et 4, qui n'étaient en aucune façon exigés par le Conseil constitutionnel.

Le groupe socialiste demandera la suppression de ces articles qui, loin de clarifier le problème des frontières de l'Union, comme certains ont osé le dire, ne font qu'apporter la confusion, en mêlant au débat sur le traité constitutionnel celui qui porte sur l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne. Ces articles 2 et 4 abritent des dispositions de circonstance que le Gouvernement propose, par commodité, pour tenter d'aplanir les différends au sein de l'UMP. La vocation de la loi suprême n'est pas de régler ce type de problèmes !

Si la volonté du Gouvernement est bien la ratification du traité, il est indispensable qu'aucun autre sujet ne vienne polluer le débat. Ne pas respecter cette exigence essentielle de clarté fait encourir un risque inutile à la ratification.

De plus, l'adoption de l'article 2 aura pour conséquence de déposséder les futurs présidents de la République de leur liberté d'initiative référendaire et de priver le Parlement de ses prérogatives en matière de ratification des traités. En quoi ces deux dispositions constituent-elles des progrès pour notre système institutionnel et en quoi sont-elles susceptibles d'assurer le succès du oui au référendum ?

Il est regrettable que, pour un enjeu aussi important que celui de la révision de la Constitution, le Gouvernement ait préféré ses intérêts partisans à l'intérêt général.

Les socialistes approuvent le traité constitutionnel parce qu'il marque un progrès réel par rapport à la situation institutionnelle actuelle de l'Union européenne. Cette approbation se conjugue avec une réaffirmation de leur opposition à la politique du Gouvernement, dont les Français peuvent mesurer, à chaque initiative nouvelle, le caractère néfaste.

Notre oui est un oui de gauche, qui s'inscrit dans la tradition des socialistes français et européens, artisans depuis l'origine de la construction européenne.

Résultat d'un compromis, comme tous les textes de cette nature, ce traité n'est pas parfait. Il reste en deçà de nos espérances, mais il ne comporte aucun recul. Au contraire, dans de nombreux domaines, il marque des avancées, si l'on a la rigueur intellectuelle de l'analyser comme il est et de refuser la vision caricaturale qui en est souvent présentée.

Que ce traité rencontre, au demeurant, l'hostilité des souverainistes n'a rien d'étonnant. Hostiles à la construction européenne, ces derniers restent en cela logiques avec eux-mêmes et fidèles à un raisonnement toujours hexagonal, parfois nationaliste.

Quand la réponse possible à la question posée se limite à « oui » ou « non », la nuance est par définition interdite. Il importe d'aller à l'essentiel, et surtout de ne pas choisir sa réponse en fonction d'éventuels compagnons de route dont on préférerait se dispenser. Ce référendum dépassera, chez les tenants du oui comme chez ceux du non, les clivages politiques traditionnels qui divisent nos assemblées. Je respecte les convictions de chacun ; je ne m'interrogerai donc pas sur le fait de savoir s'il est préférable, pour un homme de gauche, de voter oui avec M. Giscard d'Estaing ou de voter non avec MM.  Le Pen et de Villiers, s'il est préférable de voter oui avec les socialistes espagnols ou de voter non avec les conservateurs britanniques.

Le traité constitutionnel n'est qu'un cadre. Il ne détermine pas le contenu d'une politique. Il ne définit que le mode d'organisation au sein duquel pourront s'exprimer des orientations politiques différentes, correspondant aux choix affirmés par le peuple souverain lors des élections.

La composition politique du Parlement européen et celle du Conseil européen ne résultent pas d'un traité, fût-il constitutionnel. C'était vrai hier, cela le sera encore demain. La politique menée par l'Union européenne dépendra toujours de l'orientation politique majoritaire au Conseil et au Parlement européen, tout comme la politique menée en France dépend non pas de la Constitution, mais du résultat de nos consultations électorales.

L'Union européenne est le fruit d'un processus de construction, elle a une histoire qui lui permet aujourd'hui d'être un espace de paix après avoir été, des siècles durant, le lieu d'affrontements sanglants. Cette construction qui nous a conduit de l'Europe des six à l'Europe des vingt-cinq, du Marché commun et de l'union douanière au marché intérieur et à la monnaie unique ne s'achèvera pas avec ce traité. Celui-ci n'est qu'une étape supplémentaire et en aucune façon un aboutissement qui serait un carcan.

Il est d'ailleurs curieux que, le plus souvent, les critiques portent sur des articles de la troisième partie du traité. Or certains de ceux-ci ne font que reprendre des articles figurant dans le traité constitutif de la Communauté économique européenne. Acceptés pendant des dizaines d'années, pourquoi deviendraient-ils, à l'occasion d'une consultation référendaire, des menaces pour les citoyens européens ?

Le traité qui sera soumis au référendum ne comporte en lui-même aucune sacralisation d'une politique européenne de droite. Il n'est pas sérieux de le charger a priori de tous les maux, de le rendre responsable des insuffisances de l'Union européenne alors qu'il contient un certain nombre de dispositions qui permettent de construire une Europe plus sociale, une Europe plus démocratique.

M. Serge Vinçon. Très bien !

M. Bernard Frimat. Nous aurons l'occasion de nous exprimer plus complètement sur ces perspectives lors de la campagne référendaire ; je me contenterai donc ici d'une évocation très rapide.

Ce traité est le premier traité européen à donner une existence juridique autonome aux services publics, alors que ceux-ci ne sont définis dans les textes actuels que comme une exception aux règles de la concurrence. C'est un incontestable progrès.

Ce traité donne force juridique à la Charte européenne des droits fondamentaux.

De plus, il introduit, parmi les objectifs de l'Union plusieurs éléments nouveaux, notamment : l'économie sociale de marché ; la lutte contre l'exclusion sociale et les discriminations ; l'égalité entre les hommes et les femmes ; la solidarité entre les générations ; la protection des droits de l'enfant ; la cohésion territoriale ; le respect de la diversité culturelle et linguistique ; le développement durable de la planète ; le commerce libre et équitable ; l'élimination de la pauvreté ; la protection des droits de l'homme. Les socialistes se reconnaissent dans de tels objectifs.

Ce traité comporte aussi des progrès dans l'organisation des institutions de l'Union, pour un fonctionnement plus démocratique : par exemple, l'extension des pouvoirs du Parlement européen, le développement de la codécision.

Dans le même temps, il accorde aux parlements nationaux des pouvoirs de contrôle du principe de subsidiarité. Le citoyen européen participera ainsi, par l'intermédiaire de ses représentants dans les parlements nationaux, au contrôle des lois européennes. A cette disposition vient s'ajouter la reconnaissance d'un droit de pétition, amorce d'une démocratie participative.

M. Robert Bret. Ce n'est vraiment qu'une amorce !

M. Bernard Frimat. Au demeurant, si le traité est un outil nécessaire pour relancer la dynamique d'une Europe élargie, il n'est en lui-même pas suffisant pour atteindre cet objectif. Il doit impérativement s'accompagner d'une volonté d'agir.

A ce propos, je veux redire à cette tribune ce que j'ai affirmé lors du débat budgétaire. Vouloir maintenir le budget de l'Union à 1 % du PIB, comme le proclame le Gouvernement, est incompatible avec le maintien d'une politique ambitieuse de cohésion sociale et territoriale.

M. Jean-Louis Carrère. C'est juste !

M. Bernard Frimat. Il y a une nouvelle fois contradiction entre le discours et la pratique. (MM. Simon Sutour et Jean-Louis Carrère applaudissent.)

Pour conclure, je rappelle la nécessité de dissocier la question référendaire des choix de politique interne du Gouvernement. Il serait dommageable que l'impopularité du Gouvernement, consécutive à une politique que les Français rejettent, ...

M. Bernard Frimat. ... contribue à mettre l'Europe en panne et paralyse les avancées actées dans le traité constitutionnel.

Il reviendra à chaque formation politique de convaincre les électeurs qui lui font confiance. Les socialistes, fidèles à leur identité, s'engageront vigoureusement dans ce combat pour l'avenir, afin de permettre l'adoption du traité établissant une Constitution pour l'Europe. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste, ainsi que sur quelques travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, depuis une bonne quinzaine d'années, on ne cesse de consentir des abandons de souveraineté de plus en plus importants, au point d'atteindre, avec ce traité, le coeur des compétences régaliennes de l'Etat.

Il est possible de discuter très longuement de la question du principe même de ces abandons de souveraineté ; je reviendrai sur ce point en défendant l'exception d'irrecevabilité. Mais, en fin de compte, et nous devrions tous pouvoir en convenir, mes chers collègues, le juge de paix, ce sont les faits, ce sont les résultats obtenus.

En d'autres termes, la question est de savoir si les transferts de compétences consentis par le peuple français lui ont procuré quelque avantage ou bénéfice. C'est à cette aune, et à cette aune seulement, que l'on doit juger la construction européenne, selon ce que certains appellent, je crois, la « culture du résultat ».

Qu'en est-il vraiment ?

Sur le plan international, l'Union pèse-t-elle aujourd'hui dans le monde plus que les nations européennes prises séparément ?

Sur le plan politique, l'intégration de plus en plus forte des peuples européens a-t-elle augmenté la vigueur de la démocratie ? Certainement pas, comme l'ont montré les dernières élections européennes. C'est d'ailleurs ce déficit démocratique que les citoyens ont sanctionné ; au demeurant, c'est dans les pays de l'Europe de l'Est, qui ont trop longtemps goûté à la souveraineté limitée, que cette sanction a été la plus forte !

Plaçons-nous maintenant sur le terrain économique, qui est le champ de compétence de prédilection, le champ historique de la construction européenne. C'est dans ce domaine que l'intégration est le plus aboutie, avec l'avènement de la monnaie unique, l'euro.

Les efforts consentis par les Français dans les années quatre-vingt dix, avec l'arrimage du franc au deutsche mark, et plus récemment avec le pacte de stabilité, ont-ils eu pour effet d'augmenter la prospérité économique de l'Euroland ? La réponse est non, clairement non !

Le taux de croissance effectif de l'Euroland a toujours été inférieur à son taux de croissance potentiel, mais aussi au taux de croissance réalisé par nos partenaires européens qui ne participent par à l'Euroland. En outre, au cours des trois dernières années, il été de 7 points inférieur aux résultats obtenus par l'économie américaine.

Quant au pouvoir d'achat d'un Européen de la zone euro, il représentait 80 % de celui d'un Américain en 1990 et il n'en représente plus aujourd'hui que 60 %.

Pour ce qui est du chômage, je n'aurai pas la cruauté de vous rappeler les chiffres, tant ils sont mauvais, contrairement à toutes les promesses faites lors du traité de Maastricht, qui devait être, souvenez-vous, la corne d'abondance !

Ces piètres résultats économiques sont la conséquence de trois erreurs.

La première aura été de négliger ce que les économistes appellent l'existence d'asymétries structurelles entre les pays de l'Euroland.

La deuxième réside dans le pacte de stabilité, qui impose un déficit maximum en bas de cycle, et en vertu duquel les investissements publics productifs ne peuvent être déduites de l'indicateur du déficit.

La troisième erreur, enfin, concerne la Banque centrale européenne, la BCE, dont l'objectif, à savoir la stabilité des prix, ne peut qu'être qualifié de mauvais dans la mesure où il nous a enfermés dans une spirale déflationniste.

Toujours au sujet de la BCE, celle-ci n'a rien fait depuis l'appréciation de 60 % de l'euro en quatre ans. Mais il y a pis ! Savez-vous, mes chers collègues, qu'entre 2002 et la fin de 2004 la BCE a réduit de 40 milliards de dollars ses réserves de change en devises étrangères ? Si elle avait voulu un tant soit peu freiner l'appréciation de l'euro et les délocalisations, elle aurait précisément fait l'inverse !

Avec la Constitution pour l'Europe, y aura-t-il une seule raison pour que cela change ? Malheureusement, je ne le crois pas.

Le pacte de stabilité ne dépend pas de ce texte, même s'il est indéniablement lié à notre système monétaire. Le président en exercice de l'Union, M. Jean-Claude Junker a opposé - vous ne pouvez l'ignorer, monsieur le Premier ministre -, le 18 janvier dernier, une fin de non-recevoir à l'exclusion des blocs de dépenses publiques !

Quant à l'objectif de stabilité des prix, il va désormais être constitutionnalisé par l'article I-30. En outre, l'article III-177 indique que les politiques économiques et monétaires doivent respecter quatre principes au premier rang desquels figure, bien sûr, la stabilité des prix.

Aucun mot sur l'emploi. Comme si, aujourd'hui, la plus grande menace était encore l'inflation et non le chômage !

Que pèsent, face à cela, les quelques déclarations lénifiantes sur l'emploi ou la politique sociale ?

En réalité, tout se tient. J'aborderai tout à l'heure, en présentant la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, la méfiance des eurocrates à l'égard des démocraties nationales et de leurs Etats. Le traité, tel qu'il a été rédigé, représente l'exaltation de l'inclination libérale au détriment de l'exigence démocratique à laquelle aurait pu, aurait dû répondre une autre construction européenne, plus intergouvernementale et plus souple.

C'est ainsi que triomphe aujourd'hui l'idée, somme toute très anglo-saxonne, d'une société civile mondiale dans laquelle n'ont aucune difficulté à se rejoindre les tenants d'un libéralisme excessif et ceux d'un socialisme originel. Ces deux courants partagent historiquement la même méfiance vis-à-vis de l'Etat. Ils considèrent tous deux qu'entre l'individu et le monde il n'y a rien, sinon de vagues organisations qui doivent permettre la cohabitation des identités, la suppression de tout cordon protecteur, de toute préférence communautaire et de toute restriction aux échanges, comme le précise l'article III-314 du traité. Bref, ce « logiciel » est celui de la mondialisation.

En outre, cette dérive va malheureusement, me semble-t-il, être accentuée par le nouvel équilibre des pouvoirs.

C'est ainsi que le traité va considérablement renforcer la Commission, qui est la seule dépositaire, dans le traité, du Graal, c'est-à-dire de « l'intérêt européen » au sens de l'article I-26. Or quelle est la philosophie de la Commission ? Elle consiste en une conception débridée du libre échange, dans laquelle on peut importer sans complexe le dumping fiscal, social ou environnemental.

Deux exemples récents sont éclatants, à cet égard.

D'abord, la semaine dernière, c'est Mme Danuta Hübner, commissaire chargée de la politique régionale, qui déclarait vouloir « faciliter les délocalisations en Europe. »

Ensuite et surtout, c'est la directive Bolkestein, qui invente une nouvelle notion, le dumping juridique, en faisant entrer dans le marché concurrentiel les réglementations nationales avec son principe du pays d'origine. Il s'agit là non seulement d'un nouvel appel à la délocalisation, mais aussi d'un facteur d'insécurité juridique qui ne peut en aucun cas créer un climat propice au développement économique.

Cette directive n'est pas, selon moi, un nouvel accident. Le but est toujours le même : la déconstruction des protections nationales et la négation de la notion de territorialité du droit. Son programme génétique est le même que celui de la Constitution : une intégration toujours plus poussée d'un « véritable marché intérieur des services ».

Certes, il est possible, pour des raisons d'opportunité politique, de la mettre sous le boisseau, mais, tôt ou tard, elle réapparaîtra, sans doute après le référendum, tant il est vrai que l'objectif économique est indissociable des objectifs idéologique et juridique.

Comment ne pas évoquer la question de l'adhésion de la Turquie, comme nous y invite explicitement l'article 2 de ce projet de loi constitutionnelle ?

Michel Rocard a eu cette phrase merveilleuse, que je livre à votre appréciation : « Nos opinions publiques renâclent visiblement à la perspective de l'adhésion turque parce qu'elles manquent d'outils intellectuels pour en saisir la nécessité. »

Effectivement, les Français sont, dans leur immense majorité, hostiles à l'adhésion de la Turquie et prennent progressivement conscience que Turquie et Constitution sont deux sujets étroitement liés.

Jean-Louis Bourlanges, comme souvent, a su trouver les mots qui illustrent parfaitement cette liaison à travers sa parabole du contrat de mariage et du choix des époux. Tout est dit : les liens, en fait, entre ces deux sujets sont multiples et je m'en tiendrai aux deux principaux.

Tout d'abord, la Constitution, c'est-à-dire l'approfondissement, constitue la réponse au processus d'élargissement. Cette dialectique - approfondissement, d'un côté, élargissement, de l'autre - a toujours été l'alpha et l'oméga de la Commission.

Dans le cas de la Turquie, le traité a largement anticipé cette adhésion. C'est ainsi qu'on a soigneusement écarté toute référence aux racines judéo-chrétiennes de l'Europe. Quant à la Charte, elle a également prévu une définition très élastique du principe de laïcité. D'ailleurs, la Turquie a été associée à la fois, en amont, aux travaux préparatoires de la convention et, en aval, à la signature à Rome, le 29 octobre 2004, de l'acte final.

L'autre lien concerne la prime de pouvoir formidable que la Constitution accorderont au pays le plus peuplé. L'article de Frédéric Bobay dans le mensuel Economie et prévision, mensuel sérieux, publié par le ministère des finances, est, à ce sujet, très éclairant. Il démontre que la nouvelle règle de vote permettrait à la Turquie de bloquer 75,6 % des décisions du Conseil, contre 55,7 % pour la France. Ainsi, le pays le moins européen deviendrait le pivot de la plupart des décisions européennes, qui couvriront des compétences de plus en plus larges, comme le prévoit la Constitution.

La Turquie deviendra donc de facto le décideur de premier rang en même temps que le premier demandeur de fonds publics européens, pour un montant prévu de 30 milliards d'euros au minimum. Il faut voir là une autre incohérence, un autre problème de compatibilité avec l'objectif du 1 % du budget européen. Mais on comprend mieux la motivation de M. Erdogan !

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Retailleau.

M. Bruno Retailleau. L'affaire turque est révélatrice. En effet, tout se passe comme si le modèle supranational institué par le traité cherchait à dépasser la frontière de l'identité européenne.

Et l'on voudrait maintenant nous faire croire que, pour la Turquie, rien n'est joué, que tout se décidera dans dix ans ! C'est faux ! Dans dix ans, il sera trop tard ! En fait, on cherche simplement à rendre le processus d'adhésion irréversible. Or il est absurde de dissocier l'enjeu des limites de l'Europe, de ses frontières, et l'enjeu de son projet politique. Cela, mes chers collègues, est tout simplement impossible ! (MM. Philippe Darniche et Jacques Baudot applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Josselin de Rohan.

M. Josselin de Rohan. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, longtemps, les institutions de l'Union européenne ont fait l'objet d'un procès en carence démocratique. On a dénoncé, à plus ou moins juste titre et avec plus ou moins de vigueur, la construction technocratique de l'Europe, le poids excessif d'une bureaucratie omnipotente et incontrôlée, aussi peu soucieuse de l'opinion publique qu'éloignée des préoccupations des citoyens.

Un Parlement européen qui a pu paraître déconnecté des réalités quotidiennes, un Conseil des ministres prenant des décisions à valeur législative sans aucun contrôle d'une assemblée, une Cour de justice consacrant des extensions de compétences à travers ses arrêts ont ajouté à la confusion ou à l'incompréhension qui entourent les institutions européennes.

Quant aux parlements nationaux, ils se sont bien souvent sentis écartés de la construction européenne, dépossédés de leur pouvoir de contrôle sur l'exécutif ou le processus législatif, réduits à un rôle de transposition de textes sur lesquels ils n'avaient aucune prise.

Le traité établissant une nouvelle constitution pour l'Europe remédie profondément à cette situation.

Les travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe, qui se sont déroulés en 2002 et 2003 et auxquels nos collègues Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour les affaires européennes, et Robert Badinter ont pris une part très active, ont permis d'inscrire dans le traité des avancées démocratiques remarquables.

Le pouvoir de codécision du Parlement européen dans la législation européenne est étendu à quelque trente-quatre nouveaux domaines d'action, notamment en matière de marché intérieur et de justice et affaires intérieures. La part des textes à l'adoption desquels il est associé passe de 75 % à 95 % de l'ensemble des décisions de nature législative.

Le Parlement obtient une égalité de droit avec le Conseil pour l'adoption de l'ensemble du budget européen et le droit d'approbation sur le cadre financier de la programmation pluriannuelle des finances européennes. Enfin, et surtout, il élit le président de la Commission européenne.

Toutefois, il convient essentiellement de noter que, en vertu du principe d'attribution, l'Union européenne ne peut intervenir que dans la limite de ses compétences et pour autant que celles-ci lui aient été attribuées. Or le fait que l'Union ne dispose pas de la compétence de ses compétences montre bien qu'elle est non pas un état fédéral mais une union d'Etats souverains.

Les deux principes de subsidiarité et de proportionnalité reconnus par le traité relèvent de cette constatation. Ils laissent aux parlements des Etats membres une large marge d'autonomie, car le domaine des compétences partagées ou des compétences d'appui ou de coordination et de complément demeure très large.

Le respect de ces dispositifs est contrôlé par la Cour de justice.

La réforme de notre Constitution a pour objet de rendre nos institutions et nos procédures compatibles avec le traité.

Les remarquables exégèses de ce traité auxquelles se sont livrés le président de la délégation européenne et le rapporteur du projet de loi me conduisent à ne présenter d'observations que sur le renforcement du rôle du Parlement, défini par les articles 88-4, 88-5 et 88-6, ainsi que sur l'article 88-7, relatif au référendum autorisant l'adhésion d'un nouvel Etat à l'Union européenne.

L'article 88-4 a trait au contrôle a priori exercé par le Parlement sur « les projets d'actes législatifs européens ainsi que sur les autres projets ou propositions d'actes de l'Union européenne comportant des dispositions qui sont du domaine de la loi ».

Cette rédaction, que M. le rapporteur a qualifiée de « sage et cohérente », a le mérite de la logique. Certes, elle peut contrevenir à la distinction établie par notre Constitution entre la loi et le règlement, mais il faut convenir que l'exécutif enfreint très régulièrement la limite instituée par la Constitution de 1958 en présentant des projets de loi comportant de nombreuses dispositions qui ressortissent au domaine réglementaire.

Mais il serait surtout difficilement compréhensible d'avoir deux régimes de contrôle différents pour une même catégorie d'actes juridiques. Ce que le Parlement veut apprécier, approuver ou empêcher, c'est bien une loi, appelée à s'appliquer de manière uniforme sur le territoire de l'Union. Les critères du traité définissant la loi doivent donc prévaloir, en l'occurrence, sur les critères qui figurent dans notre Constitution et fixent le domaine de la loi. L'amendement adopté par l'Assemblée nationale sur l'initiative de MM. Floch et Lequiller nous a semblé, dès lors, très opportun.

En revanche, en soumettant à l'appréciation du Gouvernement la transmission des « autres projets - non législatifs -, ainsi que toutes propositions d'actes ou tout document émanant d'une institution européenne », nous ferons surtout preuve de bon sens.

Comme l'a fait remarquer notre collègue Hubert Haenel, le Gouvernement transmet d'ores et déjà aux assemblées parlementaires l'ensemble des documents des Communautés européennes et de l'Union européenne, soit environ un millier de documents chaque année. Malgré la faculté qui leur a été offerte, l'Assemblée nationale et le Sénat, en onze ans, n'ont voté respectivement que cent quarante et une et quatre-vingt-seize résolutions.

En outre, M. le garde des Sceaux nous a indiqué que le Premier ministre s'apprêtait à modifier la circulaire d'application de l'article 88-4 de la Constitution pour préciser qu'il serait « donné suite dans toute la mesure possible aux demandes de communication d'actes qui seraient exprimées par les présidents de chacune des assemblées ou les présidents de leurs commissions permanentes. »

Les assemblées ont bien du mal à gérer le stock actuel de documents. Que feront-elles si on leur demande d'en examiner le double ?

Cependant, il est absolument nécessaire de borner l'espace permettant l'adoption de résolutions par les assemblées afin de garantir les prérogatives réservées par l'article 52 de la Constitution au Président de la République et par l'article 20 au Gouvernement.

L'exécutif, dans la préparation ou l'élaboration de certaines décisions complexes et délicates du Conseil européen, doit bénéficier de la marge d'action et de la liberté de manoeuvre indispensables pour procéder, le cas échéant, aux concessions ou aux compromis nécessaires.

Les motions votées par les assemblées ne sauraient constituer pour le Gouvernement ni des instruments de harcèlement ni des injonctions. C'est pourquoi, comme de l'alcool, on doit en user avec modération. (Sourires.)

De quelle autorité pourrait disposer un ministre engagé dans une discussion difficile si une motion très contraignante, dans sa rédaction comme dans ses attendus, lui assignait une obligation de moyens ou de résultats ou faisait peser sur lui le risque d'un grave désaveu ? Il faut proscrire le mélange des genres : il n'y a d'ailleurs, mes chers collègues, jamais eu de diplomatie parlementaire, car, comme le disait Sieyès, « délibérer est le fait de plusieurs, mais agir est le fait d'un seul. »

Parce que nous ne souhaitons pas que la réforme constitutionnelle modifie l'équilibre entre l'exécutif et le législatif, nous entendons que les motions demeurent des avis ou des voeux strictement motivés et restreints au seul domaine législatif, au sens européen du terme.

Sans préjuger la décision de la Haute Assemblée, il nous semble que la délégation pour les affaires européennes est particulièrement qualifiée pour remplir une tâche de régulation et de synthèse lors de l'examen des textes émanant de l'Union européenne. Comprenant des représentants de toutes les commissions permanentes, elle peut agir en étroite liaison avec celles-ci pour l'instruction et la rédaction des recours éventuels.

Sans une étroite collaboration entre la délégation et les commissions permanentes et sans une répartition nette des tâches entre celle-ci et celles-là, il serait malaisé de mettre en oeuvre un contrôle efficace et rapide des projets législatifs européens. Faisons confiance à la sagesse du Sénat pour rechercher le dispositif le mieux adapté.

Le rapporteur, M. Patrice Gélard, a indiqué, s'agissant de l'article 88-6, que la mise en oeuvre des procédures de révision simplifiée - les « clause-passerelles » - pourrait mettre en cause les conditions essentielles de la souveraineté nationale et donc conduire à une révision implicite de notre Constitution.

C'est au Parlement tout entier et non à une seule assemblée qu'incombe la responsabilité éventuelle de s'opposer à une telle révision.

L'idée baroque selon laquelle l'Assemblée nationale disposerait d'une prééminence dans ce domaine a été justement repoussée car, en matière constitutionnelle, les deux assemblées disposent d'un pouvoir identique.

M. le président. Très bien !

M. Josselin de Rohan. Au demeurant, la décision du Parlement est lourde de conséquences puisque la seule opposition d'un parlement national suffit à faire échec à la mise en oeuvre de la clause-passerelle. Il s'agit donc d'une procédure solennelle, qui nécessite, dans un souci de parallélisme des formes, un vote identique des deux assemblées.

Les articles 2 et 4 du projet de loi constitutionnelle disposent que tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un Etat à l'Union européenne est soumis au référendum par le président de la République.

En pratique, cela signifie que l'adhésion de tout nouvel Etat candidat postérieurement au 1er juillet 2004 sera soumise au référendum. En l'occurrence, le Président de la République aura compétence liée et, à la différence de ce qu'exige la procédure référendaire prévue à l'article 11 de la Constitution, aucun débat parlementaire ne précède la mise en oeuvre du référendum parce qu'aucune alternative n'est possible.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Et voilà !

M. Josselin de Rohan. Certains ont voulu voir dans cette situation une grave atteinte aux choix du Parlement, qui serait totalement écarté du processus d'adhésion.

Il me semble qu'il s'agit d'un faux problème. Si l'on s'en tient au seul exemple de la Turquie, la conférence intergouvernementale de décembre 2004 a prévu un dispositif particulièrement long et complexe de négociation, qui s'étendra sur plusieurs années et qui sera conclu par un référendum.

Quelle procédure plus démocratique peut-on imaginer ?

Le Parlement peut à tout moment s'informer, par la voie de questions ou de débats, sur la négociation en cours. Mieux, il peut mettre en jeu la responsabilité du Gouvernement s'il estime que les pourparlers ne sont pas conduits de manière suffisamment diligente ou conforme aux intérêts du pays. Nul n'imagine, s'agissant de la Turquie, que son adhésion puisse s'effectuer à la sauvette, sans que la représentation nationale ait été consultée ou éclairée sur cette question.

Mes chers collègues, la révision constitutionnelle à laquelle nous procédons est la cinquième concernant les affaires européennes. Elle témoigne de l'importance et de l'ampleur prises par l'élargissement et le renforcement de l'Union européenne.

Le texte qui nous est soumis, a, en première lecture à l'Assemblée nationale, fait l'objet de compromis sur des points importants, ainsi que d'un vote largement favorable de la part de nos collègues députés.

En votant le projet conforme, ainsi que nous le demande notre rapporteur, nous n'abdiquerons en rien nos prérogatives, mais nous manifesterons notre pleine adhésion à une démarche qui conforte notre volonté de voir la France jouer un rôle majeur dans l'Europe en construction.

Le plus important reste à faire : obtenir que le peuple français vote la Constitution pour l'Europe. Nous nous y emploierons de toutes nos forces.

Dans l'immédiat, le groupe UMP votera sans restriction, réserve ni états d'âme le projet de loi constitutionnelle modifiant le Titre XV de la Constitution. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, la discussion que nous avons aujourd'hui présente l'immense mérite de marquer le retour de l'Europe non en tant que notion sans limite, un peu « dévertébrée », mais au contraire en tant qu'élément structurant de notre modèle de civilisation.

Bien sûr, ce modèle de civilisation est complexe. Ce n'est pas seulement la paix, la prospérité et les droits de l'homme. C'est aussi est bien autre chose. C'est un modèle politique, social et culturel, que nous avons construit au fil des siècles, fondé sur une philosophie qui place l'homme au centre de tout et où, très naturellement, l'économique est soumis à la fois au politique et au social. C'est ce modèle de civilisation que nous entendons défendre et que nous souhaitons promouvoir. C'est pour cette raison que nous voulons une Europe forte et organisée.

En effet, le traité établissant une Constitution pour l'Europe met en place non seulement des institutions, mais encore une Union européenne plus cohérente, plus visible, fonctionnant de façon plus claire, plus démocratique, dans laquelle tant le Parlement européen que les parlements nationaux retrouvent toute leur place et toute leur importance.

Pour le groupe UC-UDF, le traité constitutionnel est un acte important, fondamental, et nous souhaitons que sa ratification par référendum soit un succès. Nous voulons que ce traité devienne une réalité. C'est forts de cette volonté et de cette certitude que nous entamons l'examen du projet de révision constitutionnelle, avec un désir de liberté dans le débat et un désir de responsabilité dans le résultat.

Le traité établissant une Constitution pour l'Europe n'est pas un texte banal. Il apporte un certain nombre de progrès, dont je voudrais dire quelques mots avant d'aborder la révision constitutionnelle en elle-même.

Comme tout texte important, ce traité relève du symbole comme il relève du droit. Le symbole n'est pas à négliger. Je sais bien que les mots ne créent pas les règles de droit, mais les mots créent un mouvement vers les règles de droit. Il n'est pas du tout indifférent que l'on ait pu parler à la fois de Constitution et d'Europe ; pour notre part, nous y sommes extrêmement sensibles.

Pour ce qui est des règles de droit, je voudrais simplement insister sur quelques points qui me paraissent fondamentaux.

Tout d'abord, quoiqu'il existe un certain nombre de limites et d'interprétations, pour la première fois, la primauté du droit de l'Union est affirmée dans un texte européen. Il est essentiel que le droit de l'Union s'applique immédiatement et uniformément sur l'ensemble du territoire communautaire. C'est un progrès d'une nature dont on ne peut encore aujourd'hui entrevoir toutes les conséquences, d'autant que le traité constitutionnel dispose que c'est à travers la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes qu'il faut interpréter cette notion.

L'inclusion de la Charte des droits fondamentaux dans la Constitution constitue également un acte très important sur le plan juridique. C'est une chose de proclamer des droits - c'est ce qui a été fait à Nice -, c'en est une autre de les inclure dans un texte de portée normative.

On peut discuter à l'infini sur la question de savoir si l'Union européenne peut entrer dans des catégories juridiques classiques. En fait, je crois que ces dernières ne sont pas adaptées à l'originalité de la construction de l'Union européenne. En revanche, on peut dire que la Constitution prévoit des procédures, des règles qui, sur le mode communautaire, sont considérablement renforcées et vont donc changer complètement les façons de faire, les habitudes des acteurs institutionnels de l'Union européenne.

Désormais, s'agissant des textes législatifs européens, lois ou lois-cadres, deux législateurs sont à égalité de pouvoirs : le Conseil des ministres et le Parlement. C'est la procédure de droit commun, ce que l'on appelait autrefois la codécision. Désormais, il faudra un accord entre ces deux législateurs européens. Au sein du Conseil des ministres lui-même, c'est la règle de la codécision qui deviendra fondamentale, habituelle, de droit commun.

Cela va forcément amener les vingt-cinq Etats à avoir une attitude nouvelle. En effet, au sein du Conseil des ministres, ils devront être capables, de construire des politiques européennes à long terme, d'avoir des alliés, de constituer une coalition. S'agissant d'un organe collégial et législatif, il faudra constituer, au sein de ce Conseil, une majorité comme il en existe dans toute assemblée législative.

Cette notion même de coalition, de majorité, est un élément profondément novateur qui doit nous amener, en droit interne, à de nouveaux types de relations entre le Parlement et le Gouvernement.

Désormais, les Etats membres n'auront plus, seuls, le droit d'initiative. Ils devront trouver des alliés pour proposer des textes de nature législative. Il n'y aura plus de droit de veto automatique ; il y aura une majorité qualifiée.

Tout cela constitue l'apport de la Constitution européenne, et c'est, je crois, ce qui va considérablement changer les méthodes de fonctionnement de l'Union européenne. De ce point de vue, en tant que membres de l'UDF, nous sommes fiers du travail accompli par la convention, par la conférence intergouvernementale, et donc du traité lui-même, car, comme l'ont souligné les orateurs précédents, en plus des modifications de fond qui mettent le Conseil des ministres - organe législatif - à égalité avec le Parlement, des relations nouvelles sont créées au sein de l'Union - c'est l'autre grande nouveauté - entre les parlements des Etats membres et le Parlement européen lui-même.

Je ne reviendrai pas sur l'article 88-4, mon collègue Pierre Fauchon en parlera mieux que je ne pourrais le faire, ni sur le problème de la subsidiarité, dont mon collègue Denis Badré traitera au nom de notre groupe.

Je voudrais m'attarder, en revanche, sur un rôle nouveau des parlements nationaux dans les procédures de révision simplifiée des traités et évoquer les « clauses passerelles ».

Les parlements nationaux auront un rôle essentiel, celui de permettre ou d'empêcher une révision constitutionnelle. C'est une innovation majeure, notamment pour une nation comme la nôtre, dans la mesure où, comme on l'a rappelé il n'y a pas très longtemps à cette tribune, la négociation et la ratification des traités constituaient une compétence réservée de l'exécutif, en l'occurrence du Président de la République.

Ainsi, ce traité établissant une Constitution européenne pourra, si le Conseil le veut et si les parlements nationaux ne s'y opposent pas, être modifié par un processus interne, sans ratification.

Si l'on ajoute au rôle actuel du Parlement au titre de l'article 88-4 ses nouvelles compétences en matière de révision simplifiée et de subsidiarité, on peut dire que la Constitution européenne introduit, au niveau à la fois européen et local, un nouvel équilibre des pouvoirs permettant de concilier le fonctionnement de l'Union et le maintien d'un enracinement dans chacun des Etats. C'est une chose remarquable qui ne peut que recueillir notre soutien.

Nous sommes donc satisfaits de ce traité, mais nous ne le sommes pas béatement, car nous savons bien que l'on aurait pu aller plus loin. Il nous paraît toutefois bien meilleur que tout ce qui a été fait jusqu'à présent, et c'est pourquoi nous voulons que le référendum soit un succès, afin que le traité soit ratifié et qu'il entre en application. Je suis sûr que les acteurs qui seront désignés pour faire fonctionner les institutions dans ce nouveau cadre juridique sauront s'emparer de ces règles et les faire évoluer.

Arrivera-t-on ou non à un Etat fédéral ? Plusieurs d'entre nous semblent craindre une telle issue. Pour ma part, je ne la crains pas, mais je ne crois pas qu'un fédéralisme, au sens classique du terme, soit vraiment nécessaire pour l'Union européenne. La France et l'Espagne, ce n'est sûrement pas le Connecticut, la Saxe-Anhalt ou même la Bavière !

Toutefois, on voit bien que l'on a bâti quelque chose de nouveau, où la primauté du droit européen, évoquée par M. Shoettl dans la note qu'il a faite après la décision du Conseil constitutionnel, est affirmée. Seuls trois éléments distinguent le « mode communautaire », que nous connaissons aujourd'hui, et « le mode fédéral » : le principe de laïcité, le principe d'égal accès aux emplois publics et la saisine du Conseil constitutionnel avec la réponse qui y est donnée dans le mois qui suit. Si la différence ne tient qu'à cela, je l'accepte d'autant plus que les Européens sauront faire vivre sur un mode communautaire, sur un mode intégré, ce qu'il est nécessaire de faire vivre !

Par conséquent, nous sommes favorables à ce traité, je le dis très clairement, et nous prendrons toute notre part dans la procédure de ratification par référendum. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

Attendez, mes chers collègues ! N'applaudissez pas trop vite ! (Sourires.)

Maintenant, il faut réviser la Constitution.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !

M. Michel Mercier. C'est l'objet de notre débat.

Il y avait une chose toute simple à faire, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, je dirais même d'une simplicité biblique - il est assez normal d'ailleurs que ce soit moi qui fasse référence à la Bible en la matière !(Sourires.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous n'avez pas l'exclusivité ! (Nouveaux sourires.)

M. Michel Mercier. Il suffisait de s'en tenir à la décision du Conseil constitutionnel, qui, je dois le dire, a été d'une habileté suprême dans cette affaire. Chaque fois qu'une vraie avancée figurait dans le traité, le Conseil constitutionnel a estimé qu'elle figurait déjà en droit interne. Cela a été le cas en ce qui concerne la Charte des droits fondamentaux de l'Union. Une fois le traité ratifié, le droit européen s'appliquera immédiatement dans notre droit interne, sauf disposition expresse figurant dans notre Constitution.

La Charte des droits fondamentaux, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales reprenant à peu près tout ce que contient notre Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, cette réserve de constitutionnalité ne représente que 0,001 % ! En conséquence, ne boudons pas notre plaisir et constatons que les choses avancent !

Mais le Gouvernement a choisi d'aller plus loin que la décision du Conseil constitutionnel. C'est son droit ! Il a voulu introduire une procédure de référendum obligatoire pour décider de l'adhésion de nouveaux Etats. Enfin, pas de tous : trois sont en dehors du processus, mais l'on pourra toujours recourir à l'article 11 pour décider de leur entrée dans l'Union européenne.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. Michel Mercier. Est-ce bien ou non d'avoir prévu ce référendum obligatoire ? J'avoue que je n'aime pas trop lier la compétence du président de la République. Il doit garder sa liberté de jugement le moment venu.

M. le président. C'est la sagesse ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Michel Mercier. Il faut lui laisser la possibilité de décider en fonction de la situation au moment voulu, d'autant qu'il ne s'engage pas à grand-chose : quinze ans, avec le quinquennat, cela fait trois élections !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On ne sait jamais ! (Sourires.)

M. Michel Mercier. Dans le bulletin de la commission des lois de la semaine dernière, j'ai pu lire - et j'ai constaté que notre rapporteur est toujours excellent ; je veux le remercier, et toute notre assemblée doit faire de même, car il ne refuse jamais les tâches difficiles -...

Un sénateur socialiste. Je ne sais pas si c'est un compliment !

M. Michel Mercier. Donc, d'après le rédacteur du bulletin de la commission - car je ne siège pas dans cette auguste commission - ...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On le regrette ! (Sourires.)

M. Michel Mercier. ... le rapporteur n'a pas exclu que les dispositions proposées puissent, à terme, n'avoir plus de raison d'être. Je me demande si le terme n'est pas déjà atteint et s'il ne vaudrait pas mieux en rester à ce qui était essentiel.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Monsieur Mercier, me permettez-vous de vous interrompre ?

M. Michel Mercier. Je vous en prie, monsieur le rapporteur.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Je voulais simplement dire que peuple souverain peut, à tout moment, réviser la Constitution et modifier ce qu'il a fait !

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Mercier.

M. Michel Mercier. Le Congrès aussi, puisqu'il va se prononcer !

Mme Hélène Luc. Alors allons-y !

M. Michel Mercier. En tout cas, le dispositif me semble un peu difficile à appliquer. Il va falloir procéder à un référendum par Etat. Quand plusieurs Etats seront concernés, y aura-t-il plusieurs questions ? N'y aura-t-il qu'une question pour plusieurs Etats ? Il me semble que la rédaction de l'article n'est pas d'une grande clarté ni d'une grande facilité d'application sur le plan politique, mais nous en reparlerons lors de la discussion.

Que faut-il faire maintenant ? Il faut voter, et nous voterons le projet de loi portant révision de la Constitution ici et à Versailles. Mais ce qui compte, c'est naturellement de faire vivre le débat. Nous le ferons ; nous discuterons ; nous entendrons le Gouvernement. Si ce dernier sait nous convaincre, il n'y aura pas de problème. Mais s'il n'est pas très bon, c'est lui qui aura des problèmes ! Nous, nous essaierons de faire tout ce que nous pourrons.

Nous souhaitons véritablement que cette révision constitutionnelle se fasse rapidement et dans les meilleures conditions, afin que ce référendum soit un succès. Ces bonnes conditions exigent l'engagement responsable de tous. C'est naturellement le rôle des forces politiques, et l'UDF agira avec responsabilité dans ce domaine.

Mais le Gouvernement doit prendre sa part dans ce succès. S'il ne peut pas prendre parti dans la campagne, ce que je comprends, il peut créer une bonne ambiance.

Mme Nicole Bricq. Ce n'est pas ce qu'il fait en ce moment !

M. Michel Mercier. Monsieur le Premier ministre, faut-il à tout prix inscrire à l'ordre du jour du Parlement un grand nombre de textes dont la valeur normative est plutôt faible, dont la forte valeur symbolique est plus forte, mais qui créent plus de problèmes qu'ils n'en résolvent ?

M. Robert Bret. Ça sonne comme une inquiétude !

M. Michel Mercier. Nous nous posons et vous posons cette question. Nous vous demandons d'appréhender la situation en tenant compte de cette observation.

Mes chers collègues, je vous remercie de votre attention. En ce qui me concerne, tout en respectant la liberté de chacun, je préconise l'adoption du projet de loi constitutionnelle et un vote positif au référendum. Mais je souhaite que tous ceux qui sont concernés assument leurs responsabilités afin que ce référendum soit un succès ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le Premier ministre, une seule raison suffirait à justifier le rejet du projet de loi constitutionnelle que vous nous soumettez, parce qu'elle inclut toutes les autres.

En effet, vous nous demandez de constitutionnaliser par avance un texte qui n'existera pour la France que s'il est approuvé par notre peuple à une date non encore fixée !

Le rôle dévolu au Parlement est singulier : soit il est instrumentalisé pour influencer le vote de nos concitoyens, soit il est totalement mineur puisqu'il nous est demandé de voter sur ce que le Conseil constitutionnel a décidé de nous soumettre et qui est loin de recouvrir, vous en conviendrez, l'ensemble des rapports entre le traité constitutionnel et nos institutions, ce à quoi vous ajoutez des considérations de pure opportunité, qui ne clarifient pas, loin s'en faut, l'intervention parlementaire. C'est pourquoi nous rejetons ce projet de loi constitutionnelle, sans même vouloir l'amender.

M. le Premier ministre, cette révision constitutionnelle ne peut être dissociée de l'analyse du traité constitutionnel, n'en déplaise à M. Haenel. Sinon, pourquoi M. le rapporteur ferait-il preuve de tant d'insistance pour obtenir un vote conforme alors que les articles qui nous sont proposés, notamment la création constitutionnelle d'un référendum de troisième type, posent de nombreux problèmes ?

En ce qui nous concerne, nous considérons que le traité étant soumis au référendum, révision et traité doivent être liés. Rien ne vous obligeait à choisir la voie parlementaire pour cette révision. Les dispositions constitutionnelles devaient être soumises au référendum en même temps que le projet du traité constitutionnel européen.

Il s'agit de la même question et il me paraît grave que les parlementaires valident par anticipation le traité constitutionnel au terme d'un débat sur quatre articles de portée limitée, tandis que le débat dans le pays serait mené sur le thème « oui au traité ou le chaos ».

Nos concitoyens, qui vont se prononcer par référendum, ont droit à un débat sur le contenu du traité constitutionnel européen.

Le Parlement va-t-il y contribuer ? Je n'en ai pas l'impression...

La campagne du référendum va-t-elle y contribuer ? Nous le souhaitons, mais nous n'en avons pas l'impression.

A Barcelone, vendredi dernier, nous avons cru entendre vanter par le Président de la République et les dirigeants espagnols les bienfaits d'une Europe porteuse de valeurs communes de paix, de démocratie, de progrès social.

Ces valeurs, ce sont celles de l'Europe à laquelle la jeunesse aspire. Ce sont celles que nous choisissons, nous communistes, parce qu'il y a effectivement besoin d'Europe dans notre monde globalisé.

Nous en avons besoin car, avec la mondialisation, un seul pays ne peut plus, à lui seul, relever des défis dans un certain nombre de domaines pour lesquels le niveau pertinent d'action peut effectivement être le niveau européen. C'est le cas lorsqu'il s'agit de maîtriser les marchés financiers. C'est le cas aussi lorsqu'il s'agit de prévenir les risques écologiques, quand il convient de mobiliser les ressources pour la recherche à l'heure de l'explosion des nouvelles technologies et de la révolution informationnelle.

Notre ambition pour l'Europe comporte une triple facette : une ambition démocratique, une ambition sociale et écologique, une ambition au service d'un monde de paix, proposant une autre stratégie que celle de la globalisation ultra-libérale, de l'unilatéralisme.

Mais est-ce l'expérience que font nos concitoyens et les peuples de l'Europe actuelle avec l'Acte unique européen, le traité de Maastricht, la monnaie unique et la Banque centrale européenne ?

Treize ans après le référendum de 1992, le bilan devrait nous conduire à nous interroger davantage.

Ce sont 65 millions de personnes, dont 17 millions d'enfants, qui se trouvent en dessous du seuil de pauvreté ; 20 millions de chômeurs ; la précarité galopante dans tous les pays européens ; la libéralisation à marche forcée des services publics, les délocalisations, la mise en concurrence des peuples, les dépenses publiques sous la coupe du pacte de stabilité et, à côté de cela, la financiarisation des économies, les énormes profits accumulés.

Notons aussi le rejet des politiques, la désaffection des couches populaires lors des consultations européennes, les replis dangereux et la montée des extrêmes droites dans de nombreux pays.

Les insatisfactions populaires, les colères, les manifestations croissantes de salariés, d'agents publics, de chercheurs, notamment, visent la politique de votre gouvernement, en tous points conformes aux dogmes libéraux européens.

Je suis d'ailleurs très étonnée que des parlementaires qui soutiennent, en toutes circonstances, la politique actuelle du Gouvernement, critiquent le traité européen. D'autres raisons sont sans doute sous-jacentes à une telle prise de position.

Ces dernières années n'ont-elles pas été marquées par une montée en puissance des euro-manifestations, nées des convergences de luttes et d'aspirations des peuples européens ?

Le 19 mars prochain, les eurosalariés manifesteront à Bruxelles pour dire combien ils apprécient l'Europe ultralibérale !

La question vraiment intéressante est donc bien de savoir si le traité constitutionnel apporte un changement, des améliorations à ce que nous connaissons aujourd'hui.

Il n'en est rien. Le traité consacre les traités antérieurs tant dans la partie I, relative aux objectifs, que dans la partie III, dont personne ne parle, curieusement !

Ainsi, dès l'article I-3 portant sur les objectifs de l'Union, est-il précisé que l'Union offre à ses citoyens un marché intérieur « où la concurrence est libre et non faussée » et que le développement de l'Europe est fondé sur une économie de marché « hautement compétitive ». Certes, cette économie de marché hautement compétitive est qualifiée dans le même article de « sociale ». Mais c'est l'unique fois !

Cette pétition de principe ne pèse pas bien lourd face aux références répétées au principe de la libre concurrence.

Au moins à trois reprises, dans les articles III-177, III-178 et III-185, le titre III du traité, dont personne ne parle, affirme que la politique économique est conduite conformément au respect du « principe d'une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ». Ce dernier s'accompagne, tout naturellement, du dogme de la libre circulation des capitaux, selon le paragraphe 2 de l'article III-157. L'article III-156 interdit toute restriction aux mouvements des capitaux, et la règle de l'unanimité gouverne toute décision qui constituerait un recul de ce droit.

De même, je le rappelle, les mesures d'harmonisation de la fiscalité, de transparence, de taxation des mouvements des capitaux et de lutte contre l'évasion fiscale, tout comme les dispositions sociales sont subordonnées à un vote à l'unanimité. Elles sont donc figées. Toute évolution dans ces domaines et toute politique alternative sont ainsi interdites.

Par ailleurs, le traité ne connaît ni les « services publics », ni les « services d'intérêt général ». Il ne parle que des « services d'intérêt économique général » dans les articles II-96, III-122 et III-166.

Alors, comment l'Europe favoriserait-elle des politiques contre le chômage ? Comment les pays européens mèneraient-ils des politiques audacieuses d'investissements utiles, de soutien au pouvoir d'achat ou encore de santé publique ou d'éducation ambitieuse ? Ces politiques se heurteraient au traité constitutionnel.

Le budget européen doit être strictement équilibré, ce qui complète l'interdiction faite à la Banque centrale européenne de faire crédit aux institutions européennes.

On ne peut utiliser l'instrument monétaire, l'injection de liquidités dans l'économie portant toujours un risque inflationniste ; or la mission de la Banque centrale européenne est d'assurer la stabilité des prix.

L'indépendance de la Banque centrale européenne interdit aux instances politiques de peser sur elle pour qu'elle assouplisse sa politique monétaire afin de lutter contre le chômage ou pour toute autre raison. Son refus d'agir aujourd'hui face au cours très bas du dollar, qui facilite les exportations américaines et freine celles des pays de la zone euro, en est une éclatante illustration.

Mettre fin au dumping social se heurte directement à l'unanimité requise pour modifier les règles fiscales, aux termes de l'article III-171.

Si les dispositions précises du traité constitutionnel sont peu évoquées dans les discours, les commissaires européens sont là pour nous les rappeler.

La directive Bolkestein fait aujourd'hui crier au scandale. Rappelons qu'elle a été adoptée voilà un an, qu'elle découle des traités existants et qu'elle s'inscrira parfaitement dans la logique de l'article III-137, qui interdit de restreindre la liberté d'établissement, ou de l'article III-144 en vertu duquel « les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites ».

Ses promoteurs doivent attendre un peu. Pour l'instant, elle soulève quelques remous, mais ses défenseurs reviendront sans doute à la charge après le référendum ! En tout cas, si le traité était adopté, il n'y aurait pas de problème.

La commissaire Danuta Hübner veut faciliter les délocalisations. J'avais cru comprendre que notre gouvernement voulait s'y opposer. Voilà qui correspond parfaitement au traité constitutionnel, qui « exclut toute harmonisation en matière fiscale et sociale ».

En réalité, le traité constitutionnel pérennise et sacralise sous la forme d'une constitution difficilement révisable - et, monsieur le rapporteur, ce choix n'est pas anodin, vous me l'accorderez - des orientations en oeuvre depuis quinze ans, avec les conséquences que l'on peut en attendre dans les domaines sociaux, culturels, éthiques, etc.

Il serait, à ce sujet, intéressant de débattre des rapports entre les grands principes qui sous-tendent la Constitution française, notamment l'égalité, la solidarité, la laïcité, et ceux qui sous-tendent le traité constitutionnel européen, lequel ignore lesdits grands principes, mais cite 88 fois le « marché », 68 fois la concurrence, 176 fois la banque.

Hélas, le Conseil constitutionnel, de jurisprudence constante, ne s'intéresse pas à ces grands principes.

Si les promoteurs du traité constitutionnel parlent peu de la partie III, ils soulignent l'inclusion de la charte des droits fondamentaux dans le traité comme une avancée notable.

Certes, elle figure dans le traité, mais à y regarder de près, elle n'est pas spécialement avancée en termes de droits. C'est la raison pour laquelle nous avions émis des réserves sur cette charte.

Pour ce qui concerne les droits sociaux, elle est en deçà de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, qui reconnaissait le « droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ». Rien de cela ne figure dans la charte des droits fondamentaux de l'Europe.

Le droit au travail n'est pas reconnu ; il est question de droit de travailler et de liberté de chercher un emploi. Quelle avancée !

Le droit de grève est prévu pour les salariés et pour les employeurs, ce qui pour ces derniers s'appelle le lock-out. Combien de combats a-t-il fallu pour l'empêcher en France ? Cela nous renvoie au Chili sous Allende !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La laïcité n'existe pas, alors que les églises et les communautés religieuses sont reconnues comme interlocutrices régulières dans le traité.

Pour ce qui concerne les droits des femmes, la charte s'abstient de toute avancée. Ainsi, « l'égalité entre femmes et hommes en ce qui concerne leurs chances sur le marché du travail » est énoncée à l'article III-210, mais ce texte ne s'applique pas aux rémunérations. Cette disposition figure non pas dans la charte, mais dans le titre III du traité.

Le droit à disposer de son corps, donc la contraception et l'avortement, est absent : aucune avancée pour les femmes du Portugal, de Pologne, d'Irlande.

Le droit au mariage est inscrit, mais pas le droit au divorce. Esclavage et travail forcé sont interdits, mais la prostitution n'est pas explicitement citée.

Surtout, la charte des droits fondamentaux n'est pas contraignante. L'article II-111 précise qu'elle « ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles » pour l'Union européenne.

Le document élaboré par le service des affaires européennes du Sénat est convainquant. Selon ses termes, « concrètement, ce n'est pas parce que la charte interdit les traitements dégradants ou le travail forcé que l'Union est habilitée à légiférer sur ces sujets ».

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est le présidium qui a élaboré la charte qui l'indique et qui préconisera ce qu'il faut faire.

On nous dit aussi que le traité constitutionnel introduit le principe de la démocratie participative. Il y a effectivement dans le projet une vingtaine de lignes qui y sont consacrées dans l'article I-47, et en particulier à la pétition signée par un million de citoyens. Mais quelle limite ! Cette pétition permet de soumettre une proposition à la Commission européenne, qui en fait ce qu'elle veut, et la proposition doit de plus se situer dans le cadre strict de l'application de la Constitution.

Monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, le poids de l'Union européenne devrait lui permettre de faire émerger d'autres règles internationales que celles qui sont imposées aujourd'hui par les Etats-Unis et leurs alliés inconditionnels. L'Union devrait s'affirmer comme un grand acteur mondial et jouer un rôle particulièrement actif vis-à-vis des pays du Sud. C'est le souhait de tous les Européens épris de paix, de solidarité et de développement humain.

Le traité constitutionnel, dans son article I-41, précise que la politique de l'Union européenne en matière de sécurité et de défense communes doit être compatible avec la politique arrêtée dans le cadre de l'OTAN et crée une agence de l'armement. Est-ce franchement la meilleure manière de faire de l'Europe une puissance politique face aux Etats-Unis ? Doit-on voir dans la réunion des ministres de la défense qui s'est tenue à Nice les 9 et 10 février dernier un gage de soutien à la logique d'affrontement et de domination de cet OTAN, sous la houlette américaine ?

Monsieur le Premier ministre, c'est au regard du contenu du traité constitutionnel qu'il faut débattre des pouvoirs des parlements nationaux, et donc du parlement de notre pays que certains ici - je citerai MM. Poncelet, Valade, Vinçon, de Raincourt, de Rohan, Larcher - défendaient en 1992. Le traité constitutionnel limite les pouvoirs des parlements nationaux au choix des conditions dans lesquelles ils prévoient de transposer la loi européenne en droit interne. S'ils estiment que la Commission a outrepassé ses pouvoirs, ces parlements peuvent lui demander de s'expliquer. Les mesures de l'article 3 du projet de révision que vous nous soumettez n'y changent rien.

Monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, c'est au regard du contenu du traité constitutionnel que nous devons nous prononcer ici, au Sénat, et que le peuple devra se prononcer. Si le peuple veut donner ses chances à une Europe sociale, démocratique, de coopération, il dira non.

Ceux qui annoncent le chaos en cas de rejet par notre pays du traité constitutionnel spéculent sur la peur. Si le non l'emporte en France, le projet de traité deviendra caduc et les traités actuels resteront en vigueur. Il n'y a pas de vide juridique ; vous le savez, tout le monde le sait. En revanche, dans ce cas, un débat de fond pourrait enfin se développer à l'échelle de l'Union.

Pourquoi tant de citoyens ne se reconnaissent-ils pas dans ce modèle libéral européen ? C'est une question à laquelle il faudra bien répondre.

Le débat n'est pas entre partisans et adversaires de l'Europe. Le véritable choix est entre l'Europe sociale, démocratique, solidaire et pacifique et l'Europe du capitalisme le plus débridé qu'induit et sanctuarise le traité constitutionnel.

Monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, à ce traité constitutionnel, il faut dire non, afin de lancer le chantier d'un nouveau traité. C'est un non progressiste, solidaire, constructif. Dire non au traité constitutionnel, c'est dire oui à l'avenir de l'Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, pour rendre possible la ratification du nouveau traité établissant une Constitution pour l'Europe, nous devons procéder à une révision constitutionnelle, conformément à la décision du Conseil Constitutionnel du 19 novembre dernier. C'est l'objet du projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui.

On peut, et cela a été largement fait depuis tout à l'heure, se contenter de discuter sur les quatre articles du texte. Les rapporteurs nous en ont exposé l'essentiel avec talent. Qu'il s'agisse du contrôle du principe de subsidiarité ou de la faculté donnée au Parlement de s'opposer à une révision simplifiée du traité, il est en effet utile de prendre en compte les remarques formulées par les « sages ».

En ce qui concerne les deux autres articles, qui ne sont pas liés aux obstacles constitutionnels à la ratification du second traité de Rome, nous en connaissons les raisons.

Ainsi, l'obligation de soumettre au référendum les élargissements futurs de l'Union européenne répond surtout à une préoccupation tactique du chef de l'Etat, qui veut, ce faisant, couper court au débat sur la Turquie.

A-t-on cependant bien mesuré les conséquences d'une telle disposition, qui dépossède le Président de la République de sa liberté d'initiative référendaire, qui dépouille le Parlement de cette même compétence ainsi que de sa prérogative de ratification des traités ?

Puisque les articles 2 et 4 visent clairement la Turquie, je veux en parler.

S'agissant de ce pays au riche passé, on peut toujours s'affronter à coups de références historiques pour tenter de convaincre un camp ou l'autre : on peut évoquer l'alliance de Soliman et de François Ier pour les uns, la Pologne sauvant l'empire autrichien de l'invasion turque pour les autres. Mêmes si elles sont opposées, ces réminiscences suffisent à démontrer que la Turquie porte une partie importante de la mémoire européenne et qu'elle a donc sa place dans la « maison commune ».

Ce que l'on peut souligner, et cela est important dans notre débat, c'est que depuis Mustapha Kemal Atatürk, la Turquie est le seul pays de cette région à pouvoir se targuer, malgré des difficultés liées à ses traditions, d'une véritable laïcité reconnue et appliquée.

Intégrée à l'Union, la Turquie contribuerait à faire vivre l'idée laïque dans une Europe dont l'absolue diversité serait ainsi reconnue et garantie. Elle pourrait aussi, grâce aux ressources multiséculaires de sa diplomatie, faire rempart à la propagation des idées intégristes de tous bords.

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. Jean-Michel Baylet. Les pays candidats à l'adhésion ne sont pas tous animés par la même ambition.

La Turquie ne court pas après une union douanière dont elle dispose déjà. Compte tenu de sa position régionale, elle souhaite participer à un ensemble politique engagé depuis longtemps en faveur de la stabilité : ne lui fermons pas la porte !

Malgré les articles 2 et 4, qui sont, il faut bien le dire, de circonstance, il me semble néanmoins important d'accepter le projet de loi constitutionnelle car, derrière ce passage obligé, se profile le sujet de fond : la puissance de l'Europe. Faut-il laisser l'Europe dans sa forme actuelle avec ses dysfonctionnements, ses manques et ses faiblesses ou au contraire tenter de lui ouvrir de nouvelles perspectives ?

On a tous entendu ceux qui disent que cette Constitution n'en est pas une. Ils ont d'une certaine manière raison. Une véritable Constitution européenne ne peut être que le fruit de la volonté du peuple européen s'exprimant au travers de ses représentants assemblés, revenant à la stricte séparation des pouvoirs, substituant - n'ayons pas peur des mots - une forme étatique nouvelle aux états perclus et sédimentés que l'histoire européenne des conflits entre les nations nous a légués, et replaçant aussitôt les choix essentiels quant aux institutions nouvelles et quant aux grands projets politiques communs sous le contrôle exigeant des citoyens européens.

Tel serait l'esprit d'une vraie Constitution. Vous en conviendrez, nous sommes loin de ce modèle de gestation. Le second traité de Rome est plutôt le fruit d'un compromis, la synthèse d'intérêts parfois contradictoires.

Cependant, nous n'avons pas aujourd'hui de Constitution à graver dans le marbre et, s'il nous en faut une, claire, lisible par les citoyens, réduite à l'essentiel des institutions, pourquoi donc devrait-elle comporter des engagements définitifs sur l'harmonisation sociale, sur la redistribution fiscale, sur la protection de l'environnement, sur les tarifs postaux, sur les droits de l'homme en Chine, sur l'interventionnisme économique, sur le pourcentage du produit européen brut affecté à l'aide au développement... ? J'en passe, la liste serait trop longue ; on lui demande tellement de choses !

Il nous faut plutôt juger le nouveau traité à la lumière de ses principes fondamentaux.

Dans les domaines de la garantie des libertés publiques et du contrôle démocratique nous faisons vers l'avant un pas significatif, et c'est cette avancée que j'approuve sans réserves.

Certes, on pourrait ajouter un peu plus de ceci et un peu moins de cela. Acceptons-le, l'Europe n'est pas parfaite, mais elle est un espace pacifié qui contribue à l'équilibre du monde. Cessons les querelles juridiques pour voir l'essentiel : vingt-cinq peuples vivent aujourd'hui en démocratie, et ce fait est désormais irréversible. Les récentes commémorations de la libération des camps de concentration nous rappellent que, voilà seulement soixante ans, notre Europe vivait sous la botte de la tyrannie. Comme le disait François Mitterrand en 1994, lors de ses adieux personnels au Parlement européen : « J'ai bien vérifié, dans son histoire, la France a fait la guerre à tous les pays européens, je dis bien tous... Et ce temps de la guerre dépassée, la France vous le doit à vous, citoyens européens ».

La construction européenne a apporté la paix : c'est beaucoup. C'est ce constat qui, à mon sens, devra guider notre bulletin de vote lors du prochain référendum.

Ne tournons pas le dos, mes chers collègues, aux souffrances du passé qui nous ont donné un avenir apaisé. La paix n'est jamais définitivement acquise ; elle s'entretient ; elle est un héritage à faire fructifier ! N'oublions pas qu'à chaque instant n'importe quel pays peut s'embraser. Les attentats du 11 septembre 2001 ont rappelé que le tragique et la violence pouvaient atteindre même le plus puissant des pays démocratiques.

Le monde est complexe. Il ne se résume pas, comme on voudrait nous le faire croire, à un choc des civilisations. Ce n'est pas Bush contre Ben Laden. L'Europe ne doit pas, elle non plus, se laisser enfermer dans un schéma manichéen. A quel titre opposer la Turquie musulmane à la vieille Europe chrétienne ? II faut dépasser ces lignes d'affrontement et croire en la paix comme en un objectif toujours à reconstruire.

Parce que l'Europe a cette ambition, dans quelques années, je l'espère, je pourrai dire oui à la Turquie.

Sans hésitation, dans quelques mois, je dirai oui à l'Europe.

Soucieux d'obtenir ces avancées, dans quelques jours, je dirai oui au projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste, de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Mauroy.

M. Pierre Mauroy. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes saisis d'un projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution.

Cette révision est un préalable à l'adoption du traité, qui est naturellement l'essentiel. Ce traité est déjà au coeur de nombreux débats dans les médias et dans les réunions citoyennes.

L'heure est venue pour les socialistes de préciser leur position : cela a déjà été fait à l'Assemblée nationale et Bernard Frimat l'a fait excellemment aujourd'hui au Sénat.

Je dirai d'emblée, mes chers collègues, que je suis favorable au traité établissant une Constitution pour l'Europe.

Le choix que nous aurons à faire au mois de juin prochain est en fait assez simple : approuver ou non le traité signé à Rome le 29 octobre 2004 par les vingt-cinq chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne. Or je remarque que tout est fait pour contrarier son adoption.

En effet, le débat qui s'engage laisse, pour le moment, nombre de nos concitoyens assez indifférents. Le sujet reste lointain et abstrait pour une grande majorité d'électeurs, ce qui doit nous motiver pour mener une campagne active pour le oui.

En fait, ce débat ne porte pas toujours directement sur les dispositions du traité mais sur des sujets qui ne s'y rapportent pas ou sur des craintes diffuses auxquelles il n'a pas vocation à apporter de réponses.

Nos concitoyens sont préoccupés par la crise sociale qui sourd, le pouvoir d'achat en baisse, la hausse du chômage, les délocalisations, la remise en cause des 35 heures, l'avenir du projet éducatif. Ces préoccupations, liées à la politique libérale du Gouvernement - de votre gouvernement, monsieur le Premier ministre -, risquent de détourner les couches populaires et défavorisées de l'enjeu propre du scrutin,...

M. Josselin de Rohan. Hors sujet !

M. Pierre Mauroy. ...comme ce fut le cas en 1992 lors du référendum sur le traité de Maastricht, même si des enquêtes sociologiques récentes font état d'une évolution positive des votes populaires en faveur de l'Europe.

Il reste cependant que la poursuite d'une politique de droite, encore aggravée par des réformes impopulaires souvent mal engagées, prédispose les Français à ne se préoccuper que de leur quotidien et même à rendre l'Europe responsable de leurs maux. Le choix des socialistes est de mener une campagne politique et pédagogique pour exprimer leur oui au traité et leur volonté d'un changement radical de la politique économique et sociale, en France et en Europe.

Enfin, le débat est obéré par l'obstination malencontreuse qui pousse certains à vouloir inscrire dans la Constitution, au détour de sa nécessaire révision, des dispositions portant atteinte aux prérogatives du Parlement et à celle des futurs Présidents de la République.

Ces dispositions constituent une dérive inacceptable, en contradiction avec nos principes démocratiques. Elles ne répondent en fait qu'à des considérations politiques d'arrière-plan.

Tout cela ne peut qu'ajouter à la confusion. Je suis donc tout à fait favorable aux amendements de suppression des articles 2 et 4 du groupe socialiste que Robert Badinter, notamment, exposera plus largement tout à l'heure.

Quant à l'application du traité, à sa coloration politique, même si sa facture d'ensemble est moulée dans la réalité libérale qui domine l'Europe actuellement, nous oeuvrons pour que le mouvement soit inversé. Et le traité le permet.

L'avenir ne dépendra que d'une seule volonté, celle des peuples, exprimée par le suffrage souverain, et d'une seule réalité, la représentation politique du Parlement européen.

Mes chers collègues, dans notre débat d'aujourd'hui, comme dans celui que nous allons conduire dans le pays dans les semaines qui viennent, je crois qu'il faut revenir à l'essentiel, c'est-à-dire aux principes fondamentaux qui ont rassemblé les pères fondateurs du projet européen et la génération qui les a suivis, et qui, me semble-t-il, rassemblent encore aujourd'hui les jeunes générations.

Quatre raisons majeures déterminent, selon moi, le vote positif en faveur du traité constitutionnel.

La paix est la première de ces raisons.

Pendant des siècles, des guerres incessantes se sont déroulées sur le continent européen, nourrissant particulièrement une haine ancestrale entre le peuple français et le peuple allemand. Le premier objectif de ceux qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ont engagé la construction européenne a été de faire la paix. Ils ont réussi le pari, qui reste unique dans l'histoire, de réconcilier ce qui semblait irréconciliable entre la France et l'Allemagne, et de faire de la relation exceptionnelle qui en est issue la pierre angulaire de la construction européenne.

Je salue ici, sans exclusive, tous ceux qui en ont été les artisans, même si deux grandes familles politiques l'ont particulièrement portée, les démocrates-chrétiens et les socialistes depuis le traité de Rome.

Au bout des engagements, il y a la force du mouvement, de la marche en avant. Il y a ceux qui ont toujours dit non et ceux, majoritaires, qui ont toujours dit oui, et nous, les socialistes, sommes de ceux-là. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur de nombreuses travées du RDSE et de l'UC-UDF.)

Le traité qui nous est proposé s'inscrit dans cette démarche. Il consolide la paix entre les peuples européens qu'a scellée, en mai 2004, l'élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux Etats membres, qui, il y a peu encore, étaient des démocraties populaires soumises au joug soviétique.

Ce n'est pas l'un des moindres succès de la construction européenne que de voir ces pays, aujourd'hui libérés, frapper à la porte de l'Union européenne.

Pour ma part, ce n'est pas sans émotion, me rappelant les années de la Seconde Guerre mondiale, puis celles de la guerre froide et du Mur de Berlin, que j'ai vu s'ouvrir pour ces peuples une nouvelle ère de liberté, de démocratie et de paix. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)

Mme Nicole Bricq. Très bien !

M. Pierre Mauroy. Désormais, les peuples qui composent l'Union sont liés par une communauté de destin que le traité constitutionnel concrétise en adaptant les institutions à cette nouvelle donne.

Notre obligation toute première, qui a été une promesse au lendemain de la guerre, est de répondre à leur aspiration à la liberté et à la démocratie.

Notre seconde obligation, qui est pour nous un engagement, sera de leur permettre de vivre mieux dans le progrès et la justice sociale.

Il faut aussi renouer avec la géographie - c'est la deuxième raison - puisque l'Europe a été divisée.

Personne ne peut mettre en doute que, dans sa configuration actuelle, l'Union européenne est contenue dans son espace géographique et que les pays qui sont appelés à la rejoindre appartiennent à cet espace, qu'il s'agisse de la Roumanie et de la Bulgarie, de la Croatie et des autres Etats des Balkans qui aspirent à en être membres un jour.

Je concède que la question se pose pour la Turquie, mais cette question n'est pas celle qui doit nous occuper aujourd'hui. Elle le sera dans quinze ans, et tout dépendra de la capacité de la Turquie d'alors à se hisser au niveau des démocraties européennes en matière de liberté, de droits fondamentaux et de respect des individus.

Le pourra-t-elle ? Je n'en sais rien, et vous non plus, mes chers collègues,...

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Personne n'en sait rien !

M. Pierre Mauroy. ...mais je ne ferai pas l'affront à ce grand pays, qui a réussi des avancées fulgurantes, de penser qu'il n'en serait pas capable. Pour le moment, la réponse n'est pas dans le sujet dont nous discutons.

M. Pierre Mauroy. La troisième raison - et ce n'est pas la moindre - est que l'Europe est une matrice de civilisation, caractérisée par un modèle politique, social et culturel propre, forgé au fil des siècles et qui a irrigué le monde.

Des universités médiévales françaises, anglaises ou italiennes au siècle des Lumières, en passant par la Renaissance, l'Europe a nourri l'univers de ses idées politiques, de ses arts et de ses sciences.

Elle a impulsé un système politique basé sur la liberté, la démocratie et le respect des droits de l'homme. Dans le domaine social, l'Etat-providence y a trouvé son excellence, notamment dans les pays scandinaves mais aussi chez nous et autour de nous, mettant en place des institutions et des politiques assurant la justice et le progrès social.

Même si l'Etat-providence rencontre aujourd'hui des difficultés, inscrivons au palmarès européen les belles réussites de la Grèce, de l'Espagne, du Portugal et de l'Irlande. De quoi faire rêver bien des peuples du monde !

Enfin, personne ne peut contester que, forte de ses 450 millions d'habitants, l'Union européenne est désormais la première puissance économique mondiale, sans pour autant être uniquement un grand marché.

Notre projet, que n'interdit pas le traité constitutionnel, est d'encadrer les forces du marché par une politique d'harmonisation sociale par le haut. Il reviendra aux peuples concernés de soutenir ce projet d'Europe sociale dans le cadre de leurs combats politiques à venir, dans leur pays et en Europe.

Le traité n'est en aucun cas un obstacle à plus de prospérité et de mieux-être en Europe, bien au contraire ! Cette marche est actuellement contrariée, car le balancier politique européen penche majoritairement à droite. (Sourires sur les travées de l'UMP.) Eh oui, mes chers collègues ! C'est une évidence. C'est vrai ailleurs et c'est vrai en France, où la politique économique conduit à une croissance trop faible cette année, à l'accroissement du chômage, aux délocalisations et à la précarisation des salariés. Et permettez-moi de faire remarquer que bien des pays en Europe réussissent là où nous, Français, échouons !

M. Pierre Mauroy. La responsabilité n'est tout de même pas là celle de l'Europe, mais peut-être celle de ceux qui nous gouvernent...

M. Jean-Louis Carrère. Ils vont dire que c'est la faute de « l'héritage » ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Pierre Mauroy. C'est pourquoi les socialistes se démarquent clairement de la politique menée par le Président de la République, par son gouvernement et par vous, monsieur le Premier ministre. En aucun cas, le oui des socialistes au traité constitutionnel ne peut valoir approbation de la politique gouvernementale. (Rires sur les travées de l'UMP.)

MM. Josselin de Rohan et Bruno Sido. On s'en doutait !

M. Pierre Mauroy. Au contraire, nous la combattons avec la plus grande fermeté. Il faut que les choses soient claires devant les Français !

Il ne peut donc pas et il ne doit pas y avoir de confusion entre notre vote favorable au traité, et au projet de loi de révision constitutionnelle qu'il implique, et la politique conduite par le Gouvernement sous l'impulsion du Président de la République.

M. Charles Revet. Il n'y a pas de risque !

M. Pierre Mauroy. Notre oui est un oui socialiste, comme j'ai d'ailleurs eu l'occasion de l'expliquer lors du débat démocratique qui s'est déroulé au sein du Parti socialiste et qui s'est conclu par un vote largement majoritaire des adhérents en faveur de l'approbation du traité.

C'est un oui socialiste parce l'identité européenne est consubstantielle à l'identité socialiste. Rejeter le traité constitutionnel serait en renier une partie importante. J'ai toujours pensé que l'Europe était notre histoire et qu'elle est notre avenir. J'ai toujours agi avec cet objectif aux diverses fonctions que j'ai exercées, et je l'ai fait avec détermination, notamment, permettez-moi de le rappeler, en mars 1983, avec François Mitterrand et Jacques Delors, pour ne pas sortir du « serpent monétaire européen ». Où serions-nous sans cela ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Ensuite, le traité ne comporte aucun recul par rapport aux traités précédents. Il contient même des avancées significatives.

Sur le plan institutionnel, tout d'abord, il renforce la démocratie au sein de l'Union, notamment par l'accroissement des pouvoirs du Parlement européen, par l'extension du vote à la majorité qualifiée et par la création d'un président de l'Union, élu pour deux ans et demi renouvelables une fois.

Sur le plan social, le traité intègre la Charte des droits fondamentaux, qui acquiert ainsi valeur normative. Les compétences de l'Union sont élargies aux politiques de l'emploi, de protection contre les licenciements et d'aides à la reconversion ; les services publics sont reconnus, ainsi que le rôle des partenaires sociaux.

Certes, nous aurions aimé aller plus loin dans la construction d'une Europe plus solidaire, mais, là encore, nous nous sommes heurtés, en particulier, à l'absence d'implication du Président de la République lui-même dans la négociation.

L'important, pour le moment, est que ce texte ne renforce pas le libéralisme qui domine actuellement en Europe et qu'il ne s'oppose à aucune évolution sociale si les Européens le souhaitent.

Je voudrais d'ailleurs rendre hommage au travail remarquable effectué par les socialistes et les sociaux-démocrates européens, ainsi que par bien d'autres qui se sont joints à eux. C'est grâce à eux que certaines avancées ont pu être acquises, avancées qui nous permettent aujourd'hui d'approuver le traité.

Je me sens tout à fait solidaire de leur combat, et c'est pourquoi j'ai envie d'être, avec tous ces socialistes, ces sociaux-démocrates et bien d'autres, au rendez-vous du oui le moment venu.

Au total, les sénateurs socialistes, dans leur majorité, voteront la révision constitutionnelle. Je dis bien : « dans leur majorité ». Nous respectons ceux qui ne le feront pas : ils se sont expliqués, et nous sommes un grand parti démocratique. Vous en aurez sans doute l'illustration lorsque nous voterons. C'est ainsi, et les socialistes vous y ont d'ailleurs habitués. Je pense que c'est une belle leçon de démocratie.

M. Pierre Mauroy. Les socialistes voteront par conséquent ce texte, qui constitue une avancée dans la marche vers l'Europe sociale et l'Europe politique à caractère fédéral qu'ils appellent de leurs voeux.

Pour l'heure, il s'agit de rassembler sur les valeurs fondatrices du projet européen - liberté, égalité, solidarité, démocratie, paix - tous les peuples de l'Union et ceux qui les rejoindront, demain ou plus tard, s'ils adhèrent et mettent en oeuvre sans réserve ces valeurs.

Le traité signé à Rome en octobre dernier le permet mieux que celui de Nice, actuellement en vigueur, dont tout le monde reconnaît les insuffisances et qui resterait en vigueur si, d'aventure, le traité de Rome était rejeté.

Dans tous les pays, la procédure de ratification est engagée. Déjà, la Hongrie, la Slovénie, la Lituanie ont ratifié le traité ; très bientôt suivront l'Italie et l'Espagne, qui sera le premier pays à le faire, dans quelques jours, par référendum. Comment résister à l'appel que tous ces pays européens lancent, tout naturellement, aux Français, qui ont été les premiers dans cette marche européenne ?

Je souhaite que mon pays, la France, ne s'isole pas au sein d'une Union qu'il a largement contribué à construire et je souhaite qu'il ratifie ce texte en juin prochain.

Encore faut-il cependant que le débat soit clair, précis, pédagogique et qu'il ne soit pas « pollué » par des considérations politiciennes. Je souhaite donc que chacun fasse preuve de responsabilité politique et d'honnêteté intellectuelle, et place le débat au niveau qui est le sien : l'avenir de notre pays dans une Europe démocratique, forte sur le plan économique, écoutée dans le monde, solidaire et porteuse d'un message universel de paix. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE, de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, avant tout, je prie les sénateurs qui vont s'exprimer après moi de bien vouloir excuser mon absence dans la suite de cette discussion car une réunion me contraint à regagner l'Hôtel Matignon.

Je tiens à dire que j'ai été vivement intéressé par le débat de qualité qui s'est engagé cet après-midi sur un texte particulièrement important, dont je soulignerai à la fois la dimension politique et le caractère juridique.

M. Pierre Mauroy vient de conclure son propos en rappelant qu'il pouvait y avoir plusieurs oui - le sien, le mien -tout en souhaitant les voir, non pas semer la confusion, mais s'additionner.

L'Europe, et c'est un point très important, n'est pas partisane ! Vous l'avez dit et vous avez, monsieur le Premier ministre, agi en conséquence en 1983, comme l'avait fait François Mitterrand et, avant lui, le général de Gaulle avec le Chancelier Adenauer, Valéry Giscard d'Estaing avec le Chancelier Schmidt. Mais il ne faut pas oublier non plus que c'est Jacques Chirac qui, devant le Bundestag en l'an 2000, a avancé l'idée de l'élaboration d'une constitution européenne. C'est pourtant sur la base de cette proposition, lancée avec force, que nous pouvons, aujourd'hui, travailler sur un projet de constitution.

Certes, les socialistes, les démocrates chrétiens, mais aussi de nombreuses familles politiques ont participé à ce projet européen qui appartient à notre destin commun.

Aujourd'hui, le Premier ministre de la République tchèque, avec qui j'ai déjeuné, m'a confié que l'opposition de son pays expliquait que, l'Europe étant de droite, il fallait voter non. Ailleurs, on tient le discours strictement opposé. Dans tous les pays, il y a un clivage national, et ce clivage national a tendance à être reporté sur le clivage européen. Or l'Europe n'est ni de droite ni de gauche : l'Europe est notre avenir, notre destin et j'en veux pour preuve le fait que de grandes personnalités, de droite comme de gauche, ont participé à sa construction.

Il nous faut, aujourd'hui, veiller, les uns et les autres, à nous montrer capables, grâce à cette Europe, de résoudre les problèmes qui se posent à la société. Les problèmes sont les mêmes partout. Le problème de l'emploi serait-il de gauche en Espagne au motif que le gouvernement est de gauche, et de droite en France au motif que le gouvernement est de droite ? En fait, il doit être réglé à l'échelle de l'Europe. C'est en ce sens que le traité constitutionnel nous offre de nouveaux moyens pour renforcer la croissance dans l'Union européenne.

Ce traité n'est pas partisan : il doit mobiliser tous ceux qui veulent donner à notre continent une existence internationale. Il doit provoquer non pas la confusion, mais le rassemblement de tous au service d'un projet commun, dans le respect de l'identité de chacun.

Vous avez évoqué les uns et les autres - et j'ai été notamment sensible au plaidoyer de M. Mercier - la nécessité de préserver la liberté institutionnelle du Président de la République. Cet argument ne m'a pas échappé, mais je pense qu'il est important, à l'occasion de cette révision constitutionnelle, de clarifier le débat sur l'entrée de la Turquie dans l'Europe.

Les Français ont besoin de cette clarification et nous n'avons pas peur du débat. Dès lors que la Turquie veut adhérer à l'Union européenne, posons la question et tentons d'y apporter une réponse !

Quelle est la situation ? Les dirigeants de ce grand pays veulent qu'il entre dans l'Europe. C'est désormais au peuple turc de prouver qu'il veut vivre «  à l'européenne », qu'il veut transformer la société turque pour qu'elle adhère aux valeurs européennes. Chacun peut aujourd'hui émettre un pronostic : nous verrons bien, dans les années à venir, si le peuple turc suit ses dirigeants et engage une évolution en ce sens. En fin de compte, grâce à la révision constitutionnelle que vous vous apprêtez à voter, mesdames et messieurs les sénateurs, c'est le peuple français qui appréciera les progrès accomplis par la Turquie dans la voie de l'adhésion aux valeurs européennes.

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Le débat sera clair et l'on pourra y apporter une réponse institutionnelle. C'est une contribution importante de la révision constitutionnelle.

J'admets parfaitement qu'il faille aujourd'hui parler de la nouvelle organisation de l'Europe à vingt-cinq, mais il faut aussi dire clairement dès maintenant qu'il appartiendra au peuple Français de définir la future géographie de l'Union européenne, qui a besoin de frontières stables. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Ce sont là des débats qu'il ne faut pas redouter : ils sont dignes de notre République !

M. de Rohan a eu raison de dire que nous attendions une évolution de l'Union européenne. Tout ce qui a été fait depuis une soixantaine d'années ne nous a pas donné entièrement satisfaction.

Ceux qui, comme moi, ont une profonde conviction européenne, se réjouissent de défendre un projet politique qui substitue au système des présidences tournant tous les six mois une présidence responsable pouvant s'exercer pendant cinq ans, qui instaure une Commission responsable devant le Parlement, et qui donne aux Parlements nationaux la capacité de se prononcer sur le respect de la subsidiarité.

Cette Europe politique qui peut décider des orientations de l'avenir, nous l'attendions ! Il est très clair pour nous tous que subsistaient de nombreuses imperfections. Or la raison d'être de ce traité est précisément de corriger ces imperfections en donnant une dimension politique à l'Union européenne.

Nous veillerons à ce que tout se déroule dans la meilleure ambiance possible. Le Gouvernement a été et sera toujours très attentif au débat. Il souhaite écouter les uns et les autres pour dégager une véritable volonté commune.

C'est pourquoi il nous semble important d'organiser rapidement le Congrès après le vote du Sénat. Pourra ainsi s'engager rapidement dans le pays le débat sur le traité constitutionnel lui-même.

La tentation du vote négatif qui s'exprime ici ou là traduit, à mon sens, de vraies inquiétudes et il convient de ne pas la mésestimer. Je me souviens de la campagne préalable à la ratification du traité de Maastricht au cours de laquelle nous avions considéré cette position d'opposition comme subalterne, alors que nous avons assisté à sa progression durant les quinze derniers jours.

Le non exprime des inquiétudes sur l'emploi : nous pouvons y répondre. Il exprime des inquiétudes sur la diversité culturelle : nous pouvons y répondre. Il exprime des inquiétudes sur la capacité à exister dans le monde : nous pouvons y répondre.

C'est précisément en raison de cette capacité du oui à répondre utilement aux inquiétudes des Français que nous avons hâte d'engager le débat sur cette perspective européenne.

Bien sûr, l'idéal de paix est toujours présent : la génération qui a bâti l'Europe a agi pour faire régner la paix à l'intérieur de ses frontières, pour que le « plus jamais ça » dont a parlé le Président de la République à Auschwitz soit une réalité pour les jeunes Européens, mais notre génération doit aussi construire l'Europe pour instaurer la paix à l'extérieur de ses frontières. Le monde a besoin d'équilibre, le monde a besoin de nos valeurs universelles, le monde a besoin que l'Europe, à côté des autres continents, fasse entendre sa voix et défende ses valeurs. Sans cet équilibre-là, il n'y aura pas de paix possible dans le monde.

Ce projet qui garde l'enthousiasme des débuts de la construction européenne est de nature à nous mobiliser. Je suis heureux de voir qu'il peut être débattu dans cette assemblée avec une certaine hauteur de vue en dépassant les clivages partisans. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UC-UDF et du RDSE.)

(M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)