compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures cinq.)

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PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

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organisme extraparlementaire

M. le président. J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation des quatre sénateurs appelés à siéger au sein de la commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l'enfance et à l'adolescence.

Conformément à l'article 9 du règlement, j'invite la commission des affaires culturelles à présenter les candidatures.

La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l'article 9 du règlement.

3

Dépôt d'un rapport du Gouvernement

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article 116 de la loi de finances rectificative pour 2006, le rapport relatif aux taxes locales sur la publicité.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des finances et est disponible au bureau de la distribution.

4

Candidature à une commission

M. le président. J'informe le Sénat que le groupe pour un mouvement populaire a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la commission des affaires économiques, à la place laissée vacante par Mme Adeline Gousseau.

Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu, conformément à l'article 8 du règlement.

5

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, pour un rappel au règlement.

M. Claude Domeizel. Mon rappel au règlement porte sur les conditions de travail qui nous sont imposées.

Le débat qui est inscrit à l'ordre du jour de la présente séance a été avancé de huit jours. M. Xavier Bertrand, ministre du travail, a convoqué les présidents de groupe des deux assemblées hier, lundi 1er octobre, à seize heures.

M. le président. Il ne les a pas convoqués, il les a invités.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Je vous remercie, monsieur le président, la différence n'est pas seulement d'ordre sémantique.

M. Claude Domeizel. J'ai dû remplacer M. Jean-Pierre Bel, président de notre groupe, qui ne pouvait assister à cette réunion, au cours de laquelle nous avons été informés des principales orientations que le Gouvernement souhaitait donner à cette réforme.

Monsieur le président, reconnaissez que nous n'avons pas eu le temps de digérer ces informations et de réunir nos groupes respectifs.

Telles sont les raisons pour lesquelles je vous demande une suspension de séance d'au moins une demi-heure, à défaut de l'heure qui nous aurait été utile, afin de permettre aux membres de notre groupe de s'informer.

Par ailleurs, monsieur le président, nous nous interrogeons sur l'organisation de ce débat. L'article 39 du règlement du Sénat prévoit que seuls « les présidents de la commission spéciale ou des commissions permanentes concernées » peuvent intervenir dans ce type de débat. Or, je constate que deux rapporteurs sont inscrits dans la discussion.

Le temps de parole de trente minutes qui a été accordé à la commission des affaires sociales sera-t-il partagé entre son président et les deux rapporteurs ?

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Par ce rappel au règlement, je tiens à manifester la colère du groupe communiste républicain et citoyen.

C'est la première fois depuis que je siège dans cette enceinte, c'est-à-dire depuis douze ans, qu'une séance commence aussi tôt. En l'occurrence, cela ne me gêne pas. Mais, si nous cédons continuellement à la pression du Gouvernement, compte tenu du nombre de promesses que M. Sarkozy a faites, peut-être faudra-t-il prévoir l'ouverture des séances publiques à huit heures !

M. Charles Revet. Il veut faire avancer les choses !

M. Guy Fischer. Quoi qu'il en soit, nous souhaitons nous réunir avant de discuter d'un sujet aussi important.

M. le Président de la République et M. le Premier ministre, par médias interposés, ont donné le contenu de cette réforme en livrant leurs attaques contre les régimes spéciaux de retraite et en les stigmatisant comme s'ils étaient à la source de toutes les difficultés de notre système de protection sociale.

Par ailleurs, le règlement du Sénat prévoit que, lors d'un débat consécutif à une déclaration du Gouvernement, seul le président de la commission compétente peut intervenir. Or, M. Dominique Leclerc, rapporteur chargé de la réforme des retraites, ainsi que M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les équilibres généraux du projet de loi de financement de la sécurité sociale sont inscrits dans la discussion. Je regrette que nous n'ayons pas eu la possibilité de les entendre avant.

Ce débat va donc s'engager dans les plus mauvaises conditions. Nous avons dû travailler toute la nuit.

M. Louis Souvet. Vous êtes des stakhanovistes !

M. Guy Fischer. Nous estimons que les membres de nos groupes ont le droit d'être informés. Je ne peux que partager le point de vue de M. Domeizel.

Monsieur le président, cette façon de travailler perturbe la sérénité avec laquelle se déroulent habituellement nos débats. Je tiens donc à exprimer de nouveau le mécontentement de mon groupe, comme je l'avais fait lors de la conférence des présidents.

M. le président. La conférence des présidents a décidé de donner un temps de parole de trente minutes à tous les groupes sans distinction.

En outre, elle a décidé d'inscrire ce débat à l'ordre du jour de la séance de ce mardi matin pour ne pas empiéter sur la discussion importante qui s'ouvrira cet après-midi et aussi, comme je le souhaitais, pour permettre au Sénat de saisir l'opportunité qui lui était offerte de débattre des régimes spéciaux de retraite en premier avant l'Assemblée nationale.

M. Charles Revet. Cela montre l'importance du Sénat !

M. le président. Nous en sommes convaincus, mon cher collègue.

Dans un souci de conciliation, je suspendrai la séance jusqu'à neuf heures quarante, si M. le président de la commission, auquel je vais donner la parole, en est d'accord.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, je ne suis pas opposé à la suspension de séance que souhaite M. Domeizel.

Monsieur Fischer, le président de la commission dispose d'un temps de parole de trente minutes. Toutefois, j'ai estimé de mon devoir, comme je l'ai toujours fait, d'associer les rapporteurs concernés au débat. Il s'agit en l'occurrence du rapporteur de la commission des affaires sociales pour les dispositions relatives à l'assurance vieillesse du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du président de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, qui est également rapporteur de la commission des affaires sociales pour les équilibres généraux du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Nous nous engageons à ne pas dépasser le temps de parole qui nous est imparti. Il me paraît important que les responsables de ce dossier au sein de la commission soient entendus au même titre que les groupes parlementaires.

Par ailleurs, je tiens à souligner que, peut-être pour la première fois, le groupe communiste républicain et citoyen dispose du même temps de parole que les autres groupes pour exprimer son point de vue. Mais je comprends la douleur de M. Fischer d'avoir dû travailler toute la nuit sur un sujet que nous attendons depuis vingt-cinq ans et sur lequel nous nous sommes déjà prononcés à maintes reprises.

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à neuf heures quinze, est reprise à neuf heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

5

régimes spéciaux de retraite

Débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur les régimes spéciaux de retraite.

La parole est à M. le ministre.

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, la question des retraites nous concerne tous.

Les Français, nous le savons, sont très attachés à leur système de retraite. C'est d'ailleurs pour en assurer la pérennité que régulièrement, comme l'ensemble des pays qui nous entourent, nous devons le moderniser. Voilà pourquoi différentes étapes ont marqué la réforme des retraites : 1993, 2003. Voilà aussi pourquoi un nouveau rendez-vous sur ce sujet, annoncé dès 2003, a été fixé en 2008.

Mais, s'il y a différentes étapes, c'est aussi qu'il existe en France non pas une retraite, mais des retraites. Les régimes spéciaux reflètent la construction de la couverture du risque vieillesse en France au cours des siècles : le plus ancien est le régime des marins, créé par Colbert en 1670 ; celui de l'Opéra de Paris date de 1698 ; le régime de retraite de la SNCF est issu des différents régimes particuliers qui furent mis en place au xixe siècle dans les compagnies de chemin de fer privées et unifiés au début du siècle dernier : c'est en 1909 qu'ont été définies les caractéristiques fondamentales du régime des cheminots, telles que l'âge d'ouverture des droits à la retraite à 50 ou 55 ans.

Le meilleur moyen de relever les défis de demain, ce n'est certainement pas l'immobilisme ni le statu quo : c'est de regarder l'avenir avec lucidité et de faire le choix de la responsabilité, c'est de faire évoluer les régimes spéciaux sans remettre en cause leur identité ni le statut des agents concernés.

Sur un tel sujet, le Gouvernement a donc choisi d'avancer sans idéologie aucune.

M. Guy Fischer. Il n'y a qu'à lire les journaux !

M. Xavier Bertrand, ministre. Il ne s'agit certainement pas de stigmatiser qui que ce soit, ni d'assurer la victoire d'un tel sur un tel : cela n'intéresse pas les Français et, pour être clair, cela ne m'intéresse pas non plus. La seule chose qui intéresse le Gouvernement et le Président de la République, c'est d'assurer la justice et la pérennité de notre système de retraite dans son ensemble.

Car les régimes spéciaux doivent faire face aux mêmes enjeux démographiques et financiers qui ont conduit à ajuster les paramètres des retraites des salariés du secteur privé, des indépendants, des agriculteurs ou, plus récemment, des fonctionnaires.

Or ces ajustements, opérés par la loi du 22 juillet 1993 relative aux pensions de retraite et à la sauvegarde de la protection sociale, puis par celle du 21 août 2003 portant réforme des retraites, n'ont concerné aucun des régimes spéciaux. Cette situation accentue la singularité de ces derniers et suscite bien des interrogations.

Avant le rendez-vous de 2008 sur les retraites, il nous faut donc veiller à ce que l'ensemble des Français soient sur un pied d'égalité, et cela commence par la durée de cotisation. Le financement de notre régime de retraite par répartition doit faire face à un déséquilibre qui est le résultat du vieillissement et de l'allongement de l'espérance de vie. Cette évolution est d'abord une formidable bonne nouvelle pour l'ensemble des Français ; mais c'est aussi un formidable défi collectif à relever si nous voulons sauvegarder notre système par répartition.

M. Guy Fischer. Voilà qui annonce bien des choses !

M. Xavier Bertrand, ministre. Ce système, nous sommes déterminés à en assurer la pérennité. Pour cela, nous le savons tous, il n'existe que trois solutions : soit réduire les pensions de retraite, ce dont les Français ne veulent pas ; soit augmenter les cotisations, ce qui pénalise le pouvoir d'achat ; soit, enfin, allonger la durée de cotisation.

C'est cette dernière solution que nous avons retenue, comme d'ailleurs l'ensemble des pays européens, car c'est la réponse la plus cohérente à l'allongement de l'espérance de vie : si nous vivons tous plus longtemps, nous devons aussi travailler plus longtemps pour voir nos pensions garanties.

Pour les régimes spéciaux, le déséquilibre financier est encore accentué par les évolutions démographiques propres à ces régimes, qui rassemblent aujourd'hui plus de 1 100 000 retraités pour environ 500 000 cotisants : ainsi, cette année, plus de 5 milliards d'euros de subventions d'équilibre seront inscrites au budget de l'État.

Soyons précis : le principe de ces subventions est tout à fait justifié, comme est légitime la compensation démographique entre les différents régimes de retraite. C'est là tout simplement l'expression de la solidarité nationale, et il n'est pas question de la remettre en cause.

Mais attention : je ne veux faire croire à personne que, en trouvant une solution aux régimes spéciaux, nous trouverons aussitôt une solution globale à nos régimes de retraite dans leur ensemble.

M. Xavier Bertrand, ministre. Les enjeux ne sont pas les mêmes. N'est-il donc pas tout aussi légitime que les salariés des régimes spéciaux travaillent davantage pour bénéficier d'une retraite à taux plein ? Je suis convaincu que la solidarité sera d'autant plus acceptée par chacun de nos concitoyens que les principales règles seront les mêmes pour tous.

M. Alain Vasselle, rapporteur. Très bien !

M. Xavier Bertrand, ministre. Cette harmonisation de la durée de cotisation est un point essentiel, et ce n'est aujourd'hui une révélation pour personne, puisque c'est un engagement fort que le Président de la République a pris devant les Français durant la campagne.

D'ailleurs, la nécessité de faire évoluer les règles des régimes spéciaux fait aujourd'hui, me semble t-il, l'objet d'un large consensus dépassant les clivages traditionnels, tant dans l'opinion que dans les différentes analyses faites à ce sujet.

Ainsi, les régimes spéciaux ont fait l'objet de plusieurs rapports récents dont les conclusions sont concordantes. Au sein de votre Haute Assemblée déjà, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2007, deux documents présentés par M. Dominique Leclerc, au nom de la commission des affaires sociales, traitent avec précision de la question des principaux régimes spéciaux hors fonction publique.

M. Alain Vasselle, rapporteur. Excellents rapports !

M. Xavier Bertrand, ministre. De même, dans son rapport sur la sécurité sociale de septembre 2006, la Cour des comptes se livre à une analyse approfondie des régimes de retraite de trois entreprises publiques : les Industries électriques et gazières, IEG, la RATP et la SNCF.

Mais je voudrais aussi citer les travaux du Conseil d'orientation des retraites, le COR, qui avait déjà noté dans son rapport de mars 2006, que « dans une perspective d'équité entre les cotisants, il est difficile de ne pas imaginer que la nouvelle étape de la hausse de la durée d'assurance prévue en 2008 ne s'accompagne pas de questions sur l'évolution des régimes spéciaux des entreprises publiques dont la réglementation n'a jusqu'ici pas évolué ». Dans son rapport de janvier 2007, le Conseil souligne également que, si l'approche concernant les régimes spéciaux ne peut être que différenciée compte tenu de leur diversité, des orientations générales répondant au principe d'équité peuvent être envisagées, au premier rang desquelles figurent l'allongement des durées d'assurance en fonction des gains d'espérance de vie, mais aussi les logiques d'indexation des pensions.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous connaissez toutes et tous la qualité des travaux du Conseil d'orientation des retraites, ainsi que la richesse et la diversité de la composition de ses membres, et, quand je m'adresse à vous, je sais que certains d'entre vous y siègent.

Par ailleurs, les chiffres publiés par le COR montrent que l'espérance de vie dans les régimes spéciaux se situe au même niveau que celle de l'ensemble des Français, à l'exception des marins et des mineurs, dont les régimes de retraite ne seront d'ailleurs pas réformés, compte tenu d'une pénibilité qui ne fait pas débat et compte tenu aussi d'une espérance de vie plus faible que celle des autres salariés. Je rappelle que les règles actuelles des régimes spéciaux remontent à 1946 pour les gaziers et les électriciens, à 1948 pour la RATP, et à 1966 pour la SNCF, c'est-à-dire à une période où l'espérance de vie des salariés de ces régimes était très inférieure à ce qu'elle est aujourd'hui.

Nous l'avons dit très clairement, notre objectif est d'harmoniser les règles des régimes spéciaux avec celles de la fonction publique. Je vais vous en donner les raisons.

Je voudrais d'abord souligner que, depuis la réforme de 2003, les principaux paramètres, à commencer par la durée de cotisation et le mode d'indexation des pensions que je viens d'évoquer, sont communs au régime général et à la fonction publique et sont amenés à évoluer de manière identique à l'avenir.

Mais, fondamentalement, le choix de faire converger les régimes spéciaux vers les règles de la fonction publique s'explique par les exigences de service public auxquelles se trouvent soumis l'ensemble des agents des entreprises concernées. Il n'est pas non plus question de nier les contraintes particulières inhérentes à la mission de service public, ni même la pénibilité de certains métiers.

Comme l'a indiqué M. le Président de la République, tous les sujets sont sur la table. Il s'agit en premier lieu - je voudrais y revenir devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs - de la durée de cotisation que nous souhaitons harmoniser avec celle de la fonction publique, soit actuellement quarante années. Nous voulons aussi mettre en place un système de décote et de surcote pour inciter à la prolongation d'activité, et indexer les pensions sur les prix, parce que sauvegarder notre régime de retraite, c'est aussi garantir le pouvoir d'achat des retraités et des futurs retraités.

Nous devons également revoir les pratiques de certaines entreprises qui mettent automatiquement à la retraite leurs salariés dès qu'ils remplissent les conditions pour bénéficier d'une pension. II faut mettre fin à ces pratiques-couperets, d'autant que, vous le savez, nous préparons de nouvelles initiatives pour favoriser l'emploi des seniors. C'est une attente très forte qu'ont exprimée les syndicats de salariés sur ce point. Cela serait d'ailleurs cohérent avec les mesures que le Gouvernement vous proposera dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Il s'agit aussi de donner un vrai choix aux agents qui souhaitent poursuivre leur activité. Je citerai l'exemple chez moi, dans le Saint-Quentinois, d'un agent de conduite de la SNCF qui a quarante-huit ans, dont les deux enfants vont entrer à l'université, et qui sera bientôt obligé d'arrêter de travailler alors qu'il préférerait continuer pour pouvoir payer leurs études.

La concertation, qui est toujours en cours aujourd'hui, porte aussi sur les clauses qui empêchent les salariés de ces entreprises de bénéficier du régime spécial s'ils n'ont pas une ancienneté minimale dans l'entreprise, généralement fixée à quinze ans. Dans un contexte de concurrence et de mobilité des salariés, ces « durées de stage » peuvent parfois poser de vraies difficultés aux agents concernés.

Nous discutons également des bonifications, qui sont souvent très différentes d'un régime à l'autre, voire d'une entreprise à l'autre, et même d'un salarié à l'autre. En outre, la pénibilité des métiers a évolué. Et ce n'est pas forcément à travers le système de retraite qu'il faut en tenir compte. On doit jouer sur d'autres paramètres que la durée de cotisation plus courte ou les bonifications : je pense à la prévention, aux conditions de travail, à la question de la rémunération, à l'organisation du travail ou encore à la gestion des parcours professionnels, notamment dans les deuxième et troisième parties de carrière.

D'autres points sont sur la table. Ainsi, lors de la réforme de 2003, un dispositif de retraite additionnelle a été mis en place pour les agents de la fonction publique. Ne convient-il pas de définir un mécanisme similaire dans les régimes spéciaux ou d'introduire un dispositif d'épargne-retraite pour tenir compte d'une partie des primes qui n'entrent pas aujourd'hui dans le calcul de la pension ?

Les autres volets de la réforme de la fonction publique de 2003 ont naturellement vocation à être discutés sans tabou, qu'il s'agisse du rachat des années d'études ou des avantages familiaux au regard du principe d'égalité entre les hommes et les femmes.

Enfin, parmi les sujets ouverts à la négociation, un des plus importants concerne le rythme de la convergence avec le régime de la fonction publique. J'ai entendu à ce sujet les interrogations des salariés des régimes spéciaux, qu'ils soient gaziers, agents de la RATP, cheminots ou clercs de notaire. Je leur ai dit à tous, et je veux le répéter ici avec force, que cette réforme ne se fera pas brutalement.

Ce ne sera pas une réforme-couperet et il est bien clair que nous n'harmoniserons pas les durées de cotisation du jour au lendemain pas plus que nous n'introduirons brutalement un mécanisme de décote qui bouleverserait les projets de vie des agents de ces entreprises. Nous ne l'avons pas fait pour les autres régimes lors des précédentes réformes de 1993 et 2003, nous ne le ferons pas davantage pour les régimes spéciaux.

Nous allons donc agir progressivement, ...

M. Guy Fischer. En douceur !

M. Xavier Bertrand, ministre. ... car cette progressivité, c'est aussi une question de respect et de considération pour les agents : nous ne pouvons pas dire à un gazier ou à un roulant qui est à deux mois de la retraite, qu'il devrait, du jour au lendemain, travailler deux ans et demi de plus. Ce respect, nous le devons aux agents et, à travers eux, au service public qu'ils assurent et qu'ils représentent.

Pour conduire cette réforme, nous avons fait le choix d'une méthode, celle du pragmatisme et de la plus large concertation possible. Cette concertation concerne au premier chef les partenaires sociaux : je le dis à l'ensemble des agents des régimes spéciaux, cette réforme est nécessaire et la meilleure façon de la réussir, c'est de la mener avec eux. Pour ma part, je ne sais pas réformer sans concertation, voilà pourquoi, à la demande de M. le Président de la République, j'ai conduit depuis quinze jours une première concertation afin de faire un état des lieux du dossier.

J'ai reçu l'ensemble des organisations syndicales représentées dans les branches et les entreprises concernées et celles qui en ont fait la demande, ainsi que les employeurs et les directions des entreprises concernées, soit au total plus d'une quinzaine de rendez-vous.

Toutes les organisations ont participé à cette concertation, ce qui est déjà important en soi, et toutes ont pu constater que la réforme n'était pas bouclée, que nous jouions cartes sur table et qu'il existait de vrais espaces de concertation. Sur tous les points, j'ai demandé à l'ensemble des acteurs, fédérations comme entreprises, de me faire part de leurs propositions. Des réunions techniques approfondies sont organisées aujourd'hui encore par mes collaborateurs avec tous ceux qui souhaitent construire et discuter avec nous des modalités pratiques de la réforme. D'autres organisations nous ont fait savoir qu'elles formuleraient des propositions par écrit.

Mais ce sens de l'ouverture, je veux aussi l'exprimer vis-à-vis du Parlement. Si j'ai souhaité m'exprimer devant vous après avoir reçu hier au ministère les représentants de l'ensemble des groupes et des commissions concernées, c'est pour rendre compte de notre action devant la représentation nationale et montrer que, sur un sujet aussi important, le Gouvernement entend avancer dans la transparence et le dialogue.

J'ai bien entendu tout à l'heure les remarques qui portaient sur la forme. Puissent-elles ne pas nous éloigner du fond et ne pas nous empêcher d'entendre les positions et les propositions de chaque groupe sur cette question essentielle.

C'est tout le sens du débat que nous allons avoir aujourd'hui, et si ce débat ne donne pas lieu à un vote, c'est tout simplement parce que les règles et les paramètres des régimes spéciaux ne relèvent pas du domaine de la loi. Il s'agit, en effet, de dispositions statutaires qui relèvent du domaine réglementaire.

Nul besoin de se lancer dans des polémiques en disant que prendre un décret, ce serait passer en force et refuser le dialogue. Je voudrais simplement rappeler que l'on a déjà vu voter des lois qui faisaient fi du dialogue - j'ai en mémoire un exemple sous un gouvernement de gauche et un autre sous un gouvernement de droite, la loi n'est pas la garantie de la concertation et du dialogue - et a contrario on peut tout à fait avancer par la concertation, même si au final on emprunte la voie réglementaire, après avoir écouté les uns et les autres pour modifier son projet et trouver la bonne solution. Je prendrai à cet égard l'exemple de l'interdiction de fumer dans les lieux publics. Oui, c'était un décret. Oui, il y a eu une très large concertation. Oui, nous avons pu aussi associer les parlementaires, et la voie qui a été retenue est, à mon sens, réellement la bonne.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux annoncer clairement devant vous le calendrier à venir.

À la suite du débat que nous allons avoir aujourd'hui d'abord devant le Sénat, et de celui que j'aurai demain à l'Assemblée nationale, j'engagerai dans le courant du mois d'octobre avec les mêmes acteurs un second tour de discussions. À cette occasion, je leur présenterai un document d'orientation précisant, parmi tous les sujets mis sur la table, ce qui relève de la responsabilité gouvernementale, à savoir les principes généraux d'harmonisation, et ce qui relève de la négociation dans les entreprises.

Car l'objectif des concertations que je mène avec les partenaires sociaux et les entreprises concernées est de dégager les principes communs de l'harmonisation des régimes spéciaux avec le régime de la fonction publique. Ensuite, ces principes seront mis en oeuvre entreprise par entreprise, pour tenir compte des spécificités et de l'identité de chaque régime, et des négociations s'ouvriront alors sans délai sur un certain nombre de sujets au sein des branches ou des entreprises concernées.

La réforme devra être prête pour la fin de l'année, ce qui nous laisse trois mois entiers. Nous avons donc le devoir d'expliquer, le plus rapidement et le plus précisément possible, à chaque agent relevant des régimes spéciaux, à la fois les objectifs et le contenu de cette réforme, afin qu'il puisse en mesurer les enjeux et les conséquences pour lui-même.

Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà ce que je voulais vous dire dans un premier temps en ouvrant ce débat.

La réforme des régimes spéciaux est nécessaire, telle est la raison pour laquelle nous devons la réussir. Nous avons même la possibilité de nous retrouver sur l'essentiel, sur l'idée de justice et sur la nécessité de garantir l'avenir des retraites des salariés concernés par ces régimes spéciaux.

J'ai le sentiment que ce débat n'est ni de droite ni de gauche et que, dans un débat comme celui-ci, il est essentiel de bien comprendre les positions et les propositions de chacun. (M. Jean-Luc Mélenchon s'exclame.)

J'ai également le sentiment que chacun peut apporter un regard serein sur ce dossier, que le dialogue dans cet hémicycle peut être de même nature que le dialogue social, franc, bien sûr, mais forcément constructif.

J'ai enfin le sentiment que, sur ce dossier, avec détermination et méthode, nous pouvons faire la preuve que la société française de 2007 est tout sauf une société bloquée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, conformément aux engagements qu'il avait pris devant les Français avant les échéances électorales du printemps 2007, le Président de la République a lancé le 18 septembre dernier la réforme des régimes de retraite dits « spéciaux ».

Cette décision fera date dans notre histoire sociale, car tous les gouvernements qui se sont succédé depuis vingt-cinq ans ont, volontairement ou non d'ailleurs, calé devant l'obstacle.

L'enjeu est donc crucial : il s'agit de mettre fin à une situation qui, sournoisement, empoisonne la vie politique et sociale de notre pays depuis des décennies.

Le Gouvernement entend y procéder par voie réglementaire, ce qui est juridiquement fondé sachant qu'une place essentielle sera, bien entendu, réservée au dialogue entre les pouvoirs publics et les organisations syndicales.

Dans ce cadre, néanmoins, nous n'aurions pas compris que le Parlement restât à l'écart de ce débat et nous sommes particulièrement sensibles au fait qu'il s'ouvre ce matin et, en premier lieu, devant le Sénat. J'y vois, monsieur le ministre, le signe de la reconnaissance du travail de réflexion mené de longue date sur le sujet par la commission des affaires sociales et vous savez pouvoir compter sur son soutien, que j'ose dire « éclairé ».

Ce débat me donnera l'occasion de vous faire part des différentes constatations auxquelles elle est parvenue. Dominique Leclerc, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les dispositions relatives à l'assurance vieillesse du projet de loi de financement de la sécurité sociale, vous présentera des propositions plus concrètes ; puis Alain Vasselle, en tant que président de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, insistera sur les grands enjeux de ce dossier pour les finances sociales.

Au préalable, saluons le courage d'aborder enfin cette question taboue des régimes spéciaux. Ils sont désormais devenus une source d'inégalités croissantes entre les assurés sociaux, ce que les Français, très majoritairement, n'acceptent plus.

Quelques chiffres donnent un aperçu du problème.

Les sept grands régimes spéciaux rassemblent 1,1 million de retraités pour seulement 471 000 actifs. La masse des prestations versées s'élève chaque année à plus de 13 milliards d'euros, soit l'équivalent de 0,8 % de la richesse nationale, et elle devrait continuer à s'accroître à l'avenir. La survie de ces régimes n'est possible que grâce à la solidarité nationale. En 2005, 59 % des prestations vieillesse étaient non pas financées par les cotisants, mais par des ressources publiques. On pense que ce taux atteindra 70 % à l'horizon de 2040-2050, si rien ne change. Il est donc grand temps d'agir, et ce pour plusieurs raisons.

Pour une raison démographique, d'abord, car, dans le régime général, le rapport entre cotisants et retraités se détériore du fait du départ en retraite des baby-boomers. Dans ces conditions, il n'est pas concevable de les mettre encore davantage à contribution pour les régimes spéciaux.

Pour une raison financière, ensuite, car les sommes à financer sont colossales. On estime à 300 milliards d'euros, au cours des six prochaines décennies, les engagements globaux de retraite des sept principaux régimes spéciaux.

Pour des raisons de justice et d'équité entre Français, enfin, car ces régimes sont restés à l'écart de toute réforme en 1993, en 1995 et en 2003. Est-il vraiment défendable que 2 % de la population active se trouvent exemptés de l'effort collectif de sauvetage des régimes de retraite, tout en continuant à bénéficier d'un traitement privilégié financé par les autres ?

M. Guy Fischer. C'est de la stigmatisation !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Si vous voulez, monsieur Fischer !

Le fait d'esquiver de nouveau ce problème nous exposerait à des conflits de génération et à la « guerre des deux France », dont parle l'universitaire Jacques Marseille.

M. Guy Fischer. Vous voyez !

M. Jean Desessard. Quelle référence !

Mme Michelle Demessine. Chacun ses références !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Les termes « réforme des régimes spéciaux » méritent toutefois d'être précisés, car, si l'orientation définie par le Président de la République ne souffre aucune ambiguïté, l'issue des négociations avec les partenaires sociaux peut en altérer sensiblement le contenu dans un sens auquel nous pourrions ne pas être favorables.

Contrairement à ce que certains affirment, tout n'est pas joué d'avance, car cette réforme reste largement à inventer. En théorie, trois solutions sont envisageables.

Tout d'abord, il est possible de procéder à une « quasi-non-réforme », ou plutôt à une « réformette », en ne touchant qu'aux paramètres les plus « visibles » et les plus inéquitables qui caractérisent les grands régimes spéciaux, comme la durée de cotisation. C'est peu ou prou la voie qui a été empruntée par la Banque de France au début de l'année 2007. Il en résulterait une modification marginale des règles applicables à ces régimes, et donc un rapprochement a minima avec les autres catégories sociales. Du même coup, les économies pour les finances publiques et les finances sociales seraient limitées et ne permettraient pas d'enrayer la dérive sensible des dépenses prévue d'ici à 2050.

On peut aussi penser à une réforme timide ou prudente. Ainsi, les régimes spéciaux seraient maintenus, mais leurs cotisants seraient « alignés » ou « harmonisés » sur les règles de la fonction publique. Ce scénario intermédiaire est plus ambitieux que le précédent, mais l'ampleur de la réforme dépendra in fine des négociations entre les directions des grandes entreprises nationales et les partenaires sociaux, du rapport de force qui s'instaurera entre eux d'ici à la fin de l'année et des réactions de l'opinion publique.

Je veux aussi mentionner la possibilité de ce que j'appellerai « une vraie réforme », même si elle n'est pas encore vraiment évoquée par les pouvoirs publics.

Dans ce cas de figure, la réforme consisterait d'abord à placer en extinction ces régimes pour les nouveaux entrants, lesquels seraient alors affiliés au régime général ainsi qu'à l'AGIRC, l'Association générale des institutions de retraites des cadres, et à l'ARRCO, l'Association des régimes de retraites complémentaires.