M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il est dommage que vous n'ayez pas déposé d'amendement sur ce texte.

M. Laurent Béteille, rapporteur. Vous l'auriez amélioré !

M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cet été encore, les saisies de marchandises contrefaisantes ont été nombreuses et ont fait l'actualité.

Je citerai quelques exemples. Le plus symptomatique - et le plus grave d'ailleurs - est certainement la découverte de milliers de faux tubes de dentifrice portant la marque Colgate dans des grandes surfaces aux États-Unis. Ce dentifrice, produit en Chine, contenait un produit chimique extrêmement toxique qui aurait fait une quarantaine de victimes.

En juillet dernier, à Nice, les douaniers ont saisi 15 000 articles de sport : chaussures, casquettes, etc.

Le 29 août, en Italie, à l'aéroport de Rome, 300 000  jouets et articles d'habillement ont été saisis.

La contrefaçon est donc bien devenue un phénomène quotidien. Pourtant, en dépit de ces saisies, la plupart de nos concitoyens la perçoivent comme bénigne.

En effet, dans un sondage réalisé en 2006 par l'IFOP, 35 % des Français déclarent acheter ou être prêts à acheter des produits contrefaisants. Exhiber, au retour de Hong Kong, sa belle Rolex payée quinze euros est un classique des dîners en ville. Un tel achat ne provoque pas de sentiment moral négatif ; il nous appartient de les conduire à modifier leur appréciation.

Cela montre combien il est nécessaire de poursuivre les campagnes de prévention et de sensibilisation. La lutte contre la contrefaçon ne doit pas se borner à réduire l'offre de produits contrefaisants, c'est-à-dire à taper sur les stocks qui arrivent dans notre pays. Elle doit également consister - et il me semble que c'était aussi le message de l'orateur précédent - à changer les mentalités en expliquant que la contrefaçon constitue un délit dont les conséquences sont particulièrement graves et que celui qui s'y prête - le consommateur, l'acheteur - participe à cette injustice et à cette infraction.

L'une des caractéristiques de la contrefaçon moderne réside dans le fait que les contrefacteurs font désormais usage des nouveaux canaux offerts par la mondialisation. La contrefaçon est aujourd'hui pratiquée essentiellement par de véritables filières organisées : elles possèdent des outils de production de masse parfois à la pointe de la technologie et sont aussi souvent liées à des réseaux mafieux de toutes sortes qui existent dans les pays concernés.

Le phénomène de la contrefaçon n'est cependant pas nouveau. Ce qui a changé, c'est surtout le volume des produits contrefaisants et leur valeur. Les chiffres ayant déjà été donnés, je rappelle simplement que la contrefaçon entraîne la disparition de 30 000 emplois en France et une perte de 250 millions d'euros de PIB à l'échelle mondiale.

La nature des produits contrefaisants a également évolué. Longtemps cantonnée aux seuls produits de luxe - les montres, les carrés de soie ou les sacs à main que l'on allait acheter sur certains marchés asiatiques -, la contrefaçon s'étend désormais à tous les produits de consommation courante, comme le textile, mais également aux produits technologiques, aux médicaments, aux pièces détachées, aux parfums, aux logiciels, etc.

La géographie de la contrefaçon aussi a changé.

D'anciens pays contrefacteurs, comme le Japon et la Corée, sont à présent très impliqués dans la lutte contre la contrefaçon. Bien entendu, certaines situations demeurent en Asie. Ainsi, la Chine reste, si je puis dire, le champion toutes catégories de la contrefaçon : elle est probablement à l'origine des deux tiers des produits contrefaisants saisis dans l'Union européenne. D'où l'importance de la visite que Mme Lagarde va effectuer en Chine.

Toutefois, on peut penser qu'à mesure qu'elle se développera et accroîtra son portefeuille de marques - plus de 360 000 brevets ont été déposés l'an dernier -, que d'autres pays asiatiques comme la Thaïlande ou la Birmanie ne manqueront pas de contrefaire, la Chine sera sensibilisée au problème de la contrefaçon et commencera à agir de façon significative.

C'est ce qui s'est produit avec le Japon, qui a été pendant longtemps un pays contrefacteur. Aujourd'hui, il est à la pointe de la lutte anti-contrefaçon, y compris en Chine.

Quant aux conséquences de la contrefaçon sur les consommateurs, elles sont les plus dangereuses : le non-respect des normes et des règles de sécurité des produits copiés met en danger la santé des consommateurs. Bien que le niveau général des contrefaçons semble s'améliorer - peut-être ne faudrait-il d'ailleurs pas le dire -, les produits contrefaisants restent, bien sûr, de moins bonne qualité que les produits contrefaits. La plupart des médicaments contrefaisants sont, par exemple, dépourvus de tout principe actif. Plus grave encore, ils contiennent parfois des produits extrêmement nocifs.

Il s'agit d'un secteur important de la contrefaçon, car la marge bénéficiaire y est l'une des plus élevées, au point de remplacer le trafic de drogue. C'est une raison de plus pour agir dans ce domaine.

Par ailleurs, le commerce des marchandises contrefaisantes participe aussi au financement de nombreuses organisations mafieuses et terroristes ; je pense, notamment, à la guérilla colombienne, qui pratique la contrefaçon pour blanchir l'argent du trafic de drogue.

Pour contrecarrer ce fléau, la France possède un arsenal juridique particulièrement répressif.

Pendant longtemps, au Moyen Âge et au xvie siècle, la contrefaçon était punie de la peine de mort. Et encore récemment, indépendamment du développement de la contrefaçon, la Chine fusillait de temps en temps une dizaine de contrefacteurs pour montrer sa bonne volonté en la matière. Heureusement, les choses ont évolué !

Le système français de lutte contre la contrefaçon se fonde d'abord sur des actions de prévention menées, en particulier, par le Comité national anti-contrefaçon, le CNAC, le Comité Colbert et l'Institut national de la propriété industrielle, l'INPI.

Notre système juridique comprend un outil remarquable : la procédure de saisie-contrefaçon. Seules la France et la Belgique appliquent cette mesure. L'un des mérites du texte est de la généraliser à tous les pays européens.

J'en viens à la transposition des directives européennes. On dit que la France accomplit des progrès en matière de transposition des directives. Il convient de nuancer cette assertion, car la directive du 29 avril 2004 aurait dû être transposée dans notre droit avant le 29 avril 2006. Quant à la directive du 6 juillet 1998, elle aurait dû être transposée avant le 20 juillet 2000. Ce retard est d'ailleurs incompréhensible dans la mesure où il s'agit de textes qui ne sont pas très controversés.

Le présent projet de loi est de nature technique. Il tend à transposer la directive du 29 avril 2004, qui vise à punir plus sévèrement la contrefaçon effectuée à des fins commerciales. Il vise également à transposer la directive du 6 juillet 1998 sur la protection juridique des inventions biotechnologiques. Enfin, il a pour objet de mettre en oeuvre deux règlements européens : l'un sur les dessins et modèles communautaires, l'autre sur l'octroi des licences obligatoires pour les brevets visant à la fabrication des produits pharmaceutiques destinés aux pays en voie de développement. Ce dernier texte, je tiens à le souligner, est important politiquement. Ce sujet a évidemment donné lieu à de nombreux débats entre les pays développés et les pays en voie de développement, dans le cadre de l'OMC et des différents forums sur les problèmes d'accès aux médicaments pour les pays pauvres.

En transposant ce règlement européen dans sa propre législation, la France montre l'exemple. Elle témoigne également de son attachement à la possibilité pour les pays en voie de développement d'accéder aux médicaments à des prix raisonnables pour eux, même si, en pratique, les effets de ce règlement seront relativement limités. Car il est peu probable qu'un pays en voie de développement demande une licence obligatoire pour fabriquer des médicaments en France pour son propre compte. Il demandera plutôt une licence obligatoire pour fabriquer des médicaments soit sur son territoire, soit sur celui d'un pays voisin, lui aussi en voie de développement.

Afin d'améliorer la prévention des actes de contrefaçon, le projet de loi prévoit la mise en oeuvre de mesures provisoires et conservatoires : interdiction de la poursuite de la contrefaçon, constitution de garanties, saisie conservatoire, dommages et intérêts provisionnels. Ainsi les victimes pourront-elles saisir le juge par le biais d'un référé ou d'une requête afin de demander l'application de ces mesures. Nous ne pouvons que nous réjouir du fait que la directive de 2004 tende à introduire cette procédure, inspirée de la saisie-contrefaçon à la française, dans les législations des autres États.

Par ailleurs, l'introduction du droit d'information, qui est aujourd'hui prévu par le droit allemand, constitue sans doute la principale innovation du texte. Ce nouveau droit devrait permettre de démanteler plus facilement les réseaux de contrefaçon. Concrètement, le juge pourra ordonner la communication d'informations concernant l'origine et les réseaux de distribution des marchandises ou des services contrefaisants. Cette procédure sera d'autant plus efficace qu'elle concernera également les personnes trouvées en possession de produits contrefaisants.

Le texte vise également à améliorer la réparation du préjudice né de la contrefaçon, qui constituait le maillon faible de notre dispositif juridique. Actuellement, pour évaluer ce préjudice, le juge tient compte du gain manqué, des profits perdus et de l'atteinte à l'image de marque. Toutefois, ce système est insuffisant. Il est également aléatoire, car l'indemnisation de ce type de préjudice n'est aujourd'hui régie par aucun texte législatif.

Si le contrefacteur vend 1 000 produits contrefaisants alors que la victime a la capacité de produire seulement 100 produits, cette dernière ne sera indemnisée que sur la base de 100. C'est un encouragement au vice ! En effet, le contrefacteur qui a fabriqué 1 000 produits ne sera taxé que sur une centaine d'entre eux ; les 900 restants représenteront donc un bénéfice net. Au fond, le paiement des dommages et intérêts ne représentera qu'une petite partie de ses coûts de production. Cette transposition me paraît donc positive.

Les nouvelles dispositions devraient également permettre de contrecarrer la pratique répandue du forum shopping, qui permet à un requérant de choisir, parmi les juridictions compétentes, celle qui sera la plus clémente. C'est vrai, en particulier, en matière de brevets et de marques. Le dispositif qui permet, comme l'on dit, de frapper au portefeuille, me paraît un processus honnête.

Par ailleurs, je souscris totalement aux observations de M. le rapporteur lorsqu'il évoque la nécessité de renforcer la spécialisation des juridictions dans le domaine de la propriété intellectuelle ; j'ai d'ailleurs déposé un amendement identique à celui de la commission. C'est un point extrêmement important pour l'avenir du système de propriété industrielle en France. Il s'agit en effet de mettre la France en position d'être l'un des principaux pays en matière de défense de la propriété industrielle en Europe, avec l'Allemagne et la Grande-Bretagne, qui ont des tribunaux de grande qualité en matière de propriété industrielle.

Pour terminer, je formulerai deux remarques un peu éloignées de l'objet même du texte.

En premier lieu, il me semble que la coopération internationale est devenue cruciale dans le domaine de la lutte contre la contrefaçon. Bien sûr, nous légiférons dans le cadre national, nous prenons toutes les mesures nécessaires, mais chacun a bien conscience que la lutte contre la contrefaçon doit être menée à l'échelon mondial.

La présidence française de l'Union européenne pourrait être l'occasion de prendre des initiatives visant à renforcer la coopération judiciaire européenne en matière de lutte contre la contrefaçon. Différentes possibilités existent : nous pourrions ainsi proposer la création d'un réseau européen chargé de la lutte contre la contrefaçon, un peu sur le modèle du CNAC, ou encore - et c'est l'une des propositions du rapport Lévy-Jouet - l'instauration d'un groupe international de lutte contre la contrefaçon sur le modèle du groupe d'action financière internationale, le GAFI, comme l'a évoqué Mme la ministre.

En second lieu, des progrès doivent être accomplis sur le plan juridictionnel en matière de brevet, notamment en ce qui concerne le brevet européen. La France a fait des propositions dans ce domaine ; nous devons essayer de les faire aboutir.

Pour toutes ces raisons, nous apporterons notre soutien à ce projet de loi et aux principaux amendements qui ont été déposés. (M. Christian Cambon applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.

Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le texte que nous sommes amenés à examiner aujourd'hui ne peut recevoir que notre approbation. En effet, le fléau de la contrefaçon représente un manque à gagner non négligeable pour notre économie et, plus largement, pour l'économie mondiale.

La contrefaçon, jadis artisanale et très localisée, est devenue aujourd'hui un phénomène industriel et planétaire qui emporte des conséquences négatives très lourdes.

Les chiffres sont éloquents ! Comme l'a indiqué Mme la ministre, la contrefaçon représenterait environ 10 % du marché mondial. En outre, on considère que les entreprises de l'Union européenne qui sont engagées dans des activités internationales perdent entre 400 millions et 800 millions d'euros sur le marché intérieur et autour de 2 milliards d'euros en dehors de l'Union. Le secteur informatique est particulièrement touché. À elle seule, la France perdrait chaque année plus de 6 milliards d'euros. On estime également que la contrefaçon détruit chaque année plus de 30 000 emplois en France.

La contrefaçon a beaucoup évolué. En effet, au départ, elle concernait principalement les produits de luxe, notamment la joaillerie, la bijouterie, l'horlogerie, la haute couture, les parfums, les cosmétiques ou la maroquinerie. Aujourd'hui, elle s'étend à tous les domaines et à la quasi-totalité des biens de consommation, ce qui pose de véritables problèmes de sécurité pour l'usager, en particulier s'agissant des jouets, des matériels de sport, des médicaments, des produits alimentaires, des appareils domestiques, des pièces détachées, des appareils électriques, des jeux vidéos, des logiciels professionnels et de l'industrie textile.

À titre d'exemple, plus de 32 millions de fausses cigarettes et 11 millions de vêtements et accessoires de mode figurent parmi les saisies douanières européennes en 2006.

Ma région, qui est également la vôtre, monsieur le secrétaire d'État,...

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé des entreprises et du commerce extérieur. Et je m'en réjouis !

Mme Jacqueline Gourault. ... bénéficie d'une forte implantation des industries pharmaceutiques et cosmétiques, qui représentent une source de revenus économiques très importante. Le développement de ce bassin de population passe par le maintien de ces entreprises à fort potentiel d'embauche. Par conséquent, vous comprendrez que j'attache une très grande importance à la lutte contre la contrefaçon.

La contrefaçon a donné naissance à une économie parallèle qui paralyse l'innovation et étouffe les investissements au détriment de l'emploi.

Prenant acte de l'ampleur du phénomène, de ses conséquences et de l'énorme bouleversement induit par l'arrivée massive des technologies de l'information, l'Union européenne propose aux États-membres de transposer la directive du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle.

À cet égard, il faut saluer l'harmonisation des procédures civiles nationales. En effet, la contrefaçon étant sans conteste un phénomène en expansion à l'échelle planétaire, il était capital que des règles communes à tous les États européens soient adoptées pour rendre plus efficace la lutte contre ce fléau.

Comme cela a été rappelé, le présent projet de loi vise à transposer la directive du 29 avril 2004, qui s'applique à chacun des droits de la propriété intellectuelle, y compris à ceux qui n'étaient jusqu'ici pas concernés, comme les certificats d'obtention végétale ou les appellations d'origine.

Le projet de loi prévoit en particulier la mise en place d'un droit d'information nécessaire au démantèlement des réseaux de contrefaçon, un renforcement des moyens de preuve et une meilleure indemnisation du préjudice.

Je n'entrerai pas dans le détail de ces mesures - M. le rapporteur vient de les énumérer de manière très approfondie -, mais je tiens à souligner qu'elles témoignent d'une volonté notable d'améliorer le droit en vigueur. Car en dépit de son caractère exemplaire pour de nombreux pays européens, notre législation ne peut que profiter de telles avancées.

Toutefois, il faut mettre à part la question de l'indemnisation, qui ne va pas sans poser quelques problèmes de compatibilité avec le droit français de la responsabilité civile, un droit réparateur et non punitif.

Monsieur le rapporteur, vous avez déposé plusieurs amendements tendant à modifier le projet de loi. Si la plupart ne suscitent pas de commentaires particuliers, je voudrais toutefois émettre quelques réserves sur les amendements visant à supprimer toutes les références à la notion d'« échelle commerciale ».

En effet, le texte initial du Gouvernement mentionne cette notion, qui est d'ailleurs présente dans la directive, afin de limiter les mesures adoptées dans le cadre du nouveau dispositif à la seule « atteinte aux droits commise en vue d'obtenir un avantage économique ou commercial, direct ou indirect ».

Le législateur souhaite circonscrire ces dispositions à l'objectif affiché, c'est-à-dire lutter contre la contrefaçon, sans pénaliser pour autant les simples individus qui auraient, pour leurs propres besoins, volontairement ou involontairement, enfreint l'un des droits visés, mais n'en auraient retiré aucun avantage économique ou commercial.

Certes, la notion d'« échelle commerciale » n'est pas très claire, mais n'était-il pas préférable de donner une autre définition ? En effet, si la référence à cette notion était supprimée, il ne resterait plus aucun critère permettant de mettre en oeuvre des mesures exceptionnelles de saisie-contrefaçon ou autres mesures conservatoires. N'y t-il pas un risque de recours abusif si aucun critère de valeur ne permet aux juridictions d'apprécier correctement le bien-fondé des plaintes ? Monsieur le secrétaire d'État, je souhaiterais connaître votre sentiment sur la modification souhaitée par la commission.

Vous proposez également, monsieur le rapporteur, de compléter le dispositif en conférant aux tribunaux de grande instance la compétence exclusive de juger tous les contentieux liés à la propriété intellectuelle. Par ailleurs, vous émettez le souhait que certains d'entre eux soient spécialisés.

Nous approuvons cette volonté de spécialiser certains tribunaux pour des contentieux hautement complexes et techniques, à l'instar du droit de la propriété. Cette démarche n'est pas sans soulever certaines difficultés, notamment s'agissant de la formation des magistrats. La question avait d'ailleurs été largement abordée, au mois de juillet dernier, par nos collègues Pierre Fauchon et Charles Gautier dans leur rapport d'information intitulé Un recrutement diversifié, une formation ambitieuse. Les impératifs d'une justice de qualité.

Dans un contexte de complexité croissante de notre ordonnancement juridique, il est souhaitable d'engager une réforme ambitieuse de la formation de nos magistrats, en particulier dans ce domaine.

Monsieur le rapporteur, je souscris pleinement à vos deux remarques de conclusion afin de tracer des perspectives d'avenir, à savoir étendre les moyens de tous les services de l'État dans la lutte contre la contrefaçon et responsabiliser davantage les fournisseurs d'accès à Internet et les plates-formes de courtage en ligne.

La dématérialisation des échanges grâce à Internet donne aux contrefacteurs un moyen idéal de développer leurs activités. Comme cela a été souligné, des pistes de réflexion doivent être avancées rapidement. Compte tenu de la rapidité et de la fluidité des échanges via Internet, des efforts doivent encore être réalisés afin de progresser et, surtout, de disposer de capacités de réaction face aux nouvelles techniques utilisées par les contrefacteurs pour écouler leurs marchandises.

À cet égard, monsieur le secrétaire d'État, je voulais savoir si des initiatives étaient envisagées pour accompagner les services douaniers et judiciaires face à cette évolution de la technologie.

Outre les outils juridiques, qui demeurent les meilleurs instruments de lutte contre les réseaux, les campagnes de sensibilisation permettent, quant à elles, d'améliorer l'information du public sur les risques liés à l'utilisation des produits contrefaits et sur les conséquences économiques de ce fléau. Il ne faut pas négliger l'importance de tels outils.

Plusieurs campagnes ont d'ores et déjà été menées, mais il me semble important de poursuivre cette démarche. En effet, à la suite de la campagne de communication intitulée Contrefaçon : non merci, qui a été menée par le Comité national anti-contrefaçon au mois de mars 2007, 37 % des personnes interrogées ayant visionné le film considéraient qu'il n'était pas grave d'acheter des produits de contrefaçon.

Il est donc important de poursuivre ces campagnes de sensibilisation, tant en France que dans les autres pays européens. En effet, il est nécessaire de combattre la contrefaçon à tous les niveaux, qu'il s'agisse des acteurs de ce marché parallèle ou des consommateurs, qui contribuent indirectement à alimenter les réseaux et, par conséquent, à mettre en danger notre économie et des dizaines de milliers d'emplois.

Enfin, les différentes initiatives prises à l'échelon international doivent bien entendu être poursuivies, en particulier les coopérations bilatérales avec les pays où sont fabriqués les produits de contrefaçon. Car si nous pouvons lutter efficacement en brisant des réseaux et en stoppant des livraisons, l'échelle internationale de la contrefaçon exige que ce problème soit traité au niveau international.

Telles sont, mes chers collègues, les quelques remarques et observations que je souhaitais formuler. Pour conclure, comme je l'ai précisé tout à l'heure, nous sommes ravis de soutenir ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Christian Cambon.

M. Christian Cambon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en 2006, lors de son audition devant la commission des relations internationales de la Chambre des représentants des États-Unis, M. Ronald K. Noble, secrétaire général d'Interpol, déclarait : « La contrefaçon est une activité criminelle à part entière qui n'est pas en périphérie des autres, mais bien au coeur de celles-ci. »

Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui traite en effet d'un problème majeur et inquiétant, auquel notre pays est confronté, comme tous les autres pays du globe, et auquel nous nous devons d'apporter des réponses encore plus efficaces.

Clandestines, internationales et évolutives, les activités de contrefaçon sont à la fois particulièrement destructrices pour nos économies et, malheureusement, dangereuses pour les consommateurs.

Plus aucun domaine n'est épargné. Tous les secteurs économiques sont touchés. En effet, le trafic des marchandises contrefaites concerne non seulement l'industrie de luxe, mais également, et de manière croissante, les divers produits de consommation courante. L'opinion publique ignore encore l'ampleur et les conséquences de ce véritable fléau sur sa vie quotidienne, au point que 35 % de nos concitoyens déclarent ouvertement acheter sans scrupules des produits de contrefaçon, qu'il s'agisse de vêtements de marque, de parfums, de maroquinerie, de chaussures, de CD, de DVD, ou autres.

Or cette méconnaissance représente peut-être l'un des aspects les plus inquiétants de la contrefaçon. Car l'augmentation du phénomène, singulièrement en matière de médicaments, de pièces détachées de véhicules et de denrées alimentaires, représente un réel danger pour les consommateurs, les produits contrefaits n'offrant évidemment pas, loin s'en faut, toutes les garanties en termes de sécurité et de qualité.

Ainsi, les exemples de faux médicaments, fréquemment destinés aux régions les moins développées, sont nombreux et font froid dans le dos : les douanes ont découvert de l'aspirine à base de talc sur un marché du Burkina Faso, des collyres fabriqués avec de l'eau croupie au Nigeria et des pommades composées de sciure et de café au Mexique. Beaucoup plus grave, en 1995, un sirop de paracétamol contre la toux, préparé avec de l'antigel, a causé la mort de quatre-vingt-neuf personnes en Haïti et, trois ans plus tard, celle de trente nourrissons en Inde.

Les chiffres qui illustrent cette situation funeste de l'industrie des faux médicaments parlent d'eux-mêmes. Selon l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, près de 30 % des médicaments consommés dans les pays en voie de développement sont contrefaits. Sur le million de personnes qui meurent chaque année du paludisme, 200 000 individus pourraient être sauvés si des médicaments authentiques étaient distribués.

La contrefaçon de médicaments pourrait rapporter 60 milliards d'euros en 2010, soit deux fois plus qu'aujourd'hui. Dans ce domaine, cela a été rappelé, les saisies des douanes explosent.

L'utilisation massive d'Internet a considérablement aggravé la situation.

En effet, si les circuits de fabrication et de distribution sont suffisamment organisés et réglementés dans les pays industrialisés, la vente de tels produits explose grâce à Internet et elle concerne le plus souvent les médicaments de « style de vie », tels que les .stimulants de tous ordres ou encore les « coupe-faims ». Nous en connaissons les conséquences dramatiques et souvent irréversibles, qui ont malheureusement fait de trop nombreuses victimes.

Dès lors, on comprend bien l'importance de la lutte anti-contrefaçon, qui passe obligatoirement par l'information et la sensibilisation du grand public. Les consommateurs ne doivent plus être les victimes des dangers que la contrefaçon représente pour leur santé et leur sécurité.

Les conséquences de la contrefaçon sont désastreuses du point de vue non seulement de la sécurité sanitaire, mais également de l'économie. Cela représente des pertes de parts de marché, crée de la concurrence déloyale et perturbe les réseaux de distribution.

Les effets de la contrefaçon sont également mesurables en termes d'emplois : celle-ci serait responsable de la perte de 30 000 à 50 000 emplois par an en France !

Cette économie parallèle se révèle particulièrement nuisible aux entreprises et décourage in fine l'innovation, la création et la recherche. Or, nous le savons bien, la croissance des pays développés repose de plus en plus sur ces trois domaines.

Selon les estimations, le commerce des produits contrefaits représente aujourd'hui 10 % du commerce mondial, contre 5 % en 2000, pour un montant de profits qui est estimé entre 250 milliards et 400 milliards d'euros.

En 2004, dans la seule industrie informatique, le taux de piratage de logiciels européens était de 35 %, soit un manque à gagner de 10 milliards d'euros par an. La France affiche toujours l'un des plus forts taux européens de contrefaçon, avec 45 % de logiciels piratés.

Or, selon une récente étude, une réduction de dix points de la contrefaçon de logiciels permettrait la création de trente mille emplois en quatre ans dans ce secteur et une augmentation des recettes de 14 millions d'euros.

Les méthodes utilisées par les contrefacteurs constituent un véritable défi. Les produits fabriqués contrefaits sont de plus en plus difficilement détectables et les contrefacteurs proposent, hélas ! une offre très diversifiée

L'implication des réseaux criminels, voire d'organisations mafieuses, dans le trafic mondial de la contrefaçon et de la piraterie est parfaitement démontrée.

Autre constat alarmant, l'extension des zones géographiques impliquées dans le flux des produits contrefaits. Aux zones traditionnelles - Asie du sud-est, bassin méditerranéen, Europe du sud - viennent désormais s'ajouter de nouveaux arrivants, notamment des pays de l'Europe centrale et de l'Europe de l'Est.

Mes chers collègues, tous ces constats, préoccupants et inquiétants, appellent une mobilisation sans faille de l'ensemble des acteurs concernés et, au premier chef, des pouvoirs publics.

Quelle est la réponse des pouvoirs publics face à ce phénomène en progression continue ?

La France s'est rapidement dotée d'instruments juridiques assez efficaces, qui lui ont permis d'être pendant longtemps à l'avant-garde de la lutte contre la contrefaçon et la protection de la propriété industrielle. Si les premières lois protectrices adoptées pour lutter contre ce fléau remontent à 1791, notre arsenal juridique s'est depuis progressivement renforcé, au point d'exposer aujourd'hui le contrefacteur à de lourdes sanctions civiles, pénales et douanières.

Malheureusement, devant l'habileté scélérate des contrefacteurs et l'inventivité dont ils font preuve, nous avons pris du retard. En effet, en étant la dernière à transposer la directive européenne, la France est, hélas ! devenue l'un des refuges privilégiés de ces « criminels ».

Quel est l'état actuel du droit ? Aujourd'hui, vous le savez, la contrefaçon est susceptible d'entraîner trois types de sanctions.

Des sanctions civiles, tout d'abord, permettent la condamnation du contrefacteur à des dommages et intérêts, la destruction de la marchandise et du matériel, ou encore la publication de la décision.

Des sanctions pénales, ensuite, font de la contrefaçon un délit punissable de 300 000 euros d'amende et de trois ans d'emprisonnement et, pour les contrefaçons de marques industrielles ou internationales, de 400 000 euros d'amende et de quatre ans d'emprisonnement. Ces peines sont portées à cinq ans de prison et à 500 000 euros d'amende si le délit est commis en bande organisée.

Des sanctions douanières, enfin, permettent de saisir d'office le produit ou d'appliquer la retenue douanière, mais aussi d'infliger des amendes douanières d'une à deux fois la valeur du produit authentique.

Le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis permet de franchir une nouvelle étape dans le renforcement de notre législation et démontre bien l'action déterminée du Gouvernement pour combattre ce fléau.

Ce texte a pour principal objet de transposer la directive du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle. Cette directive, très largement inspirée par la France, introduit de nouveaux mécanismes destinés à lutter plus efficacement encore contre la contrefaçon.

Les instances communautaires ont, en effet, été convaincues de reprendre notre procédure de saisie-contrefaçon, mécanisme qui s'avère particulièrement efficace en matière de lutte contre les atteintes à la propriété industrielle. À cet égard, il peut paraître quelque peu paradoxal que nous soyons l'un des derniers pays à transposer cette directive, de surcroît tardivement, dans notre ordre juridique interne.

Le projet de loi, qui va permettre de lutter plus efficacement encore contre la contrefaçon, comporte trois avancées majeures, en conformité avec la directive.

En premier lieu, il prévoit un renforcement des procédures simplifiées et accélérées de saisine du juge civil, en particulier des requêtes non contradictoires, aujourd'hui limitées à la saisie-contrefaçon.

En deuxième lieu, le projet de loi crée un droit d'information destiné à contraindre les personnes en possession de marchandises contrefaisantes à fournir des informations sur leur origine et sur leurs réseaux de distribution.

Enfin, la troisième avancée du projet de loi consiste en l'amélioration attendue de la réparation du préjudice dû à la contrefaçon.

Ainsi les dommages et intérêts devront-ils désormais soit prendre en compte les bénéfices injustement réalisés par le contrefacteur, soit être fixés de manière forfaitaire, ce forfait étant déterminé sur la base minimale des redevances que le titulaire de droits aurait perçues si le contrefacteur avait demandé son autorisation.

Il est important de souligner que ces trois avancées sont déclinées dans le projet de loi pour tous les types de droits de propriété intellectuelle : dessins et modèles, brevets, marques, propriété littéraire et artistique.

Défendre la propriété industrielle est un enjeu majeur, car il s'agit avant tout d'un outil au service de l'innovation et de la créativité. Or, l'innovation et la créativité sont au coeur même de la création de valeur et de croissance économique de notre pays.

Sous l'impulsion de notre excellent rapporteur, Laurent Béteille, dont je tiens ici à saluer, au nom de notre groupe, l'excellent travail, la commission des lois a proposé de compléter la transposition de la directive en adoptant des mesures complémentaires importantes qui rendront le texte encore plus efficace.

Il s'agit des dispositions suivantes : transposer aux droits du producteur de bases de données les mesures provisoires et conservatoires prévues à l'article 39 de la directive ; faire assumer la totalité des frais d'exécution forcée au contrefacteur condamné ; supprimer la notion « d'échelle communautaire » se référant à la notion de quantité de marchandises, difficile à apprécier et donc tout à fait inutile ; rationaliser l'organisation judiciaire en spécialisant certains tribunaux de grande instance ; sanctionner plus sévèrement les contrefaçons dangereuses pour la santé et la sécurité des personnes en en faisant une circonstance aggravante ; enfin, étendre les pouvoirs des douanes et des services judiciaires.

Je me réjouis que le Sénat saisisse l'occasion de l'examen de ce texte pour renforcer, au-delà de la directive, l'efficacité de la lutte contre la contrefaçon. Ainsi notre Haute Assemblée démontre-t-elle, une nouvelle fois, sa capacité d'initiative en apportant des solutions législatives pertinentes, efficaces et adaptées à un sujet de préoccupation particulièrement important.

Dans cet esprit, notre groupe propose d'instituer au Sénat un groupe d'étude, comme il en existe à l'Assemblée nationale. Compte tenu de l'importance du sujet et de ses multiples implications en matière économique, sociale et de santé publique, ce groupe pourrait utilement suivre la mise en oeuvre de ce texte, en apprécier les résultats et, le cas échéant, suggérer de nouvelles mesures susceptibles de briser définitivement ce fléau.

À l'issue de notre débat, je présenterai au président du Sénat une demande en ce sens qui, je l'espère, monsieur le secrétaire d'État, recevra votre appui.

Pour conclure mon propos, je souhaite évoquer un autre aspect du problème en appelant également de mes voeux un renforcement de la coopération internationale, afin de combattre les multiples menaces dues à ce commerce préjudiciable qu'est la contrefaçon.

La contrefaçon ne connaît pas de frontière ; c'est un problème d'envergure internationale. Aussi les réponses à apporter pour réussir à inverser la tendance doivent-elles être recherchées et apportées dans le cadre d'une coopération européenne et internationale.

Les contacts bilatéraux avec les pays les plus sensibles doivent se poursuivre et s'intensifier, afin d'arrêter des engagements précis et de déterminer des stratégies pratiques. À cet égard, je tiens à féliciter notre ministre de l'économie, qui a précisé tout à l'heure qu'elle souhaitait bien évidemment évoquer ce problème avec son homologue lors de sa visite en Chine.

Ainsi, l'Union européenne vient d'engager un programme d'assistance technique de quatre ans avec la Chine pour permettre un meilleur respect des droits de la propriété industrielle dans ce pays. Ce projet est cofinancé par l'Union européenne et la Chine, et la logistique est assurée par l'Office européen des brevets, en liaison avec ses États membres.

Par ailleurs, la visite de M. Hervé Novelli à Dubaï a marqué une étape décisive dans la lutte contre la contrefaçon dans cette région, en obtenant que la protection des marques françaises soit inscrite à l'ordre du jour du Comité de suivi franco-émirien créé par nos deux pays à l'occasion de ce déplacement.

L'action communautaire doit également être renforcée afin de mobiliser certains pays insuffisamment actifs et de sensibiliser les nouveaux États membres. La coopération judiciaire européenne - une thématique chère à la commission des lois - doit être améliorée.

C'est dans ce sens que, lors de la destruction de 15 000 montres de contrefaçon à Nice, le 27 juillet dernier, le ministre Éric Worth a proposé la création d'un groupe d'action financière au niveau européen, spécialement dédié à la contrefaçon.

Il est en effet de notre devoir à tous de nous protéger et de protéger les pays les plus faibles contre cette activité criminelle qui nuit au bien-être économique et social des nations et met en danger la santé et la sécurité des consommateurs.

Ce texte constitue une réelle avancée et je souhaite une nouvelle fois souligner l'engagement personnel de M. Hervé Novelli, secrétaire d'État, dans l'avancement de ce projet. C'est pourquoi nous soutiendrons, les membres de mon groupe et moi-même, ce projet de loi, car il permettra de lutter avec plus d'efficacité contre ce véritable fléau qu'est la contrefaçon. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)