M. le président. L'amendement n° 26, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 689-10 du code de procédure pénale, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. 689-11. - Pour l'application du traité de Rome adopté le 18 juillet 1998 créant la Cour pénale internationale, peut être poursuivie et jugée dans les conditions prévues à l'article 689-1, toute personne présumée auteur ou complice d'un crime ou d'un délit défini dans le Traité sous réserve de l'exercice par la Cour Pénale internationale de sa compétence. »

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Cet amendement résulte d’un travail très approfondi. Ne croyez pas, mes chers collègues, que nous en soyons arrivés là sans de longues réflexions ! Je salue à cet égard les efforts déployés par M. le rapporteur pour auditionner toutes les personnalités compétentes.

Quand M. Claude Jorda, qui a été le président du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, et M. Bruno Cotte, président de la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui a été élu au poste de juge à la Cour pénale internationale, à La Haye, ont rappelé que la France avait souscrit des obligations morales – j’ai dit le devoir de juger ces criminels contre l’humanité, sous réserve de la compétence de la Cour pénale internationale –, les membres de la commission des lois ont alors pu apprécier la façon dont les choses se passeraient dans la réalité.

Si un bourreau, escortant tel ou tel chef d’État, se trouvait en France, que ferait le parquet, dans le cas, bien évidemment, où il aurait recueilli contre cette personne des éléments suffisants pour agir, des charges lui permettant de présumer qu’il s’agit d’un auteur possible ou d’un complice possible de crimes contre l’humanité ?

Le parquet en informerait, par téléphone ou courriel, le procureur indépendant de la Cour pénale internationale. Ce dernier demanderait, c’est l’évidence, que l’homme en question soit arrêté puis transféré. Au cas où il aurait été lancé, le mandat d’arrêt serait exécuté.

Nous ne courrons donc pas après cette compétence, mais nous ne pouvons pas nous dérober ! Voilà ce que nous ont rappelé MM. Jorda et Cotte, ce dernier citant le préambule du statut de Rome, lequel affirme que nous ne supporterons pas que ces hommes connaissent l’impunité.

J’ajoute qu’il s’agit d’un facteur majeur de prévention de ces actes. Ces criminels doivent savoir que, partout dans l’espace conventionnel, ils pourront être arrêtés et poursuivis.

Pour ma part, je pense que la France n’a pas à faire preuve de complaisance, sous aucune forme, à l’égard de ce type de bourreaux. Si l’un d’eux est arrêté à Paris, puis livré à la CPI ou à l’État dans lequel ont été commis ces crimes, ou bien jugé par nous – nous l’avons fait en matière de tortures –, dans tous les cas, cela dissuadera les autres de croire que la France est un refuge pour les bourreaux de l’humanité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. L'amendement n° 58, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 689-10 du code de procédure pénale, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. ... - Pour l'application du Statut de la Cour pénale internationale, signé à Rome le 17 juillet 1998, peut être poursuivie et jugée dans les conditions prévues à l'article 689-1 toute personne coupable de l'une des infractions suivantes :

« 1° Crimes contre l'humanité et crimes de génocides définis aux articles 211-1, 211-2 et 212-1 à 212-3 du code pénal ;

« 2° Crimes de guerre définis aux articles 461-1 à 461-31 du même code ;

« 3° Infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949 et au Protocole additionnel I du 8 juin 1977. »

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je n’ai que très peu à ajouter aux excellents arguments que vient de développer M. Badinter.

Je rappelle simplement que, à l’issue du débat qui s’est instauré ce matin en commission des lois, le vote majoritaire a été clair. En effet, la condition de la résidence habituelle enlève beaucoup de son contenu à la compétence universelle.

Mais j’observe que, pour résider habituellement, il faut avoir un titre de séjour.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Et un visa !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Dans ce cas de figure, cela signifierait que la France aurait donné un titre de séjour à l’un des criminels dont nous parlons aujourd’hui. Ce ne saurait être le cas, bien évidemment, mais je tenais à livrer cette réflexion au débat pour illustrer le fait que nous avons bien du mal, et c’est un véritable problème, à envisager concrètement les personnes dont il s’agit en réalité.

Je précise en outre que la France a déjà reconnu la compétence universelle, notamment dans l’article 689-1 du code de procédure pénale, ainsi que dans le cadre de sa coopération avec les TPI ad hoc, et en ratifiant les conventions de Genève de 1949. Celles-ci prévoient en effet que « chaque partie contractante aura l’obligation de rechercher les personnes prévenues d’avoir commis, ou d’avoir ordonné de commettre, l’une ou l’autre de ces infractions graves, et elle devra les déférer à ses propres tribunaux, quelle que soit leur nationalité ». Cet article prévoit aussi la possibilité d’extrader les personnes prévenues – c’est malvenu aujourd’hui, alors qu’une personne va être extradée pour des raisons assez différentes –, à condition que l’autre partie contractante intéressée « ait retenu contre lesdites personnes des charges suffisantes ».

La plupart des pays européens ont retenu dans leur législation, d’une manière ou d’une autre, la compétence universelle. Il serait regrettable que la France, qui devra très bientôt présider l’Union européenne, continue d’accuser un retard sur ce point.

Hors d’Europe, des pays ont modifié leur législation pour permettre à leurs juridictions criminelles de juger les auteurs de crimes internationaux commis hors de leur territoire. C’est pourquoi nous proposons, comme le font les organisations membres de la Coalition française pour la Cour pénale internationale, que les auteurs des crimes les plus graves au regard de l’humanité, ceux qui relèvent du statut de Rome, puissent être jugés où qu’ils se trouvent, là où ils se trouvent.

S’ils séjournent en France, même provisoirement, ou tentent de s’y réfugier, ils pourraient soit être interpellés en vue de leur extradition pour être orientés vers une juridiction mieux à même de les juger, soit être jugés en France. Cela permettrait d’éviter que les auteurs de faits aussi graves que ceux dont nous débattons ne soient libres d’aller et venir en toute impunité sur notre territoire, comme M. Badinter vient de l’évoquer.

Sans préjuger du sort des amendements nos 10 rectifié bis de M. Fauchon et 61 de la commission, je tiens à faire observer qu’ils sont restrictifs. Par conséquent, je vous invite, mes chers collègues, à leur préférer cet amendement ou celui qui a été présenté par M. Badinter.

M. le président. L'amendement n° 59, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 689-10 du code de procédure pénale, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. ... - Pour l'application de la convention de Rome portant statut de la Cour pénale internationale adoptée à Rome le 17 juillet 1998, peut être poursuivie et jugée dans les conditions fixées par l'article 689-1 toute personne coupable de l'une des infractions visées aux chapitres Ier et II du sous-titre Ier du Titre Ier du Livre II du code pénal et les infractions visées au chapitre Ier du livre IV bis de ce code. ».

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Je ne reviendrai pas sur la condition de résidence, qui est tout à fait restrictive. Nous sommes d’ailleurs nombreux à réclamer la mise en œuvre d’une compétence universelle, laquelle devrait constituer un axe fondamental de ce projet de loi.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Mais c’est la compétence universelle que nous proposons, voyons !

Mme Alima Boumediene-Thiery. L’article 689 du code de procédure pénale définit en ces termes le principe de compétence universelle des tribunaux français : « Les auteurs ou complices d’infractions commises hors du territoire de la République peuvent être poursuivis et jugés par les juridictions françaises soit lorsque […] la loi française est applicable, soit lorsqu’une convention internationale donne compétence aux juridictions françaises pour connaître de l’infraction ».

L’article 689-1 du code de procédure pénale précise que les juridictions françaises sont compétentes pour poursuivre toute personne, quelle que soit sa nationalité ou sa résidence, qui aurait commis l’une des infractions visée par les articles 689-2 à 689-10 du même code.

Par conséquent, la référence à ces différents articles permet de faire jouer le principe de la compétence universelle s’agissant des crimes les plus graves, notamment les actes de torture.

Ainsi, pour les crimes que la communauté internationale reconnaît par voie conventionnelle comme étant les plus graves, la compétence universelle devrait, me semble-t-il, être retenue systématiquement.

Or ce principe est absent s’agissant des incriminations visées par ce projet de loi, à savoir le crime contre l’humanité, le crime de génocide et le crime de guerre.

Si nous voulons adapter de manière fidèle notre droit pénal au statut de la Cour pénale internationale, il faut mettre un terme à une telle disparité, qui revient à reconnaître la compétence universelle pour des actes de torture, mais pas pour des génocides !

Autre exemple d’incohérence, le droit français reconnaît la compétence universelle pour les crimes commis en ex-Yougoslavie et au Rwanda durant une période déterminée, en vertu des statuts respectifs du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie et du Tribunal pénal pour le Rwanda, mais il ne la reconnaît pas pour les mêmes crimes s’ils sont commis dans d’autres régions et à un autre moment.

Il est dangereux d’instituer dans notre droit pénal, pour un même crime de génocide, une compétence à géométrie variable selon le lieu où le crime est commis.

Je vous propose donc, par cet amendement, d’élargir la compétence universelle des tribunaux français aux infractions définies par le statut de la Cour pénale internationale. Son adoption permettra enfin de combler un vide juridique et d’assurer une lutte efficace contre l’impunité.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n°10 rectifié bis, sur le sous-amendement n° 62, ainsi que sur les amendements nos 26, 58 et 59 ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. L’amendement n° 10 rectifié bis, s’il est rectifié, sera en tout point identique à celui que j’avais moi-même déposé au nom de la commission. Par conséquent, je ne pourrai émettre qu’un avis favorable.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Est-ce en votre nom personnel ou au nom de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Je donne l’avis de la commission, avant adoption du sous-amendement n° 62 déposé par M. Badinter.

La commission a émis un avis favorable sur ce sous-amendement, contre l’avis du rapporteur.

Pour ce qui concerne les amendements nos 26, 58 et 59, la commission demande à leurs auteurs de bien vouloir les retirer, car leur adoption n’apporterait rien de plus.

Je vous ferai cependant remarquer, mes chers collègues, que l’amendement que j’avais proposé visait à mettre en place la compétence universelle, certes sous des conditions particulières, mais comme c’est le cas en Allemagne, au Portugal ou en Belgique. Ces pays ont en effet retenu des conditions spéciales, contrairement à ce que prétendent certaines organisations. D’ailleurs, tous les pays qui ont reconnu la compétence universelle en ont encadré l’exercice de telle sorte que, jusqu’à aujourd’hui, disons les choses comme elles sont, cette compétence universelle n’a jamais trouvé à s’appliquer.

Si certaines conventions reconnaissent la compétence universelle, c’est parce qu’il n’existe pas de juridiction internationale ! Je signale, là encore, qu’aucune application de cette compétence n’a été observée, si ce n’est à l’occasion d’une procédure pour crimes contre l’humanité et tortures engagée par une juridiction française contre un ministre congolais. Le résultat, c’est que cette procédure a avorté, puisque nous ne pouvons incriminer que les seules personnes qui relèvent d’un État signataire de la convention internationale autorisant l’exercice d’une compétence universelle. Par conséquent, les ressortissants d’un État non signataire ne peuvent pas être poursuivis, même si ce sont les pires des bourreaux et des dictateurs.

Je viens donc de vous rapporter, mes chers collègues, la position de la commission.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Pour ce qui concerne le sous-amendement déposé par M. Badinter, je ne peux que répéter ici ce qui a été dit ce matin : la commission a émis un avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je tiens à le rappeler, à la suite de M. le rapporteur, le statut de Rome n’exige pas que les États parties instaurent une compétence universelle.

M. Robert Badinter. Ce n’est pas la compétence universelle !

M. Patrice Gélard, rapporteur. C’est une règle de compétence extraterritoriale !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je vous en prie, monsieur Badinter, je n’ai pas terminé mon explication, qui rejoint d’ailleurs celle de M. le rapporteur.

Le Gouvernement n’a donc pas retenu dans ce projet de loi la compétence universelle. Néanmoins, on peut accepter d’aller au-delà. Une compétence élargie de la France est envisageable, mais celle-ci ne pourra pas être universelle. Elle doit être encadrée, et ce pour plusieurs raisons.

En premier lieu, c’est à la CPI qu’appartient d’abord cette compétence, puisque c’est la première juridiction pénale internationale créée qui a une vocation universelle. Il faut lui laisser son champ d’action propre et ne pas la concurrencer. Tout à l’heure, vous évoquiez vous-même, monsieur Badinter, une complémentarité.

En deuxième lieu, la CPI a les moyens d’exercer une compétence universelle que les États n’ont pas. Pour illustrer mon propos, je reprendrai l’exemple que nous avons évoqué tout à l’heure. Comment s’emparer d’un dirigeant, parlementaire, ministre ou chef d’État, alors même qu’il est protégé par son immunité ? Un tel obstacle disparaît si la Cour pénale internationale est saisie.

En troisième et dernier lieu, un État n’est légitime pour exercer la compétence en question que s’il existe un rattachement suffisant de l’auteur du crime avec cet État.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’objectif est d’éviter que la France ne soit une terre d’asile pour les auteurs de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre. Si d’ailleurs un mandat d’arrêt a été lancé, si une personne est recherchée, rien n’empêche de l’interpeller, que celle-ci « réside » ou non en France.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Par son amendement, la commission des lois répond à cet objectif et aux exigences que je viens d’indiquer. Si la France se reconnaît compétente à l’égard des étrangers résidant en France, ce critère territorial est satisfait.

Je précise que l’exigence d’une résidence habituelle figure déjà aux articles 113-6 et 113-8 du code pénal français. Il s’agit d’observer un parallélisme d’écriture.

On ne peut pas juger, par exemple, un pédophile étranger pour des actes de tourisme sexuel s’il n’est pas résident habituel sur le territoire français. Il en est de même pour toutes les infractions sexuelles, l’aide à la prostitution, mais aussi les activités de mercenaire – vous l’avez indiqué, monsieur le rapporteur –, ou encore de clonage commises à l’étranger par un étranger.

L’amendement laisse, en outre, la priorité d’action à la CPI : la France agira subsidiairement, si aucune juridiction internationale ou nationale ne veut se saisir.

Le parquet a le monopole des poursuites. Là encore, cette disposition n’est pas spécifique : c’est la règle de droit commun pour poursuivre nos propres ressortissants. Je rappelle que la France a fait le même choix, encore très récemment, à l’automne 2007, pour transposer la Convention de Mérida dans la loi relative à la lutte contre la corruption.

Compte tenu de ces éléments, le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement n °61.

S’agissant de l’amendement n° 10 rectifié bis, le Gouvernement émettra également un avis favorable si M. Fauchon accepte de le rectifier.

En revanche, le Gouvernement émet un avis défavorable sur le sous-amendement n° 62, ainsi que sur les amendements nos 26, 58 et 59.

M. le président. Monsieur Fauchon, acceptez-vous de rectifier l’amendement n° 10 rectifié bis ?

M. Pierre Fauchon. Comme je l’avais annoncé, je rectifie cet amendement en remplaçant les mots « se trouve » par les mots « réside habituellement ».

M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 10 rectifié ter, présenté par MM. Fauchon et Zocchetto, et ainsi libellé :

I. - Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 689-10 du code de procédure pénale, il est inséré un article 689-11 ainsi rédigé :

« Art. 689-11 - Peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises toute personne qui réside habituellement sur le territoire de la République et qui s'est rendue coupable à l'étranger de l'un des crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale en application de la convention portant statut de la Cour pénale internationale signée à Rome le 18 juillet 1998, si les faits sont punis par la législation de l'État où ils ont été commis ou si cet État ou l'État dont il a la nationalité est partie à la convention précitée.

La poursuite de ces crimes ne peut être exercée qu'à la requête du ministère public si aucune juridiction internationale ou nationale ne demande la remise ou l'extradition de la personne. À cette fin, le ministère public s'assure auprès de la Cour pénale internationale qu'elle décline expressément sa compétence et vérifie qu'aucune autre juridiction internationale compétente pour juger la personne n'a demandé sa remise et qu'aucun autre État n'a demandé son extradition. »

II. - En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle ainsi rédigée :

« Chapitre...

« Disposition modifiant le code de procédure pénale

Cet amendement est désormais identique à l’amendement n° 61.

Veuillez poursuivre, mon cher collègue.

M. Pierre Fauchon. Il n’est pas dans mon intention de rouvrir le débat, mais j’ai entendu tout à l'heure des propos qui m’ont surpris, car, entre nous soit dit, ils me paraissent contradictoires avec ceux qui ont été tenus lors de la première réunion de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai !

M. Pierre Fauchon. Il faut rappeler d’où nous venons : la commission et son rapporteur, comme l’atteste le rapport, étaient très réservés quant à la compétence universelle. Les objections qu’elle suscitait étaient telles que, sans être catégoriquement contre, la commission ne s’orientait pas dans cette voie.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai !

M. Pierre Fauchon. J’ai pensé qu’il fallait tout de même s’y engager et, ce faisant, dépasser notre cadre pénal habituel fondé sur les critères qui constituent la base de notre droit : l’infraction a été commise sur le territoire de la République, l’auteur, ou la victime, a la nationalité française.

Il s’agissait donc d’une avancée majeure, mais il fallait l’amorcer prudemment. Partisan de l’efficacité, je sais en effet que prudence et efficacité vont de pair.

Dans cet amendement, nous exigions la résidence, sans plus.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. Pierre Fauchon. Telle est la démarche qui a inspiré cet amendement, et je regrette que François Zocchetto, cosignataire, ne soit pas à mes côtés ce soir pour le défendre.

Je me souviens avoir entendu dire, en commission des lois, par une personne dont je tairai le nom : « Nous n’allons tout de même pas, au nom de cette compétence, arrêter un individu qui sera en transit entre deux avions à Paris ! ». J’ai bien entendu ces propos, je ne les ai pas inventés !

Effectivement, nous nous hasarderions beaucoup en poussant l’exigence au-delà de cette condition de résidence. Peut-être le ferons-nous un jour, mais, dans l’immédiat, tenons-nous en aux règles de base de notre compétence pénale : avançons, mais avançons avec sûreté.

Or précisément, mes chers collègues, comment voulez-vous que le Sénat, première assemblée saisie, avance avec sûreté au cours de cette première lecture, si toutes ses options doivent être rejetées par l’Assemblée nationale ? Il me paraît donc préférable de voter ce qui constitue d’ores et déjà une avancée très significative, y compris par rapport à la position initiale de notre commission, que nous aurons ainsi fait évoluer.

C’est pourquoi je vous demande de voter cet amendement, rectifié, dans ses limites raisonnables, car aller au-delà serait, à tous égards, très aventureux.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Voilà !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est le contraire !

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 62.

M. Robert Badinter. Je me suis moi-même rallié ce matin à l’amendement n° 61 dans la mesure où on y rappelle que, si la Cour pénale internationale est saisie, si une juridiction pénale étrangère ayant compétence est saisie, la France n’a pas à se saisir. Mais, dans le cas où l’auteur présumé d’un génocide se trouve présent sur notre territoire, la France ne peut pas fermer les yeux. C’est aussi simple que cela !

Deux mots nous séparent. Pour le rapporteur, il faut que ce bourreau contre l’humanité « réside habituellement » en France.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pour être poursuivi et jugé par une juridiction française ! Vous ne dites pas tout !

M. Robert Badinter. C’est la condition qui figure dans le texte de cet amendement, alors même que toutes les conventions, pour des incriminations moindres, et l’article 689-1 du code de procédure pénale lui-même retiennent l’autre formule, à savoir que la personne « se trouve » sur le territoire français.

Cela signifie, concrètement, que, si l’auteur de tortures est présent sur le territoire français, il peut être arrêté, poursuivi, éventuellement jugé par une juridiction française, sauf si sa juridiction nationale le réclame. En revanche, s’il s’agit d’un criminel contre l’humanité, nous ne pourrons l’arrêter et le poursuivre qu’à la condition qu’il soit établi de manière habituelle en France. Sa simple présence sur notre territoire ne suffira pas. C’est une grande imprudence !

Quant à savoir si le criminel en transit à l’intérieur d’un aéroport « se trouve » ou non sur le territoire français, c’est à la Cour de cassation d’interpréter, mais, à cet instant, vous n’allez pas, je l’espère, traiter l’auteur de crimes contre l’humanité de passage en France plus favorablement que l’auteur de tortures !

Nous nous devons de rester fidèles à la politique pénale que nous avons définie tout au long des conventions que nous avons ratifiées concernant les crimes internationaux et de ne pas accorder un avantage aux criminels contre l’humanité.

Je rappelle l’engagement solennel que nous avons pris, qui est inscrit dans le préambule du statut de Rome : « Les États parties au présent statut, […] Déterminés à mettre un terme à l’impunité des auteurs de ces crimes et à concourir à la prévention de nouveaux crimes, Rappelant qu’il est du devoir de chaque État de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux… » Cela n’a rien à voir avec la compétence universelle : ce texte s’inscrit dans le cadre de la Convention.

Enfin, permettez-moi de relire le dernier point du préambule : « Soulignant que la Cour pénale internationale dont le présent Statut porte création est complémentaire des juridictions pénales nationales ». J’y insiste : elle est seulement complémentaire des juridictions pénales nationales.

Les choses sont donc claires : nous sommes devant un choix moral d’une importance extrême. Nous avons le devoir de juger ces criminels, tout en reconnaissant la compétence de la Cour pénale internationale, si celle-ci s’exerce.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il faut tout de même rappeler que, pour les autres crimes, il n’existe pas de juridiction internationale. La différence est donc considérable !

M. Robert Badinter. Nous sommes d’accord !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mon cher collègue, permettez-moi de vous faire remarquer que l’expression « se trouve » est floue et qu’elle ne fait l’objet d’aucune définition à ce jour.

M. Robert Badinter. C’est à la Cour de cassation d’interpréter !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce qui prouve que cette notion n’est pas claire, c’est le moins que l’on puisse dire !

M. Patrice Gélard, rapporteur. La Cour de cassation ne l’a jamais fait !

M. Robert Badinter. C’est faux !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois Et n’oubliez pas que la condition de la résidence habituelle est posée pour les cas où la personne serait poursuivie et jugée par les juridictions françaises. À l’évidence, il serait anormal que nous ne puissions pas retenir une personne présente sur le territoire national, dans un aéroport, par exemple, afin de vérifier si elle ne fait pas l’objet d’un mandat d’arrêt international, si elle n’est pas réclamée par un État, ce qui est un autre problème.

En l’occurrence, donc, il s’agit bien des juridictions françaises. Mais ces dernières peuvent-elles poursuivre et juger une personne sur laquelle elles ne disposent d’aucun élément ? À cet égard, la Cour pénale internationale doit pouvoir pleinement jouer son rôle. Je souhaite vivement, pour ma part, que la juridiction internationale prenne toute son ampleur et juge ces grands criminels.

S’ils ne sont pas jugés, s’ils sont français, s’ils résident habituellement sur notre territoire, il faut bien sûr que nous les jugions.

Mais, je le répète, comment voulez-vous que les juridictions françaises puissent juger valablement ces criminels alors qu’elles ne possèdent aucune information les concernant ? Cela n’aboutira pas ! (M. Robert Badinter s’exclame.)

Mon cher collègue, j’ai la conviction que ce que nous sommes en train de dire ne correspond pas à la réalité.

Je veux bien que l’on multiplie les saisines et les occasions de juger ces criminels, mais, dans le cas de figure qui nous occupe, il n’y a pas de mandat d’arrêt international !