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NOMINATION DE MEMBRES D'UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE

M. le président. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information.

La liste des candidats établie par la commission des affaires culturelles a été affichée conformément à l'article 12 du règlement.

Je n'ai reçu aucune opposition.

En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :

Titulaires : MM. Jacques Valade, Michel Thiollière, Alain Dufaut, Jacques Legendre, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. David Assouline et Serge Lagauche ;

Suppléants : Mme Marie-Christine Blandin, MM. Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Jean-François Humbert, Mme Monique Papon, MM. Jack Ralite et Philippe Richert.

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Article additionnel après l'article 29 quater (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration
Article 30

Immigration et intégration

Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à l'immigration et à l'intégration (nos 362, 371).

Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l'article 30.

CHAPITRE II

Dispositions relatives au regroupement familial

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration
Article 31

Article 30

Dans l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les mots : « depuis au moins un an » sont remplacés par les mots : « depuis au moins dix-huit mois » et, après les mots : « par son conjoint », sont insérés les mots : «, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, ».

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, sur l'article.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le ministre, à nouveau nous allons essayer de vous convaincre - nous ne perdons pas l'espoir d'y parvenir ! - que, s'il était nécessaire d'aborder la question de l'immigration, ce projet de loi n'est certainement pas celui qui était attendu.

Loi après loi, les conditions de l'immigration, les conditions de l'intégration, puisque les deux termes figurent dans l'intitulé du projet de loi, sont loin d'être celles que nous aurions pu espérer. Les conditions du regroupement familial, en particulier, n'ont cessé de se durcir. Elles sont déjà extrêmement difficiles à remplir, au point que certaines familles sont contraintes, pour pouvoir être réunies, à ne pas passer par la procédure prévue tant celle-ci est longue et complexe.

Parmi ces conditions à la fois injustes et contre-productives, on trouve notamment l'obligation pour un migrant étranger de ne recourir à la procédure de regroupement familial que s'il désire faire venir la totalité de sa famille alors même que, pour diverses raisons, souvent familiales ou économiques, il désire n'en faire venir qu'une partie. Ainsi, des Maliens, des Sri-Lankais, des Marocains... qui ne désirent faire venir qu'un fils, une fille ou, tout simplement, leur femme ne peuvent pas utiliser cette procédure légale : ils sont alors forcés de passer par des voies détournées.

Après une première loi, en novembre 2003, dont nous attendons d'ailleurs toujours le bilan, vous passez avec ce projet de loi à un palier supérieur.

Actuellement, entre le moment où un migrant étranger entame une procédure de regroupement familial et celui où enfin arrive sa famille, il peut se passer jusqu'à trois ans. Votre projet de loi tend aujourd'hui à allonger encore ces délais, puisque l'étranger ne pourra déposer sa demande de regroupement familial en faveur de son conjoint ou de ses enfants qu'au bout de dix-huit mois.

Autre élément ouvrant la porte à l'arbitraire, le regroupement familial, aux termes de l'article 31 du projet de loi, pourra être refusé si le maire juge que le migrant étranger établi dans sa commune et qui souhaite faire venir sa famille ne se conforme pas aux principes régissant la République française.

Arbitraire, disais-je. En effet, qu'est-ce que les principes, qu'est-ce que les valeurs de la République française ? Ne s'agit-il pas des valeurs universelles ? Ne sont-elles pas ces grandes valeurs pour lesquelles nos parents parfois se sont battus, pour lesquelles nous-mêmes aujourd'hui continuons, ici ou ailleurs, à nous battre, parce que nous voulons les voir vivre et déclinées dans leur réalité : la solidarité, par exemple, les libertés... ?

Les conditions de ressources et de logement sont durcies. Les députés se sont même prononcés en faveur de la modulation des ressources selon la composition de la famille et pour la prise en compte de la taille de la famille et de la région d'installation dans les conditions de logement. De plus, le conjoint et les enfants mineurs entrés en France à la suite d'un regroupement familial devront attendre trois ans pour pouvoir solliciter une carte de résident, délivrée selon le bon vouloir du préfet.

Après avoir été portés à douze mois, les délais pour pouvoir solliciter un regroupement familial passent ainsi à dix-huit mois. S'agissant des cartes de résident, les enfants ou le parent rejoignant, qui devaient attendre un an, puis deux ans pour pouvoir les demander, devront désormais patienter trois ans.

Enfin, dans la même logique de généralisation de la suspicion sur le mariage, la personne entrée en France par regroupement familial sera dans une situation de totale dépendance à l'égard de son conjoint puisque, si le couple se sépare, même plusieurs années après le mariage, elle se verra retirer son titre de séjour. Par une telle mesure, le Gouvernement entérine la dépendance des femmes étrangères, qui seront, mécaniquement, plus touchées que les hommes : vous le savez, 80 % des conjoints qui viennent en France dans le cadre du regroupement familial sont les épouses.

L'impossibilité de retirer le titre de séjour en cas de violences conjugales ou si le couple a des enfants atténue bien sûr les effets dévastateurs de cette disposition, mais les atténue seulement.

Le durcissement extrême des conditions du regroupement familial aura pour conséquence directe de créer des sans-papiers supplémentaires, alors que les personnes concernées ont vocation à vivre en famille en France.

Une fois de plus, les restrictions au droit au regroupement familial, c'est-à-dire au droit de vivre en famille, sont tout simplement en contradiction par rapport aux engagements internationaux et aux conventions européennes que la France a par ailleurs ratifiés.

M. le président. Je rappelle que, conformément à notre règlement, chaque orateur ne peut s'exprimer plus de cinq minutes sur un article. Je vous prie, mes chers collègues, de respecter cette règle.

La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga, sur l'article.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le ministre, vous serez peut-être étonné qu'à propos de l'article 30 je vous parle de fraises. On pourrait pour une fois, dans ce débat plutôt difficile, parler de choses agréables !

Appréciez-vous, monsieur le ministre, plutôt que de la camarosa espagnole, insipide comme chacun sait, de manger de la ciflorette, de la mara des bois, de la guarriguette..., les bonnes fraises dont nous avons en France la chance de nous régaler ? Connaissez-vous ces variétés de fraises ?

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire. Si vous voulez que l'on fasse un cours sur les agrumes, ce n'est pas un problème, compte tenu de la région d'où je viens !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Ce ne sont pas des agrumes, et cela se cultive notamment en Sologne. Savez-vous que, dans le bassin de Romorantin, 80 % des cueilleurs de fraises, qui saisissent délicatement chaque fruit par sa tige afin qu'aucune écorchure ne l'altère, sont des familles d'ouvriers agricoles turcs sédentarisés ? S'il n'y avait pas eu en Loir-et-Cher des travailleurs turcs venus travailler comme bûcherons, si leur famille ne les avait pas rejoints par la suite, on n'aurait pas, en effet, dans ce département que je connais bien puisqu'il n'est pas loin de ma région d'origine, des familles de Turcs pour cueillir les fraises dont nous nous régalons. Voilà pourquoi je commence par les fraises.

Je l'avais déjà souligné dans la discussion générale, l'immigration familiale ne doit pas être opposée à l'immigration de travail : l'une devient l'autre, et je viens de vous en donner un nouvel exemple, après celui des nounous africaines de nos blondinets parisiens que j'avais évoquées voilà quelques jours.

Nous sommes là devant un cas où ce gouvernement décrète qu'un type d'immigration, en l'occurrence le regroupement familial, est une immigration subie, une immigration qu'il faut limiter autant que possible. Comment procéder ? En appliquant l'arsenal habituel auquel recourt ce projet de loi, c'est-à-dire tout d'abord, comme à l'article 30, en allongeant les délais.

Dès son arrivée au ministère de l'intérieur, Nicolas Sarkozy avait annoncé son intention de réformer le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour s'attaquer à cette « immigration subie ». C'est donc ancien, et les premières restrictions avaient été apportées avec la loi du 26 novembre 2003.

Ainsi, les familles des travailleurs qui sont en France relèvent de l'immigration subie ! Pour autant, affirmer aujourd'hui que l'immigration familiale est la responsable des difficultés que nous rencontrons dans les banlieues, c'est peut-être oublier nos responsabilités dans ces difficultés ! Et il est vrai que l'immigration familiale, si elle n'est pas accompagnée d'une politique volontariste d'intégration - politique d'intégration organisée, et non d'intégration contrainte -, a parfois du mal à fonctionner. Alors, que fait-on ? On allonge le délai exigé pour pouvoir déposer une demande de regroupement familial, c'est-à-dire que l'on sépare le plus longtemps possible l'un des membres de la famille des autres membres.

Sur ce point, je me permettrai de vous exposer ce qui se passe actuellement en Roumanie.

En Roumanie, parce que la vie est difficile, de plus en plus de personnes partent travailler en Europe et laissent leurs enfants aux grands-parents. Dans la seule ville d'Iasi, dans la région de Moldavie, 10 000 enfants sont concernés, selon l'inspection de l'éducation locale. « Ils manifestent un grand besoin d'affection, présentent des troubles du sommeil et développent un comportement agressif », affirme Camelia Gravila, directrice de l'inspection de la ville. Un enfant de dix ans, Razvan Suculiuc, s'est pendu le 27 mars parce que sa mère, partie travailler en Italie, lui manquait trop. Ce suicide a bouleversé le pays.

Je voudrais dire, sans faire dans le trémolo ni dans le pathos, qu'un enfant malien, un enfant tunisien, un enfant marocain a autant besoin de son père que l'un de nos enfants.

Dire que l'immigration familiale est une immigration subie qui désorganise notre pays et tenter de la reporter le plus tard possible, c'est oublier ce que les entreprises françaises qui expatrient des cadres ont découvert ces dernières années...

M. le président. Veuillez conclure, chère collègue !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. J'ai dépassé mon temps de parole ?

M. le président. Oui, ma chère collègue.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Eh bien, je m'arrête, et je reprendrai ce sujet quand nous aborderons l'article 31.

M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon, sur l'article.

M. Philippe Goujon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd'hui, les étrangers qui sont titulaires d'un titre de séjour et qui résident en France depuis au moins un an peuvent formuler une demande de regroupement familial pour leur conjoint et leurs enfants mineurs. Il peut s'agir des enfants du couple ou de ceux qui sont nés d'une première union et sur lesquels ils exercent l'autorité parentale. Il peut également s'agir des enfants de leur conjoint.

Pour bénéficier du regroupement familial, les étrangers doivent disposer d'un logement dont la superficie est en rapport avec la composition de la famille et qui répond aux normes d'habitabilité exigées pour les logements mis en location. Ils doivent aussi justifier de revenus stables et équivalents au moins au SMIC, toutes les ressources du foyer étant prises en compte, à l'exception des prestations familiales.

Lorsque la demande est acceptée, les membres de la famille reçoivent un titre de séjour de même nature que celui de l'étranger à l'origine du regroupement.

Alors que l'article 31 du projet de loi vise à modifier les conditions de ressources et de logement actuellement exigées, l'article 30 vise à faire passer de douze à dix-huit mois la durée minimale de résidence pour demander le regroupement familial.

En effet, faire venir sa famille en France est bien le signe d'une volonté de s'installer durablement dans notre pays. Il est donc légitime de réserver cette procédure à des personnes présentes en France depuis plus d'un an, c'est-à-dire des personnes qui ont déjà obtenu un premier renouvellement de la carte de séjour temporaire, ce qui est un premier élément indiquant la probabilité d'un séjour durable dans notre pays.

Cette disposition encadrera davantage la procédure du regroupement familial, qui a conduit à l'admission au séjour de 22 978 personnes en 2005.

A cet égard, j'insiste sur le fait que cette nouvelle disposition s'inscrit dans la lignée de celles qui ont été adoptées par nos principaux partenaires, tout en restant très respectueuse du droit de chacun de mener une vie familiale normale.

Ainsi, les dispositions relatives au regroupement familial sont, dans la plupart des pays européens, réservées aux membres de la famille proche, c'est-à-dire au conjoint et aux enfants mineurs, à condition qu'ils n'aient pas encore fondé leur propre foyer.

Les autres membres de la famille ne sont qu'exceptionnellement admis au titre du regroupement familial élargi. Cette possibilité concerne surtout les ascendants âgés de plus de soixante-cinq ans, pour autant qu'ils dépendent financièrement d'un enfant installé en Europe et qu'ils soient seuls dans leur pays d'origine.

Toutefois, certains pays ont récemment durci les dispositions applicables au regroupement familial. Au Danemark, par exemple, l'étranger qui souhaite faire venir son conjoint doit posséder un titre de séjour d'une durée illimitée depuis au moins trois ans, titre qui n'est délivré qu'après un séjour de sept années !

L'administration britannique, quant à elle, vérifie très attentivement la réalité des liens entre les intéressés avant d'autoriser la venue des conjoints au titre du regroupement familial.

Enfin, les Pays-Bas et le Royaume-Uni nous ont montré la voie en fixant un âge minimal pour le conjoint qui souhaite bénéficier du regroupement familial, à savoir dix-huit ans.

Tenant compte du relèvement de quinze à dix-huit ans de l'âge nubile de l'épouse, opéré par la loi du 4 avril dernier, adoptée sur l'initiative de notre Haute Assemblée et plus précisément de notre collègue Joëlle Garriaud-Maylam, le texte qui nous est soumis pose l'interdiction de principe du regroupement familial du conjoint mineur et cette mesure a été déclarée conforme à la directive européenne 2003/86/CE.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, cet article 30 démontre à quel point - contrairement à ce que nous venons d'entendre de façon outrancière, comme à l'accoutumée d'ailleurs - ce projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration se garde de tout excès.

C'est un texte lucide et équilibré, tenant compte des intérêts de notre communauté et de chaque individu et respectueux des droits fondamentaux. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je partage l'avis de mes collègues du groupe socialiste qui ont fait la démonstration du caractère d'affichage, pour ne pas dire « gesticulatoire », de ce type de dispositions. Elles sont destinées à apaiser je ne sais quel fantasme sécuritaire. Je me situerai, quant à moi, sur le terrain de l'interrogation concrète et pratique.

M. Goujon vient de dire que nous ne ferions que suivre l'exemple des autres, en l'occurrence celui du Danemark. La France compte 60 millions d'habitants, le Danemark 5 millions... Je ne sais pas si l'on peut comparer les problèmes qui se posent à des pays de taille si différente. (Murmures sur les travées de l'UMP.)

Quoi qu'il en soit, nous sommes en droit de ne pas faire comme ce pays et de considérer que priver pendant sept ans de sa famille quelqu'un qui se lève chaque jour pour contribuer au bien commun par son travail est une mesure barbare.

En tant que citoyen français, je me réclame de la vieille tradition républicaine - d'ailleurs ce principe avait déjà cours sous la royauté : qui touchait le sol de France était libre, et il y en avait pas mal qui « cavalaient » pour le toucher et être libre, croyez-le !

En fait, il faut s'interroger sur les conséquences concrètes de ce type de dispositions. Que voulons-nous obtenir ? Nous essaierons ensuite de savoir si, lorsque nous avons pris des mesures comparables, les résultats étaient au rendez-vous.

Que voulons-nous obtenir ? Qu'il y ait moins de regroupements familiaux ? Alors il faut le dire.

Il n'y aura pas en l'occurrence d'effet d'appel d'air, comme vous le prétendez habituellement lorsque l'on prend une mesure qui paraît trop humaine, puisqu'il s'agit de l'immigré qui est en situation régulière. Il a survécu à tous les mauvais traitements prévus par les autres articles de la loi, il y a souscrit, il a même fait plus que cela, il a prouvé qu'il respectait les habitudes et les traditions républicaines, et il demande à pouvoir vivre en famille, ce qui est un droit reconnu par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par les conventions que la France a ratifiées.

Pourquoi donc prévoir un dispositif qui l'empêche d'y parvenir ou qui rende plus difficiles les moyens d'y parvenir.

En 2004, 25 420 personnes ont fait l'objet d'un regroupement familial, 12 000 adultes, 13 000 enfants. Dites-moi lequel de ces 13 000 enfants est de trop en France. Lequel ne sera pas un bon Français, un bon francophile, quelqu'un qui aimera sa patrie d'adoption comme 99 % de ceux qui ont bénéficié de la possibilité d'entrer sur notre territoire. Notre pays compte-t-il trop d'enfants ?

Mes chers collègues, ressaisissez-vous ! Nous ne traitons pas de quantités abstraites, mais d'êtres humains. Laissons de côté le Danemark ! Nous parlons de la France, qui, depuis toujours, a brassé les populations.

En outre, où comptez-vous appliquer cette disposition ? À Mayotte, où les habitants des différentes îles sont tous parents ?

L'autre jour, notre collègue de Mayotte a déclaré que son île ne pouvait pas accueillir tout le monde. Je lui en donne acte, il y a un problème de superficie. Mais nos concitoyens mahorais nous disent qu'ils sont tous parents. Les lignages matrilinéaires font que, même si vous êtes à Mayotte, vous êtes reconnu comme citoyen de tel ou tel village situé sur le territoire de la Grande Comore, où vous avez votre banc à l'église.

Et vous allez dire à ceux qui s'installent à Mayotte : maintenant on rallonge le délai pendant lequel vos familles n'ont pas le droit de venir vivre avec vous ? C'est une plaisanterie ! Ils essaieront, bien sûr, par tous les moyens de contourner cette mesure, car elle est absurde.

J'ai pris l'exemple de Mayotte, je pourrais poser la même question à nos collègues de la Guyane : croyez-vous que ce type de mesures soit de nature à empêcher les gens de franchir le fleuve ? Une fois qu'un individu sera passé et qu'il aura reçu ses papiers - car nous parlons de personnes en situation régulière - croyez-vous qu'il acceptera de se soumettre à de telles dispositions ? Nous n'avons aucune chance de parvenir à les faire appliquer.

Au demeurant, de telles mesures ont déjà été prises. En 2003, M. Pasqua a fait passer le délai d'un an à deux ans. Que s'est-il passé à ce moment-là ? Ensuite, M. Chevènement a ramené le délai de deux ans à un an. Quel bilan peut-on en tirer ?

M. le président. Je vous prie de conclure, monsieur Mélenchon.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je conclus, monsieur le président.

A-t-on observé entre les deux périodes des écarts de regroupements familiaux tels qu'ils justifient que l'on revienne à un délai intermédiaire qui n'est ni un an ni deux ans, mais dix-huit mois ?

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L'amendement n° 188 est présenté par M. Frimat, Mmes Alquier et  M. André, MM. Assouline,  Badinter,  Bel et  Bockel, Mmes Boumediene-Thiery et  Cerisier-ben Guiga, M. Collombat, Mme Demontès, MM. Dreyfus-Schmidt et  C. Gautier, Mmes Khiari et  Le Texier, MM. Mahéas,  Mermaz,  Peyronnet et  Sueur, Mme Tasca, M. Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

L'amendement n° 247 rectifié est présenté par MM. Delfau,  Baylet,  A. Boyer,  Collin et  Fortassin.

L'amendement n° 385 est présenté par Mmes Assassi,  Borvo Cohen-Seat,  Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour défendre l'amendement n° 188.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le ministre, votre première loi sur l'immigration a déjà introduit d'importantes restrictions au regroupement familial : la suppression de l'accès direct à la carte de résident, de nouveaux critères d'appréciation des ressources, l'accroissement des prérogatives du maire - renforçant l'arbitraire - la remise en cause du droit de vivre en France en famille et la sanction du regroupement familial « de fait ». Tout cela est inacceptable.

Le présent projet de loi vise à porter d'un an à dix-huit mois le délai de résidence régulière en France nécessaire pour demander à bénéficier du regroupement familial. Il ne s'agit là d'ailleurs que du dépôt du dossier ; ensuite la procédure est encore très longue.

Outre cette durée toujours plus longue, le projet de loi introduit une condition supplémentaire : le demandeur devra se conformer « aux principes qui régissent la République française ». Il s'agit d'une notion beaucoup trop vague, se prêtant à des interprétations diverses et divergentes.

Le texte ne précise pas qui aura compétence pour vérifier. La multiplication des critères subjectifs entraînera forcément des délais supplémentaires et une inflation inévitable du contentieux.

Par cet amendement, nous exprimons notre indignation face à cette restriction apportée au regroupement familial, qui est contraire à l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et nous vous demandons de la retirer.

M. le président. L'amendement n° 247 rectifié n'est pas soutenu.

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour défendre l'amendement n° 385.

Mme Josiane Mathon-Poinat. L'article 30 durcit un peu plus encore les conditions du regroupement familial, alors que la loi du 26 novembre 2003 a déjà procédé à des modifications importantes en ce sens.

C'est ainsi que, sous prétexte de mise en conformité de la législation interne avec le droit communautaire, la loi de 2003 a introduit les restrictions suivantes : suppression de l'accès direct à la carte de résident, nouveaux critères d'appréciation des ressources, accroissement des prérogatives du maire, remise en cause de l'autorisation de regroupement familial et sanction du regroupement familial de fait.

De telles restrictions ont conduit à diminuer fortement le nombre de regroupements familiaux dès 2004. Mais vous amplifiez encore le mouvement en allongeant le délai nécessaire pour pouvoir déposer la demande.

Ainsi, les étrangers relevant du régime général devront avoir séjourné régulièrement en France, sous couvert d'un titre de séjour d'un an, depuis au moins dix-huit mois au lieu de douze mois actuellement.

Cette mesure s'explique par votre volonté de dissuader les candidats au regroupement familial qui, à vous entendre, seraient légions.

Comme l'a dit notre collègue Jean-Luc Mélenchon, 25 420 familles seulement ont été regroupées en 2004, alors que l'on pouvait en attendre beaucoup plus. En 2000, le nombre de personnes venues dans le cadre du regroupement familial était de 21 404 et en 2002 de 27 267, ce qui pouvait laisser penser que ce chiffre se situerait aux alentours de 30 000 en 2004. Or la réalité est bien en deçà ; les chiffres sont en contradiction avec vos propos.

La procédure du regroupement familial étant déjà très longue - au minimum un an en préfecture, sans compter le délai pour obtenir le visa - une augmentation du délai ne se justifiait absolument pas.

Vous vous attaquez ainsi au droit fondamental de toute personne à mener une vie privée et familiale normale.

Comment pouvez-vous demander aux étrangers dont vous souhaitez utiliser la force de travail, aux étrangers que vous aurez « choisis », de s'intégrer si vous ne leur permettez pas de vivre avec leur famille, leur femme et leurs enfants ? Ne prenez-vous pas le risque de créer un nouveau contingent de sans-papiers ?

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Le passage de douze mois à dix-huit mois du délai en question vise tout d'abord à prendre en considération l'existence ou l'absence d'un premier renouvellement de la carte de séjour temporaire.

J'ajoute que cette disposition est conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel mais aussi au droit communautaire. Est-il utile de rappeler la directive du 22 septembre 2003 sur le regroupement familial, qui permet de porter ce délai jusqu'à vingt-quatre mois ?

La commission émet un avis défavorable sur les amendements nos 188 et 385.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en passant de douze mois à dix-huit mois le délai exigé avant toute demande de regroupement familial, l'article 30 ne méconnaît aucun principe de la Constitution - la disposition concernée a été reconnue conforme à celle-ci dans une décision du Conseil constitutionnel du 13 août 1993 ; elle est également en conformité avec la directive du 22 septembre 2003 sur le regroupement familial.

Cet allongement du délai exigé par la loi permet de réserver le regroupement familial à des étrangers déjà engagés dans un parcours d'intégration. À cet égard, je voudrais remercier M. Philippe Goujon d'avoir rappelé l'esprit du texte, qui vise tout d'abord à mieux accueillir les familles dans des conditions dignes.

Monsieur Mélenchon, je vous rappelle que, en 1996, 13 900 personnes sont entrées en France au titre du regroupement familial ; en 2005, elles étaient près de 23 000, soit presque le double.

Notre objectif aujourd'hui est d'accueillir dignement chacune de ces personnes. Malheureusement, nous avons pu constater, à l'occasion d'un certain nombre de drames survenus au cours des années écoulées, que tel n'était pas le cas. Nous voulons y remédier : il faut permettre à l'ensemble de celles et ceux que nous accueillons de pouvoir bénéficier de conditions décentes en matière de logement et de niveau de ressources.

Enfin, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, vous m'offrez toujours des occasions assez extraordinaires de vous répondre. Moi, qui suis méditerranéen, je sais ce que représente dans l'économie locale la culture des fruits et légumes...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il sait ce que c'est qu'une fraise !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Chez moi, en tout cas, cette activité est considérée comme un métier noble ! Je dois dire que bon nombre d'agriculteurs et de paysans de ma circonscription, de nationalité française, cultivent la fraise...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La fraise, c'est en Bretagne !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Certes, ils ne sont pas bac+18, mais je considère que le métier qu'ils exercent est tout aussi noble que d'autres ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Vous avez évoqué une nationalité, que je ne me permettrai pas de désigner parce que ce serait très discriminatoire à l'égard des citoyens issus de cette nation, en considérant que, parce qu'aucun citoyen français n'acceptait d'exercer cette profession et de procéder à cette activité, il fallait faire appel à des citoyens étrangers pour le faire, comme si ce n'était pas un métier suffisamment noble pour des citoyens français !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire !

MM. Bernard Frimat et Richard Yung. Elle n'a pas dit cela !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. C'est un métier aussi noble pour les Français que pour des étrangers.

Vous avez ainsi parlé de la culture de la fraise et vous aviez l'air de bien connaître une espèce cultivée dans le Loir-et-Cher. Nous savons qu'il y a trois espèces de fraises dans le monde...

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Il y en a trois cents !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Il y a trois cents variétés, mais trois espèces. La première est plus communément appelée fraise des bois ; on en trouve pas mal chez moi.

M. Jean-Luc Mélenchon. Les plants sont durs à acclimater !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Chez moi, ça pousse très bien, parce notre climat est idéal, monsieur Mélenchon. Avec des gens sereins, apaisés, équilibrés, tout cela ne pose aucune difficulté !

M. Jean-Luc Mélenchon. Attention, ce n'est pas le cueilleur qui fait la fraise !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Vous avez ensuite la grosse fraise sur tige courte et enfin la grosse fraise sur tige longue et montante.

Je pourrais vous parler de la Monstrueuse, de la Caennaise, de la Reine des vallées, de l'Alexandria, de la Sügen, de la Yellow, de la Wonder jaune, de la White Alpine, de l'Allstar, de la Big Red, de la Surecrop, de l'Ever Red, de l'Ozark Beauty, de la Pink Panda, de la Shortcake, de la Tristar, etc. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Voyez-vous, si vous êtes une grande connaisseuse de fraises, madame Cerisier, vous n'êtes pas la seule ! (Rires sur les travées de l'UMP.)

Nous nous sommes apparemment mal compris. Nous avons déjà abordé le problème spécifique que vous soulevez lors du débat sur l'article 12. Je répète que ceux qui ont le plus de compétences et de talents pour cultiver les fruits que vous évoquez, pour exercer cette profession, peuvent parfaitement, aux termes dudit article, revendiquer l'attribution d'une carte « compétences et talents ».

Vous aviez l'air de prétendre que l'article 12 exigeait un bac+18 pour obtenir une carte « compétences et talents ». Sachez que, si un étranger a le talent nécessaire pour entrer dans une entreprise agricole qui requiert une certaine expérience dans la cueillette du fruit auquel vous faisiez référence il y a quelques instants, justement, cet article 12 apporte une réponse parfaitement digne, qui était jusqu'à présent absente de la loi.

Des travailleurs manuels pourront prétendre à cette carte si leur projet présente un intérêt pour la France ou pour leur pays d'origine, puisqu'ils peuvent aussi venir parfaire leur expérience chez nous pour en faire ensuite profiter leur pays d'origine.

Donc, madame Cerisier-ben Guiga, vous étiez encore pleinement à côté du sujet en intervenant sur cet article 30.

Cela dit, j'émets évidemment un avis défavorable sur les amendements nos 188 et 385.

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.

M. Bernard Frimat. Monsieur le ministre, vous auriez pu dire à Mme Cerisier que lui parler de fraises, c'était déjà de votre part faire un bel effort d'ouverture ! (Sourires.)

Je voudrais revenir au sujet, si vous le permettez, même si votre intervention ne manquait pas de sel,... ce qui sur un tel sujet est assez piquant !

Quel est l'apport de cet article ? Il propose de substituer une durée de dix-huit mois à une durée de douze mois pour le délai de séjour minimal au terme duquel le regroupement familial peut intervenir. 

Pour vous, il y a une immigration subie qui résulte du regroupement familial. Vous avez allégué comme finalité à cet allongement le fait de nous permettre d'assurer un accueil décent. Mais ce n'est pas l'objet de l'article 30, même si cela vous a permis de féliciter notre collègue Goujon, ce dont je me réjouis pour lui ! Cet aspect fait l'objet de l'article 31.

Le seul apport de l'article 30 est d'allonger le délai de six mois. Je reconnais - mes connaissances mathématiques vont jusque-là - que 18 est inférieur à 24, et je vous en donne acte - Jean-Luc Mélenchon a rappelé les allers-retours déjà intervenus dans ce domaine -, mais cela signifie tout simplement que vous avertissez les étrangers qu'il sera encore plus difficile pour eux de faire venir leur famille.

C'est donc un message de fermeture que vous leur adressez, en cohérence avec l'esprit de cette loi, auquel nous ne souscrivons pas.

Vous avez le droit d'adopter cette position, mais assumez-la entièrement ! Reconnaissez les véritables motifs qui vous animent et qui ne relèvent pas du souci d'améliorer les conditions d'accueil ! Si vous dites à tous ceux qui examinent de près les débats que la finalité recherchée par le ministre d'État - que nous espérons en bonne santé, puisque cela fait un bon moment que nous ne l'avons pas vu -...

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je puis vous rassurer sur ce point !

M. Bernard Frimat. ... est d'améliorer l'accueil des étrangers, vous allez susciter une certaine indignation.

Cette loi est un artifice, un argument électoral. Elle ne règle aucunement la question de l'immigration et, vous le savez, elle ne sera jamais appliquée !

M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, pour explication de vote.

Mme Bariza Khiari. Avec cet article, monsieur le ministre, vous semblez partir d'un présupposé inexact, celui selon lequel la mise en place d'une immigration de travail choisie irait forcément de pair avec une limitation drastique de l'immigration familiale. Le problème de la France serait donc précisément cette immigration subie, que notre législation favoriserait trop.

L'image que vous tentez de populariser est celle d'une France menacée de toutes parts par l'arrivée de hordes d'intrus ! Si vous ne méconnaissez pas les principes constitutionnels - je vous en donne acte, effectivement vous auriez pu monter la barre à 23 mois -, vous flirtez néanmoins avec les limites de l'inconstitutionnalité.

Ce durcissement est une aberration qui se révélera de plus contre-productive au regard de vos objectifs affichés car, plus vous restreignez les possibilités de vie familiale normale pour les étrangers présents sur notre sol, plus vous favorisez l'immigration irrégulière et clandestine.

C'est la raison pour laquelle je vous invite, mes chers collègues, à voter avec nous cet amendement de suppression.

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.

M. Richard Yung. Mes collègues ont fait parler le coeur, ce qui est conforme à la tradition française. Pour ma part, je dirai simplement que cet article sera inefficace.

Tout d'abord, monsieur le ministre, vos chiffres sont contredits par ceux du rapport de notre excellent collègue François-Noël Buffet. Je lis, à la page 148, que les regroupements familiaux concernaient 27 267 personnes en 2002, 26 768 en 2003 et 25 420 en 2004. On observe donc déjà une tendance à la baisse avec le système actuel de regroupement familial.

Ensuite, le passage à dix-huit mois ne me paraît pas de nature à permettre un meilleur contrôle du regroupement familial. En quoi le fait d'opérer le regroupement familial à dix-huit mois au lieu de le faire à douze mois vous donnera-t-il la preuve de l'intégration de l'individu concerné et de sa famille ? Ces six mois supplémentaires ne sont pas de nature à apporter un éclairage quelconque.

En fait, cette mesure est purement bureaucratique, et le rapport le reconnaît : on attend l'échéance de la première période de douze mois et le renouvellement éventuel du titre de séjour pour lancer la procédure de regroupement familial.

Telle est la finalité de votre proposition : il ne s'agit pas de vérifier la meilleure intégration de l'étranger, dont vous n'avez cure, vous recherchez tout simplement le confort bureaucratique.

C'est pourquoi nous ne voulons pas de cet article !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le ministre, vous êtes peut-être expert en fraises, vous nous en avez apporté la démonstration (Sourires.), mais nous parlons ici d'êtres humains.

Comme mes collègues, j'éprouve des difficultés à distinguer le but que vous cherchez à atteindre avec les restrictions que vous apportez au regroupement familial. Nous sommes d'ailleurs en pleine contradiction, puisque vous affirmez par ailleurs que les étrangers qui viennent travailler dans notre pays doivent s'intégrer ; or, vous le savez très bien, le regroupement familial est un facteur d'intégration.

Il a été dit et redit que le nombre de personnes qui entrent en France au titre du regroupement familial est stable depuis un certain nombre d'années. Nous ne sommes plus à l'époque des premiers regroupements familiaux, qui touchaient jusqu'à 70 000 personnes par an : nous en sommes à une moyenne de 25 000, plutôt en baisse depuis sept à huit ans.

J'ai eu également l'occasion de rappeler dans mon intervention sur l'exception d'irrecevabilité que, contrairement aux rumeurs que l'on essaie de distiller en permanence, le nombre moyen de personnes par foyer ayant bénéficié du regroupement familial est de 1,67.

On connaît le discours sur les familles extrêmement nombreuses qui viendrait profiter de la manne française. Vous pouvez calculer : 1,67 cela veut dire pour certains foyers zéro, pour d'autres un couple, pour d'autres encore un enfant, deux enfants, etc. Il faut être très clair sur ce sujet. De quoi donc avez-vous peur ? Nous l'ignorons.

Au reste, le fait de pouvoir vivre en famille, le fait pour un enfant de pouvoir vivre avec ses parents, sont des droits fondamentaux, je dirais même universels. On peut donc se demander si, pour vous, les étrangers, les migrants qui viennent dans notre pays, relèvent bien de l'universel.

Permettez-moi de citer un extrait d'un texte émanant de créateurs et d'intellectuels - je vois tout de suite ce que vous allez dire - qui sont très hostiles à votre texte : « Nous affirmons une fois de plus qu'il est de la plus haute importance de considérer que tous les gens sont comme nous, et que ce principe ne doit pas être remis en cause ».

Par conséquent, n'usez pas d'artifices, s'il vous plaît ! Quelles que soient vos arguties, la réalité est là : le regroupement familial n'a rien à voir avec une invasion barbare.

Par ailleurs, je le répète, le droit à vivre en famille est un droit universel. Or toutes les entraves que vous tentez sans cesse de mettre en place sous des prétextes divers visent en fait à dénier aux migrants le droit de vivre en famille.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 188 et 385.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 30.

(L'article 30 est adopté.)

Article 30
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration
Article 31 bis

Article 31

L'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est ainsi modifié :

1° La deuxième phrase du 1° est complétée par les mots : « et des allocations prévues à l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'article L. 815-1 du code de la sécurité sociale et aux articles L. 351-9, L. 351-10 et L. 351-10-1 du code du travail » ;

1° bis   Le 1° est complété par les mots : « modulé par décret selon la composition de la famille » ;

1° ter   Dans le 2°, les mots : « comparable vivant en France » sont remplacés par les mots : « de taille comparable dans la même région » ;

2° Il est ajouté un 3° ainsi rédigé :

« 3° Le demandeur ne se conforme pas aux principes qui régissent la République française. »

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, sur l'article.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je voudrais tout d'abord indiquer à M. le ministre que, malheureusement, je n'ai pas bien compris la réponse qu'il m'a faite voilà un instant, selon laquelle la disposition de l'article 30 visant à porter à dix-huit mois le délai de présence sur le sol français au terme duquel un étranger peut demander à bénéficier du regroupement familial aurait pour objet d'améliorer les conditions d'accueil des familles étrangères. Je n'ai aucune raison de douter de la sincérité de vos intentions et je ne crois pas un instant que vous vouliez que la France accueille mal les familles étrangères, mais quelle est l'amélioration permise par une telle mesure ?

Si je pose cette question, c'est naturellement sans aucune innocence : cette disposition me semble être, comme bien d'autres de ce texte, de nature idéologique, à visée d'affichage et dépourvue de toute portée concrète.

De même, l'article 31 comporte plusieurs mesures dont je me demande comment elles pourraient être appliquées autrement que de façon arbitraire.

Ainsi, il est prévu que le demandeur du regroupement familial devra justifier d'un certain niveau de ressources. Cela pourrait sembler, a priori, assez naturel. Cependant, essayons de partir de la conception de Mme Borvo Cohen-Seat, que je partage totalement, selon laquelle les autres sont nos semblables.

À ce propos, je signale à ceux d'entre vous, mes chers collègues, qui s'intéressent à l'histoire des idées populaires, que les paysans de Champigney ont élaboré le premier texte public de France contenant cette notion. Ces braves gens y affirmaient que les Noirs étaient leurs semblables, bien qu'ils n'en aient jamais vu, et qu'ils n'acceptaient pas qu'ils soient maltraités. Pour la première fois, l'autre était désigné comme « notre semblable », et non pas comme « autrui » ou « notre prochain ».

Quoi qu'il en soit, partons de cette idée que les étrangers sont nos semblables. Si l'on décidait qu'il est nécessaire de gagner au moins deux fois le SMIC, hors allocations familiales et minima sociaux, pour avoir le droit de vivre avec sa famille, combien de personnes, dans notre pays, ne rempliraient pas cette condition ? Eu égard au niveau du salaire médian, le chiffre risquerait d'être considérable !

M. Jean-Luc Mélenchon. On se demande d'ailleurs pourquoi les minima sociaux sont visés alors que, par définition, les ressources de leurs bénéficiaires sont inférieures au plancher défini par la loi actuellement en vigueur.

J'ajouterai que notre pays compte tout de même 7 millions de pauvres, en particulier 2 millions de travailleurs pauvres. Dans ces conditions, à quoi bon augmenter ce nombre en accordant le bénéfice du regroupement familial aux étrangers pauvres, me dira-t-on ? C'est certes un point de vue, mais, pour ma part, je considère la question sous le seul angle qui doit nous importer, me semble-t-il, celui de l'humanité.

En quelque sorte, en plus d'être pauvres, il faudrait que les intéressés n'aient ni famille, ni conjoint, ni enfants, leur pauvreté les rendant indignes de vivre dans des conditions humaines ! Pourtant, s'ils sont nos semblables, ils ont le droit de vivre en famille, quand bien même seraient-ils pauvres au regard d'un plancher de ressources qui, en réalité - relativisons les choses ! -, est supérieur au salaire médian dans ce pays. On en demande donc plus aux étrangers qu'aux autres, ce qui revient à leur signifier que l'on ne veut pas d'eux ni de leurs familles.

Par ailleurs, l'article 31 comporte une autre disposition, totalement arbitraire : il est prévu que le regroupement familial pourra être refusé au demandeur ne se conformant pas aux principes qui régissent la République française. Qu'est-ce que cela signifie ? C'est le flou absolu, or le flou, c'est toujours l'arbitraire. En effet, qui va juger qu'une personne respecte ou non les principes régissant la République française ? Le maire de la commune de résidence. La question que je soulève n'est pas du tout idéologique, sa portée est au contraire tout à fait concrète : de quoi s'agit-il au juste ?

En fait, prévoir que celui qui ne se conforme pas aux principes qui régissent la République française n'aura pas le droit de faire venir sa famille auprès de lui constitue une sorte de stigmatisation, car on lui infligera ainsi une sorte de sanction. Cela pose tout de même un problème.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le sénateur.

M. Jean-Luc Mélenchon. Il faut bien préciser les choses : celui qui ne se conforme pas aux principes de la République française commet un délit et, quand on commet un délit, on est condamné ; mais cette condamnation ne peut pas être de vivre sans sa famille. Cette peine n'existe pas.

M. le président. Votre temps de parole est écoulé, monsieur Mélenchon.

M. Jean-Luc Mélenchon. Dans un tel cas, on est condamné à des peines prévues par la loi et dont le prononcé relève de la justice.

Je n'irai pas plus loin, car mon temps de parole est épuisé et je risquerais d'abuser de la patience de notre président, qui est pourtant immense !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Vous n'avez sans doute pas eu le temps de lire le rapport de la commission des lois, monsieur Mélenchon.

En effet, cette dernière a estimé, comme elle l'avait déjà fait en 2003, qu'il n'y a pas lieu d'établir de distinction, s'agissant des ressources, entre la situation des familles étrangères et celle des familles françaises. Par conséquent, s'il est considéré qu'un revenu égal au SMIC permet à une famille française de vivre dans des conditions acceptables, il en va de même pour une famille étrangère.

La commission des lois proposera donc de supprimer la disposition introduite à l'Assemblée nationale prévoyant que le seuil minimal de ressources pourra être « modulé par décret selon la composition de la famille », qui ne figurait pas dans la rédaction initiale présentée par le Gouvernement. Il fallait tout de même le préciser. Je le répète, le Sénat avait déjà adopté une telle position lors de l'examen du projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France, sur l'initiative du rapporteur de l'époque. (M. Jean-Luc Mélenchon approuve.)

Je tenais à vous rassurer sur ce point, monsieur Mélenchon, car il peut arriver que les travaux de la commission se révèlent utiles, à moins que l'on ne veuille faire totalement abstraction de l'évolution du débat.

En tout état de cause, la commission des lois maintient la position qui avait été la sienne en 2003, même si la directive 2003/86/CE autorise les États membres à moduler le plancher de ressources en fonction de la composition de la famille.

Par ailleurs, un autre amendement de la commission visera à modifier la rédaction actuelle du texte, afin de rendre plus objectifs les critères d'intégration du demandeur du regroupement familial.

Sur ce point aussi, il me semble souhaitable, en abordant l'examen de l'article 31, de tenir compte des travaux de la commission.

M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga, sur l'article.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le ministre, si je n'étais pas une femme d'un âge certain - et non pas seulement d'un certain âge ! - et si je n'avais pas l'habitude, depuis plus de soixante ans, que l'on comprenne parfaitement bien, semble-t-il, ce que je dis, je commencerais à m'inquiéter de mon état mental. Cela étant, le phénomène de réfraction qui se manifeste depuis quelques instants dans l'air de notre hémicycle est trop insolite pour que je m'arrête plus longtemps à de telles craintes...

Monsieur le ministre, il n'est pas vrai qu'il s'agit de mieux accueillir des familles étrangères ; il s'agit d'empêcher le plus grand nombre possible d'entre elles de venir en France. En effet, aucune mesure favorable à l'intégration des familles étrangères n'apparaît dans ce texte.

Ainsi, les conditions de ressources prévues, même si elles doivent être modifiées comme l'a indiqué M. Hyest, excèdent les possibilités de la majorité des familles ouvrières françaises. Quelle ouvrière d'une usine d'abattage de volailles de l'Ouest - vous et moi en connaissons un certain nombre, monsieur le président - pourrait satisfaire aux conditions de ressources imposées aux travailleurs étrangers pour pouvoir vivre avec leurs enfants ? Il n'y en a pas !

Dans nos petites villes de l'Ouest - je ne connais pas beaucoup le reste de la France, mais je connais bien cette région -, le SMIC est le salaire plafond, et pas du tout le salaire plancher. C'est d'ailleurs un salaire qui est très rarement atteint, surtout pour les femmes.

Par conséquent, il est faux de prétendre comme vous le faites, monsieur le ministre, que vous entendez tout faire pour mieux accueillir les familles étrangères et mieux intégrer les migrants.

À cet instant, je voudrais revenir sur l'expérience que je n'ai pu évoquer tout à l'heure.

Voilà une dizaine d'années, les entreprises françaises qui délèguent à l'étranger des cadres, des techniciens, des ingénieurs trouvaient qu'il coûtait très cher d'y envoyer également leurs familles. Elles ont alors décidé de n'affecter à l'étranger que des jeunes célibataires, mais, au bout de quelques années, elles se sont aperçu que la productivité de ces derniers était très inférieure à celle des hommes qui s'expatriaient avec femmes et enfants. En effet, en dehors du travail, les jeunes célibataires s'ennuyaient et, entre les distractions et les vagabondages de toute sorte, leur productivité se trouvait sérieusement entamée. Finalement, depuis quelque temps, les entreprises en reviennent les unes après les autres à l'expatriation avec femmes et enfants.

On m'objectera qu'il s'agit là de personnes aisées, mais, que l'on soit riche ou pauvre, la présence d'une famille est de toute manière un facteur considérable d'intégration dans le pays où l'on se trouve. C'est aussi un facteur d'équilibre psychologique, essentiel au maintien de la productivité du travailleur, si l'on veut ne le considérer que sous cet angle.

Or le regroupement familial est organisé comme une course d'obstacles : on allonge le fossé à sauter, en portant à dix-huit mois au lieu de douze le délai nécessaire avant de pouvoir présenter une demande ; on relève la haie, en imposant que le demandeur justifie de revenus de plus en plus élevés. On va ainsi compliquer le plus possible le parcours d'obstacles, pour éviter que les familles ne viennent en France.

Tel est bien, en effet, l'objectif visé. On nous dit d'ailleurs très clairement, dans les postes diplomatiques, que c'est la volonté du Gouvernement.

Pour ma part, j'affirme que les familles des étrangers vivant en France, qu'ils soient Turcs, Tunisiens, Marocains ou Maliens, ne sont pas une nuée de sauterelles s'abattant sur notre pays. Leurs membres sont des travailleurs, actuels ou futurs, qu'ils cueillent des fraises, qu'ils creusent des fossés ou qu'ils gardent nos enfants.

M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, sur l'article.

Mme Bariza Khiari. Les propos qu'a tenus M. Hyest m'amènent à renoncer à prendre la parole sur l'article, monsieur le président. J'attends avec impatience d'entendre l'avis du Gouvernement sur les amendements de la commission ; je m'exprimerai ensuite pour explication de vote.

M. le président. Je suis saisi de douze amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

Les trois premiers sont identiques.

L'amendement n° 189 est présenté par M. Frimat, Mmes Alquier et  M. André, MM. Assouline,  Badinter,  Bel et  Bockel, Mmes Boumediene-Thiery et  Cerisier-ben Guiga, M. Collombat, Mme Demontès, MM. Dreyfus-Schmidt et  C. Gautier, Mmes Khiari et  Le Texier, MM. Mahéas,  Mermaz,  Peyronnet et  Sueur, Mme Tasca, M. Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

L'amendement n° 248 rectifié est présenté par MM. Delfau,  Baylet,  A. Boyer,  Collin et  Fortassin.

L'amendement n° 386 est présenté par Mmes Assassi,  Borvo Cohen-Seat,  Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour présenter l'amendement n° 189.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Aujourd'hui, l'immigration familiale représente plus de 65 % de l'ensemble des flux migratoires, puisque, depuis 1974 et la fermeture des frontières, elle constitue pour beaucoup d'étrangers le seul moyen de venir vivre légalement sur le territoire français.

À vos yeux, ces familles représentent une immigration subie. « Immigration subie », « immigration choisie », ces termes sont pour nous irrecevables : les immigrés ne sont pas de la marchandise. Ce que nous voulons, c'est une immigration réussie.

Le regroupement familial étant pour vous une immigration subie, votre projet de loi tend à modifier les conditions de ressources et de logement exigées d'un étranger pour en faire bénéficier sa famille. Il prévoit également d'imposer une nouvelle condition relative au respect par le demandeur des « principes qui régissent la République française ».

Je ne reviendrai pas en détail sur ces conditions que vous avez durcies. Elles sont tout à fait contraires aux principes posés par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui portent sur le droit au respect de la vie privée et familiale.

Pour cette raison, nous vous demandons une nouvelle fois, mes chers collègues, de supprimer cet article, dont les dispositions peuvent être considérées comme contraires à la Convention, la France pouvant être condamnée de ce chef par la Cour européenne des droits de l'homme.

M. le président. L'amendement n° 248 rectifié n'est pas soutenu.

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour présenter l'amendement n° 386.

Mme Josiane Mathon-Poinat. L'article 31 prévoit de nouveaux critères d'appréciation des ressources du demandeur, certains d'entre eux ayant d'ailleurs été introduits par l'Assemblée nationale.

Tout d'abord, seraient exclus des prestations familiales entrant dans le calcul des ressources, le RMI, l'allocation temporaire, l'allocation supplémentaire d'attente, et l'allocation équivalent retraite. Le demandeur devra donc désormais justifier de ressources propres bien plus élevées que maintenant. L'idée sous-jacente est que le demandeur utilise les diverses prestations sociales existantes pour faire venir sa famille et qu'il « profite » de notre système social : c'est parfaitement intolérable.

Ensuite, il est prévu que le seuil minimum de ressources actuellement prévu pourrait être modulé par décret selon la composition de la famille. Cette disposition, introduite par l'Assemblée nationale, n'est pas nouvelle car elle figurait déjà dans l'avant-projet de loi. Sur cette question, nous ne pouvons que rejoindre la position de la commission des lois, rappelée par M. Hyest, qui proposait de supprimer cette modulation.

Ces deux remarques confortent le constat que nous avons dressé de l'atteinte portée aux droits des étrangers à mener une vie familiale normale. Nous vous engageons donc, mes chers collègues, à supprimer cet article.

M. le président. L'amendement n° 190, présenté par M. Frimat, Mmes Alquier et  M. André, MM. Assouline,  Badinter,  Bel et  Bockel, Mmes Boumediene-Thiery et  Cerisier-ben Guiga, M. Collombat, Mme Demontès, MM. Dreyfus-Schmidt et  C. Gautier, Mmes Khiari et  Le Texier, MM. Mahéas,  Mermaz,  Peyronnet et  Sueur, Mme Tasca, M. Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Supprimer le 1° de cet article.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. L'article 31 modifie également les conditions de logement. Actuellement, le demandeur doit disposer, ou être en mesure de disposer, au moment où la famille va arriver, « d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant en France ». Un décret du 17 mars 2005 fixe une superficie de 16 mètres carrés pour deux personnes, de 9 mètres carrés par personne supplémentaire jusqu'à huit et de 5 mètres carrés au-delà. Le projet de loi ne modifiait pas ces règles. C'est l'Assemblée nationale qui a introduit une disposition précisant que l'étranger devrait disposer à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement dont les caractéristiques seront définies au niveau régional par décret.

Il faut s'interroger sur la constitutionnalité de cette mesure par rapport au principe d'égalité. S'agissant précisément du regroupement familial, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 13 août 1993, avait fait application de ce principe pour censurer une distinction envisagée dans le bénéfice de ce droit entre les étrangers ayant la qualité d'étudiants et les autres. L'article 31 va à l'encontre de cette décision : en quoi un logement considéré comme digne et salubre dans une région ne le serait-il pas dans une autre ? Quels motifs pourraient justifier la prise en compte de la disparité du marché foncier ?

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 42 est présenté par M. Buffet, au nom de la commission.

L'amendement n° 191 est présenté par M. Frimat, Mmes Alquier et  M. André, MM. Assouline,  Badinter,  Bel et  Bockel, Mmes Boumediene-Thiery et  Cerisier-ben Guiga, M. Collombat, Mme Demontès, MM. Dreyfus-Schmidt et  C. Gautier, Mmes Khiari et  Le Texier, MM. Mahéas,  Mermaz,  Peyronnet et  Sueur, Mme Tasca, M. Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer le 1° bis de cet article.

La parole est à M. le rapporteur.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement, évoqué tout à l'heure par le président Hyest, tend à supprimer la possibilité, introduite par l'Assemblée nationale, de moduler la condition de ressources exigée du demandeur au regroupement familial en fonction de la composition de sa famille.

Lors de la discussion de la loi du 26 novembre 2003, le Sénat avait pris sur ce point une position que la commission souhaite confirmer. Le SMIC est considéré comme suffisant pour assurer un niveau de vie correct aux Français, quelle que soit la composition de leur famille ; il doit en être de même pour les étrangers.

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour présenter l'amendement n° 191.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 192, présenté par M. Frimat, Mmes Alquier et  M. André, MM. Assouline,  Badinter,  Bel et  Bockel, Mmes Boumediene-Thiery et  Cerisier-ben Guiga, M. Collombat, Mme Demontès, MM. Dreyfus-Schmidt et  C. Gautier, Mmes Khiari et  Le Texier, MM. Mahéas,  Mermaz,  Peyronnet et  Sueur, Mme Tasca, M. Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Supprimer le 1°ter de cet article.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. C'est un amendement de repli tendant à supprimer la modulation régionale de l'appréciation du logement. Nous considérons, bien entendu, qu'il ne peut pas y avoir de disparités entre les régions : les conditions de logement doivent être les mêmes partout.

M. le président. L'amendement n° 86, présenté par M. Courtois et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :

À la fin du quatrième alinéa (1° ter) de cet article, remplacer les mots :

« de taille comparable dans la même région »

par les mots :

« comparable vivant dans la même région géographique ».

La parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. L'exigence d'un logement considéré comme normal témoigne de la volonté de voir l'étranger accueillir sa famille dans des conditions décentes, afin que tous ses membres puissent mener en France une existence non précaire.

Les conditions de logement doivent s'apprécier désormais dans un contexte local et non plus national. La situation est très différente entre les grandes villes et certaines parties du territoire.

Cet amendement tend à préciser la rédaction retenue par l'Assemblée nationale. La directive européenne du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial prévoit que la condition de logement à laquelle est soumis l'étranger demandant à faire venir sa famille peut être appréciée au regard des réalités locales. Il s'agit d'apprécier si le logement correspond à celui d'une famille comparable par sa taille et sa composition vivant dans la même région. Est concernée la région géographique et non la région administrative du droit français.

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L'amendement n° 43 est présenté par M. Buffet, au nom de la commission.

L'amendement n° 193 est présenté par M. Frimat, Mmes Alquier et  M. André, MM. Assouline,  Badinter,  Bel et  Bockel, Mmes Boumediene-Thiery et  Cerisier-ben Guiga, M. Collombat, Mme Demontès, MM. Dreyfus-Schmidt et  C. Gautier, Mmes Khiari et  Le Texier, MM. Mahéas,  Mermaz,  Peyronnet et  Sueur, Mme Tasca, M. Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

L'amendement n° 387 est présenté par Mmes Assassi,  Borvo Cohen-Seat,  Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer le 2° de cet article.

La parole est à M. le rapporteur.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Le 2° de l'article 31 institue une condition nouvelle pour qu'un étranger puisse bénéficier d'une mesure de regroupement familial : il faut qu'il respecte les « principes qui régissent la République française ».

La commission estime qu'il est justifié de soumettre le regroupement familial à des conditions. Toutefois, la formulation retenue par le présent article ne lui semblait pas faire appel à des éléments suffisamment objectifs. C'est pourquoi elle avait déposé un amendement de suppression.

Après le dépôt de l'amendement n° 240 rectifié par notre collègue Courtois, elle a été conduite à modifier sa position. En effet, cet amendement substitue à la notion de « principes qui régissent la République », celle de « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ». Cette notion est connue et bien circonscrite juridiquement. La commission l'estime donc suffisamment objective pour conditionner le bénéfice d'une mesure de regroupement.

Aussi a-t-elle décidé de retirer le présent amendement au bénéfice de l'amendement n° 240 rectifié.

M. le président. L'amendement n° 43 est donc retiré.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour présenter l'amendement n° 193.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Il s'agit d'un amendement de repli tendant à supprimer la disposition rendant impossible une demande de regroupement familial à celui qui « ne se conformerait pas aux principes qui régissent la République française » et qui, de ce fait, ne pourrait même pas obtenir de carte de résident en France. Cette mesure est donc absurde dans son principe.

En outre, elle est tellement floue qu'elle ne pourrait être qu'une source d'arbitraire et de discrimination. Qui contrôlerait cette condition ? Quels seraient les critères de l'évaluation ?

M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour présenter l'amendement n° 387.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Je souhaite faire une première remarque sur le caractère particulièrement flou de cette notion de « principes qui régissent la République française ». On peut même se demander s'il s'agit du simple respect de la devise de la France.

La commission des lois a émis quelques réserves à son égard, mais je ne suis pas tout à fait satisfaite par la formulation proposée dans l'amendement n° 240 rectifié. Il restera toujours dans l'application de cette mesure un aspect discrétionnaire et aléatoire, forcément préjudiciable.

Par ailleurs, multiplier les critères d'appréciation de l'intégration des étrangers dressera forcément devant eux des barrières de plus en plus difficiles à surmonter.

Pour toutes ces raisons, nous maintenons notre amendement.

M. le président. L'amendement n° 240 rectifié, présenté par MM. Courtois,  Dassault,  Karoutchi,  Goujon,  Peyrat et  Cambon, Mme Procaccia et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :

Après les mots :

aux principes

rédiger ainsi la fin du texte proposé par le 2° de cet article pour le 3° de l'article L. 411-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

fondamentaux reconnus par les lois de la République.

La parole est à M. Roger Karoutchi.

M. Roger Karoutchi. Comme le disait M. Mélenchon tout à l'heure, on peut débattre longuement des « principes qui régissent la République ». On peut d'ailleurs ne pas être d'accord sur ces principes. En revanche, personne ne peut contester la formulation acceptée par le Conseil constitutionnel, précisée par sa jurisprudence, et qui, par conséquent, s'impose à tous : « les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ».

La formule est claire et simple. Chacun peut consulter les avis du Conseil constitutionnel qui, à plusieurs reprises, a expliqué ce que cette expression signifie. Par conséquent, elle s'impose à tous dans la République, notamment en ce qui concerne la liberté de conscience ou la liberté individuelle.

Cet amendement est donc de nature à rassurer ceux que le côté peut-être trop vague de l'expression initialement retenue inquiétait.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Si la commission est hostile à certaines des conditions nouvellement instituées pour obtenir une autorisation de regroupement, elle est en revanche favorable à ce que ne soient pas prises en compte certaines prestations sociales pour le calcul des ressources du demandeur et à ce que le logement soit apprécié en fonction des caractéristiques locales. Or les amendements de suppression nos 189 et 386 supprimeraient évidemment ces deux modifications. La commission y est donc défavorable.

La commission est également défavorable à l'amendement n° 190. Elle souhaite que soient essentiellement prises en compte les ressources provenant du travail et du patrimoine du demandeur et non les prestations sociales qu'il peut recevoir par ailleurs.

La commission est, de même, défavorable à l'amendement n° 192 : il lui paraît pertinent de prendre en compte la situation locale du logement, compte tenu de la disparité d'attractivité des différents territoires.

Sur l'amendement n° 86, l'avis de la commission est favorable. Le recours à la notion de région géographique permet de mieux prendre en compte les caractéristiques locales.

L'amendement n° 193 devrait être retiré car l'amendement n° 240 rectifié devrait satisfaire ses auteurs. J'ai cru comprendre que ce n'était pas le cas. Dans ces conditions, l'avis de la commission est défavorable. Il en va de même pour l'amendement identique n° 387.

Quant à l'amendement n° 240 rectifié, la commission y est favorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je voudrais d'abord rappeler que la réforme de la procédure de regroupement familial doit obéir à deux exigences : respecter les principes - il n'est aucunement question de méconnaître le droit légitime d'un étranger installé régulièrement dans notre pays à vivre normalement en famille -, mais aussi faire preuve de pragmatisme.

Trois problèmes se posaient, que l'article 31 permet de régler : le niveau des ressources, les conditions de logement et l'absence de toute exigence relative au respect des principes républicains.

Premièrement, on ne peut pas intégrer sa famille si on ne vit pas soi-même de ses ressources propres. Aujourd'hui, il faut avoir un revenu égal au SMIC, soit 8 euros brut par heure, 1300 euros par mois, pour faire venir sa famille. Les allocations familiales ne sont d'ores et déjà pas incluses dans le calcul du revenu. Mais les autres allocations sociales, comme le RMI ou l'allocation de solidarité spécifique, le sont. C'est une erreur à laquelle il faut remédier, tout en maintenant bien sûr l'allocation adulte handicapé dans le calcul. Il n'est pas question de l'en retirer.

L'Assemblée nationale est allée plus loin en prévoyant que le seuil des ressources pouvait varier selon la composition de la famille. La Haute Assemblée a raison de s'interroger sur cette modulation qui ne va pas de soi. Elle est permise, il est vrai, par la directive européenne du 22 septembre 2003, mais il semble au Gouvernement, tout comme il a semblé à la commission des lois, que nous devons rester raisonnables dans ce domaine.

Deuxièmement, s'agissant du logement, la loi actuelle est en apparence adaptée. Il paraît normal d'exiger de l'étranger qu'il puisse faire vivre sa famille dans un logement comparable à ceux dans lesquels habitent communément les familles vivant en France. Dans les faits, son application est parfois totalement absurde.

Un décret du 6 juillet 1999, confirmé par un décret du 17 mars 2005, définit des normes de surface selon lesquelles une famille de sept personnes peut être accueillie dans 61 mètres carrés, soit 8,71 mètres carrés par personne !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Une chambre pour les filles, une chambre pour les garçons !

Mme Catherine Tasca. Beaucoup de Français vivent ainsi !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Nous considérons qu'il n'est pas digne d'accueillir des étrangers dans 8,71 mètres carrés ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat proteste.)

Pour sortir de cette impasse, l'Assemblée nationale a opportunément proposé de tenir compte des réalités locales et de s'inspirer d'exemples européens.

Vous dénoncez des initiatives du Gouvernement qui, selon vous, dépasseraient toutes les normes connues dans les grandes démocraties : nous ne faisons que nous inspirer d'exemples européens que vous vous êtes bien privés de dénoncer ! Les préfets pourront exiger, après avis des maires, que l'étranger ait un logement considéré comme normal pour une famille comparable dans la même zone géographique.

Chacun peut aisément en comprendre la raison. Il existe d'énormes disparités dans notre pays en matière de coût du foncier, de loyers, de disponibilité du logement sur le marché ; le Sénat de la République, dans sa diversité, peut en témoigner. Le fait de fixer une norme unique ne correspond pas à la réalité.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Il faut donc que la loi offre une possibilité de modulation. La directive européenne sur le regroupement familial permet cette souplesse que la loi actuelle interdit.

Troisièmement, je veux parler de l'exigence de respect des principes républicains. Pouvons-nous accepter que le regroupement familial soit accordé uniquement en fonction de critères de ressources et de logement ? Comment peut-on intégrer sa famille si l'on n'est pas soi-même intégré, monsieur Mélenchon ? (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe.) N'est-il pas nécessaire de s'assurer que la personne qui demande à être rejointe par sa famille est bel et bien engagée sur le chemin de l'intégration, madame Borvo Cohen-Seat ? (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

Personne ne songe à exiger du demandeur du regroupement familial qu'il maîtrise déjà le français ! C'est au moment de délivrer la carte de résident, c'est-à-dire après cinq années de séjour en France, que l'on vérifiera s'il a engagé son parcours d'intégration et s'il maîtrise, au moins en partie, notre langue, à l'oral ou à l'écrit. Le demandeur du regroupement familial, présent en France depuis dix-huit mois, peut, lui, ne pas avoir atteint, à ce stade, une maîtrise correcte de notre langue. En revanche, il est tout à fait normal d'exiger de lui un comportement conforme à nos principes républicains.

En conséquence, le Gouvernement est défavorable aux amendements identiques nos 189 et 386, ainsi qu'à l'amendement n° 190.

Les amendements identiques nos 42 et 191 concernent la modulation des ressources en fonction de la taille de la famille. Cette disposition a été introduite par l'Assemblée nationale, sur l'initiative du groupe UDF, et défendue par Nicolas Perruchot et Jean-Christophe Lagarde. La Haute Assemblée propose de revenir à la rédaction initiale du Gouvernement. Le plafonnement de la modulation de ressources entre 1 et 1,5 SMIC, par exemple, pourrait faire l'objet d'un accord en commission mixte paritaire. Dans l'immédiat, le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

Il est, en revanche, défavorable à l'amendement n° 192.

Le Gouvernement approuve l'amendement de précision n° 86 : il s'agit bien, monsieur Goujon, d'une région géographique et non pas administrative.

Il a émis un avis défavorable sur les amendements identiques nos 193 et 387.

Enfin, le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 240 rectifié.

Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République constituent en effet une catégorie objective bien connue des juristes. Celle-ci est explicitement définie par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Elle comprend des principes qui sont le bien commun de notre République, comme la liberté individuelle, la liberté d'enseignement, la liberté de conscience.

Concrètement, cette condition de conformité aux principes fondamentaux de notre République permettra au préfet, par exemple, de refuser le regroupement familial à un étranger qui affirmerait qu'il n'a aucune intention de scolariser ses enfants ou qu'il souhaite cloîtrer sa femme à domicile. Vous voilà donc rassuré, monsieur Mélenchon, puisque je réponds par là à votre question.

Monsieur le sénateur, le parcours d'intégration exige un délai afin de démontrer que l'étranger installé en France a réellement la volonté de respecter son engagement et d'obtenir, au bout de cinq ans, un contrat d'accueil et d'intégration. Le passage de douze à dix-huit mois permettra de vérifier s'il satisfait à l'ensemble des conditions qui démontrent qu'il est parfaitement engagé dans son parcours d'intégration. Dix-huit mois est un délai minimal. À ce moment-là, il aura déjà bénéficié d'un renouvellement de sa carte de séjour, dont la durée est de douze mois.

Monsieur Mélenchon, vous avez vous-même indiqué qu'un étranger qui ne respecte pas les principes républicains, qui donc a commis un délit, doit être sanctionné.

Concrètement, je l'ai dit, le préfet refusera le regroupement familial à un étranger affirmant qu'il n'a aucune intention de scolariser ses enfants ou qu'il souhaite cloîtrer sa femme à domicile. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Le groupe socialiste est en train d'expliquer que l'étranger qui affirme clairement :...

M. Bernard Frimat. Attention, vous allez dire une bêtise ! (Sourires.)

M. Jean-Luc Mélenchon. Calmez-vous, monsieur le ministre !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. ...« Je veux faire venir ma famille, mais je ne veux pas que mes enfants soient scolarisés »...

Mme Catherine Tasca. Quel cinéma ! C'est vous qui inventez ce scénario !

M. Bernard Frimat. Arrêtez cette pantalonnade ! C'est inadmissible !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Ce qui est inadmissible, c'est que vous refusiez de m'écouter !

M. le président. Veuillez écouter le ministre, mes chers collègues !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Monsieur Frimat, admettez-vous qu'un étranger qui fait venir sa femme en France refuse que celle-ci ait le visage découvert sur ses papiers d'identité ?

M. Bernard Frimat. Ne travestissez pas nos propos !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Ne considérez-vous pas que l'étranger qui fait venir sa femme doit accepter que celle-ci soit examinée par n'importe quel médecin, fût-il un homme ? (Brouhaha sur l'ensemble des travées.)

Voilà ce que nous exigeons d'un étranger afin que sa famille puisse être admise au titre du regroupement familial ! Voilà les principes républicains dont nous demandons le respect ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Bernard Frimat. C'est ridicule !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Nous sommes insultés !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Démagogie et populisme !

M. le président. Gardons notre sérénité dans ce débat, mes chers collègues !

M. Bernard Frimat. Dites-le au ministre !

M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 189 et 386.

Mme Bariza Khiari. Nous pouvons difficilement laisser passer les propos outranciers de M. le ministre, qui a manifestement dérapé. Nous ne serions pas républicains ? Vous avez déformé nos propos, et vous le savez bien !

Mais revenons-en au texte. L'article 31 alourdit encore les conditions de ressources nécessaires pour que la demande de regroupement familial soit recevable. Allez-vous enfin comprendre que, pour nous, le regroupement familial est un droit fondamental et non pas un droit accessoire, subordonné à des ressources financières ou à des mètres carrés ?

Votre analyse repose sur le postulat que les étrangers qui font venir leur famille en France doivent pouvoir la faire vivre de leur seul travail. Je poserai une simple question : combien de familles françaises vivent-elles en partie grâce à l'apport des minima sociaux ? Allez-vous interdire aux RMIstes de se marier parce qu'ils ne pourraient pas faire vivre une famille ?

En fait, votre raisonnement repose implicitement sur l'idée que les étrangers feraient venir leur famille en France pour les faire vivre grâce aux différentes prestations sociales. Vous ne l'admettez pas, mais c'est bien cette idée qui guide les dispositions que vous voulez prendre sur le regroupement familial.

Ces dispositions ne seront malheureusement d'aucune utilité pour la France tout en privant de nombreux étrangers de leur famille.

Vous imposez aux demandeurs de regroupement familial de justifier de leur respect des principes de la République. Nous sommes des républicains, aussi sommes-nous tout à fait d'accord avec cette disposition, heureusement améliorée par M. Karoutchi.

Mais qui évaluera ce respect, monsieur le ministre ? Encore une fois, vous laissez à l'administration une marge de manoeuvre discrétionnaire pour refuser l'admission au séjour des étrangers. Ce critère d'intégration est parfaitement arbitraire, d'autant que les étrangers dont nous parlons auront déjà signé à leur arrivée un contrat d'accueil et d'intégration.

Avec toutes ces contraintes qui pèsent sur l'étranger, le Gouvernement et la majorité sont en train d'inventer l'immigré sans famille. Il est vrai qu'un homme seul, réduit à sa force de travail, est bien plus conforme à votre idéologie qu'une famille souhaitant s'installer durablement en France et s'intégrant pleinement à notre société.

C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je vous invite à adopter cet amendement de suppression.

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.

M. Richard Yung. L'amendement n° 240 rectifié représente, en apparence, un progrès rédactionnel. Il est vrai que nous éprouvions des réticences s'agissant de la rédaction initiale du projet de loi, et je note que la commission avait décidé de proposer la suppression de l'alinéa en question. La réticence était donc partagée !

Cela étant, l'amélioration apportée par la référence aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République est malheureusement contrebalancée par la difficulté qu'il y aurait à faire appliquer la disposition, et ce pour plusieurs raisons.

Premièrement, selon les pays et les cultures les rapports à ces principes fondamentaux sont différents. Prenez par exemple - bien qu'ils ne soient pas directement concernés - un Allemand ou un Anglais, vous verrez qu'ils n'ont pas à la laïcité le même rapport qu'un Français.

Deuxièmement, même si un étranger dans cette position éprouvait des doutes et des hésitations sur les principes fondamentaux du pacte républicain, il se garderait bien de les exprimer ! Il dira, bien sûr, qu'il est favorable à la liberté de conscience et à la liberté de la femme.

Troisièmement, qui appréciera et mesurera cette conformité aux principes de la République ?

J'ai le plus grand respect pour les maires. Mais certains d'entre eux, par sympathie, considéreront que la personne concernée respecte tous les principes fondamentaux du pacte républicain ; d'autres, au contraire, parce leur philosophie est différente, affirmeront que la personne viole lesdits principes ; d'autres, enfin, chercheront à emprunter une difficile voie médiane.

Bref, selon la commune où la demande sera faite, le demandeur sera intégré ou non. Autrement dit, ce sera le règne de l'arbitraire !

Pour ces raisons, nous pensons que l'amendement n° 240 rectifié n'est pas acceptable, malgré l'amélioration qu'il apporte.

M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga, pour explication de vote.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Je voterai en faveur des amendements qui visent à supprimer l'article 31.

Je défends, moi aussi, la République et je suis lasse d'entendre désigner implicitement les musulmans comme ceux qui veulent cloîtrer leur femme à domicile et qui ne veulent pas scolariser leurs enfants !

Je ferai remarquer que, dans telle commune du Maine-et-Loire ou de Vendée il n'y a pas d'école publique. La laïcité est tellement bien respectée en France que ces communes n'ont qu'une école catholique !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Si un parent souhaite scolariser son enfant dans une école publique sur ces communes du Maine-et-Loire ou de Vendée, il ne le peut pas !

M. Laurent Béteille. Caricature !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Arrêtons donc de dire que ce sont les musulmans qui ne respectent pas la laïcité !

D'après une étude réalisée sur les nouveaux Français musulmans, c'est-à-dire ceux dont les ancêtres ne sont pas tous français, 75 % d'entre eux sont particulièrement attachés au principe de laïcité. En conséquence, cessez de désigner des populations à la vindicte des Français !

Au reste, il est extrêmement difficile de s'appuyer sur un critère pour juger du respect de la loi républicaine.

Enfin, je n'arrive pas à comprendre la référence à des « régions géographiques ».

Allons-nous distinguer le Perche, le Perche-Gouët, le Vendômois, la Champagne Sarthoise, le Bélinois, la Vallée du Loir, où se trouvent des habitats troglodytes ? Et l'habitat troglodyte est-il un habitat acceptable pour un immigré ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui, s'il y a assez de mètres carrés !

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour explication de vote sur l'amendement n° 189.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je prends la parole pour protester contre la rhétorique de M. le ministre.

Je ne suis certes pas un ennemi des bons revers oratoires, mais encore faut-il savoir les choisir !

Déduire de la position exprimée par les socialistes que notre groupe se moque, et qu'il le proclame, de l'application des principes républicains n'est pas acceptable. Tous nos collègues, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, le comprennent !

M. Karoutchi, notre collègue de l'UMP, est intervenu pour apporter une réponse à l'une de nos préoccupations. Elle ne nous satisfait pas, mais elle constitue néanmoins une réaction à notre interpellation politique.

Nous demandions des explications sur la nature des principes républicains dont il est question, et il nous a été répondu qu'il s'agissait des principes fondamentaux reconnus comme tels par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. La discussion est rationnelle, nous pouvons lui dire que nous ne sommes pas d'accord avec lui et que sa réponse ne suffit pas, etc.

C'est tout autre chose, monsieur le ministre, de dire que les socialistes sont d'accord avec la négation des principes républicains et de dresser une liste de conséquences qui, au fond, stigmatise à la fois les socialistes et les personnes dont il est question !

Une telle réponse provocatrice n'enlève rien au caractère concret de ce nous vous avons demandé : qui mettra au point les fameuses questions permettant de vérifier l'opinion républicaine de l'étranger ?

On évoque le cas de celui qui répondra qu'il ne veut pas scolariser ses enfants ou qu'il ne veut pas que sa femme fasse telle et telle chose. Mais qui courrait ce risque ? En tout cas, jusqu'à présent personne n'a rien demandé à personne !

Il est envisagé maintenant d'envoyer quelqu'un questionner la personne qui souhaite bénéficier du regroupement familial : imaginez-vous sérieusement le maire de la commune se rendant au domicile du demandeur pour l'interroger ?

Le questionnaire sera établi par le conseil municipal, car le maire ne pourra pas décider tout seul des questions à poser : imaginez-vous alors le ridicule de la séance ? Imaginez-vous sérieusement le maire établissant avec le conseil municipal un interrogatoire et essayant de déterminer quel sort réservé aux femmes convient le mieux au système républicain ?

Le système républicain commence par l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. »

C'est donc votre loi et elle seule qui attente aux principes républicains puisqu'elle rend inégaux les êtres humains entre eux !

Maintenant, monsieur le ministre, si nous devions user comme vous de formules rhétoriques, nous vous ferions remarquer la chose suivante.

Naturellement, ce projet de loi ne concerne pas les ressortissants des États membres de l'Union européenne, nous sommes bien d'accord. Qui concerne-t-il donc au juste ?

Certainement pas les ressortissants de pays avec lesquels nous avons passé des conventions au sujet de l'immigration -vous ne pouvez dire le contraire, monsieur le ministre, puisque les pactes que nous concluons sont supérieurs à nos lois ! Par conséquent, ce projet de loi ne s'applique pas aux ressortissants des pays du Maghreb - si ce sont eux que vous aviez à l'esprit !

Je conclurais donc, en empruntant votre méthode : ce projet de loi ne s'applique qu'aux Africains noirs, sub-sahéliens, et seuls les noirs sont suspects à vos yeux de ne pas vouloir appliquer les principes républicains ! Or c'est absurde quand on sait que nos frères Sénégalais ont participé à la convention fondatrice de notre République.

On ne gagne donc rien, monsieur le ministre, à ridiculiser le propos de ses adversaires politiques en leur attribuant des positions qui ne sont pas les leurs !

Répondez-nous plutôt sur les aspects concrets que nous avons soulevés. Quant au reste, nos oppositions idéologiques sont bien connues : nous sommes du côté de l'application radicale de l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Voilà, monsieur le ministre, qui devrait suffire à vous rassurer sur notre attachement aux principes républicains !

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 189 et 386.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 190.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 42 et 191.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Ces amendements identiques visent à supprimer une disposition introduite par l'Assemblée nationale qui n'a pas reçu l'aval de la commission des lois du Sénat.

Pourquoi demandons-nous le retrait de cette disposition ?

Tout simplement parce que ce projet de loi, en modifiant encore et encore les conditions d'attribution - s'agissant des ressources, mais aussi du logement - institue une véritable rupture dans l'égalité de traitement.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi de novembre 2003, il est précisé que ces ressources doivent être au moins égales au SMIC. L'appréciation se fait en tenant compte de l'ensemble des revenus du demandeur, à l'exception des prestations familiales.

Or ce projet de loi étend cette exclusion aux autres prestations sociales, comme le RMI ou l'allocation de solidarité aux personnes âgées. C'est une vraie rupture dans l'égalité de traitement.

Par ailleurs, cette disposition introduite par l'Assemblée nationale s'éloigne de la décision du 13 août 1993 du Conseil constitutionnel qui a n'a reconnu la constitutionalité des restrictions portées au regroupement familial que pour des motifs tenant à la sauvegarde de l'ordre public et à la protection de la santé publique.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Cette disposition est d'autant plus dangereuse que le demandeur ne peut solliciter le regroupement familial qu'en une seule fois pour l'ensemble de sa famille.

Outre les dispositions de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui garantissent le droit au respect de la vie privée et familiale, un refus violerait dans de nombreux cas le premier alinéa de l'article 3 de la Convention internationale des droits de l'enfant, qui dispose que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées [...]ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ».

Il est important de rappeler aujourd'hui les décisions du Conseil constitutionnel ainsi que nos différents engagements internationaux.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Monsieur le ministre, un argument supplémentaire postule contre la modulation des ressources : l'étranger titulaire de la carte de résident de longue durée-CE, dont nous parlerons à l'article 18 - serait traité différemment que l'étranger qui vient directement en France.

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Très bon argument !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il s'ensuivrait une discrimination totalement injustifiée et nous ne pouvons pas passer sur ce type d'argument !

Mme Éliane Assassi. Exactement !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cet élément a été déterminant dans le dépôt de l'amendement n°42.

En effet, si nous admettons la modulation, qui est prévue par la directive et donc tout à fait envisageable, l'objection que je viens d'avancer me paraît suffisante pour ne pas la prévoir dans le cas présent !

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 42 et 191.

M. Bernard Frimat. Je rejoins totalement la position de Jean-Jacques Hyest, et je ne vois pas l'utilité de redire moins bien ce qu'il a fort bien dit !

Monsieur le ministre, l'avis de sagesse qu'a émis le Gouvernement n'était pas « sage » en l'espèce : il aurait mieux valu qu'il approuve ces amendements identiques, puisque la suppression de l'alinéa en cause évitera certainement des conflits de droit.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 42 et 191.

(Les amendements sont adoptés à l'unanimité.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 192.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 86.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 193 et 387.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote sur l'amendement n° 240 rectifié.

M. Pierre-Yves Collombat. Je cherche à comprendre : la commission des lois a retiré son amendement au motif que la précision apportée par l'amendement n° 240 rectifié était satisfaisante. En conséquence, au lieu des mots « aux principes qui régissent la République française », il nous est proposé la formulation : « aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ».

J'aimerais savoir comment la jurisprudence du Conseil d'État pourra s'appliquer à un demandeur qui ne se conforme pas à ces principes. Autrement dit, comment pourra-t-on juger un comportement individuel ? Si je parviens à identifier un texte qui ne respecte pas la liberté de conscience ou la liberté individuelle, je ne sais pas comment on reconnaît un individu qui ne les respecte pas.

Vous nous répondez qu'il faut l'interroger. Or, je le répète, il s'agit d'un comportement et non d'une opinion. Quand bien même s'agirait-il d'une opinion, je n'imagine pas qu'un candidat à l'accueil de sa famille puisse être assez bête pour annoncer qu'il a l'intention de cloîtrer sa femme. C'est donc complètement stupide !

S'agissant de l'enseignement, les principes de la République n'exigent pas d'inscrire ses enfants dans une école. De nombreuses familles les éduquent à la maison dans la plus parfaite légalité. Cette possibilité existe depuis Jules Ferry.

Hormis la volonté de se faire plaisir grâce à des proclamations qui n'engagent en rien, je ne saisis pas la signification concrète de cette disposition. C'est pourquoi je suis un peu étonné que la commission des lois, qui a plutôt l'habitude de faire subir aux textes des régimes amaigrissants, ait renoncé à son amendement, qui était parfait, au profit de celui-ci qui ne l'est vraiment pas.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J'aimerais également comprendre cette disposition. M. Mélenchon l'a dit tout à l'heure, la loi sanctionne déjà certains manquements aux principes. Du reste, vous vous faites fort d'aggraver les sanctions pour toute la population.

Je vous ferai remarquer en outre que, si la scolarité est obligatoire, pas la scolarisation. Une famille qui n'inscrit pas son enfant dans une école doit lui procurer un enseignement d'une autre façon, sinon elle ne touchera plus les allocations familiales. D'ailleurs, comme vous ne faites pas confiance aux caisses d'allocations familiales, vous cherchez à les sanctionner autrement !

Je voudrais bien connaître les principes dont les manquements ne seraient pas déjà sanctionnés de la même manière pour toutes les personnes vivant sur notre territoire.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous avons longuement discuté en commission de la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale faisant référence « aux principes qui régissent la République française ». Cette notion nous a paru trop floue. C'est pourquoi plusieurs de nos collègues ont pris l'initiative de déposer un amendement plus précis, qui a été présenté par M. Karoutchi.

On ne peut pas dire que personne ne connaît les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République...

M. Pierre-Yves Collombat. Ils ne s'appliquent pas à des comportements !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ils ont été définis,...

M. Pierre-Yves Collombat. Il y a des lois !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. ... et on les respecte ou pas.

MM. Pierre-Yves Collombat et Jean-Luc Mélenchon. Ils ne s'appliquent pas à des comportements !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais si !

M. Jean-Luc Mélenchon. On respecte la loi, sinon c'est de la théologie !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Parce que, pour vous, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, c'est de la théologie ! Pour ma part, j'ai l'impression qu'il s'agit du fondement même de la jurisprudence du Conseil d'État et du Conseil constitutionnel.

M. Pierre-Yves Collombat. La jurisprudence du Conseil d'État ne s'applique pas à des comportements !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ces principes comprennent notamment la liberté de conscience et la liberté individuelle. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Celui qui frappe sa femme est sanctionné par la loi !

M. le président. Laissez l'orateur s'exprimer !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Bref, nous estimons que cette notion est tout à fait applicable. C'est pourquoi la commission l'a retenue.

Nous n'allons pas écrire que l'on doit respecter l'ensemble de la législation et de la réglementation ! J'espère bien que tout notre arsenal juridique est conforme aux principes reconnus par les lois de la République. Si tel n'était pas le cas, le Conseil constitutionnel n'aurait pas manqué de censurer les textes législatifs et le Conseil d'État n'aurait pas manqué d'annuler les textes règlementaires.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Donnez-nous des exemples !

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour explication de vote.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je reviens à notre démonstration, à laquelle vous n'avez pas répondu : la conformité aux principes de la République, fussent-ils reconnus comme fondamentaux, se vérifie à l'aune des textes et non au regard des comportements individuels.

Un comportement individuel respecte ou non la loi, laquelle est conforme ou non aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.

M. Jean-Luc Mélenchon. Aucun d'entre nous n'est tenu à autre chose qu'à respecter la loi. En France, on peut parfaitement respecter la loi, et donc se conformer aux principes républicains, tout en étant royaliste. Or, vous l'admettrez, ce choix ne respecte pas les principes républicains.

M. Jean-Luc Mélenchon. De la même manière, on peut exiger la liberté de conscience pour soi-même tout en pensant en bon pascalien qu'elle n'existe pas, car nous sommes mus par la grâce efficace ou suffisante. Par conséquent, un principe est vérifié par un texte et non par un comportement.

J'ajoute, monsieur le président de la commission, que vous nous auriez davantage convaincus si vous nous aviez indiqué de quelle manière il sera procédé à la vérification de l'application de ces principes.

Pour l'application de la loi, tout est prévu : il y a le décret. Quand on juge quelqu'un, on applique le code de procédure pénale. Mais avec quel code de procédure vérifie-t-on le respect des principes fondamentaux ? Qui le décide ? Comment détermine-t-on la liste de questions que posera le maire afin de vérifier que la personne se conforme bien auxdits principes ?

Ne me renvoyez pas à la face que je considérerais comme théologique l'application des principes républicains.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est vous qui l'avez dit !

M. Jean-Luc Mélenchon. J'ai dit que c'est de la théologie à partir du moment où l'on estime que des principes font l'objet d'une application qui se vérifie autrement que dans la loi. Pardon de vous le dire, mais oui, par définition, cela relève davantage du religieux que du civil !

Pour nous, la loi, ce n'est pas la loi divine, c'est la loi imparfaite, dont le respect se vérifie par les juges, tandis que la loi de Dieu s'applique d'après la subjectivité de celui qui la professe. Tout le monde le sait ! C'est pourquoi la France est une République et non une théocratie.

M. le président. C'est heureux ! (Sourires.)

Je mets aux voix l'amendement n° 240 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 31, modifié.

(L'article 31 est adopté.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Michèle André.)