M. le président. La parole est à M. Jack Ralite.

M. Jack Ralite. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, comme nous tous dans cet hémicycle, je suis favorable à la circulation des oeuvres, à la rencontre, à la confrontation, au partage de tous les éléments qui constituent la culture, singulièrement les oeuvres d'art. Mais je n'oublie pas ce que disait si bien Octavio Paz : « Le marché - sous-entendu l'argent - est efficace, soit, mais il n'a ni conscience ni miséricorde. » Or, selon la tradition, non pas au sens passéiste, mais au sens de se souvenir de l'avenir, du travail muséal en France, c'est précisément la conscience et la miséricorde. Je voulais vous faire part de cette remarque dès le début de mon propos.

Voici donc inscrite précipitamment à l'ordre du jour d'une session extraordinaire - pardon du peu ! - la ratification de trois conventions signées entre la France et les Émirats Arabes Unis le 6 mars dernier relatives au projet du Louvre Abou Dabi, qui a été préparé sans concertation aucune, y compris professionnelle, en grand secret pendant des mois.

Si plus de 5 500 personnalités du monde de l'art français et étranger n'avaient pas signé l'appel intitulé « les musées ne sont pas à vendre », on se serait cru comme dans le secret-défense. Pourquoi ce secret alors que d'aucuns soutiennent que ce projet est si bien, si beau, si bon ? Je vais essayer de démontrer que la réalité est tout autre.

Ainsi, en résumé, les Émirats Arabes Unis, bourrés de pétrole - il faut le rappeler -, friands d'armement et acheteurs programmés de quarante Airbus, achètent sur trente ans la marque Louvre pour nommer un musée devant être construit à Abou Dabi sur l'île de Saadiyat réservée à la gentry locale, régionale et internationale, mais inaccessible au petit peuple et aux classes moyennes arabes.

Mme Nathalie Goulet. Il n'y en a pas !

M. Jack Ralite. Ce faisant, le Gouvernement a suivi les préconisations d'un rapport sur « L'économie de l'immatériel », remis à Thierry Breton le 23 novembre 2006, rédigé par une commission dominée par les inspecteurs des finances, au nombre de sept, par les industriels, au nombre de neuf, dont Maurice Lévy, président du directoire de Publicis, et ne comprenant qu'un seul artiste.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. L'un d'eux est devenu ministre !

M. Jack Ralite. Certes, mais il s'agissait non pas d'un artiste, mais d'un inspecteur des finances !

Toute la stratégie de l'accord signé le 6 mars est déjà développée dans ledit rapport : on y parle « d'amortissement du capital humain » et de « mettre les acquis immatériels au service de l'économie ». Les musées y sont traités par le menu et en parfaite contradiction avec le code de déontologie de l'ICOM, l'organisation internationale non gouvernementale des musées et des professionnels de musée, code adopté à l'unanimité de ses 21 000 membres présents dans 146 pays.

On lit dans le rapport Lévy-Jouyet, sous l'intitulé « Saisir l'importance de l'image de la ?marque France? pour notre croissance économique », page 123 : « Recommandation n° 10 : [...] autoriser les musées à louer et à vendre certaines de leurs oeuvres [...] Les oeuvres des établissements devraient être classées en deux catégories (les trésors nationaux et les oeuvres libres d'utilisation). Les oeuvres libres d'utilisation devraient être inscrites à l'actif des établissements et être reconnues aliénables. » Je trouve que c'est une magnifique définition de l'entreprise, comme vient de le dire si justement Catherine Tasca. C'est la chosification des oeuvres d'art et leur transformation en produits.

Je fais cette citation pour une raison qui devrait nous « enrager », je n'hésite pas à utiliser ce mot. Ainsi, le 5 mars, j'ai assisté au ministère de la culture à la remise d'une décoration à l'un de mes amis par l'ancien ministre M. Donnedieu de Vabres. Alors que je saluais ce dernier qui allait signer les trois accords précités le lendemain, je lui ai fait la remarque suivante : « Monsieur le ministre, puissiez-vous ne jamais regretter votre signature du 6 mars. » Il m'a répondu ne pas partager le même point de vue et que j'avais sans doute noté que dans le contrat ne figurait pas l'application du passage relatif à la vente des oeuvres que je viens de vous lire. « Pour combien de temps ? » lui ai-je alors demandé, propos que j'ai repris dans un article le lendemain.

Eh bien ! nous y sommes et, de surcroît, devant le Sénat, où la question du patrimoine et des musées est toujours suivie avec une attention scrupuleuse. Je veux, en cet instant, mes chers collègues, simplement vous lire un extrait de la lettre de mission adressée par M. le Président de la République à Mme la ministre de la culture et de la communication, Mme Christine Albanel, dont je me félicite de la présence : « Vous [...] engagerez une réflexion sur la possibilité pour les opérateurs publics d'aliéner des oeuvres de leurs collections ».

Alors que nous allons être appelés à voter ce projet de loi, vous constatez que des idées, qui, je suis certain, choquent nombre d'entre vous, sont en train de cheminer dans des courriers qui sont essentiels pour la culture.

Et le signataire poursuit, pour garantir son propos à Mme la ministre, « vous nous proposerez des indicateurs de résultat dont le suivi sera conjoint. » Élysée, Matignon, Bercy, ministère de la culture : c'est une première ! C'est une manière de tenter de supprimer le ministère de la culture dont les artistes ont imposé le maintien au printemps.

Il faut savoir que l'idée d'inaliénabilité des oeuvres a été imposée au xiie siècle, à l'époque des rois de France qui rêvaient de devenir absolus - ce qui fut le cas plus tard -, par les juristes royaux. Cet acquis historique marque toute notre tradition.

Par le passé, des choses heureuses ont été créées. Pourquoi vouloir les remettre en cause ?

Le patrimoine, c'est-à-dire la création de l'histoire, est en danger, tout comme la création contemporaine, dont la lettre présidentielle indique qu'elle doit « favoriser une offre répondant à l'attente du public » avec « obligation de résultat et non-reconduction automatique des aides et des subventions ».

J'étais à Avignon, samedi soir, pour fêter, avec cette ville et la Maison Jean Vilar, le soixantième anniversaire de la « Semaine d'art en Avignon », créée en 1947 par cet homme de théâtre, avec la coopération de peintres et de poètes ; je pense notamment à René Char. Jean Vilar avait bien raison d'évoquer dans un écrit à André Malraux, le 17 mai 1971, le « mariage cruel » entre le pouvoir et l'artiste.

Les artistes se sont exprimés sur cette question. Jean Vilar disait : « Il s'agit aussi de savoir si nous aurons assez de clairvoyance et d'opiniâtreté pour imposer au public ce qu'il désire obscurément ; ce sera là notre combat. » René Char, quant à lui, déclarait : « Comment vivre sans inconnu devant soi ? » Braque indiquait : « L'art est une blessure qui devient une lumière. » Apollinaire, enfin, écrivait : « Quand l'homme a voulu imiter la marche, il a inventé la roue qui ne ressemble pas à une jambe. » C'est cela la création !

Lundi, Le Parisien titrait : « Comment les musées ont appris à gagner de l'argent ». On ne peut pas leur en faire le reproche. Mais ils doivent surtout avoir la possibilité d'acheter, de montrer et de provoquer la rencontre la plus massive possible.

Le même quotidien évoquait « 90,3 millions de chiffre d'affaires » et au-dessus d'une photo d'un haut responsable du Patrimoine figurait le titre Celui qui a redressé la maison ; et le journaliste écrivait : la culture est sa passion, mais une forte dose de technique financière lui permet de garder la raison. (M. Gérard Le Cam applaudit.)

M. Pierre Fauchon. Heureusement !

M. Jack Ralite. Selon Saint-John Perse, « la poésie, c'est le luxe de l'inaccoutumance. » De nos jours, on présente le contraire, dans un journal populaire, comme étant le sommet des sommets, lorsqu'on aborde la création.

Voilà quelques jours, j'étais, comme vous, madame la ministre, à l'inauguration de la Cité de l'architecture et du patrimoine, réalisation remarquable. En d'autres temps, on aurait valorisé le rôle joué par le ministère. Aujourd'hui, on parle de partenaires fondateurs. Bien sûr, le ministère en fait partie, mais il y a également Bouygues Immobilier et Vitra. Ce n'est pas sans conséquence ! Les fondateurs, en général, ont envie de s'occuper de leurs enfants.

M. Pierre Fauchon. Les Médicis étaient des banquiers !

M. Jack Ralite. Je prendrai un autre exemple. Je sais bien que des mouvements de personnel ont lieu parmi les cadres de l'État, mais il me semble curieux que l'ancien directeur de cabinet de M. Aillagon, après avoir exercé des fonctions à la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, ait été nommé directeur de Sotheby's France, lieu où l'on vend aux enchères le patrimoine.

Est-ce cela la création ? Non ! La création, c'est celle dont je viens de parler à travers les mots des artistes.

M. Paul Blanc. Et la musique !

M. Jack Ralite. Mon cher collègue, je pourrais vous citer Pierre Boulez : toute oeuvre nouvelle est le fruit d'une contradiction entre le passé et l'avenir.

Tous les artistes, quels qu'ils soient, savent à quel point sortir de soi, de l'intimité, de la nature, de l'histoire, les oeuvres fait souffrir. Mais c'est la vente qui intéresse les marchands, pas la création !

M. Pierre Fauchon. Et les mécènes ? S'il n'y avait pas de mécènes, il n'y aurait pas d'art !

M. Jack Ralite. Il y a des mécènes !

M. Pierre Fauchon. Les mécènes sont des marchands !

M. Jack Ralite. Mais il ne faut pas qu'ils deviennent rois ! Or ils sont en train de prendre le pouvoir avec les financiers.

M. Pierre Fauchon. Voyez la Renaissance ! Et les Médicis !

M. Jack Ralite. Bien sûr, les accords soumis aujourd'hui à ratification pourraient faire l'objet d'un long débat, mais je ne m'étendrai pas, car Mme Tasca a fort bien exprimé les choses telles que je les ressens. Pour autant, je ne sous-estime pas le travail de Mme le rapporteur de la commission des affaires étrangères.

J'ai tenu à rapporter les paroles des artistes, car elles se dressent contre le nouvel esprit des lois, porté par le Président de la République. Dans le discours que celui-ci a prononcé lors de l'inauguration de la Cité de l'architecture et du patrimoine, il a déclaré : « Je ne suis pas partisan d'une conception utilitariste de la culture. Je ne crois pas que la culture soit une simple marchandise. C'est pour eux-mêmes qu'il faut soutenir le théâtre, la musique, le patrimoine, l'architecture, le cinéma, pour ce que l'art et les artistes nous apportent comme sens, comme espérance et tout simplement comme plaisir. La culture ce n'est pas ?un supplément d'âme?, c'est l'âme même de la civilisation. »

Je suis d'accord, mais pourquoi le Président de la République impose-t-il le contraire lorsqu'il s'adresse à Mme la ministre de la culture, dont j'ai vu le travail tant à l'Élysée qu'à Versailles ? Pourquoi le Président de la République dit-il une chose et son contraire ? C'est ainsi que le secret est favorisé.

Dans ma ville, Aubervilliers, à l'occasion des lundis du Collège de France, le professeur de l'université La Sapienza, à Rome, Predrag Matvejevic, a soutenu l'idée selon laquelle nous avons un héritage, nous devons le défendre et, dans un même mouvement, nous devons nous en défendre. Autrement, nous aurions des retards d'avenir, nous serions inaccomplis.

Pour ma part, je ne veux pas que la France, dans quelque domaine que ce soit, d'ailleurs, ait des « retards d'avenir », des citoyennes et citoyens « inaccomplis ». René Char a, un jour, lancé : « L'inaccompli bourdonne d'essentiel. » Quel beau programme !

Ce devrait être cela, la politique de la création contemporaine, de la conservation de la création ! Cependant, elle ne figure pas dans les textes à voter. Elle est combattue dans la lettre stratégique de l'Élysée, qui éclaire des directions fondamentales de la politique gouvernementale voulue par M. Sarkozy.

Adopter ce projet de loi consisterait, ni plus ni moins, à demander aux parlementaires d'adouber un projet gouvernemental empreint d'une logique commerciale, élaboré sans concertation aucune, alors qu'il va bouleverser fondamentalement le rapport de l'État et de la société au patrimoine public et à sa gestion en introduisant du payant là où régnaient la gratuité et la coopération, une sorte de dictature de l'occasion là où devraient régner la permanence et la responsabilité.

Qui ne peut soupçonner alors que se creuse ainsi une entaille dans l'engagement public en faveur de la culture, une brèche pour un désengagement gouvernemental sous couvert d'une démocratisation qui, en fait, n'est qu'une marchandisation de la culture ?

Dans ce contexte, la convocation d'André Malraux, que j'entends évoquer souvent en ce moment, est un véritable reniement, une gifle assenée à sa pensée lorsqu'il a, par exemple, écrit, dans le Musée imaginaire : « Le musée est un des lieux qui donnent la plus haute idée de l'homme ». (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Louis de Broissia.

M. Louis de Broissia. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, que M. Jacques Ralite ne m'en veuille pas si, empreint d'une éducation gaulliste et marqué par André Malraux, je n'ai retenu, dans la lettre de mission envoyée par M. le Président de la République à Mme la ministre de la culture et de la communication le 1er août, que le rappel du discours qu'André Malraux prononça en 1959, lors de la création du ministère des affaires culturelles.

Les mots d'André Malraux - « rendre accessible les oeuvres capitales de l'humanité » et « assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel » - résument bien, à mon sens, l'esprit dans lequel nous allons examiner et, pour ce qui concerne le groupe de l'UMP, voter ce projet de loi.

Ce texte consiste à offrir, à la demande des Émirats Arabes Unis - d'ailleurs, comment dire non à des hommes et à des femmes d'une autre civilisation désireux d'avoir accès à notre culture ? - l'expertise et le soutien des principaux musées français à ce grand projet de création de musée universel, ce pendant une période de trente ans. Je ne partage pas, madame Tasca, votre vision un peu fermée de l'expertise française dans le monde, bien que je vous apprécie par ailleurs.

En s'associant à une entreprise d'une telle dimension, la France confortera son effort de démocratisation universelle de la culture et renforcera les perspectives de sa diplomatie culturelle. Cette dernière présentera ainsi, de façon moderne, un aspect nouveau, franc et honnête.

La démocratisation culturelle consiste, selon nous, à rendre la culture accessible à tous, à permettre au plus grand nombre de découvrir les trésors du patrimoine culturel national et mondial sous toutes ses formes : aujourd'hui, il s'agit des beaux-arts ; demain, dans d'autres traités, il sera question du cinéma, de l'audiovisuel, de l'écrit, des spectacles vivants et de la musique.

Permettre à d'autres États d'accéder aux trésors culturels français est porteur pour la culture française. Bien que l'exportation culturelle telle qu'elle est prévue par cet accord constitue une approche nouvelle, elle n'en demeure pas moins exigeante, et nombreuses sont les garanties apportées. Cependant, je partage l'avis de Mme le rapporteur sur la nécessité d'un contrôle parlementaire de la commission des affaires étrangères, de celle des affaires culturelles et de celle des finances. Je pense, madame la ministre, que vous nous donnerez satisfaction sur ce point.

Le gouvernement des Émirats Arabes Unis a fait appel à la France, en premier lieu, pour la conception et la réalisation du musée lui-même.

Il est à noter que la dimension universelle du musée est née sous l'impulsion française. Et nous ne pouvons que féliciter les experts français, les conservateurs, les historiens d'arts, d'avoir soutenu ce projet.

La seconde partie du projet prévoit que, durant dix ans à compter de l'ouverture du musée, et dans l'attente qu'il ait constitué sa propre collection, des oeuvres du Louvre et d'autres musées nationaux, voire provinciaux, seront prêtées pour deux ans afin d'être exposées par rotation dans ce musée universel.

M. le rapporteur pour avis l'a rappelé : aujourd'hui, seuls 10 % à 15 % des collections françaises sont exposés dans les musées, la grande majorité d'entre elles étant conservée dans les réserves des musées, ce dans des conditions évidemment excellentes. Ces prêts ne devraient concerner que trois cents oeuvres pas an et seront toujours à durée déterminée.

Par ailleurs, permettez-moi de rappeler que de tels prêts existent déjà depuis longtemps. Ainsi, dans les années quatre-vingt-dix, le musée des Beaux-Arts de Dijon, le deuxième musée de France après le Louvre - je le dis non sans fierté ! - s'est vu prêter des oeuvres du musée de l'Hermitage de Saint-Pétersbourg. Mes compatriotes n'avaient pas eu le loisir d'aller les voir sur place, au moment où le rideau de fer est tombé.

Toute oeuvre d'art, monsieur Ralite, est une rencontre entre un créateur et un public. Que le public soit le plus élargi possible est pour moi la dimension même de l'art français.

La principale critique dont souffre ce projet porte sur les contreparties financières, sur la marchandisation ; j'ai même entendu parler de « chosification » de la culture.

Certains esprits, légitimement inquiets, y voient une vente déguisée du patrimoine culturel français et vont même jusqu'à imaginer, dans leurs cauchemars, qu'une possibilité serait ainsi offerte aux pouvoirs publics, et à nous, parlementaires, de diminuer les aides aux musées nationaux.

Madame la ministre, je suis sûr que vous les rassurerez et que vous mettrez un terme à ce mauvais procès.

L'Émirat d'Abou Dabi a fait appel à l'expertise technique des conservateurs de musées français afin de développer son projet. C'est un réel sujet de fierté pour notre pays ! Que cette collaboration soit rémunérée ne me choque en aucune façon. Je le dis à Catherine Tasca, avec tout le respect que je lui dois : il s'agit là d'une reconnaissance du génie français ; je préfère le terme « génie » à ceux de « savoir-faire », qui sont la traduction de know how.

Ce génie français des musées est reconnu. Prétendre qu'un expert français qui s'exporterait à l'étranger affaiblirait la France parce qu'il n'y serait plus présent témoigne d'une vision par trop hexagonale de la culture française. Car un expert français qui part travailler à Abou Dabi, à Singapour, en Chine ou au musée Getty enrichit sa culture personnelle et contribue à diffuser la culture française dans le monde.

L'aspect diplomatique de la culture ne peut pas être ignoré. Cette dimension est de tous les temps.

Au sein de notre Haute Assemblée, nous reconnaissons l'importance de la culture, au travers, notamment, de la commission des affaires culturelles et de la commission des affaires étrangères. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt Mme le rapporteur et M. le rapporteur pour avis. Songeons, monsieur Ralite, à l'exemple que donnent les États-Unis, première puissance mondiale : ils ont fait non pas du dollar, mais de la culture, le bras armé de l'ensemble de leur politique dans le monde.

La culture est un outil diplomatique puissant. Je suis persuadé qu'une véritable politique de diplomatie culturelle voit le jour grâce à une ratification comme celle qui nous est proposée.

Les Émirats Arabes Unis sont un État intéressant, sur le sol duquel est mort l'un de nos collègues, un modèle économique exceptionnel fondé sur le pétrole. À l'heure où les pays du Golfe demandent à s'enrichir de la culture française et européenne, c'est une région où la marque Louvre sera bien implantée.

Certains esprits chagrins ont dit que nous allions instrumentaliser la culture. Négliger la dimension culturelle de nos relations diplomatiques serait contreproductif pour notre pays.

Que les Émirats Arabes Unis fassent appel à l'expertise des conservateurs français prouve que la compétence de ces derniers en matière muséale, en matière de conservation, en matière d'élargissement des collections, est mondialement reconnue. C'est un atout supplémentaire ! Nous ne pouvons prendre le risque, bien réel, que ce soit le Prado, le musée de l'Hermitage, le musée Frick, le musée Getty ou la Pinacothèque qui profitent de cette grande aventure culturelle.

La diffusion de la culture française à l'étranger constitue donc un enjeu diplomatique fondamental ; c'est pour nous une nouvelle dimension donnée à notre culture, qui est la culture non pas de la France seule, mais de toute une partie du monde. C'est aussi, et avant tout, un véritable pont entre les civilisations ; je souhaite que nous traversions ensemble ce pont qui va loin, jusqu'à Abou Dabi. Le groupe de l'UMP l'empruntera sans état d'âme. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Yves Dauge.

M. Yves Dauge. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je ferai, moi aussi, une observation sur la méthode générale.

Le 6 mars 2007, la France et les Émirats Arabes Unis ont signé un accord de coopération pour la création d'un musée universel à Abou Dabi. J'ai lu que, trente mois après la signature, une somme non négligeable de 150 millions d'euros devait être versée.

Aujourd'hui, tous ceux qui interviennent dans cet hémicycle, notamment ceux qui, comme moi, ont des questions à poser ou des réserves à émettre, ont le sentiment qu'il est dommage qu'un débat n'ait pas eu lieu avant la rédaction de ce texte, car ce dernier aurait certainement été rédigé autrement. Je note cependant, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, que ce n'est pas vous qui étiez en fonction au moment où cette opération a été lancée.

Je remercie d'ailleurs Jacques Valade d'avoir bien voulu provoquer le débat que nous avons eu en commission. Celui d'aujourd'hui montre bien que, malgré nos divergences de vues et d'analyses, nous avons tous le désir commun que la France puisse, au travers d'un grand projet, manifester son génie et son savoir-faire.

Cependant, je ressens un sentiment de frustration. À l'heure où nombreux sont ceux qui souhaitent une revalorisation du rôle du Parlement, je ne peux m'empêcher de songer qu'une belle occasion nous était offerte.

Certes, le contexte ne facilite pas les choses. En effet, des inquiétudes se font jour, des suspicions s'expriment par rapport à toute une série d'événements mondiaux. Certaines pratiques se développent dans le monde de l'art, notamment la « franchisation » de grandes institutions. Dans ce monde compliqué, porteur de doutes et d'interrogations, nous devons répondre présents, car nous ne pouvons pas nous permettre de fermer les yeux. Il serait donc souhaitable d'avoir une doctrine claire sur le sujet.

C'est d'ailleurs ce que nous avons dit en commission, cher Jacques Valade. À l'issue des débats, en votre présence, nous avons en effet formé le voeu que, lors de telles opérations, dans la mesure où la France sera amenée à développer d'autres grands projets culturels de par le monde, puisse être rédigé un cahier des charges précisant les règles de conduite et les modalités d'action. Le Parlement pourrait d'ailleurs être sollicité à cet effet.

Pour ma part, j'ai beaucoup regretté que cette affaire ait été conduite sans que, pendant sa « gestation », ni le Parlement ni même les professionnels concernés aient été consultés. Au fond, si nous avons pu nous saisir du dossier et en discuter, c'est à la suite des articles parus dans la presse et des nombreuses signatures recueillies par une pétition.

Nous aurions tous à gagner, dans des affaires aussi passionnantes et passionnées, à développer d'autres types de démarches. C'est une bonne leçon qui nous est ici donnée, et mieux vaut donc revenir sur la gestion de ce projet. Du reste, ce n'est pas parce qu'un accord est signé que tout est bouclé : au-delà de tout ce qui a été dit et même si le texte avait été rédigé d'une autre manière, cette histoire ne fait que commencer !

À cet égard, madame la ministre, il n'est tout de même pas déraisonnable d'espérer que vous voudrez bien tenir compte des nombreuses remarques et préoccupations que nous avons formulées et que vous suivrez de près la manière dont ce dossier évolue.

En l'espèce, sans éluder la question de la valeur même du projet et du génie de la France, je préfère m'en tenir au professionnalisme de la démarche. De ce point de vue, c'est vrai, la France sait conduire et gérer un grand projet, notamment dans le domaine de la culture. Elle en a fait la preuve depuis un certain nombre d'années, depuis le centre Georges-Pompidou jusqu'au dernier exemple en date, le musée du quai Branly ; je pourrais citer bien des réussites sur lesquelles la France a construit sa réputation.

Madame la ministre, madame la secrétaire d'État, si ces réalisations ont été d'une grande qualité, c'est justement parce qu'elles ont toutes été élaborées autour d'un projet scientifique et culturel. Or, en l'espèce, à la date d'aujourd'hui, je cherche toujours le projet scientifique et culturel ! Personne ne me l'a montré, personne ne m'a annoncé qu'un accord politique était intervenu. En tout cas, si accord il y a eu, nous aurions apprécié que l'on vienne nous le présenter pour pouvoir en discuter.

C'est là le fond de l'affaire ! Cela m'amène à m'intéresser au texte même de l'accord et, plus précisément, aux articles qui traitent des principes, car c'est autour de ces principes que le projet culturel aurait été construit.

Dans le cas présent, je ne peux m'empêcher de vous faire part de ma stupéfaction.

Ainsi, à l'article 2 relatif aux principes mis en oeuvre, le seul élément fort qui ressort est « l'utilisation du nom du Louvre et, le cas échéant, de sa marque ». Vous parlez d'un principe ! Selon moi, une telle précision n'aurait pas dû apparaître du tout, car je suis très critique à l'égard de la vente de cette marque.

Du reste, je le dis en toute franchise, faire porter le premier point de l'article relatif aux principes de l'accord sur l'utilisation de la marque du Louvre, c'est presque de la provocation ! Si nous avions eu notre mot à dire, nul doute que nous aurions rédigé le texte autrement.

Certes, la critique, sur ce point, est facile, et je ne souhaite pas épiloguer. Je mentionnerai tout de même l'article 5 relatif aux principes convenus pour la conception du Musée. Il y est écrit que la maîtrise d'oeuvre sera « confiée à un architecte de renommée internationale » et qu'elle devra respecter « un très haut niveau de qualité ». Quelle révélation ! Et je pourrais continuer ainsi avec les autres articles.

Madame la ministre, madame la secrétaire d'État, honnêtement, tout cela n'est pas du niveau d'un projet qui, nous l'avons tous dit, se doit d'être ambitieux. Ce texte est désolant et ne fait pas honneur au savoir-faire français.

À mon sens, il fallait construire l'accord sur un article fondamental, l'écriture du projet culturel et scientifique. D'ailleurs, M. Loyrette lui-même, lorsque nous l'avons interrogé à ce sujet, lors de son audition, a confirmé que l'accord devait être fondé sur un tel projet.

Cela demande du temps, au moins plusieurs mois, car encore faut-il que les parties parviennent à se mettre d'accord sur l'écriture de ce projet culturel et scientifique. Si vous me dites, madame la ministre, que tout cela est réglé, très bien, n'en parlons plus ! Cependant, comme j'ai pu le constater dans d'autres dossiers, obtenir un accord entre les parties concernées n'est pas une petite affaire.

J'aurais donc prévu un deuxième article, afin de préciser, une fois l'accord obtenu, l'étape suivante à engager, à savoir la programmation permettant de traduire concrètement le projet culturel et scientifique. Croyez-moi, il s'agit d'un tout autre exercice, également très difficile, qui implique, là encore, de trouver un consensus. J'aurais donc imaginé un accord-cadre, prévoyant plusieurs phases et des rendez-vous en cours de route pour s'assurer que toutes les parties cheminent bien ensemble dans la bonne direction.

Enfin, j'aurais élaboré un troisième article relatif au cahier des charges destiné au choix des maîtres d'oeuvre, choix qui n'est pas non plus une mince affaire. Or, je tiens à le rappeler, alors même que la commission des affaires culturelles discutait du sujet sur notre initiative, j'ai découvert un jour, dans le journal Le Monde, la maquette réalisée par l'architecte « de renommée internationale », qui avait donc déjà bouclé le projet : d'après ce que j'ai pu voir, il s'agirait d'une coupole étoilée qui permettrait de voir le ciel au travers.

Madame la ministre, madame la secrétaire d'État, de qui se moque-t-on ? Je ne sais pas s'il y a un projet culturel et scientifique. Peut-être allez-vous nous le dire, mais permettez-moi d'en douter ! Si cela a pu être fait si vite, c'est bien, mais, dans ce cas, où est le travail de programmation ? Il est écrit dans le texte que la superficie du musée sera « d'environ 24 000 mètres carrés ». Pourquoi pas 25 000 ?

En l'occurrence, c'est véritablement une caricature de la démarche de grand professionnel sur laquelle nous avons justement fondé notre réputation. Il s'agit là d'une histoire qui n'a rien à voir avec nos compétences et avec ce que nous pouvons apporter à ceux qui nous sollicitent pour élaborer des projets culturels.

Par conséquent, il faut revoir toute cette affaire pour redonner du sérieux à la démarche. C'est encore possible, car, à mon sens, vous avez encore des marges de manoeuvre afin de recadrer ce texte, notamment par des documents complémentaires. Nous sommes un certain nombre de collègues à estimer qu'il faudra nous revoir pour discuter de l'évolution du projet.

Je passerai rapidement sur toutes les questions qui ont été évoquées concernant la gestion du musée. Madame la ministre, vous le savez très bien, le prêt gratuit était la règle ; ce n'est pas vous qui l'avez changée : rappelons-nous le malheureux précédent du prêt au musée d'Atlanta de trois oeuvres pour 5 millions d'euros, qui a fait grincer beaucoup de dents. On continue allègrement dans cette voie ! On nous dit qu'il s'agit de prêts de longue durée, mais ce n'est pas sans nous inquiéter.

J'ai donc encore des interrogations. Cependant, vous l'avez bien compris, il ne s'agit pas d'une condamnation sans appel du projet : je souhaite, avec d'autres collègues, que nous nous remettions à travailler sur ce projet, avec l'ambition que notre pays agisse en grand professionnel et qu'il montre tout son savoir-faire pour conduire des affaires autrement que par une diplomatie qui, en l'occurrence, a choqué un certain nombre de gens compétents. Ces derniers sont prêts à s'engager, mais sur des bases plus claires.

Telles sont les raisons pour lesquelles je ne voterai pas contre ce projet de loi, mais mes réserves me conduiront à m'abstenir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, difficile exercice, mais aussi témoignage, émotion et symbole, comment voir autrement la programmation de ce texte sept mois jour pour jour après la mort de mon mari à Abou Dabi, le 25 février dernier ? Il a été victime d'une attaque quelques heures après avoir visité le site du futur musée du Louvre.

Nous connaissions très bien cette région du Golfe pour nous y être rendus au moins une fois par mois au cours de ces dernières années. Le moins que l'on puisse dire est que ce projet de loi est d'une grande importance.

Madame la ministre, je dois d'abord vous dire que, sans hésitation, je soutiens votre projet de loi. J'associe à ce soutien mon collègue Joël Bourdin, ici présent, qui est le président délégué du groupe sénatorial d'amitié France-Pays du Golfe, qui intègre donc les Émirats Arabes Unis.

En effet, voilà des années que, dans l'indifférence générale, nous militons pour un renforcement des relations culturelles et universitaires avec cette région du monde, tant il est vrai et patent qu'aucune relation commerciale pérenne ne peut exister sans relations culturelles.

Après la Sorbonne, voilà donc le Louvre dans la péninsule arabique.

Abou Dabi sera une réalisation emblématique, comme l'ont été certaines opérations menées par le Louvre, qui, je tiens à le préciser en réponse à certains orateurs, est déjà intervenu dans la région. Il faut tout de même savoir que, plusieurs fois, il a engagé des opérations itinérantes, notamment au sultanat d'Oman. Je voudrais aussi rappeler l'inauguration en grande pompe, l'année dernière, par Son Altesse l'émir du Qatar, de l'exposition d'art islamique au Louvre, qui a également été la marque de l'intérêt que portent la France et le Louvre à cette région du monde.

Ce musée, comme c'est son rôle, sera un pont entre les cultures. J'ai beaucoup entendu parler de « pont » pendant ce débat. Or, un pont, mes chers collègues, c'est un passage dans les deux sens.

Nous apprendrons donc, je l'espère, à connaître, ici en France, les trésors des musées de l'émirat de Charjah. À cette tribune, je tiens d'ailleurs à rendre un hommage particulier à Son Altesse le cheikh sultan bin Mohammed al Qasimi, dont la famille, depuis des générations, a fait de cet émirat la perle culturelle des Émirats Arabes Unis. Il contribue chaque année aux travaux de l'UNESCO en dotant généreusement le prix de la culture arabe, qu'il a lui-même créé : directement inspiré par l'acte constitutif de l'UNESCO, il récompense les efforts d'un ressortissant d'un pays arabe et d'un ressortissant d'un pays qui ne l'est pas, chacun ayant contribué, par leurs oeuvres artistiques et intellectuelles, au développement et à la promotion de la culture arabe.

Autrement dit, avec le Louvre à Abou Dabi, nous n'apportons pas la culture à une « tribu d'Indiens » qui ne connaîtrait rien à l'art !

Promouvoir la compréhension mutuelle entre les peuples par le biais d'activités qui encouragent non seulement une meilleure connaissance des différentes cultures, mais aussi un dialogue entre elles, telle sera aussi la mission du Louvre d'Abou Dabi.

Je voudrais également saluer les efforts de Zaki Nusseibeh, conseiller du cheikh bin Zayed al Nahyan et, aujourd'hui, conseiller du président cheikh Khalifa bin Zayyed al Nahyan. Son action, reflet de la volonté de Son Altesse, a été, dans ce dossier du Louvre, comme dans celui de la Sorbonne, déterminante.

Je tiens enfin à rendre un hommage appuyé à notre ambassadeur, Patrice Paoli, qui a beaucoup travaillé sur ce dossier difficile, ainsi qu'à son homologue émirien en France.

Vous l'aurez compris, c'est donc avec ferveur que je voterai ce texte, qui fait entrer nos musées dans l'ère de la modernité, dans une zone géographique entièrement anglophone.

Que n'aurait-on dit, au sein de la Haute Assemblée, si l'Émirat d'Abou Dabi avait lancé son projet de district culturel sur l'île de Saadiyat sans y faire figurer de musées français, et notamment le plus prestigieux de tous ?