Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Les médecins vous entendent, monsieur Cazeau !

M. Bernard Cazeau. Mais ils peuvent m'entendre, madame la ministre ! Ce n'est pas la première fois que je le dis et je l'ai déjà écrit !

Regardez autour de vous, particulièrement chez nos voisins européens - anglais, allemands, danois ou suédois - qui ont su engager les réformes structurelles nécessaires pour retrouver des équilibres sociaux !

Bien des médecins conscients, madame la ministre, y sont prêts ; ils refusent la démagogie de syndicats qui représentent une minorité, qui sont vos conseillers depuis plusieurs années, et dont le but ultime est la liberté totale des honoraires, par là même la destruction complète du système ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. André Lardeux.

M. André Lardeux. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous venons d'entendre un certain nombre de diagnostics pessimistes sur l'état du malade. Cependant, nous attendons encore l'ordonnance ! Quand nous l'aurons, nous pourrons peut-être aborder plus au fond ces questions ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Bernard Cazeau. Ça va venir !

M. André Lardeux. Ça fait dix ans au moins que nous attendons !

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 se présente comme un texte de transition, et je veux en accepter l'augure. En effet, il se caractérise davantage par une continuité que par une rupture. Je souhaite, bien sûr, que celle-ci puisse s'inscrire pleinement dans les projets suivants.

Cependant, un certain nombre de propositions vont dans le bon sens et méritent d'être saluées.

Le premier élément positif concerne les mesures tendant à encourager l'emploi des seniors. Le Sénat n'avait eu, en 2006, que le tort d'avoir raison trop tôt et il est heureux que ce qu'il avait voté à l'unanimité soit repris dans le texte qui nous est soumis.

À cet égard, nous sommes confrontés à des attitudes étonnantes. Un grand nombre de salariés souhaitent partir le plus tôt possible avec une retraite la plus élevée possible, ce qui est bien humain ; toutefois, je m'étonne qu'ils ne se posent pas la question de savoir comment leurs enfants et petits-enfants vont en assumer la charge financière. Mais je suis encore plus surpris quand des décideurs économiques, qui n'ont de cesse de dénoncer, souvent à juste titre, le déséquilibre financier des caisses de retraite, se séparent de leurs salariés les plus anciens dès qu'ils en ont l'occasion, en en faisant supporter le financement à la collectivité.

M. André Lardeux. Le deuxième point positif a trait aux efforts de l'État pour clarifier ses relations financières avec la sécurité sociale et pour régler ses dettes, même si la totalité de l'arriéré n'est pas encore soldée et qu'il reste toujours à résoudre le problème majeur du FFIPSA. L'équilibre de ce dernier passe par un effort collectif dont la profession agricole ne peut s'exonérer. Elle ne peut prétendre à la solidarité nationale que si elle-même accepte un réajustement de ses cotisations.

Un troisième point mérite, à mon sens, d'être encouragé : le système des franchises. C'est une idée intéressante, mais je crains que la façon dont sa mise en oeuvre est envisagée ne soit un peu compliquée. S'il s'agit vraiment de responsabiliser les patients, ces franchises sont d'un niveau bien insuffisant et les mêmes errements reprendront vite leur cours.

De plus, elles ont pour objet de procurer des ressources, de permettre le financement des actions nouvelles, fort louables, mais elles n'auront donc, en conséquence, aucun effet sur l'équilibre des comptes. Et, si ces franchises sont efficaces, les ressources qu'elles apporteront diminueront et le financement de ces actions sera moins aisé.

Une franchise unique aurait peut-être été plus simple. Une franchise globale à faire varier en fonction des résultats des comptes de l'assurance maladie, liée à un bouclier sanitaire, responsabiliserait davantage les acteurs, me semble-t-il, d'autant que les dépenses pour la maladie ne peuvent que croître, eu égard au vieillissement de la population et à l'évolution des techniques médicales, de plus en plus coûteuses. Cependant, il faut tester cette mesure afin de savoir si cela pourrait être l'amorce d'un changement plus profond, à savoir la définition de priorités dans ce qui doit être pris en charge par l'assurance maladie.

Un quatrième point est à mon sens très positif : les mesures de lutte contre les abus et les fraudes dans toutes les branches, quelle que soit leur origine, sans penser pour autant que cela résoudra tous les problèmes financiers.

Le manque de vertu dans ce domaine est très partagé. D'ailleurs, certaines études d'opinion tendraient à montrer que trois Français sur quatre considèrent que tricher avec la sécurité sociale est tout à fait normal. Aussi faut-il sanctionner les entrepreneurs qui se livrent au travail dissimulé mais également certains salariés, peut-être aussi fautifs dans la mesure où ils sont très demandeurs de rémunération non déclarée. Il ne faut pas se voiler la face sur le sujet. Il faut aussi sanctionner les professionnels médicaux et paramédicaux qui trichent. Enfin, les assurés ne sont pas plus vertueux et, là aussi, des sanctions s'imposent.

Les efforts à accomplir pour restaurer l'idée de solidarité collective sont donc considérables, même si, pour autant, il ne faut pas penser y gagner beaucoup d'argent. En tout état de cause, les résultats de la lutte contre la fraude ne peuvent qu'être meilleurs que ceux qui ont été enregistrés ces dernières années.

J'étais prêt à ajouter un cinquième point plutôt positif à l'actif de ce projet de loi de financement s'agissant de la démographie médicale. Mais la démarche dans le bon sens amorcée dans ce texte a disparu dans les sables mouvants du corporatisme à la française.

La démarche qui était initiée n'était peut-être pas suffisante mais elle méritait d'être soutenue. Pour ma part, je ne pense pas que les mesures incitatives soient efficaces. Leur coût est sans rapport avec le bénéfice attendu. Les médecins n'étant que des salariés de l'assurance maladie...

M. François Autain. Et les médecins libéraux !

M. André Lardeux. Vous êtes libéral, monsieur Autain, ce n'est pas le cas de tous les autres !

Les médecins, disais-je, n'étant que des salariés de l'assurance maladie, seules des mesures contraignantes peuvent permettre leur meilleure répartition sur le territoire. Cela s'applique d'ailleurs à d'autres professions médicales ou paramédicales depuis longtemps. Il est donc logique que la sécurité sociale puisse refuser de conventionner un médecin qui s'installe dans une zone où il y a manifestement une surdensité médicale. Aussi, je regrette qu'après avoir fait un pas en avant on en ait fait deux en arrière.

Ainsi, Angers intra-muros continuera d'avoir beaucoup plus de médecins que la Mayenne voisine, pourtant beaucoup plus peuplée.

Dans bien d'autres domaines, beaucoup reste à faire.

Pour ce qui est de la restructuration des dépenses en vue d'améliorer l'équilibre des comptes, je laisse de côté l'assurance vieillesse, dont la réforme doit avoir lieu l'an prochain, en espérant, que, entre-temps, l'indispensable réforme des régimes particuliers ne comportera pas de concessions excessives qui la rendraient inopérante en termes d'équité et de maîtrise des dépenses.

Pour ce qui est de l'assurance maladie, je souhaite que l'ONDAM soit respecté. Le déficit demeure très important, d'autant que certaines recettes ne sont pas renouvelables, comme le prélèvement anticipé des dividendes - ainsi que l'a dit M. le rapporteur tout à l'heure, il s'agit d'un fusil à un coup - et, si certains autres dispositifs peuvent être efficaces, les recettes attendues n'iront pas en augmentant.

Il y a lieu de s'interroger, par ailleurs, sur les exonérations et les nombreuses niches sociales.

Pour ce qui est des exonérations, les effets pervers sont importants dans la mesure où elles constituent parfois une trappe à bas salaire, comme en témoigne l'augmentation du nombre de smicards en France.

Pour ce qui est des stock-options complétant des revenus déjà très élevés, il y a lieu de les moraliser et de faire en sorte qu'elles participent au financement de la protection sociale.

La réforme de la gestion de l'hôpital est, par ailleurs, indispensable tant sur le plan financier qu'en termes de ressources humaines. Si la généralisation de la tarification à l'activité, la T2A, est une excellente chose, il n'en demeure pas moins que le financement des hôpitaux et la gestion de leurs personnels sont toujours des boîtes noires masquant des pertes en ligne importantes.

Pourquoi, par ailleurs, ne pas remettre à plat l'ensemble du dispositif concernant les affections de longue durée, les ALD ? C'est dans notre pays que sa mise en oeuvre est la plus large.

Pourquoi ne pas revoir, pour les actes ou les délivrances de médicaments les plus courants et les moins coûteux, le mécanisme du tiers payant ? Celui-ci est particulièrement pervers et déresponsabilisant, notamment pour tous ceux pour lesquels il n'y a pas de reste à charge.

Pourquoi ne pas revoir le principe de délégation de gestion de l'assurance maladie aux mutuelles de fonctionnaires, notamment ? Cette délégation n'offre probablement pas actuellement les conditions de transparence, d'efficacité et de maîtrise des dépenses nécessaires.

Pourquoi ne pas évoquer aussi le rôle des assurances complémentaires dans le financement de l'assurance maladie ? Elles bénéficient de certains effets engendrés par des mesures mises en oeuvre par la sécurité sociale. De plus, quand on voit certaines d'entre elles faire une large publicité pour le remboursement d'actes de médecines parallèles, telle l'ostéopathie, on est en droit de penser que cette dépense serait plus utile ailleurs.

Pourquoi ne pas redéfinir tout cela dans un « Grenelle de l'assurance maladie », regroupant l'ensemble des acteurs concernés, avec une obligation de résultat dans la répartition des efforts de chacun ?

Enfin se pose la question des taux de cotisations des employeurs publics ; elle a déjà été développée, je n'y reviens pas.

Depuis quinze ans, les dépenses de santé augmentent plus vite que la croissance économique et cela risque de durer encore un moment.

Cela nous amènera probablement à choisir entre deux hypothèses. La première est la modification radicale du périmètre de prise en charge en le concentrant sur les plus gros risques. La seconde est une augmentation inévitable de la CSG en en uniformisant les taux et en l'ajustant chaque année en fonction des résultats. Cela risque d'être nécessaire quand on sait le problème de la dépendance et les engagements qui ont été pris pour y faire face.

Voilà donc de nombreuses pistes et beaucoup de travail pour les années qui viennent. Malgré tout, j'approuve ce projet de loi de financement pour 2008, sous la réserve expresse de l'article 46, dont nous aurons ultérieurement l'occasion de débattre, en vertu des convictions qui sont les miennes. Toutefois, j'espère que les prochains PLFSS pourront mettre un terme à la spirale infernale du report sur les générations futures des déficits de notre protection sociale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Georges Othily.

M. Georges Othily. Monsieur le président, madame, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 prévoit la création d'une participation forfaitaire supplémentaire qui aura pour objet de contribuer au financement de trois chantiers : la recherche contre la maladie d'Alzheimer, les soins palliatifs et le plan cancer. Je me réserve d'intervenir sur l'une de ces principales innovations : la mise en place du plan de lutte contre la maladie d'Alzheimer, retenue comme grande cause nationale par le Président de la République.

Jeudi dernier, la commission présidée par le professeur Ménard a remis au chef de l'État un rapport dans lequel figurent dix objectifs, vingt-huit recommandations et quarante-huit mesures, pour accélérer la recherche et pour une prise en charge digne des malades. Ces recommandations serviront de base à l'élaboration du plan Alzheimer 2008-2012, qui sera mis en place dès le 1er janvier de l'année prochaine.

En effet, l'urgence est incontestable dans notre pays. Les chiffres sont alarmants : 850 000 malades, 225 000 nouveaux cas chaque année, 1,3 million de personnes atteintes en 2020 et 2,1 millions en 2040. Ce fléau est la quatrième cause de mortalité dans notre pays.

Nous ne pouvons décemment laisser l'allongement de la durée de vie s'accompagner de la certitude d'être atteint de cette maladie irréversible. Si la cause de cette maladie reste encore inconnue, de brillants chercheurs - qui font un travail remarquable - ont pu dresser une liste de quelques facteurs aggravants : les personnes ayant du diabète et dont la tension et le taux de cholestérol sont élevés présentent des risques beaucoup plus grands d'être atteintes par la maladie d'Alzheimer en vieillissant.

C'est la raison pour laquelle il est essentiel d'adapter au plus vite notre système de santé à cette maladie, de rendre le diagnostic et la prise en charge plus précoces, tant dans l'hexagone que dans les départements et territoires d'outre-mer, où les cas d'hypertension, de diabète et de cholestérol ne cessent de croître de façon préoccupante. Mais il convient aussi de redéfinir les critères de base de la bonne alimentation pour tous.

Il me faut ici rendre hommage à l'ASGUAL, l'association Guyane Alzheimer, présidée par Mme Marie-Laure Phinera, qui fait un travail remarquable afin d'améliorer le sort de ceux qui sont atteints par cette maladie et de leurs proches.

La commune de Macouria, non loin de Cayenne, grâce à la bienveillance de son maire, a proposé à l'ASGUAL un terrain de deux hectares, dédié à la construction d'un centre d'accueil de jour et d'une unité de vie Alzheimer.

Cet établissement sera composé d'un centre de trente-six lits d'accueil temporaire - trois unités de douze lits -, de quatre lits « long séjour/unité de vie », de deux lits d'urgence et d'une unité d'hébergement de douze logements - dix logements postopératoires et deux logements pour les familles en visite. La surface utile du programme est de 3 400 mètres carrés. Le coût global de l'opération est de 835 000 euros. Il reste à trouver le financement et nous venons ici demander au Gouvernement la participation de l'État. Nous espérons être entendus.

La maladie d'Alzheimer, dont l'évocation fait toujours frémir, est un drame familial et social. Elle brise des milliers de vies - pour ceux qui en sont atteints - et des milliers de familles qui sont confrontées à cet enfermement de l'esprit et qui sont désarmées devant cette terrible maladie pour laquelle, un siècle après sa découverte par Aloïs Alzheimer en 1906, il n'existe malheureusement encore aucun outil de diagnostic ni aucun traitement.

L'une des principales questions qui préoccupe les familles confrontées à cette maladie est celle de la définition d'une ambitieuse politique de prise en charge des patients et de leur famille par des professionnels, spécifiquement formés pour intervenir auprès de ces malades et aider leur entourage proche.

Tout d'abord, s'agissant du diagnostic, moment tragique pour le patient et son entourage, qui voient leur vie s'effondrer en l'espace de quelques secondes et qui ont, plus que jamais, besoin d'aide et d'assistance, il est indispensable que médecins et équipes médicales soient formés à entourer cette annonce de mille précautions.

Car le diagnostic précède un terrible choc. Les questions s'entrechoquent : l'être aimé, l'être chéri est-il toujours présent dans ce corps qui ne me reconnaît pas ? Les gestes d'amour et de tendresse ont-ils toujours le même sens si ce corps que je cajole me perçoit comme un étranger ?

Dans un second temps, lorsque les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer vivent à leur domicile, c'est la famille proche qui prend en charge le malade. L'aidant joue alors un rôle très important car c'est sur lui que repose la qualité de l'environnement dont dépend le bien-être du malade. En effet, celui-ci reste attaché aux choses qui l'ont rendu heureux et l'ont satisfait toute sa vie. Il a besoin de rester en contact avec sa famille et ses amis, de se sentir bien, en sécurité, de se repérer.

Or ces personnes doivent faire face à des situations difficiles. Elles sont confrontées au désapprentissage, à l'isolement, à un sentiment de « mort sans mort ». Prendre soin d'une personne atteinte de la maladie d'Alzheimer est un travail exigeant, qui demande beaucoup de temps, d'énergie morale et physique. Cette activité ne s'exerce pas sans de profondes modifications dans la vie quotidienne, pour l'équilibre familial et les relations avec le malade ; elle risque d'engendrer un épuisement physique et psychologique ou d'avoir des répercussions sur l'état de santé de l'aidant. Enfin, l'accompagnement des malades et de leur famille est essentiel lors de l'entrée en institution, lorsque le maintien à domicile n'est plus possible. Cette décision est en effet difficile et très douloureuse.

Dès à présent, il est essentiel que les professionnels soient bien formés pour agir dans l'intérêt des patients et de leur famille afin de préserver leur dignité. Les progrès de la recherche ouvrent de nouvelles perspectives quant à l'accompagnement thérapeutique et social des malades. Aussi me paraît-il important de réfléchir également aux différents métiers qui devront se développer pour redonner aux malades toute leur dignité et leur place à nos côtés : soignants à domicile, rééducateurs de la mémoire, accompagnateurs du quotidien. Ces nouveaux métiers devront être solidement encadrés par une éthique nouvelle. Comment préserver le libre arbitre d'un patient sans le remodeler ? Comment rééduquer la mémoire tout en préservant l'intimité de l'entourage ?

Madame le ministre, monsieur le ministre, les franchises médicales que vous proposez d'instaurer à l'article 35 et qui serviront à financer les soins palliatifs, la lutte contre la maladie d'Alzheimer et le cancer devraient rapporter 850 millions d'euros. Malheureusement, cette somme ne suffira pas pour engager une véritable action. Vous proposez de créer, à partir de 2007 et en 2008, 6 000 places nouvelles par an en services de soins infirmiers à domicile ainsi que des places nouvelles en accueil de jour et en hébergement temporaire, pour faciliter la tâche des aidants familiaux.

Vous envisagez également de financer 7 500 places nouvelles en maisons de retraite. Si toutes ces mesures sont louables, je ne peux que vous alerter sur leur insuffisance. Par ailleurs, je souhaiterais savoir combien de places seront attribuées à l'outre-mer.

Il n'est plus possible de rattraper notre retard mais il est nécessaire d'anticiper l'accompagnement de cette maladie. Le combat que nous devons mener ne fait que commencer. Cette terrible maladie va toucher de plus en plus de familles et des personnes de plus en plus jeunes. Aussi, je forme le voeu que la mise en oeuvre de ce plan apporte des réponses aux enjeux que ce fléau majeur représente pour notre société française et, encore plus, pour notre société d'outre-mer.

Nous avons raison d'espérer, c'est même un devoir. Je serai à vos côtés. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, madame, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 souffre des mêmes défauts que ceux des années précédentes : les hypothèses de construction reposent sur des projections que le rapporteur Alain Vasselle lui-même qualifie pudiquement d'« éminemment volontariste ».

La Cour des comptes, quant à elle, placée face au scénario dit « bas » affirme que la dégradation sensible de la situation en 2007 « est de nature à invalider » ledit scénario. Dans de telles circonstances, l'existence d'un scénario dit « haut » ne vaut même pas la peine d'être envisagée !

En termes moins galants, je dirai que les hypothèses sur lesquelles s'appuie le Gouvernement pour ses prévisions de 2008 sont, une fois de plus, irréalistes et seront, une fois encore, démenties par les faits. Chaque année, la gauche vient à cette tribune dénoncer cette manière de travailler, chaque année nous nous faisons huer et chaque année le bilan de l'exercice précédent et de l'exercice en cours nous donne raison. Une fois de plus, une fois encore, une fois de trop, l'examen des équilibres généraux démontre, par les chiffres, ce que nos discours antérieurs annonçaient.

L'année 2007 est, à ce titre, emblématique. Le déficit du régime général devrait s'établir à 11,7 milliards d'euros. Or les parlementaires de la majorité avaient voté en 2006 des prévisions largement inférieures, à savoir un déficit de 8 milliards d'euros.

Ce résultat est d'autant plus choquant que la manipulation des chiffres avait été poussée à l'extrême : au mois de mars 2007, en pleine campagne pour l'élection présidentielle, ceci expliquant sans doute cela, un communiqué triomphant de Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, et de Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, annonçait « un redressement plus rapide que prévu » de l'ensemble des comptes sociaux. Cette annonce était démentie à peine deux mois plus tard par la réalité.

M. Xavier Bertrand, ministre. Soyez plus précise !

Mme Raymonde Le Texier. C'est ainsi que, le 29 mai 2007, le comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie tirait la sonnette d'alarme face à l'évolution des dépenses de santé, vous obligeant à annoncer immédiatement un plan de redressement aussi improvisé qu'insuffisant.

Insincérité des prévisions, irréalisme des hypothèses économiques, astuces comptables et évaluations douteuses : voilà les projets de loi de financement de la sécurité sociale que vous demandez au Parlement de voter à chaque exercice budgétaire.

Mais, cette année plus qu'une autre, la pilule doit être amère pour les sénateurs de la majorité. En effet, 2007 traduit en chiffres l'échec des deux réformes phares de la précédente législature : celle de François Fillon sur les retraites et celle de Philippe Douste-Blazy sur l'assurance maladie.

Or, dans cet hémicycle, ceux-là même qui ont applaudi en 2004 l'annonce du retour à l'équilibre des comptes pour 2007, ceux-là même qui ont moqué les critiques et les doutes de la gauche face aux rodomontades des ministres de l'époque, ceux-là même qui ont soutenu une réforme de l'assurance maladie que l'on savait injuste et qui s'est révélée de surcroît inefficace, sont aujourd'hui présents pour ratifier un déficit de 11,7 milliards d'euros, dont 6,2 milliards incombent à l'assurance maladie, un déficit dont ils savent en outre qu'il aurait pu atteindre des sommets sans le chèque de 5,1 milliards d'euros adressé par l'État à l'ACOSS au début du mois d'octobre.

Pis, le Gouvernement leur demande de valider, dans l'article 8 de ce projet de loi, des hypothèses prévoyant, sur des bases aussi infondées qu'incertaines, un retour à l'équilibre en 2012. La couleuvre était déjà difficile à avaler, elle devient carrément impossible à digérer.

Mais ce n'est pas fini ! À la fin de 2006, la dette sociale transférée à la CADES s'élève à 107,7 milliards d'euros, dont 72,9 milliards restent à amortir. Selon les calculs les plus optimistes, cet amortissement est censé intervenir aux environs de 2024. Non seulement nous faisons déjà payer à nos enfants des charges que nous ne sommes pas capables d'assumer, mais la question se pose de manière lancinante en 2007 : qu'allons-nous faire des déficits constatés en 2007, prévus en 2008 et prévisibles pour les années qui suivent ?

En effet, l'année 2007 étant censée voir le retour à l'équilibre de l'assurance maladie, vous n'avez rien prévu pour faire face au déficit constaté. Il est vrai que de nouvelles prises en charge de passifs supposent une augmentation de la contribution au remboursement de la dette sociale, la CRDS, affectée à la CADES, décision difficile à assumer alors que vous avez les yeux rivés sur les élections municipales de 2008. Comment pourrons-nous voter, dans ces conditions, un projet de loi de financement pour 2008 qui fait une impasse aussi indécente sur la question du règlement des déficits constatés ?

Ajoutons que demander au Parlement d'augmenter le plafond des découverts autorisés pour l'ACOSS à 35 milliards d'euros revient à transformer une facilité de caisse en dette dissimulée. Votre silence sur ce point est inadmissible ! La situation actuelle prive les Français de nombreux droits par l'avalanche des mesures de coercition qui leur sont destinées, tout en enlevant, d'ores et déjà, aux générations futures des parts de la richesse qu'elles auront créée pour payer leur propre protection sociale.

Amoncellement des déficits, explosion de la dette sociale et multiplication des découverts, les fées qui se sont penchées sur le projet loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 sont toutes des Carabosse, les objectifs affichés en témoignent !

Pour 2008, le déficit du régime général est estimé à 8,9 milliards d'euros. Deux branches restent déficitaires : la maladie avec 4,3 milliards d'euros et la vieillesse avec 5,1 milliards d'euros.

Si l'amélioration des comptes résulte, une nouvelle fois, d'hypothèses économiques aussi fantaisistes que par le passé, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 nous fournira l'occasion d'effectuer les ajustements nécessaires. Nous nous trouverons en terrain connu !

En termes de recettes, l'apport le plus important est dû à la catégorie phare du mode de gestion du Gouvernement : la mesure « à un coup », selon la charmante expression de notre collègue Vasselle déjà citée. Cette année, il s'agit du prélèvement à la source des charges sociales et fiscales sur les dividendes : cette avance devrait rapporter 1,3 milliard d'euros de recettes exceptionnelles.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 est un budget d'attente et de rigueur. Comme d'habitude, elle prend en ligne de mire les assurés sociaux, réduit les prises en charge et évite de réfléchir aux nécessaires réformes de structure. Elle met en place une politique d'austérité, juste après le vote des cadeaux fiscaux de cet été. Les avantages accordés à quelques-uns télescopent les injustices infligées à d'autres, à savoir la création des franchises médicales.

Qui plus est, alors que la Cour des comptes avait évalué aux environs de 3 milliards d'euros les recettes attendues d'une taxation des stocks-options, le Gouvernement réduit la portée de la mesure en taxant si légèrement ce mode de rémunération qu'il en retire à peine 400 millions d'euros. En ce qui concerne l'assurance maladie, les assurés sociaux qui subissent déremboursements et augmentation des forfaits aimeraient sans doute bénéficier des mêmes égards.

En effet, l'assurance maladie est particulièrement visée par ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, dont une des mesures les plus choquantes consiste à faire payer des franchises médicales aux malades. Cette mesure, aussi injuste que brutale, rompt avec un principe fondateur de notre protection sociale, selon lequel les bien-portants paient pour les malades. L'instauration d'une telle taxe sur la maladie, au nom de la responsabilisation du patient, revient à rendre le malade responsable de sa maladie, comme si celle-ci était un choix.

Qui plus est les sommes en jeu ne sont pas dérisoires : en additionnant les nouvelles franchises à celles qui existent déjà, le plafond atteint très vite 100 euros par personne et par an. Cette somme ne peut que creuser les inégalités d'accès aux soins. Aujourd'hui, 13 % des Français et un quart des jeunes de moins de 25 ans disent se priver de soins par manque d'argent. Qu'en sera-t-il demain ?

La volonté de faire baisser le déficit de l'assurance maladie de 6,2 milliards à 4,3 milliards d'euros n'est pas contestable dans son objet. En revanche, elle l'est dans la méthode.

Le déficit de la branche est lié principalement au dépassement de l'ONDAM. En 2007, ce dépassement atteignait 3 milliards d'euros et était essentiellement dû à l'explosion des soins de ville. Les médicaments sont le poste qui augmente le plus en ce domaine, mais il n'est pire solution que de tomber, une fois encore, sur le dos des malades. D'abord, parce qu'ils ne sont pas prescripteurs. Ce rôle est l'apanage des médecins. Or, si les contrôles et la lutte contre la fraude sont toujours invoqués à l'encontre des assurés, le corps médical est, quant à lui, protégé autant des contrôles que des poursuites.

En matière de responsabilisation, quelques principes pourraient être utiles à rappeler. L'économie de la santé est en grande partie socialisée : la rémunération des médecins repose sur les prises en charge accordées par la sécurité sociale et les mutuelles complémentaires. Face aux difficultés de notre système, les acteurs de santé ne peuvent se dédouaner de toute responsabilité ni de toute obligation. Force est de constater que, s'il est question chaque année de nouvelles revalorisations des honoraires du corps médical, dont un certain nombre sont déjà intervenues, celles-ci ne se sont jamais traduites par des contreparties notables en termes d'amélioration de la prise en charge ou de maîtrise des dépenses.

Alors que le Gouvernement a la main lourde dès qu'il s'agit de taxer les malades, la question des dépassements d'honoraires des médecins est taboue. Pourtant, l'inspection générale des affaires sociales, l'IGAS, qui a évalué à 2 milliards d'euros ce montant chez les spécialistes, assimile cet état de fait « à un recul de la solidarité nationale ». La Cour des comptes note d'ailleurs que ni la CNAMTS, ni le conseil de l'ordre ne sanctionnent ces pratiques.

Or ce système nuit à toute réforme par son caractère inflationniste : à quoi bon s'impliquer dans des programmes contraignants visant à récompenser financièrement les médecins qui s'investissent dans la qualité de leur pratique alors que d'autres n'ont pas d'effort à faire pour auto-augmenter leurs rémunérations ? Cela alimente également les discriminations territoriales, poussant nombre de médecins à s'installer dans des zones riches, là où les gens pourront payer.

D'ailleurs, la question de la démographie médicale est l'un des points noirs de ce PLFSS. La France souffre d'une répartition trop inégale des médecins, et les déserts médicaux se développent. Sur notre territoire, le Sud est mieux doté que le Nord, les villes que les campagnes, les centres-villes que les banlieues.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Pas plus qu'avant !

Mme Raymonde Le Texier. En outre, d'autres inégalités s'y ajoutent : la proportion de médecins généralistes dans la population médicale est insuffisante et le secteur 2, au sein duquel se pratiquent les honoraires libres, dispose dans certaines spécialités d'un monopole de fait sur une part importante du territoire.

Or, comme on a pu le constater, il existe aujourd'hui une tension entre l'exaltation corporatiste de la liberté d'installation et la défense de l'intérêt général. Il est temps de rappeler que, contrairement à la liberté d'installation, le droit à la santé, lui, figure dans la Constitution. Entre le principe de la liberté d'installation et celui de l'égal accès aux soins, il n'y a pas égalité, et limiter le droit d'installation dans les zones à forte densité, comme cela a été fait pour les infirmières, est une option dont on aurait tort de se priver.

Pour autant, en renonçant à toute politique d'aménagement du territoire, le Gouvernement a encouragé cet état de fait. On peut comprendre que les médecins n'aient guère envie d'aller là où les services publics ont déserté, là où ferment les écoles, les bureaux de poste, les caisses d'allocations familiales, les services des impôts, les tribunaux et les hôpitaux de proximité.

Enfin, les mesures incitatives à développer concernent moins les modes de rémunération que les conditions d'exercice de la médecine. En développant le travail en réseau, en soutenant et en accompagnant la création et le développement des centres de soins et des maisons de santé, on apporte une réponse aux revendications des jeunes médecins.

Les assurés sociaux ont trop longtemps été les variables d'ajustement de notre système de soins. Il est temps que tous les acteurs prennent leur juste part de responsabilités.

Par ailleurs, bien que le médicament représente un tiers des dépenses de soins de ville, la politique du médicament ne tient qu'une place dérisoire dans ce plan de financement pour 2008.

Pourtant, quand on parle du médicament, on ne peut éviter de poser la question de l'explosion des bénéfices des laboratoires pharmaceutiques. Aujourd'hui, cette industrie prouve que la santé n'est pas uniquement source de déficits, mais alimente une croissance aussi exponentielle qu'ininterrompue, à tel point que les bénéfices de l'industrie pharmaceutique sont supérieurs à ceux du secteur pétrolier ou de la banque.

M. François Autain. Pas cette année, en ce qui concerne le secteur pétrolier !

Mme Raymonde Le Texier. Toutefois, les doutes sur la réalité du service médical rendu des nouveaux médicaments sont importants. Selon la Haute autorité de santé, de 80 % à 85 % des nouveaux médicaments mis sur le marché n'apportent aucune innovation significative. Or une part importante de la recherche que revendiquent les laboratoires est consacrée à l'élaboration de ce type de produits et vise uniquement à leur assurer des bénéfices colossaux aux dépens de la sécurité sociale.

En effet, les décisions d'admission au remboursement des médicaments, outre qu'elles sont notoirement insuffisamment sélectives selon le rapport de la Cour des comptes, conduisent à accorder le taux de remboursement le plus élevé à la quasi-totalité des médicaments ayant obtenu une autorisation de mise sur le marché, quand bien même leur utilité reste marginale.

Il ne reste plus alors, pour les laboratoires, qu'à convaincre les prescripteurs, une tâche facilitée, en France, par le fait que la formation initiale en pharmacologie des médecins présente de graves insuffisances et, surtout, que la formation continue est principalement financée et assurée par les laboratoires.