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Dépôt d'un rapport en application d’une loi

M. le président. J’ai reçu de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, en application de l’article 48 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, le rapport préparatoire au débat d'orientation des finances publiques sur l'évolution de l'économie nationale et sur les orientations des finances publiques.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des finances.

Mes chers collègues, je vais suspendre la séance, afin de permettre à la commission des lois de se réunir pour examiner les amendements déposés sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République.

La séance sera reprise à vingt et une heures trente pour l’examen des articles de ce projet de loi.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Roland du Luart.)

PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Question préalable (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Articles additionnels avant l'article 1er ou avant l'article 31

Modernisation des institutions de la Ve République

Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle en deuxième lecture

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, de modernisation des institutions de la Ve République.

Je rappelle que la discussion générale a été close et que deux motions de procédure ont été repoussées.

Nous passons donc à la discussion des articles.

Je rappelle également qu’aux termes de l’article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux assemblées du Parlement n’ont pas encore adopté un texte identique.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 1er

Articles additionnels avant l'article 1er ou avant l'article 31

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° 13, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

Avant l'article premier, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. Le quatrième alinéa de l'article 3 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Sont également électeurs et éligibles aux élections municipales, dans les conditions fixées par une loi organique, les citoyens étrangers majeurs des deux sexes résidant en France et jouissant de leurs droits civils et politiques. Ils ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d'adjoint, ni participer à l'élection des sénateurs. »

II. Dans la première phrase de l'article 88-3 de la Constitution, le mot : « seuls » est supprimé.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement concerne le droit de vote des étrangers aux élections locales.

En effet, lors de l'examen en première lecture de ce projet de loi constitutionnelle, voilà quelques semaines, la Haute Assemblée a refusé d’inscrire le droit de vote des étrangers résidents non communautaires dans la Constitution.

J’ai alors eu le sentiment qu’une telle avancée était pourtant possible, dans la mesure où nous avons tous entendu, dans ce même hémicycle, d’éminents collègues de la majorité défendre ce droit de vote des étrangers.

Je pose de nouveau la question : pourquoi des étrangers qui vivent et travaillent en France depuis parfois plusieurs dizaines d’années, qui respectent bien sûr nos lois, qui paient des impôts comme tout le monde, qui contribuent à la richesse de notre pays, n’auraient-ils pas droit, comme tous les autres citoyens français et européens, de se prononcer sur le choix des élus au motif qu’ils ne sont pas français ?

Il n’est que temps d’envoyer un signal à ces étrangers auxquels la France a tourné le dos aussitôt qu’elle n’a plus eu besoin de leurs bras. Il n’est que temps d’avancer sur ce sujet, qui est d’une importance capitale pour toutes ces personnes résidant sur notre territoire.

D'une part, ce ne serait que leur rendre justice, car, je l’ai déjà dit, ces étrangers contribuent à la richesse de notre pays : puisqu’ils sont égaux en devoirs avec les citoyens français, il serait normal qu’ils soient aussi égaux en droits.

D'autre part, ce serait reconnaître ce que nous leur devons, au nom de ce qui est communément appelé le devoir de mémoire.

Chers collègues de la majorité, démontrez-nous que vous êtes capables d’exprimer un vote personnel, autre que celui qui « tombe d’en haut ». Ayez l’audace de reconnaître le droit de vote des étrangers aux élections municipales. Je le répète, ce serait tout simplement rendre justice à toutes ces femmes et à tous ces hommes qui, depuis de longues années, ont choisi notre pays.

M. le président. L'amendement n° 93, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'avant-dernier alinéa de l'article 3 de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Le droit de vote et d'éligibilité pour l'élection des conseils des collectivités territoriales est accordé aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France, dans les conditions déterminées par une loi organique. »

La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. À titre liminaire, puisque c’est le premier amendement que je présente ce soir au nom du groupe socialiste, je voudrais former un vœu.

Nous avons accepté que la commission des lois tienne une caricature de réunion…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Comment cela ?

M. Bernard Frimat. Monsieur le rapporteur, je le maintiens : il s’agissait d’une caricature de réunion ! (Exclamations sur les travées de lUMP.)

Ainsi, l'examen des amendements en commission a été excessivement rapide. Néanmoins, et en dépit du fait que la majorité n’a pas déposé un seul amendement,…

M. Alain Lambert. Ce n’est pas vrai ! J’en ai déposé !

M. Bernard Frimat. Certes, mon cher collègue, mais vous l’avez fait à titre individuel !

… je souhaite que le débat qui s’ouvre ne soit pas expéditif, même si, je le conçois, il semblera un peu long à ceux qui se cantonneront à un rôle de simple spectateur.

Sur le problème du droit de vote des étrangers aux élections locales, je ferai tout de même remarquer que, pour la première fois peut-être, le Sénat en a discuté, en première lecture,…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Longuement !

M. Bernard Frimat. … de manière apaisée. Ce simple fait représente un progrès.

Nous présentons donc de nouveau, en deuxième lecture, un amendement portant sur ce thème, en sachant pertinemment que son sort, à l’instar de celui de tous les amendements que nous défendrons, ne fait guère de doute. Cependant, nous tenons à souligner ainsi un certain nombre de points importants à nos yeux.

Lors de la première lecture, nous avons entendu des collègues de la majorité, notamment M. Fauchon, se prononcer clairement en faveur du droit de vote des étrangers aux élections locales.

Par conséquent, les mentalités évoluent, et vous ne pourrez pas éternellement rester bloqués sur la même position et défendre le statu quo en la matière. Le Président de la République a lui-même indiqué qu’il était favorable, à titre personnel, au droit de vote des étrangers. Or les opinions personnelles qu’il a exprimées et qui ont ensuite eu force de loi sont suffisamment nombreuses pour que l’on puisse espérer une évolution positive sur ce point précis !

Cela étant, une révision constitutionnelle est indispensable pour introduire une telle disposition.

Mme Boumediene-Thiery vient de développer un certain nombre d’arguments. D’autres collègues interviendront peut-être en explication de vote pour en exposer d’autres. En tout état de cause, monsieur le président, mon but n’est pas de faire durer cette discussion ; je souhaite simplement lui conférer un rythme décent, conforme à la sagesse que prétend détenir notre assemblée.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. À condition de ne pas se répéter de lecture en lecture, car cela devient fastidieux !

M. Bernard Frimat. Il s’agit pour nous d’un point très important. J’ai dit tout à l’heure que refuser aujourd'hui d’accorder ce droit de vote représentait une occasion gâchée de plus. Parmi les multiples arguments que l’on peut avancer, je rappellerai le succès grandissant des votations citoyennes organisées sur ce thème.

À mes yeux, le droit de vote des étrangers aux élections locales, s’agissant de personnes qui travaillent, qui contribuent à la richesse du pays, qui participent pleinement à notre vie locale, en en étant même parfois des acteurs essentiels, mérite mieux qu’une fin de non-recevoir permanente. Il convient à tout le moins d’ouvrir une perspective satisfaisante.

Monsieur le président, voilà ce que je souhaitais dire, en précisant que je ne présenterai pas l’amendement n° 94 que nous avons déposé sur le même sujet et qui diffère simplement de celui-ci par son rattachement à un autre article de la Constitution. J’espère ne pas trop décevoir l’enthousiasme avec lequel mes collègues ne manquent jamais de m’écouter ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Charles Josselin. Très bien !

M. le président. L'amendement n° 82, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Avant l'article 31, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le titre XII de la Constitution, il est inséré un titre XII bis ainsi rédigé :

« TITRE XII BIS

« DU DROIT DE VOTE DES ÉTRANGERS AUX ÉLECTIONS MUNICIPALES

« Art. ... - Le droit de votre et d'éligibilité aux élections municipales est accordé aux étrangers. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. »

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Avec cet amendement, je reviens sur une proposition chère aux membres du groupe communiste républicain et citoyen et à nombre de nos collègues, visant à accorder aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales.

M. Nicolas Sarkozy, lors de sa campagne pour l’élection présidentielle, avait fait savoir qu’il était favorable à une telle mesure. Certains collègues de la majorité s’y sont également déclarés favorables. En outre, lors de son audition devant la commission des lois, le 9 juillet dernier, M. Hortefeux a indiqué qu’il n’y était nullement opposé, à titre personnel, sous réserve de réciprocité.

Chiche ! Engageons le débat avec les peuples et les États concernés ! J’avoue que, comme d’autres, je m’interroge sur les motivations du refus qui est opposé à une demande qui me semble pourtant tout à fait légitime.

De quoi la majorité a-t-elle peur ? Est-ce la peur d’adresser un signal fort à toute une partie de nos concitoyens…

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Ce ne sont pas des citoyens !

Mme Éliane Assassi. … encore écartés de l’exercice d’un droit fondamental, celui de voter, ne serait-ce qu’aux élections locales pour le moment ?

Est-ce la peur d’adresser un signal positif à l’heure où la politique d’immigration de la France et de l’Europe se résume au seul débat sur l’immigration irrégulière ?

Est-ce la peur d’adresser un signal positif à l’heure où le Parlement européen adopte une directive applicable aux majeurs et aux mineurs, tendant à allonger la durée de rétention jusqu’à dix-huit mois, à porter à cinq ans la durée de l’interdiction du territoire et à prévoir le renvoi vers les pays de transit ?

Est-ce la peur d’adresser un signal positif à l’heure où la situation dans les centres de rétention administrative devient ingérable, en raison du durcissement de la législation sur les étrangers et des conséquences que cela entraîne en termes de suroccupation ?

Comme d’autres, j’aimerais obtenir ce soir une réponse claire et précise sur cette question qui me semble essentielle, ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’un droit fondamental.

Par cet amendement, nous proposons donc de saisir l’occasion qui nous est donnée, avec la présente réforme constitutionnelle, de mettre fin à une inégalité flagrante entre des citoyens qui vivent ensemble mais n’ont pas les mêmes droits, selon qu’ils sont ou non ressortissants de l’Union européenne.

S’il vous plaît, ne me répondez pas qu’ils n’ont qu’à demander la nationalité française pour pouvoir voter !

Tout d’abord, on ne l’exige pas des étrangers communautaires.

M. Christian Cointat. Ça, c’est vrai !

Mme Éliane Assassi. Pour des raisons d’équité, nous proposons donc d’appliquer aux ressortissants extracommunautaires les dispositions qui valent pour les ressortissants communautaires.

Ensuite, on n’acquiert pas si facilement la nationalité française : la procédure est longue et, surtout, l’issue est incertaine.

Par conséquent, mes chers collègues, lorsque nous parlons du droit de vote des étrangers, ne nous répondez pas qu’ils n’ont qu’à devenir français !

Pour toutes ces raisons, nous proposons d’étendre à l'ensemble des ressortissants étrangers le droit accordé aux ressortissants des pays de l'Union européenne.

M. le président. L'amendement n° 94, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l'article 31, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 72-4 de la Constitution, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art.... Le droit de vote et d'éligibilité pour l'élection des conseils des collectivités territoriales est accordé aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. »

Cet amendement a déjà été défendu.

Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Madame Assassi, puisque vous me demandez de ne pas répéter ce que j’ai dit lors de la première lecture, je ne le ferai pas !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce sera même plus simple pour moi ! Vous avez d’ailleurs eu raison de rappeler que cette question a déjà été longuement examinée.

Quoi qu’il en soit, en France, jusqu’à preuve du contraire, le droit de vote est lié à la nationalité, à une exception près, concernant les ressortissants de l’Union européenne.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais eux seuls !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Une brèche a été ouverte !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous semblez oublier qu’il existe tout de même une citoyenneté européenne ! En outre, il y a bien entendu réciprocité !

Au demeurant, une telle disposition ne figurait pas dans la rédaction initiale du projet de loi, et ce n’est pas l’objet de la révision constitutionnelle.

Par conséquent, comme en première lecture, et sans reprendre tous les débats que nous avons eus sur ce sujet, j’émets un avis défavorable sur les quatre amendements.

Monsieur Frimat, les travaux de la commission des lois ne relèvent en aucune façon de la caricature.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. J’ai émis un avis sur tous les amendements déposés, tandis que vous proposiez, à l’inverse, de recourir à un vote bloqué !

M. Bernard Frimat. Vous n’êtes pas en cause, monsieur le rapporteur !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce qui serait caricatural, ce serait de reprendre les débats qui ont déjà eu lieu en première lecture dans les deux assemblées sans aboutir à l’insertion de la disposition que vous préconisez.

On peut toujours tout recommencer de zéro, mais il existe tout de même une règle implicite à respecter, selon laquelle il convient, lors d’une nouvelle lecture, de présenter de nouveaux arguments, de nature à faire progresser le débat. Or, en l’espèce, tel n’est pas vraiment le cas !

Par conséquent, je le répète, je suis contraint d’émettre, comme en première lecture, un avis défavorable sur les quatre amendements en discussion commune.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Nous reprenons ici le débat que nous avons eu en première lecture. Ces amendements visent à faire inscrire dans la Constitution le droit de vote et d’éligibilité des étrangers non ressortissants de l'Union européenne aux élections municipales et, plus largement, à toutes les élections locales.

Abordant, lors de la campagne présidentielle, ce sujet extrêmement délicat et controversé, le Président de la République avait déclaré qu’il était important d’obtenir un consensus qui n’existait pas pour l’heure, notamment dans la majorité.

Il convient, en outre, que la réciprocité s’applique, ce qui n’est absolument pas garanti aujourd’hui. Cela étant, d’autres pays européens l’ont demandée et obtenue dans certains cas.

J’ajouterai, madame Assassi, qu’il existe tout de même un lien particulier entre l’électeur et la nation, entre la citoyenneté et la nationalité. Vous n’acceptez pas que l’on vous objecte qu’un étranger désireux de participer aux élections peut demander la nationalité française. Serait-ce faire offense ou injure que de proposer à un étranger qui souhaite participer aux élections de solliciter la nationalité française ?

Je tiens en outre à souligner que la demande d’acquisition de la nationalité française peut souvent être aussi l’occasion de vérifier l’adhésion aux valeurs de la République, s’agissant notamment du principe de laïcité. L’actualité récente vient de le montrer.

Mme Éliane Assassi. Vous forcez le trait !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Non, madame Assassi, c’est une réalité ! Il est important de rappeler que solliciter la nationalité française est un acte citoyen majeur.

Les orateurs ont eu raison de souligner l’importance du fait de participer à des élections locales, même sans avoir la nationalité française. Cependant, il est tout aussi important de rappeler que l’acquisition de la nationalité manifeste une certaine adhésion aux valeurs de la République. Des dégâts locaux importants peuvent conduire, à terme, à des dégâts nationaux importants.

Le Gouvernement est défavorable aux quatre amendements.

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote sur l’amendement n° 13.

M. David Assouline. Ce débat, nous l’avons déjà eu et nous l’aurons encore, c’est vrai. Aujourd’hui, je voudrais, madame la garde des sceaux, en appeler à la cohérence : soit vous vous déclarez favorable à l’octroi du droit de vote aux élections locales pour les étrangers, mais vous ne l’accordez pas faute de consensus ; soit vous argumentez contre, en invoquant par exemple un lien entre nationalité et citoyenneté, l’exigence de réciprocité, la nécessité d’adhérer aux valeurs de la République, etc.

J’attends donc que vous fassiez preuve de cohérence, afin que nous puissions avoir un débat vraiment franc et ouvert. En effet, pour l’heure, votre argumentation est contradictoire : d’une part, vous nous dites que le Président de la République s’est déclaré favorable au droit de vote des étrangers aux élections locales, ce qui signifie qu’il a tranché personnellement le débat intellectuel sur la réciprocité et sur le lien entre nationalité et citoyenneté ; d’autre part, vous indiquez qu’il renonce à mettre en œuvre une telle disposition faute de consensus.

Or votre problème, c’est l’absence de consensus au sein de l’UMP ! En effet, si l’on additionne ceux qui ont voté au second tour de l’élection présidentielle pour notre candidate, dont le programme comportait l’octroi du droit de vote aux étrangers, et ceux de vos électeurs qui sont favorables à ce droit de vote, on obtient une large majorité, regroupant davantage de citoyens que la conjonction de la fraction la plus droitière de l’UMP et du Front national. Mais vous n’osez pas, sur un tel sujet, aller au bout de la conviction qui est certainement la vôtre, parce que vous préférez maintenir, autour de la question de l’immigration, l’association de deux électorats qui ne devraient normalement rien avoir en commun !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Arrêtez !

M. David Assouline. Je dirai, en guise de conclusion, que ce débat sur le lien entre nationalité et citoyenneté a été tranché au fond par l’obtention du droit de vote aux élections locales par les ressortissants communautaires. On peut participer aux élections locales en ayant la nationalité d’un autre pays, sans avoir la nationalité française.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La citoyenneté européenne !

M. David Assouline. Je sais ce que je dis, monsieur Hyest, il n’y a pas de nationalité européenne ! Moi, je vous parle d’autre chose ! Vous dites qu’il y a une connexion entre nationalité et citoyenneté.

M. David Assouline. Pourtant, la nationalité espagnole ou italienne, par exemple, se marie en quelque sorte à la citoyenneté française lors des élections locales. Prétendre que c’est la citoyenneté européenne qui ouvre le droit de voter aux élections locales revient à invoquer une espèce de nationalité européenne qui n’existe pas encore !

En tout cas, il suffit de gratter un peu pour faire apparaître votre incohérence.

M. Christian Cointat. Nous sommes parfaitement cohérents !

M. David Assouline. Alors que nombre de pays démocratiques européens ont avancé sur cette question, alors que l’opinion française a largement évolué sur ce sujet, vous restez recroquevillés sur votre attitude passée d’hostilité et cramponnés à un électorat que vous ne voulez pas perdre, pour des raisons évidentes, quitte à faire de l’immigration un thème éternel de discorde !

M. Gérard Longuet. On l’a connu meilleur !

M. le président. La parole est à M. Charles Josselin, pour explication de vote.

M. Charles Josselin. Bien des arguments ont déjà été échangés sur le thème qui nous occupe. Je voudrais, pour ma part, revenir sur le lien entre l’inclusion citoyenne et l’inclusion sociale.

Beaucoup d’élus locaux présents dans cet hémicycle pratiquent, à la tête de leur département, de leur région, de leur commune, ce que l’on appelle la coopération décentralisée. Celle-ci trouve très souvent son moteur dans la présence d’une importante communauté de migrants, désireuse de créer des liens entre sa commune d’accueil et son pays d’origine.

J’ai rencontré ainsi des dizaines de migrants qui m’ont fait part de leur désir de s’investir davantage dans la vie locale, dans la vie municipale, tout simplement en exerçant le droit de vote.

Ce refus de leur accorder le droit de vote aux élections locales me paraît si dépourvu d’arguments que l’on ne peut pas ne pas faire le rapport avec le refus de visa, qui, aujourd’hui, n’a plus besoin d’être justifié. La situation est la même !

En ce qui concerne la nécessité supposée d’un consensus, chers collègues, je ferai observer que s’il en fallait nécessairement un pour conduire les réformes, les choses n’évolueraient guère !

M. Gérard Longuet. C’est vrai !

M. Charles Josselin. En ce qui concerne la réciprocité, croyez-vous que la question de l’inclusion sociale et citoyenne des Français dans les pays étrangers soit de même nature que celle de l’inclusion sociale et citoyenne des migrants chez nous ? La sociologie n’est pas tout à fait la même !

Il s’agit d’une mauvaise ligne de défense, et d’un signal très négatif adressé à une communauté de migrants qui, surtout au lendemain du sommet de l’Union pour la Méditerranée, attend à juste titre tout autre chose de notre part ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela n’a rien à voir !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la garde des sceaux, vos propos selon lesquels des dégâts locaux entraînent des dégâts nationaux me paraissent pour le moins sibyllins. Peut-être pourrez-vous vous expliquer davantage…

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je peux préciser, si vous le voulez !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Comme cela a été dit, s’agissant du débat sur le lien entre nationalité et citoyenneté, une rupture est intervenue avec l’avènement de cette construction de l’esprit qu’est la citoyenneté européenne.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cette rupture a mis brutalement en évidence une contradiction extrême entre la situation d’Européens reconnus comme nos concitoyens et celle de personnes, en général issues de pays de la rive sud de la Méditerranée, qui vivent chez nous depuis très longtemps. J’ai coutume de dire qu’entre mon voisin allemand qui vient d’arriver en France et mon voisin tunisien qui y vit depuis vingt ans, « il n’y a pas photo » en termes de citoyenneté et de participation à la vie de la cité. Qui peut soutenir le contraire ?

Nous sommes un pays d’immigration ancienne, accueillant des populations venant surtout de l’autre rive de la Méditerranée. Certes, nous avons accueilli aussi des Italiens et des Espagnols, mais ils sont devenus, pour la plupart, français depuis longtemps.

M. Gérard Longuet. Il y a eu des Portugais, des Polonais…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Or vous prétendez ignorer cette réalité. Que recouvre la citoyenneté ? Est-ce lié au fait de travailler en France, d’y payer ses impôts ?

Vous invoquez la tradition, allez jusqu’au bout ! Nous sommes issus de la Révolution de 1789 : à cette époque prévalait une autre conception de la citoyenneté et de la nationalité, puisqu’étaient citoyens français ceux qui voulaient l’être. Voilà qui est, à mes yeux, vraiment progressiste ! Il y a des étrangers qui veulent voter parce qu’ils se sentent citoyens de ce pays, en tout cas à l’échelon local. Par parenthèse, j’ajouterai que la citoyenneté locale pourrait se distinguer de la nationalité ! Vos arguments sont faibles !

Pour moi, aspirer à accéder à la citoyenneté et participer à la vie de la cité où l’on habite depuis longtemps n’est pas sans rapport avec le droit du sol.

Vous le savez aussi bien que moi, si certains ne demandent pas la nationalité française, c’est très souvent en raison de considérations particulières, ne serait-ce que l’attachement à sa nationalité d’origine. Combien d’entre nous garderaient la nationalité française s’ils vivaient à l’étranger ? En outre, bien des pays ne reconnaissent pas la double nationalité !

Tous les arguments que l’on oppose au droit de vote des étrangers aux élections locales sont spécieux et ne tiennent pas au regard de la situation d’autres pays européens qui ont accordé un tel droit.

Par ailleurs, on invoque la réciprocité : faisons le premier geste, et on verra ce qu’il adviendra !

S’agissant enfin du consensus, c’est probablement surtout à l’UMP qu’un problème se pose ! En effet, les Français sont aujourd’hui majoritairement favorables au vote des étrangers non communautaires aux élections locales. L’opinion de la majorité des Français ne vous suffit donc pas ? La réalité, c’est que vous privilégiez délibérément la minorité de Français qui n’est pas favorable au vote des étrangers !