M. Robert Badinter. Il y en a un !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. S’il existe, nous renvoyons la personne vers le pays qui l’a émis, car, dans ce cas, il ne nous appartient pas de la juger, sauf si elle réside habituellement dans notre pays.

Alors que nous avons fait une avancée considérable par rapport à nos débats en commission où nous n’avions évoqué que l’extraterritorialité – plutôt que la compétence universelle, qui n’est pas l’expression appropriée –, il nous est aujourd'hui reproché de ne pas aller assez loin. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Permettez que j’exprime un point de vue personnel !

En tout état de cause, je trouve que vous avez tort de ne pas vouloir accepter ce qui constitue un progrès considérable. Votre solution n’aboutit à rien de plus et risque, au contraire, d’avoir des effets négatifs, je vous le dis franchement.

C’est pourquoi, ce matin, à titre personnel, j’ai voté contre ce sous-amendement, alors même que j’ai les mêmes objectifs que vous, monsieur Badinter !

M. Robert Badinter. Mais la commission l’a adopté, je vous le rappelle !

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. La comparaison avec la délinquance sexuelle n’est pas appropriée. Il s’agit alors de Français qui se conduisent mal dans un autre pays et qui reviennent en France. Or, dans le cas qui nous intéresse, ce sont généralement des étrangers.

Madame le garde des sceaux, vous avez dit que rien n’empêchait de les interpeller, qu’ils soient résidents ou non. En vertu de quoi ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. D’un mandat d’arrêt !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et s’il n’y en a pas ? Le mieux serait de rendre possible l’arrestation dans tous les cas.

Par ailleurs, j’observe que M. le rapporteur maintient son point de vue, en dépit des longs débats qui se sont déroulés ce matin, en commission.

Je m’adresse à nos collègues de la majorité ici présents pour leur rappeler que, ce matin, par douze voix contre cinq,…

M. Patrice Gélard, rapporteur. Dix !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. …la commission a voté notre sous-amendement. La majorité s’est donc exprimée très majoritairement en sa faveur ! (Sourires.) La modification que nous proposons avec ce sous-amendement est très importante, puisqu’il s’agit de substituer aux mots « toute personne qui réside habituellement sur le territoire » les mots « toute personne qui se trouve sur le territoire ». Pourquoi en effet imposer une condition de résidence habituelle pour pouvoir poursuivre quelqu’un ? À cet égard, on aurait aimé que M. le rapporteur tînt compte du vote qui a eu lieu en commission…

M. Patrice Gélard, rapporteur. J’en ai tenu compte !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. …et rapporte, au nom de celle-ci, la position de la commission.

M. Patrice Gélard, rapporteur. C’est ce que j’ai fait !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Or ce n’est pas ce qu’il fait ; il maintient son point de vue.

Revenons sur l’exemple, cité précédemment, d’un criminel qui transiterait par un aéroport français.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il sera jugé en France ! Le texte ne dit pas autre chose !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Certes, et, pour ma part, je n’y vois aucun inconvénient. Ce matin, la plupart de nos collègues de la majorité qui étaient présents en commission, mais qui, malheureusement, ne sont pas là ce soir,…

M. Robert Bret. En effet, ils ne sont pas nombreux !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. … étaient tout à fait convaincus de la nécessité de préférer l’expression « qui se trouve sur le territoire ».

Chers collègues de la majorité, je ne désespère de vous en convaincre, la solution inverse, celle de la résidence habituelle, n’en est en réalité pas une !

M. le président. Mon cher collègue, vous avez dépassé votre temps de parole.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il est parfois nécessaire de se répéter pour emporter la conviction !

M. Robert Bret. C’est de la pédagogie ! (Sourires.)

M. le président. Moi qui suis neutre, je puis dire que le débat est, certes, de bonne qualité,…

M. le président. …mais qu’il n’est pas exempt, pour autant, de nombreuses répétitions.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, rassurez-vous, je serai bref ! (Sourires.)

M. le président de la commission, M. le rapporteur et tous ceux qui, comme moi, étaient présents ce matin en commission pourront témoigner de la manière dont les choses se sont déroulées.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je n’ai pas voté le sous-amendement !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ne vous justifiez pas !

M. Jean-Pierre Sueur. Notre éminent collègue Robert Badinter a suscité l’adhésion de la majorité de la commission par son argumentation, il est vrai particulièrement puissante. Aussi, dès lors que les arguments n’ont pas changé, je ne comprends pas pourquoi, ce soir, ils ne recueillent plus la même approbation.

Pourquoi donc vous échinez-vous à nous expliquer que la seule présence sur le territoire français d’un auteur de crimes contre l’humanité ne peut suffire à son arrestation ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il ne nous appartient pas de le juger !

M. Jean-Pierre Sueur. Il faudrait donc, pour que nous puissions agir, qu’il possède en France une maison avec jardin et qu’il s’acquitte de ses factures d’eau, de gaz et d’électricité ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et qu’il ait un titre de séjour !

M. Robert Bret. Oui, n’oubliez pas le titre de séjour !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !

M. Jean-Pierre Sueur. Si l’on vous suit, un tel tortionnaire ne pourra être inquiété par la justice française qu’à la seule condition que ni son pays d’origine ni la Cour pénale internationale n’aient pris de dispositions à son encontre !

Monsieur Fauchon, j’ai parfaitement compris ce que vous avez dit, ce matin, en commission. En revanche, je n’ai compris ni les raisons de votre énervement, tout à l’heure, ni ce qui vous a conduit à changer d’avis. Je constate simplement que votre position a fluctué depuis ce matin et qu’elle n’est plus la même ce soir.

Je vois bien les arguties auxquelles il est fait recours, mais, quand les membres d’une commission, en l’occurrence la commission des lois, s’expriment avec une telle force après un débat aussi approfondi, nous devrions tous nous rallier à leur position.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !

M. Jean-Pierre Sueur. Libre à vous, monsieur le président de la commission, de contester ce point de vue. Je respecte votre position. Néanmoins, comment expliquerez-vous à ceux qui liront le compte rendu de nos débats et qui commenteront nos échanges que, d’un côté, la République française prend grand soin d’adapter son droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale, mais que, d’un autre côté, elle se refuse finalement à engager quelque action que ce soit contre l’auteur de crimes monstrueux qui se trouverait sur notre territoire si celui-ci n’y réside pas de manière habituelle, s’il n’y paie pas ses impôts, son loyer et ne cotise pas à la sécurité sociale ? Personne ne pourra le comprendre !

Je le répète, les arguments avancés ce matin par Robert Badinter ont emporté la conviction d’une majorité de la commission des lois. Alors, je sais bien que, grâce au scrutin public, il est possible de faire voter ceux qui n’ont pris part ni aux débats en commission ni à la séance publique, …

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce que vous dites là est insultant pour nos collègues présents ce soir dans l’hémicycle !

M. Jean-Pierre Sueur. …mais chacun verra bien qu’il s’agit d’un subterfuge. Il n’en demeure pas moins que je vous invite, mes chers collègues, à réfléchir à l’enjeu de ce débat essentiel.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Moi aussi, j’ai quelque difficulté à comprendre les tenants et les aboutissants de cette affaire.

D’un côté, on nous dit, avec raison, que la possibilité, pour la France, de juger les auteurs de crimes limitativement définis représente un progrès considérable ; d’un autre côté, on s’arrange pour que personne ne puisse être l’objet des dispositions que nous prenons. Car, sauf à considérer qu’il serait assez idiot pour venir s’établir en France et y résider habituellement, on n’imagine pas qu’un criminel puisse être concerné par ce dispositif.

Tout cela n’est pas très glorieux : on ne peut pas à la fois se prétendre généreux et amoureux de la justice, et, dans le même temps, verrouiller le dispositif de telle sorte qu’il soit inopérant.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous n’avons rien verrouillé du tout !

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli, pour explication de vote.

M. Hugues Portelli. Nous discutons actuellement d’une situation totalement virtuelle.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Bien sûr ! Et cela leur plaît beaucoup !

M. Hugues Portelli. En réalité, si un criminel dangereux est présent sur le territoire français, il y a neuf chances sur dix qu’il soit visé par un mandat d’arrêt international. Dès lors, le problème ne se pose pas.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Bien sûr !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il en va différemment d’un criminel qui n’est pas considéré comme dangereux !

M. Hugues Portelli. Par ailleurs, si, par hasard, il n’était pas visé par un tel mandat, les autorités françaises auraient tout loisir, dans le cadre de la convention dont il est question ce soir, de solliciter l’avis de la Cour pénale internationale. Celle-ci demanderait alors à la France d’intervenir, et le problème serait réglé.

Telle est la voie normale à suivre, et j’imagine mal comment le mécanisme juridique qui nous est proposé à travers le sous-amendement pourrait trouver à s’appliquer sur le territoire français.

Je le répète, ce débat me paraît quelque peu surréaliste.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J’invite notre collègue à envisager non pas le cas d’un criminel dangereux, mais celui d’un Augusto Pinochet. Cela éclairera d’un jour nouveau le problème qui est ici soulevé.

Chers collègues de la majorité, ce qui se passe ce soir est assez regrettable. La fougue avec laquelle vous refusez la possibilité d’arrêter un criminel sur le territoire français dès lors qu’il n’y réside pas habituellement tranche avec la position que vous avez adoptée ce matin, en commission des lois. D’ailleurs, la majorité de ses membres ont fort honnêtement reconnu qu’il s’agissait là d’un subterfuge.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Est-ce à dire que les autres sont malhonnêtes ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président de la commission des lois, je m’exprime comme bon me semble, et vous n’avez pas fait autrement tout à l’heure !

Je le répète, les membres de la commission des lois ont reconnu que cette condition de résidence habituelle était effectivement exorbitante, compte tenu des personnages dont il est question. Pensons à des cas précis !

Ce soir, les positions sont diamétralement opposées, notamment celle de M. Fauchon, qui, ce matin, avait approuvé le sous-amendement présenté par M. Badinter. Tout cela est très regrettable. Pour ces raisons, je ne voterai pas les amendements identiques nos 10 rectifié ter et 61.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 62.

Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe UMP et, l'autre, du groupe UC-UDF.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 95 :

Nombre de votants 327
Nombre de suffrages exprimés 324
Majorité absolue des suffrages exprimés 163
Pour l’adoption 124
Contre 200

Le Sénat n'a pas adopté.

Je mets aux voix les amendements identiques nos 10 rectifié ter et 61.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 7, et les amendements nos 26, 58 et 59 n'ont plus d'objet.

CHAPITRE II

DISPOSITIONS FINALES

Articles additionnels après l'article 7
Dossier législatif : projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale
Article 9

Article 8

I. – À l'article L. 311-1 du code de justice militaire, les mots : « contraires aux lois et coutumes de la guerre et aux conventions internationales, » sont remplacés par les mots : « définis aux articles 461-1 à 461-31 du code pénal, ».

II. - L'article L. 322-4 du même code est abrogé.

M. le président. L'amendement n° 35, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet, MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi le I de cet article :

I. – À l'article L. 311-1 du code de justice militaire, après les mots : « contraires aux lois et coutumes de la guerre et aux conventions internationales, » sont insérés les mots : « telles que codifiées aux articles 461-1 à 461-31 du code pénal, ».

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Le paragraphe I de l’article 8 remplace, dans le code de justice militaire, la référence aux lois et coutumes de la guerre et aux conventions internationales par les articles 461-1 à 461-31 du code pénal. Cela signifie que ces articles, enfermés dans un nouveau livre, codifient dans leur totalité les conventions et les règles du droit de la guerre.

Or la codification du droit pénal international dans le droit interne n’abroge pas les engagements internationaux ; elle les complète ou les précise. La codification n’a pas pour effet d’empêcher le juge de se référer aux lois et coutumes internationales régissant les droits des conflits armés.

Ainsi, la référence à la présente codification doit être un supplément à la référence aux lois et coutumes de la guerre et aux conventions internationales, qui doit être maintenue dans le code de justice militaire. C’est le sens de mon amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Les dispositions proposées par Mme Boumediene-Thiery ne me paraissent pas nécessaires.

Donc, l’avis est défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement émet également un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 35.

(L'amendement n’est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 8, présenté par M. Gélard, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

III. - L'article 213-1 du code pénal est ainsi modifié :

1° Le deuxième alinéa (1°) est complété par une phrase ainsi rédigée : « Toutefois, le maximum de l'interdiction est porté à quinze ans ; »

2° Le troisième alinéa (2°) est ainsi rédigé :

« 2° L'interdiction, suivant les modalités prévues par l'article 131-27, d'exercer une fonction publique ou d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise. Toutefois, le maximum de l'interdiction temporaire est porté à dix ans ; »

3° Le quatrième alinéa (3°) est complété par une phrase ainsi rédigée : « Toutefois, le maximum de l'interdiction est porté à quinze ans ; ».

La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Le projet de loi prévoit un régime d'interdictions en cas de crimes de guerre plus sévère que le droit commun, en particulier au regard de la durée de ces interdictions.

Il est logique, par souci de coordination, d'appliquer ce régime plus sévère aux interdictions prévues par l'article 213-1 en matière de crimes contre l'humanité.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement est favorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 8.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 8, modifié.

(L'article 8 est adopté.)

Article 8
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Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 9

Indépendamment de leur application de plein droit à Mayotte, les dispositions des articles 1er à 8 de la présente loi sont applicables dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie ainsi que dans les Terres australes et antarctiques françaises.

M. le président. L'amendement n° 9, présenté par M. Gélard, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit cet article :

Les dispositions des articles 1er à 8 sont applicables dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Les dispositions du projet de loi ne seront pas applicables de plein droit dans les collectivités soumises, pour la matière pénale, au principe de spécialité législative. L'application de ces dispositions en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna nécessite par conséquent une mention expresse, qui est prévue par le présent article.

En revanche, les nouveaux statuts applicables depuis le 1er janvier 2008 à Mayotte et dans les Terres australes et antarctiques françaises rendent inutile une telle mention pour ces collectivités.

Je vous propose donc, par cet amendement, de ne pas faire référence à ces deux collectivités.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Favorable !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 9.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l'article 9 est ainsi rédigé.

Vote sur l'ensemble

Article 9
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à Mme Brigitte Bout, pour explication de vote.

Mme Brigitte Bout. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous nous apprêtons à voter un texte d’une grande importance, qui adapte notre droit pénal aux exigences du statut de la Cour pénale internationale. L’incorporation dans notre droit pénal des infractions prévues par le statut de Rome, et plus particulièrement des crimes de guerre, est une condition nécessaire à la mise en place d’un système pénal international efficace.

Il s’agit d’un progrès essentiel, et très attendu, dans la pleine participation de la France à la justice pénale internationale. Compte tenu du rôle éminent qu’elle a joué dans l’institution de la Cour pénale internationale, la France se devait d’être exemplaire.

Très attaché au bon fonctionnement de la Cour pénale internationale, le groupe UMP votera ce texte, en félicitant notre rapporteur pour son travail remarquable. (Applaudissements sur les travées de lUMP.- Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quoi qu’il advienne, je l’ai dit dans la discussion générale, nous voterons ce texte, le fait que nous parvenions enfin à adapter au statut de Rome notre droit constituant indéniablement un progrès.

Je déplore cependant la tournure qu’a prise le débat ce soir. La commission des lois, dans sa majorité, semblait pourtant être parvenue à dégager un quasi-consensus pour aller de l’avant, pour adopter un texte un peu plus audacieux. Nos collègues de la majorité se sont trouvés pris à contre-pied, ce que je trouve regrettable.

Mais cet épisode ne doit pas occulter le progrès que représente ce texte : nous le voterons ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Mme Catherine Morin-Desailly. Comme l’ensemble de mes collègues qui sont intervenus dans ce débat, je ne peux que me réjouir de voir ce projet de loi enfin examiné par le Parlement, car il faut bien dire que son inscription à l’ordre du jour est attendue depuis de nombreuses années. J’y suis particulièrement sensible, vous le comprendrez, en tant que membre du groupe d’études des droits de l’homme du Sénat.

En effet, l’institution de la Cour pénale internationale, qui en est encore à ses premiers pas, suscite de nombreux espoirs. Beaucoup « d’affaires », ces dernières années, sont venues rappeler l’existence de nombreux obstacles juridiques et diplomatiques à l’exercice d’une justice internationale.

L’inscription de ce deuxième volet de l’adaptation de notre législation interne à la convention de Rome à l’ordre du jour des assemblées traduit avant tout l’engagement international de la France, laquelle a eu un rôle moteur, il convient de le rappeler, dans la création de la Cour pénale internationale.

L’adoption de ce projet de loi, ainsi amendé et complété par le Sénat, facilitera la coopération avec la Cour pénale internationale dans le jugement « des crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ».

Il était en effet urgent d’adapter notre droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale, car la France a pris en la matière un retard préjudiciable par rapport à la plupart de ses voisins européens.

L’inscription dans le droit pénal français des infractions prévues par le statut de Rome est indispensable en raison du principe de complémentarité entre la CPI et les États parties, puisque c’est à eux qu’il appartient en premier lieu de juger selon leurs procédures internes les individus ayant commis des crimes relevant de la compétence de la Cour.

Dans ce cadre, le projet de loi vient renforcer la répression des crimes internationaux sur plusieurs aspects que je ne rappellerai pas à ce point du débat.

Je voudrais saluer le travail de notre assemblée, et en particulier celui du rapporteur, qui a permis d’apporter des précisions utiles et de rapprocher notre législation des termes de la convention de Rome.

Deux questions ont fait l’objet de débats très intéressants : l’imprescriptibilité des crimes de guerre et la reconnaissance de la compétence universelle des juridictions françaises.

Sur la question de l’imprescriptibilité, je suis sensible aux arguments qui ont été développés au cours de la discussion, notamment par notre rapporteur et par M. Badinter. En effet, je crois important de réserver, comme le fait le droit français actuel, l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité,…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très bien !

Mme Catherine Morin-Desailly. …afin de marquer la spécificité de ces crimes et de ne pas les « banaliser » par rapport aux crimes de guerre.

S’agissant de ces derniers, le projet de loi apporte déjà des avancées notables, en allongeant les délais de prescription de l’action publique de dix à trente ans. Je sais que certaines associations regrettent que les crimes de guerre ne bénéficient pas de la même imprescriptibilité que les crimes contre l’humanité, mais, comme l’a souligné M. Badinter, ceux-ci justifient à eux seuls une dérogation aux règles habituelles de la prescription.

S’agissant maintenant de la compétence universelle, je salue l’évolution du projet de loi sur cette question. Il faut dire que nous partions d’assez loin… Si nous comprenons tous les difficultés diplomatiques que peut engendrer la « compétence universelle », le risque de laisser subsister un espace d’impunité en Europe pour les auteurs de crimes internationaux est inacceptable. L’effet dissuasif de la compétence universelle est un argument convaincant, surtout quand on sait que la grande majorité des États européens l’ont admise.

Certes, tel que le dispositif a été voté, la mise en œuvre de cette mesure est très encadrée. À titre personnel, j’aurais souhaité qu’elle soit élargie, mais elle n’en reste pas moins inscrite dans notre code pénal, soulignons-le, ce qui constitue une avancée considérable. Il s’agit d’un premier pas important vers une application plus effective de ce principe. C’est pourquoi je me félicite que notre assemblée engage notre pays sur la voie de la compétence universelle.

La navette parlementaire permettra sans doute de réfléchir plus avant sur les nuances sémantiques et d’éclairer le choix entre les verbes « se trouver », « résider », assortis ou non de l’adverbe « habituellement » …

M. Patrice Gélard, rapporteur. J’émets les plus grandes réserves !

Mme Catherine Morin-Desailly. En tout état de cause, je voulais souligner cette avancée notable.

Dans l’ordre mondial actuel, et compte tenu des évolutions du contexte international, alors que les frontières n’ont plus le même sens qu’au siècle dernier, l’existence de cette justice pénale internationale est une absolue nécessité.

C’est pour cette raison, vous l’aurez compris, que le groupe de l’Union centriste-UDF votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de lUC-UDF et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.

M. Robert Badinter. J’ai entendu de la part de Mmes Borvo Cohen-Seat et Morin-Desailly des propos que je salue.

Le groupe socialiste votera ce texte, bien entendu ! Il s’agit pour nous de l’aboutissement d’une si longue marche et de tant d’efforts… Je sais, pour les avoir partagées, combien les luttes des organisations non gouvernementales, de toutes les organisations défendant les droits de l’homme, tendaient à ce que soit créé, au-delà d’une juridiction pénale internationale, un système juridictionnel qui permette enfin de mettre un terme à l’impunité révoltante des criminels contre l’humanité.

J’ai cru, ce matin, que nous étions allés jusqu’où nous pouvions espérer ; ce soir, la frilosité nous a fait revenir en arrière.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il s’agit d’une nuance !

M. Robert Badinter. Il est bon, et nécessaire, que la France mette aujourd'hui un terme à ses réserves concernant la poursuite des auteurs de crimes de guerre. Nous ne nous sommes pas beaucoup pressés à cet égard ; nous aurons attendu le dernier moment, ou presque. Il fallait que ce soit fait.

Je regrette seulement, je le dis aux quelques collègues présents dans l’hémicycle, que nous n’ayons pas, tout au long du processus de mise en œuvre du statut de Rome, joué le même rôle que lors de la création de la Cour pénale internationale.

De même qu’il ne fallait pas à l’époque formuler de réserves s’agissant de la poursuite des auteurs de crimes de guerre - seules la France et la Colombie l’ont fait -, de même, ce soir, il ne fallait pas déroger au principe que nous avons inscrit dans notre droit à l’occasion de la ratification de toutes les conventions relatives aux crimes internationaux, un principe qui n’a rien à voir avec la compétence universelle et qui nous fait obligation, lorsqu’un criminel contre l’humanité se trouve sur notre territoire, de l’appréhender, avant de penser à qui, de l’État ou, le cas échéant, de la Cour pénale internationale, le jugera.

Nous n’avons pas été jusqu’où nous devions aller, et je le regrette. Quoi qu’il en soit, le présent texte constitue un très grand progrès ; il va permettre, du moins dans les conditions que vous avez arrêtées, chers collègues, mais à l’intérieur d’un vaste espace conventionnel, de mettre fin à l’impunité des criminels contre l’humanité et des criminels de guerre. Aussi, monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voterons le projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)