M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Nous avons le plaisir d'aborder cette année cette discussion budgétaire en présence de deux membres du Gouvernement : d'un côté, si j'ose m'exprimer ainsi, le ministre de la cohérence, et de l'autre, celui de la compétitivité. Tels sont, en effet, si je ne me trompe, madame le ministre, monsieur le ministre, les deux axes que vous avez suivis, et qui sont naturellement complémentaires, dans l'une et l'autre de vos interventions.

Mes chers collègues, c'est bien la première fois que, dans le cadre d'un même ministère, se trouvent abordés et préparés à la fois les comptes de l'État et ceux de la sécurité sociale. En effet, notre double discussion d'autonome, qui portera successivement sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale et sur le projet de loi de finances initial, se déroulera en présence d'un ministre des comptes publics, chargé du budget, bien sûr, mais aussi, et surtout, de cette vision d'ensemble cohérente qui commence à apparaître avec le présent débat sur les prélèvements obligatoires.

Vous le savez, la commission des finances du Sénat plaide, depuis de nombreuses années, pour une telle cohérence. Quand, naguère, au cours de l'élaboration de la loi organique sur les lois de finances, nous avons obtenu, grâce à Alain Lambert, qui était le rapporteur de ce texte, que le présent rendez-vous soit fixé, chaque année, à l'ouverture de nos débats budgétaires de l'automne, c'était bien parce que nous avions conscience de ce besoin impératif de cohérence et de mise en perspective.

Au demeurant, deux exercices sont aujourd'hui lancés, qui nous permettront d'explorer véritablement et tout à la fois les chemins de la cohérence et ceux de la compétitivité.

D'une part, la revue générale des politiques publiques est menée sous l'égide du Président de la République. Éric Woerth est l'un des acteurs majeurs - le « rapporteur général », allais-je dire ! (Sourires) - de cet exercice exceptionnellement important et utile, dont nous attendons beaucoup.

Il s'agit d'une mise en perspective des grands enjeux, des objectifs, des moyens et des structures, sans aucun tabou, en vue d'aboutir, domaine par domaine, programme par programme, mission par mission, à de nouveaux arbitrages, clairs, précédés de la communication qui est indispensable pour poser clairement chacun des enjeux devant l'opinion publique.

D'autre part, Mme le ministre de l'économie, des finances et de l'emploi se trouve chargée d'animer la revue générale des prélèvements obligatoires, car telle est la mission qui, parmi d'autres, lui a été impartie par le Président de la République.

Elle accomplira cette tâche, elle nous l'a précisé, en ayant en vue non seulement l'article XIV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui impose de faire constater par les citoyens la nécessité de la contribution publique, mais aussi le monde d'aujourd'hui, qui est ouvert, global, où nulle action et aucun progrès ne sont concevables si l'on s'entoure de barrières illusoires et si l'on refuse, tout simplement, de regarder la réalité quotidienne de l'attractivité et de la compétitivité du territoire, qui sont les conditions de tout !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Mes chers collègues, c'est dans cette même logique que s'inscrit la commission des finances du Sénat quand elle vous appelle à réfléchir à quelques thèmes centraux, qui sont relatifs à la fois aux dépenses et aux ressources, à la sécurité sociale, au budget de l'État et même, quelque peu, aux collectivités territoriales.

Tout d'abord, il s'agit de trouver des financements pérennes pour notre protection sociale. Comment compléter les ressources variées qui permettent à notre protection sociale de jouer pleinement son rôle, dans le cadre des différentes branches qui ont été instituées, tout en faisant preuve de sens des responsabilités et en mettant en oeuvre les mécanismes les plus vertueux possibles ?

Le deuxième thème central, qui prend beaucoup d'ampleur aujourd'hui, est celui de l'écofiscalité. Nous nous sommes livrés à quelques réflexions sur ce sujet.

Enfin, la dynamique de l'assiette fiscale constitue une troisième question essentielle. Comment faire en sorte que les ressources fiscales et les contributions sociales bénéficient d'un rendement croissant, ce qui est indispensable pour que nous puissions faire face à nos besoins, sans pour autant entrer en conflit avec les logiques d'attractivité et de compétitivité du territoire ?

Dans le cadre ainsi tracé, la recherche du bon mode de prélèvement pour la protection sociale constitue un enjeu crucial. Or, vous le savez, madame le ministre, monsieur le ministre, notre commission des finances a acquis depuis plusieurs années, sous l'impulsion, notamment, de son président, Jean Arthuis, une conviction très forte en ce qui concerne l'impôt de consommation : parmi toutes les assiettes concevables en matière de fiscalité et de taxation, deux seulement ne sont pas susceptibles de s'évader ou de se délocaliser.

La première, dont il est déjà fait largement usage dans notre fiscalité, c'est le foncier, l'immobilier, qui ne saurait s'en aller, s'agissant du moins de l'immobilier physique.

La seconde, c'est naturellement le flux de consommation sur notre territoire.

Nous avons examiné de très près l'ensemble des contributions récentes au débat relatif à la « TVA sociale », à la « TVA anti-délocalisation » ou à la « TVA de compétitivité », comme on voudra l'appeler. Or, à ce stade, nous faisons deux observations.

Tout d'abord, et nous nous inspirons ici, notamment, des travaux conduits sous la responsabilité d'Éric Besson, l'impact sur l'emploi, qui constitue la véritable justification d'une telle mutation, se révèle très important au voisinage des plus bas salaires.

Mme le ministre évoquait elle aussi ce constat : la concentration des baisses de charges sur les bas salaires et dans leur voisinage immédiat constitue sans doute la formule la plus opérante, celle qui, comme elle a la chance d'être le levier le plus efficace de création d'emplois, permettra aussi, par là même, de faire comprendre au mieux les justifications et l'utilité d'une telle politique.

Par ailleurs, nombre de commentaires portent sur le niveau général des prix, les risques d'inflation, le pouvoir d'achat et la consommation. Toutefois, j'ai tendance à lier les craintes qui s'expriment dans ces domaines à une attitude trop souvent présente en France, me semble-t-il, et que je qualifierai de politiquement ou d'économiquement correcte, tant elle relève d'une sorte de pensée unique, conçue en d'autres temps,...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C'est vrai !

M. Philippe Marini, rapporteur général. ... à une époque où le monde n'était pas globalisé comme il l'est aujourd'hui.

Il suffit, pourtant, de comparer, dans les rayons de nos hypermarchés, les prix de nombreux produits proposés, notamment les équipements ménagers et audiovisuels, avec ce qu'ils étaient voilà trois ans, cinq ans ou dix ans, et pour une satisfaction de besoin exactement identique.

Mme Nicole Bricq. Mais on n'achète pas tous les jours une chaîne hi-fi !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous savons bien que la mondialisation permet aux pays qui produisent en masse un grand nombre de biens utiles à nos concitoyens de peser de manière extrêmement efficace sur le niveau général des prix.

Ce phénomène est d'ailleurs observé par un grand nombre d'économistes et nous pouvons, par exemple, nous demander si, lorsqu'on définit les objectifs essentiels d'une banque centrale et d'une politique monétaire, il est aussi utile et justifié qu'à la fin des années quatre-vingt de placer la lutte contre l'inflation au centre de tout ?

J'ai lu d'excellents auteurs qui contestent cette idée et il en est même qui sont classés à gauche, vous le savez très bien, mes chers collègues.

Sans doute faut-il reconnaître au débat sur la TVA sociale de grands mérites, car il nous permet enfin de nous libérer de schémas un peu trop stéréotypés, peut-être un peu trop datés pour rechercher les voies de l'avenir, et c'est surtout cela que je voudrais dire à nos excellents collègues de la commission des affaires sociales.

Si l'on se limitait au temps t et à la vision des choses aujourd'hui, combien d'argent manquerait-il pour équilibrer les comptes de la sécurité sociale ?

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et le budget de l'État ?

M. Philippe Marini, rapporteur général. Il manquerait l'équivalent de 1,1  point de contribution sociale généralisée.

Dès lors, tout est simple ! Il suffit de voter une augmentation de 1,1 point de la CSG et le problème est réglé !

M. Jean-Pierre Fourcade. Pour l'année !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Mais l'est-il réellement ? Si nous procédions ainsi, ne nous mettrions-nous pas en contradiction flagrante avec nous-mêmes ? Oui, sans doute, puisque depuis 2002 la majorité a travaillé, me semble-t-il, à la baisse de l'impôt sur la personne. Or, qu'est la CSG sinon la part proportionnelle de cet impôt sur la personne, payée par la même personne sur les mêmes revenus, mais affectée à une caisse différente ? Cela, au demeurant, n'a aucune importance : ce n'est qu'une donnée administrative. Ne regardons que la donnée économique qui seule compte, au moins au regard de la compétitivité.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oh, cela ne responsabilise pas grand monde !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Monsieur About, je vous écouterai tout à l'heure avec grand intérêt, mais le raisonnement que je m'efforce de tenir est un raisonnement global !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et la sécurité sociale ?

M. Philippe Marini, rapporteur général. Je ne nie pas que la sécurité sociale ait une réalité organique et ses propres comptes, mais vous ne pouvez pas non plus nier que l'impôt sur la personne est une seule et même réalité socio-économique. Ce n'est pas une affaire budgétaire, ce n'est pas une affaire administrative, ce n'est pas une affaire juridique, c'est une réalité.

MM. Alain Lambert et Gérard Longuet. C'est le bon sens !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est une lapalissade !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Les mêmes contributeurs paient sur les mêmes revenus. Ils paient d'un côté et d'un autre. Depuis 2002, nous avons allégé cette contribution globale. Serions-nous prêts à faire le mouvement inverse ? Serions-nous prêts à revaloriser cet impôt sur la personne en nous mettant en contradiction avec nous-mêmes ? Je pose la question.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Si le budget de l'État va bien, la sécurité sociale aussi !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Enfin, je m'interroge surtout, bien que cela ne semble pas plaire à M. le président de la commission des affaires sociales...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Pas du tout, je suis heureux de l'intérêt que vous portez aux finances sociales !

M. Alain Lambert. C'est l'intérêt du contribuable !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Ce n'est pas un intérêt improvisé d'aujourd'hui ! Un débat, à mon sens, consiste à partager et non pas à segmenter, et aucune commission n'est propriétaire de son champ de compétence.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. N'est-ce pas ?

M. Philippe Marini, rapporteur général. Je m'interroge enfin, disais-je, sur le sujet qui est plus spécialement le nôtre : nous raisonnons au temps t, mais quel est l'essentiel ? L'essentiel, c'est bien l'avenir.

Si l'on montre aujourd'hui qu'il est si facile d'augmenter la CSG d'un point, que fera-t-on demain et après-demain ? N'est-ce pas une facilité vraiment coupable que l'on se donnerait dans un monde ouvert, sachant bien que les agents économiques comparent d'un territoire à l'autre les fiscalités dont ils sont l'objet ?

Il me reste, avant de conclure, à évoquer très brièvement les considérations de la commission des finances sur la fiscalité écologique, que vous trouverez dans mon rapport écrit, mes chers collègues.

Le principe majeur développé par la commission est celui selon lequel la véritable écofiscalité vise à changer les comportements. Autrement dit, si elle est efficace, c'est une fiscalité qui tend à détruire son assiette.

M. Gérard Longuet. C'est exact !

M. Philippe Marini, rapporteur général. A contrario, si elle ne détruit pas son assiette, c'est qu'elle est inefficace et ce n'est pas une bonne écofiscalité.

Par voie de conséquence, l'écofiscalité ne peut pas être associée à des besoins budgétaires ou sociaux croissants. Il faut faire très attention à assurer une bonne cohérence de la nature de la ressource et de la nature de la dépense, et j'espère que, sur ce point, le président About abondera dans le même sens.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est pourquoi on a donné l'impôt sur les tabacs à la sécurité sociale : c'est pour être sûr qu'il y a toujours des financements...

M. Philippe Marini, rapporteur général. Voilà ! C'est en même temps une limite du raisonnement que vous êtes fondé à évoquer, monsieur le président, et, sur cet aspect, me semble-t-il, nous cheminons de la même façon ; je m'en réjouis !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est tellement logique !

M. Alain Lambert. La véritable assiette, c'est la démagogie, car elle est incommensurable !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Mon cher collègue, c'est un risque permanent dont il faut, bien entendu, nous défier autant que faire se peut.

En ce qui concerne l'écofiscalité, ayons bien en tête ce principe et évitons aussi de laisser se développer une écofiscalité qui se traduirait par une réelle augmentation du taux de prélèvements obligatoires.

Je terminerai par les niches fiscales et sociales, insistant plus particulièrement sur les niches fiscales.

Monsieur le ministre du budget, j'en ai dénombré 650 dans le projet de loi de finances pour 2008. Elles relèvent, à mes yeux, de deux catégories.

Les unes ont un caractère horizontal et ont pour objet de modifier les conditions de calcul de l'impôt. À certains égards, le crédit d'impôt recherche ou le régime du bénéfice consolidé peuvent en faire partie.

Par ailleurs, il est des niches sectorielles, corporatives, verticales, et ce sont ces dernières qu'il faudrait, nous semble-t-il, aborder avec le plus d'esprit critique.

On pourrait distinguer - c'est une idée que je me permets de livrer au Sénat - des NDI, des niches à durée indéterminée, et des NDD, des niches à durée déterminée. (Sourires.) Il serait tout à fait concevable, madame le ministre, monsieur le ministre, si vous vous prêtiez à cette expérience dans le projet de loi de finances pour 2008, appliquant le principe du Guépard, de tout changer pour ne rien changer, c'est-à-dire de transformer, au 1er janvier, toutes les niches sectorielles en NDD.

Quel serait l'avantage ? Ce serait de les rendre temporaires, d'être obligé de les réévaluer périodiquement et de pouvoir les remettre en cause. Car, vous l'avez dit vous-même, monsieur le ministre du budget - je tiens à rendre hommage à cette déclaration -, l'évaluation des dépenses fiscales est un très lourd sujet.

La représentation parlementaire est souvent terriblement frustrée par les évaluations qui lui sont données, bien sûr de bonne foi, par votre administration. Et pourtant, un euro de dépense fiscale équivaut à un euro de dépense budgétaire. Du point de vue du solde et de la maîtrise de celui-ci, l'un et l'autre jouent le même rôle. Il serait donc indispensable de faire entrer dans la norme de dépense la dépense fiscale aussi bien que la dépense budgétaire et de se préparer à le faire en évaluant mieux ces différents dispositifs.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous le voyez, madame le ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des finances n'est jamais à court d'idées, de propositions. Elle s'efforce de conduire ses travaux dans un climat de liberté, et je voudrais à cet égard remercier, une nouvelle fois le président Jean Arthuis qui sait faire prévaloir ce climat de liberté, qui sait animer nos débats en permettant à chacun d'entre nous de donner le meilleur de lui-même. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les équilibres généraux de la loi de financement de la sécurité sociale. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat sur les prélèvements obligatoires ouvre traditionnellement la phase financière de la session, qui voit se succéder l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, celui du projet de loi de finances et celui du projet de loi de finances rectificative. Il est l'occasion, pour le Sénat, et surtout pour la commission des affaires sociales et la commission des finances, d'aborder les finances publiques dans un cadre consolidé et non artificiellement cloisonné entre l'État et la sécurité sociale.

Mes chers collègues, un cap symbolique a été franchi cette année pour aller vers une vision d'ensemble de ces deux hémisphères - comme vient de le rappeler très justement au début de son propos notre collègue Philippe Marini, rapporteur général -, en ayant donc une approche à la fois des comptes de l'État et des comptes sociaux : la création d'un ministère des comptes publics, dont la MECSS a souligné tout l'intérêt pour favoriser l'articulation entre la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale, et nous ne pouvons que nous en féliciter.

Monsieur le ministre du budget, vos premiers pas ont montré, avec le remboursement par l'État de sa dette à la sécurité sociale, avec la compensation intégrale à l'euro près des charges, avec les engagements que Mme Lagarde et vous-même avez pris avec lors de la discussion du projet de loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat - engagements dont le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 porte la concrétisation-, votre volonté de respecter le périmètre de la loi de finances, d'un côté, et celui de la loi de financement de la sécurité sociale, de l'autre. Cela est de nature à conforter tant la commission des affaires sociales que la commission des finances - je ne doute pas que son rapporteur général, Philippe Marini, et son président, Jean Arthuis, partagent ce sentiment - quant à la pertinence de l'existence d'un ministre des comptes publics pour promouvoir cette approche globale que ces deux commissions appellent depuis longtemps de leurs voeux.

Nicolas About et moi-même n'avons jamais contesté la nécessité de cette approche globale. Cependant, là où il y avait débat, c'était sur l'idée qui avait été lancée à la suite de la présentation du rapport cosigné par notre collègue Alain Lambert et par le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, Didier Migaud, et relayée en son temps par Jean-François Copé, idée d'une fusion éventuelle de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale. Depuis, le débat a permis à chacun de mesurer l'intérêt de maintenir ces périmètres et je me réjouis d'avoir entendu M. le rapporteur général le confirmer voilà quelques instants en réagissant aux interpellations amicales de Nicolas About.

Nous avons besoin de cette approche d'ensemble pour assurer le respect des spécificités de chacun et, en particulier, du financement de la sécurité sociale ; vous me pardonnerez de prendre un peu parti en le disant !

J'en viens maintenant à notre sujet.

Pour résumer, la question des prélèvements obligatoires que nous nous posons aujourd'hui revêt un double aspect.

D'abord, peut-on éviter le recours à de nouveaux prélèvements lorsque la croissance de la dépense publique est largement alimentée par le vieillissement de la population, sans que l'on puisse espérer mieux que contenir l'évolution de la demande ?

Ensuite, quelles sont les ressources les plus pertinentes, les plus « dynamiques » - pour reprendre le terme utilisé par Mme le ministre, par M. le ministre des comptes publics et également par M. le rapporteur général - pour faire face aux besoins dans une économie globalisée, mondialisée, où la matière taxable est susceptible de se déplacer à la recherche de l'environnement le plus favorable, même si M. le rapporteur général a rappelé qu'il y avait au moins deux assiettes qui ne devraient pas être délocalisables : celle du patrimoine immobilier et celle du flux de la consommation.

Le rapport Pébereau et plus récemment le rapport Carrez, rédigé pour le Conseil d'orientation des finances publiques, ont bien résumé les enjeux.

À l'horizon 2050, le surcoût dû aux dépenses de retraite est évalué à deux points du PIB. Il est au minimum de 1,8 point pour la santé, mais l'OCDE envisage des chiffres pouvant aller jusqu'à 3,6 points de richesse nationale.

Enfin, il faut prendre en considération le surcoût engendré par les dépenses de dépendance, qui est estimé à 0,2 point de PIB ; cependant, là encore, l'OCDE envisage l'éventualité d'une fourchette allant de 1 point à 1,7 point.

Même en tenant compte d'une décroissance relative de nos dépenses d'éducation et de chômage, la part supplémentaire des dépenses publiques dans la production nationale sera tendanciellement de 4 à 6 points supérieure à celle que nous connaissons aujourd'hui. Et la quasi-totalité en sera imputable aux dépenses à caractère social, le trio « retraites, santé, dépendance ».

Pour affronter cette situation - et je rejoins sur ce point les propos de M. le rapporteur général -, notre première réponse n'est pas, et ne peut pas être, d'augmenter l'impôt ou la cotisation, alors que le niveau de nos prélèvements par rapport à la richesse nationale nous place déjà en tête des nations. Est-il pertinent d'en ajouter d'autres ?

Dès lors que nous sommes confrontés aux déficits accumulés, notre premier devoir est de réformer et d'agir sur la dépense, ...

M. Alain Vasselle, rapporteur. ... afin d'empêcher que d'autres déficits n'apparaissent, dont nos enfants devraient assumer le coût exorbitant.

On le sait, cette démarche a déjà produit des effets. Sans la réforme des retraites de 2003 - un excellent exemple de notre capacité à agir sur la dépense quand nous en avons la volonté politique -, la part des pensions dans le produit intérieur brut n'aurait pas été de deux points supplémentaires en 2050, comme on le pense aujourd'hui, mais de près du double, soit environ quatre points.

La réflexion sur les marges de manoeuvre que nous devons dégager pour assurer la pérennité de notre protection sociale a été relancée, dès cet été, par le Président de la République. La santé est ainsi l'un des premiers domaines de l'action publique passés au crible dans le cadre de la nouvelle procédure de révision générale des politiques publiques. Gérard Larcher a également été désigné pour présider la commission sur les missions de l'hôpital public, qui devrait remettre un rapport d'étape dès le mois de décembre prochain et ses propositions au début de l'année prochaine.

Enfin, l'année 2008 sera également l'année du rendez-vous sur les retraites, qui doit permettre de fixer les conditions d'un retour à un équilibre durable de la branche vieillesse. C'est bien la preuve que nous voulons agir sur les dépenses.

Pour autant, la question de la ressource demeure posée, et ce pour deux raisons.

D'abord, notre assiette, qui repose encore majoritairement sur le travail, paraît en partie inadaptée dans le contexte d'ouverture qui caractérise notre économie. Hormis les deux exceptions qui ont été rappelées tout à l'heure par le rapporteur général, quelle est donc la meilleure ressource dans une économie globalisée, où la matière taxable peut être extrêmement volatile ?

Ensuite, une fraction des nouveaux besoins devra bien être financée par de nouvelles recettes, quels que soient, par ailleurs, nos efforts pour infléchir la tendance spontanément haussière de nos dépenses en matière de protection sociale. Cette situation n'est d'ailleurs pas propre à notre économie.

Nous ne pouvons pas envisager une augmentation des prélèvements obligatoires si nous n'avons pas démontré à nos concitoyens que nous avons la capacité de maîtriser, dans des conditions optimales, nos dépenses publiques et les dépenses de la sécurité sociale. Dès lors, si nous constatons un delta financier entre le niveau des dépenses et celui des recettes, nous devrons nous demander s'il nous faut prévoir une recette nouvelle ou opérer un redéploiement de certaines recettes au profit de la sécurité sociale.

Une partie de la ressource devra bien sûr être trouvée auprès des assurés eux-mêmes, mais il est clair que, compte tenu de notre tradition sociale et culturelle, nous ne pourrons pas réduire de façon drastique la part de la dépense prise en charge par la collectivité. Il n'est pas envisageable, par exemple, de geler les dépenses d'assurance maladie. Il en résulterait, en quelques années, une baisse spectaculaire du taux de prise en charge socialisée de la dépense de santé, qui passerait de 77 %, taux observé aujourd'hui, à 50 %, soit précisément le taux en vigueur lors de la mise en place du régime de la sécurité sociale, dans les années cinquante.

Mes chers collègues, comment imaginer que l'adhésion de nos concitoyens au système de protection sociale ne s'en trouverait pas inévitablement remise en cause ?

Mais alors, quelles ressources mobiliser ?

Vous êtes engagée, madame le ministre, dans un processus de revue générale des prélèvements obligatoires qui doit aboutir au début de l'année prochaine, et dont nous attendons les conclusions avec intérêt.

Comme vous l'avez indiqué, la MECSS, que j'ai l'honneur de présider, a, de son côté, lancé au début de cette année un cycle de réflexion qui l'a conduite à procéder à une trentaine d'auditions : elle a ainsi entendu les représentants des principales institutions de la protection sociale et des corps de contrôle, des hauts fonctionnaires, des universitaires, des économistes et des praticiens du secteur social. Autant dire que nous avons recueilli un maximum de points de vue. Or nous avons été frappés de constater le très large consensus qui s'est dégagé pour nous alerter sur les difficultés réelles posées par les solutions en vogue, notamment le basculement des cotisations, actuellement assises sur les salaires, vers une base plus large tenant compte de la valeur ajoutée.

Venons-en tout de suite à la formule la plus souvent envisagée et qui a été évoquée par les précédents intervenants : la TVA sociale.

Nous disposons sur le sujet d'une « littérature » abondante, dont plusieurs rapports administratifs établis en 2006 à la demande du précédent Président de la République ; s'y sont ajoutés plus récemment le rapport Besson, le vôtre, madame le ministre, ainsi que nos propres auditions. Chaque fois, les mêmes doutes ont été exprimés.

Pour le dire simplement, la TVA sociale repose sur un pari qui est loin d'être gagné d'avance. Selon ses défenseurs, que nous avons entendus - et nous en entendrons certainement un autre dans un instant ! (Sourires.) -, ...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C'est vraisemblable !

M. Alain Vasselle, rapporteur. ... son effet potentiellement inflationniste serait compensé par la baisse du coût du travail engendrée par la diminution, ou la disparition, des cotisations patronales. En d'autres termes, tout repose sur le fait que l'employeur répercutera sur ses prix de vente la baisse des cotisations dont il bénéficie, contrebalançant ainsi la hausse de la TVA.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Oui !

M. Alain Vasselle, rapporteur. Par ailleurs, la baisse du coût du travail l'incitera à embaucher. Le pari est donc le suivant : éviter l'inflation et créer des emplois.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Absolument !

M. Alain Vasselle, rapporteur. Or deux phénomènes sont susceptibles de faire dérailler ce scénario et de créer une inflation, sans avoir sur l'emploi d'effet aussi positif qu'on le pense.

Tout d'abord, les entreprises françaises affichant aujourd'hui des marges très faibles, elles auront spontanément tendance à les reconstituer si elles retrouvent un peu d'air grâce à une diminution des cotisations patronales. Le risque est donc qu'elles ne baissent pas les prix et que l'augmentation de la TVA soit intégralement à la charge du consommateur.

L'exemple allemand incite, de ce point de vue, à la plus extrême prudence. Vous le savez, nos voisins ont instillé, au début de l'année, une petite dose de TVA sociale.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Trop peu !

M. Alain Vasselle, rapporteur. Or, avec des entreprises en meilleure forme que les nôtres, on constate déjà en Allemagne des tensions inflationnistes, même si leurs effets restent pour l'instant relativement maîtrisés.

Ensuite, tout le monde en convient, l'impact de la TVA sociale sur l'emploi est réputé d'autant plus fort que la mesure est ciblée, comme cela a été rappelé avec pertinence tout à l'heure, sur les entreprises employant des salariés payés au SMIC, ou proches du SMIC. Or, je vous rappelle, mes chers collègues, que, aux allégements Fillon, il n'existe d'ores et déjà quasiment plus de cotisations patronales à ce niveau.

M. Guy Fischer. Eh oui !

M. Alain Vasselle, rapporteur. Pour ces entreprises, la hausse de la TVA aura évidemment un effet nul en termes d'emplois et leur perte de compétitivité sera immédiate, sauf à créer pour elles des cotisations sociales négatives, ce qui serait, à mon avis, malvenu compte tenu du déficit actuel de la sécurité sociale.

Cet obstacle technique majeur à la mise en place de la TVA sociale - qui est particulièrement bien développé, je vous l'accorde, dans le rapport Besson et dans le vôtre, madame le ministre - est trop rarement évoqué.

À ce stade du débat, je me retrouve donc à mon point de départ : que faire ?

Voilà un an - permettez-moi de m'en enorgueillir -, notre commission des affaires sociales s'était montrée visionnaire, en lançant le débat sur les « niches sociales ». Nous avions été peu écoutés lorsque nous avions défendu un amendement visant à remettre en cause l'exonération des stock-options. Nous nous étions, hélas, heurtés à l'opposition du gouvernement de l'époque.

Depuis lors, la Cour des comptes a relancé le débat en révélant que le montant des sommes qui ne reviennent pas à la sécurité sociale du fait des exonérations non compensées serait de l'ordre de 30 milliards à 35 milliards d'euros par an.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Eh oui !

M. Alain Vasselle, rapporteur. Certes, les niches sociales sont moins nombreuses - une cinquantaine environ - que les 650 niches fiscales dont a parlé tout à l'heure le rapporteur général en introduisant les notions de NDI et de NDD, mais elles représentent presque le montant cumulé du besoin de trésorerie de l'ACOSS, l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale. Le déficit global cumulé de la sécurité sociale de l'exercice 2008 avoisinera les 40 milliards d'euros !

En d'autres termes, nous n'en serions sans doute pas à une telle dégradation de nos comptes sociaux si une partie au moins de cette manne avait été utilisée.

Deux méthodes sont dès lors possibles : soit remettre en cause certaines de ces niches, en les taxant dans des « conditions normales », dirai-je ; soit appliquer une flat tax, comme M. le ministre y a fait allusion tout à l'heure, en taxant faiblement toutes les niches, ou du moins le plus grand nombre possible.

Sur les niches sociales, il faut avoir une démarche aussi pragmatique que celle qui a été préconisée tout à l'heure par Philippe Marini sur les niches fiscales. Sans doute certaines niches sociales ont-elles leur pertinence dans le cadre d'une politique économique et sociale, mais il y a lieu de revenir sur l'existence de certaines autres ou, à tout le moins, de leur conférer un caractère temporaire.

Rien n'empêche, d'ailleurs, de combiner les deux méthodes. À cet égard, la commission des affaires sociales a déposé hier un amendement sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale permettant d'aller au-delà du mécanisme de taxation des seules stock-options et des actions gratuites adopté par l'Assemblée nationale, en soumettant au taux de 2 % l'ensemble de l'assiette aujourd'hui exonérée de charges. Certes, cela ne rapporterait pas des sommes phénoménales, ...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce ne serait déjà pas mal !

M. Alain Vasselle, rapporteur. ... mais il s'agit tout de même, d'après nos estimations, de 400 millions d'euros environ. Ce serait un premier pas. Il nous appartiendrait ensuite de décider si nous déplaçons le curseur.

Cela étant, d'autres ressources doivent être mobilisées et, sur ce point, trois voies me paraissent pouvoir également être explorées.

D'abord, M. le rapporteur général y a fait allusion, nous pourrions créer des taxes nutritionnelles, ciblées sur les produits alimentaires les plus néfastes pour la santé, notamment les sodas et sucreries. Certains avaient d'ailleurs envisagé que cette ressource soit mobilisée pour sortir le FFIPSA, le Fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles, de l'ornière ; la commission des affaires sociales a également déposé un amendement tendant à instituer une telle taxe.

Ensuite, s'agissant de la nouvelle fiscalité écologique, il va de soi qu'une partie au moins des recettes devra être consacrée au financement de l'assurance maladie. Madame le ministre, vous aviez vous-même évoqué, dans votre rapport, une taxe de lutte contre le changement climatique comme une alternative sérieuse à la TVA sociale ; nous attendons avec le plus grand intérêt vos conclusions à ce sujet.

Cependant, je le reconnais bien volontiers -  et les propos tenus tout à l'heure par Philippe Marini ne peuvent être contestés -, ces taxes, qui visent à changer les comportements, conduisent à terme à la destruction de leur assiette. Nous en faisons d'ailleurs l'expérience, à notre grand dam, avec les droits sur le tabac, sujet qui a été évoqué tout à l'heure et a fait réagir le président Nicolas About : le succès est tel que le produit de la taxe tend à diminuer et ne contribue donc pas à équilibrer les dépenses de la branche maladie. Ainsi, il ne s'agit certainement pas là de recettes dynamiques de nature à alimenter durablement le financement de l'assurance maladie. Il reste qu'elles peuvent avoir un rôle vertueux pour le comportement de tout un chacun. Encore faut-il en évaluer les effets.

Enfin, la plupart des interlocuteurs de la MECSS ont insisté sur les avantages de la CSG, qui est simple d'utilisation et bien acceptée par les Français, car ceux-ci savent clairement qu'elle contribue au financement de la protection sociale, essentiellement de la branche maladie, et que, à la différence de la taxe sur la valeur ajoutée, elle ne peut avoir un impact potentiellement dépressif sur l'économie.

Si nous devions opter pour un impôt déjà existant - ce n'est qu'une hypothèse, monsieur le rapporteur général, dans le cas où aucune autre piste ne serait retenue, car j'ai bien noté que vous étiez formellement contre -, nous devrions préférer, à mon sens, la CSG à la TVA sociale.

Certes, la CSG pèse sur les ménages, mais tel sera aussi le cas de la TVA sociale, sauf à réussir le pari selon lequel les entreprises baisseront leurs prix pour compenser la hausse de la TVA ; Jean Arthuis évoquera sans doute ce point dans un instant.

Mes chers collègues, je reviendrai, lors du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, sur les sujets qui ont été évoqués par M. le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique. Nous reparlerons des dépenses liées à la branche famille, de la dynamique des dépenses des branches vieillesse et maladie, car nous pouvons évidemment trouver des solutions en faisant jouer la solidarité au sein du régime général, par redéploiement de certaines charges, par exemple en faisant en sorte que la part patronale versée à la branche famille aille vers les branches déficitaires. Nous serons également amenés à parler du plan de maîtrise des dépenses de l'assurance maladie qui a été mis en place en Suède.

Tous ces éléments doivent enrichir notre réflexion et nous conduire à esquisser les pistes qui, demain, nous permettront de rassurer les Français quant au déficit dont nous souffrons aujourd'hui et auquel nous voudrions donner un terme.

Mes chers collègues, voilà résumées à grands traits les options retenues par la commission des affaires sociales. En les défendant, nous n'avons cherché, j'en conviens, à faire preuve d'audace ; nous avons sincèrement voulu faire preuve de bon sens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)