PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer

vice-président

M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia.

M. Robert del Picchia, en remplacement de M. Serge Vinçon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'Europe est enfin sortie de la crise institutionnelle dans laquelle elle était plongée depuis deux ans, à la suite des référendums négatifs français et néerlandais sur le traité constitutionnel.

Le Conseil européen a aussi montré que la France était de retour en Europe et que le couple franco-allemand pouvait être efficace lorsqu'il se mettait au service de l'Union dans son ensemble et du rapprochement avec les autres partenaires européens.

À cet égard, l'action du Président de la République a été déterminante. Tout le monde l'a constaté. Il faut rendre hommage à son efficacité ainsi qu'à celle de la présidence allemande.

Vous l'avez très justement signalé, monsieur le ministre, qui aurait songé, il y a encore quelques mois, voire quelques semaines, que l'on parviendrait à concilier les positions des dix-huit pays ayant ratifié le traité constitutionnel et celles des États qui l'ont rejeté ou qui ont choisi de différer leur procédure de ratification ? Qui aurait parié que l'on réussirait à surmonter le blocage de la Pologne à propos de la double majorité ?

Mes chers collègues, l'Europe dispose aujourd'hui d'une feuille de route. Un mandat clair et précis a été fixé à la conférence intergouvernementale afin d'aboutir à un nouveau traité, qui devrait entrer en vigueur avant les élections européennes de juin 2009.

Réformateur, ce nouveau traité le sera profondément.

Tout d'abord, il donnera à l'Union européenne des institutions lui permettant de fonctionner efficacement à vingt- sept États membres : un président stable du Conseil européen, une Commission européenne resserrée, un Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, assisté par un service diplomatique commun, qui sera chargé de coordonner l'ensemble de l'action extérieure de l'Union ; le vote à la majorité qualifiée remplacera l'unanimité au sein du Conseil dans de nombreux domaines, comme la coopération policière et judiciaire.

Ensuite, l'Union européenne sera plus démocratique grâce au renforcement du rôle du Parlement européen et des parlements nationaux.

Enfin, la Charte des droits fondamentaux aura une valeur juridiquement contraignante et l'Union européenne pourra agir dans de nouveaux domaines, comme l'énergie, l'espace ou la santé.

Certains ont regretté la complexité du système de la prise de décision au Conseil. L'essentiel est, cependant, d'avoir préservé le principe de la double majorité.

En réalité, les dérogations obtenues par le Royaume-Uni concernant la Charte des droits fondamentaux ou le domaine « justice et affaires intérieures » soulèvent davantage d'interrogations. En effet, comment expliquer que, dans un domaine aussi essentiel que la protection des droits fondamentaux, deux régimes distincts existeront en Europe, l'un applicable sur le territoire du Royaume-Uni, l'autre sur le continent ? La Grande-Bretagne, qui aujourd'hui ne participe ni à Schengen ni à l'euro, et qui demain pourra rester à l'écart en matière de liberté, de sécurité et de justice, ne se met-elle pas elle-même dans une position de repli vis-à-vis de la construction européenne ? La question doit être posée. Et ce pays ne risque-t-il pas d'entraîner dans son sillage d'autres États comme la Pologne ou l'Irlande ? Ne risque-t-on pas d'aboutir à une Europe à deux vitesses ou à la carte ?

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. C'est inévitable !

M. Robert del Picchia. Le nouveau traité permettra de réconcilier les Français qui ont dit « oui » et les Français qui ont dit « non » lors du référendum sur le traité constitutionnel. Comme l'a dit le Président de la République, lors de son discours de Strasbourg, l'enjeu maintenant est de réconcilier l'Europe avec les citoyens.

Ces dernières années, l'Union européenne s'est sans doute trop concentrée sur les questions institutionnelles, s'éloignant ainsi des préoccupations de la plupart des citoyens. Pour donner un sens à l'Europe, il ne suffit donc pas de réformer ses institutions. Il faut aussi que l'Europe sache susciter l'adhésion des citoyens en se donnant les moyens de répondre à leurs angoisses, à leurs inquiétudes et à leurs attentes.

Il faut donc partir de ces préoccupations pour rétablir la confiance. Quelles sont-elles ?

Je mentionnerai quatre domaines où les attentes des citoyens sont particulièrement fortes.

Le premier concerne la croissance et l'emploi. Nous le savons, c'est la principale préoccupation des Français. Pendant longtemps, la construction européenne a été synonyme de progrès et de prospérité. Aujourd'hui - il faut en prendre acte - l'Europe ne répond plus aux attentes et aux inquiétudes des citoyens dans un contexte marqué par l'atonie de la croissance, la persistance du chômage et les délocalisations. Pis, l'Europe apparaît non plus comme une chance, mais comme une menace au regard de la mondialisation.

Or l'Europe peut être un formidable levier pour adapter la mondialisation et résister à la toute-puissance du marché, comme le disait Nicolas Sarkozy. Elle peut être un atout pour la croissance économique et la création d'emplois. Encore faut-il qu'elle en ait la volonté et qu'elle se donne les moyens de réaliser ses objectifs. Le bilan de la stratégie de Lisbonne s'est révélé très décevant, et la zone euro n'a pas rattrapé son retard en matière de croissance et de création d'emplois.

Dès lors que la politique monétaire se décide à l'échelon européen, on ne pourra pas faire l'économie d'une réflexion sur les moyens de rendre plus efficaces les dispositifs de coordination entre la politique budgétaire, la politique monétaire et la politique de change.

De même, comment préserver, au delà de la diversité, l'originalité du modèle social européen, qui figure au coeur de l'identité européenne ? Dans une Europe élargie, plus hétérogène, la dimension sociale doit rester au centre du projet européen. À cet égard, le nouveau traité comporte des avancées, comme l'introduction d'une clause sociale horizontale et l'ajout d'un nouveau protocole soulignant la spécificité et le rôle essentiel des services publics.

Deuxième domaine où les attentes des citoyens sont très fortes : l'immigration et les questions de sécurité et de justice.

Sur ces questions, des progrès ont été enregistrés ces dernières années, par exemple avec le mandat d'arrêt européen, qui a remplacé la procédure d'extradition. Pour autant, l'unanimité, qui régit très largement ces matières, constitue un sérieux frein dans une Europe à vingt-sept.

Le nouveau traité permettra de remédier à ces difficultés de deux manières différentes : d'une part, il étend le vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil ; d'autre part, il rend plus aisé le recours aux coopérations renforcées.

Le troisième défi, monsieur le ministre, mes chers collègues, est de bâtir une véritable politique étrangère et de défense.

Pendant que l'Union européenne discute pour savoir quel titre il faut donner à son ministre des affaires étrangères - surtout pas « Haut commissaire », nous l'avons compris, monsieur le ministre ! - les États-Unis, la Russie et les nouvelles puissances émergentes, comme la Chine, l'Inde ou le Brésil, n'attendent pas.

Or nous avons besoin d'une Europe forte, capable de faire entendre sa voix sur la scène internationale, au Proche- Orient, dans les Balkans ou ailleurs.

Ainsi, concernant l'avenir du Kosovo, en cas d'échec du Conseil de sécurité des Nations unies, les États membres de l'Union européenne seront-ils capables de se saisir de ce dossier et de conserver une approche commune ?

Qu'en est-il des relations avec la rive sud de la Méditerranée et avec l'Afrique, qui présentent une importance particulière pour notre pays ?

Le Président de la République a lancé récemment l'idée d'une union méditerranéenne, sur le modèle de l'Union européenne, pour rapprocher les deux rives de la Méditerranée. Peut-être pourriez-vous nous dire, monsieur le ministre, quelles initiatives compte prendre le Gouvernement pour concrétiser ce projet et comment ce dernier s'articulera avec le processus de Barcelone et le partenariat euro-méditerranéen ?

Mes chers collègues, l'Europe de la défense a beaucoup progressé ces dernières années.

Le nouveau traité permettra de nouvelles avancées, avec notamment la « clause de solidarité » et les « coopérations structurées ».

Pour autant, un fait récent laisse songeur, je veux parler de l'annonce du déploiement d'éléments du système de défense anti-missiles américain en Pologne et en République tchèque.

Comment expliquer que, sur un sujet de cette importance, monsieur le ministre, qui concerne directement la protection du territoire et des citoyens européens, il n'y ait qu'un accord entre les États membres, à savoir ne pas en parler ? On voit bien qu'il y a encore du chemin à faire pour aller vers une défense européenne réellement autonome.

Enfin, le quatrième enjeu est celui de l'élargissement de l'Union.

L'Europe doit un jour tracer ses frontières pour approfondir son projet. Disons-le clairement : tout État qui respecte les critères n'a pas vocation à faire partie de l'Union européenne ! Non, l'adhésion à l'Union européenne n'est pas un droit, mes chers collègues, c'est un acte de foi qui suppose l'adhésion à des valeurs communes, mais aussi le maintien de l'élan d'intégration.

Cela ne veut pas dire pour autant que l'Union européenne ne doit pas approfondir ses relations avec ses voisins sur la base d'un partenariat privilégié. Une réflexion sur les frontières de l'Union est donc indispensable.

Sur tous ces sujets, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, qui a décidé récemment de constituer des groupes de travail pour suivre les travaux de la Conférence intergouvernementale, la politique étrangère et de sécurité commune ou encore le projet d'Union méditerranéenne, entend participer activement à la réflexion.

En attendant, le nouveau traité permettra à l'Europe de sortir de l'impasse institutionnelle dans laquelle elle était plongée depuis deux ans et rendra son fonctionnement plus efficace, plus démocratique et plus transparent.

Pour consolider l'Union, il ne suffit pas pour autant de perfectionner ses institutions. Il faut, dans le même temps, resserrer ses liens avec les citoyens.

Cela passe par des progrès tangibles, qui manifestent, aux yeux des citoyens, que la construction européenne leur est utile, qu'elle est à leur service, qu'elle apporte des réponses à leurs préoccupations. Pour ce faire, inspirons-nous, monsieur le ministre, de la méthode de Jean Monnet !

C'est donc autour de projets concrets, en matière industrielle et technologique comme Galileo, en matière énergétique ou de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, ou encore en développant les échanges culturels et universitaires, à vingt-sept ou par une avant-garde de pays décidés à avancer, que l'on parviendra réellement à réconcilier l'Europe avec les citoyens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, c'est en qualité de président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne que je m'exprime ce soir, mais aussi en tant qu'ancien membre de la convention chargée d'élaborer la charte des droits fondamentaux et de la convention chargée d'élaborer le traité constitutionnel, ce qui me permet de porter, je l'espère, un regard objectif et positif sur l'accord de Bruxelles.

Partisan résolu du traité constitutionnel, j'ai accueilli avec beaucoup de regret et de tristesse le « non » des Français. Cependant le devoir des partisans du « oui » était de se demander pourquoi les électeurs avaient dit « non » et d'en tirer les conclusions.

Il est toujours difficile de faire parler les urnes à l'issue d'un référendum. En effet, dans nos réunions, nous rencontrons surtout les convaincus. Il paraît clair, cependant, que les Français n'ont pas voté « non » à ce qui, dans le traité constitutionnel, était là pour améliorer le fonctionnement de l'Union.

Ce qui motivait les partisans du « non », c'était d'abord le sentiment que l'Europe ignorait leurs préoccupations concernant les délocalisations et, plus généralement, le risque de dumping social, fiscal, environnemental.

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. L'Union européenne leur paraissait d'une orientation trop exclusivement libérale, alors qu'ils s'inquiétaient pour l'avenir de la protection sociale et des services publics.

Beaucoup d'entre eux avaient également le sentiment que la construction européenne restait très éloignée des citoyens, hors de leur contrôle, et que, inexplicablement, elle en faisait trop dans certains domaines et pas assez dans d'autres.

Il était donc urgent de redresser la barre.

Mme Bariza Khiari. C'est bien dit !

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. On a commencé à le faire depuis deux ans en France, très timidement. Il faut dire que l'on était un peu mis le dos au mur ! Il suffit de prendre le texte initial de la directive « services » et de regarder le texte qui a été finalement adopté, pour constater que les critiques exprimées durant le débat référendaire ont été prises au sérieux.

Je pourrais prendre également l'exemple de la création, l'année dernière, du Fonds européen d'ajustement à la mondialisation, pour aider la reconversion professionnelle des travailleurs, ainsi que celui du lancement, en septembre dernier, du dialogue direct - grâce à M. Barroso - entre la Commission européenne et les parlements nationaux au sujet de la subsidiarité et de la proportionnalité, qui doit encourager un recentrage de l'action européenne vers les domaines où il est vraiment nécessaire que sa compétence s'exerce.

L'Europe n'est pas sourde. Elle a déjà commencé à tenir compte du message. Le mandat donné à la CIG marque une étape dans cette réorientation.

Ce mandat conserve la substance du traité constitutionnel - ce qui était le plus important -, c'est-à-dire la réforme du fonctionnement de l'Union, qui n'était pas la cause du vote négatif des Français. En même temps, il contient des inflexions importantes qui montrent que les préoccupations exprimées lors des référendums, en France comme dans les autres États membres, ont été entendues.

C'est ainsi, vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, que la concurrence « libre et non faussée » ne figure plus parmi les objectifs de l'Union.

Cela ne veut pas dire - heureusement ! - qu'il n'y aura plus de politique de la concurrence dans l'Union, mais cela signifie que l'on a écouté ceux de nos concitoyens qui ne comprenaient pas que la concurrence « libre et non faussée » apparaisse comme une fin en soi.

Pour ma part, j'ai toujours été un adepte de la formule de Jacques Delors selon laquelle l'Europe doit reposer sur un triptyque : concurrence, coopération et solidarité.

Je crois que la nouvelle rédaction va dans le sens d'un tel équilibre : la concurrence est un moyen, un aiguillon indispensable, mais elle ne doit en aucun cas apparaître comme un dogme qui serait exclusif d'autres préoccupations.

Le nouveau protocole sur les services publics - un protocole, je le rappelle, a la même valeur que le traité qu'il complète - va très exactement dans ce sens et constitue, me semble-t-il, un progrès très significatif.

Ce protocole pose quatre principes que je me permets de citer.

Premièrement, « le rôle essentiel et la grande marge de manoeuvre des autorités nationales, régionales et locales dans la fourniture, la mise en service et l'organisation des services d'intérêt économique général ».

Deuxièmement, la prise en compte des « situations géographiques, sociales ou culturelles différentes ».

Troisièmement, un « niveau élevé de qualité, de sécurité et d'accessibilité, l'égalité de traitement et la promotion de l'accès universel ».

Quatrièmement, la pleine compétence des États membres en ce qui concerne les services non économiques d'intérêt général.

Avec ce texte, nous nous trouvons bien devant un nouvel équilibre entre les impératifs de la concurrence et ceux des services publics. Nous constatons donc que les préoccupations des citoyens ont été écoutées.

Certains diront peut-être que, avec tout cela, nous en restons aux orientations générales. Mais, encore une fois, nos concitoyens n'ont pas voté contre la présidence stable du Conseil européen ou l'extension du vote à la majorité qualifiée ; ils ont voté contre une certaine façon de construire l'Europe, où ils ne se retrouvaient pas suffisamment, voire pas du tout pour certains d'entre eux !

C'est donc bien sur le terrain des orientations qu'il faut leur répondre, et ne croyons pas que celles qui sont retenues par les traités soient sans conséquences politiques et juridiques sur le fonctionnement de l'Union !

Le mandat de la CIG tient compte également des critiques sur le risque de voir l'Union s'ériger en une sorte de « super État » difficilement contrôlable ; ces critiques ont été, d'ailleurs, plus entendues aux Pays-Bas plus qu'en France !

Mais, là également, les inquiétudes des électeurs n'ont pas été ignorées. La terminologie « constitutionnelle » disparaît, la « clause de flexibilité » permettant d'étendre les compétences de l'Union est beaucoup mieux encadrée. Le contrôle de subsidiarité confié aux parlements nationaux est complété par une modalité supplémentaire qui - si j'ai bien compris - s'ajoute aux dispositions prévues par le traité constitutionnel. J'aimerais, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, avoir confirmation sur ce point.

Dans le dispositif élaboré par la Convention, deux étapes étaient prévues.

La première, appelée familièrement le « carton jaune », permettait aux parlements nationaux d'alerter la Commission au sujet de la subsidiarité. Il servait à mettre en garde lorsque l'on estimait que la Commission excédait sa compétence ou qu'elle allait beaucoup trop loin dans les détails. Si un tiers des parlements nationaux alertait la Commission, celle-ci devait réexaminer sa proposition.

Puis il y avait une seconde étape éventuelle, appelée le « carton rouge ». Mais attention, un malentendu s'est instauré, ces derniers temps, entre le « carton rouge » du traité constitutionnel et le « carton rouge » des Néerlandais !

Le « carton rouge » du traité constitutionnel donnait la possibilité aux parlements nationaux de saisir la Cour de justice des Communautés européennes après l'adoption définitive du texte, un peu comme l'Assemblée nationale et le Sénat peuvent saisir en France le Conseil constitutionnel.

Dans le mandat de la CIG, une nouvelle modalité apparaît, que l'on pourrait appeler le «carton orange » : si une majorité des parlements nationaux alerte la Commission, et s'ils reçoivent l'appui soit de 55 % des États membres, soit de la majorité du Parlement européen, la Commission doit alors retirer purement et simplement son texte.

Cette nouvelle modalité, assez compliquée à mettre en oeuvre, me paraît destinée à jouer de manière très exceptionnelle. Comment imaginer, en effet, que l'on mette fin purement et simplement au processus législatif engagé dans le cadre des institutions européennes ?

Tout va bien si elle s'ajoute au « carton jaune » et au « carton rouge » prévus par le traité constitutionnel, mais si elle s'y substituait, ce ne serait plus un progrès.

Je souhaite donc que vous nous confirmiez, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, que le « carton orange » s'ajoutera bien au « carton jaune » et au « carton rouge », sans les remplacer.

M. Aymeri de Montesquiou. C'est du Mondrian ! (Sourires.)

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Après cette interrogation, j'évoquerai un motif de chagrin.

Comme on vient de le voir, il sera question des parlements nationaux durant la CIG, d'autant que les dispositions que j'ai mentionnées ne sont pas les seules qui les concernent. Mais, à ce stade, il n'est pas prévu que les parlements nationaux aient un observateur au sein de la CIG, alors que le Parlement européen, lui, aura trois représentants ! J'insiste sur ce point : il est tout de même paradoxal que le Parlement européen, qui n'est pas compétent pour approuver les traités, ait trois représentants à la CIG, tandis que les parlements nationaux, qui vont, en fin de compte, autoriser ou non la ratification, n'aient, eux, aucun observateur !

Permettez-moi une petite digression, qui traduit en fait une intuition. J'ai mené mon enquête. (Murmures.) En effet, vous allez me rétorquer que la présidence allemande n'a pas demandé qu'un observateur représente les parlements nationaux. Permettez-moi de vous le dire très franchement, après avoir bien soupesé les termes que j'emploie, le Parlement européen ne tient pas à la présence des parlements nationaux et l'Allemagne n'y tient pas non plus ! J'ai en effet pu constater, depuis quelque temps, une certaine collusion entre les représentants du Parlement européen dans les commissions où je siège, qui sont tous allemands, et la présidence allemande.

Les Allemands devraient prendre garde à l'avenir de ne pas donner le sentiment d'être, en quelque sorte, dominateurs et d'imposer leur point de vue par une collusion - je le souligne très clairement - entre le Parlement européen et le Bundestag, voire la Chancellerie. En effet, une certaine méfiance, voire une inquiétude, se manifeste aujourd'hui ; je n'en dirai pas plus... J'ajouterai seulement que cette situation est peut-être liée également au fait que la France n'était pas jusqu'ici aussi présente qu'on l'aurait souhaité.

J'avais proposé pour ma part, comme nous sommes maintenant sous présidence portugaise, que le président du parlement portugais - ou son représentant - ait un statut d'observateur, au moins lorsque seraient examinées les dispositions concernant les parlements nationaux. Après tout, rien n'interdit à la présidence portugaise de faire en sorte qu'il en soit ainsi. Lundi et mardi prochains, je serai à Lisbonne et j'essayerai de convaincre M. Gama, président du parlement portugais de formuler cette demande.

Puisque, aujourd'hui, la tendance - et je souhaite que ce ne soit pas qu'une mode - est de donner plus de poids au parlement français, j'espère, messieurs les ministres, vous qui représentez le gouvernement français, que vous appuierez la demande que pourrait formuler le président du parlement portugais. (M. le ministre et M. le secrétaire d'État opinent.)

Le futur traité, je le crois, sera une étape vers une Europe plus proche des attentes des citoyens. Mais, bien entendu, l'essentiel, ce sont les politiques qui seront suivies. Ce qu'attendent d'abord les Européens, c'est une Union plus efficace en matière de croissance et d'emplois, en matière de lutte contre la délinquance internationale, en matière de développement durable, une Union qui sache promouvoir ses valeurs et défendre ses intérêts - au sens noble du terme - sur la scène internationale. Dans le futur traité, nous trouverons, certes, des outils pour cela, mais rien de plus.

Ce que je retiens de ce Conseil européen, c'est, bien sûr, ainsi que vous l'avez dit, monsieur le ministre, la réconciliation entre les États qui avaient approuvé le traité constitutionnel et ceux qui ne l'avaient pas ratifié ou l'avaient rejeté ; on cite toujours les Français et les Néerlandais, mais un certain nombre d'autres États se sont bien gardés de soumettre soit au Parlement, soit au référendum, ce fameux traité constitutionnel. ! Mais c'est aussi que nous avons un texte à même de rapprocher, dans notre pays - certains ont parlé de « synthèse » ; le Président de la République lui-même a employé ce terme à l'occasion de son discours de Strasbourg -, les partisans du « oui » et les partisans du « non ». Personne ne peut dire qu'il n'a pas été écouté et, dans une certaine mesure, entendu.

Enfin, c'est vrai, la France est de retour en Europe, la France est revenue dans le jeu européen en retrouvant, notamment, son partenariat avec l'Allemagne qui, pour moi aussi, est très important, malgré ce que j'ai dit tout à l'heure.

Ce compromis crée les conditions d'un nouveau départ pour l'Europe. II va nous permettre de tourner enfin la page de dix années de débat institutionnel. Ensuite, ce sera à nous tous de savoir l'utiliser au bénéfice de cette « Renaissance Européenne » - dont les initiales doivent être écrites en majuscules ! -, qui est tellement nécessaire et que, fort justement, le Président de la République a appelé de tous ses voeux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le président de la délégation européenne, messieurs les ministres, mes chers collègues, c'est avec une certaine perplexité que je viens à cette tribune pour exprimer ce que j'estime être du ressort de mes convictions.

Je dis « perplexité » parce que j'aurais préféré applaudir sans réserve un traité simplifié qui aurait été une vraie rupture par rapport au traité constitutionnel que les Français ont rejeté.

Bien sûr, je reconnais que la tâche du Président de la République n'était pas facile.

Bien sûr, je reconnais les avancées qu'il a obtenues : le principe d'un traité réformateur plutôt que refondateur, le rôle un peu accru des parlements nationaux, la suppression de la référence à « la concurrence libre et non faussée » au titre des objectifs de l'Union, le protocole sur les services d'intérêt général.

Mais avant même de prendre connaissance du texte, j'avais été alerté par des voix expertes, dont la tonalité était inquiétante, de mon point de vue, qu'il s'agisse de Jean-Louis Bourlanges : « toute la Constitution est là, il n'y manque rien ! », ou de Pierre Sellal, notre excellent représentant permanent à Bruxelles : « le texte perd en lisibilité, mais le fond est sauvegardé ». À l'instant, le président de notre délégation a insisté sur l'idée que la substance était conservée.

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. C'est bien !

M. Pierre Fauchon. Tant mieux !

M. Bruno Retailleau. Alors, j'ai cherché, dans le texte, la substance du traité constitutionnel, les traces de la prise en compte du message émis par les Français le 29 mai 2005. J'y ai trouvé tout l'inverse.

D'abord, j'y ai vu le renvoi à la Cour de justice européenne s'agissant de l'application du principe de la primauté du droit de l'Union sur le droit national et de l'application de la Charte des droits fondamentaux.

Ainsi, on s'en remet au juge plutôt qu'au peuple, qui plus est à un juge militant de la cause supranationale, qui construit, décision après décision, année après année, une jurisprudence téléologique, vous le savez bien.

Ensuite, j'y ai vu la naissance d'un État en devenir, doté de la personnalité juridique, d'une présidence indépendante des États membres, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent, et d'un service diplomatique.

Enfin, j'y ai trouvé toujours plus de compétences qui seront soumises à la règle de la majorité qualifiée, et donc plus de pouvoirs pour la Commission.

Il s'agit donc bien d'une sorte de constitution, sans le nom, mais avec les mêmes mécanismes supranationaux, « moins ronflante mais plus habile ».

M. Bruno Retailleau. À ceux qui prétexteraient qu'il faut bien faire fonctionner l'Union, je répondrai qu'avant d'être un fonctionnement, une construction, l'Europe doit être un projet partagé, un projet consenti par les peuples.

Or, derrière cette fonctionnalité, je ne vois pas de rupture ; c'est la même finalité, la même visée historique d'une Europe fédérale, avec les mêmes méthodes des petits pas et de l'engrenage.

En réalité, le compromis de Bruxelles est une nouvelle contribution à ce grand oeuvre ! Pour tous ceux qui ont voté « oui », le traité simplifié est une bonne nouvelle ; il n'y a pas de changement de direction et la logique fédérale va continuer à se déployer.

Mais alors, mes chers collègues, il ne faudra pas faire mine de s'étonner des admonestations de Bruxelles, qui déjà s'accumulent, sur la position française - juste, à mon sens -pour un euro au service de l'économie, sur les comptes publics, sur la Turquie, sur cette idée folle - pensez donc ! - qu'aurait eue le Président de la République française d'une Europe plus protectrice de ses citoyens, ou encore sur la pêche.

Demain, au ministère de l'agriculture et de la pêche, où je me trouverai avec plusieurs de mes collègues, nous essayerons, en présence de M. Michel Barnier, de défendre nos pêcheurs Que dira-t-on aux pêcheurs d'anchois et de thon ? Qu'on n'y peut rien, qu'on n'a plus le pouvoir, qu'au nom d'un intérêt communautaire supérieur -  lequel ? - il faut renoncer à défendre nos intérêts nationaux ?

Hubert Védrine, dans son dernier livre, Continuer l'Histoire, a écrit de très belles phrases sur ce sujet.

Pourtant, il me semblait que les lignes avaient bougé. La leçon commune du référendum et des présidentielles, c'est, comme l'a justement dit Nicolas Sarkozy dans son discours d'investiture, que « les Français ne veulent plus que l'on décide à leur place ! »

Tant que l'on n'aura pas abandonné la chimère fédérale, tant que l'on n'aura pas redéfini les frontières de l'Europe - bien sûr, sans la Turquie - tant que l'on tentera de relancer la construction européenne en l'absence de consentement populaire, il manquera à l'Europe une vraie légitimité politique.

C'est la raison pour laquelle il me paraît difficile, voire impossible, de faire l'économie d'un référendum sur ce texte.

Une autre Europe est possible, une autre Europe est souhaitable, une Europe respectueuse des démocraties nationales et fondée sur des coopérations différenciées.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, lors du référendum du 29 mai 2005, le peuple français a choisi majoritairement de répondre « non » au traité établissant une Constitution pour l'Europe. C'est un fait politique majeur.

Après ce vote qui a fait des citoyens des acteurs de la démocratie et non ses créanciers, nos dirigeants se sont permis de les juger, tentant de faire passer ce « non » pour un incident de parcours, et donc de nier ce vote, voire de l'effacer des agendas, pour ne pas dire de l'histoire.

J'en veux pour preuve le maintien de la signature de la France au bas du traité et le celui, dans notre Constitution, de la référence à ce même traité, dont le groupe CRC demande le retrait.

À l'issue du Conseil européen des 21 et 22 juin 2007, censé relancer la construction européenne sur la base d'un nouveau traité, l'unique question qui devrait, me semble-t-il, nous guider est celle-ci : l'Union européenne, ses orientations, ses structures, sont-elles appelées à être enfin en phase avec les besoins et les aspirations des populations qui la peuplent ? La réponse est d'évidence négative et nous ne pouvons croire Nicolas Sarkozy lorsqu'il affirme qu'il a respecté « le mandat donné par les Français » lors du référendum de mai 2005.

Certes, on pourrait s'émouvoir devant les propos de la présidence du Conseil de l'Union européenne : « L'Union européenne est déterminée à contribuer à l'évolution mondiale en promouvant sa conception d'un ordre économique et social efficace, juste et durable ». Mais tout cela n'est qu'un habillage verbeux, censé rassembler les partisans du « oui » et du « non ».

Une mesure semble positive, celle du passage du délai accordé aux parlements nationaux pour examiner des projets d'actes législatifs de six à huit semaines.

Pour le reste, vous vous êtes contentés de conserver ce qui faisait le plus consensus, à savoir l'élection d'un président stable pour l'Union européenne, et le système du vote à la double majorité qualifiée. Désormais, une décision sera entérinée si elle est acceptée par 55 % des États représentant 65 % de la population de l'Union européenne.

Un bémol cependant : cette mesure ne sera pas appliquée avant 2014 dans la perspective du ralliement de la Pologne, laquelle a également obtenu que la Charte des droits fondamentaux n'affecte pas les législations nationales sur la famille, afin de sauvegarder son droit, fort conservateur pour ne pas dire réactionnaire, singulièrement s'agissant des femmes.

Quant au Royaume-Uni, que j'évoquais tout à l'heure, alors que la Charte aurait pu modifier le rapport de force au profit des salariés, notamment sur la question du droit de grève, Londres a obtenu qu'elle ne puisse pas être utilisée par les syndicats britanniques devant la Cour de justice des communautés européennes. De plus, ce pays bénéficie d'une autre dérogation sur la coopération judiciaire et sera donc libre de se soumettre ou non aux décisions prises à la majorité en ce domaine.

Pour sa part, la fiscalité reste soumise à la règle de l'unanimité. Ainsi, le dumping fiscal a de beaux jours devant lui !

Depuis une douzaine de jours, Nicolas Sarkozy se targue d'avoir fait retirer la référence à la concurrence « libre et non faussée » des objectifs de l'Union européenne. Or ce principe est maintenu dans les traités existants et continuera donc d'inspirer les politiques européennes, bien que de plus en plus de citoyens y voient l'une des causes de l'érosion des acquis sociaux, de la progression de la précarité et de l'explosion des dividendes.

La substance du traité constitutionnel européen est conservée et l'ossature de sa partie III, même amendée, reste intacte. Au fond, rien n'a changé...

Aussi, prétendre avoir accompli un geste fort en ayant fait disparaître la référence à la concurrence « libre et non faussée » des objectifs de l'Union européenne ne constitue rien de moins qu'une manipulation politique !

La réalité, c'est que l'indépendance de la Banque centrale européenne, la priorité accordée à la lutte contre l'inflation au détriment du soutien à la croissance et à l'emploi, l'encadrement strict des finances publiques via le pacte de stabilité et de croissance, la traque aux aides publiques et aux participations étatiques ainsi que l'orientation libre-échangiste de la politique commerciale de l'Union européenne sont maintenus !

Avec la logique de la « simplification » mensongère, plus on retire une disposition qui n'a pas plu, dans l'espoir de faire taire les opposants politiques, plus on fait revivre les traités précédents qui disaient la même chose sur la concurrence, comme le traité de Rome, ou sur la politique économique, comme le traité de Maastricht... C'est beaucoup de bruit pour rassurer l'opinion et pour forger à Nicolas Sarkozy une image d'homme d'État et de « sauveur de l'Europe » !

Nul n'est dupe d'un tel tour de passe-passe, qui prend l'allure d'un effet d'annonce et d'une opération de communication orchestrée entre les différents chefs d'État et de gouvernement.

C'est d'ailleurs si vrai que, dans son relevé de conclusions, la présidence du Conseil se permet de réaffirmer le présupposé de la concurrence libre et non faussée, en déclarant ceci : « La poursuite du renforcement des quatre libertés du marché intérieur (libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux) et l'amélioration de son fonctionnement continuent de revêtir une importance capitale pour la croissance, la compétitivité et l'emploi. »

Ainsi, le principe-cadre de « l'économie de marché ouverte où la concurrence est libre » figure à de multiples reprises dans le traité actuel, qui sera reconduit en l'état... Rien n'a bougé. Aucune réponse probante n'est avancée par les dirigeants européens face aux urgences sociales et écologiques et le traité en préparation n'est pas en mesure d'y répondre.

Mais, plus grave encore, vouloir faire ratifier le traité par voie parlementaire constitue un déni de démocratie ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.) C'est nuire au peuple, en ne lui donnant pas la parole ! Dans ce cas, la grande épopée, que beaucoup d'entre vous ont évoquée, imaginée par les pères fondateurs, se concrétiserait par un parfait « hold-up » ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

Le 23 juillet, les vingt-sept États-membres se réuniront pour préparer un projet de traité simplifié avant la réunion d'une conférence intergouvernementale, qui sera placée sous l'autorité des chefs d'État ou de gouvernement. Le Portugal a été chargé de la rédaction définitive de ce texte. Est-ce là une façon démocratique d'agir ?

J'en doute, car la démocratie, le débat et le dialogue étaient loin d'être les objectifs de ce Conseil européen, qui visait surtout à établir « une feuille de route, et un mandat clair pour parvenir à l'achèvement du processus en cours pour la ratification du traité constitutionnel ». En clair, il s'agit de ratifier le traité coûte que coûte et, surtout, d'empêcher l'expression populaire par référendum.

Cette « feuille de route » fixe des échéances très rapprochées, afin d'aboutir à un nouveau traité dès la fin de l'année 2007 en vue d'une ratification en 2008, avant les élections européennes du mois de juin 2009. C'est dire si le temps du débat public sera court, voire inexistant.

Des modifications cosmétiques, une politique toujours aussi libérale, un semblant de recul sur la concurrence libre et non faussée, une Charte des droits fondamentaux de très faible portée, une course au moins-disant en matière de fiscalité,... avec tout cela, nous sommes bien loin de l'optimisme et de l'autosatisfaction affichés par Nicolas Sarkozy à l'issue du Conseil européen !

Non, la décision prise à Bruxelles n'est pas conforme au vote des Français du 29 mai 2005 ! Non, les principes antilibéraux, objets de la critique de la majorité de nos concitoyens, n'ont pas disparu ! En disant cela, je suis en parfait accord avec les 57 % de Français qui souhaitent encore être consultés par voie référendaire sur le futur « mini-traité ».

Que voulons-nous ? D'abord, je le rappelle, nous sommes tous des Européens acharnés.

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Ah !

Mme Éliane Assassi. Eh oui ! Vous n'êtes pas les seuls Européens acharnés. Nous le sommes autant que vous !

Mme Hélène Luc. Effectivement, nous le sommes plus que vous ne le pensez, monsieur le président de la délégation pour l'Union européenne !

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Dieu vous entende !

Mme Éliane Assassi. Je ne sais pas si Dieu peut nous entendre, mais, en tout cas, il nous a écoutés au moment du référendum du mois de mai 2005 ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Jean Bizet. C'est caricatural !

Mme Éliane Assassi. Mais, monsieur le président de la délégation pour l'Union européenne, la différence entre vous et nous est que, pour nous, l'Europe ne doit avoir ni le même contenu, ni le même sens, ni les mêmes valeurs que pour vous ou pour le Président de la République et le gouvernement auquel M. le secrétaire d'État appartient. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Je suis rassuré de savoir que vous êtes des « Européens acharnés » ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Simon Sutour.

M. Simon Sutour. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.) Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l'accord des vingt-sept a au moins un mérite, celui d'exister. Après plus de deux ans de paralysie, l'Union européenne envisage quelques réformes institutionnelles.

Nous ne pouvons pas nous en plaindre, car nous pensons que cela était nécessaire. Un refus de principe de telles réformes constituerait une erreur, d'autant que les conclusions du Conseil européen contiennent des éléments positifs.

Ainsi, la présidence du Conseil européen cessera d'être tournante tous les six mois ; elle sera stabilisée. De même, le nombre de commissaires, qui est aujourd'hui trop important, sera enfin réduit. En outre, la concurrence « libre et non faussée » cessera d'être incluse dans les objectifs de l'Union. Toutefois, ce progrès restera optique, car la notion demeurera évidemment dans les traités, comme c'est le cas depuis 1957. Par ailleurs, le champ du vote à la majorité qualifiée sera étendu aux questions de coopération judiciaire et policière, et la répartition des compétences sera éclaircie. L'Union se dotera d'une personnalité juridique unique et mettra fin à l'incompréhensible système des « piliers ». Enfin, le « Haut représentant pour la PESC » verra ses pouvoirs accrus et sera doté d'un service diplomatique.

Tout cela n'est pas négligeable et ne peut pas être écarté d'un revers de main. Les chefs d'État et de gouvernement ont signé un mandat pour une nouvelle conférence intergouvernementale, afin de commencer à travailler sur un nouveau « traité réformateur », qui serait adopté à la fin de 2007. La ratification aurait lieu à temps pour les élections européennes de 2009.

L'accord a été conclu après que la présidence allemande a convaincu la Pologne de lever son opposition à la proposition du système de vote à la double majorité au Conseil.

Face à un nouveau rejet du président polonais, M. Lech Kaczynski, Mme Angela Merkel a menacé de convoquer une CIG sans son voisin de l'Est réticent. Un porte-parole du gouvernement allemand, M. Ulrich Wilhelm, a précisé que la Pologne aurait ensuite « la possibilité de rejoindre le consensus européen à l'automne à la CIG ».

En échange, une extension du système actuel a été négociée, ce qui permet à la Pologne et à l'Espagne de bénéficier d'un nombre important de voix comparativement aux plus grands États-membres.

Le système de vote à la double majorité, requérant l'assentiment de 55 % des États-membres et de 65 % de la population européenne, ce qui tend par conséquent à favoriser les grands États-membres, entrera en vigueur à partir de 2014 seulement, lorsque l'Union européenne aura établi la planification de son budget à long terme pour la période 2014-2020.

De plus, et cela a été indiqué par plusieurs de mes collègues, le nouveau système de vote s'appliquera pendant une période de transition entre 2014 et 2017, mais tout État-membre pourra, s'il le souhaite, exiger que l'ancien système de vote soit encore utilisé.

Par ailleurs, une malheureuse et complexe clause spéciale facilite la formation d'une minorité de blocage au cours de cette période. La Pologne a également réussi à obtenir une clause de solidarité en matière d'énergie, afin de soulager ses préoccupations s'agissant de ses relations difficiles avec la Russie.

Nous ne sommes pas seulement pragmatiques et « euro-réalistes ». Nous sommes aussi et surtout des militants de l'Europe politique, de l'Europe intégrée, qui n'avons pas abdiqué l'ambition fédéraliste des pères fondateurs.

De ce point de vue, monsieur le secrétaire d'État, nous ne pouvons pas nous satisfaire d'un accord qui est d'une singulière médiocrité et qui marque une régression considérable par rapport aux travaux de la Convention européenne.

Le terme « constitution » est lui-même abandonné. Cela n'est pas forcément choquant, car il s'agissait d'un traité constitutionnel, et non d'une véritable constitution, qui aurait supposé l'existence d'un État et d'un peuple européens.

Mais nous n'en sommes même plus là : le nouveau traité sera présenté sous la simple forme d'amendements aux traités existants. Il a pour vocation non pas de donner une cohérence et une colonne vertébrale à l'Europe politique, mais, plus modestement, et sans doute trop modestement, de permettre un fonctionnement plus efficace des institutions communautaires.

En ce sens, il ne s'agit guère plus que d'un règlement intérieur de l'Union européenne. D'ailleurs, Tony Blair l'a avoué lui-même en déclarant : « La chose la plus importante ici, c'est que le traité constitutionnel a été mis de côté, nous en sommes revenus à un traité conventionnel. »

Ainsi, les symboles de l'Union européenne - je pense notamment à l'hymne et au drapeau européens, ainsi qu'à la Journée de l'Europe, le 9 mai - ne figurent même plus dans les traités. En outre, à la demande des frères jumeaux qui dirigent la Pologne, la double majorité est reportée à 2014, voire à 2017. De même, et cela a été souligné, le vote à la majorité qualifiée n'est pas appliqué aux matières fiscale et sociale. De plus, le terme « ministre des affaires étrangères » n'a pas été retenu, ce qui est très significatif de la volonté des ministres nationaux de ne pas abandonner un pouce de terrain dans ce domaine, tout comme l'est également le refus du vote à la majorité qualifiée en cette matière

Si la Charte des droits fondamentaux a enfin une force contraignante, elle n'est pas intégrée dans les traités, même si une référence y est faite. Par ailleurs, et cela a également été indiqué, elle n'est pas applicable au Royaume-Uni.

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Eh oui ! C'est comme cela !

M. Simon Sutour. Enfin, nous devons souligner une grave lacune : le protocole sur les services publics, qui est très faible, ne cache pas l'absence de dimension sociale et écologique ou de réformes de la gouvernance énergétique.

Au total, mes chers collègues, il s'agit bien d'un « mini-traité pour une mini-ambition » et d'un projet qui s'inscrit plutôt dans la lignée du si contesté traité de Nice !

Aussi le portrait dressé aujourd'hui du Président de la République en « sauveur de l'Europe » est-il quelque peu exagéré. Bien entendu, il ne s'agit pas de nier la part qu'il a prise dans cet accord. Il a fait preuve d'une énergie dont Jacques Chirac n'était à l'évidence plus capable depuis le 29 mai 2005.

Le Président de la République a concrétisé le retour de la France en Europe et a imposé sa conception d'un traité simplifié, même si, comme l'a justement observé M. Jean-Claude Juncker, ce texte, avec ses clauses d'« opt-out », ses bizarreries et ses obscurités, est en réalité plus illisible encore que le traité constitutionnel européen.

En effet, ce traité « réformateur », qui vient amender les traités existants, a ainsi manqué un des objectifs de la déclaration de Laeken, qui était celui de la simplification.

Nous le disons souvent, le mieux est l'ennemi du bien. Le traité constitutionnel européen, qui était décrié pour sa longueur et sa complexité, sera remplacé par un texte amendant une fois de plus les traités existants, avec plus de déclarations, de nouveaux protocoles et un mode de vote au Conseil que même les experts ont du mal à comprendre.

En la matière, le Premier ministre belge sortant, M. Guy Verhofstadt, n'a donc pas eu tort d'évoquer un « traité des notes de bas de page ».

Une étape fondamentale sera donc de rendre ces traités plus lisibles et de séparer la partie constitutionnelle des éléments de nature législative, y compris par des modes de révision différenciés.

Le Président de la République française, avec une certaine complicité d'Angela Merkel, a « tordu le bras » aux pays « amis de la Constitution », étrangement résignés, à l'exception de l'Italien Romano Prodi. Il a favorisé l'octroi de belles concessions aux eurosceptiques, britanniques ou polonais. Il n'a proposé aucune vision, son approche a été purement fonctionnaliste et pragmatique.

Il n'y a donc pas lieu de se glorifier de cet accord. En fait, ce Conseil européen ne mérite ni excès d'honneur ni excès d'indignité.

De plus, il faut noter que la méthode de négociation, au sein du Conseil européen et, bientôt, d'une CIG, a démontré, une fois de plus, les limites d'une approche strictement diplomatique et à huis clos de la révision des traités.

L'observateur garde de cet épisode le même goût amer qu'au lendemain du Conseil européen de Nice : celui d'avoir assisté à des marchandages entre intérêts nationaux sans hauteur de vue et à l'écart - j'insiste sur ce point - de tout débat public.

Ce ne sont pas tant les acteurs réunis autour de la table à Bruxelles qui sont en cause - nombre d'entre eux étaient empreints de volontarisme -, c'est bien plutôt la dynamique intergouvernementale inhérente à ce type de négociation.

Comment a-t-on pu oublier si vite que du chaos de Nice est sortie l'idée de la Convention qui, malgré certaines faiblesses, a eu le grand mérite d'associer parlementaires européens et nationaux aux représentants des gouvernements et d'ouvrir ses débats au public ?

Un accord est intervenu, mais quel aurait été cet accord si le Conseil ne s'était pas fondé sur le texte du traité constitutionnel établi à l'origine par la Convention ? Quelles autres « lignes rouges » aurait-il dû tenter, en vain, de dépasser ?

L'Union européenne doit préserver et améliorer la méthode de la Convention. Le fait que l'accord trouvé dans la nuit du 23 juin 2007 ait repris la majeure partie de son travail en a démontré l'utilité.

Cela nous conduit d'ailleurs à évoquer - et je le regrette - un bémol supplémentaire : le Conseil semble avoir abandonné l'idée d'une clause de rendez-vous pour prendre le temps de se pencher sur la partie des traités concernant les politiques de l'Union.

La troisième partie du traité constitutionnel a suscité de nombreuses réactions pendant la campagne référendaire, en 2005, en France.

Pour prendre en compte l'ambition de nouveaux objectifs affichés ou, au minimum, actualiser son contenu par rapport à l'évolution de l'acquis communautaire, il était devenu indispensable que sa révision fasse l'objet d'un débat public, éventuellement au sein d'une convention revisitée.

L'Europe élargie a besoin de rendre visible le projet européen qu'elle souhaite porter dans le contexte géopolitique du XXIe siècle et montrer ce qui fait sa pertinence dans la mondialisation.

Sans cela, la distance entre ce projet et le citoyen européen ne cessera de s'accroître et, dans ce cas, aucune démarche diplomatique, fût-elle la plus créative, ne pourra relancer le moteur de l'Union européenne.

Au final, notre ligne de conduite partira de ce constat, celui d'un verre à moitié plein, ou à moitié vide.

L'accord trouvé repose à la fois sur une avancée et sur un recul. L'avancée réside dans le fait que le futur traité devrait reprendre pratiquement les neufs aménagements institutionnels proposés par le traité constitutionnel européen, mais seulement ceux-là.

La marche arrière est incarnée par le recul de l'esprit européen, l'abandon des symboles de l'Union et l'isolement du Royaume-Uni.

L'Union européenne se trouve à un tournant de son histoire, tiraillée entre une inexorable marche en avant et un repli sur des simples fonctions de marché intérieur, qui correspondent à la vision britannique et à celle de certains pays de l'Est. Le rejet de l'idée d'une représentation diplomatique de l'Union est, à ce titre, symbolique du refus de faire de l'Union un véritable acteur international crédible.

Les socialistes attendront donc, d'abord, le résultat de la CIG sous présidence portugaise qui, on le sait, peut être pire...

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Non !

M. Simon Sutour. ..., ce que je ne souhaite pas !

Nous ferons des propositions d'amélioration avec les socialistes européens, qui ont d'ailleurs précisé, par la voix de Martin Schulz, que cet accord chèrement acquis ne comprenait pas les éléments nécessaires à la réforme du processus de décision de l'Union européenne, évoquant la « déception à l'égard du système de vote des réunions ministérielles ».

Ensuite, nous nous déterminerons avec le souci de ne pas casser davantage la porcelaine européenne, mais aussi avec celui de ne pas cautionner une Union « a minima ».

Nous restons partisans de l'Europe politique. Après cet épisode contrasté, d'autres combats seront à mener pour relancer cette ambition et lui rendre un souffle que des Européens désenchantés n'ont pas su lui donner. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Denis Badré.

M. Denis Badré. Monsieur le président, messieurs les secrétaires d'État, mes chers collègues, une présidence stabilisée, un ministre des affaires étrangères, ou encore l'extension du vote à la majorité qualifiée, voilà des points clés du traité institutionnel repris par l'accord du Conseil européen.

Il était indispensable et urgent que, par cet accord, l'Europe sorte de la panne qui la minait. Et il fallait que la France y prenne sa part. En effet, nos partenaires continuaient à nous attendre, malgré notre « non » au référendum, que pourtant ils comprenaient mal et jugeaient parfois sévèrement, et peut-être à cause de ce « non », qui nous donnait des responsabilités particulières à leurs yeux pour sortir de la crise.

Nous sommes donc heureux de cet accord qui, sans redonner encore son plein élan à la construction européenne, permet cependant son redémarrage.

Nous devons cet accord à l'action déterminée de nos deux ministres, aux côtés du Président de la République dont nous saluons l'engagement personnel exceptionnel sur ce dossier.

Nous devons aussi cet accord aux efforts consentis par les États ayant ratifié le traité, qui ont accepté « de pas trop mauvaise grâce » d'entrer dans la recherche d'un nouveau compromis. Aurions-nous été aussi beaux joueurs à leur place ?

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Ah !

M. Denis Badré. Je salue en particulier l'attitude des nouveaux membres de l'Union, qui ont d'emblée accepté de jouer activement le jeu communautaire.

Enfin, et surtout, nous devons cet accord à l'action tenace et à la volonté inébranlable d'Angela Merkel et de tous les membres de l'équipe de la Chancellerie allemande. Ils avaient décidé de tout faire pour « bien conclure », sur un mandat clair, détaillé et précis, que la CIG n'aurait plus qu'à mettre en forme, sans qu'il soit besoin de prévoir de nouveaux arbitrages.

S'agissant des éléments de cet accord, soyons justes en rappelant d'abord qu'il faut mettre au crédit de la Convention le travail remarquable qu'elle a accompli à travers les années - on ne le dira jamais assez, cher président Haenel !

N'oublions pas non plus le rôle patient de la Commission, du Parlement européen et des parlements nationaux, qui ont su, très régulièrement et fortement, exprimer l'intérêt commun et l'attente des peuples.

L'Europe est-elle sauvée, pour reprendre l'expression employée par le Président de la République à Strasbourg ? Je l'espère, mais il va falloir encore travailler beaucoup pour transformer l'essai marqué afin que l'Union retrouve son plein élan.

Il faudra bien sûr que le texte, qui devrait pouvoir être finalisé dès octobre à Porto, soit ratifié par les vingt-sept États, et le plus tôt sera le mieux. J'aimerais que la France se donne les moyens de se montrer exemplaire à cet égard. Une fois ne serait pas coutume ; je sais trop combien nous prenons systématiquement du retard dans la transcription de textes communautaires en droit français !

N'oublions pas, en effet, que d'autres débats difficiles nous attendent, qui intéresseront en particulier la présidence française du second semestre 2008. Je pense, notamment, au réexamen à mi-parcours des perspectives financières, à la politique agricole commune, à la recherche, à l'énergie, ou encore au codéveloppement, pour citer des politiques dont l'ouverture du monde nous interdit de sous-estimer l'importance comme la difficulté.

L'actualité évoque de possibles remises en cause de l'accord par l'un des vingt-sept États. Monsieur le secrétaire d'État, cela ne peut être toléré ! Comment construire dans la durée si un accord accepté n'engage pas ?

Cela étant, ne nous étonnons pas devant l'apparition de telles « régressions ». Le Conseil a bien été conduit à accepter des demandes reconventionnelles présentées par des États qui, contrairement à l'engagement général auquel ils avaient souscrit, n'avaient même pas soumis à ratification dans leur pays le traité institutionnel. Ce sont même ces États, me semble-t-il, qui ont opposé avec le plus de brutalité les principaux obstacles à l'accord !

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. C'est vrai !

M. Denis Badré. Peut-être ne pouvait-on faire autrement que d'entrer dans leur jeu, mais c'est un précédent bien fâcheux !

Qu'un échec de ratification amène un État à demander qu'une question soit reconsidérée, on peut parfaitement le comprendre. Sauf évidemment un fait nouveau important, aucun autre argument ne peut, à mon sens, être avancé pour justifier la réouverture d'un dossier clos sur un accord. Il faut un minimum de confiance mutuelle pour construire l'Union !

Transformer l'essai pour retrouver l'élan, c'est aussi avoir l'humilité de reconnaître que, sinon quant au fond du moins dans la forme et la présentation, le Conseil a un peu travaillé a minima.

Avec le souci de n'effaroucher personne, il a renoncé à la codification que comportait le traité institutionnel, alors qu'elle était, par sa nature même, porteuse de simplifications. Il a renoncé à l'appellation de « ministre des affaires étrangères », pourtant très lisible. Il a renoncé à citer les symboles de l'Union, dans lesquels nombre de citoyens aiment cependant à se reconnaître.

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. C'est vrai !

M. Denis Badré. À l'évidence, il vaut mieux les utiliser sans les citer plutôt que les citer sans les utiliser ! Il n'empêche que l'on aurait peut-être gagné à être un peu moins frileux et à faire les deux. Je préfère, pour ma part, une Europe qui ose s'afficher et qui veut aussi parler au coeur !

Mais passons ! Monsieur le secrétaire d'État, je compte sur vous pour faire pavoiser aux couleurs nationales et européennes tout ce qui pourra l'être, et pour faire effectivement vivre les autres symboles de l'Union.

Surtout, nous devons travailler désormais à restaurer l'esprit communautaire. À cet égard, je veux dénoncer trois « fautes » contre cet esprit.

La première nous concerne, nous Français. Laisser filer le déficit, contrairement au traité et aux solidarités élémentaires, ne constitue pas un bon message envoyé à nos partenaires. Vous allez nous expliquer que c'est nécessaire pour retrouver la confiance, donc pour relancer la croissance. Peut-être ! Il reste à le démontrer. Mais ce fait est très mal perçu par nos partenaires, et cela compte !

La deuxième « faute » contre l'esprit communautaire vise cette fois nos amis britanniques, qui ont délibérément choisi d'ignorer les « valeurs communes » en refusant la Charte des droits fondamentaux. Cela me paraît plus grave que le fait de s'exonérer de Schengen ou de l'euro. En effet, c'est le coeur et la finalité de la construction européenne qui sont ainsi atteints.

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Oui !

M. Denis Badré. À ce point, on peut s'interroger sur leur place dans l'Union.

Enfin, la troisième « faute » contre l'esprit communautaire vise les responsables polonais. Il importe de condamner sans appel tous ceux qui, à l'appui de nouvelles demandes, feraient référence aux pertes subies dans le cadre des conflits qui nous ont opposés dans le passé.

La construction européenne n'est pas une entreprise de « réparations ». C'est une oeuvre de « réconciliation » - ne n'oublions jamais - et elle est sans précédent dans l'histoire du monde ! Jamais, dans les années cinquante, la France et l'Allemagne ne se sont opposé ce genre d'argument. Elles se retrouvaient sur l'essentiel : tourner la page et retrouver ensemble un avenir.

Retrouver l'esprit communautaire, c'est renouer avec le sens profond du projet européen. L'Europe n'est pas d'abord un club de consommateurs qui se retrouvent pour lancer des projets ; elle est elle-même projet. Il faut le réaffirmer et redonner sens à ce projet européen. Il faut qu'il soit visible dans le monde et que les Européens s'y reconnaissent.

J'en viens donc à la nécessité de « caler » le projet européen sur la confiance des Européens et, en particulier, des Français.

On peut et on doit sortir du débat caricatural qui a opposé, pour ratifier le traité, la voie référendaire qui représenterait la perfection démocratique et la voie parlementaire qui marquerait une confiscation par le Parlement. Cette opposition n'a aucun sens !

Ne donnons pas, pour autant, le sentiment que, puisque les Français n'ont pas répondu au référendum comme on le souhaitait, ils ne seront plus consultés. Ils seraient dès lors conduits, à juste titre, à se détourner complètement du projet européen.

Mme Hélène Luc. Eh oui ! C'est vrai !

M. Denis Badré. Si le nouveau texte est bien ratifié par la voie parlementaire, il faudra, monsieur le secrétaire d'État, imaginer une manière d'associer les Français à la poursuite du projet.

À la veille du 29 mai, on s'était réjoui de les voir se passionner pour l'Europe. Le 30 mai, on brusquement oublié que le sujet pouvait les intéresser. Avec les organisations non gouvernementales, dont c'est la vocation, nous avons tous ici, Gouvernement et Parlement, une grande responsabilité à cet égard !

Je conclus en rappelant une dernière réalité : la France est maîtresse chez elle ; elle ne l'est pas chez ses partenaires. Le projet européen est collectif et concerne vingt-sept États partenaires. Même si la France n'est pas tout à fait prédisposée à cela, il lui faut apprendre à écouter des partenaires qui peuvent avoir raison, exprimer des idées, réussir par d'autres voies que celles que notre pays a choisies. Il faut apprendre à la France à respecter ses partenaires, qu'ils soient fondateurs ou nouveaux membres, grands ou petits, contributeurs ou bénéficiaires nets.

Il convient que le couple franco-allemand reconsidère sa vocation d'origine en jouant un rôle de médiateur et que chacun prenne sa part du travail pour servir l'intérêt commun.

Alors le projet européen sera le projet des Européens, le projet de réconciliation durable, le projet de paix, de liberté et de promotion des droits de l'homme que le monde attend. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.

M. Pierre Fauchon. Monsieur le Président, messieurs les secrétaires d'État, mes chers collègues, je ne crois pas que l'on puisse trouver dans cette assemblée quelqu'un qui nourrisse des convictions européennes plus affirmées que les miennes, et cela dans toutes les dimensions de l'Europe : celle du développement économique et social, au-delà des simples exigences d'un marché commun ; celle d'un espace de sécurité et de paix, avec ses exigences de communautarisation des moyens législatifs, judiciaires ou policiers, en vue de lutter contre toutes les formes d'une criminalité transfrontalière en constant progrès ; celle des politiques de sécurité extérieure et de promotion de la paix dans le monde, avec ce qu'elles comportent d'harmonisation des politiques étrangères, de coordination et de communautarisation des moyens, en particulier militaires.

C'est précisément parce que j'ai une telle foi, un tel idéal, que je suis convaincu, instruit par une longue expérience, que nous n'avons de chance de parvenir à notre objectif qu'au prix d'une démarche modeste, concrète et obstinée. Celle-ci repose sur la conviction que tout pas en avant, si limité soit-il, est bon à prendre, même s'il s'accompagne de déclarations d'intention contradictoires ou obscures, dès lors, et c'est cela qui compte, qu'il s'agit bien d'un pas en avant !

Je me souviens ici et je m'inspire de la consigne si pertinente et si sage - on m'excusera de ne pas citer Jean Monnet, mais à chacun ses auteurs ! - sous son apparence paradoxale donnée par Talleyrand à son cocher : « Cocher, allez doucement, car je suis pressé. »

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. « Hâte-toi lentement », disait aussi Voltaire !

M. Pierre Fauchon. C'est parce que je suis pressé de voir l'Europe avancer que j'ai beaucoup souffert depuis ce triste référendum, mesurant jour après jour, problème après problème, combien cette journée néfaste avait de conséquences désastreuses non seulement pour le fonctionnement même de l'Union, mais dans tous les domaines concernés.

Ainsi l'Europe était-elle, voilà quelques semaines encore, littéralement embourbée dans les embarras techniques, le scepticisme des uns, le conservatisme national des autres, l'insouciance et l'inconscience qui sont trop souvent la marque de ceux que l'on voudrait pouvoir qualifier de responsables.

Le char était embourbé et, avouons-le, nul ne voyait bien comment il pouvait être arraché à cette « maudite boue », comme dit La Fontaine.

Il s'est trouvé quelques vaillants « charretiers », parmi lesquels des Français - dont vous êtes, monsieur le secrétaire d'État -, qui ont su faire preuve de ce qu'il fallait de résolution et de souplesse en même temps que de savoir-faire - il en a certainement fallu beaucoup ! - et de patience pour obtenir ce qui restera une sorte de miracle, et je mesure mes mots : le char a bougé. Il a fait mieux que bouger, car il s'est arraché à cette paralysie pour se remettre en mouvement.

Sans doute, on ne peut dire avec le fabuliste : « Mon char marche à souhait » ; mais, ce qui est sûr, c'est qu'il recommence à avancer et que dès lors tout redevient possible, que la confiance renaît dans le camp des européens. C'est d'autant plus vrai que les avancées portent sur des points essentiels, comme les modalités de vote, tandis que les blocages concernent des points infiniment moins importants, même s'ils sont emblématiques.

Sans doute n'est-il plus question de constitution ; mais, tout en le regrettant, je ne suis pas de ceux qui s'en découragent, me souvenant que, après tout, l'Europe se fait depuis cinquante ans sans constitution - et quels progrès en cinquante ans ! Et la Grande-Bretagne, on oublie de le dire -or, est-il de meilleure démocratie ? -, n'a jamais eu de constitution : elle a des textes fondamentaux qui sont comme des traités ou des conventions interinstitutionnelles, et dont l'Europe, d'ailleurs, devrait s'inspirer.

Il faut donc non pas se crisper sur les formes, mais considérer le fond des problèmes et engranger les résultats obtenus en s'efforçant d'en faire tout à la fois des acquis et des tremplins.

C'est dire que, si rien n'est définitivement résolu, l'avenir n'est plus bouché. En surmontant dans de bien plus nombreuses situations le handicap du vote unanime - c'est le point essentiel -, nous avons fait, vous avez fait, monsieur le secrétaire d'État, le pas décisif auquel tout était suspendu. Sans doute faudra-t-il supporter un certain retard ; mais y avait-il d'autres moyens de franchir ce pas ? Nul ne peut honnêtement le prétendre.

C'est pourquoi, parlant au nom de mon groupe dans sa très grande majorité,...

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Ah ?

M. Jean Bizet. Quel groupe ?

M. Pierre Fauchon. ... je vous dis amicalement, monsieur le secrétaire d'État, à vous et au ministre des affaires étrangères, et, respectueusement, au chef de l'État, qui a fait dans cette circonstance la démonstration d'une capacité exceptionnelle, un très grand bravo. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF ainsi que sur quelques travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean François-Poncet.

M. Jean François-Poncet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il n'y a littéralement plus rien à dire. Tout a été exprimé à plusieurs reprises, en général fort bien, et, si cela ne tenait qu'à moi, je m'arrêterais là. Mais je m'exprime au nom du principal groupe de cette assemblée, et je vous demande la patience qu'il faut pour m'écouter.

Il est certain que l'accord de Bruxelles marque une étape importante et que, dans la série des sommets qui ont marqué la vie mouvementée de l'Union européenne, le dernier est l'un des principaux.

On peut, bien entendu, débattre des mérites et des carences de l'accord. Il est en tout cas deux choses que l'on ne peut pas discuter.

La première, je crois que tout le monde y a insisté, c'est que, en effet, la France a fait sa rentrée en Europe après le référendum perdu de 2005, ne serait-ce d'ailleurs que parce que la proposition d'un traité simplifié est une proposition française : c'est Nicolas Sarkozy qui, dans le discours qu'il a prononcé à Berlin, l'avait exprimée de la façon la plus claire et la plus forte. La paternité n'est pas discutable.

La seconde vérité incontestable est que ce succès remporté par la France n'aurait pas était possible si le retour de celle-ci n'avait pas été complété par le retour de l'entente franco-allemande. Ne l'oublions pas, c'est la conjonction de ces deux retours qui a scellé le succès du sommet.

Il est clair que, avec le retour du couple franco-allemand, l'Europe a retrouvé son moteur ; on a bien vu, au cours des deux dernières années, qu'il n'y en avait pas d'autre. On s'est plu à dire que, dans l'Europe à vingt-sept, le tandem franco-allemand n'était plus ce qu'il avait été. S'il est exact que des précautions doivent être prises à l'égard de certains de nos partenaires, il n'en demeure pas moins vrai que la France et l'Allemagne restent le gouvernail et le moteur de l'Europe. C'est ce que l'accord de Bruxelles a montré.

J'en viens rapidement aux mérites et aux carences de cet accord.

Les mérites sont évidents, les avancées sont essentielles. J'hésite à les rappeler puisque tout le monde y a insisté, le ministre pour commencer et, à sa suite, tous les orateurs : une présidence stable ; une diplomatie européenne ; un Haut représentant à propos duquel il faut souligner l'essentiel, à savoir qu'il est en même temps vice-président de la Commission et que, pour la première fois, est réuni dans sa seule main l'ensemble des moyens, l'ensemble des actions internationales de l'Europe, ce qui n'était pas le cas jusqu'ici.

Je ne m'attarderai pas sur le reste et je me contenterai d'évoquer rapidement le système du vote à la double majorité, qui prend en compte le poids démographique des États.

Il ne deviendra obligatoire qu'en 2017 ; dans l'intervalle, c'est le système du traité de Nice qui s'appliquera. Il est vrai que celui-ci avantage indûment la Pologne et l'Espagne. Ce que l'on oublie d'ajouter, c'est qu'il avantage aussi la France, l'Italie et le Royaume-Uni, et que la concession faite à la Pologne l'a été par la seule Allemagne, qui, avec ses 82 millions d'habitants, a accepté d'en payer le prix par ce délai de dix ans avant que son poids démographique ne soit pris en compte.

M. Jean François-Poncet. Les carences et les reculs sont de trois espèces.

Le premier recul, ce sont les concessions de vocabulaire. Le mot de « constitution » disparaît, et l'on peut se demander s'il était justifié et nécessaire ; je n'en suis pas certain, je n'en ai jamais été certain.

Plus gênant, les symboles de l'Union - le drapeau, l'hymne et la devise de l'Union - passent eux aussi à la trappe. C'est sûrement regrettable, c'est même très regrettable, mais cela ne change rien, puisque ces mêmes symboles continueront d'être utilisés comme ils le sont aujourd'hui.

Le Haut représentant pour la politique étrangère ne portera pas le titre de ministre. C'est dommage, mais ses attributions et les moyens dont il disposera n'en sont pas affectés. Par conséquent, ces concessions sont à mes yeux regrettables, mais secondaires.

Le deuxième recul, à mon avis beaucoup plus sérieux, concerne le Royaune-Uni, qui a profité de l'occasion pour revenir sur une partie des engagements qu'avait pris Tony Blair en approuvant le traité constitutionnel.

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. C'est Salonique !

M. Jean François-Poncet. La Déclaration des droits fondamentaux ne s'appliquera pas en Grande-Bretagne, et les décisions prises à la majorité qualifiée en matière de coopération judiciaire ne s'imposeront à elle que si elle l'accepte. La situation conduit donc de plus en plus, me semble-t-il, à se demander si le Royaume-Uni est encore un membre à part entière de l'Europe. (M. Aymeri de Montesquiou approuve.)

Le fait qu'il ne soit partie ni à la monnaie unique, ni à Schengen, ni aux droits fondamentaux, ni aux votes à la majorité qualifiée dans des sujets aussi importants que ceux qui concernent le terrorisme pose un vrai problème. Le Royaume-Uni aura-t-il demain, par exemple, la légitimité nécessaire pour s'opposer à d'éventuels progrès de l'intégration européenne ? Personnellement, j'en doute, et je crois que nous devons y réfléchir.

Le troisième recul, enfin, dénoncé par le président du Conseil italien, M. Prodi - qui a été président de la Commission - et par le Premier ministre belge, M. Verhofstadt, est celui de l'esprit communautaire. Il est évidemment très grave !

Cette observation leur a été inspirée par l'âpreté avec laquelle plusieurs pays ont défendu leurs priorités nationales aux dépens de l'intérêt général de l'Europe. Elle est juste. Pour autant, est-elle vraiment nouvelle ? N'a-t-on pas eu le même sentiment quand, en 1962, la France a pratiqué la politique de la « chaise vide » ? N'a-t-on pas eu le même sentiment quand Mme Thatcher clamait à travers l'Europe « Rendez-moi mon argent » ? N'a-t-on pas eu le même sentiment quand, au sommet de Nice, la France et l'Allemagne se sont « prises aux cheveux » ? Et n'a-t-on pas eu le même sentiment quand l'Union européenne s'est déchirée sur l'Irak ?

Si je rappelle cela, c'est simplement pour souligner que, après chacune de ces crises, graves, de l'esprit communautaire, l'Europe a rebondi. Elle a rebondi avec l'Acte unique, elle a rebondi avec la monnaie unique, comme elle vient de rebondir à Bruxelles, le 23 juin, à 4 h 30 du matin.

La construction européenne, nous le savons tous, n'a jamais été un long fleuve tranquille. Elle a cependant toujours su sortir des ornières dans lesquelles elle s'était enfoncée, elle a toujours su surmonter les obstacles qui l'entravaient, comme elle vient de le faire grâce à ce traité réformateur.

Toutefois, j'attire votre attention - mais ce n'est probablement pas nécessaire - sur le fait qu'il s'agit désormais de rédiger le traité sans que renaissent les contentieux que l'accord de Bruxelles a tranchés. Or, nous savons que c'est dans les détails de la rédaction que gît le diable.

Reste une dernière question : l'accord a-t-il pris en compte le « non » de la France au traité constitutionnel ? Le point principal qui avait motivé le vote négatif de la France -tous ceux qui, comme moi, ont participé à l'époque à des réunions électorales le savent -, c'est la troisième partie du traité, jugée comme plaçant la Communauté européenne sur le cap de l'ultralibéralisme. Or cette troisième partie a totalement disparu. C'est la principale raison pour laquelle on parle d'un traité simplifié.

Il est donc assez évident que l'on a tenu compte du vote négatif émis par les Français ; on ne pouvait, d'ailleurs, pas faire autrement !

Le protocole sur les services publics a été également évoqué.

Quant au retrait des objectifs fondamentaux du traité des mots : « la concurrence libre et non faussée «, certains pensent qu'il n'est pas significatif, puisque l'importance de la concurrence a été reprise dans un protocole spécial. Cependant, il s'agit désormais non plus d'une fin en soi, mais d'un moyen.

Est-ce significatif ? Cela le sera peut-être beaucoup plus qu'on ne le pense si la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes et la Commission s'en inspirent lorsqu'il s'agira de savoir s'il faut privilégier la concurrence ou permettre l'émergence de champions industriels européens, ou lorsqu'il faudra décider s'il y a lieu de s'incliner devant la mondialisation ou s'il faut, au contraire, en combattre les injustices et les dérives.

Par conséquent, je considère que ce retrait n'est pas négligeable.

Monsieur le secrétaire d'État, le moment est venu, ayant rendu au Président de la République l'hommage qui lui est manifestement dû, de féliciter Bernard Kouchner et vous-même du concours que vous lui avez apporté. M. Kouchner a évoqué ces nuits passées à Bruxelles ; nous en avons tous connues dans le passé ! (Sourires.) C'est manifestement nouveau pour lui, mais je suis persuadé que son intervention et la vôtre, monsieur le secrétaire d'État, ont été importantes.

Le moment est venu aussi d'exprimer l'espoir que vous réussirez demain, les problèmes institutionnels ayant été réglés, à rassembler l'Europe autour des grands chantiers de son avenir : l'énergie, la recherche, les relations avec la Russie et les États-Unis. Manifestement, un nouveau chapitre s'ouvrira. Puissiez-vous figurer, monsieur le secrétaire d'État, au côté de M. le ministre des affaires étrangères et européennes, au premier rang des négociateurs inspirés qui s'attaqueront à ces grands chantiers. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le 29 mai 2005 fut ressenti comme une catastrophe par tous ceux qui ont la passion de l'Europe. Cette Europe, désormais dépourvue de toute ambition politique, apparaissait comme une immense Suisse, résignée et nostalgique. Mais le peuple s'était exprimé et il est souverain.

Tous ceux qui sont convaincus que l'avenir de la France s'inscrit dans le cadre d'une Europe puissante et structurée espéraient et attendaient que nos dirigeants nous tirent de l'impasse où nous avaient plongés les référendums français et néerlandais, et sortent enfin notre pays d'une situation d'impuissance où nous subissions l'ironie et la condescendance de nos partenaires.

Il a fallu toute la créativité et la volonté du Président de la République pour confirmer l'indispensable entente entre la France et l'Allemagne, dès son élection, avant de relancer l'Europe dès son premier Conseil européen.

L'atmosphère du Conseil de Bruxelles a, grâce au rythme ainsi impulsé, tranché singulièrement avec celle des Conseils précédents.

Les résultats obtenus, grâce au mandat clair et dénué de toute ambiguïté qui a été donné à la conférence intergouvernementale chargée de la rédaction du nouveau traité, permettent, depuis ce Conseil, que les réformes indispensables au bon fonctionnement de l'Europe soient assurées tout en prenant la mesure des oppositions qui s'étaient manifestées dans les opinions publiques.

L'essentiel des acquis de la Convention qui avait procédé à la rédaction du projet de traité constitutionnel, comme la personnalité juridique de l'Union, la Charte des droits fondamentaux, la suppression des trois piliers, les nouvelles règles de majorité, notamment pour l'immigration, la justice ou l'asile, est préservé. De plus, les parlements nationaux sont confortés dans leur surveillance du principe de subsidiarité.

Si l'on peut regretter que le mot « constitution » ou que les symboles de l'Union disparaissent, nous devons convenir que la sémantique apparaît vraiment dérisoire par rapport aux enjeux.

C'est pourquoi on ne peut que s'étonner de voir nos amis britanniques attacher tellement d'importance au fait que l'on ne désigne pas le futur ministre des affaires étrangères comme tel, mais qu'on le baptise « Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la sécurité », avec des attributions identiques.

Plus sérieusement, leur insistance à obtenir des exemptions dans les affaires de police, leur refus de donner une valeur contraignante aux droits fondamentaux des citoyens européens, leur crispation sur la règle de l'unanimité en matière fiscale marquent un nouveau recul de notre voisin insulaire. Le Royaume-Uni est-il encore un partenaire à part entière comme nous le souhaitons ?

By the way, on pourrait demander à ces mêmes amis britanniques un peu plus de stabilité dans leurs positions européennes. Leur île est un peu flottante : selon l'inflexion politique, elle se rapproche ou s'éloigne de l'Europe. Cela nous donne le mal de mer ! (Sourires.)

Ne nous attardons pas sur l'attitude de la Pologne qui veut déjà revenir sur l'accord de Bruxelles. Ces tergiversations, ces changements, ces manquements nuisent à l'Europe et à son image, et finalement à tous les États membres. N'est-il pas temps de restaurer un code de bonne conduite ? Ne doit-on pas affirmer à ceux qui ne montent pas dans le train des nouvelles mesures européennes qu'ils le rateront ou qu'ils paieront plus cher pour le rattraper ?

Tout doit donc être fait pour que l'Europe avance le plus possible de façon homogène. C'est notre avenir qui est en jeu, car le monde change vite et ne nous attend pas. Mais il faudra sans doute aussi envisager d'utiliser le mécanisme compliqué des coopérations renforcées pour rattraper le temps perdu et laisser en retrait ceux qui ne veulent pas avancer avec nous.

Certes, le couple franco-allemand par ses attitudes nées de ses convictions communes irrite parfois les autres partenaires, mais il reste indispensable et déterminant. Sans un accord entre ces deux pays, tous nos autres partenaires le constatent, rien n'est possible en Europe. Cela n'empêche pas de rassembler d'autres pays désireux d'aller plus vite et plus loin - y compris parmi les nouveaux États membres - pour de nouvelles formes de coopérations. Ces nouveaux membres sont une richesse pour l'Union : par leur adhésion à un projet et à une philosophie communs, ils démontrent l'impact inouï de l'idée européenne ; par leur diversité, ils enrichissent et renforcent l'Union.

Pourtant, au même moment, les peuples européens ont éprouvé pour l'Europe et ses institutions des doutes qu'ils n'avaient jamais ressentis auparavant. Les rejets français et néerlandais ont cristallisé une crise qui a laissé des traces. Néanmoins, aujourd'hui, réjouissons-nous : l'accord sur le traité simplifié marque le renouveau de l'esprit européen. Il faut profiter de cette dynamique pour montrer de manière concrète à nos concitoyens tout ce que l'Europe nous apporte de positif.

Qui ne peut partager les affirmations du Président de la République selon lesquelles les questions concrètes, essentielles, doivent être traitées avec bon sens et réalisme ?

Je pense aux dumpings monétaires, sociaux, écologiques, à la préférence communautaire, à la concurrence, aux politiques industrielles, à la pérennité de la politique agricole commune, à la défense ou aux frontières de l'Union, aux services publics.

Je pense aussi à l'énergie, au développement durable et à la préservation de l'environnement. Les tensions augmentant dans les zones de production, au Moyen-Orient ou en Russie, l'Europe a un intérêt vital à élaborer enfin une politique de l'énergie pour assurer son approvisionnement, diversifier ses sources, développer les énergies renouvelables et donner aussi toute sa place au nucléaire.

Je pense encore à l'indispensable politique européenne de l'innovation, à la constitution d'un droit unique des sociétés, dont l'absence se fait cruellement sentir, au coeur d'un espace monétaire, fiscal et social achevé.

Mais le plus important, le plus fondamental, c'est bien de redonner un élan à la construction européenne. Les peuples se sont désintéressés de l'Europe car elle ne les faisait plus rêver, ils n'en attendaient plus grand-chose. La bureaucratie et la technocratie, devenues synonymes de Bruxelles, lui ont fait beaucoup de mal. Il est temps de redonner aux Européens un espoir, une fierté, un enthousiasme pour cette Union de nations anciennes et chargées d'histoire, qui doivent se rassembler et agir pour un intérêt commun.

Ce sont ces convictions qui nous feront avancer : l'espoir que les pays vivront mieux dans le cadre européen que seuls ; la fierté d'appartenir à une Europe grande et forte, qui pèse dans la mondialisation et qui existe face aux États-Unis, la Russie ou la Chine ; la certitude qu'il existe un futur politique, économique et social européen.

La volonté politique, de toute évidence, apparaît comme le moteur de la renaissance initiée lors de ce Conseil : l'Europe est sortie de l'impasse où l'avait confinée sa crise existentielle. L'état d'esprit bouillonnant et créatif qui a prévalu voilà dix jours est de bon augure pour les présidences suivantes. Le Portugal et la Slovénie, qui précéderont la France, devront poursuivre l'élan amorcé.

L'impulsion salutaire insufflée par le Président de la République rappelle à l'Europe son projet originel, enthousiaste, audacieux, harmonieux, visionnaire. Les Européens convaincus n'espéraient pas ce résultat ; pour eux, c'est un succès considérable.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l'esprit européen souffle de nouveau. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis honoré de m'exprimer devant la Haute Assemblée pour la première fois. C'est avec émotion et un sentiment très particulier que j'aborde ce débat, qui intervient à un moment où nous avons une occasion véritable de relancer l'Europe, de reprendre notre place au coeur de la construction européenne et de restaurer une dynamique franco-allemande au service d'un avenir européen commun, d'un nouvel esprit européen, dynamique retrouvée dès la visite de Nicolas Sarkozy à Angela Merkel, le jour même de son investiture, comme l'a justement souligné M. de Montesquiou.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vos analyses et vos commentaires me confortent, dans leur grande majorité, dans l'idée que l'accord qui a été obtenu à Bruxelles est un très bon accord. Trouver un compromis ambitieux à vingt-sept est en soi un succès. Comme l'a souligné M. Jean François-Poncet, la France est revenue au coeur de l'Europe après le « non » au référendum, sur la base d'une idée initiée par le Président de la République.

Je ne reviendrai pas sur tous les points évoqués dans chacune des interventions très riches que nous avons entendues ce soir, mais permettez-moi, cependant, de formuler quelques remarques et de répondre aux questions soulevées sans, je l'espère, trop vous lasser...

Tout d'abord, je note que nous partageons le même soulagement, celui qu'a exprimé tout à l'heure Bernard Kouchner.

Soulagement pour l'Europe, bien sûr, après deux ans de panne politique et, au-delà, après quinze ans de doute institutionnel. Dès les lendemains de Maastricht, nous avons, en effet, été confrontés à la difficulté permanente de définir des institutions adaptées aux élargissements successifs. Nous avons essayé à Amsterdam, à Nice, lors de la Convention sur l'avenir de l'Europe, de la Conférence intergouvernementale de 2004, sans réussir, il faut le reconnaître, à stabiliser le dispositif.

Comme l'a fait remarquer M. Fauchon, le char était embourbé. Il s'est remis en mouvement, et ce en deux mois, ce qui constitue, me semble-t-il, un très grand progrès.

Aujourd'hui, nous sommes parvenus à un accord destiné à rendre les institutions plus efficaces et plus démocratiques pour les vingt-sept États. Comme vous l'avez tous souligné, c'est, bien entendu, essentiel pour le fonctionnement de l'Union européenne, mais, peut-être plus encore, pour que l'élargissement soit enfin accepté et approfondi.

Soulagement aussi pour la France, qui apparaissait en panne d'ambition et d'influence et qui, pour nos partenaires, a aujourd'hui retrouvé les deux.

C'est la proposition d'un traité simplifié présentée par le Président de la République qui a rassemblé les Européens, dépassant là aussi la confrontation entre les dix-huit pays qui avaient été ratifié la constitution - M. Haenel a eu parfaitement raison de souligner les efforts qu'ils ont consentis -, ceux qui l'avaient rejetée par référendum, dont la France, et ceux qui ne l'avaient pas ratifiée, ces derniers n'étant pas les plus faciles à convaincre, comme vous l'avez parfaitement indiqué, mesdames, messieurs les sénateurs.

L'accord intervenu sur cette base justifie pleinement le choix de la voie parlementaire pour la ratification, que certains d'entre vous ont évoquée. Il n'y a aucun déni de démocratie. Nous sommes en démocratie parlementaire, et j'observe d'ailleurs qu'au moins vingt-trois États membres sur vingt-sept ont déjà fait ce choix.

Le Président de la République a été très clair durant la campagne électorale, et on ne peut que constater que la démocratie sort renforcée de l'accord de Bruxelles, avec l'extension du contrôle des parlements nationaux - j'y reviendrai ultérieurement - et la procédure de codécision du Parlement européen.

Bernard Kouchner a décrit le déroulement du Conseil européen, où la France est apparue dans son meilleur rôle, engagée politiquement au service d'un accord, en parfaite entente avec l'Allemagne grâce au rôle déterminant d'Angela Merkel, comme l'ont justement souligné MM. Jean François-Poncet et Denis Badré.

Soulagement, enfin, pour les Français. Mesdames, messieurs les sénateurs, la plupart de vos interventions me laissent à penser que nous pouvons désormais dépasser les oppositions du « oui » ou du « non », exprimées lors du référendum de 2005, pour nous retrouver très largement sur la construction d'une Europe plus politique et plus solidaire, d'une Europe qui protège ses citoyens.

M. Hubert Haenel l'a dit, certains de nos concitoyens ne se reconnaissaient plus du tout dans le fonctionnement de l'Union européenne. C'est bien ce manque de protection, cette insuffisance de politique concrète, une certaine dérive libérale qui ont entraîné un vote négatif en France. Soyons clairs : nous ne voulons pas d'une Europe du libre-échange. C'est pour cette raison que nous avons mis l'accent sur les services publics, remis la concurrence à sa juste place, que nous voulons renforcer la coordination des politiques économiques, développer la majorité qualifiée dans des domaines aussi essentiels que l'énergie, la santé et l'environnement.

Je précise à Mme Assassi qu'il n'y a aucun recul dans le domaine de la fiscalité ni au regard de la Constitution ni, d'ailleurs, au regard de Maastricht. Soyons lucides, positifs, et faisons vivre le triptyque de Jacques Delors : concurrence, coopération et solidarité.

Par ailleurs, je suis également frappé de constater dans vos commentaires, qu'ils soient critiques ou positifs, qu'un large consensus se dégage sur les avancées du futur traité. Nombre d'entre vous sont des spécialistes en la matière, et vous avez clairement relevé l'importance des améliorations apportées aux institutions : l'efficacité du processus de décision européen, une présidence stable, l'extension de la majorité qualifiée et des coopérations renforcées permettront à ceux qui veulent avancer plus vite de le faire, y compris aux nouveaux États membres.

Naturellement, vous êtes mieux placés que quiconque pour saisir la signification démocratique du nouveau traité : incarnation des institutions pour les citoyens, généralisation de la codécision avec le Parlement européen et contrôle du respect de la subsidiarité par les parlements nationaux.

À cet égard, M. Haenel a posé trois questions.

Premièrement, je confirme que ce qui a été agréé à Bruxelles s'ajoute bien au protocole n° 2.

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Très bien !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Deuxièmement, le carton orange s'ajoute bien au carton jaune.

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. C'est clair !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Il donne un pouvoir supplémentaire aux parlements nationaux sans modifier les équilibres institutionnels européens.

Troisièmement, nous sommes favorables à la présence d'observateurs des parlements nationaux au sein de la Conférence intergouvernementale. Nous l'avons dit à la présidence portugaise et nous vous soutiendrons, monsieur Haenel.

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Merci, monsieur le secrétaire d'Etat !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Par ailleurs, plusieurs intervenants ont relevé l'ambition internationale de l'accord du Conseil européen, illustrée par la création du Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui combine, comme l'a indiqué M. François-Poncet, la légitimité politique du Conseil et les moyens de la Commission, et ce en préservant la spécificité de la politique étrangère et de sécurité commune.

En matière de défense, je tiens à dire à M. del Picchia que nous devons effectivement reprendre le travail qui a été commencé à Saint-Malo en 1998 pour donner à l'Europe les moyens de contribuer à la résolution des crises et au maintien de la paix.

Enfin, et c'est très important, beaucoup d'entre vous ont souligné à juste titre combien les préoccupations des Français - qui sont d'ailleurs partagées par une grande partie des Européens - ont été prises en compte. La concurrence libre ne figure plus parmi les objectifs de l'Union, ce qui, comme vous l'avez souligné, monsieur François-Poncet, n'est pas négligeable ; il suffit d'observer les réactions outre-Manche ! Mais, vous avez raison, il faudra également voir quelle interprétation en fera la Cour de justice des Communautés européennes.

En outre, les principes généraux relatifs au fonctionnement des services publics, avec l'instauration d'un protocole, et leur articulation avec le marché intérieur sont consolidés. C'est un acquis important, qui n'était pas gagné d'avance.

Parmi les objectifs de l'Union européenne figurent également la protection des citoyens, une politique ambitieuse en matière d'énergie et la lutte contre le changement climatique. Ces domaines fondamentaux constituent pour notre avenir une triple avancée, avec la création d'une base juridique, le développement de la majorité qualifiée et la procédure de codécision.

De plus, la Charte des droits fondamentaux, qui porte très haut des principes et des droits dont la France s'honore, notamment dans le domaine social, acquiert une force contraignante. À cet égard, je rappelle que la Confédération européenne des syndicats a salué sans réserve les résultats du Conseil européen.

Madame Assassi, je pense donc sincèrement que les Français, tous les Français, ont été pris en compte dans le cadre d'une Europe relancée.

J'ai également entendu des interrogations, des doutes, parfois des critiques, auxquels je vais essayer d'apporter brièvement quelques éléments de réponse.

Tout d'abord, certains ont regretté que la constitution, du moins l'ambition qui était la sienne, ait été abandonnée.

À cet égard, comme l'a rappelé Bernard Kouchner, le mandat que les Français nous ont donné nous a conduits à renoncer ce qui a pu être assimilé - à tort ou à raison - à un « super État » ou qui a donné le sentiment que certaines politiques étaient gravées dans le marbre d'un texte fondamental. C'était tout le débat relatif à la troisième partie. Mais, soyez-en assurés, le titre, l'ordre juridique et les symboles restent malgré tout dans notre coeur ; nous les utiliserons et nous les ferons vivre.

Toutefois, revenons à la réalité. Comme M. Retailleau l'a indiqué, l'essentiel est préservé. En effet, aujourd'hui, l'Europe est rassemblée, elle fonctionne, et elle a les moyens de définir les politiques qui répondent aux attentes de nos concitoyens.

Contrairement à M. Sutour, qui a, par ailleurs, souligné bien des aspects positifs, et je l'en remercie, je crois que l'extension du vote à la majorité qualifiée, la suppression des piliers, l'existence et la reconnaissance d'une personnalité juridique unique montrent bien que l'esprit communautaire est de retour après les traités d'Amsterdam et de Nice.

Plusieurs d'entre vous ont estimé que le traité n'avait rien de « simplifié ». En la matière, il faut bien distinguer les choses.

L'accord de Bruxelles porte sur un mandat pour une Conférence intergouvernementale. Certes, il est détaillé et parfois technique, mais c'est ce que nous avons souhaité. (M. le président la délégation du Sénat pour l'Union européenne approuve.)

C'est au nom du retour du politique que nous sommes entrés dans des dispositions très techniques, monsieur Sutour, et c'est ce qui explique toutes les notes figurant en bas de page. Nous avons voulu nous assurer que la Conférence intergouvernementale sera courte et juridique, qu'elle mettra en forme et appliquera des décisions politiques, et qu'elle ne dérapera pas ; à cet égard, j'ai bien entendu les observations du président Haenel sur la composition de la Conférence intergouvernementale. C'est ainsi que nous aurons la chance de voir le traité ratifié avant les prochaines élections européennes de 2009. Monsieur Badré, nous essaierons d'être exemplaires dans le processus de ratification.

Le mandat est une chose ; le traité lui-même en est une autre. Il procède d'une démarche simplifiée puisqu'il n'apporte que de simples amendements aux textes existants. De fait, il sera beaucoup plus simple que la constitution.

Comme l'a indiqué Bernard Kouchner, il distinguera bien, monsieur Sutour, les principes de l'Union européenne de son fonctionnement.

Enfin, MM. François-Poncet, Badré et de Montesquiou notamment se sont inquiétés des concessions qui ont été accordées à certains pays, au premier rang desquels le Royaume-Uni et la Pologne.

Il est vrai que Tony Blair, en accord avec Gordon Brown, soulignons-le, a obtenu des dérogations. C'est le choix du Royaume-Uni de ne pas entrer de plain-pied dans des politiques importantes, comme la coopération policière ou la politique d'immigration. C'est aussi son choix de donner la préférence à son système juridictionnel plutôt que de prendre un engagement clair, dans le respect de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en tant que telle.

Je comprends l'interrogation de la commission des affaires étrangères, mais ce sont aux Britanniques de choisir leur voie. Et, soyons réalistes, l'Europe est déjà à plusieurs vitesses, qu'il s'agisse de l'euro ou de Schengen. Vu les circonstances particulières - et je les ai vécues -, il faut reconnaître à Tony Blair le mérite d'avoir pris ses responsabilités. De plus, en l'espèce, et contrairement aux autres traités, le Royaume-Uni n'a pas la possibilité de bloquer les autres États membres s'ils veulent avancer, ce qui constitue là encore un acquis essentiel.

J'ajouterai une note d'espoir : les Britanniques se sont laissé la possibilité de rejoindre les autres Européens, et je souhaite vivement qu'ils le fassent dès qu'ils seront prêts.

Le cas de la Pologne est différent. L'enjeu au Conseil européen était de savoir si les Polonais, dont vous connaissez les dirigeants actuels, s'engageraient dans un compromis européen ou s'ils bloqueraient le tout par peur de prendre un tel engagement.

En toute honnêteté, je considère que cet accord est une grande victoire pour l'Europe et pour la Pologne. Il s'agit, peut-être pour la première fois, d'un accord politique, mais aussi psychologique, de l'Union réunifiée.

Les vingt-sept États se sont engagés ensemble dans la voie de la relance de l'Europe, sans distinction entre anciens et nouveaux membres. Tel est, me semble-t-il, le grand acquis de ce Conseil européen qui, pour cette raison, est historique.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la relance de l'Europe, que l'accord de Bruxelles permet, n'aura d'effet concret que si nous en nourrissons la dynamique. C'est le sens de plusieurs de vos interventions.

C'est pourquoi nous prendrons des initiatives, selon les orientations définies par le Président de la République et par le Premier ministre.

Nous prendrons des initiatives en faveur de la croissance et de l'emploi, dans des domaines tels que la politique de l'Eurogroupe, la coordination des politiques économiques, la politique industrielle, un dialogue plus équilibré sur les politiques de change avec la Banque centrale européenne, la politique énergétique.

Nous prendrons aussi des initiatives pour garantir la protection des citoyens avec la préférence communautaire, la réciprocité dans les règles du commerce international. Il faut faire en sorte que l'Europe reste une puissance alimentaire.

Nous prendrons également des initiatives en matière d'immigration mais aussi d'intégration, car nous avons beaucoup à apprendre des pratiques et des expériences qui ont été conduites par certains de nos partenaires.

Nous prendrons encore des initiatives pour préparer l'avenir en ce qui concerne la lutte contre le réchauffement climatique, la recherche, le savoir, les échanges de jeunes, notamment en bâtissant un programme Erasmus plus attractif.

Enfin, nous prendrons des initiatives pour renforcer l'influence internationale de l'Europe. Quelles doivent être ses frontières ? Certains orateurs ont souligné, à juste titre, qu'il convient de s'interroger sur cet aspect important de la nature de l'Europe. Quelles doivent être ses relations avec les grands pays émergents ? Je puis vous dire, monsieur del Picchia, que nous développerons la coopération avec la Méditerranée et l'Union méditerranéenne sur la base de projets concrets relatifs à l'environnement, à l'eau, au développement.

Nous souhaitons dépasser le processus de Barcelone, dans la complémentarité avec les instruments existants, avec les moyens financiers qui ont déjà été mis en oeuvre et en préservant le rôle central de la Commission dans ce domaine.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous l'aurez compris, nous préparons ainsi la présidence française de l'Union européenne, qui débutera dans un an exactement. Bernard Kouchner et moi-même auront bien évidemment l'occasion de revenir sur ce sujet. Il s'agit d'un vaste chantier pour lequel votre soutien nous sera indispensable.

Enfin, vous l'avez souligné, nous devons revoir la manière dont nous parlons de l'Europe à nos concitoyens. Le meilleur moyen de préparer la présidence française est de sortir des cercles d'initiés et de convaincus, d'aller vers les Français. C'est l'affaire de tous : du Gouvernement, bien entendu, mais aussi du Parlement, des élus, des associations, des syndicats, des fédérations professionnelles.

Nous en sommes conscients, et vous avez eu raison de le rappeler, rien ne se fera sans débat, sans l'implication de nos concitoyens, sans aller vers les Français. Cette démarche est indispensable pour défendre leurs intérêts, pour renforcer notre place dans une Europe plus politique, plus solidaire, plus influente dans le monde de demain, bref, pour garantir notre avenir, celui de notre pays, celui de nos enfants dans un monde qui ne nous attend pas. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie de cette première intervention devant le Sénat.

Le débat est clos.

Acte est donnée de la déclaration du Gouvernement qui sera imprimée sous le n° 364 et distribuée.