compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

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PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

Remplacement d'une sÉnatrice dÉmissionnaire

M. le président. Conformément à l'article L.O. 179 du code électoral, Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales a fait connaître à M. le président du Sénat qu'en application de l'article L.O. 320 du code électoral Mme Odette Terrade est appelée à remplacer, en qualité de sénatrice du Val-de-Marne, Mme Hélène Luc.

Le mandat de Mme Terrade a débuté ce matin à zéro heure.

En notre nom à tous, je souhaite une cordiale bienvenue à notre collègue qui est de retour dans notre assemblée. (Applaudissements.)

3

Élection d'un prÉsident de groupe

M. le président. J'ai le plaisir de vous informer que M. Pierre Laffitte a été élu président du groupe du Rassemblement démocratique et social européen.

Je tiens à lui adresser nos plus vives félicitations.

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Modification de l'ordre du jour

M. le président. J'informe le Sénat que la commission des affaires étrangères, lors de sa réunion de ce jour, a souhaité revenir à la procédure normale pour l'examen, le mardi 25 septembre, du projet de loi autorisant la ratification de la convention destinée à adapter et à approfondir la coopération administrative entre la République française et la Principauté de Monaco.

En conséquence, sur les dix conventions inscrites à l'ordre du jour de notre assemblée le mardi 25 septembre, quatre seront examinées selon la procédure normale, dont celle qui est relative au musée universel d'Abou Dabi, et les six autres selon la procédure simplifiée.

5

Organisme extraparlementaire

M. le président. J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du Haut conseil des musées de France.

Conformément à l'article 9 du règlement, j'invite la commission des affaires culturelles à présenter une candidature.

La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l'article 9 du règlement.

6

DÉmission de membres de commissions et candidatures

M. le président. J'ai reçu avis de la démission de M. Marc Laménie, comme membre de la commission des affaires économiques et de celle de M. Raymond Couderc, comme membre de la commission des affaires sociales.

Le groupe intéressé a fait connaître à la présidence les noms des candidats proposés en remplacement.

Ces candidatures vont être affichées et les nominations auront lieu conformément à l'article 8 du règlement.

7

 
Dossier législatif : projet de loi de lutte contre la contrefaçon
Discussion générale (suite)

Contrefaçon

Discussion d'un projet de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de lutte contre la contrefaçon
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de lutte contre la contrefaçon (nos 226,420).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous connaissons tous le plus vieux métier du monde : celui d'avocat. La contrefaçon est probablement aussi l'une des plus anciennes activités du monde. Elle ne date pas d'hier. Si vous avez la curiosité de visiter le musée de la contrefaçon, vous y verrez le bouchon d'une amphore gallo-romaine, datant de plus de deux millénaires, qui imite une marque célèbre de l'époque, la marque Sestius.

Aujourd'hui, la contrefaçon donne le vertige, tant par son ampleur que par sa dangerosité.

Elle donne le vertige par son ampleur : ce ne sont pas quelques amphores, mais quinze tonnes de faux bocaux de salades tunisiennes qui ont été interceptées l'année dernière au port de Marseille. Comme cet exemple le montre, les textiles ou les produits de luxe, notamment les sacs et les montres, ne sont pas les seuls à être visés : la contrefaçon touche tous les secteurs de l'économie marchande, depuis les produits que je viens d'évoquer jusqu'aux médicaments, en passant par les jouets, les pièces détachées pour les automobiles ou les avions.

Au total, selon les informations, qui se recoupent, la contrefaçon pourrait représenter environ 10 % du commerce mondial, pour un montant de profits illicites compris entre 250 milliards et 400 milliards d'euros par an, soit l'équivalent de l'ensemble des prestations sociales que reçoivent les Français !

En outre, ce phénomène est en pleine expansion, quantitative, qualitative et géographique.

Expansion quantitative : à titre d'exemple, en trois ans, le nombre d'articles de contrefaçon saisis par les douanes a été multiplié par trois.

Expansion qualitative : la contrefaçon ne concerne plus seulement les biens matériels, elle concerne aussi maintenant des biens immatériels, comme les créations musicales ou cinématographiques.

Expansion géographique, enfin : aux zones « traditionnelles » de contrefaçon - la Chine, la Thaïlande, Taïwan, qui sont des points de passage ou d'origine quasi obligés - s'ajoutent désormais des pays comme le Pakistan, la Turquie ou, plus près de nous, l'Italie.

La mondialisation de l'économie, dont d'aucuns nous parlent régulièrement, se double évidemment d'une mondialisation de la contrefaçon, et l'on pourrait même imaginer une contrefaçon de la mondialisation, un certain nombre de biens matériels et immatériels circulant au travers des frontières et des fantômes siglés parcourant la planète et s'échangeant au rabais.

La contrefaçon donne aussi le vertige par la gravité de ses conséquences.

La contrefaçon est d'abord un danger pour l'esprit, car elle constitue une façon de dérober les fruits de la recherche et développement, de longues années de travaux, d'investissements considérables et elle est de nature à décourager l'ensemble des acteurs économiques d'investir dans cette innovation dont nous avons tant besoin. En effet, à quoi bon consentir de gros efforts de recherche et développement, à quoi bon consacrer des équipes entières à des projets de longue haleine si on peut, au détour d'une contrefaçon, empocher la mise ?

La contrefaçon est aussi un danger pour le corps : la bonne santé des consommateurs est menacée par la contrefaçon de médicaments ou de jouets, comme l'actualité nous le rappelle régulièrement. Il n'est que de se souvenir de ces enfants chinois victimes de contrefaçon de lait en poudre, par exemple, pour savoir qu'elle ne frappe pas seulement à nos portes.

Enfin, la contrefaçon est un danger pour la société : elle nuit à l'ordre public en favorisant l'essor du travail clandestin et des réseaux mafieux, qui sont très souvent associés au phénomène de contrefaçon.

À titre d'exemple, - et cela dénote le danger qu'elle constitue de toute évidence pour nos économies - elle serait responsable de la perte de 30 000 emplois par an en France.

Si la contrefaçon donne ainsi le vertige, c'est tout simplement qu'elle engendre dans les esprits la plus totale confusion. Comment reconnaître l'original de la copie, quand les logos sont identiques ? Quel est le juste prix, lorsqu'un objet d'apparence semblable peut être vendu dix euros dans la rue et cent derrière une vitrine ? Où est le vrai, où est le faux ? Les consommateurs perdent leurs repères et les entreprises leur identité.

La contrefaçon, comme je le disais tout à l'heure, n'est pas un phénomène récent. Platon, oui, Platon déjà, au Ve siècle avant notre ère, parlait de « vertige » en dénonçant, dans son dialogue du Sophiste, « les producteurs d'illusions, les marchands de copies, les trafiquants d'images ».

Pour toutes ces raisons, le renforcement de la lutte contre la contrefaçon s'avère plus que jamais nécessaire. Le Comité national anti-contrefaçon, le CNAC, réuni la semaine dernière par Hervé Novelli, a d'ailleurs souligné le consensus qui prévaut aujourd'hui sur ce sujet, de la part des institutions publiques comme des partenaires privés.

C'est pourquoi je suis heureuse aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs, de venir devant vous présenter ce projet de loi contre la contrefaçon, destiné à inscrire dans notre droit interne un certain nombre de textes communautaires sur le sujet, principalement la directive 2004/48/CE.

Hervé Novelli, qui a grandement contribué à la préparation de ce texte, me remplacera au banc du Gouvernement pour la discussion des articles, car je dois partir, immédiatement après le début de cette séance, pour la Chine, où j'aurai l'occasion d'évoquer avec mon homologue chinois différents sujets, notamment celui de la contrefaçon.

M. Charles Revet. Très bien !

Mme Christine Lagarde, ministre. J'en viens à la présentation de ce projet de loi.

Dans la lutte contre la contrefaçon, une série d'étapes s'applique et, à chacune de ces étapes, correspondent certaines des dispositions du texte qui vous est soumis.

Que se passe-t-il en effet lorsqu'on découvre un cas de contrefaçon ? Cinq étapes successives interviennent. Premièrement, il faut prouver qu'il s'agit d'une contrefaçon. Deuxièmement, il faut agir rapidement pour limiter les dégâts occasionnés. Troisièmement, si c'est possible, il faut démanteler le réseau. Quatrièmement, il faut juger efficacement le délit. Enfin, cinquièmement, il faut dédommager les victimes.

Je vais revenir sur ces cinq étapes en vous montrant, pour chacune d'entre elles, comment notre projet de loi entend renforcer les procédures existantes.

Première étape : il s'agit de prouver la contrefaçon. Le titulaire de droits dispose aujourd'hui déjà de la saisie-contrefaçon, procédure qui lui permet d'agir sur le champ. Pierre angulaire de notre arsenal juridique en la matière - que de nombreux pays étrangers nous envient -,...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

Mme Christine Lagarde, ministre. ...la saisie-contrefaçon a prouvé son efficacité par le passé, et nous nous attacherons dans ce projet de loi à en étoffer le dispositif.

Deuxième étape : il s'agit de limiter les dégâts occasionnés. Pour ce faire, nous allons renforcer les mesures provisoires qui peuvent être prononcées à l'encontre des contrefacteurs, comme la saisie conservatoire des biens ou le blocage des comptes bancaires, et instaurer d'autres mesures provisoires à l'encontre, cette fois, des intermédiaires, notamment ceux qui sévissent sur Internet. Par ailleurs, les titulaires de droits de propriété intellectuelle pourront désormais demander au juge de faire rappeler des circuits commerciaux les marchandises contrefaites.

Troisième étape : pour démanteler plus aisément les réseaux, ce projet de loi va consacrer le droit d'information, qui permet d'exiger que les personnes interpellées fournissent des informations sur l'origine de leur marchandise et leurs réseaux de distribution.

Quatrième étape : pour juger efficacement les cas de contrefaçons, notre droit prévoit déjà la spécialisation de certains contentieux de propriété industrielle, par exemple dans les domaines des semi-conducteurs ou des marques communautaires. Notre projet de loi, en mettant en oeuvre le règlement n° 6/2002 de la Communauté européenne, permettra de spécialiser également les actions relatives aux dessins et modèles communautaires.

Étant donné la complexité juridique et technique de ce type de contentieux, le principe de spécialisation des juridictions pourrait être étendu à tous les droits de propriété intellectuelle. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, du travail scrupuleux, approfondi et déterminé que vous avez mené pour défendre cette idée. Le Gouvernement sera a priori favorable à l'amendement que la commission des lois présentera en ce sens.

Cinquième étape : pour mieux dédommager les victimes de la contrefaçon, le projet de loi permettra au juge de calculer les dommages et intérêts en prenant en compte, au titre du préjudice causé, les bénéfices réalisés par le contrefacteur. Si ceux-ci ne peuvent être prouvés, le plaignant aura la possibilité de demander au juge un montant forfaitaire de dommages et intérêts pour dissuader le contrefacteur de poursuivre ses agissements et le sanctionner de manière exemplaire. Cette nouvelle disposition juridique représente un progrès essentiel car il s'agit bien, en l'occurrence, de décourager la contrefaçon. Pour cela, il faut faire payer les responsables et ceux qui ont tiré des revenus illicites de ce commerce lui-même illicite.

Voilà donc l'ensemble des mesures que nous vous proposons d'adopter pour mieux réprimer la contrefaçon. En effet, n'oublions pas que lutter contre la contrefaçon, c'est aussi défendre la propriété industrielle ainsi que l'intelligence et la recherche investies dans cette propriété intellectuelle.

Dans certains domaines particuliers comme celui du médicament, le droit de la propriété industrielle doit connaître un certain nombre d'aménagements rendus nécessaires par le caractère spécifique de l'activité ainsi que par les écarts considérables de développement entre les pays développés, qui accueillent en général la plupart des titulaires de brevets, et les pays en voie de développement ou émergents, où s'expriment en général la plus grande partie des besoins dans ce domaine.

Notre projet de loi prévoit ainsi l'octroi de licences obligatoires pour les brevets de produits pharmaceutiques destinés à être exportés vers des pays connaissant des problèmes de santé publique, c'est-à-dire essentiellement des pays en voie de développement. Il ne sera donc plus nécessaire de « contrefaire » des médicaments, tout simplement parce qu'on pourra les « faire » de manière légale grâce à ces licences obligatoires. Au lieu d'être copiés mal et vendus cher, comme c'est souvent le cas, ils seront fabriqués dans de bonnes conditions et pourront profiter à tous.

Nous traduisons ainsi dans notre droit le règlement n° 816/2006 du Conseil et du Parlement européen, qui applique une décision du Conseil général de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, datée du 30 août 2003. Cette décision met en oeuvre le paragraphe 6 de la déclaration de Doha du 14 novembre 2001 sur l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce - les fameux ADPIC - et la santé publique qui prévoit un certain nombre de dispositions en matière de propriété intellectuelle au profit des pays émergents.

Cette chaîne complexe qui va de Doha à Bruxelles puis enfin à Paris répond à une préoccupation simple et très humaine : il s'agit de permettre aux populations les plus défavorisées, partout sur la planète, de pouvoir se procurer les médicaments nécessaires à leur survie, surtout dans l'hypothèse de pandémies. La France est fière de pouvoir participer à une initiative aussi généreuse, conforme à sa tradition humaniste et à l'idée qu'elle se fait du progrès universel. La mondialisation ne s'applique pas seulement aux marchandises, elle concerne aussi les valeurs. Cette mondialisation des valeurs est exprimée de manière tout à fait concrète par la transposition dans notre droit d'une disposition résultant de la déclaration de Doha.

Naturellement, les médicaments pour lesquels des licences obligatoires auront été délivrées afin de les fabriquer et de les développer dans des pays émergents ou en voie de développement continueront à être protégés par le brevet. Les titulaires des droits de propriété intellectuelle pourront s'opposer à toute réimportation ou commercialisation sur le territoire français - lorsqu'il s'agit de brevets français - de produits qui auront été fabriqués en vertu des licences obligatoires à destination de pays en développement. Ainsi, pour répondre au souci des titulaires de brevets et d'autorisations de mise sur le marché de produits pharmaceutiques, un bon équilibre devrait être préservé entre les intérêts de nos entreprises et les besoins des pays en voie de développement.

Pour conclure, la lutte contre la contrefaçon ne s'arrête pas à ce projet de loi ni aux secteurs visés par ce texte. Elle se poursuit bien entendu au niveau national : il y a une quinzaine de jours, Christine Albanel et moi-même avons ainsi confié à Denis Olivennes une mission spécifique consacrée à la lutte contre le téléchargement illicite. J'espère que cette mission aboutira rapidement à des propositions concrètes, afin de mieux lutter contre une des formes les plus biaisées de la contrefaçon, à savoir la réplication illicite et quasiment sans limite, compte tenu du mode de diffusion, des oeuvres de l'esprit.

De plus, la prochaine loi de finances allégera la fiscalité relative à la propriété intellectuelle : c'est une autre façon d'encourager la créativité, la recherche et le développement dans le domaine intellectuel. Un taux réduit de 15 % sera appliqué aux revenus tirés des cessions de brevets, ce qui permettra de supprimer l'écart de coût fiscal entre l'octroi de licence et la cession de brevet. Nous assouplirons également le régime fiscal des apports de brevet. Quant à la réduction accordée aux PME sur les principales redevances de dépôt de brevets, nous allons la doubler, de 25 % à 50 %.

Bien sûr, la lutte contre la contrefaçon se joue pour l'essentiel au niveau européen et international. La contrefaçon est un phénomène qui, par nature, défie les frontières : une pratique de plus en plus répandue consiste par exemple, pour échapper aux contrôles, à expédier les produits contrefaisants non pas dans des conteneurs ou sous une forme lourde permettant la saisie dans des conditions facilitées, mais en fractionnant les envois en petites quantités, par toutes les voies postales et modes de fret express disponibles.

Dans le cadre communautaire, un projet de texte d'harmonisation des mesures pénales en matière de défense des droits de propriété intellectuelle est actuellement en cours de discussion, et la France participe activement aux négociations. Par ailleurs, la création d'un système juridictionnel unifié pour le contentieux des brevets en Europe me paraît également un élément essentiel pour améliorer la compétitivité de nos entreprises. Le Gouvernement souhaite que cette question soit traitée rapidement.

Enfin, sur la scène internationale, la France n'est pas en reste : lors du G8 d'Heiligendamm, en juin dernier, nous avons proposé de créer une structure internationale, un véritable « GAFI contrefaçon », destiné à protéger et à promouvoir l'innovation ainsi qu'à permettre des échanges d'informations constants entre autorités compétentes. Nous nous employons désormais auprès de nos différents partenaires à traduire ce projet dans les faits. À court terme, des mesures relatives à la coopération douanière ou à l'assistance technique des pays en développement devraient être mises en place, tandis que les discussions de fond à plus long terme ont été confiées à l'OCDE dans le cadre du processus dit d'Heiligendamm.

Pensant aux enfants victimes des contrefaçons de jouets et, surtout, à ces enfants chinois victimes des contrefaçons de lait, pensant à tous nos chercheurs, ici et ailleurs, qui n'épargnent ni leur temps ni leur énergie, et pensant à celles de nos entreprises qui consacrent encore trop peu de leurs ressources à la recherche, j'espère vous avoir convaincus, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement prend extrêmement au sérieux la menace de la contrefaçon et met en oeuvre tous les moyens dont il dispose pour lutter efficacement contre ses méfaits.

Les marchands de contrefaçon nous donnent le vertige, je le disais tout à l'heure. Grâce à l'excellent travail déjà réalisé dans cette assemblée et aux débats que vous allez poursuivre dans le cadre naturel de l'examen de ce projet de loi, nous allons leur remettre les pieds sur terre et ranger un certain nombre de contrefaçons au musée du même nom. J'espère également que nous pourrons, sinon mettre fin, tout du moins limiter, dans la mesure de nos moyens, ces courants d'affaires parfaitement illicites qui représentent un enjeu industriel mais également de sécurité car, bien souvent, les questions de contrefaçon sont liées aussi à des trafics. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Laurent Béteille, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le texte que nous examinons vise, pour l'essentiel, à transposer une directive européenne de 2004 destinée à renforcer la lutte contre la contrefaçon.

Cette directive européenne est inspirée d'ailleurs en grande partie du droit français et de la procédure de saisie-contrefaçon, qui a montré son efficacité et pourra désormais être pratiquée dans tous les pays de l'Union européenne qui auront transposé cette directive. Elle apporte également au droit français un certain nombre d'atouts supplémentaires.

Dans son exposé, Mme le ministre a insisté sur ce phénomène qui a pu, dans le passé, présenter un caractère artisanal et limité, mais est devenu aujourd'hui un véritable fléau de société, lourd de conséquences économiques, se traduisant par des destructions d'emplois, la pénalisation des entreprises les plus innovantes et une perte de ressources fiscales.

Je voudrais également insister sur un point souvent oublié : la contrefaçon cause un préjudice important au consommateur lui-même. Celui-ci croit parfois réaliser une bonne affaire, or ce n'est jamais le cas. En réalité, le rapport qualité-prix est toujours déplorable. Je pourrais citer l'exemple d'une personne qui a récemment rapporté d'un pays dont je tairais le nom un petit appareil électroménager. Cet appareil magnifique, portant le logo d'une marque fort connue, n'a fonctionné que trois jours et, depuis, personne n'a pu ni voulu le réparer. De tels engins, achetés à moitié prix, s'avèrent toujours de mauvaises affaires, soyons-en bien conscients !

À Roissy, je suis toujours surpris par les affiches informant le consommateur des risques pénaux qu'il encourt. Il me semblerait plus utile de lui dire qu'il fait une très mauvaise affaire chaque fois qu'il achète un bien contrefaisant. Cette vérité mériterait d'être rappelée plus souvent parce qu'un certain nombre de nos concitoyens ne s'en rendent pas forcément compte.

En outre, - c'est, si j'ose dire, la cerise sur le gâteau - un certain nombre d'objets contrefaisants sont extrêmement dangereux. On pense, notamment, aux faux médicaments qui, dans le meilleur des cas, ne soignent pas et, dans le pire, aggravent le mal. Mais tous les domaines de l'industrie sont touchés : certains jouets sont dangereux dans la mesure où ils ne respectent aucunes des normes de protection des enfants, car ils comportent des parties qui peuvent être avalées, créant des risques d'asphyxie. L'industrie des cosmétiques prend des précautions considérables pour s'assurer du caractère non allergénique de ses produits : la contrefaçon ne s'intéresse pas à cet aspect des choses. Il en va de même pour les lunettes de soleil qui ne filtrent pas, les pièces détachées de toutes sortes d'engins, notamment les automobiles, qui présentent un risque pour les utilisateurs et les piétons. La contrefaçon met en jeu la sécurité et la santé du consommateur, mais aussi ses propres intérêts économiques.

Cette directive est donc bienvenue : il fallait absolument procéder à sa transposition, nous sommes d'ailleurs un peu en retard pour le faire. Première avancée, son texte prévoit que les États membres doivent mettre en place des procédures permettant d'obtenir rapidement des mesures provisoires et conservatoires efficaces : injonctions visant à faire cesser la contrefaçon, saisies de marchandises. Si les circonstances l'exigent, ces procédures sont non contradictoires.

Il faut savoir que, à l'heure actuelle, notre droit permet d'obtenir des mesures conservatoires, mais par voie de référé, c'est-à-dire en appelant le contrefacteur, ce qui parfois lui permet de faire disparaître des preuves, de s'organiser. Seules des mesures probatoires, comme la saisie de contrefaçons ou des constats d'huissier, peuvent être obtenues par le biais de procédures sur requête non contradictoires.

Sur ce point, la transposition de la directive nous paraît devoir être pleinement approuvée. La transcription de ces nouvelles mesures concerne l'ensemble des nombreux droits de propriété intellectuelle, allant de la propriété littéraire et artistique aux marques, dessins et modèles, en passant par des domaines plus récents tels que les systèmes d'information, les certificats d'obtentions végétales ou certaines appellations d'origine.

La consécration d'un droit d'information constitue une deuxième avancée importante de la directive. Il s'agit de permettre, autant que faire se peut, car ce ne sera pas forcément facile même si le dispositif se trouvera largement amélioré, la recherche de l'origine et des réseaux de distribution des marchandises ou des services qui portent atteinte à un droit de propriété intellectuelle. C'est, pour le droit français, un progrès important : il existait déjà des possibilités d'obtenir par voie d'injonction des éléments d'information concernant les parties à la procédure, mais il s'agit ici d'aller au-delà et de permettre l'obtention d'informations sur des tiers qui pourront ensuite être attraits au procès civil.

La troisième avancée permise par la directive consiste en une amélioration de la réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon. Il s'agit là, à mon sens, d'un enjeu extrêmement important, car le montant des réparations allouées par les juridictions françaises décourageait souvent, jusqu'à présent, les entreprises concernées de saisir les tribunaux, dans la mesure où les procédures sont évidemment onéreuses et où il est très difficile de faire la preuve du préjudice subi. Il était donc nécessaire de mettre en place une procédure alternative permettant soit la prise en compte des bénéfices réalisés par le contrefacteur, soit un calcul forfaitaire du préjudice, d'autant que le mode de calcul retenu dans la jurisprudence française n'autorisait jusqu'alors véritablement que la prise en compte d'un préjudice théorique, lié aux capacités de production de l'entreprise victime de la contrefaçon. Ainsi, une entreprise dont la capacité de production ne dépasse pas une centaine d'articles ne peut obtenir une réparation satisfaisante si la contrefaçon de son modèle ou de sa marque porte sur un millier d'exemplaires. Le calcul forfaitaire du préjudice est donc une évidente avancée, que la commission des lois vous propose de valider.

Au-delà de ces différentes améliorations figurant dans la directive, la commission des lois suggère l'adoption d'un certain nombre de mesures complémentaires et d'adaptations.

S'agissant tout d'abord de la notion d'échelle commerciale, reprise de la directive mais de caractère facultatif, il faut noter qu'elle paraît extrêmement floue. À lire le texte de la directive, en effet, elle semble exprimer davantage une idée de finalité qu'une idée d'ampleur, que le mot « échelle », dans ce contexte, recouvre pourtant clairement dans la langue française.

Je pense qu'il s'agit donc là d'une complication inutile. On va demander aux tribunaux de caractériser une échelle commerciale lorsque la saisie de contrefaçons n'aura porté que sur quelques articles. L'entreprise victime aura alors des difficultés à apporter des preuves qui nous semblent parfaitement superflues, parce que l'on sait qu'une entreprise ne se lancera dans une procédure que si la contrefaçon n'est pas un phénomène ponctuel, mais met en jeu des intérêts importants et représente véritablement une attaque commerciale.

Nous avons également proposé de prévoir des sanctions plus sévères envers la contrefaçon portant atteinte à la santé et à la sécurité des personnes. J'ai insisté longuement tout à l'heure sur l'intérêt de défendre le consommateur : ce souci doit prévaloir dans tous les domaines.

Certes, il existe déjà un délit de contrefaçon fortement sanctionné, puisque passible de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende, ce qui n'est pas rien. C'est la base de notre droit, et il existe en outre une circonstance aggravante, à savoir la commission de la contrefaçon en bande organisée. Cependant, il me semble nécessaire, dans l'esprit que j'ai exposé à l'instant, d'aller plus loin et de considérer que lorsque la contrefaçon risque de porter atteinte à l'intégrité, à la sécurité ou à la santé des personnes, il convient de renforcer les sanctions. J'ai dit tout à l'heure combien le champ d'une telle mesure était vaste et ne se limitait pas à quelques produits.

Un autre point qui nous paraît important au regard de l'attractivité juridique du territoire français et du rayonnement de notre droit tient à la spécialisation des juridictions.

La France s'est déjà engagée dans cette voie, mais d'une manière à la fois timide, voire timorée, et quelque peu anarchique.

En effet, actuellement, si un seul tribunal de grande instance, celui de Paris, est compétent en matière de marques communautaires, toutes les juridictions françaises, tant commerciales que civiles, sont compétentes pour les marques nationales. Parallèlement, si sept tribunaux de grande instance sont compétents en matière de brevets, dix le sont, de manière assez inexplicable, s'agissant des certificats d'obtentions végétales, qui sont en fait des brevets portant sur le vivant.

Aucune logique n'est donc véritablement perceptible dans tout cela, et je crois qu'il convient de répondre à la préoccupation que notre collègue Cointat avait exprimée dans son rapport de 2002 sur l'évolution des métiers de la justice : « Afin de permettre aux magistrats de rendre une justice de qualité, la mission souhaite la poursuite du mouvement actuel de spécialisation dans des matières très complexes. Une telle évolution constitue en effet une clef d'avenir cruciale pour la justice française. »

Il faudrait vraiment, à mon sens, parvenir à ce qu'un nombre restreint de tribunaux soient spécialisés en matière de propriété intellectuelle. Ils pratiqueront ce droit régulièrement et deviendront de véritables spécialistes, reconnus tant en France que sur le plan européen.

Par ailleurs, je voudrais évoquer l'extension souhaitable des compétences des douanes et des services judiciaires, qui jouent déjà un rôle très important en matière de lutte contre la contrefaçon mais dont l'action se limite essentiellement à la protection des marques. Nous proposerons, au travers d'un amendement, d'étendre le champ de leur compétence à tous les domaines du droit de la propriété intellectuelle.

Nous souhaitons en outre rendre possible une répression plus sévère de la contrefaçon s'agissant des marchandises qui ne font que transiter sur notre territoire, en provenance par exemple d'Asie - que l'on n'y voie aucune accusation de ma part ! - et à destination du marché africain. À l'heure actuelle, dans la mesure où le marché européen n'est pas concerné, les douanes ne peuvent relever qu'une simple contravention, sanction qui n'est manifestement pas à la hauteur du problème. Il convient de pouvoir pénaliser davantage ces marchandises.

Il faut également permettre la destruction de marchandises, sans qu'elles restent stockées pendant des années dans les entrepôts de Roissy, ce qui coûte cher et fait perdre du temps à tout le monde.

Une autre avancée que nous appelons de nos voeux consiste en la pleine transposition de la directive en ce qui concerne les frais de justice, de manière que la partie ayant gagné le procès et obtenu une réparation n'ait pas à participer, le cas échéant, aux frais de recouvrement.

En conclusion, il reviendra finalement au Gouvernement, pour que le texte soit pleinement efficace, de prendre un certain nombre de décrets d'application. Me tournant vers le banc du Gouvernement, j'insiste à nouveau sur ce point, qui me paraît fondamental. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 48 minutes ;

Groupe socialiste, 31 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 13 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce projet de loi de lutte contre la contrefaçon vise à transposer dans notre droit interne la directive européenne du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle.

Si nous ne contestons pas, sur le plan du principe, le bien-fondé d'un renforcement de la protection des détenteurs de droits de propriété intellectuelle, nous pensons que la lutte contre la contrefaçon ne peut se réduire à une modification de la législation : les comportements des entreprises et des pouvoirs publics, mais également ceux des consommateurs, doivent eux aussi évoluer.

Ce projet de loi ne peut donc être résumé à la simple transposition d'une directive, car il comporte plusieurs modifications substantielles de notre organisation judiciaire, sur lesquelles je reviendrai dans quelques instants, et a une véritable portée politique.

Le Gouvernement place la contrefaçon dans un cadre strictement économique et hexagonal, alors que personne n'ignore que son ampleur dépasse le cadre de nos frontières et celui de nos entreprises. Je crois nécessaire, par conséquent, de resituer ce projet de loi dans son contexte.

La contrefaçon ferait perdre chaque année plus de 6 milliards d'euros à la France et détruirait plus de 30 000 emplois. Évidemment, ce constat ne peut laisser indifférent. Nous sommes aujourd'hui confrontés à une pratique qui n'est plus artisanale, mais représente une véritable industrie. Il est donc important de modifier notre appréhension de ce phénomène devenu extrêmement organisé et planétaire.

Les filières de contrefaçon ont, bien entendu, profité des failles que présente notre économie mondialisée. En tant que pays développé, nous ne pouvons fermer les yeux sur le lien qui existe entre la contrefaçon et les délocalisations ou l'exploitation des travailleurs, adultes et enfants, des pays en développement. Les entreprises ont elles aussi une part de responsabilité dans cette situation.

Ainsi, nous savons bien que les grandes marques - je pense en particulier à l'industrie du luxe - étiquettent en France des produits élaborés dans une mesure plus ou moins large dans des pays en développement, par une main-d'oeuvre surexploitée et misérable. Ces pays, une fois en possession des savoir-faire et des technologies exportés par la firme, disposent de tous les outils nécessaires à la contrefaçon.

La lutte contre la contrefaçon ne peut donc se cantonner au simple champ judiciaire. Freiner les délocalisations de productions et repenser nos modèles d'échanges avec les pays en développement constituerait, à mon avis, un autre élément de la lutte contre la contrefaçon.

Malheureusement, le projet de loi n'envisage la contrefaçon que dans sa dimension hexagonale et, de plus, du seul point de vue des entreprises victimes de contrefaçon, les consommateurs étant les grands oubliés du texte.

Pourtant, la contrefaçon touche désormais la quasi-totalité des secteurs. L'industrie du luxe n'est plus seule visée : toutes les catégories de biens de consommation sont aujourd'hui concernées. La contrefaçon de médicaments, de jouets, de lunettes de soleil, d'appareils domestiques ou encore de pièces de rechange pour les automobiles ne peut donc être réduite à un simple manque à gagner pour les entreprises : la santé et la sécurité publiques sont elles aussi directement menacées lorsqu'il est question de contrefaçon. Or le projet de loi ne prend pas en compte cette problématique.

Notre rapporteur, en revanche, s'est saisi du problème : il propose un amendement visant à instaurer des sanctions plus sévères lorsque la contrefaçon porte atteinte à la santé et à la sécurité des personnes. Dans ce cas précis, la peine maximale passerait de trois à cinq ans d'emprisonnement et de 300 000 à 500 000 euros d'amende.

Si je ne conteste pas le renforcement de la lutte contre la contrefaçon lorsque celle-ci constitue un danger pour les consommateurs, je ne peux que regretter que la seule réponse apportée soit toujours un durcissement des sanctions ou la création d'une circonstance aggravante. Des sanctions civiles, douanières et pénales existent déjà.

Cette remarque ne s'applique pas uniquement à ce texte. L'option qui est systématiquement choisie est la solution de facilité : au lieu de s'attaquer concrètement aux causes d'un phénomène, on réprime toujours plus sévèrement.

La contrefaçon est souvent liée à la criminalité organisée, aux réseaux de blanchiment d'argent. Je ne pense pas que les personnes qui sont à la tête de ces réseaux seront plus inquiètes une fois cet amendement adopté.

Augmenter les moyens et les personnels des services de police et des douanes chargés de démanteler ces réseaux criminels semblerait bien plus efficace. Mais force est de constater que nous débattons régulièrement de cette question et que nous ne partageons guère le même point de vue !

De façon assez étonnante, le renforcement de la lutte contre la contrefaçon peut également avoir des effets pervers. C'est le cas dans le domaine agricole.

Si l'on prend l'exemple des obtentions végétales, la loi du 1er mars 2006 entérine le principe du brevetage des semences agricoles utilisées par les agriculteurs : elle porte ainsi atteinte à leur droit à pouvoir réutiliser la semence issue de leur propre récolte.

Or, le projet de loi que nous examinons renforce les sanctions à l'encontre des contrefacteurs dans le domaine des obtentions végétales. Les agriculteurs vont donc se retrouver dans une situation totalement « verrouillée » qui aurait mérité, à nos yeux, un débat à part entière.

Après avoir resitué le projet de loi dans son contexte, j'en viens à son contenu.

Ce texte s'articule autour de trois axes : le renforcement des procédures simplifiées et accélérées de saisine du juge, la modification du calcul des dédommagements liés au préjudice du fait de la contrefaçon et l'introduction d'un droit d'information destiné à lutter contre les réseaux de contrefaçon.

Sur les deux premiers points, le projet de loi opère une petite révolution de notre organisation judiciaire.

Tout d'abord, la directive impose aux États membres de mettre en place des procédures permettant d'obtenir rapidement des mesures provisoires et conservatoires efficaces. Actuellement, seul le référé le permet. De telles mesures ne peuvent être obtenues par requête non contradictoire. La directive, dans son article 9.4, prescrit aux États membres de veiller à ce que ces mesures provisoires « puissent, dans les cas appropriés, être adoptées sans que le défendeur soit entendu ».

En conséquence, le projet de loi introduit de nouveaux mécanismes de procédures accélérées et simplifiées de saisine du juge. Toutefois, ces dernières n'étant pas contradictoires, elles ne respectent pas l'égalité des armes entre les parties au procès.

Les magistrats entendus par le rapporteur ont, à juste titre, soulevé le problème de l'extension dans notre droit de procédures où le défendeur ne peut être entendu : elles apparaissent contraires aux droits de la défense.

Il nous semble difficilement concevable d'entériner une telle inégalité entre les parties, même si la lutte contre la contrefaçon nécessite de s'adapter aux évolutions de cette dernière.

Ensuite, le nouveau calcul de la réparation du préjudice pose lui aussi problème. En effet, le projet de loi, qui reprend les termes de l'article 13.1 de la directive, prévoit que les bénéfices injustement réalisés par le contrefacteur seront pris en compte par le tribunal pour évaluer le préjudice résultant de la contrefaçon. II est également prévu que le tribunal peut allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte.

Je souhaiterais faire deux remarques sur les notions de bénéfices injustement réalisés et d'indemnisation forfaitaire.

La jurisprudence, qui se fonde sur l'article 1382 du code civil, a toujours refusé de prendre en compte les bénéfices injustement réalisés dans le calcul des dommages et intérêts, ceux-ci devant « réparer le préjudice sans qu'il en résulte pour la victime ni perte ni profit ». Le préjudice doit donc être réparé de manière stricte et intégrale - ce qui semble incompatible avec la prise en compte des bénéfices injustement réalisés -, mais également de façon concrète et précise. Or, l'indemnisation forfaitaire semble elle aussi incompatible avec toute évaluation concrète et précise du préjudice.

En guise de conclusion, si le renforcement de la lutte contre la contrefaçon est aujourd'hui nécessaire, notamment parce que la santé et la sécurité des consommateurs sont de plus en plus souvent en jeu, il ne faut cependant pas enfreindre les principes fondateurs de notre droit.

Par ailleurs, la seule répression ne peut suffire. L'action en amont des services de police et des douanes visant notamment à démanteler les réseaux est tout aussi importante que la répression, sinon davantage. Je considère qu'il vaut mieux éviter la mise sur le marché de produits contrefaisants.

Adopter de nouvelles lois doit toujours conduire à nous interroger sur les moyens de leur mise en oeuvre. La disparition des frontières ne doit pas justifier les suppressions d'emplois dans les services des douanes. Il est pourtant question de supprimer 638 postes entre 2006 et 2008.

La preuve de mon propos est apportée par ce phénomène très diversifié et mondialisé qu'est la contrefaçon : la suppression des frontières facilite le transit de marchandises contrefaisantes. Je ne peux donc que défendre l'idée selon laquelle une forte présence douanière reste indispensable sur notre territoire.

Lutter contre la contrefaçon est l'affaire de tous et doit reposer sur un partenariat entre les pouvoirs publics, les entreprises et les consommateurs.

Prenons l'exemple la ville de Saint-Denis : elle a signé, hier, une convention avec l'Union des fabricants par laquelle elle s'engage à lutter contre les produits contrefaisants vendus aux abords du Stade de France durant la Coupe du monde de rugby et à sensibiliser les consommateurs, les commerçants et les habitants au développement d'une coopération renforcée avec la police, la gendarmerie, les douanes et les services fiscaux. Saint-Ouen, Nice ou encore Saint-Tropez avaient déjà signé de telles conventions.

La réduction des moyens des services publics régaliens ne peut donc aller dans le sens d'une lutte accentuée contre la contrefaçon.

Mon propos fut quelque peu critique à l'encontre de ce projet de loi. On ne peut s'en tenir à une simple transposition. Un débat sur la contrefaçon nécessite de discuter de l'ensemble des aspects et des enjeux qu'elle comporte. Or, sur ce plan, ce projet de loi s'avère nettement insuffisant. Aussi, nous nous abstiendrons lors du vote sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)