M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oh !

M. Robert Bret. D'ailleurs, cela ne correspond pas véritablement, me semble-t-il, à ce à quoi vous nous avez habitués ! Le devoir de la commission des lois est de mener un travail législatif sérieux et responsable. C'est ce que nous demandons.

Le choix de la ratification par la voie parlementaire est un choix éminemment politique, qui exprime un manque de courage. Vous ne voulez pas soumettre la question directement au peuple. Le traité a été conçu pour éviter des référendums, mais, surtout, pour ne pas avoir à expliquer son contenu. Le refus d'organiser un référendum correspond à la volonté de soustraire ce texte au débat public.

Pourtant, à la lecture de la Constitution française, on aurait pensé que le recours au référendum allait de soi pour une telle question.

En effet, si, selon l'article 53 de la Constitution, la procédure normale de ratification d'un traité relève du Parlement, aux termes de l'article 11, le Président de la République peut demander l'accord du suffrage universel s'agissant de la ratification d'« un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ». C'était le cas pour le traité constitutionnel européen. C'est évidemment le cas pour le traité de Lisbonne, puisque ce dernier reprend les principales dispositions novatrices prévues par le traité constitutionnel de 2004.

On aurait donc pu légitimement s'attendre à l'organisation d'un référendum pour ratifier le traité de Lisbonne. Subtiliser ce traité au débat citoyen ne va certainement pas dans le sens d'une réappropriation du projet européen par le peuple. C'est très inquiétant, surtout lorsque l'on sait que la construction européenne souffre d'un déficit démocratique originel.

Chacun doit bien comprendre que l'utilisation de la démocratie représentative pour échapper à l'expression directe du peuple dénature le rôle du Parlement, qui se trouve ainsi, une nouvelle fois, instrumentalisé par l'exécutif.

Pourtant, pour se revendiquer de la démocratie, il faut que le peuple soit susceptible d'avoir le dernier mot.

Il va sans dire que les mandataires n'ont pas le droit moral de violer la volonté directement et clairement exprimée par les mandants. Le Conseil constitutionnel lui-même, en se déclarant incompétent pour contrôler les lois référendaires, qui sont l'expression directe de la souveraineté nationale, reconnaît que la loi référendaire est d'une essence supérieure à la loi parlementaire (M. le président de la commission des lois exprime son étonnement) et que l'on ne peut pas les mettre sur le même plan.

D'ailleurs, à quoi servirait-il logiquement de soumettre un projet de loi au peuple si le Parlement pouvait aussitôt ignorer et piétiner la volonté populaire ?

Dans ces conditions, que l'on soit favorable ou défavorable au traité, peut-on passer outre la décision du peuple du mois de mai 2005 en l'annulant par un vote du Parlement ? Pour reprendre l'expression de Didier Maus, président de l'Association française de droit constitutionnel, le Parlement peut-il « désavouer le peuple » ?

L'organisation d'un nouveau référendum est une exigence démocratique majeure pour notre pays. À partir du moment où le traité de Lisbonne n'est pas substantiellement différent du traité établissant une constitution pour l'Europe, passer outre la volonté des électeurs aurait de dramatiques conséquences que votre gouvernement ne semble pas mesurer.

D'une part, si le traité est ratifié sans les peuples, à l'avenir, il risque d'y avoir un accroissement de la défiance des électeurs à l'égard de leur système politique et constitutionnel.

D'autre part, cela amplifiera le fossé béant qui existe entre les spécialistes et les peuples. La construction européenne renoncera pour de bon à toute légitimité démocratique.

L'enjeu est donc d'importance ! Au regard des nouveaux éléments que nous avons apportés dans le débat, nous demandons le renvoi en commission.

La surdité est mauvaise conseillère en politique. Monsieur le président de la commission des lois, nous estimons que le Sénat peut encore se ressaisir. Le débat peut repartir sur des bases saines, mais il faut pour cela abandonner l'a priori...

M. Robert Bret. ... selon lequel le traité doit être ratifié coûte que coûte, fût-ce au détriment de l'idéal républicain ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur quelques travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Les deux motions précédentes ont remporté un grand succès d'estime.

M. Jean Desessard. C'est pour cela qu'il faut un référendum !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui ! Puisque vous êtes si sûrs de vous, pourquoi avez-vous peur du référendum ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n'est pas la question !

Monsieur Bret, vous avez déposé une motion tendant au renvoi en commission. Fort bien ! Simplement, je vous rappelle que nous avons auditionné des experts, des professeurs d'université et des ministres, et que nous avons eu un débat extrêmement fourni en commission. Nous avons retenu tous les arguments. Le travail a été effectué.

Ce matin même, nous nous sommes de nouveau réunis pour examiner des amendements, dont les auteurs étaient d'ailleurs absents... (Sourires sur les travées de l'UMP.) Je n'y suis pour rien !

En fait, comme à l'accoutumée, nous avons fait notre travail. Je ne vois pas pourquoi il y aurait lieu de renvoyer l'examen du projet de loi constitutionnelle en commission. Cela serait strictement inutile, puisque nous n'avons rien à apporter de plus.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Tout à fait !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pour ma part, je trouve paradoxale l'attitude de certains collègues qui souhaitent un référendum sur le traité de Lisbonne.

Que je sache, pour que le traité puisse éventuellement être soumis à référendum, il faut d'abord que l'on ait procédé à la révision constitutionnelle. (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP.) Or, en vous opposant à cette révision constitutionnelle, vous l'empêchez ! (M. Jean-Luc Mélenchon s'exclame.)

Quel serait le sens d'un rejet du projet de loi constitutionnelle ? Cela signifierait que la France, malgré ses engagements, ne respecterait pas sa signature et ne soumettrait pas le traité au Parlement...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Si, monsieur Mélenchon ! Je suis désolé. Il faut resituer les éléments dans leur contexte et faire preuve d'une certaine cohérence.

Par ailleurs, s'agissant des arguments que vous avez avancés, monsieur Bret, nous n'avons pas vérifié les conclusions du Conseil constitutionnel, mais je vous renvoie à l'article 53 de la Constitution : quand un traité est contraire à la Constitution, il faut d'abord modifier la loi fondamentale.

En réalité, mesdames, messieurs les sénateurs socialistes et communistes, vos arguments sur le traité ne sont qu'un écran de fumée, parce que vous êtes divisés et incapables de parvenir à une position commune sur ce sujet difficile.

M. Charles Gautier. Nous ne sommes pas les seuls !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il faut avancer et reconstruire ce qui a été arrêté à un moment donné.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oui, mais le reconstruire autrement !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. En quelque sorte, votre argumentation, c'est le chien qui se mord la queue ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

Bien entendu, la commission émet un avis défavorable sur la motion tendant au renvoi en commission.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous n'avez pas répondu à la question : comment le Parlement peut-il remettre en cause l'avis du peuple ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Mais nous ne remettons pas en cause l'avis du peuple !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais si ! (Brouhaha.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet un avis défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 20, tendant au renvoi à la commission.

Je suis saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 74 :

Nombre de votants 241
Nombre de suffrages exprimés 240
Majorité absolue des suffrages exprimés 121
Pour l'adoption 34
Contre 206

Le Sénat n'a pas adopté.

En conséquence, nous allons passer à la discussion des articles.

Organisation de la suite de la discussion

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la présidente, pourrions-nous avoir une idée de l'heure à laquelle nous lèverons cette séance ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela dépend de vous !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En effet, si j'en crois la dernière conférence des présidents, nous devions poursuivre la discussion sur le projet de loi constitutionnelle demain à partir de quinze heures.

Or je vois que vous avez décidé de prolonger cette séance. J'ignore qui est à l'origine de ce fait, mais il y a bien une modification de l'ordre du jour.

Par conséquent, je souhaiterais en connaître les raisons et savoir jusqu'à quelle heure nous allons siéger.

M. Michel Charasse. Le président de la commission des lois veut se venger ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois La conférence des présidents avait prévu, éventuellement, la suite du débat demain, à quinze heures.

M. Michel Charasse. Ce n'est pas écrit « éventuellement » !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous considérons que, compte tenu de ce qui reste en débat, nous pouvons continuer et terminer l'examen du texte ce soir ; c'est déjà arrivé.

M. Michel Charasse. Il faut consulter le Sénat !

Mme la présidente. Qu'en pense le Gouvernement ?

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Il est à la disposition de la Haute Assemblée : si vous voulez poursuivre le débat, nous le poursuivons.

Mme la présidente. Je consulte le Sénat.

(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, décide de poursuivre la discussion.)

Mme la présidente. Nous passons donc à la discussion des articles.

Demande de renvoi à la commission
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution
Article 1er

Article additionnel avant l'article 1er

Mme la présidente. L'amendement n° 5 rectifié bis, présenté par MM. Marc, Bel, Auban et Courteau, Mmes Y. Boyer, Bricq et Campion, MM. C. Gautier et Gillot, Mmes Herviaux et Jarraud-Vergnolle, MM. Josselin, Journet, Le Pensec, Lise, Miquel, Muller, Pastor, Piras et Ries, Mme Schillinger, MM. Sueur et Sutour, Mme Voynet, MM. Cazeau et S. Larcher et Mme Alquier, est ainsi libellé :

 Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 53-2 de la Constitution, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. ... - Dans le respect du premier alinéa de l'article 2, la République française peut ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l'Europe. »

La parole est à M. François Marc.

M. François Marc. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme vous le savez, de nombreuses langues minoritaires régionales sont aujourd'hui en péril dans notre pays. Nous constatons malheureusement une baisse considérable du nombre de locuteurs de ces langues, que ce soit l'occitan, le basque, le breton, l'alsacien et bien d'autres.

Il s'agit d'un problème très important, mes chers collègues. D'ailleurs, le 2 février 2003, le Président de la République de l'époque, Jacques Chirac, avait évoqué l'importance d'une mobilisation pour enrayer la disparition des langues dans le monde, lors des Rencontres internationales des organisations professionnelles de la culture.

D'après les chiffres qui avaient été évoqués, la moitié des langues auraient disparu dans un demi-siècle, ce qui était jugé comme une perte incommensurable. Face à la montée en puissance de la langue anglaise, en Asie et partout dans le monde, d'ici à quelques décennies, j'imagine que c'est sur le sort du français que nous devrons nous pencher.

C'est au regard de ce constat qu'un certain nombre d'entre nous ont manifesté, depuis quelques années, la volonté de préserver ce patrimoine. Si nous voulons consolider les dispositifs éducatifs de transmission et donner un signe de la détermination de la puissance publique en ce sens, la signature de la Charte européenne des langues régionales peut se révéler particulièrement probante et incitative.

C'est dans cet esprit que cet amendement a été proposé. La référence que nous devons avoir à l'esprit, c'est la signature par la France, en mai 1999, des articles de cette charte déclarés conformes à la Constitution, comme le gouvernement Jospin l'avait, à l'époque, proposé.

Nous pensons qu'une mise à jour de la Constitution permettrait aujourd'hui de remédier à cet état de fait et constituerait une bonne solution.

L'amendement que nous défendons vise donc à compléter l'article 53 de la Constitution par les mots : « Dans le respect du premier alinéa de l'article 2, la République française peut ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l'Europe ».

Il ne s'agit pas d'une remise en cause de notre langue nationale, cela va de soi. Cet amendement ne peut en aucun cas constituer une menace pour la langue française. Nous avons d'ailleurs souhaité que soit réaffirmé, au travers de cet amendement, notre attachement à l'unité de la République et à la suprématie du français, garant de la cohésion nationale.

Je tiens également à rappeler que, au moment de la signature de la Charte, d'autres précautions avaient été prises dans ce sens par Lionel Jospin, alors Premier ministre, au nom de notre pays. La déclaration de la France précisait ainsi que la Charte serait ratifiée « dans la mesure où elle ne vise pas à la reconnaissance et à la protection de minorités, mais à promouvoir le patrimoine linguistique européen, et que l'emploi du terme de ?groupes? de locuteurs ne confère pas de droits collectifs pour les locuteurs des langues régionales ou minoritaires ».

Mes chers collègues, ce qui est en jeu aujourd'hui, c'est la reconnaissance officielle de notre diversité culturelle et linguistique. Cette question est traitée à l'échelle de l'Europe de manière régulière depuis une quinzaine d'années, et les avancées pour la reconnaissance de la pluralité culturelle au sein des États européens sont avant tout vécues comme des avancées démocratiques. Pourquoi cela ne serait-il pas le cas en France ?

M. Jean-Luc Mélenchon. Parce que c'est nous !

M. François Marc. La démarche qui est la nôtre depuis maintenant six ans est légitimée par le péril constaté, et il importe que des garanties puissent être apportées par la signature de cette charte. C'est la raison pour laquelle, depuis six ans, à chacune des modifications constitutionnelles, nous avons proposé que la France s'engage dans cette voie.

À chaque fois, on nous a répondu que ce n'était pas le moment, qu'il ne fallait pas inscrire cette disposition dans le texte, que le Gouvernement allait prendre des initiatives. Rien n'ayant été fait depuis, nous renouvelons notre démarche.

À notre sens, la reconnaissance de ces héritages culturels et linguistiques doit s'accompagner de la réfutation de toute forme de communautarisme. Je pense, d'ailleurs, que cette reconnaissance a vocation à constituer un véritable rempart contre toute dérive de cette sorte. Celle-ci intervient, en effet, comme un remède à l'humiliation qui est encore très fortement ressentie par certains et qui pourrait favoriser un repli communautaire contre lequel nous luttons.

Il est donc temps que le Parlement puisse enfin traiter sereinement de cette question et reconnaisse l'existence de véritables droits culturels. À travers l'amendement que nous défendons, il peut le faire dans le respect des principes républicains fondamentaux et de notre unité nationale.

M. Charles Josselin. Très bien !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il fallait le dire en breton !

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Cet amendement n'est pas une nouveauté pour nous, puisqu'il est déposé à l'occasion de chaque révision constitutionnelle. À chaque fois, nous sommes obligés d'utiliser les mêmes arguments pour dire que nous ne pouvons pas, en l'état actuel, ratifier la proposition qui nous est faite.

En effet, dans sa décision du 15 juin 1999 sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l'Europe, le Conseil constitutionnel a conclu à l'incompatibilité de la Charte avec la Constitution, tout en indiquant qu'aucun des trente-neuf engagements que la France avait prévu de souscrire n'était contraire à notre texte fondamental.

Cette décision n'empêche donc pas de reconnaître aux langues régionales leur place dans le patrimoine culturel national, dans le cadre des principes constitutionnels. Ainsi, un peu plus de 250 000 élèves de l'enseignement secondaire suivent-ils actuellement des cours de langues régionales. Par ailleurs, une place accrue a été faite à ces langues dans l'enseignement supérieur comme dans le service public de l'audiovisuel.

En revanche, la ratification de la Charte remettrait en cause certains principes fondamentaux. Le Conseil constitutionnel a ainsi relevé : d'une part, qu'en conférant des droits spécifiques à des «groupes de locuteurs de langues régionales ou minoritaires », à l'intérieur de « territoires » dans lesquels ces langues sont pratiquées, la Charte portait atteinte aux principes constitutionnels d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français ;...

M. Patrice Gélard, rapporteur. ...d'autre part, que ses dispositions étaient également contraires au premier alinéa de l'article 2 de la Constitution, dans la mesure où elles tendaient à reconnaître un droit à pratiquer une langue autre que le français, non seulement dans la vie privée, mais également dans la vie publique, à laquelle la Charte rattache la justice et les autorités administratives ainsi que les services publics.

Un tel choix mérite, par conséquent, un examen plus important. Le projet de loi a uniquement pour objet de permettre la ratification du traité de Lisbonne. N'ouvrons pas ici un débat qui doit être approfondi. Nous pourrons peut-être revoir cette question lorsque nous étudierons la révision constitutionnelle globale, au printemps prochain.

En attendant, la commission émet donc un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Cet amendement a pour objet d'autoriser la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, qui a été signée le 7 mai 1999. Or, tel n'est pas l'objet de la révision constitutionnelle ni celui du texte que nous vous présentons aujourd'hui, qui est de permettre de relancer l'Europe.

Le Gouvernement n'entend pas, pour l'instant, rouvrir le débat sur les langues régionales. Nous aurons l'occasion d'examiner à nouveau cette question lors de la révision constitutionnelle qui suivra les travaux du comité présidé par Édouard Balladur. Le Premier ministre s'y est d'ailleurs engagé à l'occasion de la présentation du même amendement à l'Assemblée nationale.

Je veux néanmoins dire que notre droit ne fait pas obstacle à la reconnaissance des langues régionales, puisque l'État prend en charge l'enseignement de ces langues au sein des établissements scolaires, notamment, et dans l'enseignement supérieur. Aller au-delà, ce serait reconnaître un droit à l'utilisation d'une langue régionale pour accomplir des actes administratifs, pour se défendre devant une juridiction, ce qui poserait de vraies questions.

Vous savez que ce sujet n'est pas consensuel et il ne doit pas compromettre la relance de l'Europe. C'est pourquoi, en contrepartie du débat que nous aurons au moment de la révision constitutionnelle, je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement. À défaut, le Gouvernement émettra un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau, pour explication de vote.

M. Roland Courteau. Madame la présidente, François Marc a eu raison d'insister : on ne cesse de nous dire que ce n'est pas le moment, que nous en discuterons plus tard... Bref, ce n'est jamais le moment d'adopter des dispositions qui permettraient enfin à la République française de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l'Europe !

Aujourd'hui, l'occasion nous est donnée d'avancer enfin et de lever l'obstacle constitutionnel ; je vous demande de la saisir. Je rappelle que le Président de la République nous a invités à nous enrichir de notre diversité, à la reconnaître et à la favoriser. Les langues régionales sont, convenons-en, l'un des éléments de cette diversité. N'oublions pas qu'elles font partie de notre culture, de notre histoire, de notre patrimoine et que, faute de reconnaissance officielle, elles sont peu à peu menacées.

Alors, madame la présidente, en cette année proclamée par l'ONU « année internationale des langues », il serait bon que nous tous, ici, mettions enfin en accord les discours et les actes.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.

M. Michel Charasse. Madame le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je crois qu'autour de cette affaire des langues, il y a un très gros malentendu.

M. Charles Gautier. C'est possible ! (Sourires.)

M. Michel Charasse. Il y a un très gros malentendu dans la mesure où, si on veut ratifier la Charte des langues régionales dont nos collègues ont parlé à l'instant, il n'y a aucun inconvénient à le faire et il n'est nul besoin de modifier la Constitution pour cela, dès lors qu'on ne ratifie pas celles des dispositions rappelées par M. Gélard tout à l'heure, qui ont été déclarées contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

En effet, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 15 juin 1999, n'a déclaré contraires à la Constitution qu'une partie du préambule de la Charte, l'article 1 a partie 5, l'article 1 b et l'article 7 paragraphes 1 et 4.

Et il a déclaré que les autres dispositions n'étaient pas contraires en ajoutant d'ailleurs qu'elles se bornent à reconnaître des pratiques déjà mises en oeuvre par la France en faveur des langues régionales.

Ce sont donc ces seuls articles qui font problème et ils font problème parce que le Conseil constitutionnel a dit qu'ils portaient atteinte, comme M. Gélard l'a rappelé, aux principes constitutionnels d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français.

Or, mes chers collègues, et je fais appel à la science juridique du doyen Gélard, alors que, conformément à l'article 54 de la Constitution, lorsque le Conseil constitutionnel déclare qu'un traité n'est pas conforme, nous ne pouvons autoriser sa ratification ou son approbation qu'après révision de la Constitution ; alors que, depuis 1958, dans toutes ses décisions concernant des traités et accords internationaux, le Conseil constitutionnel a toujours indiqué qu'un traité non conforme ne pouvait être ratifié qu'après révision de la Constitution - c'est la traduction littérale de l'article 54 dans le dispositif de l'article 1er des décisions du Conseil constitutionnel sur les traités contraires- cette fois-ci en revanche le Conseil a dit, pour la première et unique fois à ma connaissance : la Charte européenne comporte des clauses contraires à la Constitution. Et il n'a pas ajouté comme d'habitude : « il faut préalablement réviser la Constitution ». Pour une raison très simple : quand on touche à l'indivisibilité de la République, à l'égalité devant la loi et au principe d'unicité du peuple français, on touche à la République dont la forme ne peut faire l'objet d'aucune révision.

M. Roger Romani. Très bien !

M. Michel Charasse. Par conséquent, comme je ne pense pas que mes amis socialistes, que je connais et que j'aime bien à tous égards, aient l'intention de remettre en cause la République, rien n'interdit à certains d'entre nous, ou même à la commission des lois, de prendre une initiative autorisant la ratification de la charte, parce qu'une proposition de loi peut le faire, en celles de ces dispositions qui n'ont pas été déclarées contraires par le Conseil constitutionnel et qui ne concernent pas les trois séries de dispositions non révisables de la Constitution.

M. Charles Josselin. Très bien !

M. Michel Charasse. Au lieu d'écrire, chers amis, « Dans le respect du premier alinéa de l'article 2, la République française peut ratifier », si vous aviez écrit « peut ratifier celles des dispositions de la Charte qui n'ont pas été déclarées contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 juin 1999 », il n'y aurait pas de problème.

M. Ivan Renar. Déposez un sous-amendement !

M. Michel Charasse. Mes chers collègues, je pense qu'il faut que la commission des lois nous aide à sortir de cet imbroglio pour qu'on ne se retrouve pas régulièrement avec ce débat récurrent qui fait que nos collègues qui sont légitimement attachés aux langues régionales ont l'impression qu'on ne veut rien faire alors qu'on a les moyens de faire. Il faut qu'on trouve la solution pour nous permettre de passer à travers les gouttes en préservant la République dans ses fondements institutionnels les plus précieux, les plus anciens, tout en avançant dans le domaine qui intéresse nos collègues en ce qui concerne les langues régionales.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Muller, pour explication de vote.

M. Jacques Muller. Bonsoir à tous, salü binander !

Les langues et cultures régionales sont celles que l'on qualifie de langues minoritaires, mais elles font partie du patrimoine vivant de la France et de l'Europe.

Loin de faire concurrence à la langue française, de porter atteinte à notre identité, l'alsacien, le basque, le breton, le catalan, le corse, le créole, ...

M. Jacques Muller. ... le flamand et les autres langues régionales complètent, renforcent et enrichissent cette identité. En ce domaine, force est de reconnaître que notre pays s'est construit au long des siècles à travers la négation, voire la répression de ces langues et de ces cultures ainsi que de ceux qui les pratiquaient ; négation, répression fondées sur un universalisme resté abstrait et un jacobinisme dogmatique.

M. Jacques Muller. Heureusement, dans de nombreuses régions, des actions se multiplient, des initiatives se créent afin de favoriser et de développer l'usage des langues régionales.

Loin d'être reconnues comme l'expression d'un repli identitaire, contrairement à ce que certains affirment de manière péremptoire, nos langues régionales sont en réalité un vecteur d'enracinement et de cohésion sociale. L'identité nationale n'est pas une réalité univoque et homogène, un monolithe. Elle est au contraire une réalité multiple, complexe et vivante. La France reste cependant l'un des rares pays de l'Union européenne, avec l'Italie, à ne pas avoir ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, signée le 7 mai 1999.

Lors des débats à l'Assemblée nationale, le 15 janvier 2008, Mme la garde des sceaux s'est engagée à ce qu'un débat parlementaire ait lieu sur « la délicate question des langues régionales ». Cette question reste délicate, mais pour qui et pourquoi ?

En janvier 2005, le Gouvernement avait déjà pris un tel engagement, mais nous n'avons toujours rien vu venir. Or il est indispensable que l'on cesse de reporter en permanence le débat sur ce sujet et que le Gouvernement prenne ses responsabilités.

Même si le Conseil constitutionnel a considéré, le 15 juin 1999, que la Charte européenne comportait des clauses contraires à la Constitution, cet obstacle peut être levé. Je propose donc que nous sous-amendions l'amendement n° 5 rectifié bis afin d'intégrer les remarques constructives de notre collègue Michel Charasse.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Ce n'est pas possible !

M. Jacques Muller. Il ne faut plus attendre, car on a perdu assez de temps, mer an jetzt z'viel zit verlora. Allons-y !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour explication de vote.

M. Jean-Luc Mélenchon. J'interviens pour préciser que je ne voterai pas cet amendement et pour dissiper un malentendu.

Être hostile à la Charte ne signifie pas être opposé à la pratique des langues régionales. Qu'il soit dit pour l'honneur de notre patrie républicaine qu'il n'est interdit à personne en France de s'exprimer dans la langue de son choix aussi bien en famille qu'en public.

M. Jean-Luc Mélenchon. Il n'est également interdit à personne de jouer la musique de son choix, de créer des festivals régionaux et de pratiquer librement ce qui lui semble conforme à ce qu'il croit et à ce qu'il chérit. Il faut le rappeler : personne n'est réprimé en France pour cette raison !

Si la dispute porte sur l'application de l'ensemble de la Charte, comme le prévoit cet amendement, alors nous butons sur une difficulté constitutionnelle. J'ajoute que cette difficulté est non pas de la technique juridique, mais de nature philosophique.

M. Roger Romani. Très bien !

M. Jean-Luc Mélenchon. Pour des raisons philosophiques, les Français sont en effet fondamentalement opposés à ce que des groupes de locuteurs aient des droits particuliers. Ce ne sont pas des « jacobins dogmatiques », mais tout simplement des républicains !

Qu'est-ce que la France ? La France n'est pas décrite par une définition essentialiste ni par la conjugaison des diversités qui la composent. La France est la communauté légale une et indivisible qui fait que, entre la loi et la personne, il n'y a pas d'intermédiaire.

Nous sommes tous partis prenantes de la définition de la loi : elle s'applique à tous, car décidée par tous. Quiconque intercale une communauté crée des droits particuliers pour ses membres et rompt l'unité et l'indivisibilité constitutionnelles de la République. De ces droits particuliers, nous ne voulons pas ! Nos collègues doivent entendre ce raisonnement et non pas mépriser ceux qui l'expriment en les réduisant à je ne sais quel rôle d'oppresseur.

Je tiens à mettre en avant deux arguments.

Tout d'abord, s'il s'agit de n'appliquer que les dispositions qui n'ont pas été déclarées contraires à la Constitution, il faut savoir qu'un grand nombre d'entre elles ont été mises en oeuvre avant même l'adoption de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Eh oui !

M. Jean-Luc Mélenchon. Par exemple, c'est l'État républicain qui finance les postes pour l'enseignement de ces langues dans les régions où elles se pratiquent.

M. Jean-Luc Mélenchon. On peut toujours considérer que l'on n'en fait pas assez, mais c'est un autre débat. En tout cas, cela prouve que ces mesures existent déjà.

Ensuite, on aborde souvent le sujet des langues régionales sans vraiment définir ces dernières. Heureusement, sinon on s'exposerait à des difficultés considérables !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Absolument !

M. Jean-Luc Mélenchon. J'attends que l'on me dise quel créole on compte enseigner sachant qu'il en existe sept ou huit différents...

Quant à la langue bretonne - en fait, il y en a cinq, et toutes respectables -, admirable en bien des points, nous ne saurions la confondre avec le manuel qui concentre son apprentissage, car je ne pense pas que quelqu'un ici ait l'intention d'en défendre son auteur, qui fut condamné à mort par contumace pour fait de collaboration, dont notamment la production de cette « langue » avec un financement de l'occupant nazi. Cessons également de ne voir que des Bretons bretonnant alors qu'un grand nombre d'entre eux n'ont pas d'attache particulière avec cette bataille et se sentent suffisamment Français tout en étant Bretons.

Cette difficulté n'est pas la seule.

L'ancien ministre délégué à la formation professionnelle auprès du ministère de l'éducation nationale que je suis ajoutera ceci : ces langues doivent en outre répondre à la modernité, ce qui n'est pas toujours le cas. Car s'il s'agit seulement de dire allumetti pour allumette ou fusei pour fusée, leurs locuteurs sont mal partis dans l'ère moderne ! Dans le vocabulaire technique, ces transpositions n'existent pas. C'est donc par un artifice que l'on fait comme si tout était réglé en exigeant, sans autres précisions, l'application de la Charte des langues.

Moi, je donne mon opinion, et je ne méprise par celle des autres. Je ne traite pas de communautaristes mes amis qui, eux, me traitent de jacobin intransigeant. Certes, Jacobin, je le suis, et intransigeant est un pléonasme. (Rires sur les travées de l'UMP.)

À vouloir créer l'obligation de témoigner en langue régionale, de disposer d'un traducteur dans un tribunal, de traduire tous les formulaires administratifs en différentes langues régionales, comme le prévoit la Charte, je crains que l'on ne crée une difficulté absolument inextricable, sans compter que je ne vois pas en quoi cela serait un rempart au communautarisme. Ce serait le contraire !

Je vous en prie, ne confondons pas la République française, libre, une et indivisible avec ces pays où l'on réprime les locuteurs qui ne parlent pas la langue officielle.

Le français est une langue de liberté qui a été instituée par les rois. À partir du moment où elle a été enseignée, ceux qui vivaient dans tel ou tel recoin du pays pouvaient se déplacer et être compris partout. Ils pouvaient ainsi échapper à la mainmise de ceux qui les auraient dominés uniquement parce qu'ils n'étaient pas capables de s'exprimer dans la langue des autres.

La langue française n'a rien à craindre de la concurrence. C'est la langue de la liberté et ce n'est pas du tout son problème. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et de l'UMP.)