M. Marc Massion. D'autre part, les prélèvements obligatoires doivent être employés à la prise en charge des questions structurelles de l'emploi, de la santé et des retraites.

Enfin, face à cette situation critique, je vous demanderai un peu de sincérité. À quelles surprises fiscales devrons-nous faire face au printemps prochain ? (Mme Nicole Bricq s'exclame.)

Compte tenu du coût important des cadeaux fiscaux, qui ont été octroyés cet été par la loi TEPA, on peut se demander comment le Gouvernement pourra financer les politiques ambitieuses qui doivent être menées, tant au niveau social qu'au niveau écologique à la suite du Grenelle de l'environnement.

Une politique de rigueur, bien que formellement rejetée, sera appliquée l'année prochaine, probablement à la suite des élections municipales. Ce n'est pas un hasard !

L'idée de la TVA sociale est loin d'être définitivement enterrée. Il en a beaucoup été question cet après-midi. Peut-être prévoyez-vous déjà une augmentation de la TVA de 1,5 point, comme le préconisent le rapport d'Eric Besson et l'Inspection générale des finances. Peut-être ferez-vous plutôt le choix d'une TVA « pouvoir d'achat », intitulé pour le moins critiquable puisqu'une augmentation du taux de TVA entraînera une hausse des prix et le pouvoir d'achat en sera d'autant diminué.

Comment Nicolas Sarkozy et son gouvernement parviendront-ils à réaliser leur souhait de doubler la fiscalité écologique tout en maintenant le niveau des prélèvements obligatoires ? Ils pourraient alors accorder de nouveaux cadeaux fiscaux aux entreprises en instaurant, comme le demande le MEDEF, un bouclier fiscal à leur profit.

Bien d'autres hypothèses sont envisageables, dont certaines ont été évoquées cet après-midi : nouvelles franchises médicales, hausse de la CSG, réduction des dotations aux collectivités territoriales. Dans ces conditions, madame le ministre, il est temps de tomber le masque et de dévoiler enfin la réalité de vos projets aux Français. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Voilà une heureuse alternance !

M. Gérard Longuet. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je m'exprime au nom du groupe UMP. C'est une lourde responsabilité, et je voudrais présenter à mes collègues de ce groupe qui appartiennent à la commission des affaires sociales mes sentiments de modestie et de prudence. Les sujets que nous évoquons leur sont familiers. Pour ma part, je n'appartiens qu'à la commission des finances et je ne suis donc pas expert en ces questions.

Pour autant, ce débat, qui aurait pu paraître formel, est riche et suscite des discussions au sein même de la majorité. C'est peut-être ce qui le rend tout à fait passionnant. D'ailleurs, madame le ministre, vous aurez à mener cette réflexion dans les mois qui viennent au titre de la revue générale des prélèvements obligatoires, tout comme votre collègue Éric Woerth devra la conduire dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, la RGPP.

Madame le ministre, vous avez rappelé avec beaucoup de bon sens que le Premier ministre, François Fillon, avait décidé de saisir le Conseil économique et social sur cette affaire de la TVA sociale. Pourquoi ? Parce qu'à cet instant du débat il apparaît avec clarté que nous avons trois points d'accord et de vraies questions en suspens.

Premier point d'accord, le niveau atteint en France par les prélèvements obligatoires est élevé et il est inconcevable de le dépasser. Je ne reviens pas sur les chiffres ; ils ont été excellemment cités dans les rapports écrits de notre collègue Philippe Marini et vous les avez rappelés, madame le ministre. C'est en tous les cas un butoir, une discipline d'airain qui s'impose à nous.

Moyennant quoi, et c'est le deuxième élément du diagnostic partagé, les raisons d'être optimistes sont peu nombreuses, car deux faits sont évidents.

En premier lieu, nous ne pouvons pas compter sur une diminution spectaculaire des prélèvements publics de l'État car nous devons reconstruire l'équilibre budgétaire. Le Président de la République, Nicolas Sarkozy, a fixé un objectif : l'équilibre budgétaire en 2012. Cet objectif passe nécessairement par un maintien de la pression fiscale. On peut la rendre plus intelligente, on peut ne pas décourager ceux qui investissent - vous l'avez rappelé, madame le ministre, en ce qui concerne, par exemple, le crédit d'impôt recherche -, mais nous n'avons pas de faculté immense de déduction fiscale.

En second lieu, Alain Vasselle l'a rappelé en qualité de rapporteur, les dépenses sociales croîtront en raison de l'allongement de la durée de la vie. Celui-ci est d'ailleurs une grande source de satisfaction, car, après tout, il n'est pas désagréable de vieillir quand on a une espérance lointaine et qu'on peut le faire dans de bien meilleures conditions que nos aînés. Ceux-ci n'avaient souvent pas la chance de pouvoir vieillir et, en général, ils vieillissaient plus mal que nous.

Nous allons donc dépenser de l'argent sur le terrain de la santé et de l'assurance vieillesse, l'un et l'autre allant de pair. Il n'y a aucune raison de penser que la situation pourrait s'améliorer spontanément, et nous avons le devoir absolu non seulement d'anticiper des dépenses supplémentaires, mais également d'adopter une attitude différente à l'égard de la protection sociale : elle n'est pas simplement une réponse à un risque, elle est aussi synonyme d'espérance et d'amélioration notable des conditions de vie.

Troisième certitude que nous partageons - elle a été évoquée très largement -, notre réflexion ne peut pas faire abstraction de la mondialisation et de l'exigence de compétitivité. Comme l'a rappelé avec beaucoup d'esprit Philippe Marini, nous avons eu la chance d'être en présence à la fois du ministre de la compétitivité, vous, madame, et du ministre de la cohérence, l'un et l'autre ne s'opposant d'ailleurs pas. La compétitivité, c'est la politique de l'offre. Elle est à plus long terme. La politique des comptes est parfois à plus court terme, et il arrive même que le court terme compromette un peu le long terme. Quoi qu'il en soit, puisque vous étiez tous les deux présents ici, nous avons la certitude que cette globalisation qui impose la compétitivité est au coeur de la préoccupation gouvernementale.

Compte tenu de ces trois points du diagnostic partagé, on pourrait considérer que tout est parfait pour l'UMP, ses membres ont une position commune et le débat ne suscite de leur part aucune interrogation. Or, je vous surprendrai peut-être en vous l'apprenant, nous avons, au sein de notre groupe, des différences, qui ne sont pas des divergences. Elles reflètent une attitude responsable qui consiste, au moment où s'ouvre un débat, à tenter d'en fixer les limites.

J'évoquerai trois sujets.

Je commencerai, bien sûr, par la TVA sociale, c'est-à-dire en réalité la fiscalisation de la dépense sociale. J'examinerai ensuite les « fonds de tiroirs », les niches, qui sont importantes et posent d'autres problèmes. Enfin, je terminerai par cette éthique de responsabilité qui est au coeur des convictions communes de l'ensemble des élus de l'UMP et dont nous devons tenir compte dans notre conception des prélèvements sociaux et, surtout, des dépenses sociales.

En effet, et j'emprunte au tableau préliminaire du rapport de M. Vasselle cette observation de bon sens, la première règle en matière de prélèvements sociaux, c'est la maîtrise de la dépense - vous l'avez d'ailleurs écrit noir sur blanc, mon cher collègue -, ce qui suppose de fixer très clairement ce qui dépend de la solidarité et ce qui relève de la dépense naturelle. Nous sommes au coeur du sujet.

Mais revenons à la TVA sociale. Au fond, trois attitudes coexistent au sein de l'UMP : il y a ceux qui sont contre, ceux qui sont modérément pour et, cher Jean Arthuis, bien que vous n'apparteniez pas à notre famille, ceux qui sont résolument pour. Votre proposition de TVA sociale a d'ailleurs le mérite de la constance, puisque vous l'avez présentée dès 1993, dans votre rapport d'information sur le risque de délocalisations, risque qui est hélas ! avéré. Vous avez eu le courage de proposer des solutions, en particulier au lendemain de la mission d'étude de la commission des finances que vous avez notamment conduite au Danemark.

S'agissant de la fiscalisation de la protection sociale, je serai prêt à vous suivre, en émettant tout de même quelques bémols.

Selon vous, en définitive, c'est le consommateur qui paie. L'entreprise peut amortir une charge, mais elle la répercute à un moment ou à un autre sur ses prix, c'est-à-dire in fine sur le consommateur. En définitive, que l'on demande l'effort à l'entreprise ou directement au consommateur, le résultat est le même. Il est donc plus loyal de le faire supporter par celui-ci. D'autant que - et c'est sans doute la conséquence de la globalisation que j'évoquais à l'instant sur laquelle nous sommes d'accord concernant les exigences qu'elle fait peser sur notre appareil de production -, il vaut mieux - c'est un peu cynique, je le reconnais - frapper le consommateur, qui de toute façon paiera, plutôt que l'entreprise, laquelle est délocalisable directement ou indirectement, à travers les investissements de développement qu'elle fait non plus en France mais ailleurs.

Il n'y a pas si longtemps encore - j'en parlais à l'instant à Mme le ministre -, notre commerce extérieur était excédentaire et notre balance des paiements largement bénéficiaire grâce aux « invisibles » et aux touristes.

Je voudrais tout de même attirer votre attention sur un point. Certes, ce sont les consommateurs qui paient in fine, mais tous ne sont pas Français. Lorsque nous vendons des Airbus et des moteurs d'avions dans le monde entier ou que nous entretenons les 17 000 turboréacteurs installés par la SNECMA -  je m'y suis rendu ce matin -, nous gagnons de l'argent que nous facturons à des consommateurs étrangers.

Il ne me déplaît pas que ces consommateurs contribuent, lorsque nous sommes compétitifs, aux dépenses sociales françaises. C'est la raison pour laquelle le fait de demander aux entreprises de contribuer en partie à la dépense sociale a le mérite, dans la mesure où notre vocation - et c'est un sujet majeur - est d'être excédentaires sur le plan commercial, de faire supporter à des étrangers des dépenses sociales que nous ne pourrions pas financer si nous ne nous adressions qu'aux consommateurs français à travers la TVA sociale.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le sénateur ?

M. Gérard Longuet. Je vous en prie, monsieur le président de la commission.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission, avec l'autorisation de l'orateur.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Monsieur le sénateur, j'entends bien vos propos sur ce point, mais, Mme la ministre peut en témoigner, dans nos relations commerciales avec la Chine, par exemple, du 1er janvier au 31 juillet, nos importations ont atteint 15,4 milliards d'euros et nos exportations 5 milliards d'euros.

Le déséquilibre ne cesse de se creuser. Lors d'une mission dans le Golfe, à laquelle j'ai participé avec M. Philippe Marini et d'autres membres de la commission des finances, nous avons constaté que les pays asiatiques sont en train de prendre nos parts de marché à l'étranger.

Il ne vous aura pas échappé que le précédent Président de la République, lors d'une visite en Chine, a inauguré une usine d'assemblage de l'Airbus A 320. Et dans quelque temps, on nous fera le coup de la Logan : d'abord, on déclare qu'il s'agit de fournir le marché asiatique, puis, on nous explique qu'il revient moins cher de voyager dans des Airbus fabriqués en Chine plutôt que dans des Airbus construits en France, pour peu que la relation franco-allemande soit un brin difficile.

Je comprends le sens de votre propos, mais nos positions commerciales s'érodent. Penser que nous pourrons durablement exporter le coût de notre protection sociale en l'incluant dans le prix de nos produits, c'est prendre un risque majeur.

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Longuet.

M. Gérard Longuet. Je ne veux pas prolonger la présente discussion en cet instant, dans le cadre du temps de parole qui m'a été imparti. Cette question fait partie du débat que nous devrons conduire dans les mois à venir. Des consommateurs étrangers font confiance à la France, achètent les produits de nos entreprises et financent ainsi partiellement la dépense sociale de notre pays.

J'en viens à la position modérée, défendue notamment par M. le rapporteur général, d'une TVA sociale réduite, ciblée sur les salaires compris entre 1 et 1,1 SMIC -  et vous avez évoqué ce point, madame le ministre.

Je ne prétends pas épuiser le débat, mais je tiens, au nom de l'UMP, à poser une question qui, d'ailleurs, recoupe la précédente : quel modèle social voulons-nous ?

Si nous voulons à tout prix enrichir la croissance en emplois modestes, peu qualifiés, il faut sans doute adopter une telle disposition. En revanche, si nous avons une ambition à long terme de valeur ajoutée, ne risquons-nous pas, en favorisant trop les salaires les plus bas, de pénaliser les personnes plus qualifiées, qui iront alors exercer leur métier ailleurs ?

Je souhaite, moi aussi, enrichir la croissance en emplois, mais je suis préoccupé lorsque je vois que la moitié d'une promotion de jeunes diplômés d'une école de commerce part chercher un emploi en Grande-Bretagne ou aux États-Unis.

On ne peut pas trop frapper les informaticiens, les techniciens, les commerciaux - qui, c'est heureux ! perçoivent des salaires largement supérieurs à 1,1 SMIC -, sous peine de rendre leur situation excessivement difficile.

Aussi, je réitère ma question : quel modèle social voulons-nous ?

Il est vrai qu'il y a la Chine, son extraordinaire réservoir d'ateliers, une main-d'oeuvre apparemment illimitée, un savoir-faire considérable, des capitaux énormes. Vous avez évoqué les fonds souverains, monsieur le rapporteur général : 1 200 milliards de dollars sont à ce titre disponibles dans l'État chinois.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Longuet.

M. Gérard Longuet. Je vous en prie, monsieur le rapporteur général.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général, avec l'autorisation de l'orateur.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Je vous remercie de me permettre de vous interrompre.

Il est très difficile de bien déterminer les objectifs à poursuivre. En effet, la réalité est tellement contradictoire que l'on peut hésiter.

Si j'ai indiqué tout à l'heure, notamment après avoir pris connaissance du rapport de l'Inspection générale des finances, que l'on pouvait retenir l'idée de concentrer sur les bas salaires le mouvement de transfert constitutif de la TVA sociale, c'est pour une simple raison d'opportunité liée au taux de chômage. Car l'un de nos objectifs, c'est bien de faire baisser le taux de chômage.

Des personnes très diplômées peuvent certes être conduites à quitter notre territoire, mais cela ne pèse ni sur le taux du chômage ni sur la composition de la population des demandeurs d'emploi.

C'est en vertu de l'impératif politique d'une baisse à court terme du chômage que j'ai rejoint quelques instants la proposition des services de Mme Lagarde. Mais, fondamentalement, je suis plutôt plus en accord avec la doctrine qui est développée par le président Arthuis.

M. Gérard Longuet. Je l'avais bien compris.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Cet aspect peut sembler contradictoire, car il y a un objectif à long terme, un objectif à court terme, un objectif économique, un objectif politique et nous devons parvenir à faire notre chemin parmi eux.

M. Alain Vasselle, rapporteur. Ce n'est pas facile !

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Longuet.

M. Gérard Longuet. Cela prouve, madame le ministre, que ce débat est important et que nous ne l'épuiserons pas cet après-midi.

J'aborde maintenant un deuxième point non pas de désaccord, mais de difficulté.

Il y a en effet des réserves dans les niches sociales - le rapport évoque 30 milliards d'euros - et dans les niches budgétaires, mais là, les chiffres varient. Certaines estimations font état de 70 milliards d'euros. Pour sa part, M. Marini évalue à 40 milliards d'euros la somme de toutes les niches de plus de 1  milliard d'euros.

Les niches les plus importantes, celles que vous appelez « NDI », concernent des domaines sur lesquels il sera sans doute difficile de revenir facilement. Je pense notamment à la TVA à 5,5 % dans le secteur du bâtiment, qui, à elle seule, représente une dépense fiscale de 5 milliards d'euros. Si l'on revenait sur cette disposition, bonjour les dégâts ! Il s'agit pourtant d'activités qui ne sont pas délocalisables.

D'ailleurs, les emplois soutenus, pour des salaires compris entre 1 et 1,1 SMIC, sont souvent des emplois de service à la personne qui ne sont pas non plus délocalisables et qui ne sont pas soumis à la concurrence.

En Lorraine, dans la filière du bois, M. Jean-Pierre Masseret aurait pu l'attester, les salaires sont faibles et la concurrence internationale est forte.

Les services aux personnes âgées - qui représenteront un nombre croissant d'emplois -, eux, ne sont pas délocalisables. Des allégements de charges sociales ciblés changeront-ils grand-chose ? Certes, la prestation sera plus accessible, mais vous risquez de créer un effet de NDI, car, après la TVA à 5,5 %, les emplois familiaux constituent l'une des niches les plus spectaculaires. Et pour revenir sur la déduction fiscale en faveur des emplois familiaux, là aussi, bonjour les dégâts !

Les niches recèlent bien sûr des réserves, mais chacun doit mesurer les conséquences politiques de telle ou telle décision à cet égard.

Je me tourne en cet instant vers Alain Vasselle puisque la Cour des comptes a envisagé de soumettre les stock-options aux charges sociales. Or celles-ci sont déjà assujetties, à travers l'impôt sur les plus-values, quelque 16 %, et la CSG, près de 10%. Il s'agirait de leur appliquer des taux comparables à ceux qui concernent les revenus salariaux.

J'attire votre attention sur le fait que les stock-options restent un moyen formidable pour fixer des cadres dynamiques et jeunes dans notre pays et pour permettre à des entreprises de les garder bien qu'elles n'aient pas les moyens de les rémunérer. Le développement de l'informatique et des nouvelles technologies a largement fonctionné sur l'anticipation de revenus. D'ailleurs, cela ne coûte rien au contribuable. C'est l'actionnaire qui paie, puisqu'il accepte une dilution du capital. Si vous lui demandez d'augmenter cette dilution, le risque est qu'il aille engager ses gens ailleurs, ce qui ne serait pas une très bonne affaire.

Telles sont les raisons pour laquelle il me paraît nécessaire de revenir sur les niches, à l'exception de quelques niches transversales qui constituent l'équilibre, l'architecture naturelle de l'impôt sur le revenu.

Je conclurai en évoquant l'éthique de responsabilité, que M. Alain Vasselle a formulée de manière explicite : un ministre mais deux budgets. M. Éric Woerth est le ministre unique des comptes, mais il y a bien deux budgets.

Sur ce point, monsieur le président de la commission des finances, je souscris à la démarche de la commission des affaires sociales.

Il est bien évident que certaines politiques sont profondément nationales, je pense notamment à la politique de la famille. La santé doit-elle relever de l'entreprise ? La réponse est sans doute négative. À quel moment doit-on mettre chacun en face de ses responsabilités ?

La retraite est une affaire individuelle.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Tout à fait !

M. Gérard Longuet. L'État a l'obligation de fixer des règles afin que l'imprévoyance naturelle de chacun d'entre nous ne le conduise pas, les vieux jours venant, à se trouver dépourvu. Nous le savons, nous avons tous lu les Fables de La Fontaine.

Notre organisation publique, qui s'appuie sur la solidarité, fonctionne bien. Néanmoins, le nouveau risque social que constitue la dépendance est une affaire d'épargne.

Monsieur le président de la commission des finances, une taxation excessive de la fortune risque en effet de provoquer une fuite des capitaux. Mais, dans notre pays, il faut prendre l'habitude d'épargner pour ses vieux jours.

Je suis gêné, en tant que membre de l'UMP, que l'on présente la dépendance comme le cinquième risque. En fait, il ne s'agit pas d'un risque, c'est une consommation qui peut très bien entrer dans une économie de responsabilité individuelle.

Que l'on fasse appel à la solidarité pour aider ceux qui ne peuvent pas cotiser, nous en sommes tous d'accord. Mais la démarche première doit être de dire à chacun : prenez vos responsabilités.

Permettez à un sénateur qui est sans doute un peu conservateur de dire qu'à côté des responsabilités financières il y a aussi la responsabilité intergénérationnelle organisée dans le cadre de la famille.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Bien sûr, comme pour l'aide sociale !

M. Gérard Longuet. Après tout, si l'on élève des enfants, c'est dans l'idée qu'un jour ils vous aideront à vieillir. Il ne me semble pas choquant de le rappeler et d'en tirer des conséquences en termes d'organisation des prélèvements publics et de fiscalité.

L'article 52 de la loi d'orientation sur la législation financière nous a permis, et je m'en réjouis, madame le ministre, d'ouvrir un débat qui n'est pas épuisé, y compris au sein de la famille UMP. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, depuis plusieurs années intervient avant le début de la discussion budgétaire le débat, devenu rituel, portant sur les prélèvements obligatoires, appuyé par la publication et la diffusion d'un rapport du Gouvernement.

Un tel débat prend un relief tout particulier aujourd'hui, alors que commence à peine une législature que d'aucuns veulent porteuse de réformes essentielles pour notre pays.

Certes, il conviendrait de s'entendre sur le sens que l'on donne au mot « réforme » tant il semble s'agir, à en juger par le peu que nous avons pu constater depuis le printemps, d'un démontage assez manifeste de ce qui constituait depuis la Libération le socle de la société française.

Ce débat sur les prélèvements dits obligatoires prend au demeurant un relief particulier du fait même de nombre des choix retenus et des orientations qui semblent imprimées à la politique que nous voyons se mettre en oeuvre depuis quelques mois.

Le premier élément du débat est le niveau des prélèvements obligatoires, que beaucoup estiment aujourd'hui trop élevé, voire intolérable, puisqu'il atteint et même dépasse le seuil des 44 % du produit intérieur brut marchand.

On pourrait se désoler de cette situation. Pourtant, mes chers collègues, il suffit de remettre ces prélèvements dans une perspective historique pour, entre autres constats, se rendre à l'évidence que, depuis 1982, leur progression n'est que relativement faible, puisqu'ils représentaient à cette date 41 % du PIB.

La hausse somme toute mesurée des prélèvements obligatoires n'est imputable qu'à la progression des prélèvements de caractère social, ceux-ci étant passés dans la même période de 44 % à 50 % du total.

Au-delà de l'augmentation de certaines cotisations spécifiques, le dynamisme des prélèvements sociaux doit beaucoup - faut-il le souligner ?- à l'émergence d'une fiscalité dédiée qui s'inscrit dans le droit-fil de la création de la contribution sociale généralisée, devenue aujourd'hui le principal impôt sur le revenu !

La part des prélèvements perçus au profit des collectivités locales est également relativement dynamique, l'ensemble représentant 13 % de la totalité des prélèvements.

Une telle évolution est pour une part essentielle une incidence de la décentralisation, qui a constitué un puissant accélérateur de la pression fiscale locale.

De fait, tandis que nous fiscalisions toujours plus la sécurité sociale - et ce soir le président de la commission des finances et le rapporteur général nous ont invités à franchir les derniers pas qui nous mèneront à sa fiscalisation globale -, la part de l'ensemble des prélèvements obligatoires allouée à l'État se réduisait au fur et à mesure de l'abandon de ses compétences et de la réduction organisée de son influence sur la vie économique et sociale de la nation.

Cela n'empêche que le besoin de financement de l'État est aujourd'hui plus important qu'il ne l'était en 1982 - ah ! l'heureuse époque où nous goûtions aux délices de l'inflation et d'un niveau de chômage et de précarité bien plus faible qu'aujourd'hui... (Sourires) -, alors même que la part des investissements publics n'a jamais été aussi faible dans les comptes de l'État.

Sur ce point, mes chers collègues, comment ne pas souligner que les déficits budgétaires les plus récents, malgré leur réduction relative, ne sauraient masquer que les crédits de fonctionnement et d'intervention de l'État persistent à connaître un déficit, compte tenu du très faible niveau de dépenses d'équipement public assumées par l'État ?

Au cours de la précédente législature, vous n'avez voté aucune loi de finances initiale, aucun collectif budgétaire, aucune loi de règlement, entérinant un déficit budgétaire inférieur à l'effort d'investissement de l'État. Nous sommes même parvenus, pour 2006, à une situation dans laquelle l'investissement public est passé sous la barre des 4 % de dépenses du budget général !

Nous sommes donc directement confrontés à la question de l'efficacité de notre système de prélèvements, question éminemment liée à celle de la lisibilité et des équilibres, en d'autres termes, de la transparence de ce système.

En vingt-cinq ans, les prélèvements libératoires ont changé de nature du fait de la baisse régulière de la contribution des entreprises, quelle qu'en soit la forme, au financement de l'action publique. Et voilà qu'aujourd'hui on nous enjoint d'aller jusqu'au bout et de libérer les entreprises de toute contrainte !

Qu'il s'agisse de l'impôt sur les sociétés, du financement de la sécurité sociale ou de la taxe professionnelle, les entreprises, au nom d'un encouragement fiscal de la compétitivité, ont été très largement dédouanées de toute obligation. Pour complaire aux attentes du MEDEF, moult mesures ont été prises depuis 1982 qui ont modifié durablement les équilibres de l'époque.

Au demeurant, une bonne part des prélèvements qui existent encore aujourd'hui, notamment le taux normal de la TVA, qui a été majoré, ou maintes taxes sur la consommation, continuent de connaître des taux d'imposition élevés au seul motif qu'il faut bien compenser les moins-values découlant de certains allégements fiscaux et sociaux !

J'ai vu nombre de nos collègues se lamenter devant une taxation prétendument élevée du capital ; je ne les ai jamais vus écrire la moindre ligne pour déplorer que la France ait l'un des taux normaux de TVA les plus élevés - et on nous demande d'aller un peu plus loin !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Au Danemark, avec un gouvernement social-démocrate, le taux normal est à 25 % !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Et depuis 1987 !

M. Guy Fischer. Mais ils semblent revenir sur ce point, et le climat social en Allemagne est en train de se détériorer - légitimement.

Cette évolution fondamentale des équilibres de nos prélèvements obligatoires va de pair avec la multiplication foisonnante des niches fiscales et sociales - et j'apprécie que le rapporteur général nous en trouve de nouvelles chaque année.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Il y en a 650, et elles sont toujours plus nombreuses ! C'est la mauvaise herbe fiscale !

M. Guy Fischer. Oui, c'est le chiffre record, et vous y contribuez !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Mais si on vous laissait faire, vous y contribueriez encore davantage !

M. Guy Fischer. Je sais gré à notre collègue Alain Vasselle de pointer dans son rapport d'information que nombre de revenus échappent, notamment, à toute prise en compte au titre des prélèvements sociaux.

Le véritable pactole que constituent les stock-options, parachutes dorés et indemnités variées dont bénéficie une infime minorité de hauts cadres de l'industrie et des affaires est d'autant plus généreux qu'il déroge aujourd'hui au droit commun de la contribution au financement de la sécurité sociale.

La remarque vaut également pour l'impôt sur le revenu, où la multiplication des prélèvements libératoires, des traitements de faveur accordés aux revenus issus du capital et du patrimoine, fait supporter l'essentiel de l'effort aux couches salariées modestes et moyennes, déjà largement mises à contribution pour les prélèvements sociaux puisque ce sont actuellement ces catégories sociales qui voient leur pouvoir d'achat se dégrader le plus rapidement.

Avant que de s'interroger sur le devenir de nos prélèvements obligatoires, peut-être conviendrait-il de se poser des questions sur la pertinence absolue du droit existant, luxuriante végétation d'exceptions au droit commun dès qu'il s'agit des privilèges de la fortune !

La fiscalité incitative, elle existe déjà, monsieur le rapporteur général, quand les placements en assurance vie sont exonérés de droits de succession ou que les plus-values sont destinées à être, à l'échéance de 2014, totalement exonérées de la moindre imposition !

Le problème, c'est que les cadeaux faits à quelques-uns, quelques ménages fortunés ou quelques grands groupes, sont facturés en retour à la grande majorité, qu'il s'agisse des retraités, des salariés, de nos commerçants et artisans ou de nos PME.

Évidemment, on nous annonce à l'occasion de ce débat la mise en oeuvre d'une révision générale des prélèvements obligatoires, celle-ci, il va de soi, allant de pair, dans l'esprit de ses concepteurs, avec une révision tout aussi générale des politiques publiques.

En juin dernier, au détour d'une soirée électorale, un ministre des finances avait été pris sur le fait : il envisageait d'instaurer une TVA dite « sociale » en lieu et place de prélèvements existants. Le même ministre, aujourd'hui investi d'autres fonctions, semble avoir gardé la même orientation.

Les conclusions du récent Grenelle de l'environnement, quoi qu'on en dise pour le moment, semblent bien vouloir concourir à cette mission délicate. Il s'agirait de teindre de vert les habits passablement défraîchis de la TVA sociale, d'autant qu'une querelle - mais vous en avez largement discuté entre vous, mes chers collègues - semble opposer les élus de la majorité sur cette question. Ainsi, on justifierait par la protection de l'environnement de nouveaux cadeaux fiscaux et sociaux destinés aux entreprises.

On parle de taxe carbone, de taxe sur les voitures polluantes... Et on oublie soigneusement de rappeler que la fiscalité sur les produits pétroliers pourrait d'ores et déjà constituer un moyen de financer objectivement certains choix de développement économique plus respectueux de l'environnement.

Les prélèvements obligatoires n'auraient donc de qualités que lorsqu'ils frappent les salaires et la consommation, celle-ci étant d'ailleurs d'abord et avant tout le fait des salariés !

J'imagine que le Gouvernement relancera après les élections municipales et cantonales le débat sur la TVA sociale et que nous serons amenés à rediscuter cette question. Ce qui est certain, mes chers collègues, c'est qu'il faut concevoir enfin, et de manière définitive, un système de prélèvements obligatoires cohérent, juste et efficace. Nous sommes loin, très loin du compte en ces matières !

Puisqu'il me reste trop peu de temps pour exposer en détail des propositions alternatives, je me contenterai d'évoquer quelques points.

Oui, tous les revenus, quelle que soit leur nature, doivent contribuer de manière équitable au financement de la protection sociale comme de l'action de l'État !

Assez des niches fiscales et sociales et des exemptions qui profitent aux revenus du capital et du patrimoine et qui mettent à mal les principes d'égalité devant l'impôt et de justice fiscale ! Nous sommes prêts à débattre de ce dossier.

Oui, nous devons nous poser la question de la pertinence des compétences respectives de l'État, de la sécurité sociale et des collectivités territoriales dans chacun des domaines d'intervention de la dépense publique !

Les interventions que nous avons entendues, que ce soit celle de M. Gérard Longuet, des rapporteurs ou des présidents des commissions concernées, montrent que le coeur du débat est bien de savoir quelle société nous voulons pour demain. Que ce soit en Allemagne, au Japon ou en Grande-Bretagne, bref, dans tous les grands pays industrialisés, nous assistons à l'institutionnalisation de la précarité, à une véritable explosion de la pauvreté, qui font voler en éclats les solidarités intergénérationnelles : est-ce la société que nous voulons ?

L'action en direction des plus démunis, la solidarité nationale, la couverture du risque dépendance, doivent être pleinement du ressort de la sécurité sociale afin que soit mis un terme à l'enchevêtrement fiscal que nous connaissons aujourd'hui, mais surtout pour que soit assurée la véritable solidarité.

Oui, nous devons revoir l'assiette des prélèvements fiscaux locaux, notamment en matière de taxe professionnelle, pour les rendre plus opératoires et socialement efficaces. Mais j'ai l'impression d'être là vraiment à contre-courant, quand j'entends prôner la suppression, notamment, de la taxe professionnelle.

Ce ne sont là, mes chers collègues, que quelques pistes de réflexion et, au nom de mon groupe, je me devais de vous les proposer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)