compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures cinq.)

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PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

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Désignation d'un sénateur en MISSION

M. le président. M. le président a reçu de M. le Premier ministre une lettre en date du 19 janvier 2007 par laquelle il fait part au Sénat de sa décision de placer en mission temporaire auprès du ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement et du ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, M. Alain Gournac, sénateur des Yvelines.

Cette mission portera sur la négociation des accords de participation.

Acte est donné de cette communication.

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DÉPÔT D'UN RAPPORT du gouvernement

M. le président. M. le président a reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article 11 de la loi n° 99-5 du 6 janvier 1999 relative aux animaux dangereux et errants et à la protection des animaux, un rapport dressant le bilan des dispositions concernant les chiens dangereux.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il sera transmis à la commission des affaires économiques et sera disponible au bureau de la distribution.

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Démission de membres de commissions et candidatures

M. le président. J'ai reçu avis de la démission de M. Thierry Repentin comme membre de la commission des affaires économiques, et de M. André Vézinhet comme membre de la commission des affaires sociales.

Le groupe intéressé a fait connaître à la présidence le nom des candidats proposés en remplacement.

Ces candidatures vont être affichées et leur nomination aura lieu conformément à l'article 8 du règlement.

5

 
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme des minima sociaux
Discussion générale (suite)

Minima sociaux

Adoption des conclusions du rapport d'une commission

Ordre du jour réservé

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant réforme des minima sociaux
Article 1er

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi de Mme Valérie Létard, M. Nicolas About, Mme Sylvie Desmarescaux, M. Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Anne-Marie Payet, MM. Michel Mercier et Bernard Seillier portant réforme des minima sociaux (n°158).

Je rappelle que cette proposition de loi a été inscrite à notre ordre du jour réservé à la demande du groupe de l'UC-UDF.

Dans la discussion générale, la parole est à Mme le rapporteur. (M. le président de la commission des affaires sociales applaudit.)

Mme Valérie Létard, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en mai 2005, j'ai présenté à la commission des affaires sociales un rapport d'information sur les minima sociaux. Sa grande nouveauté était d'aborder ces minima selon une clé d'entrée inédite, celle des « droits connexes », c'est-à-dire l'ensemble des prestations et avantages liés de façon plus ou moins automatique à leur bénéfice.

En abordant le sujet sous cet angle, notre rapport avait montré la complexité de ce dispositif et souligné ses effets pervers, notamment en matière de retour à l'emploi. Deux d'entre eux avaient plus particulièrement attiré notre attention : ceux qui sont liés au calendrier de versement des prestations et aux périodes de référence retenues pour le calcul des ressources et les nombreux effets de seuil causés par une attribution des aides sur la base du statut.

Les conclusions alarmantes de ce rapport ont conduit la commission des affaires sociales à créer un groupe de travail, dont la présidence m'a été confiée, chargé d'approfondir ces pistes de réforme et de les traduire en une proposition de loi.

Ce groupe de travail a procédé, entre septembre 2005 et mai 2006, à plusieurs dizaines d'auditions et de déplacements associant les membres de tous les groupes politiques de notre assemblée. Ces travaux fructueux ont débouché sur la rédaction d'un avant-projet de proposition de loi, dont le groupe de travail a voulu vérifier, avant même son dépôt, qu'il répondait bien aux problèmes soulevés par les acteurs de terrain.

C'est la raison pour laquelle il a été soumis, de façon inédite, pour concertation à l'ensemble des partenaires concernés par la problématique des minima sociaux. Cette démarche a d'ailleurs été extrêmement bien perçue. En témoignent la trentaine de contributions écrites reçues ainsi que l'invitation qui m'a été faite de présenter cet avant-projet devant le Conseil économique et social et devant le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, le CNLE.

Cette concertation nous a permis de constater un accord général sur les grands principes retenus pour l'élaboration de la proposition de loi et d'améliorer le texte de l'avant-projet sur de nombreux points. C'est donc après avoir tiré les enseignements de cette concertation que la présente proposition de loi a été déposée, le 27 juin 2006.

J'en viens maintenant à la présentation des dispositions du texte lui-même. Trois principes en ont guidé l'élaboration.

Premier principe : assurer une certaine équité entre les bénéficiaires des différents minima sociaux et entre les bénéficiaires de ces allocations et les salariés à bas revenus.

Après mûre réflexion, le groupe de travail a en effet rejeté l'idée, avancée par certains, d'une fusion des différents minima sociaux.

Cette solution était bien sûr intellectuellement séduisante. Mais pour quels avantages ? Une fusion aurait fait perdre à la protection sociale française une partie de sa richesse et de sa capacité d'adaptation.

Afin d'assurer une juste équité entre tous les bénéficiaires de minima sociaux et les personnes salariées qui se trouvent dans la même situation de ressources, ainsi que pour lever l'obstacle au retour à l'emploi que représente la fin brutale de leur versement en cas de reprise d'activité, le groupe de travail a préféré harmoniser les conditions d'accès aux droits connexes.

En pratique, la présente proposition de loi prévoit de supprimer les aides liées au « statut » et de les remplacer, selon le principe « à ressources égales, droits égaux », par des aides attribuées sous simple condition de ressources, rapportées au quotient familial.

Deuxième principe : faire en sorte que notre système de protection sociale ne soit plus, en lui-même, un obstacle supplémentaire à la reprise d'activité des bénéficiaires de minima sociaux.

Le parcours de réinsertion professionnelle de ces derniers est souvent composé d'une succession de périodes d'emploi, de chômage et de perception des minima. Or les décalages dans l'ouverture des droits, les règles de détermination des bases ressources et les calendriers de versement des prestations conduisent à doubler cette précarité professionnelle d'une précarité sociale.

C'est la raison pour laquelle la présente proposition de loi s'attache à renforcer la sécurisation du parcours de réinsertion professionnelle en supprimant les délais de carence entre la fin d'une période de travail et le retour aux minima sociaux et en neutralisant systématiquement les ressources devenues inexistantes pour le calcul des droits aux minima sociaux et à leurs droits connexes.

Par ailleurs, pour consolider la réinsertion professionnelle des bénéficiaires de minima sociaux, la proposition de loi prévoit une extinction progressive et non plus brutale des droits connexes pour les bénéficiaires de minima sociaux qui reprennent un emploi.

Enfin, pour leur permettre d'anticiper les changements liés à leur reprise d'activité, ce texte prévoit d'assurer une meilleure information des bénéficiaires de minima sociaux sur l'évolution des droits connexes auxquels ils ont droit en cas de retour à l'emploi.

Troisième principe : renforcer l'accompagnement social et professionnel des bénéficiaires de minima sociaux.

Le rapport de mai 2005 montrait à quel point l'existence d'un accompagnement de ceux-ci peut influer sur leur retour à l'emploi : ainsi, les titulaires du RMI qui sont accompagnés connaissent mieux leurs droits et mobilisent plus souvent le dispositif d'intéressement à la reprise d'activité et à l'emploi aidé que les attributaires de l'allocation de parent isolé, l'API, qui ne font l'objet d'aucun programme d'accompagnement particulier.

Les attributaires de l'allocation de solidarité spécifique, l'ASS, relèvent quant à eux de l'accompagnement de droit commun réalisé par le service public de l'emploi, mais celui-ci reste insuffisant, car il ne permet pas de prendre en compte les aspects sociaux de la situation de ces personnes.

C'est pourquoi la présente proposition de loi rend obligatoire la conclusion d'un contrat d'insertion pour les attributaires de l'API et de l'ASS. Pour tenir compte des spécificités de ces publics, les conseils généraux pourront passer une convention avec les caisses d'allocations familiales et l'ANPE, afin de mutualiser les moyens.

Cela étant, je constate, pour m'en réjouir, que la réflexion engagée par notre commission, de même que le rapport de nos collègues Michel Mercier et Henri de Raincourt sur les minima sociaux d'insertion et celui de la commission « Famille, vulnérabilité, pauvreté », présidée par Martin Hirsch, ont déjà influencé certaines décisions.

D'abord, notre proposition de loi a inspiré plusieurs mesures au Gouvernement : la loi du 23 mars 2006 relative au retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux a procédé à une profonde réforme des mécanismes d'intéressement à la reprise d'activité professionnelle pour les allocataires du RMI, de l'API et de l'ASS. Pour autant, le vote de ce texte n'invalide pas la démarche adoptée dans la présente proposition de loi : vous aviez vous-même annoncé, madame la ministre, que cette loi ne constituait que le premier étage d'une fusée dont la présente proposition devait constituer le deuxième.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Tout à fait !

Mme Valérie Létard, rapporteur. Le Gouvernement a également repris, dans la loi de finances pour 2007, deux mesures que nous suggérions : l'accès aux compléments de l'allocation aux adultes handicapés, l'AAH, pour les titulaires du minimum invalidité et la mise en place d'une expérimentation en matière d'intéressement à la reprise d'activité.

Par ailleurs, comme nous, le Gouvernement s'est attaché depuis deux ans à résoudre les difficultés rencontrées par un grand nombre de nos concitoyens en matière de complémentaire santé.

Ainsi, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 a augmenté le montant du crédit d'impôt en faveur de l'acquisition d'une complémentaire santé et celle pour 2007 a relevé le plafond de ressources pour en bénéficier.

Si je salue cet effort, j'avoue ne pas totalement adhérer à la solution proposée par le Gouvernement : relever le plafond de ressources ne fait que repousser vers les tranches supérieures de revenus l'effet de seuil déjà maintes fois dénoncé de ce dispositif.

Le relèvement voté en loi de financement aurait un coût de 125 millions d'euros. Le dispositif que nous proposons ici coûterait certes un peu plus cher - entre 150 millions et 175 millions d'euros, selon nos premières estimations -, mais il permettrait de lisser les effets de seuil en prévoyant une aide dégressive en fonction du revenu. Il me semble que les avantages de la seconde solution justifient pleinement qu'on y consacre une enveloppe supplémentaire, dans la mesure où celle-ci reste malgré tout raisonnable.

Si l'accueil fait à cette proposition de loi par les principaux acteurs de la lutte contre les exclusions est largement positif, je reconnais volontiers que notre texte soulève également quelques inquiétudes, liées notamment aux incertitudes sur le coût des mesures proposées et leurs effets sur les bénéficiaires de minima sociaux.

Tout au long des travaux du groupe de travail, j'ai insisté auprès des différents ministères concernés pour obtenir un chiffrage de ces propositions, sans résultat.

Je le regrette d'autant plus que la volonté de notre groupe de travail était non pas de présenter un inventaire exhaustif des mesures envisageables, mais de proposer une réforme construite qui les hiérarchise en fonction, notamment, d'impératifs budgétaires bien compréhensibles pour toute personne soucieuse des deniers publics.

J'ai bien essayé de provoquer une forme d'« électrochoc » en déposant officiellement ce texte sur le bureau du Sénat, pensant que cela conduirait le Gouvernement à réagir à ces propositions et à accélérer les réponses à nos demandes de chiffrage auprès de ses services. Mais, si tel a été le cas, je n'en ai eu aucun écho. Sans doute Mme la ministre pourra-t-elle nous donner aujourd'hui un peu plus d'informations.

Si le débat de ce matin doit n'avoir qu'une seule vertu, ce sera au moins celle d'avoir porté sur la place publique nos demandes en matière de chiffrage du coût de cette proposition de loi, et nous comptons bien sur votre soutien, madame la ministre.

À ce sujet, il me semble que nous ne pouvons nous contenter d'un chiffrage statique, mesure par mesure. Il est indispensable de tenir compte à la fois de la combinaison des différentes réformes incluses dans cette proposition de loi et des effets positifs attendus en matière de retour à l'emploi des bénéficiaires de minima sociaux.

J'en profite pour demander de nouveau au Gouvernement la possibilité de travailler avec ses services sur deux autres types de calculs : d'une part, des simulations sur certains cas types, d'autre part, un chiffrage des « gagnants » et des « perdants » potentiels de la réforme.

La question est d'autant plus délicate que nous savons combien il est difficile de mesurer l'impact que pourrait avoir une telle réforme sur les comportements individuels et notamment d'en apprécier les effets en termes de retour à l'emploi.

Compte tenu de ces incertitudes, notre groupe de travail a considéré, lors du dépôt du texte en juin dernier, que la mise en oeuvre directe de ces propositions était prématurée. C'est la raison pour laquelle il a choisi la voie de l'expérimentation, ce que le texte définitif prévoit.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est très sage !

Mme Valérie Létard, rapporteur. Elle pourrait durer cinq ans, dans des départements volontaires et permettrait de valider les hypothèses de travail retenues, de mesurer l'efficacité des mesures proposées, de corriger les éventuels effets pervers qui pourraient apparaître dans la pratique, et naturellement, de chiffrer le coût et les économies engendrés par la réforme.

Le recours à l'expérimentation permettra également d'étaler la montée en charge du coût de cette réforme : suivant les moyens qu'il souhaite et qu'il peut y consacrer, le Gouvernement pourra prévoir d'étendre cette expérimentation à un nombre plus ou moins important de départements.

En conclusion, je voudrais insister sur le fait que cette proposition de loi, assurément ambitieuse, ne pourra prendre toute son ampleur et produire tous ses effets que si ses grands principes sont correctement relayés au niveau réglementaire. C'est donc au Gouvernement, dans le domaine qui est le sien, qu'il appartiendra d'achever l'oeuvre de mise en cohérence des minima sociaux que cette proposition de loi amorce.

Sous le bénéfice de ces observations, je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir adopter cette proposition de loi dans la rédaction proposée par la commission des affaires sociales.

À la veille de la discussion, très attendue, du projet de loi instituant le droit opposable au logement, réfléchissons ensemble à la façon d'accompagner les familles les plus démunies et les travailleurs les plus pauvres,...

M. Guy Fischer. Entre les discours et la réalité !

Mme Valérie Létard, rapporteur. ...dont la situation est prise en compte dans ce texte, et expérimentons de nouvelles voies pour que, demain, tous ceux qui s'acheminent vers une reprise d'activité soient aidés dans ce retour vers l'autonomie. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, notre discussion d'aujourd'hui prend un relief tout particulier avec la disparition de l'abbé Pierre. Son altruisme, son dévouement passionné sont une leçon de vie, un modèle d'humanité. Le souvenir de son action inlassable en faveur des exclus nous oblige ; il nous rappelle notre devoir d'agir et de tout faire pour venir en aide à nos concitoyens les plus en difficulté.

Ce devoir s'impose avec d'autant plus de force que l'actualité nous montre à quel point l'exclusion, comme le « mal-logement », peut entraîner certaines personnes dans des situations d'où il est à la fois long et difficile de s'extraire.

Quand un certain nombre de ceux qui détiennent un emploi n'ont plus les moyens d'emménager, quand la fragilité de la cellule familiale menace un nombre croissant de nos concitoyens de se retrouver du jour au lendemain à la rue, quand le moindre accident de la vie est susceptible de nous plonger dans le dénuement le plus complet, c'est que l'exclusion est devenue la principale menace sociale de notre société.

Une partie significative de la population y est directement confrontée. C'est le cas des titulaires de minima sociaux. Ils sont aujourd'hui 3,5 millions. Si l'on ajoute les membres de leur famille à charge, le nombre de personnes couvertes par ces minima avoisine les 6 millions.

C'est dire si la mobilisation du Sénat sur ces questions est particulièrement bienvenue et importante.

Je tiens d'emblée à saluer, madame le rapporteur, la qualité exceptionnelle du travail que vous avez effectué avec votre groupe depuis plus de deux ans. Cette proposition de loi en constitue un indiscutable point d'orgue.

Votre rapport de mai 2005 et celui de MM. Henri de Raincourt et Michel Mercier de décembre 2005 comportent une analyse de l'état actuel de nos dispositifs de minima sociaux et d'intéressement à la reprise d'emploi, et des propositions de réforme pertinentes, détaillées et globales y sont formulées.

Ces rapports, comme l'ensemble des études qui ont été conduites sur ces questions, montrent que les mesures fondées uniquement sur l'assistance ne suffisent pas pour remédier à la pauvreté et à l'exclusion sociale ; elles ont même tendance à enfermer dans leurs dispositifs ceux qui en bénéficient.

Ces rapports montrent également que les mesures d'intéressement à la reprise d'emploi prises jusqu'ici étaient inefficaces. Ainsi, en juin 2005, seuls 11,5 % des allocataires du RMI bénéficiaient d'un intéressement à la reprise d'emploi, et ce chiffre était en baisse par rapport aux années antérieures ; il était de 12,5 % en 2004.

Cette situation est entretenue par les incohérences du dispositif de minima sociaux et par les effets pervers dus aux seuils fixés pour le versement des allocations ou résultant de la combinaison de ces allocations et de leurs droits connexes.

N'ajoutons pas aux ruptures professionnelle ou familiale un motif institutionnel, l'exclusion ayant pour cause les dispositifs de lutte contre l'exclusion eux-mêmes !

L'exclusion est une souffrance, n'en faisons pas un piège !

Se contenter de verser un minimum social, c'est, quelque part, entretenir une forme d'exclusion.

M. Guy Fischer. Vous voulez supprimer les minima sociaux ?

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Nous devons donc, ensemble, aller plus loin. Nous devons contribuer à l'insertion active des exclus, afin qu'ils trouvent un emploi, un logement et puissent participer à l'ensemble des activités sociales.

Il ne faut pas seulement verser des prestations de survie à ceux qui sont exclus ou en voie de l'être, il faut agir en amont, prévenir au maximum ce décrochage. Il y va de la dignité des femmes et des hommes.

La mise en évidence de trappes à inactivité avait déjà conduit avant 2002 à un toilettage du système des minima sociaux en vue de réduire les effets de seuil qui pénalisent la reprise d'activité.

Je pense notamment à la réforme de la taxe d'habitation, au changement du barème des aides au logement, à l'application d'un tarif social électricité, à la modification de la décote et du barème de l'impôt sur le revenu et à la création de la prime pour l'emploi, dont nous avons, depuis, considérablement réévalué le montant.

Il fallait cependant aller beaucoup plus loin.

Nous avons déjà adopté, vous l'avez rappelé tout à l'heure, madame le rapporteur, une première loi importante qui s'inspire fortement de vos travaux, la loi pour le retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux. J'avais eu l'occasion de dire, à cette époque, qu'il s'agissait du premier étage d'une fusée !

Cette réforme est marquée par trois grandes caractéristiques : le nouveau mécanisme incite à la reprise d'emploi dans tous les cas de figure ; il est simple et équitable ; enfin, il est sécurisant, car la personne qui reprend un emploi cumule pendant trois mois son nouveau revenu et son minimum social et, au moindre incident, le minimum social est tout de suite rétabli.

Cette réforme, pour autant, laisse d'autres questions en suspens : l'harmonisation des minima sociaux, l'équité entre leurs titulaires et les salariés à bas revenus, les effets de seuil liés aux droits connexes, ou encore l'accompagnement social et professionnel des bénéficiaires de ces minima.

Sur tous ces points, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi dont nous discutons aujourd'hui apporte des réponses intéressantes et cohérentes.

Je tiens, à cet égard, à souligner la pertinence de la méthode retenue pour élaborer ce texte : vous avez procédé à plusieurs dizaines d'auditions avant de le rédiger, puis vous l'avez soumis pour concertation à l'ensemble des partenaires intéressés. Ses dispositions font ainsi l'objet d'un consensus quasi général, qui devrait en rendre l'exécution rapide et efficace.

Le texte prévoit, tout d'abord, d'assurer une meilleure équité entre les bénéficiaires des différents minima sociaux et entre ces allocataires et les salariés à bas revenus.

Pour atteindre cet objectif, vous n'avez pas procédé à la fusion des différents minima. Or c'est une mesure très sage, car les neuf minima aujourd'hui existants répondent chacun à des situations spécifiques. En les fusionnant, nous gagnerions peut-être en équité, mais nous perdrions en efficacité, puisque le nouveau dispositif ne serait plus aussi parfaitement adapté à chaque cas particulier.

Les mesures proposées permettent néanmoins de donner une plus grande cohérence aux différents minima, en rapprochant notamment les ressources prises en compte ainsi que le statut juridique des sommes versées. Je pense au recours sur succession, à l'incessibilité ou à l'insaisissabilité.

Ces rapprochements sont d'autant plus utiles qu'il n'est pas rare pour une personne de passer d'un minimum social à un autre. Deux cas sont fréquents : le passage de l'allocation de solidarité spécifique au RMI et celui de l'allocation de parent isolé au RMI lorsque les enfants avancent en âge.

L'équité, tout comme l'incitation au retour à l'emploi, commande également d'attribuer les prestations et les droits connexes en fonction non plus du statut mais des ressources, afin que les salariés à bas revenu en bénéficient également et que l'on évite les fameuses ruptures de droits lors de la reprise d'emploi.

Le Premier ministre a eu l'occasion de s'exprimer en ce sens lors du comité interministériel de lutte contre les exclusions en mai dernier. Il a affirmé : « À ressources égales, droits égaux » : telle devrait être la règle si nous ne voulons pas définitivement décourager le retour à l'activité.

C'est précisément ce que vous faites pour les régimes d'exonération et de dégrèvement à la taxe d'habitation et à la redevance audiovisuelle, pour l'accès aux tarifications sociales électricité et téléphone, pour le versement des allocations logement, pour le bénéfice de la couverture maladie universelle complémentaire, ou CMUC, et, enfin, pour l'attribution des aides individuelles extralégales par les centres communaux d'action sociale et les fonds de secours des caisses de sécurité sociale ou de mutualité sociale agricole.

S'il convient d'éviter les ruptures de droit à la reprise du travail, il faut, symétriquement, empêcher les délais de carence avant l'obtention de ces droits après une perte de travail.

En raison du mode d'appréciation des ressources, il existe souvent un délai important entre le moment où une personne perd son emploi et celui où elle reçoit un minimum social.

Ce délai est facteur d'anxiété pour tous ceux qui aspirent à reprendre une activité. La proposition de loi y remédie judicieusement en accordant le bénéfice immédiat des droits au minimum social et à la couverture maladie universelle, la CMU, dès que survient la perte de revenu qui en justifie l'ouverture.

Le texte vise également à supprimer un certain nombre d'effets de seuil, qui, tout autant que les ruptures de droits, sont préjudiciables à la reprise d'activité des bénéficiaires de minima sociaux.

Une personne en phase de réinsertion professionnelle alterne très souvent périodes d'activité, épisodes de chômage et phases de perception d'un minimum social.

Ces va-et-vient doivent être amortis au maximum sur le plan social en assurant la continuité des droits. C'est un facteur important de sécurisation du parcours de réinsertion professionnelle. Mesdames, messieurs les sénateurs, chacun doit être bien conscient de cette volonté qui consiste à privilégier la réinsertion professionnelle, car c'est de cela qu'il s'agit avant tout.

Vous prévoyez à cet effet une sortie progressive des droits connexes au fur et à mesure de l'augmentation des revenus de la personne.

Vous le faites pour la taxe d'habitation et pour la redevance audiovisuelle.

Vous le faites aussi pour l'assurance santé complémentaire. Le Gouvernement a déjà apporté des améliorations notables à ce dispositif puisque, dans les lois de financement de la sécurité sociale pour 2006 et pour 2007, nous avons augmenté le montant du crédit d'impôt en faveur de l'acquisition d'une complémentaire santé et porté de 15 % à 20 % au-dessus du plafond de la CMUC le plafond de ressources pour en bénéficier.

Vous allez plus loin, d'une part, en prévoyant un crédit d'impôt non plus forfaitaire, mais dégressif en fonction du revenu, ainsi qu'une nouvelle augmentation du plafond, et, d'autre part, en sécurisant pendant un an l'accès à la CMUC, puis à l'aide à l'acquisition d'une complémentaire, quelle que soit l'évolution des ressources de la personne qui reprend un emploi.

J'en viens au dernier objectif du texte : renforcer l'accompagnement social et professionnel des bénéficiaires de minima sociaux.

Un accompagnement personnel, prenant en compte à la fois les difficultés sociales et les projets professionnels, constitue vraiment l'élément clé d'une insertion réussie.

Cet accompagnement est explicitement prévu pour les titulaires du RMI, qui doivent signer un contrat d'insertion. Nous connaissons malheureusement les résultats, que je qualifierai de mitigés, obtenus jusqu'à maintenant.

La décentralisation complète du RMI avait notamment pour objectif de renforcer cet accompagnement. L'effet ne s'est pas fait attendre et nombre de départements ont intensifié leurs efforts.

Vous proposez d'étendre ce dispositif aux allocataires de l'API et de l'ASS. La mesure est réellement bienvenue, mais il conviendrait, dans le cas de l'ASS, de coordonner l'action des départements responsables de cette contractualisation avec celle de l'ANPE déjà en charge d'une telle responsabilité sur le plan de l'emploi.

Une réforme aussi ambitieuse que l'harmonisation des minima sociaux et la refonte des droits connexes implique cependant une évaluation financière fine en raison de son impact sur le budget de l'État et sur celui des collectivités locales.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Ainsi, il y a lieu d'évaluer précisément les conséquences d'un lissage des effets de seuil liés au bénéfice de la CMUC et de celles qui résultent de l'amélioration du régime des aides au logement.

Les premiers chiffrages réalisés font apparaître un impact de l'ordre de 450 millions d'euros pour la CMUC et de 230 millions d'euros pour les aides au logement.

Vous ne serez pas surpris de m'entendre vous dire que ce dernier point est, bien sûr, celui qui suscite le plus d'interrogations et de prudence de ma part, eu égard à l'ensemble des efforts consentis par le Gouvernement en ce domaine, avec le relèvement du taux de l'APL de 1,8 % à 2,8 % et l'abaissement du seuil de non-versement de cette aide de 24 euros à 15 euros, décidé par le Sénat, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2007.

J'ajoute que Jean-Louis Borloo a récemment annoncé que le nombre de prêts locatifs aidés d'intégration, ou PLAI, et de prêts locatifs à usage social, ou PLUS, financés cette année, passerait de 63 000 à 80 000. Là encore, c'est un effort budgétaire non négligeable.

En outre, en ce qui concerne la CMU, mais aussi la CMUC, un certain nombre de mécanismes ont été mis en place ces derniers mois qui ont largement facilité l'accès à ces dispositifs. Je mentionne, à cet égard, la revalorisation de l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé, qui a augmenté de 30 % à 60 %, selon les cas.

Vous avez raison de dire qu'il convient d'évaluer autant que faire se peut les économies que pourrait également engendrer cette réforme et d'identifier précisément qui seraient demain les gagnants et, le cas échéant, les perdants, notamment parmi les bénéficiaires de l'allocation adulte handicapé. Chacun sait que cette analyse est à faire.

Ainsi, la réforme de la taxe d'habitation, dont le coût, selon les seuils présentés dans le texte, s'échelonnerait de 489 millions d'euros à 853 millions d'euros, conduirait néanmoins à exclure les 200 000 titulaires de l'AAH du bénéfice de l'exonération.

De même, la neutralisation de la redevance audiovisuelle entraînerait une baisse de recettes pour les chaînes de télévision publiques de 460 millions d'euros.

Tout comme vous, je déplore que ce chantier de l'évaluation des coûts n'ait pu être conduit avant, car c'est à l'évidence un préalable nécessaire.

M. Guy Fischer. Comme par hasard !

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Madame le rapporteur, il me paraît donc sage d'inscrire cette proposition de loi dans une démarche d'expérimentation. Cette dernière devrait permettre de mieux cerner les coûts des différentes mesures et les économies engendrées par la réforme, d'ajuster les curseurs et, enfin, de remédier aux éventuels effets indésirables du texte.

Mais les contours de cette expérimentation doivent être précisés. Toutes les mesures ne peuvent probablement pas donner lieu à la même expérimentation, notamment celles qui ne relèvent pas de la compétence des départements.

Un travail entre les services du Sénat et ceux de l'État doit être maintenant enclenché.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je l'espère !

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Compte tenu de ces remarques, le Gouvernement s'en remet, pour l'essentiel, à la sagesse de votre assemblée. Notre objectif est que ce texte, dont nous approuvons pleinement les principes généraux, puisse être mis en oeuvre dans des conditions raisonnables et réalistes, au regard bien sûr des contraintes des finances publiques, mais surtout des seuils permettant l'accompagnement et le retour vers l'emploi de nos concitoyens qui en sont les plus éloignés. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, que peut-il se passer lorsque l'inspection générale des affaires sociales, l'IGAS, et l'inspection générale des finances, l'IGF, se mettent d'accord, à la demande de Bercy, pour « moderniser » un minimum social aussi vital que l'allocation parent isolé, l'API, qui bénéficie actuellement à 200 000 femmes élevant seules un ou plusieurs enfants ?

D'abord, on la prétend « obsolète ». En effet, selon les inspections, « la logique de salaire maternel qui sous-tend l'API apparaît obsolète ».

Ensuite, on s'étonne qu'elle soit attribuée sans obligation d'insertion. C'est une rente de situation, puisque près de la moitié des allocataires passent au RMI ! De plus, elle n'est pas morale, car « du fait de sa durée et de son montant [...] eIle suscite un risque d'éloignement durable de l'emploi et d'installation dans l'inactivité ».

Que proposent donc les inspections à partir de ce constat ? Une « responsabilisation des bénéficiaires », ces fraudeuses en puissance qui vont déjà voir renforcer le contrôle de leur situation d'isolement.

Que se passera-t-il si ce rapport obtient l'aval de Bercy, ce qui est probable, puisque 125 millions d'euros d'économies sont à la clef ? On alignera l'API sur le RMI au terme d'une période d'un an ! Le rapport indique que « cette dégressivité aurait un effet incitatif à l'insertion ».

Le rapport de M. Michel Mercier...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Excellent rapport !

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Bonne référence !

M. Guy Fischer. ... et de M. de Raincourt, ...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Non moins excellent !

M. Guy Fischer. ...fait à la demande du Premier ministre, n'aboutissait-il pas déjà à la même conclusion ?

C'est évident, puisque ce rapport leur a été demandé, le 3 octobre 2005, dans le but, selon les termes du Premier ministre, de « maîtriser nos dépenses publiques » et « d'améliorer les procédures de contrôle » ...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !

M. Guy Fischer. - c'était le premier objectif -, ainsi que « d'abandonner la logique de statut » et « d'envisager des expérimentations ».

MM. Mercier et de Raincourt ont obtempéré... (M. le président de la commission et M. Michel Mercier sourient)... en proposant notamment la fusion du RMI et de l'API en une « allocation unique d'insertion, l'AUI ».

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Provocateur !

M. Guy Fischer. Ce n'est pas moi qui le dis ! C'est Michel Mercier !

M. Michel Mercier. Je n'aurais pas pu choisir un meilleur porte-parole !

M. Alain Gournac. Formidable !

M. Guy Fischer. Voilà le décor planté, avec de bien inquiétants fonts baptismaux (M. le président de la commission sourit.) sur lesquels notre collègue Valérie Létard et ses amis déposent une proposition de loi qui se réclame d'un progrès social.

Outre le fait qu'il est scandaleux de prétendre réformer les minima sociaux en deux heures...

Mme Valérie Létard, rapporteur. Deux ans !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. On ne va pas le faire ce matin ! La réflexion a été engagée bien avant !

M. Guy Fischer. Non, mais je parle en ce moment du débat que nous avons sur une proposition de loi de vingt articles, que vous nous obligez à examiner à la course, en fin de session parlementaire !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oh !

M. Guy Fischer. Outre ce fait, le présent texte est pour moi un paradoxe.

En complet accord avec Valérie Létard, j'ai emmené à Lyon les membres du groupe de travail auquel j'ai participé et dont est issu le rapport d'information de notre collègue.

Mme Valérie Létard, rapporteur. Bien sûr !

M. Guy Fischer. Ceux qui étaient présents se souviennent sans doute de nos rencontres, ô combien édifiantes, avec la soixantaine de SDF de l'Association Relais SOS, centre d'accueil de jour, ou encore avec les représentants de l'Association lyonnaise pour l'insertion par le logement, l'ALPIL.

Pour l'honnêteté, je dois dire que Michel Mercier nous avait accueillis pour débattre avec les services du département sur la réflexion générale. (M. Michel Mercier acquiesce.)

À la lumière de l'actualité - le problème des SDF et la crise du logement -, nous avions à l'époque largement anticipé l'analyse !

Il nous avait été dit que la mise en place de l'allocation unique ne se ferait pas, que le Gouvernement était revenu en arrière, qu'il maintenait les neuf minima sociaux, que ce n'était pas le moment d'apporter des modifications.

Pour ma part, le Premier ministre, lorsqu'il a reçu le Bureau du Sénat à déjeuner, nous a dit qu'il fallait mettre fin à cette « situation », et je n'ose répéter le terme qui a été employé.

Il y a donc là véritablement matière à discussion. Cet état des lieux est instrumentalisé pour ébaucher la mise en place progressive d'une allocation unique gommant toutes les différences de statut, moyen d'appauvrir encore les plus pauvres et de réduire à sa portion congrue les interventions sociales de l'État.

Mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen et moi-même avions déjà dénoncé, à plusieurs reprises, cet objectif de la majorité, amplifié parfois par les partenaires sociaux.

Je pense, notamment, à la réforme des filières d'indemnisation du chômage issue de la convention de décembre 2002, qui avait réduit la durée d'indemnisation par l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce, l'UNEDIC, basculant massivement les demandeurs d'emploi du régime d'assurance chômage à celui de l'assistance, c'est-à-dire dans le champ de l'allocation de solidarité spécifique ; dans le même temps, la durée et le montant d'indemnisation avaient été réduits significativement.

Je pense également à la loi pour le retour à l'emploi et sur les droits et devoirs des bénéficiaires de minima sociaux, qui a poursuivi la déréglementation du marché du travail en créant, après avoir imposé le contrat « nouvelles embauches », ou CNE, par ordonnance, le contrat première embauche, ou CPE, qui devait contraindre les jeunes à la précarité, et que le tsunami de la pression populaire vous a forcé à retirer !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oh !

M. Guy Fischer. Lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le fameux article 69 ter - que je n'ai pas digéré ! - introduisait des dispositions scélérates pour contrôler le train de vie des allocataires de minima sociaux, plus particulièrement les RMIstes. Quelle indécence de mettre en place des procédures de sanctions pour les personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté ! Et je suis gentil, je ne commenterai pas davantage ce point !

Je pense aussi à la discussion que j'avais qualifiée de « marchands de tapis », dans le débat sur la mission « solidarité et intégration » du projet de loi de finances, lorsqu'il a fallu argumenter tant et plus pour obtenir une rallonge budgétaire de 3 millions d'euros pour les centres d'hébergement et de réinsertion sociale, les CHRS, le ministre délégué à la sécurité sociale, Philippe Bas les estimant, pour sa part, « suffisamment dotés ».

Peu après, curieusement, il aura fallu la pression de la rue, des « Enfants de Don Quichotte » et de la gauche antilibérale, pour que l'on « découvre » le « mal-logement », les conditions sordides dans lesquelles survivent des milliers d'hommes et de femmes.

Le rapport de la Fondation abbé Pierre sur le logement, qui sera publié le 1er février, indique - selon l'information qui m'a été communiquée par l'un de ses principaux auteurs - que la situation du logement pour les plus démunis est pratiquement comparable à celle qu'avait constatée l'abbé Pierre en 1954 !

Nous aurons aussi à discuter de ce sujet dès la semaine prochaine, madame la ministre !

Et ne m'accusez pas d'être hors sujet : tout est intimement lié dans la vie des gens ; du travail décemment rémunéré découle tout le reste.

C'est pourquoi il me paraît important de m'arrêter sur le contexte de vie des quelque sept millions de salariés pauvres, comme des 3,5 millions de titulaires de minima sociaux, vous l'avez dit vous-même. Plus de 6 millions de personnes étaient concernées à la fin de 2005, selon les statistiques de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, la DREES.

Sans sous-estimer ni se moquer du travail de qualité réalisé par Valérie Létard, sans nier que notre système de solidarité soit complexe et parfois producteur d'incohérences, je pense sincèrement, mes chers collègues, que nous ne vivons pas tous sur la même planète !

Alors, permettez-moi de vous donner quelques exemples du monde réel dans lequel nous vivons.

M. Jean Desessard. Très bien !

M. Guy Fischer. Un monde dans lequel entre 30 % et 40 % des SDF ont un revenu mensuel de l'ordre de 1 000 euros - ce fut l'un des débats centraux des mois de décembre et janvier. Je rappelle que le seuil de pauvreté est actuellement estimé à 602 euros par mois.

Un monde dans lequel les femmes actives subissent, pour plus de la moitié d'entre elles, un temps partiel imposé et totalisent 80 % des bas salaires.

Un monde dans lequel près de 200 000 personnes vivent dans des « hôtels » miteux, pour le plus grand profit des marchands de sommeil.

Un monde dans lequel les 8,5 millions de repas que servaient les Restos du coeur en 1985, à leur création, sont aujourd'hui 67,5 millions...

Alors, lorsque l'on accuse de fraude les travailleurs pauvres et les titulaires de minima sociaux, je voudrais ramener les choses à leur juste proportion : d'après les statisticiens, il s'avère que les fraudes au RMI ne sont ni plus ni moins nombreuses que celles qui existent dans le domaine de la fiscalité et des évasions de capitaux.

Au fond, ce sont moins les abus eux-mêmes qui sont visés que les catégories sociales qui « bénéficient » des minima sociaux. On les stigmatise sans retenue et, surtout, en passant volontairement sous silence les véritables questions sociales que sont le chômage et l'explosion de la précarité, de la grande pauvreté qui s'impose de plus en plus. Notre pays connaît, et je crois que c'est l'un des problèmes auxquels nous devrions réfléchir, un creusement des inégalités sans précédent.

Même si la proposition de loi de Valérie Létard apporte un certain nombre d'améliorations, notamment pour le passage entre minima sociaux et travail précaire, il n'est pas acceptable pour nous de considérer les titulaires de minima sociaux par ce seul « bout de la lorgnette ». Il n'est pas possible de considérer leur situation en faisant abstraction de l'augmentation du coût de la vie, qui pénalise encore plus les pauvres et touche des postes essentiels des comptes des ménages, que ce soient l'alimentation, le gaz et l'électricité, l'essence, les transports, les logements, inaccessibles même dans le secteur public,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Nous sommes d'accord !

M. Guy Fischer. ... les hausses incessantes et insupportables des charges qui deviennent l'un des problèmes numéro un, ou l'injustice fiscale dont la TVA est l'exemple type...

Par ailleurs, cette proposition de loi n'est pas chiffrée. Je regrette vivement pour Valérie Létard que Mme la ministre n'ait pu nous en donner tous les contours financiers qu'aujourd'hui, par un coup de baguette magique. Nous aurions pu travailler et, surtout, argumenter encore plus sérieusement si nous les avions connus plus tôt. Notre collègue elle-même, dans son rapport, déplore les obstacles qui lui ont été opposés par le Gouvernement quand il s'est agi d'avancer dans ce domaine ! On évoque en effet une somme de l'ordre de 1 milliard d'euros...

C'est donc à défaut d'avoir obtenu tous les éléments qu'elle souhaitait que Valérie Létard préconise, dans un premier temps, une simple expérimentation dans des départements volontaires... Je parie que le Rhône comptera dans leurs rangs ! (Sourires.)

Elle dit clairement, et je l'approuve sur ce point, qu'il appartient au Gouvernement d'approfondir le travail ébauché dans sa proposition de loi : les missions de solidarité nationale doivent demeurer dans le giron de l'État. C'est aussi ma conviction.

Elle ne dit pas, mais je pense qu'elle le sait parfaitement, qu'il serait nécessaire de revaloriser significativement les minima sociaux - nous proposons pour notre part de les augmenter immédiatement de 300 euros et de porter le SMIC à 1 500 euros - ; de les indexer tous sur un même indice ; de redonner clairement à l'État la responsabilité globale de la solidarité ; d'engager une véritable politique de l'emploi et du logement.

Bien au contraire, madame la ministre, votre gouvernement n'en finit pas de jeter dans le chômage et la précarité des centaines de milliers de salariés, par toutes ses lois qui défont le code du travail, jettent à bas nos acquis sociaux issus de la Libération, organisent une régression sans pareille au nom de la libre concurrence et de la mondialisation, font des centaines de milliards d'euros de cadeaux aux entreprises, bref, par ses lois qui entérinent le cynisme de Mme Laurence Parisot et la formule qu'elle défend avec ses pairs, à la veille de l'assemblée générale du MEDEF qui va voir 5 000 patrons entrer en campagne électorale, selon laquelle « la vie, l'amour, la santé sont précaires... pourquoi le travail ne le serait-il pas » - et ne le deviendrait-il pas davantage ?

Vous aurez compris que mon groupe votera contre ce texte, instrumentalisé par une majorité qui a prémédité de longue date le nivellement par le bas des minima sociaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès.

Mme Christiane Demontès. Madame la ministre, comme vous l'avez indiqué, la disparition de l'abbé Pierre inscrit notre débat dans un contexte particulier. Pour reprendre les mots du Président de la République : tous les Français sont touchés au coeur.

Je voudrais donc ici, au nom du groupe socialiste, saluer la mémoire de celui qui, sa vie durant, aura mis sa volonté et sa détermination au service des plus fragiles, des oubliés de la croissance, de ceux que désormais certains appellent les « invisibles ».

Concernant cette proposition de loi, je voudrais d'abord saluer le travail effectué par notre collègue Valérie Létard - qu'elle ne rougisse pas ! - et la remercier. Dès le début, le groupe socialiste a soutenu sa démarche ; il a ainsi adopté son rapport d'information.

Parce que la réforme des minima sociaux est nécessaire pour que nos concitoyens retrouvent plus facilement la possibilité d'intégrer durablement le marché du travail, parce que vivre dignement des revenus de son travail plutôt que de ceux de la solidarité est un impératif premier pour chaque citoyen qui est en mesure de le faire, nous avons également participé au groupe de travail tel que l'ont voulu à l'unanimité les membres de la commission des affaires sociales, dont je salue ici le président, M. Nicolas About.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Merci !

Mme Christiane Demontès. Comme le rappelle Mme le rapporteur, ces travaux ont permis la rédaction d'un avant-projet. Ce dernier, fait relativement exceptionnel qu'elle a souligné, a été soumis à divers partenaires tels le Conseil économique et social et le Conseil national de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, le CNLE. Il a également été discuté dans d'autres lieux tels le Conseil d'orientation de l'emploi et même le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie. C'est dire si le spectre était large ! Ces confrontations ont permis d'enrichir la rédaction initiale et de présenter, le 27 juin dernier, une proposition de loi.

Aussi, je ne peux que regretter que ce texte n'arrive en débat qu'aujourd'hui, en toute fin de session parlementaire - alors que nos concitoyens sont inscrits dans la perspective des élections et des échéances à venir -, et qui plus est par le biais d'une niche parlementaire.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Eh oui ! C'est notre rôle !

Mme Christiane Demontès. Nous estimons qu'il aurait mérité plus d'égards et de considération. En outre, il aurait été nécessaire de disposer d'un bilan de la mise en oeuvre des récentes réformes ainsi que de simulations chiffrées.

Cette proposition de loi est importante, d'autres l'ont dit avant moi, parce que ce sont plus de 3,5 millions de nos concitoyens âgés de plus de vingt ans qui sont allocataires des minima sociaux - je parle bien des allocataires, et non pas des personnes qui dépendent d'eux. Si ce chiffre impressionnant recouvre des situations territoriales très contrastées et des inégalités réelles, une chose est certaine : depuis de trop nombreuses années, c'est bien souvent une grande désespérance individuelle et collective qui frappe nos concitoyens et leurs familles. Malheureusement, il ne suffit pas de dire que, « la République réelle », c'est celle « qui crée des emplois, [...] qui permet au travailleur de vivre de son travail » pour que la situation se modifie positivement ; encore faut-il faire preuve de responsabilité, assumer ses réussites comme ses échecs !

La récente étude que la DRESS a consacrée aux allocataires des minima sociaux fait donc apparaître leur inégale répartition territoriale. Ainsi, 26 % de la population de plus de vingt ans est concernée dans les territoires d'outre-mer. Ce chiffre est nettement plus bas, en moyenne, dans la métropole, mais, là aussi, il recouvre des disparités très importantes entre départements ; je ne les citerai pas, vous les savez comme moi.

Cette étude établit aussi que, s'il avait diminué entre 2000 et 2002, le nombre d'allocataires a fortement augmenté en 2003, en 2004 et en 2005 ; aujourd'hui, il s'est stabilisé. Elle confirme également la corrélation entre chômage et minima sociaux : plus le chômage est élevé, plus le nombre des allocataires des minima sociaux est lui-même élevé.

Lors des débats sur les crédits de la mission « Travail et emploi », j'ai eu l'occasion de rappeler certains chiffres. Je ne les répéterai pas ici, puisque la situation n'a guère évolué depuis. Pour autant, comment ne pas insister sur le fait que près de 7 millions de nos concitoyens se trouvent privés d'emploi ou sont contraints de vivre avec des minima sociaux ? Comment oublier que, dans le même temps, ce ne sont pas loin de 100 milliards d'euros qui ont été consacrés à l'exonération ou à la baisse des cotisations sociales des employeurs, sans qu'aucune contrepartie en termes d'emploi leur soit demandée ni, bien évidemment, obtenue ?

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il y a donc de l'argent pour la réforme !

Mme Christiane Demontès. Comment oublier que cette politique, on l'a bien vu lors du débat, a également mis en danger notre système de protection sociale, fondé sur la solidarité et la répartition ?

Comment évacuer le fait qu'après le « tout libéral » de MM. Raffarin et Fillon, qui affirmaient : « l'emploi, c'est l'entreprise », l'urgence de la situation ait contraint le Gouvernement à faire marche arrière et à relancer une politique de contrats aidés, notamment dans les secteurs public et associatif ?

C'est donc par un retournement de stratégie, mais aussi du fait de la situation démographique et du grand nombre de départs à la retraite, qui était prévisible, que nous en sommes revenus au taux de chômage de 2001. On pourrait donc penser que c'était une mandature pour rien : malheureusement, ce n'est pas le cas. Comment ne pas rappeler, en effet, que 2007 verra l'entrée en application du bouclier fiscal, établi à 60 %,...

M. Guy Fischer. Avec Sarkozy, ce sera 50 % !

Mme Christiane Demontès. ... qui permettra aux 10 000 plus gros contribuables de bénéficier de 250 millions d'euros, cumulables avec les baisses d'impôt de solidarité sur la fortune ?

Vous m'objecterez que je suis hors sujet.

M. Guy Fischer. Non ! Vous êtes au coeur du sujet !

Mme Christiane Demontès. Je crois pourtant qu'il était important de rappeler ces éléments du contexte, de la réalité dans laquelle s'inscrit la problématique de la réforme des minima sociaux.

Une mutation de l'architecture et du contenu des neuf minima sociaux existants est donc à la fois louable et souhaitable. Tel est, dans une certaine mesure, l'objet de cette proposition de loi, qui s'articule autour de trois principes : la volonté d'instaurer une certaine équité entre bénéficiaires des divers minima sociaux et salariés à bas revenus ; la recherche d'une protection sociale qui n'entrave pas la reprise d'activité ; le renforcement de l'accompagnement social et professionnel des bénéficiaires des minima sociaux, indispensable pour une entrée et un maintien durables dans l'emploi.

Les principes ainsi posés sont bons et, bien évidemment, nous les soutenons fortement : il faut promouvoir le retour à un véritable emploi, qui est toujours préférable au fait de vivre de revenus tirés de la nécessaire solidarité.

Pour autant, si certaines des dispositions retenues nous paraissent aller dans le bon sens, d'autres mériteraient assurément - mais vous l'avez vous-même indiqué, madame le rapporteur - une mise en perspective plus importante.

Ainsi, il est incontestable que le « mécano » des minima sociaux peut pousser certains allocataires des trois minima d'insertion que sont le RMI, l'API et l'ASS à « préférer » le chômage à la reprise d'activité.

Ainsi, parce que des métiers peu qualifiés pratiquent des salaires très bas, parce que l'on trouve des temps partiels contraints et émiettés, puisque telle est la situation des personnes concernées,...

M. Guy Fischer. Et de plus en plus !

Mme Christiane Demontès. ... les charges inhérentes à la reprise de l'emploi - je pense plus particulièrement au transport, au logement, à la garde des enfants - peuvent être tout à fait dissuasives, notamment pour les femmes, premières victimes de la précarisation.

Face à cette réalité, l'actuelle majorité a choisi de ne pas rendre ces emplois plus attractifs. Elle a favorisé la juste lutte contre les fraudeurs et la reprise de n'importe quelle activité.

Tel est le fond idéologique sur lequel a été bâti en particulier le contrat insertion-revenu minimum d'activité, le CIRMA, destiné aux allocataires du RMI, de l'API, de l'ASS et de l'AAH.

M. Guy Fischer. C'est un échec !

Mme Christiane Demontès. Avec 9 200 personnes enregistrées, force est de constater que le CIRMA est un échec !

Au regard de cette réalité, si la fusion des différents minima sociaux était une idée séduisante, elle risquait aussi, comme le rappelle Mme Létard dans son rapport, d'annihiler les effets positifs qu'offre la pluralité des prestations existantes.

Fort de ce constat, le chapitre Ier de la proposition de loi nous invite donc à rapprocher les ressources prises en compte pour la détermination des droits connexes liés aux trois minima d'insertion. En particulier, nous ne pouvons que saluer le dispositif de neutralisation des ressources devenues inexistantes ou liées, j'y insiste, à un parcours de formation.

Il en va de même pour nombre de dispositions qui prévoient des réponses sérieuses et pragmatiques à certains problèmes rencontrés par les allocataires. Je pense notamment à la suppression des délais de carence dans le versement des allocations de chômage ou de logement, à leur révision immédiate en cas de dégradation des revenus, à l'élargissement du champ d'application de la tarification sociale - qui devrait sans doute intégrer aussi la question du gaz et du chauffage -, ou encore aux dispositifs permettant de maintenir le bénéfice de la CMU et de la CMU complémentaire.

Si tant est que cette harmonisation se fasse par le haut et non pas par le bas, ces dispositions devraient permettre des progrès. Cependant, il faut veiller à ce que les planchers et les plafonds des ressources prises en compte évoluent conjointement au montant des minima sociaux.

De la même façon, s'agissant de l'article 9, l'intégration de la composition du foyer ne doit pas conduire à un abaissement du plafond de ressources pour les personnes seules, alors que l'article 16, qui permet aux départements d'expérimenter le revenu de solidarité active, doit nécessairement ouvrir la voie à une amélioration pour les personnes concernées.

Enfin, je tiens à souligner que ces dispositions confirment la justesse des analyses et propositions des associations telles que l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux, l'UNIOPSS, la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale, la FNARS, Emmaüs, dont chacun s'accordera certainement à saluer avec moi l'action pour sa qualité et sa pertinence.

Si cette réforme s'inscrit de manière positive au regard de la dimension strictement individuelle des allocataires et de la recherche d'une plus grande équité, une question de fond doit être posée : le fait de lier l'octroi d'allocations aux revenus et non plus au statut ne conduit-il pas automatiquement à faire disparaître, pour nombre de personnes, la notion même de minima sociaux ?

Mme Christiane Demontès. En effet, nous passons d'une logique de droits liés spécifiquement à un statut, à un rapport liant revenus et allocations. Dès lors, ces droits seraient-ils toujours pensés et gérés comme des droits transitoires ? Demeureraient-ils dévolus à l'insertion ? À défaut, n'est-ce pas un premier pas vers une généralisation du salaire net subventionné dont, me semble-t-il, rêvent certains ?

Si tel était le cas, la situation ainsi créée serait d'autant plus dommageable que les emplois visés sont majoritairement subventionnés aux deux extrémités du système : en amont, par l'exonération de cotisations sociales conjuguée à la possibilité de cumuler allocation et salaire et, en aval, par le versement d'allocations.

Soyons clairs, sont visés des centaines de milliers d'emplois, notamment ceux des secteurs confrontés à la concurrence internationale, mais aussi ceux des entreprises sous-traitantes, qui subissent les contraintes des donneurs d'ordre.

Il semble donc que, sur cette question de fond, il soit indispensable de faire preuve du plus grand discernement afin de ne pas privilégier de réponses hâtives, qui pourraient aboutir à une perversion de la nécessaire solidarité entre actifs et demandeurs d'emplois, notamment.

J'en viens au principe d'expérimentation que prévoit l'article 18. Nous y sommes, bien sûr, favorables. Il procède de la logique de responsabilité et de rationalité.

Madame le rapporteur, nous regrettons que les services du ministère aient refusé de faire des simulations sur ces questions. C'est assez incompréhensible et j'espère, madame la ministre, que vous pourrez nous apporter des explications. J'ai compris dans vos propos que le travail allait être fait maintenant. Or la proposition de loi aurait pu aller plus loin si cet état des lieux et ces simulations avaient été réalisés préalablement.

Avant de conclure, je veux insister sur la question des inégalités entre les départements, qui concerne tout particulièrement mes collègues présidents de conseils généraux.

Étant donné que 30 % des sommes transférées aux départements seront fonction de l'effort d'insertion, n'est-ce pas une nouvelle fois les départements au plus fort potentiel fiscal qui pourront s'inscrire dans une démarche d'expérimentation ? Nous nous interrogeons sur ce point.

En outre, compte tenu de la situation budgétaire tendue, quelle marge de manoeuvre restera-t-il aux départements les plus pauvres, ceux qui ont le plus de difficultés ?

Les départements qui ne peuvent financer les moyens nécessaires au suivi des contrats d'insertion prévus aux articles 15 et 17, par exemple, pourront-ils faire face aux nécessités d'accompagnement, qui seules permettent le retour durable à l'emploi et qui sont donc indispensables ? Devront-ils s'en tenir à des dispositifs qui ont souvent trouvé leurs limites, qui souffrent du manque de moyens dégagés pour leur mise en oeuvre, ne permettent plus de faire face aux conséquences des désengagements de l'État, à la réduction du nombre de fonctionnaires, à celle des subventions accordées aux associations qui oeuvrant dans le secteur social, notamment dans l'insertion et la réinsertion ?

Cette situation est au centre des préoccupations des conseils généraux, nous le savons tous, et l'Association des départements de France, l'ADF, s'en est fait l'écho. C'est aussi ce que souligne le récent rapport intitulé Plus de droits et de devoirs pour les bénéficiaires de minima sociaux, et dont le rapporteur était notre collègue Michel Mercier. Si ce dernier propose un renforcement des sanctions contre les fraudeurs, qui sont, rappelons-le, une minorité - vous l'avez dit vous-même, madame le rapporteur - dans les faits, quelle alternative reste-t-il pour dégager des marges de manoeuvre budgétaire quand, avec l'ensemble des présidents de conseil généraux, il constate « l'insincérité de l'action de l'État en matière de compensation » ?

Selon l'ADF, il y aurait eu, pour l'exercice 2005, un décalage de 880 millions d'euros, sur un total de 6 milliards d'euros versés au titre du RMI. Le Premier ministre s'est engagé à compenser ce dû à hauteur de 500 millions d'euros. Il n'en reste pas moins que le décalage devrait avoisiner 1,2 milliard d'euros pour 2006. Dès lors comment ne pas évoquer le préalable que constitue la question d'un financement pérenne ?

Les intentions de Mme le rapporteur sont estimables à plus d'un titre. Ses propositions peuvent constituer des réponses aux attentes les plus immédiates et les plus légitimes.

Cependant, elles ne semblent malheureusement pas en mesure de relever les défis de la situation actuelle, que je rappelais tout à l'heure. Le fait que 7 millions de nos concitoyens survivent directement ou indirectement grâce aux minima sociaux impose selon nous une réorientation politique.

Il est temps de renouer avec une politique faite d'ambition collective, qui place l'homme au centre de ses préoccupations et recherche la justice sociale. Il est temps de rompre avec des choix dictés par des présupposés idéologiques ou des visées électorales. Il nous faut relancer la croissance, soutenir le pouvoir d'achat de nos concitoyens, peser sur la qualité des emplois créés, investir dans la formation initiale, mais aussi dans la formation tout au long de la vie, au lieu de supprimer sans cesse des postes dans l'éducation nationale, la formation, la recherche et dans le domaine social.

En outre, il nous faut mettre au centre de nos dispositifs les structures d'actions locales qui sont les plus à même de prendre en compte les histoires et les parcours personnels.

Il est temps de réhabiliter le travail et non pas la simple « valeur travail ». Il est temps de rompre avec une supercherie qui vise à agglomérer l'« occupationnel » avec le travail. Il est temps de cesser de mettre à l'index ces millions de concitoyens qui, selon certains - ils ne siègent pas forcément au sein de cet hémicycle - refusent de travailler, trouvent leur compte dans l'inactivité, « vivent aux crochets des autres ». Ce discours stigmatisant est indigne et choquant. Il va à l'encontre des faits et nie la réalité des trappes à inactivité de dimension économique, mais aussi sociale et psychologique.

Cette proposition de loi peut apporter sa pierre à l'objectif de retour à l'emploi des bénéficiaires des minima sociaux. Cependant, elle reste au milieu du gué, ne remettant pas en cause une logique économique où la baisse du coût du travail constitue l'alpha et l'oméga de la politique économique et sociale. Telle est la raison pour laquelle le groupe socialiste s'abstiendra sur ce texte, tout en reconnaissant le travail qui a été accompli. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Janine Rozier.

Mme Janine Rozier. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, l'emploi est la priorité absolue du Gouvernement et de la majorité depuis des années. Cette priorité vise tout particulièrement les personnes les plus éloignées de l'emploi.

Dans notre société, chacun a besoin d'être reconnu. L'emploi participe à cette reconnaissance à laquelle chacune ou chacun d'entre nous a droit.

Actuellement plus de 6 millions de personnes, soit 10 % de la population, vivent des minima sociaux. Aussi avons-nous le devoir d'inciter activement à reprendre un emploi toutes les personnes qui en sont aujourd'hui éloignées. C'est pourquoi nous avons adopté en mars 2006 un texte tendant à la refonte de l'intéressement.

Parallèlement, le groupe de travail animé par notre collègue Valérie Létard, rapporteur de la proposition de loi, a travaillé sur cette question, ainsi que MM. Henri de Raincourt et Michel Mercier qui ont rendu leur rapport au Premier ministre.

Depuis, nous avons de nouveau modifié la législation lors de l'examen du projet de loi de finances afin de franchir une nouvelle étape. Et vous avez longuement évoqué, madame la ministre, les avantages et les avancées de ces deux textes dont je rappellerai brièvement les principales dispositions.

La loi de mars 2006 repose sur trois grandes orientations.

Premièrement, le mécanisme retenu incite à la reprise d'un emploi dans tous les cas, l'idée étant que chaque heure travaillée apporte un gain, et que ce dernier soit plus attractif que celui de l'assistance. C'est très important financièrement, mais aussi moralement.

Deuxièmement, ce mécanisme est simple, lisible et équitable. Pour les trois minima sociaux que sont le RMI, l'ASS et l'API, il se présente sous la forme de primes forfaitaires et non plus sous la forme d'un cumul dégressif, difficile à calculer. L'idée est d'en améliorer la lisibilité pour le bénéficiaire, qui, au moment où il va reprendre son emploi, peut savoir tout seul ce qui constituera son revenu.

Troisièmement, c'est un mécanisme sécurisant. La personne qui reprend un emploi cumule intégralement pendant trois mois son nouveau revenu et son minimum social, afin de pouvoir faire face aux divers frais - transport, habillement, frais de garde - auxquels on peut être exposé lorsque l'on recommence à travailler.

Nous savions que ce texte ne représentait que la première étape. Au-delà de la question de l'articulation entre les minima sociaux et les revenus d'activité traitée par cette proposition de loi, il est indispensable de garantir davantage d'équité entre les différents types de bénéficiaires.

Par ailleurs, l'accompagnement professionnel et social des assujettis aux minima sociaux, qui n'existe aujourd'hui de façon systématique que pour les bénéficiaires du RMI, devrait être généralisé.

L'examen de la loi de finances pour 2007 a été l'occasion d'avancer sur ces deux dossiers de façon significative.

D'abord, l'article 135 a permis d'aligner le montant du forfait logement applicable aux allocataires de l'API sur celui des bénéficiaires du RMI.

La loi de finances pour 2007 nous a également permis d'améliorer encore le retour à l'emploi des personnes qui en étaient les plus éloignées.

L'article 140 a mis fin à la dégressivité de l'aide versée par l'État aux employeurs qui recrutent en contrat d'avenir un chômeur de longue durée de plus de cinquante ans. Cette mesure vise à favoriser l'embauche de ces chômeurs âgés, de longue durée, qui constituent un public particulièrement éloigné du marché du travail. Elle occasionnera une dépense estimée à 15 millions d'euros en 2007, pour 50 000 bénéficiaires.

L'article 141 tend, pour sa part, à faire prendre en charge par l'État une partie du montant de l'aide à l'employeur normalement due par les départements lorsqu'un titulaire du RMI signe un contrat d'avenir ou un CI-RMA, contrat insertion-revenu minimum d'activité.

Tout cela va dans le sens de la politique d'activation des minima sociaux.

Mais la mesure phare est sans aucun doute celle de l'article 142, visant à autoriser les départements qui en feront la demande à expérimenter pendant une durée de trois ans des aménagements aux dispositions relatives au retour à l'emploi des titulaires du RMI.

Cet article va donner une très grande souplesse aux départements pour adapter le contrat d'avenir et le CI-RMA aux besoins locaux. Les départements devront veiller cependant à ne pas créer de trop fortes ruptures dans le parcours de retour à l'emploi de leurs bénéficiaires.

C'est une innovation que de permettre de conclure des contrats d'avenir à durée indéterminée, même si le contrat d'avenir a pourtant été conçu, à l'origine, comme un dispositif à vocation transitoire, destiné à aider des chômeurs éloignés du marché du travail à retrouver un emploi dans les conditions de droit commun. Il comporte, à ce titre, des actions de formation et d'accompagnement du bénéficiaire et donne lieu au versement d'aides publiques. Naturellement, ces dispositions n'ont pas vocation à s'appliquer pendant toute la carrière d'un salarié qui conclurait un contrat d'avenir à durée indéterminée. Il appartiendra donc aux départements, dans cette hypothèse, de prévoir que ces dispositions cesseront de s'appliquer passé un certain délai.

Voilà brièvement résumées, les dispositions qui existent à ce jour et dont, je le répète, nous n'avons pas encore pu apprécier les effets et les résultats, faute de temps.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui prévoit des changements dont les effets n'apparaîtront vraisemblablement pas avant la fin de l'année 2007.

Bien sûr, nous partageons les idées généreuses que professe Valérie Létard comme son envie de ne pas décourager ceux qui travaillent. Pourtant, il nous semble que nombre de secours, d'aides et d'assistances doivent être réétudiés en profondeur pour être mieux ciblés et c'est pourquoi une expérimentation nous semble extrêmement intéressante.

Ce texte allant dans le sens de l'amélioration de l'emploi, le groupe UMP s'inscrira dans votre démarche sur cette proposition de loi, madame le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur le banc de la commission.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Seillier.

M. Bernard Seillier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la question des minima sociaux est aujourd'hui plus cruciale que jamais dans la mesure où le nombre de ses bénéficiaires tend à en faire un pilier de notre système de solidarité nationale.

Nombreux sont les rapports qui ont été consacrés à cette question, en particulier celui de nos excellents collègues Michel Mercier et Henry de Raincourt. Nombreux sont aussi les projets de loi ou propositions de loi à avoir tenté d'améliorer la cohérence de l'ensemble du système depuis l'institution du RMI, en 1988, mesure phare parmi d'autres.

L'entrée dans le régime de ressources de solidarité se fait par une situation de nécessité : éloignement du marché du travail avec le RMI, l'allocation de solidarité spécifique pour les chômeurs en fin de droits et l'allocation pour l'insertion des jeunes en difficulté ; mauvais état de santé, avec l'allocation aux adultes handicapés, l'allocation supplémentaire d'invalidité ; monoparentalité, avec l'allocation de parent isolé ; veuvage, avec l'allocation de veuvage ; retraite, avec l'allocation équivalent retraite ; l'âge, avec le minimum vieillesse et l'allocation supplémentaire vieillesse.

Ces minima sociaux répondent à la nécessité d'offrir un minimum de ressources aux personnes qui, d'une part, disposent de moyens trop limités, voire d'aucun moyen, et, d'autre part, sont insuffisamment couvertes par le volet assurance du système principal de protection sociale français.

Or, chacun le sait, le nombre des bénéficiaires des minima sociaux a connu une extension impressionnante. Le nombre des bénéficiaires du RMI est passé de 500 000 en 1990 à 1,1 million aujourd'hui, avec une stabilisation en 2006, tandis que le nombre des allocataires de l'ensemble des minima sociaux a atteint, l'an dernier, 3,2 millions, ce qui prouve avec force l'existence d'un divorce entre la performance globale de notre économie et la bonne santé sociale.

S'il est juste que la communauté nationale soutienne les plus démunis et les plus vulnérables de nos concitoyens dans une société qui a tendance à faire prévaloir l'efficacité économique sur l'harmonie sociale - le logement, dont nous aurons l'occasion de discuter prochainement dans cette enceinte, va d'ailleurs constituer un nouveau pan de cet édifice de solidarité -, il demeure primordial que le recours aux soutiens sociaux n'enferme pas ceux qui en bénéficient dans une situation d'exclusion durable, à l'écart de l'activité professionnelle, sans espoir de retour. Il s'agit d'un problème récurrent s'il en est, auquel chacun de nous souhaite remédier, même si les solutions proposées peuvent être diverses.

La question est d'abord d'ordre technique. Il faut, et ce texte nous y incite, nous interroger - parlementaires, élus locaux, mais aussi Gouvernement et administrations, sans oublier les responsables du secteur associatif, que nous rencontrons chaque jour sur le terrain - et vérifier que l'on ne crée pas, par l'accumulation et la complexité des mécanismes de solidarité, des trappes à exclusion.

Le Gouvernement a, depuis quelques années, déployé des efforts pour améliorer cette situation en prenant certaines mesures législatives - loi pour le retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux, par exemple - ou réglementaires - circulaire relative à la prime exceptionnelle de retour à l'emploi en faveur des bénéficiaires de minima sociaux, décret instituant la prime exceptionnelle de retour à l'emploi dans le cadre du plan d'urgence pour l'emploi - mais sans parvenir pour autant à remédier dans sa totalité et de manière définitive à ce problème essentiel.

La proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui est donc la bienvenue dans la perspective de l'édification d'une meilleure cohésion sociale.

C'est l'intérêt même des bénéficiaires des minima sociaux, victimes potentielles des effets pervers du dispositif, perdues dans une opacité qui conduit - je reprends ici une formule du rapport - à une « désincitation à la reprise d'activité ».

Je salue donc la concertation qui a présidé à l'élaboration de ce rapport ainsi que la réelle bonne volonté de ses auteurs de « faire bouger » les choses, en concentrant leur raisonnement sur trois objectifs cohérents : établir l'équité entre les bénéficiaires des différents minima sociaux et les salariés à bas revenus, faire en sorte que notre système de protection sociale ne soit plus en lui-même un obstacle supplémentaire à la reprise d'activité des bénéficiaires des minima sociaux et renforcer l'accompagnement social ou professionnel de ces bénéficiaires. Nous ne pouvons qu'être en accord avec ces objectifs et je salue le travail de Mme Valérie Létard et la ténacité dont elle fait preuve.

Certes, je le sais, ce texte n'est pas parfait. Son financement, encore incertain, a d'ailleurs préoccupé nos collègues présidents de conseils généraux. Je sais également que deux de ses articles ont d'ores et déjà trouvé application dans la loi de finances pour 2007, avec l'ouverture du bénéfice de la majoration pour la vie autonome et du complément de ressources, ce qui prouve, a contrario, son intérêt. Je sais enfin que la solution du problème réside principalement non pas dans la rédaction d'une proposition de loi, mais avant tout dans le développement global de notre système économique, qui ne trouvera un sursaut d'efficacité que par une meilleure articulation entre la technologie, les investissements et l'organisation du régime du travail.

La présente proposition de loi doit être suffisamment souple dans son application quotidienne pour s'adapter à chaque situation. C'est pourquoi j'adhère sans réserve à la démarche qui consiste à appeler avec force l'attention du Gouvernement sur la nécessité de supprimer les obstacles endogènes à la reprise d'une activité professionnelle, en procédant - comme le texte le prévoit - à une série d'expérimentations qui permettront une appréciation plus fine des coûts. Mieux vaut ne pas légiférer trop « verticalement » et enrichir la réflexion collective par l'expérience et le vécu, quitte à l'englober dans la perspective plus large, et hautement souhaitable, de la résorption progressive des situations d'exclusion qui demeureraient dans notre pays.

Cette expérimentation pourrait durer cinq ans. Une telle période transitoire permettrait d'étaler la montée en charge du coût de la réforme et de démontrer que le retour à l'activité des bénéficiaires de minima sociaux, du RMI notamment, pourrait compenser les moyens affectés à la réforme par les départements.

Je suis convaincu que la mise en oeuvre de cette proposition de loi peut, en facilitant la reprise d'activité, produire des économies. La simplicité des mécanismes est seule de nature à engendrer l'efficacité. En effet, comme je l'avais déjà indiqué en janvier 2006 dans cette enceinte lors de la discussion du projet de loi pour le retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires des minima sociaux, un excès de mesures, parfois illisibles, difficilement compréhensibles ou inapplicables, peut devenir nuisible.

C'est pourquoi je veux voir dans cette proposition de loi une sorte d'étape supplémentaire dans une réflexion plus large et une possibilité de procéder à des estimations financières plus précises que celles qui sont disponibles aujourd'hui.

Je remercie très sincèrement le Gouvernement de bien vouloir reprendre « la balle au bond ». Je l'ai dit et je le répète, tous les efforts en vue du retour à l'emploi doivent être pleinement soutenus, car ce sujet nous concerne tous. Je me réjouis que, sur le terrain, les débats que nous engageons aujourd'hui, avec l'appui du Gouvernement, montrent que c'est bien cet état d'esprit qui prévaut. (Applaudissements sur les travées de l'UMP ainsi que sur le banc de la commission.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier Mme la rapporteur, Valérie Létard, et la commission des affaires sociales d'avoir permis au Sénat de discuter aujourd'hui de la question des minima sociaux que le Gouvernement n'a pas daigné traiter.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Si, tout de même !

M. Jean Desessard. Je reconnais que cette proposition de loi va, dans son esprit, dans la bonne direction. Elle vise à assurer une certaine équité entre les bénéficiaires des minima sociaux d'une part et, d'autre part, entre ces derniers et les salariés à bas revenus. Elle supprime les aides liées au statut, ce qui est une bonne chose, et réduit les obstacles supplémentaires à la reprise d'activité grâce à une harmonisation et une sortie progressive des différents droits connexes, la suppression des délais de carence entre la fin d'une période de travail et le retour aux minima sociaux, la neutralisation des ressources antérieures, devenues inexistantes, le renforcement de l'accompagnement social et professionnel des bénéficiaires de minima. Nous prenons acte de ces quelques avancées.

La complexité, les incohérences et les effets pervers du dispositif français des minima sociaux aurait néanmoins appelé une réforme encore plus profonde. Malgré les avancées, cette proposition de loi ne répond pas suffisamment à la nécessité d'assurer en France, à tous et à toutes, la possibilité de mener une vie décente et autonome.

D'une part, la suppression des aides liées au statut aurait dû conduire à individualiser les aides et à les étendre aux personnes âgées de dix-huit à vingt-cinq ans, de manière qu'elles ne dépendent plus financièrement de leur famille - conjoint ou parents - et accèdent ainsi à une véritable autonomie.

D'autre part, il aurait fallu proposer une revalorisation des minima sociaux à hauteur de ce à quoi chacun devrait avoir droit pour mener une vie décente. Ils sont encore trop nombreux celles et ceux qui, en France, vivent en dessous de seuil de pauvreté. L'exclusion, parfois, ne se joue qu'à quelques centaines d'euros. Ces euros, ce sont ceux qui séparent les 435 euros du RMI et le seuil de pauvreté tel qu'il a été défini par l'INSEE, à savoir 50 % du revenu médian, soit, en 2004, 657 euros par mois et par personne.

Cette proposition de loi aurait pu faire en sorte que, en France, plus une personne âgée de plus de dix-huit ans ne vive en dessous de ce seuil, et ce de façon inconditionnelle.

Ces questions ne sont malheureusement pas abordées. C'est pourquoi je les ai soulevées dans les amendements que j'ai déposés. Peut-on repenser l'aide sociale sans conduire une réflexion sur l'idée d'un minimum vital pour tous ?

De même, cette proposition de loi laisse encore sous-entendre qu'il faut « inciter » ou « intéresser » les bénéficiaires de minima sociaux au retour à l'emploi, comme s'ils choisissaient volontairement de s'exclure de la collectivité et de vivre dans la pauvreté. La réalité montre pourtant que, lorsque l'on peut reprendre un emploi, généralement, on le fait. J'en veux pour preuve le nombre de nos concitoyens qui recommencent à travailler pour un gain très minime, voire inexistant, parfois même à perte du fait des dépenses supplémentaires induites par la reprise d'un emploi.

Le cumul d'un revenu minimum et d'un revenu d'activité éviterait à ces personnes fragiles de perdre immédiatement leurs droits, voire de connaître une régression de leurs revenus. Elle leur permettrait de sortir du parcours administratif cauchemardesque qui fait qu'après avoir bénéficié du RMI, une personne qui retrouve un emploi perd un certain nombre de droits... avant d'être de nouveau allocataire du RMI.

Il faut sortir de la stigmatisation, des contrôles tatillons et des « confettis » sociaux qui aménagent la misère, et mettre tout simplement en place un système universel permettant de sortir « tout le monde » de la pauvreté.

Sauf à considérer que les chômeurs sont responsables de leur sort au point de leur refuser l'accès à ce seuil minimal, il est moralement et politiquement inacceptable de tolérer que tant de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté soit, je le répète, 657 euros par mois et par personne. Les amendements que j'ai déposés s'inscrivent dans cette perspective.

Certains m'objecteront que maintenir des minima sociaux très bas, c'est inciter les chômeurs à trouver un travail ! C'est tout simplement faux, archifaux ! Les chiffres du chômage le prouvent. Il faut cesser de faire porter la responsabilité du chômage aux chômeurs.

Face à la fragilisation de l'emploi et des solidarités familiales, d'une part, et à l'impossibilité de promettre le plein emploi aux plus pauvres dans un futur proche, d'autre part, un revenu garanti décent, individuel et inconditionnel, déconnecté de l'emploi, s'impose.

La création de ce revenu d'existence est aujourd'hui indispensable pour satisfaire le droit inconditionnel à chacun d'être protégé de la misère.

La France a d'ailleurs largement les richesses suffisantes pour assurer ce minimum vital à ses ressortissants. Le financement de cet impératif pourrait se faire notamment par une réforme de l'ISF, dans le sens inverse de celui que prévoit M. Sarkozy, et par une taxation des revenus financiers.

À ceux qui soutiennent ici et là, pour culpabiliser ceux qui vivent des minima sociaux, que la France est très, voire trop généreuse, je rétorque que les chiffres de l'Office statistique des communautés européennes, Eurostat, montrent le contraire : pour chaque chômeur, le Danemark dépense 2,6 fois plus que la France. Les Pays-Bas, la Belgique, l'Allemagne, l'Irlande ou le Portugal font également mieux que nous. L'indemnisation des chômeurs - les dépenses « passives » - est plus élevée de 40 % en Allemagne, de 70 % en Belgique, de 160 % au Danemark, de 170 % aux Pays-Bas ! Doit-on ainsi mesurer la générosité lorsqu'il s'agit de sortir une partie de la population de la misère ?

Ce revenu d'existence n'est pas une résignation au chômage et à la précarité du travail. Au contraire, il permet un accès serein à la formation et à la recherche d'emploi : accès au logement, aux soins, à l'information, à la garde d'enfants. En ce sens, il permettrait une meilleure adéquation entre l'offre et la demande sur le marché du travail, en plaçant les travailleurs dans une situation de plus grande indépendance financière. Il améliore donc aussi, par conséquent, les conditions de travail et de rémunération des salariés.

Un des avantages du revenu d'existence est sa simplicité : il s'agit en effet d'accorder la même somme à tout le monde, sans distinction, sans contrôle des conditions de ressources. Le revenu d'existence permettrait en outre d'unifier les neuf minima sociaux - c'est l'objectif de la proposition de loi - et il se substituerait à l'éventail éparpillé et opaque des aides aux plus démunis.

Le revenu d'existence simplifierait aussi le cumul des revenus du travail et de la solidarité. Aujourd'hui, cette possibilité de cumul, limitée dans le temps, est très compliquée et ne permet pas de rémunérer suffisamment les premières heures travaillées. En effet, l'emploi qui succède à une période de chômage est souvent précaire, peu rémunéré et à temps partiel. Les dépenses liées à la reprise d'un emploi, ainsi que la précarité et l'incertitude concernant les revenus salariaux n'incitent guère à la reprise d'un emploi, car les heures de travail rapportent peu d'argent supplémentaire. Avec le revenu d'existence, entièrement cumulable, les premières heures travaillées rapporteraient immédiatement.

D'un point de vue fiscal, les impôts sont censés « récupérer » tout ou partie de ce revenu d'existence à mesure que les revenus augmentent. Ainsi, ce revenu, in fine, ne reviendrait pas à « donner le RMI à ceux qui gagnent déjà des millions ». Au contraire, en conservant et en améliorant un système fiscal redistributeur, il participerait d'une meilleure justice sociale. C'est d'ailleurs ce mécanisme fiscal qui permet d'atténuer les coûts apparemment gigantesques du revenu d'existence pour les finances publiques, ce qui en fait une mesure de justice réaliste.

Tout en prenant en compte la diversité des situations, le revenu d'existence éliminerait donc, entre autres, les problèmes d'opacité, d'ignorance des droits, de non-recours, de frais de gestion, d'effets de seuil, de carence. On imagine aussi aisément qu'une telle mesure simplifierait non seulement notre organisation bureaucratique, mais aussi la vie des plus démunis, qui n'auraient plus à arpenter les administrations publiques pour bénéficier d'aides diverses. De plus, ce revenu éviterait en partie, puisqu'il serait accordé à tout le monde, la stigmatisation des bénéficiaires des minima sociaux et leur coupure avec les travailleurs pauvres.

En autorisant, sans condition, un niveau de vie décent, déconnecté du monde du travail, pour tous et toutes, le revenu d'existence implique un renversement des valeurs communément admises. La proposition de loi portant réforme des minima sociaux, aussi sympathique soit-elle, est, de ce point de vue, bien trop timide et d'une efficacité réduite. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.

TITRE IER

Accès équitable aux minima sociaux

CHAPITRE IER

Minima sociaux d'insertion