Sommaire

Présidence de Mme Michèle André

1. Procès-verbal

2. Dépôt d'un rapport en application d’une loi

3. Orientation budgétaire. – Débat sur une déclaration du Gouvernement.

MM. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique ; Jean Arthuis, président de la commission des finances ; Nicolas About, président de la commission des affaires sociales ; Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances ; Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales, chargé des équilibres financiers généraux de la sécurité sociale ; Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles ; Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Christian Gaudin, Mme Nicole Bricq.

PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron

M. Roland du Luart.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

4. Saisine du Conseil constitutionnel

5. Orientation budgétaire. – Suite d’un débat sur une déclaration du Gouvernement.

Mme Christiane Demontès, MM. Serge Dassault, Adrien Gouteyron.

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.

Clôture du débat.

6. Modernisation des institutions de la Ve République. – Suite de la discussion d’un projet de loi constitutionnelle en deuxième lecture.

Rappel au règlement

M. Jean-Claude Peyronnet, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, rapporteur ; Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.

Article additionnel après l’article 9

Amendement n° 106 de M. Bernard Frimat. – MM. Jean-Claude Peyronnet, Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois ; le secrétaire d'État. – Rejet.

Article additionnel après l’article 10

Amendement n° 107 de M. Bernard Frimat. – MM. Jean-Pierre Sueur, le rapporteur, le secrétaire d'État, Pierre-Yves Collombat, Jean-Claude Peyronnet. – Rejet.

Article 11

Amendement n° 50 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et sous-amendement no 147 de M. Michel Dreyfus-Schmidt. – Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Michel Dreyfus-Schmidt, le rapporteur, le secrétaire d'État, Jean-Pierre Sueur, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Rejet du sous-amendement et de l’amendement.

Amendement n° 49 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.

Amendements nos 1 et 19 de M. Alain Lambert. – MM. Alain Lambert, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet des deux amendements.

Amendement no 109 de M. Bernard Frimat. – Mme Nicole Bricq, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État, Michel Dreyfus-Schmidt. – Rejet.

Amendement no 108 de M. Bernard Frimat. – MM. Bernard Frimat, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.

Adoption de l'article.

Article 12

Amendements nos 110 de M. Bernard Frimat, 52 et 51 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – M. Jean-Pierre Sueur, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron

MM. le rapporteur, le secrétaire d'État, Jean-Pierre Sueur, Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Robert Badinter. – Rejet, par scrutin public, de l’amendement no 110 ; rejet des amendements nos 52 et 51.

Adoption de l'article.

Article 13

M. Didier Boulaud.

Amendements nos 53 rectifié de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, 55 à 57 de Mme Michelle Demessine, 111, 112 de M. Bernard Frimat, 11 de Mme Alima Boumediene-Thiery, 113 et 114 de M. Bernard Frimat. – MM. Robert Bret, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État, Jean-Luc Mélenchon. – Rejet des neuf amendements.

Adoption de l'article.

Article additionnel après l'article 13

Amendement n° 115 de M. Bernard Frimat. – Mme Gisèle Printz, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.

Article 14

Amendement n° 116 de M. Bernard Frimat. – MM. Bernard Frimat, le rapporteur, le secrétaire d'État, Michel Dreyfus-Schmidt. – Rejet.

Amendement no 117 de M. Bernard Frimat– MM. Jean-Pierre Sueur, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.

Amendement n° 118 de M. Bernard Frimat. – MM. Jean-Pierre Sueur, le rapporteur, le secrétaire d'État, Michel Dreyfus-Schmidt, Jean-René Lecerf. – Rejet.

Adoption de l'article.

Articles additionnels après l'article 14

Amendement n° 58 rectifié de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État, Jean-Pierre Fourcade. – Rejet.

Amendement n° 22 de M. Alain Lambert. – MM. Alain Lambert, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Retrait.

Article 15

Amendements nos 119 de M. Bernard Frimat et 59 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – M. Jean-Pierre Sueur, Mme Éliane Assassi, MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet des deux amendements.

Adoption de l'article.

Article 16

Amendements nos 60 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, 120 de M. Bernard Frimat et 23 de M. Alain Lambert. – Mmes Éliane Assassi, Gisèle Printz, MM. Alain Lambert, le rapporteur, le secrétaire d'État, Michel Dreyfus-Schmidt, Josselin de Rohan, Jean-Claude Peyronnet, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Philippe Marini, Christian Cointat. – Retrait de l’amendement no 23 ; rejet des amendements nos 60 et 120.

Adoption de l'article.

Article 17

Amendement n° 27 de Mme Nathalie Goulet. – Mme Nathalie Goulet, M. le vice-président de la commission, Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. – Retrait.

Adoption de l'article.

Article 18

Motion no 148 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, demandant le renvoi de l’article à la commission. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. le vice-président de la commission, Mme le garde des sceaux. – Rejet.

Amendements identiques nos 62 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 121 de M. Bernard Frimat ; amendements nos 63 à 66 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, 8 de Mme Alima Boumediene-Thiery, 24 de M. Alain Lambert et 122 de M. Bernard Frimat. – Mmes Josiane Mathon-Poinat, Christiane Demontès, Alima Boumediene-Thiery.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert

7. Conférence des présidents

8. Modernisation des institutions de la Ve République. – Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi constitutionnelle en deuxième lecture.

Article 18 (suite)

MM. Alain Lambert, Pierre-Yves Collombat, Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, rapporteur ; Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement ; Bernard Frimat, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat, Mme Alima Boumediene-Thiery. – Retrait de l’amendement n° 24 ; rejet, par scrutin public, des amendements nos 62 et 121 ; rejet des amendements nos 63 à 66, 8 et 122.

Adoption de l'article.

Article 19

Amendements nos 68, 67, 61 rectifié de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 123 à 125 de M. Bernard Frimat. – MM. Robert Bret, Thierry Repentin, Jean-Pierre Sueur, Bernard Frimat, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. – Rejet des six amendements.

Adoption de l'article.

Article 20

Amendements identiques nos 69 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 126 de M. Bernard Frimat. – Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Bernard Frimat, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. – Rejet des deux amendements.

Adoption de l'article.

Article additionnel avant l'article 21

Amendement n° 25 de M. Alain Lambert. – MM. Alain Lambert, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. – Rejet.

Article 21

Amendement n° 127 de M. Bernard Frimat. – Mme Nicole Bricq, MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. – Rejet.

Adoption de l'article.

Article 22

Amendement n° 70 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. – Rejet.

Amendements nos 71 à 73 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. – Rejet des trois amendements.

Amendements nos 128 de M. Bernard Frimat et 74 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – M. Bernard Frimat, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. – Rejet des deux amendements.

Adoption de l'article.

Article 23

Amendement n° 75 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat ; amendements identiques nos 2 de Mme Alima Boumediene-Thiery et 129 de M. Bernard Frimat. – M. Robert Bret, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Pierre-Yves Collombat, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. – Rejet des trois amendements.

Adoption de l'article.

Article 23 bis

Amendement n° 130 de M. Bernard Frimat. – MM. Jean-Pierre Sueur, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. – Rejet.

Adoption de l'article.

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

Article 24

Amendements nos 131 rectifié de M. Bernard Frimat et 76 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – MM. Bernard Frimat, Ivan Renar, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. – Rejet des deux amendements.

Amendements nos 132, 133 de M. Bernard Frimat, 6 de Mme Alima Boumediene-Thiery et 77 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – MM. Bernard Frimat, Pierre-Yves Collombat, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Ivan Renar, le rapporteur, le secrétaire d'Etat, Michel Mercier. – Retrait de l’amendement n° 133 ; rejet des amendements nos 132, 6 et 77.

Adoption de l'article.

Article 24 bis (supprimé)

Amendement n° 78 rectifié de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – MM. Robert Bret, le rapporteur, Mmes Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice ; Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Robert Badinter. – Rejet de l’amendement, l’article demeurant supprimé.

Article 24 ter (supprimé)

Amendement n° 134 de M. Robert Badinter. – MM. Robert Badinter, le rapporteur, Mme le garde des sceaux, M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet de l’amendement, l’article demeurant supprimé.

Article 25

Amendement n° 135 de M. Robert Badinter. – MM. Robert Badinter, le rapporteur, Mme le garde des sceaux, MM. Jean-Pierre Sueur, Jean-René Lecerf. – Rejet.

Amendement n° 136 de M. Robert Badinter. – MM. Robert Badinter, le rapporteur, Mme le garde des sceaux, M.  Josselin de Rohan, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Rejet.

Adoption de l'article.

Article 25 ter (supprimé)

Amendement n° 79 rectifié de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – M. Robert Bret, le rapporteur, Mme la garde des sceaux. – Rejet de l’amendement, l’article demeurant supprimé.

Article additionnel après l’article 26

Amendement n° 15 de M. Hubert Haenel. – Mme Catherine Troendle, M. le rapporteur, Mme la garde des sceaux, M. Hubert Haenel. – Retrait.

Article 28

Amendements nos 81, 80 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 137 de M. Robert Badinter. – Mme Josiane Mathon-Poinat, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux, M. Robert Badinter. – Rejet des trois amendements.

Adoption de l'article.

Article 30 quater. – Adoption

Article 30 quinquies

Amendement n° 138 rectifié de M. Bernard Frimat. – MM. Bernard Frimat, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Rejet.

Adoption de l'article.

Article 30 sexies

Amendement n° 139 de M. Bernard Frimat. – MM. Bernard Frimat, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Rejet.

Adoption de l'article.

Article 30 septies

Mme Alima Boumediene-Thiery.

Amendement n° 91 rectifié de M. Ivan Renar. – MM. Ivan Renar, le rapporteur, Mme le garde des sceaux, MM. Gaston Flosse, Pierre-Yves Collombat. – Rejet.

Adoption de l'article.

Article 31 bis – Adoption

Articles additionnels avant l'article 32

Amendement n° 84 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – MM. Robert Bret, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Rejet.

Amendement n° 85 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Rejet.

Article 32

Amendements identiques nos 5 de Mme Alima Boumediene-Thiery et 140 de M. Bernard Frimat. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Bernard Frimat, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. – Rejet des deux amendements.

Adoption de l'article.

Article 33

Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. de Josselin de Rohan, Bernard Frimat, Christian Cointat, Robert Bret.

Amendements identiques nos 18 rectifié de M. Bruno Retailleau et 86 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat ; amendements nos 141 de M. Bernard Frimat et 87 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – MM. Bruno Retailleau, Robert Bret, Bernard Frimat, le rapporteur, Mme le garde des sceaux, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Rejet des quatre amendements.

Adoption de l'article.

Article additionnel après l'article 33

Amendement n° 142 de M. Bernard Frimat. – MM. Bernard Frimat, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Rejet.

Article 33 bis

Amendement n° 88 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Rejet.

Adoption de l'article.

Article 34

Amendement n° 143 de M. Bernard Frimat. – M. Bernard Frimat, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. –Rejet.

Amendements nos 4 de Mme Alima Boumediene-Thiery et 144 de M. Bernard Frimat. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Bernard Frimat, le rapporteur, Mme le garde des sceaux, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Pierre Sueur. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 145 de M. Bernard Frimat. – Devenu sans objet.

Adoption de l'article.

Article 35

Amendements nos 90 et 89 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – MM. Robert Bret, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Rejet des deux amendements.

Adoption de l'article.

Vote sur l'ensemble

MM. Pierre Laffitte, Patrice Gélard, Bernard Frimat, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Alima Boumediene-Thiery, MM. Robert del Picchia, Michel Mercier.

Adoption, par scrutin public, du projet de loi constitutionnelle.

M. le secrétaire d'Etat.

9. Texte soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution

10. Dépôt d'un rapport d'information

11. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de Mme Michèle André

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt d'un rapport en application d’une loi

Mme la présidente. M. le Président du Sénat a reçu de M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, président de l’Observatoire de la sécurité des cartes de paiement, le rapport pour 2007 de cet organisme, établi en application de l’article L. 141-4 du code monétaire et financier.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il sera transmis à la commission des finances et sera disponible au bureau de la distribution.

3

Orientation budgétaire

Débat sur une déclaration du Gouvernement

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat d’orientation budgétaire (nos 456 et 457).

La parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat d’orientation des finances publiques est toujours un moment essentiel, car il permet de débattre des questions de fond. Il revêt aujourd’hui une importance plus grande encore, car j’ai l’honneur de vous transmettre, pour la première fois dans l’histoire de nos finances publiques, les plafonds de dépenses par mission pour les trois prochaines années. C’est une avancée majeure pour la gestion, la visibilité, la prévisibilité et le pilotage des finances de l’État.

Beaucoup a été accompli au cours de l’année écoulée, notamment la mise en œuvre de la révision générale des politiques publiques, ou RGPP. Nous sommes désormais à un moment crucial pour nos finances publiques.

Les solutions de facilité sont caduques, notamment l’endettement à faible coût, qui a prévalu pendant de nombreuses années. Parallèlement, les générations issues du baby-boom arrivent à la retraite.

Les travaux que nous avons menés ensemble tout au long de l’année seront les fondements de la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques. Ils nous permettront de concilier une contrainte financière extrêmement forte avec le maintien d’un service public de qualité et d’un système social protecteur.

Je souhaite, pour commencer, faire un point sur l’exécution du budget 2008.

Si l’objectif d’un déficit public de 2,5 points de PIB demeure, il nécessite cependant une grande vigilance concernant la dépense.

Les recettes fiscales de l’État seraient en moins-values par rapport à la loi de finances initiale. Quand, en avril dernier, nous avons révisé notre prévision de croissance du PIB entre 1,7 % et 2 %, nous supposions implicitement que les recettes fiscales enregistreraient une moins-value de 3 milliards à 5 milliards d’euros par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale. Les données supplémentaires disponibles à ce jour sur 2008 ne remettent pas en cause cette fourchette.

Sur les dépenses de l’État, c’est essentiellement la révision à la hausse de la charge de la dette qui pèse sur l’exécution, 2 milliards à 3 milliards d’euros supplémentaires par rapport à la loi de finances initiale.

Ce dérapage provient de la hausse des taux d’intérêt et surtout de l’augmentation de l’inflation, qui pèse sur le provisionnement de la charge des obligations indexées.

La mise en réserve de crédits 2008 est typiquement destinée à faire face aux besoins apparaissant en cours d’exécution. À ce stade de l’année, j’estime qu’environ la moitié des crédits mis en réserve, de l’ordre de 3 milliards d’euros, pourrait faire l’objet d’une annulation.

En dépit du poids croissant des charges d’intérêt, je conserve donc l’objectif de respecter l’enveloppe de la loi de finances initiale que vous avez votée.

Pour la sécurité sociale, nous respectons le cadrage financier de la loi de financement de la sécurité sociale, ou LFSS. Le déficit du régime général serait d’environ 8,9 milliards d’euros, donc exactement en phase avec le déficit de 8,8 milliards d’euros prévu dans la LFSS pour 2008.

Ces résultats s’expliquent principalement par les mesures de régulation votées dans la LFSS pour 2008, et par la bonne tenue des recettes, grâce au dynamisme de l’emploi, qui bénéficie d’ailleurs non seulement au régime général, mais aussi à l’ensemble de la sphère sociale.

Sur l’assurance maladie, le comité d’alerte a prévu un dépassement de l’ONDAM, l’objectif national de dépenses de l’assurance maladie, de 500 millions à 900 millions d’euros. Avec Mme Roselyne Bachelot, je reste particulièrement vigilant sur ce point, car nous ne nous satisfaisons pas de ce dépassement, même s’il est inférieur au seuil d’alerte de 1,1 milliard d’euros et au dérapage de 3 milliards d’euros enregistré à la même époque l’année dernière. Je suis persuadé, au demeurant, que MM. Nicolas About et Alain Vasselle partagent mon point de vue. J’insiste sur ce point, car nous assistons parfois à un dérapage, probablement lié à notre culture, qui consiste à intégrer le seuil d’alerte dans l’objectif de dépenses. Or nous ne pouvons pas raisonner ainsi !

Sans verser dans l’optimisme, je confirme que, dans ces conditions, un déficit de 2,5 points de PIB constitue toujours l’objectif du Gouvernement.

Après ce bref rappel des perspectives pour 2008, je veux revenir sur notre stratégie de moyen terme.

Depuis un an, nous appliquons avec constance la même stratégie pour le rétablissement de nos finances publiques, qui est de conjuguer développement de la croissance potentielle de l’économie et maîtrise des finances publiques.

D’une part, il faut développer la croissance potentielle de l’économie grâce aux réformes de structure. Vous avez eu l’occasion d’en débattre de nombreuses fois, mesdames, messieurs les sénateurs, notamment avec Mme Christine Lagarde, au cours de l’examen du projet de loi de modernisation de l’économie, et vous aurez l’occasion de poursuivre ce débat avec M. Xavier Bertrand à l’occasion de l’examen du projet de loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail.

D’autre part, il faut maîtriser la dépense publique, et pour cela, comme je l’ai dit et répété à de multiples reprises, diviser par deux le taux de croissance de la dépense en volume, pour avoir une croissance annuelle de la dépense de l’ordre de 1 % en euros constants.

C’est ainsi que nous retrouverons l’équilibre de nos finances publiques en 2012, et celui de la sécurité sociale dès 2011.

Je sais que nous divergeons quelque peu, monsieur le rapporteur général, sur l’évaluation des efforts nécessaires à la mise en œuvre de cette stratégie. Je note cependant que, en un an, nos estimations se sont rapprochées. En réalité, nous devons faire un effort de dix milliards d’euros par an par rapport au tendanciel. C’est la clef de l’équilibre de l’ensemble des finances publiques.

Dès lors, comment, très concrètement, s’articule la préparation du premier budget triennal avec la stratégie de moyen terme ?

Le premier pas du retour à l’équilibre de nos finances publiques en 2012 consiste à se fixer un objectif ambitieux pour 2009 : il convient de réduire le déficit public de 0,5 point de PIB, pour le ramener à 2 points de PIB. D’autres pays l’ont fait avant nous ; cet effort est donc parfaitement réalisable et attendu par nos partenaires européens. Mais, bien au-delà, le Président de la République l’a rappelé plusieurs fois, cet assainissement des finances de l’État renforcera l’ensemble des réformes en cours destinées à soutenir la croissance. Il ne peut y avoir de croissance durable sans des finances publiques soutenables.

Pour parvenir à cet équilibre, il faut agir dans trois directions : stabiliser chaque année la dépense de l’État en euros constants sur le périmètre élargi établi lors du projet de loi de finances pour 2008 ; réaliser un effort de redressement des comptes de l’assurance maladie de 4 milliards d’euros, dès 2009, pour assurer le retour à l’équilibre du régime général au plus tard en 2011 ; poursuivre les réformes pour trouver nos propres ressorts de croissance dans un environnement mondial difficile.

L’une des principales difficultés de cet environnement, c’est la poussée inflationniste que nous connaissons. Or l’inflation, contrairement à l’opinion répandue parmi nos concitoyens, n’est pas favorable aux finances publiques. Elle augmente les dépenses, immédiatement via la charge des obligations indexées, et l’année suivante via les prestations familiales et de retraite.

En outre, elle n’a pas forcément un effet bénéfique sur les recettes, contrairement à une croyance tenace. L’inflation que nous connaissons aujourd’hui, qui provient principalement des matières premières, est importée. Elle pèse donc sur l’activité et sur les volumes produits. Certes, les prix augmentent, mais les volumes diminuent. Au total, l’effet de l’inflation sur les recettes fiscales est donc très ambigu. Finalement, une telle inflation coûte plus qu’elle ne rapporte !

Je souhaite revenir plus précisément sur la construction du budget de l’État. Pour la première fois, nous mettons à votre disposition, mesdames, messieurs les sénateurs, les plafonds de dépenses par mission pour les trois prochaines années. C’est une avancée majeure pour la clarté et l’efficacité de la dépense de l’État. Cependant, la construction de ce budget triennal se fait dans un environnement plus contraint qu’il ne l’a jamais été, et ce pour trois raisons.

Tout d’abord en stabilisant les dépenses en euros constants dans le périmètre de la norme élargie, nous faisons un effort supérieur à tout ce qui a été fait par le passé, puisque, en moyenne, de 1999 à 2007, la croissance de la dépense de l’État sur ce périmètre élargi aurait été de 1,1 %.

Ensuite, nous tenons à faire disparaître les sous-dotations qui ont, pendant des années, caractérisé la construction des budgets. Vous les pointez systématiquement du doigt, à juste titre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Tout à fait !

M. Éric Woerth, ministre. Je pense particulièrement aux sous-dotations concernant les crédits dus à la sécurité sociale.

Enfin, les dépenses héritées du passé sont bien plus dynamiques qu’auparavant. L’arrivée à l’âge de la retraite des générations du baby-boom entraîne un accroissement du montant des pensions, qui progressera de près de 2,5 milliards d’euros en moyenne par an de 2009 à 2011.

La charge de la dette s’accroît également brutalement. De 2003 à 2007, elle était quasiment stable. Dans les années à venir, elle augmentera d’un peu plus de 2 milliards d’euros chaque année en moyenne. À titre de comparaison, 2 milliards d’euros, c’est grosso modo la moitié du budget du ministère des affaires étrangères ou la totalité du budget de la culture. C’est très important.

Au total, de 2003 à 2007, le cumul de la charge de la dette et des pensions représentait moins de 30 % de l’augmentation de la dépense de l’État. À l’avenir, c’est exactement le phénomène inverse : la dette et les pensions en absorberont 70 %. C’est un renversement majeur : de 70 % de marge de manœuvre, on passe à 30 %, ou, si vous préférez cette présentation, à 70 % de dépenses contraintes.

Il faut y ajouter l’évolution des prélèvements sur recettes au profit de l’Union européenne et des collectivités territoriales : ce n’est alors plus 70 % de la progression des dépenses qui est contrainte, c’est 100 % !

Au total, réaliser le « zéro volume » sur la norme élargie, c’est en fait équivalent à stabiliser en euros courants les dépenses des ministères. Il faut se rendre compte de ce que cela signifie. Certains nous disent qu’il faut en faire plus ; les sénateurs ici présents sont suffisamment experts pour le savoir.

Cela signifie d’abord « zéro valeur » sur les dépenses de personnel. Nous y parvenons grâce à la révision générale des politiques publiques, qui nous permet d’effectuer 30 627 non-remplacements de fonctionnaires partant à la retraite pour l’État.

Par ailleurs, monsieur le rapporteur général, les opérateurs sont aussi associés – vous y êtes sensible – à l’effort de réduction des effectifs.

M. Philippe Marini, rapporteur général. C’est la première fois !

M. Éric Woerth, ministre. Dès 2009, nous atteignons donc quasiment notre objectif de non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux. Vous trouverez le détail de ces non-remplacements, mission par mission et ministère par ministère, dans le tableau qui vous a été distribué.

À l’inverse d’une logique purement arithmétique ou comptable, qui serait vouée à l’échec, l’effort demandé découle toujours des réformes mises en œuvre.

Certains ministères font ainsi plus que la moyenne, d’autres moins, mais, lors de la RGPP, la recherche des gains de productivité a été poursuivie par tous avec la même intensité. Ces non-remplacements s’accompagnent bien évidemment, comme cela avait été annoncé par le Président de la République, d’un retour vers les fonctionnaires de 50 % des économies induites par les gains de productivité réalisés dans chaque ministère.

C’est aussi le « zéro valeur » pour les budgets d’intervention et de fonctionnement des différents ministères. Il faut naturellement faire des choix. L’enceinte de discussion incomparable qu’offraient les nombreuses « réunions RGPP », auxquelles Philippe Marini était présent, nous y a beaucoup aidés.

Je tiens vraiment à le dire, le travail de la révision générale des politiques publiques enrichira vraiment, dans les années qui viennent, les décisions à prendre concernant l’orientation de nos finances publiques. On ne mesure pas à quel point ce travail est important dans un avenir proche : c’est ce qui nous a permis d’aller au fond de chaque sujet, pas uniquement pour 2009, mais pour les trois ans qui viennent. Il s’agit de prévoir une réforme en 2010 ou en 2011 et d’en inscrire dès maintenant l’impact dans nos finances publiques. La RGPP est en fait le creuset du budget triennal.

Parmi les dépenses, il y a naturellement des priorités.

La première d’entre elles est l’enseignement supérieur et la recherche, dont les moyens seront augmentés de 1,8 milliard d’euros par an, conformément aux engagements du Président de la République.

La mise en œuvre du Grenelle de l’environnement est aussi un engagement majeur du quinquennat. Son déploiement concernera un large éventail de projets comme le logement, le transport ou la recherche. Sa mise en œuvre mobilisera des leviers budgétaires, mais également des outils réglementaires et fiscaux dès le projet de loi de finances pour 2009.

La justice est évidemment une priorité, plus particulièrement l’administration pénitentiaire : 13 200 places de prison seront construites dans les années qui viennent pour « armer » ces établissements. La question des personnels est donc essentielle.

Par ailleurs, compte tenu des besoins en équipement de la défense, on peut dire que le budget d’équipement de la défense est devenu une « quasi-priorité ». J’y insiste, comme mon collègue Hervé Morin, car ce n’est pas ce que j’ai lu ici ou là !

Comme il faut financer ces priorités avec une enveloppe constante, il est évident que certains budgets doivent s’adapter, et donc baisser, afin de nous permettre de respecter notre norme de dépense. Il n’y a eu aucun tabou dans nos discussions, par exemple pour la diminution d’un budget, et je souhaiterais, monsieur le président de la commission des finances, que nous restions sur cette base culturelle du débat d’orientation budgétaire…

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !

M. Éric Woerth, ministre. … au moment de la discussion budgétaire de l’automne prochain.

Même dans les politiques prioritaires, la RGPP permet de rationnaliser les dépenses. La diminution d’un budget entre 2009 et 2011 ne signifie donc pas qu’une politique n’est pas prioritaire. C’est une question de redéploiement et de productivité de l’euro dépensé. Il faut avoir cela à l’esprit pour éviter tout commentaire déplacé à ce sujet.

Je le répète, une diminution des crédits à un moment donné ne préjuge en rien le caractère prioritaire ou non d’une politique. Je l’ai déjà affirmé hier devant les députés, mais peut-être moins fortement qu’aujourd’hui. Il faut prendre en compte tous les outils à disposition pour juger d’une politique, d’une mission ou des crédits qui y sont affectés.

Prenons quelques exemples.

Les crédits de la mission « Écologie, développement et aménagement durable » diminueront en 2011, pour la simple raison que de nouvelles ressources pourront être mobilisées à ce moment-là. Je pense au financement de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, ce qui permet de jouer sur la subvention de l’État.

Nous nous trouvons dans un jeu complexe, avec plusieurs niveaux de ressources différents, qui peuvent évoluer en trois ans. Mais nous devons intégrer dès maintenant, et c’est tout l’intérêt et toute la force du budget triennal, ces perspectives à moyen terme.

Vous avez entre les mains les résultats de nos travaux. Je ne vais pas « égrener » mission par mission ces résultats, mais ils traduisent tous l’ampleur des réformes qui sont mises en œuvre. Par exemple, dans la mission « Ville et logement », une large réorientation du « 1 % logement » sera opérée. La mission « Sécurité », qui dépend de Mme Alliot-Marie, traduit les orientations de la future loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure dont vous aurez à débattre. Les conclusions de la RGPP sur la mission « Travail et emploi » conduisent à limiter la durée des contrats aidés, qui seront ainsi recentrés sur les personnes les plus éloignées de l’emploi. À partir de 2010, la formation professionnelle sera également mieux orientée au profit des demandeurs d’emploi, qui doivent en être les premiers bénéficiaires.

Pour éviter toute ambigüité, je signale que ces plafonds de dépenses ne contiennent pas à ce stade le revenu de solidarité active, pour la simple et bonne raison que ses modalités, et donc a fortiori son financement, ne sont pas encore arrêtées. Elles le seront, puisque le Président de la République et le Premier ministre ont confirmé à plusieurs reprises leur arbitrage concernant la création du RSA. La question qui se pose est donc celle de ses modalités de gestion et de sa mise en œuvre. Je n’ai pas voulu préempter ces négociations, ni le travail qui sera réalisé par le Gouvernement et fera l’objet d’un projet de loi discuté devant la représentation parlementaire.

Je tiens surtout à préciser que les efforts faits pour tenir ce « zéro valeur » sur les dépenses des ministères constituent le résultat de l’effort de toute l’équipe gouvernementale et de la détermination du Président de la République et du Premier ministre. Il n’y a pas, d’un côté, des « gagnants » et, de l’autre, des « perdants » au sein d’une équipe. Je le redis, il faut cesser de juger un budget uniquement sur son montant. Il faut apprécier l’efficacité des politiques mises en œuvre et la capacité d’un ministre à bien hiérarchiser ces priorités. C’est ainsi qu’un projet de budget se construit.

Je voudrais en venir maintenant à la sécurité sociale.

Pour parvenir à l’équilibre du régime général en 2011, il faut impérativement, vous le savez, que l’assurance maladie soit également à l’équilibre d’ici là. Les caisses d’assurance maladie viennent de nous faire des propositions d’économie pour 2009. Nous allons évidemment les étudier en détail.

Je retiens un message fort des propositions de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie, l’UNCAM : il existe des marges d’efficience importantes dans notre système, qui rendent possible le retour à l’équilibre des finances sociales, notamment de l’assurance maladie, dès 2011. Ce n’est pas une tactique ou une posture théorique.

C’est le sens de la politique que Mme Bachelot-Narquin et moi-même voulons mener. Nous avons d’ailleurs entamé un cycle de rencontres bilatérales accélérées avec les représentants des mutuelles et l’ensemble des partenaires sociaux, afin de cerner leur état d’esprit et de recueillir leurs propositions avant d’annoncer un certain nombre de mesures. C’est l’esprit de dialogue, mais aussi de décision, qui prime. L’excellent rapport d’Alain Vasselle sur le partage entre l’assurance maladie et l’assurance complémentaire nous inspire particulièrement.

Après ces réunions, nous disposerons d’un éventail de propositions à partir duquel nous prendrons nos responsabilités. Des annonces sont envisageables avant la fin du mois de juillet concernant des mesures à prendre dès 2009. Pourquoi ne pas préempter les mesures de 2009 sur 2008 pour tenter de respecter, ou tout du moins, d’amoindrir le dépassement prévisionnel ? Même s’il est inférieur à celui de l’année dernière, je ne peux décidément pas m’en contenter. J’imagine que c’est aussi votre cas.

Par ailleurs, la baisse du chômage doit pouvoir être mise à profit pour baisser les cotisations et permettre ainsi, à taux de prélèvements constant, une hausse des cotisations retraites. Selon moi, ce mouvement doit être engagé dès 2009.

L’amélioration de la branche vieillesse dépendra principalement de l’évolution de l’emploi des seniors, des âges de cessation d’activité et de liquidation des pensions.

Pour l’emploi des seniors, le Gouvernement a pris ses responsabilités, en annonçant notamment la majoration de la surcote, la libéralisation du cumul emploi-retraite, en fermant progressivement les préretraites sur fonds publics. Ce n’est que par une mobilisation collective, incluant au premier rang les entreprises, que nous assurerons le succès de cette nouvelle culture du travail.

Je veux aussi continuer à clarifier les relations entre l’État et la sécurité sociale, que j’ai déjà évoquées brièvement et que j’examinerai plus en détail.

L’année dernière, j’ai apuré la dette de l’État envers la sécurité sociale.

M. Alain Vasselle, rapporteur. Très bien ! Il faudra continuer !

M. Éric Woerth, ministre. Nous en avons abondamment parlé.

M. Alain Vasselle, rapporteur. Elle s’est reconstituée !

M. Éric Woerth, ministre. Cette dette s’est recréée, certes, à un niveau inférieur.

En réalité, pour la combattre, il faut lutter contre le mal et le prendre à la racine.

M. Éric Woerth, ministre. Et la racine du mal, c’est la sous-budgétisation, et pas autre chose !

M. Alain Vasselle, rapporteur. Voilà !

M. Éric Woerth, ministre. Nous devons budgétiser, avec précision et justesse, les dépenses de l'État, qui viennent compenser les dispositifs gérés par la sécurité sociale.

M. Alain Vasselle, rapporteur. Faute avouée, faute à moitié pardonnée !

M. Éric Woerth, ministre. Je n’avoue pas, même sous la torture du Sénat ! (Sourires.) Je dis les choses telles qu’elles sont ! Très sincèrement, je veux que nous prenions nos responsabilités. On ne peut mener une bonne politique budgétaire en cherchant à dissimuler.

M. Alain Vasselle, rapporteur. Très bien !

M. Éric Woerth, ministre. Cela ne sert à rien. À cacher la vérité pendant des années, un jour, elle explose à la figure. Au lieu de cela, nous devons affronter les problèmes tels qu’ils se présentent et prendre des mesures.

Par ailleurs, la dette sociale, actuellement à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, – cela ne vous avait pas échappés ! – …

M. Alain Vasselle, rapporteur. Ce n’est pas rien !

M. Éric Woerth, ministre. … sera transférée à la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES.

M. Alain Vasselle, rapporteur. Très bien !

M. Éric Woerth, ministre. Nous utiliserons dans ce but une fraction des recettes de contribution sociale généralisée, la CSG, qui sont actuellement attribuées au fonds de solidarité vieillesse, le FSV. C’est possible, car le FSV est désormais en excédent.

M. Éric Woerth, ministre. Nous réaliserons évidemment ce transfert dans le respect de l’équilibre financier du FSV.

Nous traiterons également la lancinante et pénible question du fonds de financement des prestations sociales agricoles, le FFIPSA, dans le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, du point de vue tant de son déficit que de sa dette.

J’en viens à présent au sujet concernant les collectivités locales.

Comme vous le savez, une Conférence nationale des exécutifs, présidée par le Premier ministre, a eu lieu jeudi dernier.

Le message qu’a transmis le Premier ministre est simple : l’ensemble des concours de l’État aux collectivités locales doit évoluer au même rythme que l’ensemble des dépenses de l’État, c’est-à-dire au rythme de l’inflation.

J’ai bien noté, monsieur le président de la commission des finances, que vous partagiez cette analyse.

Avec une prévision d’inflation à 2 % en 2009, l’ensemble des concours de l’État, soit 55 milliards d’euros hors dégrèvements, augmentera donc de 1,1 milliard d’euros en 2009 par rapport à 2008. Ce montant de 1,1 milliard d’euros supplémentaires en 2009 est tout de même supérieur de 200 millions d’euros à l’augmentation prévue en loi de finances initiale 2008, qui s’élevait à 900 millions d’euros sur le même périmètre.

Je sais bien que c’est difficile et qu’il s’agit là d’une vision quelque peu nouvelle des rapports entre l’État et les collectivités locales.

Je vous demande de prendre en compte le fait que c’est le maximum de l’effort que l’État peut s’imposer sur ses propres dépenses au bénéfice des collectivités. Pour 2010 et 2011, l’ensemble des concours de l’État continuera à évoluer comme l’inflation, ce qui conduira à une augmentation de un milliard d’euros supplémentaires par an.

Quelle traduction donner à cette augmentation de 1,1 milliard d’euros en 2009 ?

Le Premier ministre s’y est engagé lors de la Conférence nationale des finances publiques, si une réforme du FCTVA est envisageable pour l’avenir, à l’évidence, le Fonds ne sera pas réformé en 2009, afin de ne pas mettre en péril les plans de financement des collectivités qui ont déjà investi et comptent récupérer la TVA afférente à leurs investissements.

Cela n’exclut pas de réfléchir au mécanisme même d’évolution du FCTVA et cette discussion pourra être largement ouverte.

Une fois financée l’augmentation du FCTVA, comprise dans le 1,1 milliard d’euros – c’est inutile de le cacher –450 millions d’euros de crédits resteront disponibles, c’est-à-dire un peu de 1 % de la dotation globale de fonctionnement, la DGF, ou un peu moins de 1 % du périmètre du contrat. À cet égard, des ajustements pourront être effectués.

Il nous faut réfléchir conjointement à l’utilisation de ce 1 % donné par l’État, qui va au-delà de ce qu’il fait pour lui-même, puisqu’il applique la norme « zéro valeur » à ses politiques d’intervention et de fonctionnement des ministères.

Dans le contexte budgétaire qui est le nôtre, il n’est pas possible que la DGF continue à progresser sur son rythme actuel.

C’est ce que nous avons essayé de dire, en essayant de protéger au maximum la confiance qui peut exister entre les collectivités et l’État, confiance partagée, mais qu’il faudra, au fur et à mesure du temps, fonder sur une nouvelle manière de voir les choses. Avec Michèle Alliot-Marie et Christine Lagarde, nous y travaillerons, en liaison avec l’ensemble des collectivités locales.

Après cette présentation des enjeux et des orientations pour l’État, la sécurité sociale et les collectivités locales, je reviendrai, pour finir, sur deux importants sujets de gouvernance : la loi de programmation des finances publiques et la maîtrise des niches fiscales et sociales, sujet sur lequel le Sénat est très en pointe. (M. le rapporteur général sourit.)

La révision de la Constitution a été l’occasion d’ouvrir un large débat sur l’opportunité d’inscrire dans la loi fondamentale une règle de finances publiques. (Mme Nicole Bricq s’exclame.)

M. Philippe Marini, rapporteur général. Oui !

M. Éric Woerth, ministre. Le résultat auquel nous sommes parvenus pour l’instant me parait très satisfaisant : une loi de programmation des finances publiques, qui s’inscrit dans un objectif d’équilibre. Il ne suffit pas de trépigner en disant qu’il faut être à l’équilibre, encore faut-il préciser comment on y arrive. C’est, de mon point de vue, la partie la plus difficile !

La panacée n’est pas l’instauration d’une règle totalement fermée. Il s’agit de « faire ». C’est à cela que nous nous attelons, avec l’aide puissante du Sénat ; c’est aussi inscrire dans la Constitution un cadre général pour nos finances publiques.

Ainsi, les objectifs que je vous ai décrits seront bien contenus dans la Constitution au travers de cette loi de programmation pluriannuelle des finances publiques, qui permettra de définir une stratégie d’ensemble, dépassant la vision limitée qu’offrent aujourd’hui les débats sur le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale et qui nous permettra, en outre, de nous mettre en conformité avec nos obligations communautaires, s’agissant de la transmission légitime à la Commission européenne des trajectoires de redressement des finances publiques.

Un autre sujet nous tient à cœur : c’est le sujet des niches fiscales et sociales. (M. le rapporteur général s’exclame.)

Nous ne sommes pas au bout du débat !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Certes, on continue à en créer !

M. Éric Woerth, ministre. J’ai la conviction très forte que nous devons poursuivre ce débat ensemble.

Le nombre de niches et leur montant sont devenus un véritable enjeu de finances publiques. Telle la goutte d’eau qui fait déborder le vase, force est de constater à un moment donné qu’il est impossible de continuer ainsi.

C’est pourquoi le Premier ministre a décidé, lors de la dernière Conférence nationale des finances publiques, que ces niches fiscales et sociales seraient limitées dans le temps et soumises à une évaluation systématique.

C’est pourquoi aussi, lors de mes rencontres avec chacun des ministres, mais également lorsque le Premier ministre a arbitré les sujets qui n’avaient pas pu l’être, nous avons discuté non seulement des dépenses budgétaires, mais aussi des dépenses fiscales ou des exonérations de charges sociales.

Il nous faut aller encore plus loin. Sur les dépenses fiscales et des exonérations diverses de charges sociales, j’envisage donc plusieurs actions, et ce dès le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.

Nous améliorerons la qualité de l’information du Parlement, en récapitulant de façon claire toutes les décisions prises à ce sujet au cours de l’année dans le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Surtout, nous instaurerons un objectif de dépenses fiscales dans le projet de loi de finances, probablement de manière indicative à ce stade. Ses modalités restent à définir et nous le ferons ensemble. Une fois renforcé, complété et précisé, cet outil peut être très puissant si nous savons le mettre en œuvre.

J’avais à vrai dire de la sympathie pour l’amendement proposé par MM. Arthuis, Marini, About et Vasselle. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement ?

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C’est gentil !

M. Éric Woerth, ministre. Cet amendement, qui visait à valider en loi de finances initiale et en loi de financement de la sécurité sociale les niches votées dans des lois ordinaires, avait été adopté par le Sénat.

Je comprends que la commission des lois de l’Assemblée nationale y voie une atteinte à des principes juridiques que je ne saurais contester.

Reste qu’il nous faut lutter ensemble contre la prolifération, excessive à mon goût comme au vôtre, de ces dispositions.

Nous sommes face à une situation inédite pour nos dépenses publiques : la dynamique de charge d’intérêt et celle des pensions accentuent les contraintes qui pèsent sur les autres dépenses, qu’il s’agisse de la masse salariale ou des dépenses d’intervention.

Il est donc plus que jamais indispensable de réaffirmer la maîtrise de la dépense publique et d’améliorer son efficience.

Nous nous en sommes donné pleinement les moyens durant cette année, avec la révision générale des politiques publiques, la RGPP, avec les discussions qui se sont engagées dans la sphère sociale, avec le budget triennal, avec la maîtrise des niches et avec la loi de programmation des finances publiques.

C’est cette alliance de réformes de structures profondes et de règles de gouvernance efficaces, qui nous permettra de réussir et d’atteindre l’objectif, non pas comptable, mais véritablement politique, de parvenir à l’équilibre de nos finances publiques dès 2012, et ce avec l’aide constante, puissante et sincère du Sénat. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme chaque année, ce débat d’orientation budgétaire revêt un relief particulier, peut-être plus que les années précédentes.

Outre sa vertu pédagogique, il nous permet, en nous appuyant sur les résultats du premier exercice budgétaire de la nouvelle législature, d’aborder avec réalisme les prochaines échéances budgétaires.

Elles seront, en effet, particulièrement importantes et, pour tout dire, monsieur le ministre, cruciales.

Outre le fait qu’elles s’inscrivent dans le cadre rénové d’une programmation pluriannuelle de nos finances publiques, le projet de budget pour 2009 sera à l’évidence, comme le rapporteur général nous le précisera bientôt, un « moment de vérité ».

Je ne doute pas que nos collègues, Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, et Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales, feront de même pour le projet de budget de financement de la sécurité sociale.

L’exercice 2009 est, sans doute, un moment de vérité.

La situation de nos finances publiques se caractérise par une certaine viscosité. La programmation pluriannuelle, heureuse initiative du Gouvernement, monsieur le ministre, apportera peut-être la fluidité espérée.

Le déficit public, toutes administrations publiques confondues, s’élève à 50 milliards d’euros. Cela souligne l’ampleur de la tâche à accomplir pour parvenir, ainsi que le Gouvernement s’y est engagé et comme le Premier ministre l’a récemment rappelé, à l’équilibre des finances publiques en 2012, soit dans quatre ans seulement.

Nous avons bien entendu vos propos volontaristes, monsieur le ministre. Vous avez raison de ne pas sous-estimer les contraintes à surmonter.

Ce retour à l’équilibre suppose d’autant plus de détermination et de volonté politiques que les derniers chiffres concernant la croissance n’incitent guère à l’optimisme. Vous l’avez vous-même rappelé la semaine dernière, monsieur le ministre, en évaluant déjà l’enveloppe des moins-values fiscales à un montant qui pourrait se situer entre 3 milliards et 5 milliards d’euros.

Le ralentissement économique, qui résulte à la fois des effets larvés et délétères de la crise des subprimes, de l’appréciation probablement excessive du prix des matières premières – et en tout premier lieu, du pétrole –, mais aussi du climat de défiance qui « empâte » nos économies développées, nous invite à redoubler d’attention.

Il n’est malheureusement pas à exclure que, sans correction significative, notre déficit public s’accroisse de nouveau et même franchisse, en 2008, la barre des 3 % du PIB. J’ai bien noté que ce n’était pas votre prévision et qu’il n’y avait pas de votre part de fatalisme, ce dont on ne peut que se réjouir.

Une telle perspective n’est pas envisageable au moment où notre pays vient de prendre la présidence de l’Union européenne.

Pour conjurer cela, il est indispensable de comprimer le déficit en réduisant les dépenses tout en ne diminuant pas, inutilement, nos ressources.

De ce point de vue, et avant votre intervention, monsieur le ministre, je ne pouvais cacher mon inquiétude, s’agissant notamment de la prochaine généralisation du revenu de solidarité active, le RSA,…

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ah le RSA !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. …qui, quelle que soit la noblesse des motivations de ses promoteurs – et à titre personnel, je pense que c’est un bon dispositif (M. Nicolas About rit.) –, serait financé par un surcroît de 1 milliard ou 1,5 milliard d’euros de dépenses publiques.

Un instant, j’avais même imaginé que la non-indexation des éléments ouvrant droit à la prime pour l’emploi et, sans doute, le « pincement » de la limite supérieure y ouvrant droit viendraient en déduction.

M. Philippe Marini, rapporteur général. C’est ce que nous préconisions !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Mais il est apparu que cette évaluation avait été faite en tenant compte des éléments de modération de la prime pour l’emploi. En outre, monsieur le ministre, vous nous avez indiqué qu’aucun arbitrage n’avait été fait. Par conséquent, je veux croire que le financement du RSA se fera par redéploiement. Je vous fais confiance, même si je vous mets en garde !

De même, je ne souhaite pas que les ressources fiscales soient, sans examen préalable, trop rapidement réduites. À défaut de pouvoir mettre fin à toutes ces niches fiscales, toutes ces exemptions, toutes ces exonérations, tous ces abattements, toutes ces défiscalisations dont la justification s’émousse avec le temps et qui sont autant de coups de canif portés à notre pacte fiscal, je plaide pour une limitation de leurs effets.

En l’espèce, il me semble indispensable que l’avantage procuré par ces niches soit plafonné pour chaque foyer fiscal.

Le barème de l’impôt sur le revenu était sans doute excessif et, à certains égards, confiscatoire. Probablement pour en amoindrir les effets, la France a multiplié les niches fiscales, jusqu’à s’en faire une « spécialité ». Maintenant que notre barème est comparable à celui qui est en vigueur dans la plupart des pays similaires à la France, je le répète, nous devons avoir la sagesse de plafonner ces niches pour chaque foyer fiscal.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est donc avec grand intérêt que j’ai entendu les propos courageux et responsables tenus par le secrétaire d’État chargé de l’outre-mer sur l’extinction programmée du bénéfice de l’indemnité temporaire versée à certains fonctionnaires retraités dans quelques-uns de nos territoires ultramarins.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Il aura fallu plaider longtemps !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Depuis bientôt cinq ans, monsieur le rapporteur général !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Cela prouve qu’il ne faut jamais se décourager !

M. Gérard Longuet. Le génie est une longue patience ! (Sourires.)

M. Philippe Marini, rapporteur général. Cela prouve aussi que nous avions raison !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Chacun le sait, ce dispositif n’est pas conforme à l’idée que nous nous faisons de l’équité républicaine et ne contribue pas au nécessaire développement économique de ces collectivités ultramarines.

M. Gaston Flosse. Je n’en suis pas certain !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Aussi, permettez-moi de vous dire que l’évocation d’une prochaine baisse du taux de la TVA dans le secteur de la restauration ne peut, dans l’état actuel de nos finances publiques, me satisfaire.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Mauvaise promesse !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Sans même évoquer son impact macroéconomique, qui m’apparaît très incertain et limité, je m’interroge sur le coût de cette mesure, qui devrait être comprise entre 2 milliards et 3 milliards d’euros, soit autant de déficit en plus, et sur sa compatibilité avec les engagements de retour à l’équilibre de nos comptes d’ici à la fin de cette législature.

La viscosité et, pour tout dire, la gravité de la situation de nos finances publiques nous obligent à des remises en ordre salutaires et indispensables, mais aussi à une saine et utile pédagogie de la réforme. Nous ne pouvons faire l’économie de la réforme car, à terme, ce seront les réformes qui feront les économies, comme le rappelle le Président de la République.

De ce point de vue, permettez-moi de saluer à nouveau l’ambition réformatrice incarnée par la révision générale des politiques publiques, dont vous êtes le rapporteur général, monsieur le ministre. Celle-ci vise à accroître l’efficacité du système, à en adapter la gouvernance, à en diminuer les frottements. On ne peut qu’espérer qu’elle rejoigne dans l’ambition réformatrice celle qui, sous l’autorité du général de Gaulle, fut portée, en son temps, par le rapport Rueff-Armand !

Si chacun souhaite que les synergies et, donc, à terme, les gains de productivité soient encore plus significatifs, je tenais à saluer cette démarche, qui est portée au plus haut niveau de l’État et dont vous êtes l’acteur et le moteur, monsieur le ministre. Sachez que notre soutien vous est acquis !

Nous attendons avec impatience les premiers résultats de la revue générale des prélèvements obligatoires, cette petite sœur de la révision générale des politiques publiques. Je souhaite vivement qu’elle nous aide à trouver les moyens de rendre notre pays plus compétitif dans une économie désormais mondialisée, afin que tous ceux qui entreprennent retrouvent des marges de manœuvre et de liberté. J’en attends de l’audace et des propositions innovantes !

Nous ne saurions nous satisfaire de modifications à la marge, d’améliorations d’un système de prélèvements qui date du précédent millénaire et qui n’est plus adapté au nomadisme économique, à la disparition des frontières fiscales ou à l’irruption des nouvelles technologies, qui taillent en pièces nos convictions fiscales les plus fortes.

À cet égard, le temps est venu de nous demander s’il est encore fondé d’affirmer que certains impôts seraient payés par les ménages tandis que d’autres le seraient par les entreprises. Cette convention est commode et politiquement correcte, mais elle nous égare. À la vérité, les impôts et les prélèvements sociaux sont toujours, en définitive, payés par les ménages. Les impôts, taxes et autres cotisations sociales acquittés par les entreprises se retrouvent nécessairement dans le prix des biens et des services offerts aux consommateurs.

Les conséquences étaient sans gravité lorsque l’économie nationale échappait encore à la mondialisation, à la concurrence des territoires plus compétitifs que le nôtre du fait de lois moins exigeantes ou de systèmes fiscaux moins pesants et moins agressifs envers la production et l’emploi.

Les discours anesthésiants et les propos convenus ne suffisent plus à masquer l’ampleur des délocalisations d’activités et d’emplois. Ce matin, l’actualité nous apprend la disparition de plusieurs centaines d’emplois dans le secteur automobile. Faut-il rappeler que la France produisait 3,3 millions de véhicules automobiles en 2001 et qu’elle en a produit 2,2 millions en 2007, soit un tiers de moins ? Malheureusement, je crains que ce mouvement ne se poursuive. Qui peut encore sous-estimer l’ampleur du déficit croissant de notre balance commerciale, qui atteint 40 milliards d’euros en 2007 ? Cela signifie que nous consommons plus que ce que nous produisons.

Nous avons rendez-vous avec la réalité économique. Les impôts de production, notamment les cotisations assises sur le travail, qui financent les branches santé et famille, sont des activateurs de délocalisations d’activités et d’emplois. Il en est de même, dans une mesure significative, de la taxe professionnelle. Il va falloir, monsieur le ministre, rompre avec les tabous et mettre en chantier des réformes qui ne peuvent plus attendre.

Voilà un an, vous vous en souvenez, nous avions déjà débattu de cette question. C’est dire si je suis impatient de connaître les orientations de la revue générale des prélèvements obligatoires. J’ajoute que la dématérialisation des transactions ne fait qu’aviver la problématique fiscale. Le commerce par internet, le e-business, rend la perception des impôts et des taxes aléatoire. Au surplus, les États se livrent à une concurrence fiscale sans merci.

Pour conclure, je veux insister, compte tenu d’un contexte économique international de crise, sur la nécessité absolue de tenir fermement la dépense publique, de poursuivre résolument l’action réformatrice engagée par le Gouvernement et, enfin, de ne pas confondre la lutte contre la vie chère par l’intensification de la concurrence entre les distributeurs avec l’amélioration du pouvoir d’achat qui résulterait d’une plus grande compétitivité du travail, des entreprises et de nos territoires.

Qu’il s’agisse de l’État, de la sécurité sociale ou des collectivités territoriales, tous les acteurs publics doivent contribuer à la maîtrise des dépenses et à l’équilibre de nos finances. Mais si l’art de gouverner est en cause, tel est aussi le cas de l’art de légiférer, monsieur le ministre. Nombre de lois sont assorties de nouvelles normes. Par exemple, la loi du 27 juin 2005 relative aux assistants maternels et aux assistants familiaux prévoyait que ces derniers devaient bénéficier de soixante heures de formation. Désormais, il est question de cent vingt heures. Qui en supportera le coût ?

M. Philippe Marini, rapporteur général. Le contribuable local !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il semble que nous sommes incapables de légiférer sans poser de nouvelles normes qui, toutes, génèrent des dépenses publiques, sinon pour l’État, à tout le moins pour les collectivités territoriales. (Mme Marie-Thérèse Hermange applaudit.)

Notre démarche est souvent totalement contradictoire, voire schizophrénique.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Aurons-nous la sagesse de ne légiférer que d’une main tremblante chaque fois que des dépenses deviennent incontournables pour satisfaire une belle idée ?

La problématique est identique pour la dépense fiscale. Certes, nous tenons la dépense budgétaire, mais nous multiplions les dépenses fiscales et « plombons » les ressources de budgets futurs.

Monsieur le ministre, vous avez évoqué le Grenelle de l’environnement : j’en redoute l’échéance ! Quelles seront ses conséquences en matière de dépenses fiscales ? Je voudrais que Gouvernement et Parlement, nous soyons tous convaincus de la nécessité d’équilibrer nos finances publiques. C’est vital ! Il y a des stratégies, il faut de la méthode, de la discipline.

Monsieur le ministre, dites bien à vos collègues qu’il n’est plus question, par exemple dans le domaine du logement, de réduire systématiquement le taux de TVA à 5,5 % simplement pour faire un coup d’éclat ! Nos finances publiques n’y résisteraient pas ! L’équilibre à l’échéance de 2012, tant de fois proclamé, serait une pure illusion. (Applaudissements sur les travées de lUC-UDF et de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons aujourd’hui un nouveau débat, le troisième, sur les orientations des finances publiques, qu’elles soient budgétaires ou sociales, de notre pays pour l’année à venir et, ce qui est nouveau et ce dont je me félicite, pour les trois prochaines années.

Ce débat, qui avait été très éclairant l’année dernière, me paraît crucial aujourd’hui ; il s’agit bien de déterminer, compte tenu de la situation actuelle et des perspectives d’ores et déjà connues pour les années qui viennent, les meilleures orientations possibles pour nos finances publiques.

La conjoncture économique maussade, marquée par un ralentissement de l’activité et une hausse de l’inflation, le poids des déficits et de la dette accumulés, le niveau élevé des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires exigent que nous prenions des décisions à la hauteur de l’enjeu.

Nous ne pouvons plus nous contenter de mesures ponctuelles, car seules des réformes d’ampleur permettront à notre pays de se mettre en condition pour faire face au défi que constitue le vieillissement de la population. Celui-ci est bien réel : en matière de retraite, de santé et de dépendance, il pourrait se traduire par au moins trois points de PIB de dépenses supplémentaires d’ici à 2050.

Dans ces conditions, seul un assainissement véritable de nos finances pourra garantir la pérennité de notre modèle social, modèle auquel nous sommes tous, à juste titre, attachés. Il nous faut donc cesser de reporter les dépenses d’aujourd’hui sur les générations de demain.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela étant, j’ai bien conscience que nous avons déjà, plusieurs fois, ici même et dans d’autres lieux, pris cet engagement formel qu’il nous faut désormais impérativement tenir.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Absolument !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela signifie que nous devons, d’une part, prendre la véritable mesure des évolutions actuelles des finances de la sécurité sociale et, d’autre part, nous donner les moyens de nous attaquer aux causes structurelles des déficits sociaux.

Je vais maintenant vous présenter les principaux éléments du diagnostic établi par la commission des affaires sociales. Notre rapporteur, Alain Vasselle, par ailleurs président de la Mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, vous décrira tout à l’heure les conditions que nous estimons indispensables pour parvenir à un vrai retour à l’équilibre.

Où en est-on aujourd’hui ?

Après les déficits records du régime général, avec plus de 11 milliards d’euros en 2004 et en 2005, et la légère décrue de 2006, avec un déficit ramené à 8,7 milliards d’euros, 2007 a connu un nouveau dérapage des comptes : le déficit du régime général s’établit finalement à 9,5 milliards d’euros, avec un dépassement de plus de 3 milliards d’euros de l’objectif national des dépenses de l’assurance maladie, l’ONDAM, et une progression supérieure à 6 % des prestations de la branche vieillesse.

En 2008, on revient seulement à la situation de 2006, avec un déficit attendu de 8,9 milliards d’euros. Il n’y a donc pas d’amélioration ; on note simplement un maintien du déficit du régime général aux environs de 9 milliards d’euros, et ce pour la troisième année consécutive, ce qui reste bien évidemment préoccupant.

Quelles sont les caractéristiques principales de la situation actuelle ?

Du côté des recettes, tout d’abord, on constate une évolution plutôt positive. Elles continuent en effet de progresser à un rythme élevé – plus de 4 % –, principalement grâce à la poursuite de la croissance soutenue de la masse salariale du secteur privé, ce qui entraîne une hausse des cotisations et de la CSG. Cette bonne tenue des recettes pourrait toutefois ne pas se prolonger au-delà des derniers mois de 2008.

Du côté des dépenses, les évolutions sont très différentes selon les branches.

Le déficit de la branche retraite devrait être supérieur à celui de la branche maladie. Il se creuse très nettement, pour atteindre 5,6 milliards d’euros sous l’effet conjoint de l’arrivée à l’âge de la retraite des générations du baby-boom et de la poursuite des départs anticipés pour carrière longue. Ceux-ci s’élèveront à environ 120 000 cette année pour un coût estimé à 2,5 milliards d’euros.

Pour la maladie, les dépenses progressent légèrement moins vite qu’en 2007, grâce aux effets conjugués du plan d’économies de l’été dernier et de la mise en place des franchises au 1er janvier.

Toutefois, et M. le ministre l’a indiqué voilà un instant, un nouveau dépassement de l’ONDAM est prévu, évalué entre 500 millions d’euros et 900 millions d’euros par le comité d’alerte, soit un peu en deçà du seuil de déclenchement de la procédure d’alerte. Dans ces conditions, le déficit de la branche pourrait dépasser l’objectif initial de 4 milliards d’euros.

Pour la famille, l’excédent, assez léger, retrouvé en 2007, après trois années de déficit, est confirmé en 2008.

La branche accidents du travail–maladies professionnelles enregistre elle aussi un excédent pour la deuxième année consécutive.

Deux branches sont donc en excédent et deux autres en déficit, mais ces déficits sont lourds. Cumulés pour ces deux branches sur les deux derniers exercices, ils approchent 20 milliards d’euros. Ce montant donne la mesure du chemin qu’il va falloir parcourir pour revenir à l’équilibre de nos finances sociales, et plus encore pour respecter l’objectif extrêmement ambitieux du Gouvernement d’un retour à l’équilibre du régime général dès 2011. Mais nous sommes prêts à y croire.

À cet égard, monsieur le ministre, je vous remercie de nous avoir transmis un document préparatoire au débat plus complet que celui de l’année dernière et, surtout, plus respectueux de la spécificité des finances sociales.

Vous ne nous donnez pas encore de trajectoire pluriannuelle détaillée pour l’évolution de l’ONDAM, comme le prévoit pourtant la LOLF pour la sécurité sociale, mais vous nous apportez certaines réponses et vous définissez de façon claire les grandes orientations que vous vous fixez.

Nous attendons avec impatience d’en connaître le détail, qui devra figurer dans les prochaines lois de financement et lois de finances, ainsi que dans la première loi de programmation des finances publiques qu’il nous faudra examiner à l’automne prochain.

Nous souhaitons que l’avancée incontestable qu’a représentée la création des lois de financement de la sécurité sociale, confortée par le cadre juridique rénové de la loi organique du 2 août 2005, soit maintenue et renforcée.

C’est pourquoi l’information du Parlement en matière de finances sociales doit être encore améliorée afin que nous disposions d’éléments aussi transparents et précis que ceux qui sont désormais disponibles en matière de loi de finances.

Cela me conduit à vous rappeler certaines demandes, déjà formulées à plusieurs reprises par la commission des affaires sociales.

Il est important que le cadrage pluriannuel figurant à l’annexe B du projet de loi de financement ne se contente pas de fournir une prévision volontariste et peu étayée. Il devra proposer des scénarios d’évolution solidement établis à partir d’hypothèses crédibles et différenciées.

Nous souhaitons aussi que les mesures nouvelles proposées soient chiffrées. Cela signifie en particulier que l’annexe 9, qui explicite l’impact sur les comptes des mesures nouvelles, soit moins succincte.

Afin de favoriser la transparence des comptes et de permettre au Parlement d’exercer pleinement son pouvoir de contrôle, il est indispensable que celui-ci dispose d’un chiffrage plus précis et plus exhaustif des différentes réformes proposées, en recettes comme en dépenses, en particulier de chacun des articles du projet de loi de financement de la sécurité sociale, comme cela existe d’ailleurs pour le projet de loi de finances.

Avant de conclure mon propos, je tiens à évoquer en quelques mots la certification des comptes de la sécurité sociale.

Nouveau pouvoir de la Cour des comptes institué par la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale du 2 août 2005, la certification des comptes des organismes de sécurité sociale est un exercice très utile et extrêmement instructif pour nous, parlementaires. Elle nous offre un nouvel éclairage sur la comptabilité et la gestion de ces organismes, ainsi que de nouveaux moyens d’exercer notre contrôle.

Je pense par exemple aux comptes de la branche famille, que la Cour n’a pas été en mesure de certifier …

M. Alain Vasselle, rapporteur. Ni ceux de la branche maladie !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. … cette année comme l’année dernière en raison de l’ampleur des incertitudes les entourant, ainsi que nous l’a déclaré le Premier président de la Cour, M. Philippe Séguin. Il est désormais de notre devoir de faire en sorte que cela change et que, l’année prochaine, la Caisse nationale d’allocations familiales, la CNAF, puisse présenter des comptes améliorés pour la branche famille.

Pour ce qui est du refus de certifier les comptes de la branche recouvrement et de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, il va également falloir que les points de « désaccord » entre la Cour, d’une part, les services de l’ACOSS et de la tutelle – vos services, monsieur le ministre –, d’autre part, ne puissent pas se reproduire. Nous sommes prêts à travailler avec vous en ce sens.

En conclusion, je veux insister sur le caractère stratégique de l’année 2009. Des décisions majeures, peut-être douloureuses, devront être prises pour inverser les tendances actuelles et permettre un retour à l’équilibre à moyen terme de nos comptes sociaux. Nous ne pouvons plus repousser encore les échéances.

Monsieur le ministre, je souhaite que les décisions du Gouvernement traitent réellement et en profondeur l’ensemble des questions que M. Alain Vasselle et moi-même évoquons ce matin devant vous. Vous pouvez compter sur notre soutien. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’espère que ce débat d’orientation budgétaire est le dernier de l’ancien temps, en d’autres termes du temps d’avant la révision constitutionnelle ! En effet, si cette dernière est adoptée lundi, notre débat se conclura, l’an prochain, par une résolution. (Très bien ! sur les travées de lUMP.) Cela transformera beaucoup, me semble-t-il, la conception des débats, contribuera à les finaliser et permettra à notre Haute Assemblée de prendre ses responsabilités.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Par ailleurs, j’espère aussi que, l’an prochain, nous aurons des écrans afin de projeter des tableaux, des animations, comme nous en avons fait l’expérience, voilà quelques années, pour la présentation d’une loi de finances. En effet, à quoi bon paraphraser à la tribune des tableaux de chiffres ? Ne serait-il pas préférable de mieux associer l’auditoire à une vision plus concrète et plus moderne des enjeux de nos finances publiques ?

J’espère enfin, et surtout, mes chers collègues, que, l’an prochain, le temps des menaces se sera éloigné.

Cette année, nous examinons les perspectives des finances publiques dans un contexte international et national plus que contrasté.

Nous vivons un choc de l’énergie, choc qui nous appelle, comme les précédents, à envisager des mesures structurelles, des changements de comportements. Il conviendra d’en tirer les conséquences dans les priorités que nous nous fixerons en matière de finances publiques. Vous y avez d’ailleurs fait allusion avec le Grenelle de l’environnement, monsieur le ministre.

Nous vivons sans doute un choc financier, ou plutôt un choc des systèmes financiers. Il n’y a plus de crise des subprimes, il y a une crise de la confiance sur les marchés, une crise du risque et de son appréciation. Et de cette crise, personne ne sortira indemne dans le monde. L’onde de choc se propage des États-Unis aux autres zones du monde, en particulier à l’Europe.

Entre la sphère financière et la sphère réelle, les liens sont multiples. L’accès au crédit sera plus difficile pour les particuliers, pour les entreprises, mais aussi pour l’État ! J’y reviendrai en évoquant la dette publique, l’une des préoccupations les plus lourdes de la période actuelle.

Notre environnement est caractérisé par des risques de discontinuité : l’inflation renaissante, l’énergie toujours plus chère, la parité monétaire pénalisante, la croissance qui marque le pas, autant d’éléments d’une équation d’une très grande difficulté.

Monsieur le ministre, cette difficulté constitue, pour la commission des finances du Sénat, une motivation supplémentaire pour soutenir vos efforts, lesquels s’inscrivent dans l’enjeu de toute une législature. Mais c’est 2009 qui sera l’année de vérité, l’année qui marque un tournant : c’est en 2009, en effet, que l’on saura si l’on est véritablement sur la trajectoire. C’est en 2009, et en exécution, que l’on saura si l’information diffusée à l’extérieur est identique à celle qui est destinée à l’intérieur.

Nous transmettons régulièrement à l’Union européenne des perspectives triennales qui se fondent sur des appréciations de la croissance. Par ailleurs, sur le plan interne, nous élaborons des perspectives triennales, mission par mission. Encore faudrait-il s’assurer que les données économiques de base sont les mêmes. Or, nous vivons avec certaines habitudes : il y a des perspectives d’un côté et des perspectives de l’autre. Il convient de les unifier, de rendre cohérentes nos appréciations du contexte économique.

Monsieur le ministre, en matière de méthodes, beaucoup de choses restent à faire. Certes, vous avez déjà bien progressé, notamment en intégrant les opérateurs dans certaines normes des finances publiques. Vous vous souvenez sans doute que l’une des critiques que le Sénat et sa commission des finances avaient formulées ces dernières années s’adressait aux facilités que se donne l’État en « s’agencisant » de plus en plus, si vous me permettez ce néologisme. En d’autres termes, l’État s’efforce de mettre, en face de chaque priorité, une recette affectée et une caisse d’affectation, cette dernière devant supporter des salaires et des dépenses de fonctionnement.

Cette approche conduit à un État de plus en plus fracturé, un État qui éprouve donc des difficultés croissantes pour maîtriser ses grands enjeux de finances publiques. Vous avez donc décidé de vous y attaquer, de la modérer et de la limiter. La tâche est difficile, mais vous pouvez être assuré de notre soutien.

En ce qui concerne les méthodes d’appréciation de la masse globale des dépenses du secteur public, il convient de raisonner au niveau des trois sous-secteurs de l’administration publique que sont l’État, la sécurité sociale et les collectivités locales.

S’agissant des collectivités locales, nous serons particulièrement attentifs, dans cet hémicycle, à la façon dont on nous proposera d’apprécier l’enveloppe normée pour 2009. Nous sommes très attachés, notamment, au maintien des droits d’accès au fonds de compensation pour la TVA.

M. Roland du Luart. Exactement !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Dans ce domaine, il faudra faire preuve de pédagogie pour expliquer que le contrat est respecté et que personne n’est pris en traitre.

Mme Nicole Bricq. Ce sera dur !

M. Philippe Marini, rapporteur général. De la même manière, monsieur le ministre, s’agissant du principe constitutionnel d’autonomie financière et fiscale des collectivités locales, auquel le Sénat, toutes tendances politiques confondues, est extrêmement attaché, nous ne pouvons qu’être préoccupés de ce que nous lisons ici ou là sur la taxe professionnelle. N’oublions pas qu’il s’agit, notamment par le jeu de l’intercommunalité que vous connaissez d’ailleurs vous-même très bien, de la principale recette dédiée au développement économique local.

Nous souhaitons être pleinement associés à la réflexion qui sera menée sur ce sujet, et qui doit être guidée par le principe d’autonomie fiscale. Surtout, il faudra éviter d’agir dans la précipitation afin de ne pas déstabiliser des collectivités qui devront déjà vivre avec la contrainte de dotations risquant, comme les autres dépenses de l’État, de devoir évoluer à un rythme que je qualifierai de « très raisonnable ».

Si vous le permettez, mes chers collègues, je souhaiterais également ajouter quelques considérations sur la révision générale des politiques publiques, à laquelle vous avez bien voulu nous associer dans votre propos, monsieur le ministre.

S’agissant des missions qui ont d’ores et déjà été conduites dans ce cadre, les décisions prises représentent des économies nettes de l’ordre de 6 milliards d’euros par an – une fois les restitutions aux fonctionnaires effectuées –, soit de 4 à 5 % des crédits concernés par cette révision générale.

Nous souhaitons vivement que cette révision se poursuive avec persévérance et dans le même souci d’exhaustivité qu’aujourd’hui, c’est-à-dire rubrique par rubrique.

Ensuite, nous sommes parfaitement convaincus, comme vous l’êtes également, monsieur le ministre, de l’importance du chemin qui reste à parcourir pour aboutir à l’équilibre de nos finances publiques en 2012. Nous savons que ce chemin est encore très incertain et qu’il nous faudra, d’une part, combler les 50 milliards de déficit actuel du secteur public et, d’autre part, compenser la plus grande partie possible des mesures nouvelles qui ont été prises ces dernières années et qui ont abouti à de la dépense fiscale supplémentaire.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Cette dépense fiscale constitue l’un de nos principaux défis. Vous avez fait allusion, monsieur le ministre, à la position que nous avons défendue lors de la première lecture du projet de loi constitutionnelle actuellement en cours d’examen. Le Sénat avait en effet retenu la formulation issue d’un amendement que Jean Arthuis, Nicolas About, Alain Vasselle et moi-même avions présenté et défendu. Il s’agissait de faire prévaloir la hiérarchie des normes suivante : Constitution, lois organiques, lois financières et, enfin, lois ordinaires. Malheureusement, la commission des lois de l’Assemblée nationale n’a pas partagé cette vision des choses.

Permettez-nous néanmoins, monsieur le ministre, de persister et de signer : en matière de décisions engageant les finances publiques, il faut, d’une part, avoir un cadre de référence et, d’autre part, faire preuve de sens des responsabilités. Mais comment pourrait-on en faire preuve sur des textes partiels, voire parcellaires ?

M. Philippe Marini, rapporteur général. En effet, ces textes sont défendus par des ministres qui sont par nature dépensiers. Le seul ministre qui ne soit pas dépensier, c’est vous, monsieur Woerth ! C’est pourquoi seuls les textes que nous examinons sous votre autorité, et qui s’inscrivent dans le cadre de la vision globale que vous défendez, peuvent tendre vers l’objectif d’équilibre de nos finances publiques.

Donc, nous persistons et signons : les éléments qui ont une influence sur le solde des finances publiques doivent impérativement figurer dans les lois financières, c’est-à-dire les lois de financement de la sécurité sociale et les lois de finances de la République.

Nous serons également très attentifs, monsieur le ministre, à ce qui sera réalisé dans les deux domaines que sont, d’une part, la revue générale des prélèvements obligatoires et, d’autre part, la maîtrise et la gestion de la dette publique. C’est d’ailleurs en évoquant ces deux dernières questions que je terminerai cette brève présentation.

S’agissant de la revue générale des prélèvements obligatoires, nous aurions souhaité qu’elle fasse l’objet de la même préoccupation de méthode que la révision générale des politiques publiques et qu’elle en soit le strict pendant. En l’état, elle nous semble encore perfectible.

Il manque en particulier une vraie stratégie des prélèvements obligatoires, que Jean Arthuis ne cesse pourtant d’appeler de ses vœux. Certes, on peut contester certains éléments de son analyse. En revanche, on ne saurait contester le fait que les prélèvements obligatoires expriment une certaine conception de la société, mais aussi une vision de la politique économique que l’on souhaite conduire. Quand on examine les réformes une par une, par touches et retouches successives, de manière parcellaire, on se perd inévitablement dans les détails et on finit par perdre de vue la politique qu’il faut conduire, et même la politique tout court !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Finalement, on refuse d’appliquer la politique à l’économie ce qui, à n’en pas douter, constitue une réelle défaillance.

Au sein de la dépense fiscale et sociale, nous serons également particulièrement attentifs à une rubrique absolument considérable, que ne manquera pas d’aborder tout à l’heure notre excellent rapporteur spécial Serge Dassault : les exonérations de charges ! (Ah ! sur les travées de lUMP.) Elles représentent environ la moitié du déficit qu’il va bien falloir réduire, monsieur le ministre.

Ainsi permettez-nous de vous dire sans ambages que, si nous réduisions le plafond des exonérations, actuellement fixé à 1,6 SMIC, de 0,1 point chaque année – pour passer de 1,6 à 1,5 en 2009, de 1,5 à 1,4 en 2010 et de 1,4 à 1,3 en 2011 –, nous ferions déjà, sur le chemin de la convergence, une distance tout à fait appréciable !

M. Serge Dassault. Très bien !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Une telle réduction progressive nous permettrait de modifier les comportements économiques et de passer d’une logique d’exception à une vision plus pérenne des prélèvements obligatoires, particulièrement des prélèvements sociaux. (Mme Marie-Thérèse Hermange, MM. Serge Dassault et Michel Esneu applaudissent.)

Enfin, en guise de conclusion, je développerai quelques considérations sur la question de la dette.

Vous l’avez dit, monsieur le ministre, la charge de la dette est longtemps restée stable, à environ 45 milliards d’euros par an, ce chiffre étant à peu près constant de 2000 à 2006. Toutefois, en 2007, les charges d’intérêt des administrations publiques ont augmenté de plus de 12 %, du fait de l’évolution du marché, et nous avons terminé l’année avec un montant proche de 52 milliards d’euros. La conjugaison des tensions qui existent actuellement sur les marchés de taux d’intérêt, de l’inflation et des perspectives incertaines de nos finances publiques ne peuvent que conduire à un alourdissement de la charge de la dette, toutes choses égales par ailleurs.

Au demeurant, j’aurais bien aimé, si les moyens techniques avaient existé, mes chers collègues, faire projeter dans l’hémicycle cette courbe (M. le rapporteur général montre un graphique), qui représente tout simplement les conditions d’emprunt des États européens. Elle montre que, en termes de conditions moyennes de financement de la dette, le meilleur élève européen est l’Allemagne, et le moins bon la Grèce. Elle révèle aussi que la France a longtemps bénéficié des mêmes conditions que l’Allemagne mais que, depuis un an environ, les courbes se détachent.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Certes, nous ne sommes pas encore trop mauvais, mais nous devons payer de l’ordre de vingt points de base de plus que l’Allemagne, ce qui nécessite bien entendu une trajectoire de redressement.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’en arrive au terme de mon intervention. Le débat d’orientation budgétaire est un rendez-vous absolument nécessaire. Cette année, nous l’avons préparé dans des conditions très difficiles. En effet, jusqu’à ces derniers jours, nous n’avions, à l’exception des perspectives générales, que très peu d’informations sur l’année 2009. Je reconnais ainsi que, lorsque j’ai eu l’honneur de présenter mon rapport à la commission des finances voilà une semaine, j’ai dû inventer un certain nombre de choses… (Sourires.)

M. Gérard Longuet. Nous ne nous en sommes pas rendu compte !

M. Philippe Marini, rapporteur général. En effet, monsieur le ministre, vous étiez alors dans l’incapacité de me transmettre plus d’informations, parce que certains arbitrages étaient encore en suspens.

Monsieur le ministre, la commission des finances soutient, et soutiendra à l’avenir, tous vos efforts dès lors qu’ils iront dans le sens de l’assainissement de nos finances publiques, de la rigueur – dans le bon sens du terme – et de la bonne gestion de l’État et de la sécurité sociale. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales, chargé des équilibres financiers généraux de la sécurité sociale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les interventions du président de la commission des finances, du président de la commission des affaires sociales et du rapporteur général, qui nagent tous trois comme des poissons dans l’eau dans ces sujets financiers, je crains que mon propos ne vous paraisse quelque peu laborieux.

M. Alain Vasselle, rapporteur. Je souhaite vous apporter l’éclairage de la commission des affaires sociales sur un sujet particulièrement sensible, celui de l’équilibre des comptes de la sécurité sociale.

D’aucuns considèrent que, en dépit d’un déficit quatre ou cinq fois supérieur à celui du budget de la sécurité sociale, tout va plutôt bien du côté du budget de l’État. Dès lors, ils désignent la sécurité sociale comme le mauvais élève de la classe.

Pourtant, que nous appartenions à la commission des finances ou à la commission des affaires sociales, nous devons les uns et les autres nous exercer à travailler ensemble pour contribuer à un meilleur équilibre des comptes.

Le président de la commission des affaires sociales, M. Nicolas About, s’est posé la question, voilà un instant, du meilleur chemin à suivre pour permettre le retour à l’équilibre de la sécurité sociale.

Je tiens à vous rappeler, mes chers collègues, que, pour le régime général, le Gouvernement s’est fixé comme objectif pour le moins ambitieux d’un retour à l’équilibre en 2011, ainsi qu’Éric Woerth vient d’ailleurs de le rappeler. Si nous voulons atteindre cet objectif, il nous faut répondre à plusieurs questions, et plus spécialement à trois qui, à mes yeux, restent en suspens et exigent un engagement fort de la part du Gouvernement.

La première de ces questions, qu’ont évoquée tant M. le ministre que MM. Arthuis, Marini et About, est celle de la dette cumulée du régime général, qui, aujourd’hui, se chiffre à quelque 25 milliards d’euros et risque d’atteindre 30 milliards d’euros à la fin de l’exercice 2008. Vous conviendrez, mes chers collègues, que ces montants ne sont plus soutenables compte tenu de la situation actuelle des marchés financiers, que Philippe Marini vient de rappeler. La Caisse des dépôts et consignations a d’ailleurs fait savoir à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, qu’elle ne pourrait bientôt plus garantir le financement. Le traitement de cet aspect relève donc de l’extrême urgence.

Lors de la conférence des finances publiques du 28 mai dernier, le Gouvernement s’est engagé à régler la question en 2008. Ce point est d’ailleurs confirmé dans le document que vous nous avez transmis en préparation de ce débat, monsieur le ministre.

La solution retenue serait le transfert de la dette à la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES.

Mme Nicole Bricq. Très bien !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C’est logique !

M. Alain Vasselle, rapporteur. Mais ce principe nécessite des précisions, et je souhaiterais que M. le ministre puisse répondre à quatre interrogations.

Premièrement, à quelle hauteur le Gouvernement envisage-t-il ce transfert ? Deuxièmement, celui-ci concernera-t-il l’ensemble des branches ou certaines d’entre elles seulement ? Troisièmement, les dettes du fonds de solidarité vieillesse, le FSV, et du fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles, le FFIPSA, feront-elles également l’objet du transfert ? Si tel est le cas, il s’agira non plus de 30 milliards, mais de près de 40 milliards d’euros ! Quatrièmement, enfin, est-ce la totalité des déficits qui sera prise en compte, c’est-à-dire ceux qui seront constatés à la fin de l’exercice 2008, ou est-il envisagé d’arrêter les comptes au 31 décembre 2007, ce qui conduirait, bien entendu, à retenir un montant bien inférieur ?

Nous avons voté dans la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, la LOLFSS, une disposition, introduite du fait de l’adoption par les députés d’un amendement du président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, qui prévoit que tout nouveau transfert de dette à la CADES doit être accompagné d’une recette nouvelle.

M. Philippe Marini, rapporteur général, et Mme Nicole Bricq. Oui !

M. Alain Vasselle, rapporteur. M. Adrien Gouteyron, qui a été président du conseil de surveillance de la CADES, sait combien chacun de ces transferts place celle-ci dans une situation difficile ; pourtant, chaque fois nous avons reculé, comme cela a été dénoncé. Or, Nicolas About l’a rappelé, un engagement très clair a été pris par ce gouvernement : nous nous refusons à transférer sur les générations futures le poids de la dette que nous avons nous-mêmes fait naître ces dernières années.

La date limite actuelle de la CADES pour remplir sa mission est 2021. Si, comme vous l’avez déclaré à plusieurs reprises depuis votre prise de fonctions, monsieur le ministre, vous ne voulez pas augmenter la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS, il faudra trouver une autre recette qui soit aussi dynamique, aussi régulière et aussi fiable. Vous évoquez le redéploiement d’une partie des excédents du FSV. Je ne suis pas certain, pour ma part, que cette recette offre réellement toutes les garanties nécessaires, car les soldes constatés sur ce fonds sont relativement aléatoires et très sensibles à l’évolution de la conjoncture économique.

Si une partie des recettes du FSV est transférée, il faudra que cela se passe dans la transparence et dans le plus grand respect de la LOLFSS, c’est-à-dire que le montant soit suffisant et s’accompagne d’une marge de garantie permettant d’éviter la reconstitution d’un déficit dans les comptes du FSV lui-même. Ce dernier, en effet, est soumis à un effet de ciseaux important : quand la conjoncture est favorable, il renoue effectivement avec les excédents, mais, dès que se produit un ralentissement de la croissance ou une diminution de l’activité, ses déficits peuvent atteindre des montants importants ; son déficit cumulé est actuellement de l’ordre de 5 milliards d’euros. Il n’est donc pas possible de s’appuyer sur les seules recettes. Pour tout transfert d’une recette à la CADES, il faut également prendre en considération ses conséquences sur la dynamique des dépenses du FSV. Si, dans quelque temps, la croissance n’est plus au rendez-vous, nous risquons de constater un creusement des déficits en termes aussi bien de flux que de cumul.

La deuxième question qu’il me paraît également nécessaire de clarifier est celle des relations financières entre l’État et la sécurité sociale. L’année 2007, nous devons en convenir, a permis d’importantes avancées dans ce domaine ; la mise en place d’un ministère des comptes publics, notamment, y a largement contribué.

Néanmoins, monsieur le ministre, vous avez vous-même rappelé que, si vous avez apuré une dette antérieure d’un montant légèrement supérieur à 5 milliards d’euros, une nouvelle dette s’est malheureusement reconstituée. Il conviendra donc que la prochaine loi de finances mette un terme définitif à cette difficulté et que soient correctement budgétisés le coût de certaines exonérations ciblées ainsi que la dépense de l’aide médicale d’État, l’AME. Celle-ci, dans la loi de finances pour 2008, est sous-estimée de 260 millions d’euros environ.

La troisième question porte sur la situation désespérée du FFIPSA : le déficit annuel du fonds dépasse désormais 2 milliards d’euros, et son déficit cumulé atteint aujourd’hui 6 milliards d’euros. Or, aucun début de solution n’est encore esquissé pour remédier à cette situation. Ces dernières années, quelques pistes avaient bien été envisagées, notamment celle de la compensation démographique, mais toutes ont été abandonnées. Qu’en est-il aujourd’hui, monsieur le ministre ?

Vous avez affirmé votre intention de résoudre cette question dans le courant de l’exercice 2009, sans préciser quels moyens ni quelles pistes vous entendiez privilégier pour y parvenir. Je vous rappelle que la responsabilité du traitement de ce dossier vous incombe, comme le souligne régulièrement la Cour des comptes.

Les textes indiquent que l’État doit assurer l’équilibre des comptes par le biais d’une dotation budgétaire et précisent : « le cas échéant ». J’avais proposé par voie d’amendement, voilà un certain temps, de supprimer ces trois mots – « le cas échéant » –, car le Gouvernement en tire argument pour ne pas honorer l’engagement qu’il avait pris devant la représentation nationale.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Et ne pas passer par la case déficit !

M. Alain Vasselle, rapporteur. J’en viens maintenant, au-delà de ces trois questions qui s’inscrivent dans le court terme, aux conditions de caractère plus structurel.

Il est nécessaire, si l’on veut que l’assurance maladie atteigne l’équilibre en 2011, d’envisager des mesures de fond. Le directeur de la CNAM a présenté un plan qui repose sur la mobilisation de nouvelles recettes, de l’ordre de 1 milliard d’euros, et sur la réalisation d’environ 2 milliards d’euros d’économies ayant pour objet d’utiliser les réserves « d’efficience » que vous avez évoquées, monsieur le ministre. Mme Bachelot-Narquin, ministre de la santé, a demandé pour sa part que soit consenti un effort supplémentaire de 1 milliard d’euros, ce qui permettrait d’atteindre les 4 milliards d’euros que vous avez mentionnés dans votre intervention liminaire.

Il faut, nous semble-t-il, aller encore plus loin et envisager de véritables réformes structurelles. J’en citerai essentiellement deux.

La première concerne les soins de ville. Dans ce domaine, une réflexion sur la prise en charge des personnes souffrant d’une affection de longue durée, les ALD, est indispensable. Ce poste absorbe, mes chers collègues, les deux tiers des dépenses de soins de ville et représente 86 % de l’accroissement annuel des dépenses. Compte tenu de cette charge, nous ne voyons pas comment éviter des mesures plus contraignantes, et le fait que M. Van Roekeghem soit immédiatement revenu sur les propositions qu’il avait formulées en cette matière ne doit pas nous conduire à renoncer à une réflexion qui reste nécessaire pour savoir comment contenir l’évolution de ces dépenses désormais insupportable pour l’équilibre de nos comptes.

La seconde réforme sur laquelle il nous faudra nous pencher d’une manière un peu plus active que nous ne l’avons fait les années passées est l’association de l’hôpital aux politiques de réduction des déficits.

M. Alain Vasselle, rapporteur. Je vous renvoie au récent rapport de la MECSS, la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, sur les insuffisances du pilotage de la politique hospitalière pour le détail des mesures que nous préconisons.

Un autre chantier devra être ouvert, celui de la répartition de la charge de la dépense entre le régime de base et les régimes complémentaires.

Philippe Marini et Jean Arthuis ont déploré tout à l’heure ces normes qui viennent sans cesse alourdir le poids des dépenses que doivent supporter les budgets tant des collectivités locales que de l’État.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est effectivement insupportable !

M. Alain Vasselle, rapporteur. J’ajouterai à la liste des éléments auxquels nous devrions être plus attentifs la multiplication des agences, des structures, voire des autorités ad hoc.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Toutes ces nouvelles agences ! Il faut arrêter de créer des structures inutiles !

M. Alain Vasselle, rapporteur. Il ne se passe pas un jour, mes chers collègues, sans que les textes de loi que nous examinons prévoient la création d’une structure ou d’une autorité. Pas plus tard que demain, à travers le projet de loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, il nous sera demandé d’instituer encore une « haute autorité », pour laquelle il faudra encore rémunérer des agents, et qui coûtera donc encore quelque argent. Au-delà des normes, posons-nous également la question de la pertinence de la multiplication des structures de ce type !

Pour ce qui concerne la branche vieillesse, le Gouvernement a rendu public le 28 avril dernier un document d’orientation issu de ses premières concertations. Ces orientations sont bonnes sur le plan général, mais il faudra que leur déclinaison permette de réduire véritablement le déficit de la branche.

Tout d’abord, nous devons obtenir des résultats en matière de promotion de l’emploi des seniors : sur ce point, mes chers collègues, la France est la lanterne rouge de l’Europe ! Je considère pour ma part que, si cela s’avère nécessaire, il ne faudra pas hésiter à en passer par la pénalisation des entreprises !

Ensuite, nous devons agir sur le dispositif des carrières longues. Nous avons en effet constaté que les critères retenus pour permettre à un certain nombre de personnes de faire valoir leurs droits avaient conduit à divers abus et effets d’aubaine. Des mesures ont déjà été prises par le Gouvernement pour les contenir. Il nous faudra rester vigilants pour éviter que ne se perpétue le dérapage constaté depuis la mise en place de la réforme de 2003.

En ce qui concerne la pénibilité, enfin – ce sujet a été intégré au cadre des discussions –, il faudra en mesurer la dimension de coût et de soutenabilité financière ; celle-ci a fait défaut au moment de l’examen de la réforme de 2003 et de l’adoption de la mesure sur les carrières longues.

Est également dans l’air une idée à laquelle, je crois, seul Nicolas About a fait une très rapide allusion : la possibilité d’aller « piocher » dans les excédents de la branche famille.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C’est dangereux !

M. Alain Vasselle, rapporteur. Ce serait un choix politique ; je ne le conteste pas, et il mérite effectivement réflexion. Cela étant, attention ! Ne créons pas l’illusion que les excédents de la branche famille deviendront tels qu’ils permettraient de tout financer ! On envisage déjà de les utiliser pour financer une partie de la réforme des retraites ; on les a évoqués dans le cadre du financement de la perte d’autonomie ; on voudrait maintenant les appeler à la rescousse de la branche maladie…

M. Philippe Marini, rapporteur général. Cela fait partie des besoins familiaux !

M. Alain Vasselle, rapporteur. Tout à fait ! Je mets simplement en garde contre le fait que cela nécessitera une étude d’impact !

D’une manière générale, comme la mission « dépendance » le soulignait dans son rapport d’étape, l’ensemble des besoins et des coûts liés au vieillissement de la population devra faire l’objet d’une approche globale, prospective et, surtout, plus approfondie. Les besoins de financement devront être chiffrés le plus correctement possible, de façon à éviter une nouvelle impasse.

Soit dit en passant, monsieur le ministre, mes chers collègues, je trouverais dommage que nous ne saisissions pas l’occasion que nous fournit l’examen de la réforme constitutionnelle pour introduire dans la loi fondamentale l’obligation pour le Gouvernement d’adjoindre à chaque projet de loi des études d’impact.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Voilà !

M. Alain Vasselle, rapporteur. C’est particulièrement nécessaire lorsqu’une mesure est proposée dans la loi de finances ou dans la loi de financement de la sécurité sociale. Philippe Marini le rappelait tout à l’heure en évoquant l’amendement portant sur les exonérations que la commission des finances et la commission des affaires sociales avaient défendu en commun : pas un texte de loi qui ne contienne des mesures d’exonération…

M. Philippe Marini, rapporteur général. Aberrant !

M. Alain Vasselle, rapporteur. … sans que nous ayons l’assurance que la compensation soit au rendez-vous.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Évidemment !

M. Alain Vasselle, rapporteur. Nous rejoignons là le problème plus général des niches.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument !

M. Alain Vasselle, rapporteur. Nous ne pourrons pas non plus échapper à la nécessité de poser la question de l’âge du départ à la retraite et du nombre d’années d’activité.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Bien sûr !

M. Alain Vasselle, rapporteur. Tous nos voisins européens ont fait cet effort. Il est à mon avis illusoire de penser régler le problème de l’équilibre de la branche vieillesse sans toucher à l’âge du départ à la retraite. Il y faudra du courage politique, il y faudra beaucoup de pédagogie et de sensibilisation auprès de nos concitoyens, mais cela me paraît être un élément essentiel à prendre en considération.

J’en viens enfin à quelques observations sur le financement de notre protection sociale, sur la préservation des recettes actuelles et sur l’apport de ressources nouvelles.

La préservation des recettes nécessite de limiter le développement des dispositifs d’exonération de charges sociales, qui, comme Philippe Marini le rappelait, atteignent aujourd’hui un niveau record de plus de 30 milliards d’euros. Ces dispositifs sont, pour leur grande majorité, compensés par l’État, et le Gouvernement a particulièrement été attentif à ce qu’il en soit ainsi. Je remercie et félicite Éric Woerth de veiller à ce que la compensation se fasse à l’euro près.

Les exonérations restent néanmoins une source de fragilité réelle pour les finances de la sécurité sociale : aujourd’hui – et M. le ministre le sait bien –, 2,4 milliards d’euros ne sont toujours pas compensés. Une partie de cette somme est liée aux mesures antérieures à la loi de 1974. Par ailleurs, on considère que l’intéressement et la participation ne sont pas l’équivalent d’un revenu ou d’un salaire, et que l’on peut se dispenser de les compenser.

Nous devrons nous interroger sur la pertinence du maintien de ces dispositions. Ces questions ont amené la Cour des comptes – M. le président de la commission des affaires sociales l’a indiqué à la fin de son propos – à se poser la question de la certification des comptes de l’ACOSS.

Cette préservation des recettes passe aussi par une réflexion sur les diverses exemptions d’assiette ou « niches sociales », qui représentent 40 milliards d’euros. Si l’on ajoute les pertes liées aux 40 milliards d’euros d’exemption d’assiette et les 30 milliards d’euros d’exonérations, on n’est pas loin des 75 milliards d’euros de niches fiscales dont vous avez parlé.

Monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, vous avez évoqué la nécessité de s’orienter vers un plafonnement des niches fiscales.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Oui !

M. Alain Vasselle, rapporteur. Mes chers collègues, nous devons veiller à ce que le budget ne se serve pas de la loi de financement de la sécurité sociale et des niches sociales pour apporter une compensation aux bénéficiaires des niches fiscales, qui seront plafonnées. En effet, nous avons trop souvent constaté que la loi de financement de la sécurité sociale servait de variable d’ajustement pour les comptes du budget de l’État. J’espère donc que les niches sociales ne serviront pas à régler le problème des niches fiscales !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Il vaudrait mieux supprimer les niches que les plafonner !

M. Alain Vasselle, rapporteur. Je partage votre point de vue, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général : lorsque nous traitons des comptes publics, il faut bien les étudier dans leur globalité, en ce qui concerne tant les dépenses sociales que les dépenses fiscales.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Tout à fait d’accord !

M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !

M. Alain Vasselle, rapporteur. Notre collègue député Yves Bur vient de publier un rapport complet sur cette question. Il en ressort que toute une série de dispositions pourraient être adoptées pour limiter la prolifération de ces exonérations.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !

M. Alain Vasselle, rapporteur. Je vous rappelle que, de notre côté, nous avons proposé un système de validation des mesures d’exonération en loi de financement de la sécurité sociale ; M. le rapporteur général l’a évoqué, et je n’y reviendrai pas.

La commission des lois considère que cette disposition relève non pas de la Constitution mais de la loi organique.

M. Philippe Marini, rapporteur général. La commission des lois de l’Assemblée nationale !

M. Alain Vasselle, rapporteur. M. About et moi-même avons déposé une proposition de loi organique que le Sénat a approuvée. Monsieur le ministre, puisque vous partagez également notre point de vue, j’attends que cette proposition de loi soit inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale pour que celle-ci l’approuve.

Parmi les nouvelles contributions qui pourraient être envisagées figure l’instauration d’une contribution forfaitaire de faible montant sur l’ensemble des niches sociales, ou  flat-tax, proposition que nous avions avancée lors de l’examen de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

De même, nous avons également proposé une nouvelle taxe sur les boissons sucrées et les produits de grignotage, dans un souci autant sanitaire que financier. Monsieur le ministre, il s’agit d’une question sur laquelle vous vous étiez engagé à produire une étude. J’aimerais savoir si vous l’avez menée à bien et quelles en sont les conclusions.

Dans le même ordre d’idée, des marges existent-elles encore sur la taxation de certains produits alcoolisés ?

S’agissant d’autres modes de financement, la réflexion sur une modification de la répartition des charges entre le régime obligatoire et les assurances complémentaires devra être poursuivie. C’est un chantier que M. le Président de la République avait annoncé, mais qui n’a pas encore été mis en œuvre.

Mes chers collègues, compte tenu du temps de parole qui m’était imparti, je ne peux vous parler de la dépendance ; mais nous aurons ultérieurement l’occasion d’évoquer le cinquième risque.

En conclusion, je souhaite que les prochaines lois financières permettent de traiter en profondeur dans la transparence et dans le souci des générations futures l’ensemble des textes que nous aurons à examiner. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Philippe Marini, rapporteur général. Excellent !

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention portera sur deux sujets qui relèvent des secteurs de compétences de la commission des affaires culturelles : le financement du patrimoine et la mise en œuvre de la TNT.

Tout d’abord, le problème du financement de notre patrimoine historique et architectural est revenu au premier rang des préoccupations de la commission des affaires culturelles et surtout de son groupe d’études sur le patrimoine, grâce aux auditions auxquelles nous avons procédé et aux constatations que nous avons effectuées.

Monsieur le ministre, les orientations qui seront retenues dans le cadre du projet de loi de finances pour 2009 sont attendues avec appréhension par les différents acteurs concernés : notre commission a pu en prendre la mesure en entendant notamment, ces dernières semaines, les propriétaires de monuments privés et les élus des villes à secteurs sauvegardés. Ces inquiétudes concernent à la fois le niveau des crédits budgétaires qui seront consacrés à ce secteur et l’avenir des politiques fiscales qui contribuent à son financement, venant ainsi en appui de l’investissement privé.

En effet, les récentes annonces concernant une « remise à plat » des « niches fiscales » – vous l’avez évoqué ce matin dans votre propos liminaire, monsieur le ministre – ont visé, en particulier, deux des principaux leviers de notre politique patrimoniale : le régime fiscal des monuments historiques et le régime adossé à la loi Malraux, concernant les secteurs sauvegardés et les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager.

Tout en saluant le courage avec lequel le Gouvernement s’attache à évaluer l’efficacité de nos dépenses fiscales, afin de lutter contre les effets d’aubaine que certaines mesures peuvent susciter, j’insiste auprès de vous, monsieur le ministre, sur les différences essentielles qui séparent les deux dispositifs que j’ai évoqués des produits d’optimisation fiscale.

Comme l’ont d’ailleurs reconnu les rapports de l’Assemblée nationale et de l’Inspection générale des finances, dans ces deux cas, la dépense fiscale vient directement se substituer à la dépense budgétaire. Il s’agit non pas d’inciter mais d’accompagner les investissements nécessaires par une juste compensation des contraintes architecturales et environnementales que le législateur impose à ces propriétaires.

Notons par ailleurs que cette dépense publique est, en outre, largement compensée par les retombées économiques et fiscales – directes ou indirectes – qu’elle suscite, en termes d’emploi, de recettes de TVA ou, bien sûr, de tourisme.

C’est pourquoi, monsieur le ministre, la commission des affaires culturelles est attachée à ce que ces leviers essentiels de notre politique patrimoniale ne soient pas vidés de leur efficacité, par des ajustements qui méconnaîtraient leurs spécificités.

Contrairement à des conclusions hâtivement formulées et qui ne paraissent pas répondre à la réalité, instituer un plafonnement pourrait ainsi s’avérer problématique, sauf à définir, en concertation avec les acteurs concernés, un niveau réaliste et raisonnable.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Voilà une ouverture !

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Par ailleurs, d’autres points de convergence semblent pouvoir aisément émerger en vue de mieux encadrer ces dispositifs et d’accroître la lisibilité de l’effort public consenti.

Ne cédons toutefois pas à la tentation de la complexité, comme cela avait été pointé par notre commission avant d’être finalement sanctionné par le Conseil constitutionnel dans le cadre du projet de loi de finances pour 2006.

Quelles sont dans ce contexte, monsieur le ministre, les évolutions envisagées concernant ces deux régimes fiscaux et, surtout, quelle sera la méthode de concertation retenue afin de définir leurs aménagements éventuels ?

En parallèle, un maintien à niveau de l’effort budgétaire en faveur de la sauvegarde de notre patrimoine historique sera-t-il assuré pour 2009 ? Un nouveau fléchissement enverrait en effet un signal très négatif à l’ensemble du secteur et aurait des conséquences préoccupantes sur l’activité des entreprises d’entretien et de restauration concernées par le patrimoine.

J’en viens au second sujet que je voudrais aborder rapidement : il s’agit du financement du déploiement de la TNT.

Je vous rappelle que la loi du 5 mars 2007 avait prévu la création d’un groupement d’intérêt public, ou GIP, chargé de mettre en œuvre les mesures propres à l’extinction de la diffusion des services de télévision par voie hertzienne terrestre en mode analogique. Le GIP France Télé numérique gère aussi le fonds chargé d’aider les foyers exonérés de redevance audiovisuelle à financer le passage à la TNT.

Ce GIP doit être financé à parité par l’État et les chaînes de télévision ; c’est pourquoi je me permets d’insister, monsieur le ministre, pour que le groupement soit doté dès 2009 des moyens indispensables à son intervention tant au profit des collectivités locales confrontées à des difficultés dans la couverture numérique de leur territoire que pour l’aide apportée aux personnes les plus fragiles : personnes âgées, handicapées ou isolées.

Selon la première étude de perception du grand public menée par France Télé numérique, un Français sur dix est réfractaire au passage au tout numérique et démuni face à ce dernier.

Au regard de l’importance de ce nouveau chantier qui place la France en position éminente, il est primordial d’aider et d’assister nos concitoyens les plus démunis à effectuer l’adaptation et les branchements nécessaires poux continuer à regarder la télévision, une télévision contemporaine dotée de la technologie la plus avancée.

Monsieur le ministre, je limiterai là mon propos dans le cadre du temps qui m’a été imparti, mais nous serons bien évidemment attentifs à tous les autres domaines de la compétence de la commission des affaires culturelles et participerons à la discussion budgétaire correspondante. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud.

M. Thierry Foucaud. Monsieur le ministre, le débat d’orientation budgétaire pour 2009 se déroule sous des auspices pour le moins pessimistes et, dans ce contexte, vous persistez dans la même stratégie, avez-vous dit ce matin.

Alors que la croissance est en berne, que les comptes publics sont dans le rouge, que des perspectives sombres s’annoncent pour 2009 – des économistes parlent d’une croissance de 1 % –, la précarisation de l’emploi est accélérée, les comptes sociaux sont en difficulté. Tel est le résultat patent de plus d’un an de politique du Gouvernement

Même le CAC 40 est en chute libre, puisqu’il a perdu plus de 30 % de sa valeur ! Seules les distributions de dividendes et l’augmentation du nombre des contribuables de l’ISF montrent que tout ne va pas si mal pour certains !

Nous devons donc mettre en question les choix opérés depuis le printemps 2007 – pour certains bien avant, d’ailleurs – avant que de donner sens à ce qui pourrait constituer une alternative à une politique de plus en plus inefficace et de plus en plus décriée par l’opinion publique.

Dans quel contexte nous trouvons-nous ?

Si l’on s’arrête aux seuls comptes publics, ce débat d’orientation est marqué par la situation préoccupante des finances publiques et sociales, situation dont personne, au demeurant, ne paraît aujourd’hui, et particulièrement ce matin, devoir contester la gravité.

Point d’orgue de cette situation, la dette publique d’État galope, atteignant désormais un encours de 966 milliards d’euros, niveau jamais égalé auparavant.

Fait plus préoccupant, la part de la dette constituée de titres de court terme – les Bons du Trésor à un an – est en progression sensible depuis le début de l’année, atteignant désormais 102 milliards d’euros.

S’agissant de l’exécution budgétaire 2008 en cours, malgré les habituelles mesures de gel mises en œuvre depuis le début de l’année, la situation présentait fin mai un découvert de plus de 50 milliards d’euros, et ce malgré la bonne tenue des rentrées de l’impôt sur les sociétés et d’une TVA portée par la hausse des prix de l’énergie et des carburants.

Ce n’est d’ailleurs qu’au prix de manœuvres dilatoires sur les dépenses d’intervention que le solde budgétaire global n’est pas plus dégradé.

De plus, les prévisions de croissance de l’INSEE demeurent relativement modestes puisque l’on parle d’un taux de 1,6 % cette année, et d’un taux inférieur à deux points l’an prochain.

Comment, avec 5 % de croissance mondiale, les pays de la zone euro et la France en particulier présentent-ils de telles faiblesses de leur taux de croissance ?

Si une maturité économique différente de chaque pays peut expliquer cette situation, nous croyons pour notre part que cet échec des politiques européennes sur la croissance économique tient bien sûr à d’autres raisons.

Le frein principal à la croissance économique, qu’on le veuille ou non, ce ne sont pas les garanties collectives accordées aux salariés ou l’absence de flexibilité du marché du travail, c’est bien plutôt la politique économique et monétaire européenne, qui impose l’austérité pour les dépenses budgétaires, la liberté de circulation des capitaux, des taux d’intérêt élevés et la raréfaction de la création monétaire. Ne sont pas non plus en cause les collectivités territoriales, qui seraient trop « dépensières », aux yeux de certains, et devraient appliquer la même rigueur que l’État en matière budgétaire. Encore heureux qu’elles n’aient pas trop réduit leurs dépenses d’investissement, sinon nous aurions déjà connu la récession !

Ce qui est aujourd’hui en cause, ce sont bel et bien les politiques guidées par le respect des critères de convergence, par le pacte de stabilité, ainsi que par l’autisme de la Banque centrale européenne, la BCE. À quoi sert-il d’économiser quelques centaines de millions d’euros en supprimant des emplois publics quand le seul relèvement des taux directeurs de la BCE, dont l’indépendance est consacrée par le traité de Lisbonne que vous avez voté, mes chers collègues, coûte de 2 à 3 milliards d’euros de plus, en année pleine, au service de la dette ?

Les politiques d’austérité mises en place depuis longtemps conduisent donc à peu près partout aux mêmes résultats : mauvais état des comptes publics, dette de plus en plus importante, faible croissance globale des économies et aggravation continue des inégalités sociales, minant ainsi le pacte républicain.

De ce point de vue, le Gouvernement s’est particulièrement distingué avec la loi TEPA, la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, qui n’a trouvé une véritable traduction que pour ce qui concerne la fiscalité du patrimoine.

Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, le budget, déjà mal en point, va enregistrer une moins-value fiscale de 400 millions d’euros au moins, pour permettre à 3 000 contribuables de l’ISF de se libérer de tout ou partie de leur impôt, en finançant prétendument les PME : 400 millions d’euros pour 530 millions de capitaux mobilisés, quel gaspillage de fonds publics pour un résultat ridicule sur le plan macroéconomique, d’autant que 450 millions d’euros suffisent à défiscaliser les intérêts du Livret A et du livret de développement durable, qui représentent un encours de 200 milliards d’euros !

Voilà un exemple clair et net des gâchis qui conduisent aujourd’hui le budget de l’État au déficit ! Il faut donc mettre un terme à ce que le rapport d’information Migaud-Carrez appelle « l’évolution déraisonnable » de la dépense fiscale. Actuellement, le premier poste budgétaire de l’État est non pas l’éducation nationale, mais bel et bien la masse considérable des dépenses fiscales.

Cette année, ce sont 73 milliards d’euros de recettes fiscales qui vont ainsi disparaître, et la perte sera plus grande encore l’an prochain ! Et ce montant ne tient pas compte des 30 milliards d’euros de recettes fiscales que l’État a cantonnés au financement des allégements de cotisations sociales, des 12 milliards d’euros destinés à compenser la réforme de la taxe professionnelle et des 5 milliards d’euros de recettes utilisés à mal compenser le transfert de la gestion du RMI aux départements, sans parler de l’allocation personnalisée d’autonomie, et j’en passe !

Entre dépenses fiscales et recettes dédiées, ce sont des milliards et des milliards d’euros qui manquent aujourd’hui pour assurer l’équilibre des comptes publics ! Et ce, pour quelle efficience de la dépense fiscale ? Depuis 2003, l’essentiel de la progression de la dépense fiscale, soit 23 milliards d’euros – c’est une somme que vous avez validée à travers vos votes, mes chers collègues –, ne semble pas avoir atteint ses objectifs en matière de croissance et d’emploi ! Mais il en a atteint un autre, qui n’était pas prévu : celui de laisser le déficit persister à un haut niveau !

Dans le même temps, l’impôt sur les sociétés a baissé, l’imposition des revenus du capital s’est allégée et l’imposition des patrimoines s’est fortement réduite !

M. Thierry Foucaud. Nous ne souhaitons pas que la loi de finances de 2009 se contente d’apporter quelques modifications cosmétiques, associées à une nouvelle purge de la dépense publique. L’annonce de la suppression de 30 000 à 35 000 emplois publics laisse pourtant craindre que tel sera le choix opéré par le Gouvernement.

De même, il est de plus en plus question que les collectivités territoriales soient mises à contribution. Le pacte de stabilité s’annonce sévère : blocage de la dotation globale de fonctionnement, mise en cause du fonds de compensation pour la TVA, nouvel allégement de la taxe professionnelle sans compensation ; vous lancez une véritable déclaration de guerre aux élus locaux ! Comme si les termes « dépense » et « publique » étaient incompatibles à vos yeux, monsieur le ministre !

Il est vrai que la dépense privée est tellement plus vertueuse, comme le montrent les milliards que Total engloutit chaque année dans le rachat de ses propres actions – le litre de super à 1,60 euro sert donc à quelque chose ! –, ou encore les dizaines de milliards que nos banques ont dilapidé – « claqué », oserai-je même dire – dans la crise des subprimes américaines et qui se traduisent aujourd’hui par des suppressions d’emploi massives !

En transformant ces milliards d’euros de dépense fiscale inefficiente en dépense publique utile, nous répondrons aux besoins populaires en matière d’emploi, de logement, de protection sociale, de vie sociale et associative, de sécurité et de développement des services publics. Pour retrouver le chemin de la croissance, la France doit retrouver celui de la dépense publique, un chemin qui est aussi celui de la justice fiscale ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un an après l’élection du Président de la République, les Français sont impatients de constater les effets des réformes votées par la majorité.

Tous les observateurs internationaux en conviennent, notre pays a besoin de profondes transformations pour sortir de la léthargie dans laquelle il est engoncé depuis plus de vingt-cinq ans. Il est vital que nous ne nous enfoncions pas dans une spirale sans fin de déficits et de perte de compétitivité, alors que nos partenaires bénéficient d’une croissance vertueuse. Nous en sommes tous convaincus mais, jusqu’à présent, nous n’avions que peu réagi. Le monde ne nous attendra pas. Comme l’écrivait Voltaire, « les Français arrivent tard à tout, mais enfin ils arrivent ». Donnons-lui tort et montrons-nous enfin des précurseurs de la réforme.

Sans réforme, donc sans croissance, la France ne pourra atteindre aucun des objectifs auxquels elle aspire : ni la création de richesses, ni la compétitivité, ni la paix sociale, et nous reculerons encore au sein de la hiérarchie économique mondiale. Bien sûr, monsieur le ministre, le contexte économique international accroît la difficulté de votre tâche. Mais nos compatriotes attendent des résultats, et vous le savez.

Cette situation exige de votre part, et de la part de l’ensemble du Gouvernement, une politique très volontariste, lisible et transparente. Crise des crédits hypothécaires américains aux conséquences plus catastrophiques qu’il était envisagé, renchérissement du prix des hydrocarbures, hausse continue du prix des matières premières et des produits alimentaires, surévaluation patente de l’euro : tout contribue à ralentir la croissance de la zone euro et de l’économie française. Même si l’annonce d’Alexeï Miller, président directeur général de Gazprom, selon laquelle, avant la fin de l’année, le baril de pétrole atteindra 250 dollars et les 1 000 mètres cubes de gaz frôleront les 1 000 dollars, frise l’action psychologique, elle n’est pas absurde.

L’entrée en récession, pour les deux premiers trimestres de l’année, du Danemark, pays vertueux et souvent cité en exemple, constitue un signal d’alarme fort sur les risques encourus par notre pays à moyen terme.

L’état de nos finances publiques reste très préoccupant. « Il faut arrêter la fuite en avant », déclarait encore récemment M. le Premier ministre. Néanmoins, on constate un nouveau creusement de 41 milliards d’euros au cours du premier trimestre, la dette publique dépassant désormais les 1 250 milliards d’euros, soit 65,3 % du PIB, et ce sans tenir compte des engagements hors bilan qui excèdent les 300 milliards d’euros.

La récente hausse du taux de refinancement de la BCE à 4,25 % vient encore surenchérir le coût des intérêts de notre dette, second budget de l’État, je le rappelle. Il serait dangereux, car irresponsable, que quiconque mise sur un surcroît d’inflation pour rogner une partie de ces engagements vu l’augmentation des coûts qui en découleraient, sauf à vouloir rembourser cette dette au détriment des ménages, déjà suffisamment mis à contribution.

Cela dit, monsieur le ministre, votre hypothèse d’une inflation à 2 % et d’un baril de pétrole à 125 dollars ne me semble pas du tout réaliste.

Je regrette, comme certains de mes collègues, que n’ait pas abouti le débat engagé sur les lois de finances, à l’occasion de la discussion du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République. L’adoption de la mesure proposée aurait eu le grand mérite de contraindre chaque année le Gouvernement à présenter un budget en équilibre – c’est une impérieuse nécessité –, et aussi à renforcer la clarté et la sincérité des comptes. Le déficit de nos comptes a, de plus, pour corollaire d’affaiblir l’autorité qui devrait être la nôtre au moment où la France préside l’Union européenne.

Avoir les moyens de nos ambitions politiques suppose l’exemplarité, et ce d’abord sur le plan budgétaire. Dès lors, comment prétendre insuffler une nouvelle dynamique à une Union européenne résignée à jouer les seconds rôles ? Sur quelle autorité morale pouvons-nous nous appuyer lorsque nos comptes publics sortent des limites, déjà extensibles, du pacte de stabilité ? Les références à une histoire glorieuse, mais déjà lointaine, sont dépassées, voire contre-productives. La méfiance de nos concitoyens envers l’Europe ne risque pas de s’amenuiser. Il est d’ailleurs symptomatique de constater l’hostilité grandissante à l’égard de la BCE, alors que celle-ci peine de plus en plus à trouver des arguments pour justifier sa politique des taux.

Certes, la BCE confirme son inflexible indépendance face aux politiques, mais il n’est pas hérétique de s’interroger sur la pertinence même de son ancre nominale : est-il définitivement opportun qu’une banque centrale ne poursuive qu’un objectif de stabilité des prix ou bien est-il envisageable de lui assigner, au même rang, un objectif de soutien à l’activité ?

L’engagement du Gouvernement à tenir les critères de stabilité avant 2012 est modérément ambitieux, mais demande néanmoins de réels efforts. La série de mesures structurelles fortes, à l’instar du projet de loi de modernisation de l’économie, a été saluée par le Fonds monétaire international, pour son effet dynamisant.

Enfin, la révision générale des politiques publiques donnera une vision globale de leur efficacité ou de leur inefficacité. Nous en attendons les conclusions définitives avec impatience. Les audits menés par votre prédécesseur au ministère du budget permettent déjà de rationaliser certains postes de dépenses. Mais beaucoup reste à faire, et, disant cela, je pense entre autres à la politique erratique de la gestion immobilière de l’État. Il est tout simplement ubuesque que l’État ne connaisse pas l’étendue de son parc immobilier !

M. Éric Woerth, ministre. Mais il le connaît très bien !

M. Aymeri de Montesquiou. Nos collègues Bernard Angels, Marie-France Beaufils, Paul Girod et Adrien Gouteyron avaient parfaitement analysé ces dysfonctionnements dans leur rapport d’information. L’État doit élaborer une politique immobilière d’ensemble, qui ne saurait ni se résumer à des opérations de cession, qui ne sont pas sa finalité, ni se cantonner à une logique essentiellement ministérielle, donc cloisonnée.

Sur ce point, je salue votre heureuse initiative visant à mettre en place un opérateur unique de rationalisation et de valorisation de 45 milliards d’euros d’actifs.

Vous souhaitez réinstaurer la confiance, alors qu’un grand nombre de nos compatriotes souffrent aujourd’hui du retour de l’inflation. La hausse des prix des hydrocarbures serait peut-être plus supportable si elle ne s’accompagnait de la peur du déclassement social.

Certes, les instituts statistiques annoncent, depuis des années, une inflation comprise entre deux points et trois points, mais de nombreux Français constatent quotidiennement que les prix des produits de consommation courante augmentent beaucoup plus.

Les plus modestes, alors qu’ils peinent, chaque mois, à subvenir à leurs besoins élémentaires ou même à se loger, sont modérément heureux de savoir que le prix en valeur absolue des produits de haute technologie n’a jamais été aussi bas. Il faut savoir que les dépenses contraintes – logement, assurances, transports, téléphone – atteignent aujourd’hui, en moyenne, 30 % des revenus ; elles n’étaient que de 12 % en 1960.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !

M. Aymeri de Montesquiou. N’oublions pas non plus que ceux qui gagnent entre 20 000 euros et 55 000 euros par an, c’est-à-dire 50 % des Français, constituent le véritable baromètre d’une consommation dont ils sont le principal moteur. Trop riches pour toucher des aides sociales, trop pauvres pour jouer des multiples outils d’allégements fiscaux, ils souhaitent – et ce n’est que justice élémentaire ! – pouvoir vivre décemment de leur travail. C’est un objectif prioritaire qui est loin d’être atteint.

Leur incompréhension est manifeste envers la multiplication inconsidérée des niches fiscales, « mauvaise herbe fiscale », comme les qualifie Philippe Marini. Entre 1997 et 2006, 227 nouvelles niches ont été créées, pour un total estimé à 650. En 2008, l’État aura ainsi abandonné 72,3 milliards d’euros de recettes fiscales, soit 27 % de l’ensemble de celles-ci et 3,8 % du PIB !

Si certaines niches répondent à un souci légitime d’allégement de la pression fiscale ou d’allocation des ressources, leur prolifération pose un vrai problème d’équité fiscale. Elle souligne aussi que l’aspect parfois confiscatoire de notre système fiscal en est venu à engendrer de telles injustes absurdités.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument !

M. Aymeri de Montesquiou. Notre collègue député Charles de Courson soulignait à bon droit que « les mille premiers bénéficiaires, par ordre décroissant, des niches fiscales sont des contribuables qui, par le truchement des investissements outre-mer, réussissent à faire baisser de plus de la moitié leur impôt sur le revenu et obtiennent une réduction moyenne d’impôt de 300 000 euros ».

Mieux ou pis, les 100 000 contribuables tirant le meilleur profit des dérogations fiscales catégorielles ont réduit leur impôt de 15 240 euros en moyenne, soit un manque à gagner pour l’État de 1,5 milliard d’euros. Ce n’est ni équitable ni juste.

De surcroît, un grand nombre d’entre elles ont une efficacité douteuse.

Le dispositif Robien a atteint ses limites et amplifie même le retournement spectaculaire du marché de l’immobilier dans certaines villes moyennes. La défiscalisation des investissements outre-mer, n’en déplaise peut-être à mes collègues ultramarins, a, quant à elle, favorisé la cherté du logement et accru les difficultés des opérateurs de logements sociaux.

La mise à plat de ce système est certes ardue. En effet, l’impact macroéconomique des niches fiscales n’est pas nul, mais, surtout, comme aime à le rappeler Gilles Carrez, « dans chaque niche, il y a un chien qui mord ».

M. Alain Vasselle, rapporteur. Oh là là !

M. Aymeri de Montesquiou. Le degré de sophistication dans l’exception fiscale est tel que le législateur se heurte désormais à l’objectif constitutionnel d’intelligibilité et de clarté de la loi, comme en 2005, lorsque le Conseil constitutionnel avait censuré le plafonnement de certains avantages dans le secteur sauvegardé.

Pourtant, des solutions existent. Je vous propose une idée simple : dès lors qu’un avantage fiscal perd sa finalité d’allocation de ressources pour devenir un simple instrument d’optimisation fiscale pour les mieux informés, il n’a plus sa raison d’être.

La mission d’information de l’Assemblée nationale sur les niches fiscales a rendu des conclusions intéressantes à cet égard. Elle propose, entre autres, d’instaurer un maximum global de réduction fixe : l’avantage diminuerait en proportion du revenu quand ce dernier augmenterait. En associant ce dispositif à un véritable toilettage des niches inutiles ou inéquitables, l’État économiserait certainement plusieurs milliards d’euros.

Monsieur le ministre, les attentes de réforme des Français sont considérables. Nous avons déjà trop tardé. Non seulement nos partenaires européens ne nous attendront pas dans le grand jeu économique mondial, mais, aujourd’hui, la Chine, l’Inde, le Brésil sont devenus nos concurrents directs. Je crains que nous ne puissions entraver notre déclin si vous ne parvenez pas à tenir vos engagements budgétaires d’ici à 2012, lesquels ne sont pas excessivement ambitieux.

Votre volonté est évidente, vos efforts certains. Aussi, je souhaite que, dans quatre ans, vous puissiez dire que mes propos d’aujourd’hui n’étaient que ceux d’un Cassandre mal avisé. (Applaudissements au banc de la commission.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Gaudin.

M. Christian Gaudin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat d’orientation budgétaire qui nous intéresse aujourd’hui doit être un point clé dans la vie des finances publiques et sociales de notre pays. Il intervient en effet à un moment charnière de la préparation du projet de loi de finances pour l’année 2009, lequel sera sans nul doute, et je le regrette, l’un des plus difficiles à boucler depuis de nombreuses années.

Avant toute chose, je souhaite vous remercier, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, de nous permettre de débattre des orientations budgétaires de la France à un moment si important économiquement, mais aussi si dense en matière législative, au milieu de cette session extraordinaire.

On évoque beaucoup le renforcement des pouvoirs du Parlement. Celui-ci passe par plus de contrôle, notamment budgétaire, et également par une plus grande écoute des parlementaires eux-mêmes sur les grandes orientations à prendre. Je ne doute pas que tel sera le cas pour le débat qui nous intéresse désormais.

Nous avons constaté et adopté la semaine dernière le projet de loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour l’année 2007 ; il a été l’occasion de faire le point sur l’exercice de l’année dernière et de tirer le bilan financier de nos comptes. Les résultats constatés sont loin d’être satisfaisants. Ils doivent nous alerter, nous inquiéter, sur la situation de notre économie, de nos finances publiques, et sur leur avenir.

Je vous l’avoue, je suis en effet très inquiet sur la situation financière de notre pays et, en l’état, je suis plutôt pessimiste sur la possibilité de dégager des marges de manœuvre pour prendre toutes les mesures nécessaires à leur redressement. Mais je ne suis pas résigné ; c’est pourquoi, à cette inquiétude, il faut opposer un devoir de responsabilité fort et ferme de notre part, de la part du Gouvernement et, sans doute, de la part de tous les Français.

Avant d’aborder ce point sur la responsabilité, j’aimerais revenir sur ce qui me préoccupe et justifie mon appréhension.

Dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, la Cour des comptes analyse les causes et les conséquences de leur dégradation. Un certain nombre de critiques déjà évoquées sont sans appel.

Tout d’abord, avec une remontée du déficit public français à 2,7 % du PIB, la situation financière s’est aggravée en 2007, à contre-courant du retour à l’équilibre observé en moyenne dans les autres pays de la zone euro, notamment en Allemagne. Cette aggravation d’origine structurelle est due à une insuffisante maîtrise des dépenses pour compenser les réductions d’impôts et de cotisations sociales.

Ce résultat est très loin d’être satisfaisant. Si on le compare au solde de l’année 2006, qui était de moins 39 milliards d’euros, en prenant en compte l’incidence de la modification du calendrier de versement des pensions des agents de l’État, le résultat ne s’améliore que de 0,6 milliard d’euros. C’est la fin d’une lente diminution du poids du déficit public dans notre économie.

Par ailleurs – c’est la deuxième critique –, le déficit de l’État augmente en 2007, quel que soit le référentiel comptable retenu. Le besoin de financement des collectivités locales reste limité, mais s’alourdit aussi sous l’effet d’une forte croissance des dépenses. Le besoin de financement de l’ensemble des régimes de base de sécurité sociale et du fonds de solidarité vieillesse, le FSV, s’alourdit également. Rappelons que le déficit de la sécurité sociale, régimes de base et FSV, reste de l’ordre de 11 milliards d’euros, avec une « dette sociale » qui augmente de 9 milliards d’euros.

Ensuite, troisième critique, la dette publique, qui avait baissé en 2006, a de nouveau augmenté en 2007, contrairement, là encore, à la tendance observée dans les autres pays européens, pour atteindre 63,9 % du PIB à la fin de l’année 2007 – soit 47 000 euros par actif, sans même tenir compte d’une partie des dettes de RFF, que seul l’État pourra rembourser –, ce qui entraîne une charge d’intérêt de 52 milliards d’euros, soit 2 000 euros par actif. L’augmentation de ce ratio de dette est le résultat mécanique du niveau actuel du déficit.

Enfin, l’équilibre des comptes publics en 2012, inscrit dans le programme de stabilité, suppose de ramener la croissance des dépenses en volume de 2,2 % en moyenne sur les dix dernières années à 1,1 % par an, alors qu’elle a encore été de 2,5 % en 2007. Le respect du pacte implique donc une économie de 46 milliards d’euros à l’horizon de 2012 ! Nous devons équilibrer et planifier cet effort.

Comme le disait notre éminent collègue Alain Lambert, en réunion de commission des finances la semaine dernière, nous connaissons l’objectif pour 2012. Il est donc nécessaire de répartir très précisément les efforts annuels à réaliser et, surtout, de s’y tenir, afin de ne pas, une nouvelle fois, reconstruire l’an prochain un nouveau plan de redressement pluriannuel qui décale encore d’une année le retour à l’équilibre.

Monsieur le ministre, vous l’avez souligné et je salue votre réalisme, les contraintes qui vont peser sur le budget de la France vont être croissantes.

Le contexte économique mondial et national est de plus en plus « tendu », avec, d’une part, un ralentissement attendu de la croissance et, d’autre part, la flambée de l’inflation. Comment ne pas évoquer le renchérissement des matières premières, au premier rang desquelles le pétrole, et le déséquilibre flagrant entre l’évaluation du dollar et celle de l’euro ?

Ces deux constats, dans un contexte de crise financière internationale, ont et auront, dans les années à venir, des conséquences dramatiques : une croissance atone, l’inflexion du marché immobilier, la faiblesse de la consommation et des investissements, l’augmentation des prix énergétiques et alimentaires, le déséquilibre de la balance commerciale, etc.

Mes chers collègues, il est de notre devoir de parlementaires de mettre des mots sur une réalité toujours plus difficile. Dans ce contexte, je vous appelle peut-être à plus de prudence, notamment sur les prévisions de croissance. Mieux vaudrait les sous-estimer, comme l’a longtemps fait le Canada, quitte à ensuite enregistrer des plus-values qui nous permettraient de diminuer le montant de notre dette publique. Ne pas surévaluer nos capacités correspondrait à une gestion « en bon père de famille », dont la France a bien besoin. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus, je crois, prendre de risques financiers.

Par ailleurs, nous avons des contraintes structurelles internes très fortes et quasiment inévitables. Vous évoquiez, monsieur le ministre, le poids croissant des pensions de retraite et de la charge de la dette. Il est dramatique de penser que la dynamique de ces deux dépenses absorbera dans les années à venir près de 70 % des augmentations, déjà faibles, de la dépense de l’État. Les marges de manœuvre seront bientôt nulles.

Ce qui m’inquiète le plus, c’est à la fois l’avenir de nos enfants et l’image que notre pays donne à ses différents partenaires aux échelons européen et mondial.

Concernant ce que nous allons laisser à nos enfants et à nos petits-enfants, des réformes structurelles sont nécessaires et requièrent une forte volonté politique. Lorsque nous acceptons les déficits et la dette publique, c’est à eux que nous devons penser. Nos décisions d’aujourd’hui créent leur dépendance de demain. Nous sommes liés aux générations futures par un pacte tacite. Ne transformons pas ce lien en une dépendance financière pour eux à cause d’un héritage qu’ils pourraient refuser !

Par ailleurs, notre attitude financière a des conséquences sur nos relations avec nos partenaires européens, principalement ceux de la zone euro. Nous sommes dépendants de tous les pays du marché commun, comme eux le sont de nous. Le respect des critères du pacte de stabilité doit sous-tendre nos réflexions sur l’évolution des finances publiques. Les signes que nous envoyons aujourd’hui à nos amis européens ne sont pas très convaincants quant à notre bonne volonté. Pour la plupart de nos partenaires, nous profitons de la zone euro pour amortir la dégradation de nos finances publiques.

Dans ce contexte extrêmement contraint, les possibilités d’évolution sont très limitées. Les marges de manœuvre économiques restent extrêmement réduites pour le pays.

L’ensemble des dépenses publiques ne peut absolument plus augmenter, pas plus en volume qu’en valeur. En outre, ces limitations devront concerner toutes les administrations, de l’État au système social, en passant par les collectivités territoriales.

Concernant les recettes, nous pourrons difficilement en créer de nouvelles ; il paraît donc nécessaire de limiter leur affaissement. Il en va de la « soutenabilité » de nos finances publiques.

Comme je le disais au début de mon propos, cette inquiétude ne traduit aucune résignation. Alors, profitons-en pour réformer en profondeur nos méthodes de travail, en particulier en matière budgétaire.

Pour cela, il me paraît indispensable de développer une véritable culture de la responsabilité.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !

M. Christian Gaudin. Nous sommes des élus. Les Français nous ont confié des mandats ; nous devons les respecter.

Être responsable, c’est dire la vérité à nos concitoyens sur les difficultés qui s’annoncent.

Être responsable, c’est être persévérant dans les réformes, même si elles sont impopulaires.

Être responsable, c’est bien évidemment être fidèle à nos engagements, en particulier à ceux qui ont été pris à l’égard de nos voisins européens.

À l’heure actuelle, parmi les évolutions envisageables à plus ou moins long terme, on évoque beaucoup les fameuses dépenses fiscales. Évaluées à 73 milliards d’euros en 2008, elles ne sauraient être écartées a priori de tout mécanisme de régulation. Leur croissance est souvent sous-estimée, car certains dispositifs sortent de la liste des dépenses fiscales annexée au projet de loi de finances, en raison de leur histoire, et sans autre précision, ce qui n’a pas de justification économique.

Malgré un tel biais, on observe un fort développement des dépenses fiscales, surtout depuis l’instauration d’une norme de dépenses budgétaires en 2001. On en comptait 398 en 2000, et leur nombre est passé à 486 en 2008. Dans le projet de loi de finances pour 2008, seulement 80 % sont chiffrées. Et encore, pour la moitié d’entre elles, il ne s’agit que d’un ordre de grandeur.

Pour apprécier la croissance de leur montant total, il faut tenir compte des variations annuelles de ce taux de chiffrage, qui augmente depuis 2005. Il apparaît alors que le coût total des dépenses fiscales a crû en moyenne de 5 % par an de 2004 à 2007 et qu’il augmentera encore de 5 % en 2008, rythme bien supérieur à celui des dépenses couvertes par la norme. Parallèlement à une amélioration de leur recensement et de leur chiffrage, il pourrait être envisagé d’encadrer leur évolution par une norme spécifique.

Comme cela est évoqué dans le rapport qui a été remis au Parlement, nous pourrions imaginer des limitations dans le temps ou en volume de ces dépenses fiscales. Nous ne manquons pas d’imagination à ce sujet, et vous savez bien que le Sénat et sa commission des finances se sont déjà largement penchés sur la suppression de niches fiscales ; je n’y reviendrai donc pas.

Il serait également souhaitable de réserver à la loi de finances la possibilité de créer des dépenses fiscales. Toutefois, je ne m’étendrai pas sur le débat qui a lieu à propos de la modification de l’article 34 de la Constitution. Un système de caducité automatique des dépenses fiscales qui ne seraient pas reprises dans la plus prochaine loi de finances pourrait être instauré. M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, vous en parlerait beaucoup mieux que moi !

Toujours en matière de recettes, je voudrais évoquer brièvement la TVA sociale, ou « TVA de compétitivité », selon les sensibilités de chacun.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bonne idée !

M. Christian Gaudin. Je connais la fragilité de ce sujet, mais vous savez que les centristes y sont très attachés. Je souhaite savoir où en sont les réflexions sur cette réforme, qui pourrait participer au rééquilibrage de notre compétitivité internationale.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !

M. Christian Gaudin. Cette dernière remarque me permet d’évoquer la structure économique de notre pays. Nous venons d’examiner longuement le projet de loi de modernisation de l’économie.

Je voudrais une nouvelle fois vous convaincre de l’importance dans notre paysage économique de la valeur ajoutée des petites et des moyennes entreprises ; je parle de celles qui embauchent entre cent salariés et trois cents salariés. L’exemple allemand est à ce titre très régulièrement évoqué. Pourquoi nos PME manquent-elles de compétitivité sur le plan international ? Nous devons investir et créer un environnement favorable à l’investissement pour l’innovation dans nos PME. Je crois beaucoup en elles pour emmener notre pays sur le chemin du redressement.

À présent, je souhaiterais encore et toujours rappeler quelques mesures d’ordre fiscal que M. Philippe Marini, rapporteur général, et moi-même avions formulées dans notre rapport d’information intitulé La bataille des centres de décision : promouvoir la souveraineté économique de la France à l’heure de la mondialisation.

La fiscalité française et son environnement sont complexes, instables et insuffisamment attractifs. Nous pourrions proposer une diminution du taux facial de l’impôt sur les sociétés, ainsi qu’une harmonisation et une consolidation de son assiette. La France ne peut pas se permettre de demeurer durablement hors du jeu de la compétition fiscale. Nous avions ainsi suggéré l’objectif d’un taux légèrement inférieur à 30 %.

J’en viens à l’assiette de ce prélèvement. Il nous semble opportun de faire aboutir l’initiative européenne de l’assiette commune, optionnelle et consolidée d’impôt sur les sociétés. Cette harmonisation au niveau de l’Union européenne serait un premier pas vers la possibilité de légiférer à l’unanimité en matière de fiscalité des entreprises à l’échelon communautaire. Les débats sur les taux étant actuellement bloqués, ceux qui sont relatifs à l’assiette semblent moins problématiques.

En outre, je veux évoquer rapidement le problème de la stabilité de nos règles fiscales. Comment ne pas rappeler le besoin, en ce domaine, de prévisibilité et de lisibilité de notre droit, principalement aux yeux de nos voisins étrangers ? Il y va aussi de notre responsabilité de décideurs politiques.

J’aimerais également évoquer l’importance des collectivités territoriales dans le redressement de nos finances publiques. En tant que sénateurs, nous nous devons d’être réalistes à l’égard de leur rôle, de leurs missions et de leurs responsabilités.

Comme nous l’avons vu lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2008, l’insertion des prélèvements en faveur des collectivités locales au sein de l’enveloppe normée des dépenses est une nouvelle contrainte budgétaire pour l’État et, bien sûr, pour les collectivités elles-mêmes. Nous devons en être conscients, la hausse des dotations des collectivités sera extrêmement limitée pour 2009 et pour les années suivantes. Elle ne devrait atteindre que 2 % pour 2009.

En tant que représentants des collectivités territoriales, notre responsabilité est de faire comprendre que tout le monde doit participer à l’assainissement de nos finances publiques. L’État doit jouer non pas contre, mais avec les collectivités locales. Ainsi, régions, départements et communes devront également contribuer à l’effort de maîtrise des dépenses publiques.

Bien entendu, les relations ne doivent pas se concentrer dans une seule direction. Ainsi, l’État doit également s’appliquer à lui-même la fameuse « règle d’or » imposée aux collectivités locales en matière de gestion budgétaire. Par ailleurs, l’instauration d’un dialogue permanent et récurrent en vue de la réforme tant attendue de la fiscalité locale est une condition sine qua non de l’apaisement des relations entre tous les acteurs.

Pour conclure, monsieur le ministre, je vous demande –mais je sais que vous partagez cette éthique de responsabilité –de ne pas enjoliver la situation économique et financière de la France dans la construction du budget pour 2009. Nous devons être clairs et transparents pour les Français, pour l’avenir et pour l’ensemble de nos partenaires européens. (Applaudissements au banc de la commission. – MM. Roland du Luart et Éric Doligé applaudissent également

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat est passionnant et chacune des interventions est extrêmement riche.

Toutefois, le temps passe et nous ne pourrons pas clore cette discussion avant la suspension du déjeuner.

Par conséquent, je propose au Sénat que nous puissions entendre nos collègues Nicole Bricq et Roland du Luart avant la suspension, et que nous reprenions le débat après le déjeuner.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur cette proposition ?

M. Éric Woerth, ministre. Avis favorable.

Mme la présidente. Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. « Je réduirai la dette et le déficit, qui ont été creusés par l’échec des politiques antérieures, alors que nos politiques réussiront. Les générations futures ne peuvent pas accepter que les générations actuelles vivent à leur crédit ». Voilà ce qui figurait dans la profession de foi du candidat de l’UMP à l’élection présidentielle, M. Nicolas Sarkozy, au printemps 2007.

M. Alain Vasselle, rapporteur. Nous sommes d'accord ! Nous partageons totalement ce point de vue ! Vous aussi, non ?

Mme Nicole Bricq. À peine élu, le Président de la République s’affranchit du retour à l’équilibre des comptes publics, repousse cette échéance à 2012 et engage son Gouvernement dans une politique de baisses d’impôts et de dépenses fiscales pour la plupart improductives, dilapidant ainsi les quelques marges de manœuvre dont il disposait, alors que la crise financière démarre aux États-Unis.

Le Gouvernement justifiera après coup son plan de l’été 2007 par une nécessaire relance censée soutenir l’économie réelle quand celle-ci serait affectée. Mauvaise pioche : à l’été 2008, nous y sommes : tous les indicateurs sont au rouge !

Permettez-moi de rappeler quelques chiffres. Selon la Cour des comptes, il faudrait 46 milliards d’euros d’économie. Et, d’après M. le rapporteur général, pour satisfaire d’ici à 2012 la trajectoire transmise aux instances de l’Union européenne, le montant des économies et des redéploiements nécessaires s’élèverait à 65 milliards d’euros.

Avec de tels choix politiques, l’équation est impossible à résoudre. La baisse de la croissance et la hausse de l’inflation et des taux d’intérêt alourdissent mécaniquement la dette. D’ailleurs, la charge de la dette devient bondissante ou, selon le joli mot de M. Philippe Marini dans son rapport écrit, « dynamique ».

M. Philippe Marini, rapporteur général. Voilà !

Mme Nicole Bricq. Aujourd'hui, elle atteint 52 milliards d’euros.

Dans le même temps, les recettes se contractent. Les dépenses fiscales engagées dans les trois dernières années pèseront sur les budgets en 2009 et en 2010. Le scénario du Gouvernement qui a été communiqué à Bruxelles est intenable. Nul ici ne s’illusionne sur ce point.

Cela dit, comme je connais le sort qui attendait les messagers porteurs de mauvaises nouvelles dans les temps anciens, je préfère m’arrêter là ! (Sourires.)

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Oui, nous tenons à vous ! (Nouveaux sourires.)

Mme Nicole Bricq. Mais j’y reviendrai !

La vérité est que le Gouvernement n’a plus de marges de manœuvre. Alors qu’il a lancé de multiples chantiers, inspirés par le Président de la République, et retardé l’ajustement budgétaire, il a négligé le principal : toute réforme a un coût initial si l’on veut s’assurer de sa fluidité, de son acceptation et de l’adhésion de ceux qui sont concernés. Et si économies il y a, elles ne se produiront qu’à moyen ou à long terme.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Exact !

Mme Nicole Bricq. Condamné à une discipline financière qu’il n’a pas anticipée, le Gouvernement n’a plus guère de cartouches dans sa gibecière.

C’est là où l’injustice du paquet fiscal pèse de tout son poids, car elle a miné la confiance. En privilégiant les situations rentières, en proposant un agenda partisan et des mesures socialement biaisées, le Gouvernement et sa majorité ont ruiné toute possibilité de mobilisation des salariés, qui seront – et ils l’ont bien compris – les grands perdants de la crise.

Dès lors que les causes de l’inflation sont exogènes – le phénomène est lié à la hausse des prix des matières premières et de l’énergie –, les salaires n’y sont pour rien. Pourtant, et c’est un paradoxe effrayant, ce sont les salariés qui paieront les aléas de la conjoncture et de la finance. Au moment où il faudrait mener une politique contracyclique, vous n’en avez plus les moyens.

Les déficits qui s’accumulent serviront à justifier les coupes dans les politiques publiques. Or le pays a besoin de dépenses publiques. Je pense notamment aux dépenses d’avenir pour la recherche, pour l’éducation, pour l’enseignement supérieur, pour l’innovation, afin de disposer de petites et moyennes entreprises fortes, avec des produits et des services bien orientés à l’exportation.

La dépense publique est également utile pour développer les solidarités. Étant donné le bouleversement – je dirai même le « décentrement » – du monde que nous vivons actuellement, et qui va sans doute encore durer plusieurs années, il faut précisément multiplier les solidarités à l’égard de ceux qui peuvent perdre dans cette mutation.

À cet égard, le débat sur le financement du revenu de solidarité active est emblématique. C’est la prime pour l’emploi, la PPE, qui sera redéployée vers lui. J’admets que c’est un raccourci, mais songez que le message porté par cette réforme est terrible : la redistribution se fera désormais des pauvres vers les encore plus pauvres.

Il y a, de plus, le risque que le revenu de solidarité active, le RSA, ne devienne une subvention au temps partiel et aux bas salaires. L’effet de substitution de la prime ou l’emploi, ou PPE, vers le RSA pénalisera les couples biactifs, car ces deux dispositifs n’ont pas la même base de calcul. Je suppose que nous en reparlerons.

Pour en finir avec l’état des lieux, j’indique que la mise en œuvre d’un plan de rigueur d’ampleur – c’est ce que le Gouvernement s’apprête à faire – amputera une croissance déjà faible et fera repartir le chômage à la hausse. Dans tous les cas de figure, il n’y a pas d’issue heureuse.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Alors, que proposez-vous ?

Mme Nicole Bricq. Face à cela, quelle est la stratégie du Gouvernement ?

M. Philippe Marini, rapporteur général. Et quelle serait la vôtre ?

Mme Nicole Bricq. J’ai regardé les leviers sur lesquels il compte agir. Comme ils ont déjà été mentionnés, je ne les évoquerai que brièvement.

La révision générale des politiques publiques a pour objectif principal non pas d’améliorer l’efficience de l’État, mais de justifier a priori la réduction de la dépense publique et du nombre de fonctionnaires. Le calcul a été effectué. En net, on aura atteint péniblement 6 milliards d’euros d’économies.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Ce serait déjà quelque chose !

Mme Nicole Bricq. Monsieur le ministre, si j’ai bien entendu le Président de la République, sur ces 6 milliards d’euros, vous vous apprêtez à dépenser 3 milliards d’euros pour satisfaire à la baisse de la TVA dans la restauration.

En outre, de nouvelles niches fiscales ont été ajoutées à l’occasion du débat sur le projet de loi de modernisation de l’économie.

M. Philippe Marini, rapporteur général. À hauteur d’environ 400 millions d’euros !

Mme Nicole Bricq. Effectivement, monsieur le rapporteur général.

Le Gouvernement fixe la norme des dépenses pour 2009 à 2 %. Pour ma part, je pense qu’elle concernera tous les budgets et qu’il n’y aura pas de « sanctuaire », contrairement à ce qui a pu être affirmé. Les dépenses d’intervention seront mises à l’épreuve.

Qu’en est-il des dépenses fiscales ? Monsieur le ministre, vous avez dit tout à l’heure que le débat était encore ouvert. Est-il envisagé de les plafonner ? De les passer en revue, de les évaluer ou de les limiter dans le temps ? De supprimer les niches « verticales », comme le souhaite M. le rapporteur général ? Il faudra attendre le projet de loi de finances pour 2009 pour connaître le chemin qui sera emprunté. Vous aurez sans doute fort à faire. Tout à l’heure, le président de la commission des affaires culturelles, M. Jacques Valade, défendait encore la niche fiscale relative au patrimoine et aux monuments historiques !

Quant à la référence constitutionnelle concernant les dépenses fiscales et les exonérations sociales, je rappelle que le groupe socialiste s’est rallié à l’amendement défendu par MM. Marini, Arthuis et Vasselle. Nous ne désertons pas ce terrain, comme vous pourrez le constater cet après-midi quand nous reprendrons le débat sur les institutions,…

M. Philippe Marini, rapporteur général. Majorité d’idées !

Mme Nicole Bricq. …et nous regrettons la position de la majorité.

S’agissant des annulations de crédit, 3 milliards d’euros de crédits mis en réserve seraient annulés. Imposer un nouveau tour de vis aux collectivités locales ? Lors de la réunion du Conseil national des exécutifs, la semaine dernière, le Premier ministre n’a pas caché son intention d’encadrer plus sévèrement les dotations de l’État, et, singulièrement, la dotation globale de fonctionnement.

C’est une cible tentante, d’autant que l’hypothèse du Gouvernement de retour à l’équilibre d’ici à 2012 fait des collectivités locales une variable essentielle. Or leur endettement ne pèse que 11 % dans la dette publique. Dans ces conditions, vous aurez du mal à en faire un bouc émissaire.

On ne voit pas vraiment comment les collectivités locales réduiraient drastiquement leurs dépenses, auxquelles le Gouvernement assigne un taux de croissance de 1,4 %, quand, dans le même temps, leurs recettes directes sont amputées des effets de la réforme de la taxe professionnelle déjà engagée, quand les droits de mutation à titre onéreux sont moindres du fait du retournement immobilier. Le schéma du Gouvernement n’est pas réaliste, et je pense que tout le monde le sait ici.

Quant à se séparer d’actifs non stratégiques, comme j’ai entendu Mme la ministre de l’économie, de l'industrie et de l'emploi en parler, l’état délicat des marchés financiers n’est guère propice à ces désengagements. On cédera encore des actifs immobiliers, mais cela n’ira pas très loin, et, au bout du compte, l’État se sera encore appauvri.

S’agissant de la fiscalité, il est paradoxal que nous n’ayons pas connaissance du résultat de la revue générale des prélèvements obligatoires au moment où nous tenons le débat d’orientation budgétaire. Au moins doit-on lire les intentions qui pointent çà et là.

Plaider, comme le font certains, pour des impôts à large assiette et à faible taux nous inquiète beaucoup. Vous avez déjà passablement raboté le seul impôt progressif dont nous disposons, l’impôt sur le revenu ; cela suffit !

Vous utiliserez sans doute quelques artifices comptables pour passer sous la toise des 3 %. Mais cela ne trompera ni les parlementaires ni la Cour des comptes,…

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. On constitutionnalise la sincérité !

Mme Nicole Bricq. … et ce sera de bien peu d’effet sur un déficit structurel, et non pas conjoncturel.

Je voudrais tout de même dire quelques mots du montage lié au transfert de la dette de la sécurité sociale à la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES. Il s’agit à la fois d’un contournement de l’obligation de prévoir une recette, et d’un détournement, puisque les excédents du fonds de solidarité vieillesse devraient aller au fonds de réserve des retraites.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est vrai !

Mme Nicole Bricq. Tous ces éléments mis bout à bout nous conduisent effectivement à nous interroger.

Je suis dans l’opposition, et je n’ai donc pas à me mettre à la place du Gouvernement ; et, si je prétends donner à ce dernier des conseils alors que ses objectifs sont divergents des nôtres, il n’a pas de raison de les suivre ; mais au moins peut-il les écouter.

Il faudrait, pour le moins, donner un peu d’air à nos finances publiques.

M. Philippe Marini, rapporteur général. Oxygénez les finances publiques !

Mme Nicole Bricq. Il faudrait revenir sur les largesses accordées aux situations rentières qui n’apportent rien à la compétitivité et au bon positionnement de la France dans la mondialisation. Vous savez très bien de quoi je veux parler : les successions, les donations, les prélèvements libératoires sur le patrimoine, j’arrête là !

Il faudrait revenir sur une grande partie du paquet fiscal, coûteux, qui s’est révélé impropre à ramener confiance et croissance. Il n’y a pas de honte à reconnaître son erreur, mais il est diabolique de persévérer dans l’erreur.

Il faudrait arrêter de poursuivre les exonérations sociales et les niches fiscales qui encouragent les situations rentières.

Il serait plus raisonnable de se fixer comme objectif de stabiliser les prélèvements obligatoires, comme nous l’avions dit pendant la campagne présidentielle, puisque la baisse de quatre points promise par le Président de la République n’a aucune chance d’être atteinte.

Il faudrait arrêter de développer un climat anxiogène à propos de la dette en l’individualisant sur la tête de chaque Français. Il faudrait, en face de la dette, faire figurer la somme des actifs…

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Cinq cents milliards d’euros !

Mme Nicole Bricq. …et de l’encore bonne signature de la France. Il faudrait dégager les moyens de financer de grandes politiques d’économies d’énergie, de prendre en compte le vieillissement de la population et les effets qu’il aura sur l’organisation de la société, et investir massivement dans l’innovation et la connaissance. Bref, il faudrait repenser notre modèle de développement pour réussir le passage de la France dans le XXIe siècle. Vous ne le préparez pas, et l’histoire des peuples montre qu’ils n’oublient jamais longtemps les fautes de leurs gouvernants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

(M. Adrien Gouteyron remplace Mme Michèle André au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron

vice-président

M. le président. La parole est à M. Roland du Luart.

M. Roland du Luart. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rapporteur général, M. Philippe Marini, a raison de souligner que l’année 2009 constitue un tournant en matière de finances publiques.

Il est vrai que ces dernières ont atteint une sorte de point de rupture, sous la double pression de l’endettement et du vieillissement de la population.

Certes, le ralentissement de la croissance économique, l’augmentation des taux d’intérêts et le regain d’inflation rendent plus difficile à atteindre l’objectif de 2,5 points de PIB de déficit public fixé par le Gouvernement pour 2008.

Vous prévoyez, monsieur le ministre, d’annuler environ la moitié des crédits mis en réserve en début d’année pour respecter les plafonds de dépenses votés par le Parlement.

Nous savons aussi que vous suivez de près, avec Mme Roselyne Bachelot, l’évolution des dépenses de la sécurité sociale, afin de prévenir tout dépassement et de tenir, là-aussi, l’objectif fixé par le Parlement.

Mais nos difficultés budgétaires ne sont pas seulement conjoncturelles, elles sont aussi et surtout structurelles.

La remontée des taux d’intérêt et la poussée d’inflation ne font que mettre en évidence le poids croissant de la dette dont la charge a longtemps été contenue, voire occultée, par les baisses de taux successives.

À cet égard, le groupe UMP du Sénat ne peut que se féliciter de la mise en place d’une stratégie de moyen terme pour le rétablissement de nos finances publiques.

Cette stratégie repose à la fois sur des réformes de structures pour développer la croissance potentielle de l’économie et sur une maîtrise durable de la dépense publique.

Nous saluons la confirmation par le Gouvernement de l’objectif d’un retour à l’équilibre des finances publiques en 2012, et dès 2011 – nous osons l’espérer – pour la sécurité sociale.

La présentation d’un budget pluriannuel traduira cette ambition et redonnera de la perspective à nos concitoyens, et peut-être même de la confiance.

Le cap des réformes fixé par le Président de la République doit donc être tenu, par gros temps comme par petit temps.

La hausse des prix et des taux d’intérêts contraint ainsi l’État à stabiliser les dépenses des ministères en euros courants, afin de respecter globalement le « zéro volume ». Nous mesurons l’effort que cela représente, monsieur le ministre, d’autant plus que les crédits progresseront dans certains secteurs prioritaires comme l’enseignement supérieur, la recherche et la justice

C’est là que la RGPP prend tout son sens, en permettant d’identifier les gisements de productivité et d’atteindre quasiment l’objectif de non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux en 2009, soit plus de 30 000 postes.

Nous ne pouvons que vous encourager, monsieur le ministre, à étendre cet exercice de clarification et de rationalisation à l’ensemble des dépenses d’intervention, comme vous le suggère la commission des finances.

Notre commission vous suggère également de passer en revue l’ensemble des niches fiscales et sociales. Il est vrai que certaines d’entre-elles mériteraient, au minimum, d’être soumises à une évaluation. L’ancien rapporteur des crédits de l’outre-mer que je suis en est particulièrement convaincu.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !

M. Roland du Luart. Enfin, nous vous encourageons à poursuivre la clarification des relations entre l’État et la sécurité sociale, et surtout entre l’État et les collectivités territoriales.

Vous comprendrez, monsieur le ministre, que le Sénat insiste particulièrement sur ce dernier point.

Lors de la Conférence nationale des exécutifs, le 10 juillet dernier, l’État a annoncé sa volonté d’appliquer aux concours qu’il verse aux collectivités locales la même règle du « zéro volume » qu’il applique à ses propres dépenses.

Nous ne sommes pas opposés à ce que les collectivités territoriales contribuent à l’effort collectif de retour à l’équilibre des comptes publics, mais cela doit se faire dans la transparence et la cohérence.

À cet égard, l’inclusion du FCTVA dans le périmètre soumis au « zéro volume » en 2009 peut être source de confusion, voire d’inquiétude, parmi les élus locaux.

Certes, nous avons bien compris que le FCTVA ne sera pas réformé en 2009, afin de ne pas remettre en cause les plans de financement des investissements que les collectivités locales ont bâtis en intégrant le versement de ce fonds au bout de deux ans.

Néanmoins, la forte progression du FCTVA attendue en 2009, soit 660 millions d’euros, aura pour effet mécanique de préempter une grande partie du 1,1 milliard d’euros de progression de l’enveloppe globale des concours concernés, compte tenu d’une prévision d’inflation de 2%.

Les autres dotations, et en particulier la DGF, risquent d’en subir les conséquences, ce qui pose de nombreuses questions, notamment en matière de péréquation.

Surtout, l’inclusion du FCTVA dans l’enveloppe des concours de l’État risque de provoquer une confusion sur la nature même de ce fonds, que la majorité des élus locaux considère non pas comme une dotation mais comme un simple remboursement.

Dans la mesure où le remboursement de la TVA ne porte déjà que sur 15 % environ et non sur 19,6 %, l’inclure dans les dotations serait considéré comme une double peine budgétaire affectant les investissements des collectivités territoriales.

Monsieur le ministre, nous aimerions obtenir des éclaircissements sur ce point ainsi que sur vos intentions concernant l’évolution future du fonds de compensation pour la TVA à l’horizon de 2011. Dans ce domaine, comme dans d’autres, nous souhaitons qu’aucune décision ne soit prise sans une large concertation préalable.

Dans le même esprit, le groupe UMP du Sénat s’est fermement opposé à ce qu’une réforme de la taxe professionnelle soit engagée sans qu’aient eu lieu au préalable une évaluation de la réforme précédente et une concertation approfondie avec les élus locaux.

Le Gouvernement nous a entendus sur ce point, et nous l’en remercions. Un rapport sera présenté au Parlement au début de l’automne pour faire le bilan de la réforme de 2005. C’est sur cette base, et dans la concertation, que seront examinés d’éventuels ajustements.

Aucune réforme de la taxe professionnelle ne sera donc inscrite dans le projet de loi de finances pour 2009, conformément au souhait de notre groupe.

La réforme des valeurs locatives sera également conduite dans la concertation, ce qui devrait rassurer les élus locaux.

Au-delà des questions de méthode, Mme Christine Lagarde a exclu que la réforme de la taxe professionnelle repose sur une quelconque perte de recettes pour chacune des collectivités ou sur telle ou telle perte d’autonomie financière de ces dernières. Il s’agit pour nous d’un engagement essentiel compte tenu de l’attachement du Sénat au respect du principe d’autonomie financière des collectivités locales.

Nous sommes également très attachés – vous n’en serez pas surpris, monsieur le ministre – à nos départements. À cet égard, nous apprécions que le Président de la République et le Gouvernement se soient clairement démarqués de la proposition de les supprimer avancée par la commission Attali. Pourriez-vous nous en apporter la confirmation ?

Pour notre part, nous privilégions la clarification des compétences à la suppression hypothétique de tel ou tel échelon. C’est pourquoi nous soutenons toute démarche de clarification et de concertation qui s’ajoute à celle déjà lancée sur l’intercommunalité dans la perspective du futur projet de loi de modernisation de la démocratie locale que le Gouvernement souhaite présenter au Parlement au cours du premier semestre de 2009.

Sur tous ces sujets, le Sénat ne manque pas de propositions, comme le montrent les travaux de l’Observatoire de la décentralisation.

Enfin, notre groupe tient à saluer la création de la commission consultative d’évaluation des normes, sur l’initiative du Sénat, dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2007. Cette commission devrait être installée en septembre et commencer ses travaux à partir du mois d’octobre. Elle permettra de mieux associer les élus locaux à l’élaboration des textes réglementaires susceptibles d’avoir un impact sur les collectivités territoriales. En effet, dans ce domaine aussi, nous avons atteint le point de rupture !

Nous pouvons accepter une contribution accrue des collectivités locales à l’effort de redressement des finances publiques, mais à la condition que l’État cesse de multiplier les normes et les transferts de charges « larvés ».

Nous sommes favorables à la clarification des relations entre les différents acteurs de la dépense publique, mais à tous les niveaux, …

M. Alain Vasselle, rapporteur. Tout à fait !

M. Roland du Luart. … non seulement entre collectivités locales, mais aussi entre les collectivités locales, l’État et la sécurité sociale.

Nous disons « oui » à la réforme de la fiscalité locale, mais conduite dans la concertation, sans précipitation, sans remettre en cause ni l’investissement ni l’autonomie des collectivités territoriales et sans entraîner de hausse globale des prélèvements obligatoires.

Tel est pour nous le socle d’un partenariat véritablement équilibré avec l’État, d’une gouvernance efficace de ce pacte de confiance et de responsabilité que nous appelons tous de nos vœux.

C’est sur cette base que nous pourrons tous ensemble – État, sécurité sociale, collectivités locales, entreprises et contribuables – faire les efforts nécessaires pour soutenir la croissance, rétablir l’équilibre de nos finances publiques et préserver notre modèle social. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est reprise.

4

Saisine du Conseil constitutionnel

M. le président. J’ai reçu de M. le président du Conseil constitutionnel une lettre par laquelle il informe le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, le 15 juillet 2008, par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution de la loi relative aux contrats de partenariat.

Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

5

Orientation budgétaire

Suite d’un débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. Nous reprenons le débat d’orientation budgétaire consécutif à une déclaration du Gouvernement.

Dans la suite du débat, la parole est à Mme Christiane Demontès.

Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en préalable à mon intervention, je souhaite, comme le rapporteur de la commission des affaires sociales, M. Vasselle, déplorer que le Gouvernement ait publié très tardivement le document préparatoire à ce débat. De ce fait, nous avons été dans l’obligation de travailler, une fois encore, dans la précipitation, ce qui est fort dommageable et dénote le peu de considération dans laquelle l’exécutif tient le législatif.

Monsieur le ministre, il y a tout juste un an, vous affirmiez que la situation de nos finances publiques restait préoccupante. Vous ajoutiez, comme si nul n’était responsable, qu’il était nécessaire d’éviter les querelles de clocher et les sempiternels procès en responsabilité pour tenter d’améliorer les performances de l’action publique.

En l’occurrence, le budget de 2006 n’était effectivement pas le vôtre. C’était seulement celui de votre majorité, et la distinction pouvait être de mise. Or tel n’est plus le cas aujourd’hui : c’est bien au bilan d’une année d’exercice du pouvoir et à sa mise en perspective pour 2009 que nous devons nous atteler.

Il y a donc un an, ce gouvernement, reniant son propre héritage politique, s’engageait à mettre en place une stratégie de retour à l’équilibre des finances publiques à l’horizon de 2012.

Mécaniquement, il lui fallait obtenir un taux de croissance annuel du PIB égal ou supérieur à 2,5 %. Étaient en cause selon vous, à l’époque, monsieur le ministre, « la crédibilité de la France et, surtout – pacte de stabilité ou pas, engagements européens ou pas –, le sort de nos enfants et des générations à venir ».

Nous sommes d’accord avec vous. C’est donc à la lumière de vos propos que nous nous proposons d’observer les résultats obtenus. Mon intervention viendra compléter sur ce point celle de Nicole Bricq.

En 2008, la croissance ne sera que de 2 points, voire de 1,5 point. Nous sommes donc loin des 2,5 points, sinon des 2,25 points de croissance sur lesquels a été bâti le budget. Nos critiques se sont donc bel et bien révélées justifiées.

On voudrait que ce bilan négatif soit contrebalancé par des perspectives optimistes. Or il n’en est rien. Dans son rapport annuel sur les perspectives de l’emploi, l’Organisation de coopération et de développement économique, l’OCDE, estime que le taux de chômage devrait remonter sensiblement. Quant à la Cour des comptes, elle n’est guère plus favorable puisqu’elle considère que notre déficit public devrait s’élever à 2,5 % du PIB, soit le taux le plus élevé de la zone euro.

Enfin, le déficit structurel atteint 2,9 % du PIB en 2007 et risque de dépasser les 3 % cette année.

La dette publique, pour sa part, représente 64 % du PIB, ce qu’a très justement rappelé le rapporteur de la commission des affaires sociales. Si ce dernier s’en tient à constater que notre pays est confronté à une conjoncture mondiale peu dynamique, j’ajouterai pour ma part que, malgré la crise des subprimes, les chocs pétroliers, ainsi que la hausse des matières premières, et sans considération de la globalisation financière qui accentue les possibilités d’effets récessifs, cette majorité a maintenu son cap, lequel est fait de vieilles lunes libérales, de déréglementation et de précarisation généralisée !

Bref, c’est une application méthodique d’une brutale idéologie qui n’a rien à envier à celle qui fut mise en œuvre par Mme Thatcher voilà plus d’un quart de siècle ! Désormais, aucun secteur n’est épargné. Notre protection sociale, elle aussi, est directement visée.

L’ensemble des dépenses du régime général représente près de 323 milliards d’euros. En 2007, trois des quatre branches enregistraient un solde négatif. Cette année, les branches accidents du travail et maladies professionnelles, AT-MP, et famille enregistrent un excédent respectif de 300 millions d’euros et de 400 millions d’euros. En contrepartie, la branche maladie devrait enregistrer un déficit supérieur à 4 milliards d’euros et la branche vieillesse un déficit supérieur à 5,6 milliards d’euros.

À ce propos, qu’en est-il de l’emploi des séniors ? Les déclarations gouvernementales se succèdent sans que la situation s’améliore : l’âge moyen de cessation d’activité ne dépasse pas cinquante-huit ans et huit mois, et plus de 60 % des salariés de plus de cinquante-cinq ans sont évincés du marché du travail.

Si nous sommes d’accord avec M. le rapporteur de la commission des affaires sociales quand il déclare que le fait de pénaliser les entreprises qui n’intègrent pas les séniors peut être une possibilité, nous ne le suivons pas quand il remet en cause le dispositif des carrières longues qui pourrait devenir source d’effet d’aubaine.

Curieusement, rien n’est dit au sujet du réabondement régulier du fonds de réserve. Il fait pourtant partie du contrat social et son renforcement est indispensable. Les cessions d’actifs de l’État et les cessions du patrimoine immobilier de l’État, tout comme les revenus financiers et des niches sociales pourraient être mis à contribution.

Enfin, l’annulation d’une partie du paquet fiscal, notamment la partie relative à l’exonération des grosses successions, pourrait représenter une manne de près de 2 milliards d’euros. Je n’insisterai pas davantage sur ce point, que ma collègue Nicole Bricq a longuement développé tout à l’heure.

Venons-en à l’assurance maladie et au déficit chronique dans lequel vous l’avez conduite depuis six ans. La commission des comptes de la sécurité sociale estime que le déficit s’élèvera à 4,1 milliards d’euros à la fin de 2008, ce qui porte le déficit cumulé de cette branche à 8,9 milliards d’euros.

Chaque année, l’ONDAM que vous définissez s’avère irréaliste. Constatant les dérives, vous saisissez l’Union nationale des caisses d’assurance maladie, l’UNCAM, pour qu’un plan de sauvegarde soit proposé. Le dernier plan date du 2 juillet. Selon la direction de l’UNCAM, il devrait permettre une réduction des dépenses de près de 2 milliards d’euros et engendrer 1 milliard de recettes supplémentaires pour 2009.

Quant au déficit du régime général, il devrait, nous dit-on, être progressivement ramené à 2,8 milliards d’euros en 2009, à 1,4 milliard en 2010 et disparaître en 2011.

Permettez-moi de m’arrêter quelques instants sur ces plans et, par extension, sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Le récent rapport d’information de l’Assemblée nationale, qui porte sur la mise en application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, est sans appel. Il en souligne les résultats médiocres et signale que seul un cinquième des textes nécessaires à sa mise en application est paru.

Il en va ainsi de dispositions renforçant la transparence des pratiques tarifaires, de l’information écrite préalable précisant le tarif des actes effectués et le montant du dépassement, ou bien de la possibilité pour les organismes de sécurité sociale de requalifier des actes ayant eu pour objet le non-paiement des cotisations sociales. Monsieur le ministre, est-ce vraiment sérieux alors que vous exigez 3 milliards d’euros d’économie de l’assurance maladie, voire 4 milliards d’euros ?

Dans pareil contexte, quelle confiance peut-on placer dans un gouvernement qui ne met pas en vigueur 80 % des dispositions votées par la représentation nationale ?

Quelle pertinence revêtent vos appels incessants à de véritables réformes structurelles, qui se solderont toujours par une hausse du restant à charge des patients et une contraction de l’accès aux soins ?

De ce point de vue, le chantier des allocations de ressources est symptomatique de votre conception de la société et plus encore de l’être humain.

Le Président de la République a été très clair puisqu’il souhaite « accroitre la responsabilité individuelle ». Cette rupture avec les fondamentaux de notre système de protection sociale a dernièrement pris la forme des scandaleuses franchises médicales, qui pénalisent les malades ! Seuls les femmes enceintes, les enfants et les bénéficiaires de la couverture maladie universelle, la CMU, y ont échappé pour l’instant. Comment ne pas s’inquiéter quand le Président de la République, confondant intentionnellement l’assurance maladie avec une assurance commerciale, n’hésite pas à déclarer « qu’il n’y a pas d’assurance sans franchise » ?

C’est dans cette logique que le Gouvernement, comme les trois gouvernements qui l’ont précédé, intervient sur la définition du périmètre de prise en charge des soins, le fameux « panier de soins ». À cet égard, la ministre de la santé n’a pas hésité à s’interroger sur la prise en charge des frais optiques. L’opinion publique a promptement réagi et Mme la ministre fut obligée de se rétracter.

Il y a quelques jours, voilà que ce sont les 8 millions de malades atteints d’une affection de longue durée qui étaient pris pour cible. Certes, nous n’aurions pas dû être surpris par cette annonce puisque le Président de la République soulignait qu’il souhaitait, pour ce qui était des affections de longue durée, « que nous concentrions nos efforts sur la prise en charge de ce qui est essentiel », ce qui revenait à exclure peu à peu les soins annexes du champ du remboursement intégral.

Ces annonces participent de votre entreprise de destruction de notre pacte social. Elles tendent à valider le transfert de charge des régimes obligatoires vers les régimes complémentaires et les individus eux-mêmes. La cause est entendue : désormais, l’accès aux soins sera fonction de la richesse de chacun. Rien de bien neuf depuis La Fontaine : « Selon que vous serez puissant ou misérable… »

Les logiques qui prévalaient à l’époque sont les vôtres. Un grand quotidien du soir rapportait, il y a quelques jours, les propos d’une personne diabétique qui affirmait : « Cela me fait peur, cette dérive de la sécu ». Elle n’est pas la seule, car même si le plan de maitrise des dépenses voté par le conseil de la Caisse nationale de l’assurance maladie, la CNAM, a été expurgé de cette mesure, il n’en demeure pas moins, ainsi que l’atteste la position du rapporteur de la commission des affaires sociales, que la question reste posée.

Face aux difficultés financières, le rapporteur de la commission des affaires sociales en appelle à une éventuelle modification de la répartition des charges entre l’assurance maladie obligatoire et les assurances complémentaires. Les marges bénéficiaires de ces assurances complémentaires sont passées de 12 % à 23 %, ce qui représente un excédent de 3 milliards à 4 milliards d’euros, alors que, dans le même temps, les cotisations ont augmenté de 13 % à 14 %, plus vite que les prestations.

Ces hausses engendrent de l’exclusion, d’autant que le pouvoir d’achat est en baisse et la précarité en augmentation. Désormais, 7 % à 8 % de nos concitoyens sont sans couverture complémentaire. Dans un esprit de justice sociale et de renforcement de notre politique de santé, il faudra donc impérativement en tenir compte.

M. le président. Veuillez conclure, madame Demontès !

Mme Christiane Demontès. J’en termine, monsieur le président.

Nous savons bien que le gouvernement actuel a pour principal axiome économique la baisse du coût du travail via l’exonération de cotisations sociales. Chaque année, cette politique prive notre système de plus de 41 milliards d’euros de recettes. Or nous savons, et la Cour des comptes l’avait bien souligné dans son rapport de l’année dernière, que cette politique est d’une efficacité toute limitée. Depuis des années, les parlementaires socialistes vous interpellent à ce sujet.

Nous vous demandons, tout comme notre rapporteur M. Alain Vasselle, non seulement d’instaurer l’obligation pour l’État de compenser intégralement ces exonérations, mais également de les conditionner. Vous restez sourds à ces demandes.

M. le président. Il faut conclure !

Mme Christiane Demontès. Je vous signale, monsieur le président, que, si nous siégeons cet après-midi, c’est parce que nos débats ont, ce matin, pris beaucoup de retard.

M. le président. Cela n’a rien à voir avec la durée de votre discours !

Mme Christiane Demontès. Si, cela a à voir avec la durée puisqu’il n’y a pas eu de débat.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est précisément parce qu’il y a eu un débat que nous avons pris du retard !

Mme Christiane Demontès. En conclusion, je voudrais simplement revenir sur la situation difficile dans laquelle votre politique - je pense notamment à la tarification à l’activité, la T2A - a plongé nos hôpitaux publics. Les déficits hospitaliers ont atteint en 2007 plus de 690 millions d’euros, dont 370 millions d’euros pour les seuls CHU.

Enfin, nous soutenons les revendications de la Fédération hospitalière de France, notamment pour ce qui concerne l’évolution de l’ONDAM.

Notre collègue Claude Domeizel déclarait, l’année dernière, que votre politique en matière de retraites était « une politique de gribouille ». Elle demeure telle quelle alors que celle que vous menez en matière d’assurance maladie et donc de santé est injuste et dangereuse.

Le groupe socialiste ne saurait la cautionner. Il la dénonce donc avec la plus grande fermeté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Serge Dassault.

M. Serge Dassault. Monsieur le ministre, je voudrais d’abord vous dire combien je mesure la difficulté de la gestion des finances de l’État dans le contexte actuel. Les graves problèmes financiers de l’économie américaine, la hausse constante du prix du pétrole, une parité dollar-euro très défavorable pour nos exportations, l’augmentation des taux d’intérêt qui aggrave nos charges d’emprunt et la menace de la poussée inflationniste ne facilitent pas votre tâche.

Je voudrais préciser que, dans ce débat comme dans d’autres, je ne suis contre rien a priori, mais que j’essaye de prévoir et d’indiquer les conséquences économiques, qui peuvent être fort graves, de certaines décisions politiques.

Monsieur le ministre, je voudrais vous proposer plusieurs mesures de nature à réduire notre déficit budgétaire, objectif numéro un du Gouvernement.

Premièrement, je souligne que les emprunts utilisés pour financer non pas des investissements mais des charges de fonctionnement récurrentes aggravent sans retour notre endettement. La charge de la dette utilise une part de plus en plus importante de nos recettes fiscales, réduisant d’autant nos capacités de dépenses et nécessitant de nouveaux emprunts. Mortel cercle vicieux !

Il faudrait éviter ce genre d’opérations ou au moins les limiter dans le temps, ce qui n’est malheureusement le cas pour aucune de ces aides. On ne sait pas combien de temps cela va durer. En réalité, ce n’est pas à l’État de payer les charges de sécurité sociale que les entreprises doivent elles-mêmes assumer.

Cela concerne, en particulier, le paiement du passage aux 35 heures, toujours utilisé sans limite depuis dix ans, et sans décision de diminution. Cela aura coûté au budget plus de 100 milliards d’euros à raison de 10 milliards d’euros par an, et tout cela pour ne pas travailler ! Jusqu’à quand cela va-t-il durer alors que les 35 heures disparaissent ?

Cela concerne le projet de loi sur la réforme du temps de travail, dont nous devons, demain matin, aborder l’examen. J’espère pouvoir faire adopter un amendement que je présenterai sur ce sujet.

Cela concerne aussi les paiements par l’État aux entreprises et aux salariés des charges sur salaires jusqu’à 1,6 SMIC, sans limite et sans décroissance, alors qu’il serait utile de les réduire. Jusqu’à quand cela va-t-il durer ? Il faudrait prévoir, dès maintenant, une limite à ces aides et les réduire peu à peu comme l’a proposé Philippe Marini. C’est très urgent.

La réduction des charges au titre des 35 heures et du SMIC représente aujourd’hui plus de 20 milliards d’euros, soit presque la moitié de notre déficit budgétaire en 2008. Il est temps de s’arrêter. Certes, les entreprises vont réagir, peut-être avec le MEDEF. Mais, entre l’aggravation de la dette de l’État et les difficultés des entreprises, il faut choisir.

En tout cas, la suppression de ces mesures réduirait considérablement nos déficits budgétaires et faciliterait le retour à l’équilibre en 2012.

Deuxièmement, il faudrait réduire les charges sur salaires qui supportent une grande partie du financement de la sécurité sociale : 30 % de ces charges concernent le financement de la sécurité sociale. Il faut trouver le moyen - ce n’est pas facile - de financer la sécurité sociale autrement, évidemment sans l’État, qui n’est plus en mesure de le faire.

Aujourd’hui, il n’y a aucune chance d’équilibre entre les dépenses de la sécurité sociale et leur financement par des prélèvements sur les salaires, ca il n’y a aucun lien entre eux. En vérité, il faut parler non pas de déficit mais de financement insuffisant, car la sécurité sociale n’a pas la maîtrise de ses recettes. Il faut donc trouver de nouveaux financements.

À cause de ce prélèvement sur les salaires, nos coûts de production sont plus élevés que ceux de nos voisins qui ne font pas supporter par les salaires les charges de sécurité sociale. La suppression de cette mesure réduirait les charges sur salaires de 30 % et améliorerait la compétitivité des entreprises. C’est absolument indispensable. Cela réduirait aussi le montant des paiements des charges sociales des entreprises par l’État, ce qui diminuerait d’autant notre déficit.

Ensuite il faudra trouver un paramètre ne concernant ni les salaires ni l’État.

J’ai déjà fait une proposition concernant le chiffre d’affaires hors taxes moins la masse salariale. Cette proposition a beaucoup d’avantages et peu d’inconvénients. Il serait utile de l’étudier.

Elle permettrait de réduire les charges sur salaires et présenterait l’avantage d’être financée par les résultats de l’activité des entreprises sans qu’il soit nécessaire de faire appel à l’État. Un coefficient unique affecté à ce paramètre permettrait d’équilibrer les charges réelles de sécurité sociale. En outre, toutes les entreprises seraient concernées.

On arriverait ainsi à équilibrer les comptes de la sécurité sociale, à réduire les charges des entreprises et celles de l’État. Outre l’équilibre de la sécurité sociale, cela permettrait en même temps la réduction de nos coûts de production, l’amélioration de notre compétitivité ; rien que des avantages ! J’ai appelé ce système « coefficient activité ». Pour le promouvoir, je propose de mettre en place un groupe de travail associant des membres de la commission des finances et de celle des affaires sociales.

Rien n’est parfait, mais il serait suicidaire de ne rien faire. Voila une proposition que je souhaitais formuler pour relancer la croissance et financer correctement la sécurité sociale.

Troisièmement, enfin, permettez-moi de vous faire une nouvelle proposition concernant nos relations avec la Communauté européenne : une harmonisation de notre fiscalité avec celle de nos voisins européens, de manière que nos contribuables payent moins d’impôts, qu’ils ne quittent plus la France, ne serait pas inutile, alors que la France préside la Communauté européenne.

En effet, la disparité avec nos voisins en ce qui concerne certains impôts est trop grande et constitue un appel à l’expatriation. Il faut savoir que, actuellement, deux à trois Français par jour, en moyenne, s’expatrient afin de payer moins d’impôts, et ce ne sont pas les moins fortunés.

La France se vide de ses élites jeunes et moins jeunes, et cela nous cause un préjudice considérable. Cela réduit nos capacités d’investissements – investissements qui se font ailleurs –, notre compétitivité et notre croissance. Il serait donc également urgent d’étudier cette question.

Telles sont, monsieur le ministre, les quelques propositions que je voulais vous présenter, dans la perspective de faciliter notre retour à l’équilibre budgétaire, qui est une absolue priorité. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Adrien Gouteyron.

M. Adrien Gouteyron. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous livrons depuis ce matin à un exercice intéressant, un véritable exercice de travaux pratiques : le Parlement et le Gouvernement doivent tracer ensemble une trajectoire crédible de redressement de nos finances publiques.

À l’aune, notamment, de mon expérience de rapporteur spécial des crédits de l’action extérieure de l’État, je voudrais vous faire part de deux considérations : pour réussir ce que notre collègue Philippe Marini a appelé, déjà, le « tournant de la législature », il nous faut, tout d’abord, une ambition réaliste et, par ailleurs, une ambition partagée.

En première considération, je soulignerai la nécessité de se fixer un cap ambitieux et réaliste en matière de réduction des déficits et de reflux de la dette publique.

Notre ambition commune, nous la connaissons, c’est celle du retour à l’équilibre, ambition réaffirmée par le Président de la République devant les Français et auprès de nos partenaires européens. Cette ambition est simple et claire, c’est celle d’une politique budgétaire soutenable, qui ne laisse pas à nos enfants le poids d’une dette devenue insupportable.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !

M. Adrien Gouteyron. Le retournement de la courbe des taux d’intérêt et l’accélération de l’inflation engendrent une augmentation mécanique des charges de la dette de plus de 2 milliards d’euros par an.

Mais il n’est pas d’ambition sans réalisme. À entendre, ici et là, ceux qui professent déjà que le retour à l’équilibre des finances publiques est illusoire en 2012, on peut voir, au Quai d’Orsay, comme dans d’autres ministères, les conservatismes redresser la tête. J’entends dire que, dans ces conditions, puisque tout effort est vain, il n’y a qu’à se laisser aller. Ce serait un mauvais service à rendre aux réformateurs, encore trop peu nombreux, dans tous les ministères, que d’afficher une ambition impossible à tenir.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !

M. Adrien Gouteyron. Cela désespérerait le « Billancourt des acteurs de la RGPP » et donnerait ainsi des gages à ceux qui croient qu’il est encore possible de laisser filer la dépense, sinon globalement – plus personne n’ose le soutenir -, du moins pour eux-mêmes.

Proposer une ambition réaliste, c’est faire preuve de crédibilité dans la trajectoire de redressement que vous vous attachez à définir, monsieur le ministre, avec courage et constance.

En matière de réalisme, il faut prendre en compte deux paramètres.

Tout d’abord, redresser les finances publiques, ce n’est pas augmenter les impôts, par l’inflation des taxes et des taux. On entend ici et là évoquer, pour faire face à tel ou tel besoin, ou pour combler tel ou tel déficit, l’expression de « ressource nouvelle », de « financement innovant », appellations pudiques issues d’une sorte de marketing fiscal. Mais ces nouvelles ressources sont en réalité autant de « vieilles recettes » pour augmenter les impôts. M. le président de la commission des finances le sait bien, puisqu’il nous invite à la vigilance. (M. le président de la commission des finances acquiesce.)

Atteindre l’équilibre des finances publiques en augmentant les impôts, voilà bien une ambition irréaliste, dont notre économie n’a vraiment pas besoin ! Et la manière peut-être plus douce, mais qui reviendrait un peu au-même, de la suppression radicale des niches ne saurait être un gisement budgétaire exploitable…

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !

M. Adrien Gouteyron.… qu’à condition de bien peser les conséquences économiques de certaines décisions : je pense en particulier au lien entre les allégements de charges et l’emploi.

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Adrien Gouteyron. Second paramètre : la trajectoire de redressement des comptes publics ne peut faire abstraction du contexte économique dans laquelle elle intervient. Or l’économie mondiale vit deux chocs majeurs : un choc dans la sphère financière et immobilière ; un choc d’inflation, de hausse des prix des matières premières, à commencer par celui du pétrole.

Dans sa manière d’envisager le retour à l’équilibre des comptes publics, la Commission européenne, comme la France, ne peut faire abstraction de ce double choc de croissance.

Comme le font nos amis anglais, il faut envisager le retour à l’équilibre des finances dans le cadre du cycle économique. Voilà pourquoi je pense que nous avons besoin, à l’horizon 2012, d’une ambition réelle mais aussi tenable : passer d’un déficit de 2,7 % du PIB à un déficit de 1 % en cinq ans, ce ne serait déjà pas rien ! Et d’ailleurs, c’est à cela que s’était engagé M. le Président de la République pendant la campagne électorale.

Ma seconde considération consiste à souligner la nécessité d’un effort partagé. Chaque administration doit y contribuer pour la part qu’elle représente dans les finances publiques : État, sécurité sociale, collectivités territoriales.

Toutefois, il ne doit pas y avoir, dans le domaine des finances publiques, les variables d’ajustement d’un côté et les sanctuaires, voire l’inflation des dépenses, de l’autre. Les collectivités territoriales doivent être à la recherche d’une gestion la plus économe possible, mais elles ne pourront être la variable d’ajustement d’un État qui n’aurait pas tiré toutes les conséquences, dans son organisation, de la décentralisation. De son côté, l’État ne saurait être une variable d’ajustement de dépenses sociales mal maîtrisées.

De la même façon, au sein de l’État lui-même, il paraîtrait peu opportun que les ministères régaliens, comme celui de la défense, supportent la majorité de l’effort de réforme, alors qu’ils constituent le cœur de l’État et financent des « mesures nouvelles » dont l’impact économique apparaît incertain.

M. Adrien Gouteyron. Un rappel en quelques chiffres : le budget du Quai d’Orsay, soit 2,4 milliards d’euros, c’est moins que ce que coûterait aux finances publiques la baisse de la TVA sur la restauration, ou même la généralisation du revenu de solidarité active !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !

M. Adrien Gouteyron. J’imagine donc mal que les efforts légitimes que nous demandons aux gestionnaires soient absorbés par de nouvelles dépenses mal calibrées.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Excellent !

M. Adrien Gouteyron. Je m’inquiète lorsque le Livre blanc relatif à l’action extérieure de l’État souligne que le ministère des affaires étrangères a déjà accompli beaucoup d’efforts dans la réduction de ses effectifs – sous-entendu efforts supérieurs à ceux d’autres administrations : il y a là un ferment de contestation de la discipline commune de diminution des emplois publics qui est lié à un constat, fondé ou pas, que la discipline n’a pas toujours été dans le passé aussi commune que cela.

Cette discipline devra être commune dans l’avenir, notamment dans l’application de la règle du non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux.

M. Adrien Gouteyron. C’est à cette condition que nous réussirons la réforme de l’État, lorsque l’affirmation par le Gouvernement d’un certain nombre de priorités budgétaires nécessaires ne dispensera pas les ministères prioritaires de la recherche des gains de productivité qui doivent être recherchés par tous. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens juste à ajouter quelques mots dans un débat très dense et qui a débordé du temps qui lui était imparti. Au demeurant, c’est une bonne chose qu’un débat d’orientation budgétaire dure un peu plus longtemps que prévu : c’est le signe que nous avons beaucoup à dire sur nos finances publiques et beaucoup à partager entre opposition et majorité.

Plusieurs d’entre vous ont souligné la justesse de la stratégie que nous mettons en œuvre : soutien à la croissance potentielle, avec les mesures contenues dans la loi relative au travail à l’emploi et au pouvoir d’achat, dans la loi LME et la loi sur le marché du travail que vous allez bientôt examiner.

Cette stratégie est d’autant plus nécessaire que l’environnement national est très perturbé. Nous ne pouvons pas ne pas réagir ! Au contraire, tout nous appelle à plus de réformes justes et efficaces, mais aussi à des réformes structurelles. C’est bien là le cœur de l’action de la majorité.

Face à cette stratégie de réformes, il y a une stratégie de la dépense budgétaire mais aussi de la dépense fiscale. J’ai bien entendu les orateurs qui se sont exprimés sur ce sujet, au premier titre desquels le président de la commission des finances et le rapporteur général : la maîtrise des dépenses est une question cruciale. Vous avez pu constater, à la lecture des documents que nous vous avons remis, combien nous y attachons d’importance. L’environnement est très contraignant, mais notre réponse est à la hauteur de cet environnement.

Pour maîtriser la dépense, il s’agit d’abord de passer de 2 % à 1 % de progression de la dépense, de mettre en œuvre la politique de révision générale des politiques publiques, avec les décisions qu’elle contient aujourd’hui et celles qui viendront s’y ajouter, d’engager un travail plus en profondeur sur la sphère sociale, même si c’est difficile, même si les mesures à prendre sont délicates : on doit à la fois beaucoup expliquer et beaucoup réformer.

Adrien Gouteyron a évoqué le ministère de la défense et le ministère des affaires étrangères à propos de cet effort de réduction de la dépense. Mais, monsieur le sénateur, tous les ministères sont concernés. Cet effort d’ailleurs n’implique pas moins de politique mais une politique plus adaptée. L’euro dépensé doit être mieux évalué et plus performant. Nous devons cet effort à chacun de nos concitoyens, qui sont aussi des contribuables !

Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, le ministère de la défense va faire beaucoup d’économies en matière de fonctionnement ; ce sera difficile. Son rôle est de répondre à des menaces mesurées, calculées, réfléchies, c’est ce qui ressort du travail mené à l’occasion de l’élaboration du Livre blanc. Il va voir ses crédits d’équipement augmenter de manière assez considérable : 15 milliards d’euros ces dernières années, 18 milliards d’euros dans les années à venir. Cette augmentation provient en partie des économies réalisées sur son propre fonctionnement et recyclées. Il me semble que c’est de bonne méthode.

La maîtrise de la dépense est au cœur de la stratégie de redressement ; Philippe Marini, ainsi que de nombreux autres orateurs l’ont rappelé ; je souhaite le répéter à mon tour.

M. Christian Gaudin a indiqué que nos partenaires étaient également concernés par cet effort de maîtrise de la dépense. En effet, chacun est concerné, dans son domaine, avec son propre système de « gouvernance », avec son propre système de décision.

Le domaine social dispose d’un système très particulier, et l’autonomie des collectivités, nul ici ne peut l’ignorer, doit être totalement respectée, ce qui n’empêche pas le dialogue. Tout en se respectant, l’État et les collectivités locales peuvent avoir un débat clair, net et franc sur l’évolution de leurs rapports en matière de finances mais aussi de compétences. Tout cela ressort de rapports et d’études ; il faut bien à un moment donné en tenir compte.

Nous devrons tenir compte également, dans le domaine de la dépense, des opérateurs, et pas seulement des autres partenaires de la dépense publique. Toutefois, les crédits de ces opérateurs sont inclus dans les crédits des ministères, cela permet de mieux contrôler la situation.

Lorsque l’on parle de « zéro volume » ou de « zéro valeur », cela s’adresse aussi aux politiques d’intervention des ministères. Je pense ainsi à la capacité des opérateurs à recruter. Dans le budget, nous présenterons un tableau des emplois des opérateurs avec une volonté bien définie : tout effort de l’État doit être partagé par les opérateurs de l’État.

Je pense aussi au domaine immobilier, dont M. de Montesquiou a parlé à plusieurs reprises. En la matière, nous devons être exemplaires : l’État est en train de faire beaucoup de progrès à cet égard. Nous connaissons exactement le patrimoine de l’État, monsieur de Montesquiou. Ce qu’il faut, c’est connaître le patrimoine des opérateurs ! C’est une autre affaire ! Mais nous nous efforçons de faire avancer les choses.

J’ai été choqué par les propos de M. Foucaud, propos qui ont d’ailleurs été partiellement repris par Mme Bricq : « Il faut retrouver le chemin de la dépense publique ». Au contraire, il me semble qu’il faut arrêter de prendre le chemin de la dépense publique.

Cela ne signifie pas qu’il ne doit pas y avoir de politique publique, cela ne signifie pas non plus qu’il n’y a pas en France de traditions fondées sur l’intervention de l’État et sur l’importance du service public. Tout cela fait bien sûr partie de notre pacte républicain. Mais ce n’est pas une raison pour faire exploser le volume des dépenses publiques ! Quand on en est à plus de 52,4 % de dépenses publiques et que l’on dispute à la Suède la première place mondiale, c’est qu’il y a quelque chose d’anormal ! D’autant que les Suédois, eux, ont des finances publiques à peu près en équilibre dans la mesure où ils font par ailleurs les efforts nécessaires pour faire face à cette dépense publique. Si nous faisions les mêmes efforts, cela irait peut-être… mais nous ne les faisons pas !

Dès lors, nous devons être de plus en plus exigeants sur la qualité de cette dépense publique, et je trouve naturel de le dire aux contribuables que sont l’ensemble de nos concitoyens.

La réduction des déficits et la maîtrise de la dépense publique confortent toutes les autres réformes structurelles, mais aussi la croissance. C’est parce qu’il y a une maîtrise de la dépense publique qu’il y a une réforme structurelle de nos politiques, et ces deux éléments conduisent à une transformation profonde de notre pays, qui va retrouver ainsi des marges de manœuvre.

Nous ne faisons pas de la comptabilité, mais de la politique, au sens le plus noble du terme, c’est-à-dire que nous choisissons et hiérarchisons les dépenses en rendant compte à nos concitoyens de la qualité des politiques suivies !

En ce qui concerne les recettes, j’ai bien entendu le message délivré par Jean Arthuis, Philippe Marini, Serge Dassault et beaucoup d’autres orateurs. J’en conviens tout à fait : nous devons préserver nos recettes.

Tout État qui retrouve l’équilibre de ses finances publiques a dû faire un effort important sur la dépense, certes, mais également un effort décisif de préservation de la recette.

« Préserver les recettes » ne signifie pas qu’il ne faut plus accorder d’aides. En fait, il faudra être très attentifs et sélectifs à l’avenir sur tout ce qui concerne la dépense fiscale et, disant cela, je fais écho à Jean Arthuis, Philippe Marini, Alain Vasselle, Christian Gaudin et bien d’autres. Nous devons être très vigilants sur ce sujet ! Nous avons atteint le plafond de ce qui est supportable aujourd’hui.

Une dépense fiscale peut être créée à partir du moment où on en supprime une autre qui n’est plus utile. Il faut donc établir un bilan. Nous le ferons lors de l’élaboration de la loi de finances et je mettrai tout mon pouvoir de conviction pour vous le présenter.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien ! Rendez-vous est pris.

M. Éric Woerth, ministre. Je m’efforcerai de proposer une évaluation des niches fiscales, une vision très sélective de la dépense fiscale, en procédant point par point ; bien sûr le Sénat nous aidera dans cette tâche.

J’ai été très sensible à ce qu’a dit M. Valade à propos du patrimoine. J’ai bien entendu son plaidoyer, qui l’honore, en faveur du patrimoine, des centres-villes, de la défiscalisation issue de la loi Malraux. Nous partageons sa sensibilité et nous verrons ce que nous pouvons faire dans ce domaine.

D’une manière générale, nous devons être très vigilants sur l’ouverture de nouveaux crédits et de nouvelles dépenses fiscales.

Comme il n’y a plus de moyens budgétaires, le monde politique dans son ensemble se précipite vers la dépense fiscale en se disant que c’est plus simple. Mais on ne peut tolérer de laxisme dans ce domaine : la dépense fiscale est la voie de la facilité mais certainement pas de l’efficacité. Nous devons, certes, conserver une forme de souplesse, pouvoir gérer et ne rien nous interdire mais, en même temps, il nous faut être absolument vigilants : nous le serons.

La concertation sur la modernisation de la fiscalité, notamment sur la fiscalité environnementale, a été engagée par Christine Lagarde. Voilà un sujet qui va nous occuper longtemps dans les semaines et les mois à venir, lors de la préparation du projet de loi de finances pour 2009, mais aussi par la suite.

La concertation s’impose aussi dans le domaine de la révision des bases de la taxe professionnelle. J’ai bien perçu une certaine inquiétude sur ce dernier point. Toute la concertation possible doit être mise en œuvre : la taxe professionnelle est un impôt très décrié et en même temps une source de financement considérable pour les collectivités locales. Il faut continuer à y réfléchir : j’ai bien entendu le message de M. du Luart. Sur la révision générale des prélèvements obligatoires, la petite sœur – ou la petite fille, je ne sais pas – de la révision générale des politiques publiques, nous aurons encore beaucoup de débats dans les semaines à venir.

J’ajouterai un mot sur le taux de TVA applicable à la restauration. Le sujet a été évoqué par le président Arthuis ; j’avais le choix d’en parler ou non, mais finalement je vais l’aborder. Il s’agit, là aussi, de tenir un engagement, comme c’est souvent le cas dans la vie politique, pris par le précédent Président de la République et repris par son successeur.

Au-delà même de la problématique particulière à cette question, nous contestons le refus de la Commission et des institutions européennes de toute modification du taux de TVA sur des services sans incidence sur les échanges entre les États membres, comme c’est le cas de la restauration.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Mais cela a une incidence sur le budget !

M. Éric Woerth, ministre. Nous devons, dans ce domaine, obtenir la souplesse de définition de notre propre politique et ne pas uniquement relever d’une autorisation de l’Union européenne. Tel est le sens du message du Président de la République.

En tout état de cause, ce n’est pas avant 2011 que nous pouvons envisager un changement, nous aurons d’ici là les moyens de discuter des modalités, si jamais l’Union européenne poursuit la discussion.

Au demeurant, nous devrons répondre à la problématique financière qui se posera : si nous diminuons le taux de TVA sur la restauration, nous devrons, parallèlement, clarifier l’impact financier d’une telle mesure.

M. Dassault a beaucoup parlé de la compétitivité fiscale. Nous devons veiller à cette compétitivité fiscale. Cela dit, elle devient réelle : quand nous le comparons aux autres, nous voyons que notre système fiscal commence à devenir compétitif. N’oublions pas que, derrière cette question, ce sont des emplois, des localisations d’industries et de richesses qui sont en jeu.

Enfin, j’en viens aux collectivités locales. Mesdames, messieurs les sénateurs, le débat sur les finances locales aura lieu. À cet égard, j’appelle chacun à un effort de responsabilité même si je n’ai pas besoin de le faire vis-à-vis du Sénat : tous ses membres connaissent parfaitement le sujet.

Dans le domaine de la dépense, nous exigeons un taux d’effort absolument considérable à l’État, nous voulons appliquer le même taux d’effort dans le domaine de la dépense locale et nous voudrions que la relation financière entre l’État et les collectivités locales soit empreinte de confiance mais aussi de réalisme…

M. Didier Boulaud. Ce n’est pas demain la veille ! On ne fait plus confiance à la signature de l’État !

M. Éric Woerth, ministre. … afin que nous nous parlions franchement. J’ai essayé de le faire, comme le Premier ministre l’a fait lors de la conférence des exécutifs locaux. J’assume parfaitement notre position : nous ne proposerons pas une augmentation supérieure au taux de l’inflation de l’ensemble d’un périmètre élargi dans lequel nous incluons le FCTVA, ce qui est naturel, puisque le FCTVA est dû aux collectivités locales. Nous disposons d’un reliquat de 400 millions à 500 millions d’euros qui pourront être répartis sur la DGF : nous déterminerons ensemble les modalités de répartition.

J’ai bien conscience que c’est un effort supplémentaire qui est demandé aux collectivités locales, mais, en même temps, c’est bien un effort supplémentaire que consent l’État vis-à-vis des collectivités…

M. Didier Boulaud. Ce n’est pas vrai !

M. Éric Woerth, ministre. Si, c’est la réalité, mais nous aurons ce débat, monsieur le sénateur !

Concernant la sphère sociale, j’ai beaucoup apprécié les discours de MM. About et Vasselle, chacun dans son registre. Bien évidemment, la certification des comptes de la branche recouvrement doit aboutir. Je crois qu’il y a trois points de désaccord avec la Cour des comptes, mais ce sont des points de comptabilité qui ne remettent pas en cause la sincérité des comptes de l’ACOSS – remise en cause que n’a d’ailleurs pas faite le Premier président de la Cour des comptes. En tout cas, il n’y a pas de raison que la certification n’aboutisse pas.

Vous avez appelé très brièvement mon attention sur trois questions.

La première concerne la reprise de la dette sociale, qui représente 23 milliards d’euros pour le régime général à la fin de 2008 ; si on y ajoute les 7,5 milliards d’euros du FFIPSA, on obtient plus de 30 milliards d’euros et, si on rajoute les 3,8 milliards du Fonds de solidarité vieillesse, le total global s’élève à 34,3 milliards d’euros. Plusieurs scénarios se présentent donc : nous allons y travailler durant l’été.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Avec quelles recettes ?

M. Éric Woerth, ministre. Je privilégie très clairement l’option consistant à utiliser les excédents du Fonds de solidarité vieillesse en affectant une fraction de la CSG – 1,05 point – à la CADES, ce qui permettra à celle-ci de reprendre cette dette, qui est une dette sociale – même si le cas du FFIPSA peut éventuellement être discuté.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je suis bien d’accord !

M. Éric Woerth, ministre. S’agissant de la dette principale, il n’y a pas de discussion possible, il s’agit bien d’une dette sociale.

Ce « tuyau » que nous rebrancherions sur la CADES, conformément à la loi, correspond à une recette stable. Si tel n’était pas le cas, la qualité de la réponse que nous apportons pourrait être remise en question. Mais il s’agit bien d’une recette stable et pérenne – pour autant que l’on puisse juger de la pérennité de la situation dans les années qui viennent : nous voyons bien comment se trouve le marché de l’emploi. Nous définirons une position en fonction du curseur.

Tout ce que je sais, c’est que, si nous n’avons pas les moyens de reprendre la dette du FFIPSA dans la CADES, il faudra bien que l’État intervienne pour la reprendre. Ce sera difficile, ce sera un vrai sacrifice pour l’État, mais je pense que c’est nécessaire pour la transparence de nos comptes.

La deuxième question portait sur la clarification des relations financières entre l’État et la sécurité sociale, qui doit être totale : le budget triennal doit s’appliquer, et l’ensemble des crédits que l’État doit à la sécurité sociale doit être mesuré au plus juste.

Monsieur le président About, vous avez parlé de l’aide médicale d’État : celle-ci doit évidemment être rebasée. Elle l’a déjà été en 2008, nous devons continuer ce rebasage.

Enfin, la troisième question concernait le FFIPSA. Je l’ai déjà indiqué, nous avons réglé l’ancienne dette du BAPSA à concurrence d’un peu plus de 600 millions d’euros. Le principal reste à régler, nous le ferons. S’agissant de l’équilibre futur du FFIPSA, je tiens à préciser que son redressement doit être réalisé grâce à l’apport de recettes à hauteur de près de 2 milliards d’euros. Il s’agit de montants tout à fait considérables.

Quant à la taxe nutritionnelle, j’ai demandé, conjointement avec Mme Bachelot-Narquin, une analyse approfondie à l’IGAS et l’IGF : nous aurons les résultats de ce travail d’ici à la fin du mois de juillet et nous vous les communiquerons bien évidemment.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. Éric Woerth, ministre. Voilà les réponses que je pouvais apporter, en quelques mots, à l’issue de ce débat d’orientation budgétaire. Je tiens à remercier l’ensemble des orateurs qui ont participé à ce débat de grande qualité, ainsi que les présidents et les rapporteurs des différentes commissions. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. Je constate que le débat est clos.

Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le n° 472 et distribuée.

6

Articles additionnels après l'article 9 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Rappel au règlement

Modernisation des institutions de la Ve République

Suite de la discussion d’un projet de loi constitutionnelle en deuxième lecture

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi constitutionnelle, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, de modernisation des institutions de la Ve République (nos 459, 463).

Rappel au règlement

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article additionnel après l’article 9

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Claude Peyronnet. Nous débattons depuis un certain nombre de semaines d’un sujet capital, ou présenté comme tel en tout cas : la réforme des institutions. Nous sommes à cinq jours de la réunion du Congrès à Versailles. Or, aujourd’hui, un important quotidien du soir publie un article présenté comme important, consistant en un entretien accordé par le Président de la République.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Très intéressant, d’ailleurs !

M. Jean-Claude Peyronnet. Je ne conteste pas, bien au contraire, la légitimité de cet entretien car je comprends que le Président s’exprime, ne serait-ce que pour ressouder sa majorité. Il en a le droit et peut-être le devoir.

S’agissait-il de cela ou s’agissait-il de débaucher quelques parlementaires socialistes ? Je l’ignore. Mais, de ce point de vue, ses espoirs seront déçus ! S’il y a des débauchages, ils se compteront sur les doigts d’une main. (Rires sur les travées du groupe socialiste.) Ce sera le fait d’un ou deux parlementaires qui souhaitent devenir ministres – sans doute d’un seul, d’ailleurs, qui a oublié depuis longtemps qu’il ne l’est plus !

M. Alain Gournac. Ce n’est pas gentil !

M. Jean-Claude Peyronnet. Ce sera à peu près tout et chacun voit de qui je veux parler…

M. Alain Gournac. Quelle ambiance au PS !

M. Jean-Claude Peyronnet. Il n’y aura donc pas de défections.

Le Président de la République défend son texte, et nous contestons cette défense sur bien des points : nous l’avons dit dans le débat, je n’y reviens que très brièvement.

Sur les nominations, nous avons dit qu’il s’agissait d’un trompe-l’œil, un droit de veto des trois cinquièmes ne pouvant remplacer une majorité positive des trois cinquièmes.

Quant au partage de l’ordre du jour, nous avons montré qu’il ne sera pas plus favorable à l’opposition que le système actuel des niches, à quelques minutes près – et je tiens à rappeler que cette position n’est pas seulement celle du parti socialiste, mais celle de toute la vraie gauche, qui est opposée à ce texte.

Au-delà de ces questions, l’interview contient des avancées intéressantes ou présentées comme telles. Certaines ne concernent pas le Président de la République. Mais son rôle consiste-t-il à s’immiscer dans les affaires du Parlement au point de s’intéresser aux règlements des assemblées et de préciser quel sera le périmètre des groupes politiques ? Lui appartient-il de modifier le règlement des deux assemblées ? Je ne le pense pas.

Je relève cependant un certain nombre d’idées intéressantes et j’en donnerai quatre exemples.

Le décompte du temps de parole du Président de la République et le droit de réponse de l’opposition correspondent à des propositions que nous avions faites et qui n’ont pas été retenues. Le Président de la République promet qu’à l’avenir des avancées interviendront sur ce point ; à quelle échéance ? Nul ne le sait !

S’agissant des principes qui permettront à la loi organique future de garantir les droits de l’opposition malgré l’encadrement du droit d’amendement, mon collègue Jean-Pierre Sueur a exposé combien ce droit d’amendement était fondamental.

Nous avions aussi demandé la possibilité pour l’opposition d’obtenir la création de commissions d’enquête. Le Président de la République exprime son accord, mais pourquoi ne pas avoir inscrit cette disposition dans la Constitution ?

Enfin et surtout, cerise sur le gâteau, est reprise l’idée contenue dans la proposition de loi qu’avait déposée en 1999 Henri de Raincourt et un certain nombre de nos collègues et visant à réformer profondément le système d’élection du Sénat.

Monsieur le président, j’en arrive à l’objet de mon rappel au règlement. Il s’agit en fait d’une demande de suspension de séance qui aurait deux fins.

La première serait de réunir la commission des lois pour qu’elle examine les propositions du Président de la République. Comme il me semble que beaucoup d’incertitudes subsistent, sur le fond, sur le calendrier, il serait opportun d’auditionner le Premier ministre – qui marche mal mais dont l’esprit tourne bien, nous l’avons vu hier ! (Murmures sur les travées de lUMP.) –, qui n’a pas manqué d’être associé aux propositions du Président de la République. L’audition du Premier ministre ou, à défaut, – excusez cette expression, madame la ministre, ce serait en fait un plaisir pour nous – du garde des sceaux nous permettrait d’être éclairés.

J’en viens au deuxième objet de cette suspension de séance. À la suite de cette audition et avec les explications que nous ne manquerions pas d’obtenir, nous réunirions notre groupe politique afin de décider si nous changeons d’opinion et si notre opposition formelle à ce texte peut se transformer en une abstention, voire en une approbation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Je me suis demandé si vous n’alliez pas demander l’audition du Président de la République ! (Rires sur les travées de lUMP.)

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quelle ne fut pas notre surprise – peut-être n’est-elle pas si grande après tout ! – de constater que le Président de la République entend régler lui-même les problèmes, en ce domaine comme en d’autres, et passer par-dessus le Gouvernement et le Parlement. Cette façon de faire en dit long sur sa conception des rapports entre le Président de la République et le Parlement.

Il règle la question du temps de parole à la télévision, alors que sa majorité refuse, depuis le début, d’en discuter ; il régente l’organisation des débats au Parlement, en prévoyant une égalité entre majorité et opposition, ce qui n’a fait l’objet d’aucun débat entre nous puisque nous respectons la majorité ; il se porte garant – je me demande bien comment ! – du droit d’amendement de l’opposition, ce qui va bien évidemment à l’encontre des dispositions prévues dans le projet de loi dont nous débattons depuis des semaines ; il promet des commissions d’enquête à l’opposition, si tel est, du moins je le suppose, son bon vouloir ;…

M. Robert Bret. Le bon vouloir du Prince !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … il passe commande aux sénateurs d’une proposition de loi modifiant le collège électoral, mais celle-ci existe déjà, simplement, les sénateurs ne voulaient pas la défendre !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On l’a déjà votée !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Maintenant, commande leur est passée. Cette proposition de loi ferait passer le collège électoral du Sénat de 138 000 à 152 000 grands électeurs, ce qui ne met pas en cause – loin de là ! – la logique majoritaire du Sénat.

Enfin, il entend modifier lui-même le règlement des assemblées en autorisant la constitution de groupes parlementaires à partir de quinze députés.

M. Didier Boulaud. Quel touche-à-tout ! Un véritable homme-orchestre !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Depuis hier, M. le rapporteur nous impose, ou plutôt impose à sa majorité, un vote conforme et refuse tout amendement, particulièrement venant de son camp.

Monsieur le rapporteur, les amendements du président de la République sont-ils recevables ? (Rires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Si tel est le cas, je vous demande, monsieur le président, de convoquer une conférence des présidents qui fixera un ordre du jour permettant d’examiner les amendements du Président de la République avant de reprendre le débat, peut-être en septembre…

M. le président. Madame Borvo, vous avez satisfaction puisqu’une conférence des présidents, à laquelle vous allez assister, aura lieu aujourd’hui même à 19 heures.

Quel est l’avis de la commission sur cette demande de suspension de séance ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, rapporteur. Monsieur le président, la commission des lois n’a été saisie d’aucun nouvel amendement. Je fais d’ailleurs remarquer que seul le Gouvernement pourrait en déposer.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Ce n’est pas le cas.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je ne vois donc pas pourquoi la commission des lois devrait se réunir. De quoi discuterions-nous ? Des interviews publiées dans la presse ?

M. Robert Bret. Une interview du Président de la République, tout de même !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Peu importe ! La question n’est pas de savoir qui s’est exprimé dans la presse, que ce soit le Président de la République ou un autre. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Allons, mon cher collègue !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En revanche, j’estime que le Président de la République a bien entendu ce que les deux assemblées ont souhaité sur la révision constitutionnelle. Et cela, vous oubliez complètement de le dire !

Vous avez réclamé que le temps de parole du Président de la République, qui ne relève pas de la Constitution, soit décompté : il en fait la proposition. Vous avez réclamé des commissions d’enquête : on les constitutionnalise et les règlements des assemblées permettront de préciser les droits des groupes parlementaires. Nous avions insisté pour que les groupes parlementaires soient parfaitement reconnus dans la Constitution : c’est le cas.

Lors de l’examen de votre proposition de loi relative aux conditions de l’élection des sénateurs, nous vous avions annoncé que nous étions prêts à reprendre la proposition cosignée en 1999 par MM. de Raincourt, Arthuis, de Rohan, Larcher et moi-même.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est risible !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je vous rappelle que nous l’avons votée, sur la proposition de Paul Girod. Ensuite, vous n’en avez pas voulu, et vous avez voulu nous forcer la main en prévoyant un système où le corps électoral ne correspondait plus à une représentation des collectivités territoriales, ce qui a été censuré par le Conseil constitutionnel. Après la révision constitutionnelle, il faudra mieux prendre en compte les populations.

M. Jean-Claude Peyronnet. Et le comité Balladur ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le comité Balladur a fait ce qu’il a voulu ; nous, nous faisons la Constitution ! Il s’agissait d’un comité de réflexion, et nous ne sommes pas obligés de retenir toutes ses propositions.

M. Patrice Gélard. Ce n’est pas lui le constituant !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je me permets d’ailleurs de vous faire remarquer que vous en contestiez certaines.

Dans ce contexte, il me paraît d’autant plus important de voter la révision constitutionnelle telle que nous la proposons, afin que puissent être mises en œuvre les réformes, qu’elles soient législatives ou réglementaires, auxquelles s’ajoutent les propositions du président Accoyer à l’Assemblée nationale.

S’agissant des règlements des assemblées, nous souhaitons garder une certaine autonomie. Nous avons, nous aussi, toujours défendu le droit d’amendement.

Les propos tenus par le Président de la République renforcent, de mon point de vue, la nécessité de voter très rapidement la révision constitutionnelle ; de la sorte, vous aurez satisfaction sur un certain nombre de préalables que vous aviez posés.

Dans ces conditions, j’estime qu’il n’y a pas lieu de réunir la commission des lois. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Didier Boulaud. La seule chose positive, c’est que le Président de la République ne fera que dix ans de mandat !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Je partage pour l’essentiel l’avis de M. le rapporteur. Les choses ont été dites, et c’est mieux ainsi.

Un certain nombre de parlementaires, dans cet hémicycle comme à l’Assemblée nationale, se sont interrogés : après la révision de la Constitution, et particulièrement l’adoption d’un article 51-1 qui ouvre des possibilités pour les groupes de l’opposition, la majorité, le Gouvernement, le Président de la République accepteront-ils de faire des avancées sur certains sujets ?

Des orientations, des engagements ont été pris. En réalité, ils ne se traduiront pas par une modification des articles de la Constitution, puisque, pour l’essentiel, comme M. le président de la commission des lois vient de le rappeler, ces propositions relèvent soit du règlement intérieur des assemblées soit, comme pour le temps de parole, de règles qui n’ont rien à voir avec le débat constitutionnel.

Vous aviez demandé un certain nombre de garanties et vous les avez obtenues. Je souhaiterais que les parlementaires de gauche reconnaissent que tout cela va dans le bon sens et acceptent finalement de revoir leur position.

M. le président. Je vais mettre aux voix la demande de suspension de séance.

Qui est contre cette demande de suspension ?….

(La demande de suspension de séance n’est pas adoptée.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est invraisemblable !

M. le président. Nous reprenons la discussion des articles.

Rappel au règlement
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Article additionnel après l’article 10

Article additionnel après l’article 9

M. le président. L’amendement n° 106, présenté par MM. Frimat, Badinter et Bel, Mme Bricq, MM. Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Après l’article 9, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - Après le premier alinéa de l’article 25 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le mandat parlementaire de député est incompatible avec l’exercice de tout autre mandat ou fonction électif. »

II. - Le I est applicable à compter de la quatorzième législature.

La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.

M. Jean-Claude Peyronnet. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 106.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Article additionnel après l’article 9
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Article 11

Article additionnel après l’article 10

M. le président. L’amendement n° 107, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l’article 10, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

À la fin de la seconde phrase de l’article 32 de la Constitution, le mot : « partiel » est supprimé.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement tend à prévoir que le mode de renouvellement du Sénat, qui est fixé par une loi organique, permette la réélection de cette assemblée en une seule fois. Cette disposition fort simple ne me semble pas appeler d’autres commentaires.

En revanche, monsieur le président, je tiens à le dire, nous avons été choqués de la manière dont il a été procédé au vote sur la demande de suspension de séance. Vous avez d’abord demandé à ceux qui souhaitaient voter contre cette demande de se manifester, alors que, d’habitude, on commence par faire voter ceux qui sont favorables. Vous avez introduit une innovation présidentielle !

M. Didier Boulaud. C’est la rupture !

M. Jean-Pierre Sueur. En fait, nous avons demandé une suspension pour pouvoir réunir notre groupe, mais d’abord pour que la commission des lois puisse examiner l’ensemble des déclarations du Président de la République, dont nul ne peut penser, surtout pas vous, qu’il s’agisse de déclarations anodines arrivant à un moment hasardeux. Au contraire, tout est calculé.

Monsieur le président du Sénat, je me permets de vous demander respectueusement quelle est votre position par rapport à ce singulier renversement de nos principes constitutionnels. Le Parlement est en train de débattre d’un projet de loi dont l’objet est de donner davantage de pouvoirs au Parlement, ce qui, par conséquent, devrait permettre, si j’ai bien compris, de répondre aux accusations d’hyper-présidentialisme que l’on entend ici ou là. Et c’est juste à ce moment-là que le Président de la République se présente comme un hyper-législateur pour proposer, par l’intermédiaire d’un journal, une brouette d’amendements…

M. Alain Lambert. Ce ne sont pas des amendements !

M. Jean-Pierre Sueur.… alors qu’on démontre au Sénat qu’il convient de tout adopter de manière conforme. Cette situation est tout à fait singulière eu égard aux droits du Parlement et à la nécessité de rééquilibrer les pouvoirs au bénéfice de ce dernier.

M. Alain Lambert. Les droits du Parlement, c’est principalement le droit d’amendement !

M. Jean-Pierre Sueur. Mon cher collègue, je m’exprime pendant les cinq minutes auxquelles j’ai droit pour présenter cet amendement.

M. Alain Lambert. C’est cela, présentez donc l’amendement !

M. Jean-Pierre Sueur. Rassurez-vous, si vous nous refusez le droit de nous concerter alors même qu’un événement vient de survenir, nous ne manquerons pas de défendre nos amendements et d’expliquer amplement nos votes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Défavorable.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et qu’en pense le Président de la République ?

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Je voudrais attirer l’attention de mes collègues sur cet amendement, même s’il n’est pas voté, pour que l’idée qui le sous-tend fasse son chemin.

Il s’agit du renouvellement partiel de notre assemblée. Quelle que soit l’opinion que l’on puisse avoir du corps électoral du Sénat, il faut bien admettre que l’absence d’alternance depuis des lustres constitue une curiosité !

Le renouvellement partiel en est l’une des causes. Il semblerait tout à fait logique que, comme l’Assemblée nationale, le Sénat soit renouvelé en une fois. Cette idée peut paraître, selon les points de vue, anodine ou révolutionnaire, mais il me semble que nous devons engager une réflexion sur le sujet.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, pour explication de vote.

M. Jean-Claude Peyronnet. J’approuve tout à fait les propos de mon collègue. Pour le Sénat, ce serait une chance parce qu’il apparaît comme une chambre modératrice,…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est bien !

M. Jean-Claude Peyronnet.… mais uniquement modératrice.

L’élection par moitié est présentée comme un avantage dans la mesure où elle conduit à une certaine modération. En fait, cela place d’emblée le Sénat en position de faiblesse vis-à-vis de l’Assemblée nationale.

Je voudrais terminer en reprenant les propos de mon collègue Pierre-Yves Collombat : le droit d’amendement et les temps de parole dans notre assemblée sont appliqués de façon très libérale, c’est même l’un des systèmes les plus libéraux d’Europe ! L’opposition peut parler très librement et très longtemps. Le seul problème, c’est qu’on ne nous écoute jamais. (Rires.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous n’avez qu’à dire des choses intéressantes ! Parlez moins, on vous écoutera plus !

M. Didier Boulaud. Un jour, on s’en souviendra et on s’amusera !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 107.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Article additionnel après l’article 10
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Article 12

Article 11

L’article 34 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est supprimé ;

2° et 3° Supprimés………………………………………………………. ;

3° bis Dans le troisième alinéa, après les mots : « libertés publiques ; », sont insérés les mots : « la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ; »

3° ter Après les mots : « assemblées parlementaires », la fin du huitième alinéa est ainsi rédigée : «, des assemblées locales et des instances représentatives des Français établis hors de France ainsi que les conditions d’exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales ; »

4°, 4° bis et 4° ter Supprimés……………………………………….. ;

5° L’avant-dernier alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« Des lois de programmation déterminent les objectifs de l’action de l’État.

« Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s’inscrivent dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques. »

M. le président. L’amendement n° 50, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Compléter le 3°bis de cet article par les mots :

aussi bien vis-à-vis du Gouvernement que des intérêts économiques de leurs actionnaires, en les protégeant des conflits d’intérêt et en interdisant les concentrations excessives

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Par cet amendement, nous proposons d’inscrire dans la Constitution le principe d’une réelle indépendance des médias. Cette question a pris une importance considérable dans la société, la démocratisation de l’information étant devenue l’un des enjeux essentiels auxquels elle est confrontée.

Tout d’abord, nous assistons à une instrumentalisation, qui s’est considérablement aggravée, de l’information. Cette dernière est désormais non seulement au service de la majorité et du Président de la République, mais aussi du bipartisme. Dans le même temps, nous sommes confrontés à une domination croissante de l’information par l’argent.

C’est une situation qui choque et inquiète de plus en plus nos concitoyens, ainsi qu’un nombre croissant de professionnels. Les journalistes sentent bien les menaces qui pèsent aujourd’hui sur l’avenir de France Télévisions.

Quand des groupes comme Bouygues, Vivendi, Lagardère ou Dassault sont aux commandes des médias audiovisuels, le pluralisme de l’information et de la presse est nécessairement en péril. L’ampleur de la concentration des médias en France met en cause l’indépendance des responsables politiques et économiques à leur égard. Les groupes concernés cumulent ainsi de plus en plus puissance économique et hégémonie idéologique.

De notre point de vue, il serait nécessaire d’adopter une véritable loi anti-concentration. Elle permettrait d’interdire, notamment aux grands groupes financiers, industriels ou de services, les situations de quasi-monopole national ou régional dans la presse, l’audiovisuel et l’édition. Elle permettrait aussi, d’une manière générale, de garantir la diversité des filières de production et de diffusion dans le domaine de l’image, du son et de l’écrit.

M. le président. Le sous-amendement n° 147, présenté par M. Dreyfus-Schmidt, est ainsi libellé :

Dans l’amendement n° 50, supprimer le mot :

excessives

La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le mot « excessives », qui figure dans l’amendement n° 50, me choque beaucoup.

En effet, ses auteurs souhaitent protéger les médias des conflits d’intérêt, « en interdisant les concentrations excessives ». Or je ne connais pas de concentration qui ne le soit pas ! C’est la raison pour laquelle il me semble excessif de parler de concentrations excessives. (Sourires.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le Sénat a adopté en première lecture, à l’article 11 du projet de loi, un amendement du groupe socialiste prévoyant explicitement « la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ».

En ajoutant des critères supplémentaires, on risque de ne pas être exhaustif. Par conséquent, la commission s’en tient aux termes qui ont été adoptés en première lecture et retenus ensuite par l’Assemblée nationale. Elle est donc défavorable à l’amendement n° 50 et au sous-amendement n° 147.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Je souhaite tout d’abord excuser le départ de Mme Dati, qui doit se rendre à une réunion du Conseil supérieur de la magistrature.

S’agissant de l’amendement n° 50, la modification proposée n’apparaît pas opportune à ce stade. Le Conseil constitutionnel reconnaît que la liberté de communication audiovisuelle a valeur constitutionnelle, mais que le pluralisme des courants d’expression est également un objectif à valeur constitutionnelle. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)

Sur ce fondement, la loi du 30 septembre 1986 comporte déjà des dispositions destinées à éviter les concentrations excessives. Dans ce domaine, le législateur ne peut pas revenir en arrière, puisque le Conseil constitutionnel n’admettrait pas que des dispositions moins protectrices soient adoptées.

Dans ces conditions, le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’amendement n° 50 et sur le sous-amendement n° 147.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. L’amendement qui nous est proposé met à juste titre l’accent sur l’un des vrais problèmes qui se pose aujourd’hui et dont nul ne peut disconvenir. Ce problème prend, me semble-t-il, une actualité nouvelle après les récentes déclarations du Président de la République.

Pour ma part, j’imaginais que, à la suite d’un certain nombre de réactions, la pensée de notre Président de la République se serait infléchie. Mais la lecture d’un journal du soir, qui a d’ailleurs paru à midi, nous permet d’y voir plus clair dans la pensée du Président de la République.

On peut en effet lire, à la page 7, la déclaration suivante : « J’ai dit qu’il n’était pas anormal que le Président de la République nomme le président d’une entreprise propriété de l’État à 100 %.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il y a un « mais » !

M. Jean-Pierre Sueur. « Avec deux verrous : un avis conforme du CSA et celui des commissions du Parlement. Où est le trouble ? »

Je vais me permettre de répondre respectueusement à M. le Président de la République.

Premièrement, France Télévisions n’est pas une entreprise comme une autre et c’est un grand tort de considérer qu’elle serait identique à toute autre entreprise. Il s’agit des libertés fondamentales, des droits fondamentaux et de l’indépendance des médias.

Deuxièmement, l’avis du CSA, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, est qualifié de « verrou ». Cela pose la question de savoir comment sont nommés les membres du conseil, ce qui renvoie à la fameuse « affaire » de la majorité des trois cinquièmes. En effet, c’est une chose de consulter les commissions parlementaires par le biais d’un avis positif exprimé à la majorité des trois cinquièmes, laquelle suppose l’assentiment de la majorité et de l’opposition. Mais c’en est une autre de ne retenir qu’un avis négatif émis à la majorité des trois cinquièmes. Ce « verrou négatif » est extrêmement léger ; peut-on même parler de verrou ?

Troisièmement, le même raisonnement s’applique assurément au verrou des commissions du Parlement.

Où est donc le « trouble » ? C’est que peu de démocraties dignes de ce nom accepteraient cette décision souveraine quasi monarchique : je nomme, parce que je suis Président de la République, le président d’un ensemble considérable de chaînes publiques.

Les prétendus verrous n’existent pas, et ce n’est pas satisfaisant ! Après avoir rappelé les propos du Président de la République parus aujourd’hui dans Le Monde, je laisse chacun, dans cet hémicycle, mesurer ce qu’il en est.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À mes yeux, l’amendement n° 50 complète de façon judicieuse ce que nous avons voté précédemment, en mettant les points sur les i. Certes, la loi interdit les concentrations ; néanmoins, elles existent ! Il faut donc renforcer le dispositif en question et préciser dans la Constitution de quoi il retourne exactement : il ne s’agit pas simplement de garantir l’indépendance, puisqu’on assiste aujourd’hui à des concentrations très importantes. Il faut donc viser précisément les intérêts économiques et les conflits d’intérêts.

Au point où nous en sommes, peut-être faudrait-il demander au Président de la République s’il n’est pas d’accord pour que nous complétions en ce sens la Constitution…

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 147. (M. Dreyfus-Schmidt proteste.)

(Le sous-amendement n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote sur l’amendement n° 50.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation, monsieur le président ! J’ai déposé un sous-amendement et j’attendais de savoir si le groupe CRC l’acceptait.

M. le président. Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’est expliquée. Elle a eu l’occasion de vous répondre, monsieur Dreyfus-Schmidt !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Si j’ai demandé la parole avant la mise aux voix du sous-amendement n° 147, c’était pour demander à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, qui ne s’était pas exprimée sur ce point, si elle acceptait, ou non, ce sous-amendement.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La proposition est acceptée.

M. le président. Quoi qu’il en soit, ce sous-amendement n’a pas été adopté.

Je mets aux voix l’amendement n° 50.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 49, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Après le 3°ter de cet article, insérer deux alinéas ainsi rédigés :

…° Après le huitième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« - la limitation ou l’interdiction du cumul des mandats électoraux ; »

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Par cet amendement, nous souhaitons modifier l’article 34 de la Constitution, afin d’y inscrire le principe de la limitation ou de l’interdiction du cumul des mandats, en laissant à la loi le soin d’en préciser les modalités.

Cette proposition, qui a déjà été évoquée hier, a bien évidemment été refusée. Toutefois, nous maintenons cet amendement, en affirmant qu’il est aujourd’hui nécessaire de permettre une représentation plus forte. Je pense notamment à la parité, au scrutin proportionnel et au vote des étrangers, toutes choses qui permettraient sans doute de donner une autre image à la fois des élus et du Parlement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises, la définition des règles relatives au régime électoral des assemblées parlementaires et des assemblées locales fait déjà partie du domaine législatif. Il s’agit donc d’une précision inutile, à laquelle la commission est défavorable. Sinon, on n’en finira jamais !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 49.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

Ils sont tous deux présentés par M. Lambert.

L’amendement n° 1 est ainsi libellé :

Avant le 5° de cet article, insérer deux alinéas ainsi rédigés :

…° Le dix-neuvième alinéa de l’article 34 de la Constitution est ainsi rédigé :

« Les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l’État et présentent une consolidation des comptes publics dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ».

La parole est à M. Alain Lambert.

M. Alain Lambert. L’amendement n° 1 est celui auquel je tiens le plus. Son adoption ou son rejet détermineront d’ailleurs mon vote final.

M. le président. Je vous en prie, monsieur Dreyfus-Schmidt !

Veuillez poursuivre, monsieur Lambert.

M. Alain Lambert. On verra si vous votez tout à l’heure, monsieur Dreyfus-Schmidt !

Cet amendement vise à supprimer un verrou qui existe actuellement dans notre Constitution et qui ne nous permet pas de rapprocher les comptes de l’État et ceux de la sécurité sociale. Quand je parle de « rapprochement », je n’évoque pas les modalités d’une telle opération. En effet, je sais parfaitement que celles-ci doivent faire l’objet d’une loi organique.

L’amendement n° 1 vise donc simplement à ouvrir la voie à la loi organique permettant de rapprocher la loi de finances de l’État et la loi de financement de la sécurité sociale. Il s’agit de la consolidation des comptes.

En effet, nous sommes dans une situation baroque, mes chers collègues : à l’occasion de chaque débat budgétaire annuel, nous nous plaignons de ne pas y voir clair, parce que nous avons, d’un côté, les recettes de l’État, de l’autre, celles de la sécurité sociale, les assiettes étant parfois les mêmes, avec des taux différents. Si nous, parlementaires, n’y comprenons rien, nos compatriotes s’y retrouvent encore moins.

Permettez-moi de souligner également une distorsion étonnante : les seuls à disposer de l’information complète sur les comptes publics de la France sont nos partenaires européens et la Commission européenne, puisque les règles internationales nous obligent à leur envoyer, à eux, non pas séparément les comptes de l’État, ceux de la sécurité sociale, ceux des organismes divers d’administration centrale, les ODAC, et ceux des collectivités locales, mais, tout simplement, un document consolidé.

Le paradoxe, c’est que les parlementaires, eux, ne voient jamais ce document consolidé, qui est d’ailleurs envoyé à Bruxelles quinze jours après la fin de la session budgétaire. J’ai donc la conviction que, d’un point de vue démocratique, nous ne pouvons pas rester dans cette situation.

Entendons-nous bien, mes chers collègues, il s’agit de vous demander non pas de voter une loi visant à fusionner les deux actes, mais de supprimer l’interdiction existante et de la transformer en autorisation afin qu’une loi organique organise les relations entre les deux textes, loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale.

Je défendrai d’ores et déjà, monsieur le président, l’amendement suivant n° 19, qui est plutôt un amendement de repli et, je le dis à l’adresse de nos collègues socialistes, qui est rédigé dans les mêmes termes que celui qui a été déposé par Didier Migaud à l’Assemblée nationale.

Mais cet amendement est peut-être un peu trop précis, ce qui le fait entrer dans le champ de la loi organique elle-même. C’est pourquoi je me suis limité, dans l’amendement n° 1, à une rédaction plus concise : « Les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l’État et présentent une consolidation des comptes publics dans les conditions prévues par la loi organique. »

M. le président. L’amendement n° 19 est ainsi libellé :

Avant le 5° de cet article, insérer cinq alinéas ainsi rédigés :

…° Les dix-neuvième et vingtième alinéas de l’article 34 de la Constitution sont remplacés par quatre alinéas ainsi rédigés :

« Dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique, les lois de finances :

« - déterminent les ressources et les charges de l’État ;

« - déterminent les conditions générales de l’équilibre financier de la sécurité sociale et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent le plafond global de ses dépenses.

« Les lois de financement de la sécurité sociale, compte tenu des conditions générales de l’équilibre financier déterminé par les lois de finances, fixent ses objectifs de dépenses dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. »

Cet amendement est défendu.

Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission a bien évidemment été particulièrement attentive à ces amendements compte tenu de la qualité de leur auteur, l’un des pères de la loi organique relative aux lois des finances.

Les exemples qu’il cite dans l’objet de l’amendement n° 1 montrent que, dans certains pays, les comptes de la sécurité sociale sont absolument distincts des comptes de l’État. Dans ce cas, la consolidation n’intervient pas, puisque les comptes doivent être équilibrés.

D’ailleurs, c’était le cas en France avant la mise en place des lois de financement de la sécurité sociale, qui ont répondu au souhait du Parlement de se saisir du budget de la sécurité sociale, puisqu’il était plus important que celui de l’État. Pour ma part, j’ai connu, en tant que parlementaire, l’époque où les comptes de la sécurité sociale étaient indépendants de ceux de l’État et où le Parlement décidait éventuellement de subventions destinées à compléter les ressources de la sécurité sociale.

S’agissant de la consolidation, la commission a estimé qu’il n’était pas indispensable de lui donner un support constitutionnel et que nous pourrions fort bien en inscrire les règles au sein de la loi organique relative aux lois de finances.

M. Alain Lambert. C’est faux !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mon cher collègue, ce n’est pas parce que certaines constitutions mentionnent cette possibilité que nous avons l’obligation de le faire. Il existe des constitutions bavardes, et la nôtre commence à l’être sérieusement ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Je suis donc sincèrement ennuyé car, évidemment, je souhaiterais accueillir favorablement vos amendements. Nous les avons longuement étudiés en commission,…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On les a étudiés rapidement !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Si nous nous sommes montrés parfois un peu laconiques en séance publique, c’est parce que les amendements étaient très nombreux.

Je dois donc, hélas ! émettre un avis défavorable sur vos amendements nos 1 et 19, mon cher collègue, en espérant que M. le secrétaire d’État saura vous convaincre mieux que moi.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur, vous souhaitez que les lois de finances présentent une consolidation des comptes publics. Soyez assuré que votre préoccupation rejoint pleinement celle du Gouvernement.

Le principe d’unité budgétaire est effectivement essentiel pour permettre une bonne compréhension des comptes. Dès lors qu’il n’y a qu’un seul contribuable, il paraît normal qu’il puisse disposer d’une vision consolidée des comptes publics et mesurer la situation d’ensemble des administrations publiques.

La préoccupation que vous exprimez est donc légitime. Elle sera, à nos yeux, assez largement satisfaite par la possibilité ouverte par la réforme de voter des lois de programmation des finances publiques, qui donneront au Parlement la vision globale que vous appelez de vos vœux.

En effet, pour définir les orientations pluriannuelles des finances publiques, les lois de programmation devront nécessairement procéder à une présentation consolidée des comptes publics. Elles donneront ainsi au contribuable la possibilité d’avoir une vue d’ensemble de nos finances publiques année après année.

Par ailleurs, la volonté de promouvoir une approche globale des comptes publics imprègne toutes les méthodes de travail du Gouvernement.

C’est le cas, d’abord, dans sa structure même. La création d’un ministère des comptes publics s’inscrit pleinement dans cette perspective.

Ensuite, depuis 2006, les débats d’orientation budgétaire et d’orientation des finances sociales se tiennent conjointement. C’est le cas cette année.

La production des comptes de l’État, selon les dispositions de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, a fait des progrès considérables en quelques années, comme le montre le projet de loi de règlement des comptes. Les progrès sont d’ailleurs encouragés par la certification de la Cour des comptes.

Dans ces conditions, la consolidation des comptes constitue un horizon vers lequel nous devons nous diriger, mais Bercy confirme que les difficultés techniques d’une telle entreprise sont considérables. Quelle technique de consolidation ? Quel périmètre ? Quel concept ? Quelle trajectoire obtenir ?

Ces difficultés font que cet amendement nous semble aujourd’hui – pardonnez-moi de le dire, monsieur le sénateur – quelque peu prématuré. Il nous paraît, en effet, préférable de travailler progressivement à ce rapprochement, en poursuivant la dynamique d’amélioration de la qualité comptable afin d’envisager une consolidation ultérieurement, dans les meilleures conditions possibles.

Voilà pourquoi le Gouvernement souhaite, monsieur le sénateur, le retrait de l’amendement n° 1.

Par votre amendement n° 19, vous voulez également prévoir que les lois de finances déterminent les conditions générales de l’équilibre financier de la sécurité sociale et fixent le plafond global de ces dépenses.

Le Gouvernement partage pleinement votre souci d’assurer la pleine cohérence entre les deux textes financiers. C’est ce qu’il s’efforce de faire désormais, comme je l’évoquais il y a quelques instants, par des débats d’orientation budgétaire et d’orientation des finances sociales qui se tiennent conjointement.

Les deux projets sont d’ailleurs bâtis sur des hypothèses macroéconomiques identiques, arbitrées en même temps.

D’autre part, la cohérence des dispositions relatives aux dépenses, par exemple quand il faut compenser des exonérations, peut être vérifiée par les annexes. Tel est l’objet du « jaune », qui concerne les relations financières entre l’État et la protection sociale.

Enfin et surtout, la cohérence entre « loi de finances » et « loi de la sécurité sociale » sera consolidée par la future loi de programmation des finances publiques. Ce sera précisément l’objet de cette loi dans un cadre pluriannuel.

C’est un changement majeur, dont on ne mesure peut-être pas encore toute la portée, puisque le Parlement pourra débattre de la trajectoire de l’ensemble des finances publiques avec des indications précises, à la fois sur l’État et sur la sécurité sociale.

Dès cet automne, le Gouvernement présentera ce projet de loi de programmation et nous pourrons débattre ensemble sur le fondement de cette vision consolidée des finances publiques que vous appelez de vos vœux.

On pourrait bien évidemment aller au-delà, mais le Gouvernement ne souhaite pas, dans l’immédiat, retenir la proposition, car nous craignons qu’elle soit mal comprise par les partenaires sociaux. En effet, la loi de financement de la sécurité sociale est obligatoirement soumise à l’avis des conseils d’administration des caisses de sécurité sociale, comme tous les textes les concernant. Si on encadre par avance le contenu de la loi de financement de la sécurité sociale, on risque de remettre en cause la portée de cette saisine.

Pour cet ensemble de motifs, monsieur le sénateur, le Gouvernement souhaite également le retrait de l’amendement n° 19.

M. le président. Monsieur Lambert, les amendements nos 1 et 19 sont-ils maintenus ?

M. Alain Lambert. Oui, monsieur le président.

J’indique respectueusement au président de la commission des lois que, contrairement à ce qu’il pense, dans la rédaction actuelle de la Constitution, ce rapprochement est impossible. Nous pourrons demander à des experts d’arbitrer notre différend.

En revanche, j’ai bien entendu l’ouverture du Gouvernement. Je lui répondrai simplement que la solennité d’une loi de finances ou d’une loi de financement de la sécurité sociale est tout de même plus grande que celle d’une loi de programmation.

En l’absence d’une volonté d’ôter ce verrou afin d’ouvrir la voie à une loi organique, nous resterons cadenassés au sein de notre Constitution actuelle. Dès lors, par devoir et en conscience, je maintiens mon amendement ; comme je l’ai dit, son adoption ou non déterminera mon vote sur l’ensemble du texte.

Permettez-moi d’apporter une petite précision. Ayant accepté un engagement, je dois quitter l’hémicycle. Je tiens à vous assurer, monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, que je pars non pas parce que je serai blessé par le résultat du scrutin qui ne me sera pas favorable, mais simplement par respect pour la personne qui m’a invité. Par conséquent, mes amendements suivants ne seront pas soutenus ; tant pis, j’en assumerai la responsabilité. De toute façon, celui qui comptait à mes yeux était l’amendement n° 1.

M. Robert Bret. Il ne faut pas désespérer !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 19.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 26, présenté par M. Lambert, est ainsi libellé :

Avant le 5° de cet article, insérer trois alinéas ainsi rédigés :

…° Après l’antépénultième alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Les règles concernant l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures entrent en vigueur lorsqu’elles sont approuvées par une loi de finances.

« Les mesures de réduction et d’exonération de cotisations et de contributions concourant au financement de la protection sociale ainsi que les mesures de réduction ou d’abattement de l’assiette de ces cotisations et contributions entrent en vigueur lorsqu’elles sont approuvées par une loi de financement de la sécurité sociale. » ;

Cet amendement n’est pas soutenu.

L’amendement n° 109, présenté par M. Frimat, Mme Bricq, MM. Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Massion, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Rétablir le 4° ter de cet article dans la rédaction suivante :

4° ter. Après l’antépénultième alinéa est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les règles concernant l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures et celles relatives aux cotisations sociales continuent à s’appliquer au-delà du 31 décembre suivant leur entrée en vigueur à la condition qu’une loi de finances ou une loi de financement de la sécurité sociale le prévoie. »

La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Nous avons eu l’occasion, à plusieurs reprises, de discuter de cet amendement sous des formes rédactionnelles différentes. Permettez-moi d’en retracer les étapes, pour que l’on comprenne bien de quoi il s’agit.

D’abord, au Sénat, en première lecture, M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général avaient déposé un amendement qui visait à faire valider en loi de finances et en loi de financement de la sécurité sociale tout dispositif d’exonération fiscale ou sociale.

Le groupe socialiste du Sénat avait déposé un amendement similaire et avait accepté de le retirer, car son objet était commun avec celui du président de la commission des finances.

Ensuite, en seconde lecture, à l’Assemblée nationale, la commission des lois, par la voix de son rapporteur, Jean-Luc Warsmann, a déposé un amendement de suppression de cette initiative sénatoriale qui avait pourtant réuni l’ensemble du Sénat dans un vote clair, arguant du fait que cet amendement méprisait le principe d’égalité des lois donnant une primauté aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale par rapport aux lois ordinaires et contraignait, en outre, le Gouvernement si ce dernier ne souhaitait pas attendre une loi de finances pour insérer un dispositif d’exonération.

L’amendement de suppression de M. Warsmann a été adopté.

Puis, la semaine dernière, à l’occasion de l’examen du projet de loi de règlement des comptes pour l’année 2007, est apparu un dispositif complémentaire qui prévoyait que, dans la loi de finances et dans la loi de financement de la sécurité sociale était joint, en annexe, un récapitulatif des dispositions relatives aux règles concernant l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature, adoptées depuis le dépôt du projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale de l’année précédente.

À cette occasion, nous avons assisté à une bataille juridique entre le rapporteur général du Sénat, qui souhaitait supprimer ce dispositif, et le ministre du budget, qui, quant à lui, souhaitait son maintien.

S’agissant de l’opportunité de maintenir cette disposition compte tenu de son caractère inconstitutionnel, il faut rappeler que le Conseil constitutionnel avait clairement affirmé que seule une loi organique pouvait prévoir la possibilité de joindre des annexes aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale.

Au final, le Sénat a voté l’amendement de suppression du rapporteur général, de sorte que les deux dispositifs de départ, considérés comme complémentaires, ont tous deux disparu.

La commission mixte paritaire se réunira le 22 juillet pour examiner les articles restant en discussion du projet de loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour l’année 2007. En cet instant précis, rien ne prouve que nous puissions combler ce vide à cette occasion.

C’est pourquoi, au nom du groupe socialiste, je défends cet amendement tendant à restaurer la capacité pleine et entière du Parlement à prendre la mesure de toute disposition visant les impositions de toutes natures et l’assiette des cotisations sociales dans les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale.

Trop souvent, les parlementaires sont mis devant le fait accompli. Ce matin, lors du débat d’orientation budgétaire, nous l’avons unanimement déploré devant le ministre du budget, à propos des dépenses fiscales ou des exonérations sociales. Nous ne voulons pas que les parlementaires en soient réduits à entériner des mesures prises dans le cadre d’autres véhicules législatifs.

Permettez-moi de m’inquiéter de la multiplication des niches fiscales, dont le nombre a augmenté de plus de 20 % ces trois dernières années. Les dépenses fiscales atteignent aujourd’hui 73 milliards d’euros. Face à ce phénomène, nous devons nous doter de règles de bonne gestion publique. Le dispositif proposé dans cet amendement est plus souple que celui que nous avions adopté en première lecture puisqu’il prévoit que les dérogations fiscales ou les exonérations sociales incluses dans une loi votée pourront entrer en vigueur immédiatement ; elles n’auront donc plus besoin d’être validées par une loi de finances ou par une loi de financement de la sécurité sociale pour être appliquées, mais elles devront faire l’objet d’une prorogation par l’une ou l’autre de ces lois.

Ainsi, une confirmation sera requise pour qu’elles puissent continuer à s’appliquer. Ce dispositif permettra, comme tout le monde le souhaite, de faire l’évaluation, au moins a posteriori, de mesures fiscales dont on connaît mal l’impact sur l’équilibre de nos finances publiques.

M. le président. Veuillez conclure, madame Bricq !

Mme Nicole Bricq. Si mes arguments ne trouvent aujourd’hui aucun écho favorable au sein de la majorité sénatoriale et du Gouvernement, je demande à tout le moins que l’engagement soit pris de réfléchir à des dispositifs susceptibles d’améliorer les règles de gouvernance publique à l’occasion d’une révision de la LOLF – nous en avons déjà effectué une en 2005. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Madame Bricq, vous avez parlé plus de six minutes ! C’est excessif. Je veux bien être tolérant, mais le règlement doit s’appliquer à tout le monde !

Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La question qu’a évoquée Mme Bricq n’est pas celle qui est visée dans son amendement ! Ma chère collègue, le contenu de la loi de règlement est défini par la loi organique. (Mouvements divers sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Nicole Bricq. J’ai rappelé divers épisodes !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Madame Bricq, non seulement vous vous exprimez longuement, mais encore vous m’empêchez de vous répondre ! Dans ce cas, je retourne m’asseoir !

M. Jean-Claude Peyronnet. Nous vous écoutons religieusement, monsieur le rapporteur. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission des lois avait émis quelques réserves sur l’amendement qu’avait adopté le Sénat en première lecture. Subordonner l’application d’une disposition votée dans le cadre d’un projet de loi à sa validation en loi de finances ou en loi de financement de la sécurité sociale reviendrait à établir une hiérarchie entre les lois financières et les autres lois. Pour ce seul motif, et après avoir entendu les arguments qu’a opposés l’Assemblée nationale à une telle disposition, je considère qu’il vaut mieux que nous en restions là, même si de hautes autorités nous avaient convaincus de voter cet amendement en première lecture…

En revanche, s’agissant des lois organiques et de la consolidation des comptes et des mesures fiscales par la loi de règlement, la question se pose différemment. Pour autant, cela ne signifie pas qu’il faille soumettre toute mesure fiscale adoptée dans le cadre d’une loi autre qu’une loi de finances ou qu’une loi de financement de la sécurité sociale à une confirmation par l’une ou l’autre de ces deux types de loi. C’est totalement différent.

C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Madame Bricq, vous proposez que les règles relatives aux impôts et aux cotisations sociales ne s’appliquent, au-delà du 31 décembre, que si une loi de finances ou une loi de financement de la sécurité sociale le prévoit expressément. C’est un mécanisme intéressant pour s’assurer que les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale comprendront bien toutes les dispositions fiscales et sociales.

Néanmoins, le Gouvernement craint les conséquences d’un tel dispositif en termes de sécurité juridique pour les contribuables et les redevables. À l’annonce d’une nouvelle exonération, les entreprises et les particuliers pourraient prendre des décisions de long terme, par exemple embaucher un salarié, et, quelques mois plus tard, découvrir que l’exonération n’existe plus. Ce n’est donc pas satisfaisant.

Il est très important d’avoir une vision globale des finances publiques, mais nous avons d’autres moyens pour ce faire.

Par conséquent, le Gouvernement souhaite le retrait de cet amendement. À défaut, il émettra un avis défavorable.

M. le président. Madame Bricq, l’amendement n° 109 est-il maintenu ?

Mme Nicole Bricq. Bien évidemment, je le maintiens, monsieur le président !

Mes chers collègues de la majorité, je vous ferai remarquer que ce matin, au cours du débat d’orientation budgétaire, vous avez défendu la position que je vous propose d’adopter.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État, et M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non !

Mme Nicole Bricq. Ne dites pas alors que vous vous souciez des finances publiques ! Ce n’est pas vrai !

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le secrétaire d’État, quelle différence faites-vous entre un redevable et un contribuable ? Vous avez utilisé les deux termes. Pour ma part, je ne vois pas de différence entre ces deux catégories.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Les contribuables sont ceux qui paient l’impôt, tandis que les redevables sont ceux qui paient une redevance.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 109.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 108, présenté par MM. Frimat, Badinter et Bel, Mme Bricq, MM. Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Massion, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Supprimer le dernier alinéa du 5° de cet article.

La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 20, présenté par M. Lambert, est ainsi libellé :

Compléter la première phrase du dernier alinéa du 5° de cet article par les mots :

ainsi que la liste des missions du budget de l’État

Cet amendement n’est pas soutenu.

Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 108 ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Avis défavorable !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Avis défavorable !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 108.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 21, présenté par M. Lambert, est ainsi libellé :

Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

…° Avant le dernier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« À compter de l’exercice de l’année 2012, les comptes publics de la France sont exécutés en équilibre, conformément aux engagements pris par la France auprès de ses partenaires de l’Union européenne. L’application de cette règle tient compte du cycle économique. »

Cet amendement n’est pas soutenu.

Je mets aux voix l’article 11.

(L’article 11 est adopté.)

Article 11
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 13

Article 12

Après l’article 34 de la Constitution, il est inséré un article 34-1 ainsi rédigé :

« Art. 34-1. - Les assemblées peuvent voter des résolutions dans les conditions fixées par la loi organique.

« Sont irrecevables et ne peuvent être inscrites à l’ordre du jour les propositions de résolution dont le Gouvernement estime que leur adoption ou leur rejet serait de nature à mettre en cause sa responsabilité ou qu’elles contiennent des injonctions à son égard. »

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 110, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi le texte proposé par cet article pour l’article 34-1 de la Constitution :

« Art. 34-1. - Les assemblées parlementaires peuvent voter des résolutions. Celles-ci sont transmises au Gouvernement et publiées au Journal officiel. »

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. L’article 12 du projet de loi constitutionnelle traite des résolutions. Hier, lors de la discussion générale, j’ai tenu à rappeler la rédaction de l’article tel qu’adopté par l’Assemblée nationale en deuxième lecture. Permettez-moi d’en faire de nouveau la lecture devant vous, mes chers collègues de la majorité, car je ne puis concevoir que vous n’éprouviez pas quelque difficulté à voter cet article : « Sont irrecevables et ne peuvent être inscrites à l’ordre du jour les propositions de résolution dont le Gouvernement estime que leur adoption ou leur rejet serait de nature à mettre en cause sa responsabilité […]. »

Très franchement, mes chers collègues, comment peut-on envisager d’inscrire dans la Constitution une disposition qui est contraire au principe de la séparation des pouvoirs ?

M. Robert Bret. C’est exact !

M. Jean-Pierre Sueur. Le Parlement, par essence, a le droit de voter toutes les résolutions qu’il veut !

M. Robert Bret. Et même le devoir !

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le secrétaire d’État, vous êtes attaché à l’esprit de nos institutions ainsi qu’à la philosophie de Montesquieu. Comment pouvez-vous justifier un article aux termes duquel le Parlement ne pourrait voter des résolutions qu’à la double condition que le Gouvernement les juge opportunes et qu’elles ne mettent pas en cause tel ou tel aspect de sa politique ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais non !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est incroyable !

M. Robert Bret. C’est à l’image de la majorité !

M. Jean-Pierre Sueur. Un Parlement élu démocratiquement a le droit de voter des résolutions, quand bien même celles-ci porteraient sur des sujets déplaisant au Gouvernement. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat approuve.) Si quelqu’un pense le contraire, je lui saurais gré de m’en expliquer les raisons.

Mes chers collègues, il serait absurde d’accepter de légiférer alors que le Président de la République se substitue purement et simplement au constituant, au législateur et aux rédacteurs des règlements de l’Assemblée nationale et du Sénat.

D’un côté, le Président proclame son intention d’accorder des droits supplémentaires au Parlement,…

M. Jean-Pierre Sueur.… d’un autre côté, par journal interposé, il rédige lui-même les amendements, les articles de la Constitution et le règlement de chacune des assemblées, ainsi qu’on a pu le constater à la lecture d’un quotidien national.

Ainsi, monsieur le secrétaire d’État, le Parlement ne devrait être autorisé à voter des résolutions qu’à la seule condition qu’elles conviennent au Gouvernement !

MM. Dominique Braye et Christian Cointat. Ce n’est pas ce que dit le texte !

M. Jean-Pierre Sueur. Cette situation est non seulement paradoxale, mais encore stupéfiante !

Je le répète, mes chers collègues, si l’un d’entre vous considère qu’une telle disposition est légitime, je serai très heureux d’entendre ses arguments !

Dans quelques instants, nous allons nous prononcer sur cet amendement. Nous écouterons donc avec un immense intérêt les explications de vote de nos collègues de la majorité sénatoriale.

M. Didier Boulaud. Ils se coucheront, comme d’habitude !

M. le président. L’amendement n° 52, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Supprimer le second alinéa du texte proposé par cet article pour l’article 34-1 de la Constitution.

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Moi aussi, je considère cette disposition comme parfaitement irrecevable. Je ne vois d’ailleurs pas concrètement comment elle pourrait s’appliquer. Le Parlement devra-t-il demander l’autorisation au Gouvernement d’examiner telle ou telle résolution ? Mais enfin, la majorité gouvernementale, qui plus est la majorité présidentielle, sous ce régime de plus en plus présidentiel, sera libre de ne pas voter les résolutions qu’elle n’approuve pas ! Dès lors, je ne comprends pas pourquoi il faudrait solliciter l’autorisation du Gouvernement préalablement à la discussion d’une résolution, avant même de savoir si elle recueillera l’approbation d’une majorité de parlementaires.

Franchement, la manière dont on veut que le Parlement fonctionne m’échappe totalement. Il nous faut absolument supprimer cette disposition.

M. le président. L’amendement n° 51, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Compléter le texte proposé par cet article pour l’article 34-1 de la Constitution par un alinéa ainsi rédigé :

Elles s’imposent au Gouvernement.

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien évidemment, je me fais une tout autre idée des résolutions que celle qui nous est proposée. Étant entendu que les résolutions seront votées par une majorité, puisque au Parlement tout texte, quel qu’il soit, est adopté par une majorité, elles doivent s’imposer au Gouvernement.

(M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron

vice-président

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En première lecture, l’Assemblée nationale avait rejeté l’article concernant les résolutions, qui avait d’ailleurs été proposé par le comité Balladur.

Le Sénat avait estimé que le Parlement pouvait être autorisé, par la Constitution, à voter des résolutions – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui – d’autant qu’il existe déjà des résolutions européennes.

Nous avions précisé, après un long débat, que les résolutions ne devaient ni directement ni indirectement mettre en cause la responsabilité du gouvernement.

Il s’agit d’un sujet très intéressant. Nous avons donc effectué quelques recherches qui ont montré qu’en 1959 les règlements de l’Assemblée nationale et du Sénat avaient prévu le vote de résolutions. Le Conseil constitutionnel avait alors refusé ce droit au Parlement, considérant qu’il était dépourvu de fondement constitutionnel.

Le texte qui nous est proposé aujourd’hui correspond exactement à celui du projet de règlement élaboré par l’Assemblée nationale en 1959. Il précise ce que le Sénat avait voulu faire en première lecture.

En conséquence, je suis défavorable aux amendements nos 110, 52 et 51.

Je rappelle que les conditions qui encadreront le vote des résolutions seront fixées par la loi organique.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous avons donc la garantie que toutes les conditions seront réunies pour permettre le vote de résolutions.

M. Jean-Pierre Sueur. Ce n’est pas possible de faire figurer cette restriction dans la Constitution.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur Sueur, je vous écoute toujours avec une grande patience.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous semblez plutôt bien impatient !

M. Jean-Pierre Sueur. Je me permets de vous interrompre.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais je ne l’accepte pas.

M. Jean-Pierre Sueur. Je le fais gentiment !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Alors je vous demande gentiment de me laisser terminer.

Les dispositions de l’article 12 sont de nature à éviter le vote de lois mémorielles comme nous en avons déjà connu. C’est la raison pour laquelle j’ai toujours plaidé pour que le Parlement puisse adopter des résolutions. Je trouve très néfaste que l’on ait voté certaines lois dépourvues d’efficacité, mais qui jugeaient l’histoire. (Très bien sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Monsieur Sueur, vous évoquiez à l’instant l’Esprit des lois. Montesquieu appelait à tenir compte non seulement de la culture politique d’un pays, mais même de son climat.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Nous ne pouvons pas ne pas nous souvenir des pratiques de la IVRépublique. C’est aussi cela notre culture politique.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Il faut tenir compte de notre histoire. C’est le sens de l’article 12.

Vous proposez de réécrire cet article qui permet aux assemblées de procéder au vote de résolutions et également d’en encadrer la pratique.

Je tiens à rappeler, car je ne voudrais pas que l’on fît semblant de le découvrir, qu’aujourd’hui, en dehors des résolutions européennes, le Parlement ne vote pas de résolutions de portée générale. On nous dit : le Parlement vote des résolutions comme il l’entend. Non ! pour l’instant il ne le peut pas !

Le Gouvernement est attaché à la rédaction de compromis trouvée à l’Assemblée nationale. Elle permet de donner au Parlement un moyen d’expression important, comme c’est le cas dans toutes les démocraties européennes, tout en évitant les dérives qui existaient sous la IVe République, alors que, vous le savez, les résolutions se sont révélées être un moyen de mise en jeu, de manière détournée, de la responsabilité du gouvernement.

Il est dans l’esprit de notre Constitution que le gouvernement puisse éviter la dérive d’une telle procédure. C’est également dans cet esprit que les résolutions ne peuvent s’imposer au gouvernement. Dans ces conditions, je ne peux qu’émettre un avis défavorable sur les trois amendements.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, je tiens à répondre aux deux arguments qui viennent de nous être opposés, l’un par M. le rapporteur, l’autre par M. le secrétaire d’État.

Monsieur le rapporteur, j’ai effectivement interrompu votre propos, permettez-moi maintenant de reprendre ce que je disais.

Vous avez fait référence à une loi organique…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Absolument !

M. Jean-Pierre Sueur… qui fixerait les conditions dans lesquelles les résolutions pourraient être votées par les assemblées du Parlement.

J’observe que la rédaction de l’article 12 du projet de loi constitutionnelle issue des travaux de l’Assemblée nationale ne renvoie pas à une loi organique, mais qu’y figure et donc que figurera dans la Constitution la phrase suivante : « Sont irrecevables et ne peuvent être inscrites à l’ordre du jour les propositions de résolution dont le gouvernement estime » qu’elles ne lui conviennent pas. Certes, il y aura bien une loi organique qui déterminera les conditions dans lesquelles seront discutées ces résolutions, je n’ai jamais prétendu le contraire, mais cela n’enlève rien au fait qu’il sera inscrit dans la Constitution qu’elles devront recevoir l’agrément du Gouvernement.

Il y a là quelque chose de très fort : alors même que l’on constitutionnalise l’existence de résolutions parlementaires, on en subordonne l’existence à l’appréciation du gouvernement, ce qui est bien évidemment contraire au principe de la séparation des pouvoirs.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non !

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le secrétaire d’État, comme vous l’avez-vous-même déclaré, les résolutions ne sauraient en aucun cas s’imposer au gouvernement. Il n’y aura donc aucune injonction.

Bref, le fait que le Parlement ne puisse pas s’exprimer librement, dès lors que le gouvernement considère que ce n’est pas opportun,…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il ne s’agit pas de cela. Il s’agit de la mise en cause de la responsabilité du gouvernement.

M. Jean-Pierre Sueur.… est totalement contraire au principe de la séparation des pouvoirs, d’autant que lesdites résolutions ne s’imposent en aucun cas au gouvernement.

Cette restriction est véritablement inacceptable. C’est pourquoi nous avons demandé un scrutin public sur cet amendement.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez évoqué l’Esprit des lois. J’ai la conviction que, s’il vous avait entendu, l’auteur de ce livre n’aurait pas manqué d’écrire une nouvelle Lettre persane…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On pourrait en écrire sur le parti socialiste, des Lettres persanes !

M. Jean-Pierre Sueur.… pour stigmatiser avec ironie un régime parlementaire fondé sur la séparation des pouvoirs, dans lequel on subordonne le vote de résolutions par le Parlement à l’appréciation souveraine du gouvernement.

Tout cela est bien contradictoire et bien difficile à défendre !

M. Didier Boulaud. C’est un coup de force !

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mes chers collègues, nous touchons à l’absurde.

M. Christian Cointat. Absolument ! (Sourires sur les travées de lUMP.)

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Même si le texte qui nous est soumis comporte des idioties, comme vous voulez une adoption conforme, nous pouvons toujours dire ce que nous voulons, vous continuez à en adopter toutes les dispositions.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est vrai !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous en prenez la responsabilité, mais, dès lors, les débats ne servent plus à rien…

M. Patrice Gélard. Nous sommes d’accord !

M. Michel Dreyfus-Schmidt.… et le Sénat non plus.

M. Didier Boulaud. Il se couche.

M. Patrice Gélard. Là, nous ne sommes plus d’accord !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il y a des gens qui lisent le Journal officiel

L’article 12 prévoit, dans son second alinéa, que « les assemblées peuvent voter des résolutions dans des conditions fixées par la loi organique ». Tout est dit : la loi organique apportera les précisions nécessaires.

Et voilà qu’a été ajouté – et au nom du vote conforme, vous voulez que ce soit maintenu – que « sont irrecevables et ne peuvent être inscrites à l’ordre du jour les propositions de résolutions dont le gouvernement estime que leur adoption ou leur rejet serait de nature à mettre en cause sa responsabilité ou qu’elles contiennent des injonctions à son égard. »

On aurait pu comprendre, à la rigueur, que l’on ait confié au Conseil d’État ou au Conseil constitutionnel la mission de vérifier les conséquences de l’adoption d’une proposition de résolution. Mais il est absurde de prévoir que ce soit le gouvernement lui-même qui décide.

Je suis persuadé que chacune et chacun d’entre vous en est convaincu, mais comme ce texte doit être voté conforme, alors vous allez le voter conforme… Ce n’est pas du travail !

Pour notre part, nous voterons contre cette disposition.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le secrétaire d’État, certes, aujourd’hui, le Parlement ne peut pas voter de résolution puisqu’il n’a pas dans ce domaine de droits comparables à ceux qui existent dans de nombreux pays.

Il a donc été décidé, par l’article 12, que le Parlement serait désormais autorisé à voter des résolutions. Quelle audace extraordinaire ! Mais, avant de discuter une résolution, le Parlement devra demander au gouvernement si ladite résolution ne le dérange pas. Pour l’heure, nous ne savons même pas encore dans quelles conditions cette proposition de résolution pourra être votée.

Je ne reprendrai pas les arguments qui ont été développés sur la séparation des pouvoirs. Mais il est sûr que, si cette révision constitutionnelle est votée, il en sortira une confusion extrême des pouvoirs.

D’un point de vue pratique, eu égard au fonctionnement normal des assemblées, je conçois mal que l’on puisse tenir des propos aussi absurdes !

M. Didier Boulaud. Grossiers !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les propositions de résolutions seront soit votées, soit rejetées par les assemblées. Il est donc inutile que le gouvernement, par un moyen que nous ignorons, décide de leur recevabilité.

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.

M. Robert Badinter. Tout a été dit ! Je me demande malgré tout comment on peut vouloir inscrire dans une Constitution une disposition qui, à la fois, affirme le droit de résolution – ce qui est très bien – et soumet ce droit à la censure du gouvernement, puisqu’il est écrit que c’est « le gouvernement [qui] estime » si sa responsabilité peut être mise en cause.

Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Si le gouvernement veut s’exprimer, il fera entendre sa voix au moment où l’Assemblée ou le Sénat délibérera. Mais comment peut-il lui-même déclarer irrecevable une proposition de résolution en fonction d’une estimation que l’on ne peut que qualifier de subjective ? Je ne vois vraiment pas comment on peut mettre en œuvre une telle disposition ?

La décision sera à la complète discrétion du gouvernement. Vous créez un droit de résolution. Vous affirmez que c’est un grand progrès, mais vous ajoutez aussitôt : « Excusez-nous, sa mise en œuvre est à la discrétion du gouvernement. » L’axiome « donner et retenir ne vaut » trouve ici tout son sens.

C’est pourquoi, ne serait-ce que pour la plus simple raison constitutionnelle, je vous demande, mes chers collègues, de ne pas accepter cet ajout dans la Constitution.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 110.

Je suis saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 140 :

Nombre de votants 327
Nombre de suffrages exprimés 291
Majorité absolue des suffrages exprimés 146
Pour l’adoption 121
Contre 170

Le Sénat n’a pas adopté.

Je mets aux voix l’amendement n° 52.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 51.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 12.

(L’article 12 est adopté.)

Article 12
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article additionnel après l'article 13

Article 13

L’article 35 de la Constitution est complété par trois alinéas ainsi rédigés :

« Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n’est suivi d’aucun vote.

« Lorsque la durée de l’intervention excède quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à l’autorisation du Parlement. Il peut demander à l’Assemblée nationale de décider en dernier ressort.

« Si le Parlement n’est pas en session à l’expiration du délai de quatre mois, il se prononce à l’ouverture de la session suivante. »

M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud, sur l’article.

M. Didier Boulaud. Cet article revêt pour nous une importance toute particulière, puisqu’il traite de la guerre, de la paix, de la défense et de la politique étrangère de notre pays.

Nous souhaitons l’amender pour qu’il apporte un changement réellement significatif dans un domaine où la VRépublique présente, reconnaissons-le, de sérieuses déficiences. C’est donc bien volontiers que nous remettons l’ouvrage sur le métier ! Nos amendements tendent à compléter et à améliorer la rédaction de l’article 13 du projet de loi ; ils entendent également souligner toute l’attention que le Parlement devrait porter aux opérations militaires, lesquelles engagent souvent des centaines de soldats français dans des conflits lointains.

Cet article devrait pouvoir constituer, pour le Parlement, une réelle avancée démocratique, de nature à permettre à la France de se comparer avantageusement aux autres grandes démocraties. Mais, pour en arriver là, il faudrait que nos amendements soient adoptés ! À défaut, nous resterons des nains politiques face à la toute puissance de l’exécutif.

Voilà pourquoi nous présentons plusieurs amendements qui, tous, poursuivent la même finalité, à savoir accroître le rôle du Parlement dans les domaines de la défense et des affaires étrangères et, ainsi, contribuer à la mise à mort du néfaste « domaine réservé », véritable tabou institué par la pratique institutionnelle de la Ve République.

Nos amendements cherchent également à créer un système équilibré, prudent, certes soucieux des prérogatives légitimes de l’exécutif, mais aussi capable de garantir la protection et la sécurité des hommes et des femmes qui participent aux opérations militaires extérieures.

Pour résumer, nous proposons un dispositif responsable et efficace.

D’abord, en demandant un vote du Parlement sur les interventions militaires, nous lui permettons d’assumer et d’exercer, en toute responsabilité, un véritable rôle de contrôle.

Ensuite, en soumettant toute prolongation d’une intervention militaire à une autorisation parlementaire, qui devra être renouvelée tous les six mois, nous garantissons l’efficacité de ce contrôle, celui-ci ne pouvant se réduire à un chèque en blanc donné une fois pour toutes.

Enfin, en demandant au Gouvernement d’informer le Parlement sur le contenu des accords de défense et de coopération militaire, nous apportons une contribution effective à la nécessaire rénovation de notre politique étrangère.

Telle est, monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, la philosophie générale de notre démarche. Nous souhaitons sortir du virtuel pour donner au Parlement les moyens de contrôler véritablement l’action de l’exécutif ; c’est la preuve de notre bonne volonté.

M. le président. Je suis saisi de neuf amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 53 rectifié, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit cet article :

L’article 35 de la Constitution est ainsi rédigé :

« Art. 35 - Toute intervention des forces armées à l’extérieure du territoire de la République est autorisée par le Parlement, y compris hors session. »

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Avec cet amendement, nous souhaitons donner au Parlement un réel pouvoir sur les conditions d’intervention de nos forces armées à l’étranger.

Aux termes de l’article 35 de la Constitution de la VRépublique, nos assemblées n’ont à se prononcer qu’en cas de déclaration de guerre. Or l’idée de déclarer officiellement la guerre dans des conflits d’une complexité sans commune mesure avec ceux d’hier n’est plus adaptée au monde d’aujourd’hui.

Cette disposition obsolète conduit donc à une situation dans laquelle la décision finale d’envoi de nos troupes reste du seul ressort du Président de la République, en sa qualité de chef des armées.

Cette pratique, qui tient d’ailleurs plus, comme Didier Boulaud vient de le rappeler, de la coutume que de la Constitution proprement dite, veut que les affaires étrangères et la défense constituent le domaine réservé du Président de la République. Elle ne correspond plus aux réalités et aux exigences de notre époque. Aussi souhaitons-nous que le Parlement soit amené à se prononcer par un débat, suivi d’un vote, sur l’opportunité d’une intervention à l’étranger et qu’il autorise le Gouvernement à la mener.

Pourquoi attendre quatre mois après le début d’une intervention pour solliciter l’autorisation du Parlement ? C’est au nom de la France et avec l’adhésion des représentants du peuple que la décision d’engager nos troupes doit être prise. Certes, il faut s’entendre sur la définition du terme « intervention » et préciser les critères permettant d’identifier celles qui doivent donner lieu à autorisation du Parlement.

Ces critères devraient, notamment, être quantitatifs, c’est-à-dire fonction de l’importance de l’opération, et prendre également en compte les répercussions politiques de l’intervention, tant intérieures qu’extérieures.

Il ne s’agit pas de faire en sorte que le Parlement se prononce sur tous les types d’interventions. Il faut exclure celles qui ont un caractère d’extrême urgence, par exemple celles qui visent à protéger nos ressortissants, celles qui nécessitent confidentialité et rapidité pour être efficaces, ou bien encore celles qui se déroulent à l’étranger, dans le cadre d’exercices communs avec d’autres pays. Il faut exclure également les interventions d’urgence décidées en application de l’article 51 de la Charte des Nations unies pour réagir à l’invasion d’un pays.

En revanche, lorsqu’il s’agit de l’envoi de militaires en corps constitués à des fins opérationnelles, ce qui peut comprendre des missions de combat, dans des situations politiques souvent complexes, et dans le cadre d’un mandat international, nous pensons que les élus du peuple doivent prendre leurs responsabilités.

Le projet de loi prévoit de demander l’autorisation du Parlement au bout de quatre mois. Mais n’est-il pas préférable de l’associer, en amont, à la décision initiale plutôt que de le mettre ainsi devant le fait accompli ?

Pour l’ensemble de ces raisons, nous vous proposons, mes chers collègues, une nouvelle rédaction de l’article 35 de la Constitution.

M. le président. L’amendement n° 55, présenté par Mme Demessine, MM. Bret, Hue et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit la dernière phrase du deuxième alinéa de cet article :

Cette information donne lieu à un débat suivi d’un vote dans les conditions fixées par le règlement des assemblées, dans les deux semaines suivant le début de l’intervention.

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Nous sommes l’un des rares pays européens dans lequel le Parlement n’est ni informé ni consulté lorsque nos armées sont amenées à intervenir à l’extérieur de nos frontières. Ce sont pourtant des décisions d’une grande importance, puisqu’elles sont menées au nom de la France et qu’elles engagent souvent la vie des hommes et des femmes qui servent dans nos forces armées.

Or ce type de décision est pris en cercle restreint et, in fine, par un seul homme, le Président de la République. À une époque où l’information circule vite, la représentation nationale ne peut plus être tenue à l’écart de décisions aussi graves.

Ces opérations, qui se sont multipliées ces dernières années, outre qu’elles sont dangereuses – il nous faut déplorer plusieurs dizaines de morts et plusieurs centaines de blessés –, sont de plus en plus longues et de plus en plus coûteuses. Dans ces conditions, il semble tout à fait logique, et même démocratique, de proposer un contrôle du Parlement sur l’emploi de nos forces armées à l’étranger.

En modifiant le rapport entre le Parlement et l’exécutif sur ce sujet essentiel, le texte qui nous revient de l’Assemblée nationale contient déjà de timides avancées dans le sens que nous souhaitons. Mais si vous avez vraiment la volonté, mes chers collègues, de renforcer les pouvoirs du Parlement, alors vous avez une excellente occasion de le prouver maintenant !

Ainsi, l’article 13 du projet de loi prévoit une information du Parlement sur les conditions et les objectifs des opérations extérieures, dans les trois jours qui suivent le début de celles-ci : c’est bien la moindre des choses ! Il prévoit également un débat, qui s’avère certes nécessaire pour que le pays, par la voie de ses représentants, puisse connaître les tenants et les aboutissants de chaque situation. Néanmoins, le Parlement ne saurait se satisfaire d’une simple information. Il faut également prévoir dans la Constitution l’autorisation par vote du Parlement ; ce serait tout simplement une marque de respect à l’égard du peuple français.

Les interventions de nos troupes à l’étranger, pour être légitimes, ne peuvent se réaliser qu’avec le soutien de la Nation. Comment peut-on imaginer que de telles opérations soient menées contre l’avis de l’opinion publique ou des forces politiques du pays ? À l’inverse, si les enjeux de l’opération sont clairement exposés, en toute transparence, pourquoi douter de l’adhésion du pays ?

Pour ces raisons, nous proposons, à travers cet amendement, que le Parlement puisse voter sur l’opportunité d’une opération extérieure quinze jours après le début de l’intervention. Ce délai de quinze jours nous paraît raisonnable en ce qu’il permet au Parlement d’intervenir avant que le déploiement de nos troupes ne devienne difficilement réversible.

M. le président. L'amendement n° 111, présenté par MM. Frimat, Boulaud, Badinter, Bel, Carrère, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit la dernière phrase du deuxième alinéa de cet article :

Cette information donne lieu à un débat qui peut être suivi d'un vote.

La parole est à M. Didier Boulaud.

M. Didier Boulaud. L’introduction dans la Constitution d’une procédure d’information et de contrôle du Parlement sur les interventions des forces armées à l’étranger constitue, certes, une nouveauté.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous le reconnaissez, quand même !

M. Didier Boulaud. Ce ne serait cependant qu’une avancée toute relative si nous étions cantonnés au rôle de spectateurs recevant une simple information.

M. Robert Bret. Une avancée bien timide, en effet !

M. Didier Boulaud. Naturellement, il ne s’agit pas d’empiéter sur les prérogatives de l’exécutif…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ah bon !

M. Didier Boulaud. … et nous n’entendons pas que puissent être mises en cause l’efficacité des interventions de nos forces armées ou la sécurité de nos militaires. À cet égard, le dispositif que nous proposons – une information donnant lieu à un débat, éventuellement suivi d’un vote – nous semble équilibré, rationnel et prudent.

Sur certains points, la pratique parlementaire future viendra fournir un mode d’emploi qui fait aujourd’hui défaut : ce sera notamment le cas pour les différents types d’interventions extérieures, les modes mêmes d’information du Parlement, la date de début de l’intervention, etc.

Sur ces sujets importants, nous pouvons accepter que l’article 13 du projet de loi laisse subsister des marges d’interprétation. Toutefois, il y a des principes sur lesquels nous ne voulons pas transiger. Que serait en effet un Parlement qui ne voterait même pas sur une question aussi essentielle que l’envoi de troupes à l’étranger ? Lorsqu’il s’agit d’envoyer sur une terre étrangère, à des fins opérationnelles, des militaires en corps constitués, il nous paraît indispensable que les Parlementaires puissent prendre leurs responsabilités en se prononçant par un vote. Du reste, un tel vote constituerait pour le Gouvernement un soutien indispensable.

Mes chers collègues, vous n’êtes pas sans savoir qu’un contingent français supplémentaire est en partance pour l’Afghanistan, où, hier encore, des militaires américains ont été tués. Le danger est donc réel ! Nous espérons tous, bien sûr, que nous n’aurons pas à déplorer de telles pertes dans les temps qui viennent. Il reste que, si le Parlement, lorsqu’il en a débattu, avait eu à se prononcer sur cette question de l’envoi de militaires en Afghanistan, le Gouvernement pourrait au moins se prévaloir du soutien du peuple exprimé par la voix de ses représentants. Aujourd’hui, il est trop tard, mais nous savons que les 550 militaires français qui se rendent en ce moment en Afghanistan vont se trouver confrontés, dans les semaines à venir, à des situations extrêmement périlleuses. Il est, par conséquent, fort regrettable que les représentants du peuple n’aient pas eu à se prononcer sur ce choix.

Ne nous trompons pas de débat : les parlementaires sauront faire preuve de responsabilité, tout comme le Gouvernement ; mais il nous faut un système équilibré, qui prenne en compte la nécessaire efficacité des opérations militaires et la non moins nécessaire protection des hommes et des femmes qui en sont les acteurs. Lorsque le pays est engagé dans une opération militaire – surtout si, comme je viens de l’expliquer, elle est complexe, dangereuse, difficile –, le Gouvernement a intérêt à pouvoir s’appuyer sur la confiance et le soutien de la représentation nationale. Sinon, il sera seul à assumer cette responsabilité. Pour notre part, mes chers collègues, nous sommes prêts à l’y aider ; j’espère qu’il en est de même pour vous.

Nous sommes sur le point de réaliser, avec l’article 13, une avancée démocratique majeure. Nous n’avons cependant pas inventé grand-chose puisque plusieurs grandes démocraties européennes ont déjà mis en place de tels dispositifs institutionnels. Toutefois, si nous voulons que le Parlement puisse à la fois être informé et contrôler la mise en œuvre des opérations, il nous faut adopter cet amendement, faute de quoi l’équilibre serait rompu.

M. le président. L'amendement no 112, présenté par MM. Frimat, Boulaud, Badinter, Bel, Carrère, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit la première phrase du troisième alinéa de cet article :

Lorsque la durée de l'intervention excède quatre mois, la poursuite des opérations est soumise au vote des assemblées tous les six mois.

M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud.

M. Didier Boulaud. Cet amendement s’inscrit dans la logique générale de nos propositions et la conforte.

Ces dernières années, les opérations extérieures se sont multipliées, et il y a fort à parier que cela continuera ; elles sont aussi plus complexes, plus longues et de plus en plus coûteuses. Leur contrôle continu par le Parlement est donc plus que jamais indispensable, surtout pour éviter l’enlisement de nos troupes et la dérive de nos finances publiques, dont il a beaucoup été question ce matin.

Le coût des interventions extérieures est élevé. En 2009, il est envisagé d’y consacrer 1 milliard d’euros ; ce sera probablement davantage ! Ces dépenses ont été évaluées à 880 millions d’euros pour l’année 2008, dont, malheureusement, seulement 475 millions avaient été programmés dans la loi de finances.

Nous souhaitons donc pouvoir exprimer la même attention à l’égard des interventions qui se prolongent et s’installent dans la durée, contraignant nos forces armées à des efforts importants en matière de relève et la nation, à des efforts budgétaires croissants. Il y va de la crédibilité et donc de l’efficacité de notre engagement. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles ce ne sont pas 700 militaires, mais seulement 550 qui partent pour l’Afghanistan : le problème de la relève se pose déjà !

Les parlementaires peuvent exercer un droit de contrôle sur les opérations sur place. Ainsi, notre commission des affaires étrangères et de la défense, dont je salue l’initiative, développe des missions en ce sens en se rendant sur les théâtres d’opération à raison de deux parlementaires sur chaque théâtre, ce qui est très bien.

C’est très bien, mais nous pensons qu’il n’en est que plus nécessaire de donner au Parlement, quand les interventions se prolongent, la capacité de voter pour renouveler, le cas échéant, son autorisation concernant ce type d’interventions extérieures. Il ne serait pas logique de donner une autorisation une fois pour toutes… Ce n’est pas la guerre de Cent Ans ! Certaines opérations extérieures ont tendance à durer des années, et même à s’enliser. Le Parlement doit-il, alors, rester les bras ballants ?

Nous demandons simplement que le vote du Parlement soit ensuite réitéré, car il ne serait pas normal qu’il ne puisse plus en délibérer : nous considérons qu’on ne peut pas donner au Gouvernement une autorisation valable pour… l’éternité !

M. le président. L'amendement no 57, présenté par Mme Demessine, MM. Bret, Hue et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après la première phrase du troisième alinéa de cet article, insérer une phrase ainsi rédigée :

L'autorisation de cette prolongation est renouvelée de quatre mois en quatre mois.

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Cet amendement a pour double objet d’éviter les dangers d’enlisement d’une opération extérieure que vient d’évoquer Didier Boulaud et de combler un vide juridique.

On voit bien que, lorsqu’une opération dure trop longtemps et que les raisons qui l’ont motivée ont évolué – je pense précisément à la Bosnie, à l’Afghanistan ou encore à la Côte d’Ivoire –, il convient de s’interroger sur l’opportunité de la présence de nos troupes dans le pays où elles opèrent. Quelle est la meilleure façon de le faire pour les opérations qui, comme c’est actuellement le cas pour certaines, se poursuivent depuis trois, quatre ou cinq ans, sinon d’en saisir le Parlement ?

Il nous est proposé, dans le projet, d’autoriser la prolongation d’une intervention à l’étranger si celle-ci excède quatre mois, ce délai correspondant grosso modo à la durée moyenne de séjour des unités envoyées à l’étranger, le problème de la relève se posant ensuite. Mais que se passera-t-il quatre mois après que les assemblées auront voté l’autorisation, si l’opération se poursuit ? Si rien n’est prévu, comment seront-elles informées de l’évolution de la situation ? Surtout, pourquoi n’auraient-elles pas à se prononcer de nouveau sur le maintien ou le retrait de nos troupes ?

Nous vous proposons donc, mes chers collègues, le renouvellement régulier, par un vote tous les quatre mois, de l’autorisation de prolonger une intervention militaire à l’étranger.

M. le président. L'amendement no 56, présenté par Mme Demessine, MM. Bret, Hue et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après la première phrase du troisième alinéa de cet article, insérer une phrase ainsi rédigée :

Cette prolongation est autorisée en vertu d'une loi.

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Le Gouvernement devrait désormais soumettre à l’autorisation du Parlement la prolongation d’une intervention de nos troupes à l’étranger lorsque la durée de celle-ci excède quatre mois. Il faut le reconnaître, c’est là une avancée démocratique qui, assurément, permettra à la fois un meilleur contrôle du Parlement sur l’engagement de nos forces et une forme d’association de la représentation nationale à ce type de décision.

Toutefois, les modalités de cette décision ne sont pas vraiment précisées.

Irritée par une formulation maladroite de nos collègues députés et soucieuse d’harmoniser cette procédure avec celle qui est prévue à l’article 53 de la Constitution pour la ratification des accords internationaux, la Haute Assemblée avait décidé, en première lecture, que l’autorisation serait donnée en vertu d’une loi. Il semble que, en effet, s’agissant de décisions de cette importance – qui, je le rappelle, engagent le Gouvernement et ont des conséquences sur la vie des personnels, la sécurité de nos compatriotes et le poids de notre pays dans le monde –, la procédure législative, même si elle est un peu lourde, marque le niveau de solennité nécessaire.

C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je vous propose, au travers de cet amendement, de rétablir la procédure législative pour autoriser la prolongation d’une intervention de nos troupes à l’étranger.

M. le président. L'amendement no 11, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

I. – Après l'avant-dernier alinéa de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé :

« À l'expiration d'un délai de six mois après la première autorisation de prolongation de l'intervention, le Gouvernement soumet toute nouvelle prolongation à l'autorisation du Parlement, dans les conditions fixées à l'alinéa précédent. Cette autorisation devra intervenir, pour toute prolongation ultérieure, tous les six mois dans les mêmes conditions.

II. – Dans le dernier alinéa de cet article, remplacer les mots :

du délai de quatre mois

par les mots :

des délais mentionnés aux alinéas précédents

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement concerne également la prolongation des interventions.

Si nous décidons, à travers cette réforme, de mieux contrôler l’envoi des forces françaises à l’étranger, il faut alors les contrôler du début à la fin.

Le contrôle doit commencer en amont et porter notamment sur la légalité de l’intervention. Or, si j’ai bien compris les propos de M. Charasse lors de la première lecture, l’absence de ratification peut amener à s’interroger sur cette légalité. C’est donc un véritable problème, et il devrait être traité très tôt dans le processus d’autorisation.

Par ailleurs, dans sa rédaction actuelle, l’article 13 conduirait purement et simplement, une fois la prolongation de l’intervention votée, à accorder un blanc-seing au Gouvernement au bout de quatre mois de présence.

Notre rôle n’est pas seulement de contrôler l’envoi des troupes ; il est également de contrôler leur évolution et leur maintien. Malheureusement, l’article13 est muet sur cette question : une fois les forces envoyées et la prolongation accordée, le Parlement fermera les yeux sur l’avenir de nos contingents ainsi que sur l’issue de l’intervention.

Pourtant, s’agissant des interventions à l’étranger, le véritable risque tient non pas à l’envoi des troupes, mais à l’enlisement éventuel dans des opérations militaires aussi inutiles que coûteuses en termes financiers et humains. L’expérience américaine en Irak mais aussi celle des troupes françaises en Afghanistan nous le prouvent aujourd’hui ; et elles risquent de nous le prouver encore longtemps !

Le contrôle sera donc non seulement un contrôle d’opportunité, mais aussi un contrôle d’efficacité. Il permettra au Gouvernement de justifier devant la représentation nationale l’utilité stratégique et politique de l’intervention.

C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous propose de mettre en place un contrôle régulier du maintien des troupes françaises à l’étranger. Puisque le projet de loi vise à octroyer davantage de pouvoirs au Parlement, notamment un pouvoir de contrôle, je vous suggère de donner corps à cette volonté en adoptant cet amendement.

Par ailleurs, notre proposition permettrait également à nos concitoyens de mieux comprendre l’intervention des troupes françaises à l’étranger ; car le peuple se pose parfois des questions sur l’opportunité et l’efficacité de certaines opérations militaires.

M. le président. L'amendement no 113, présenté par MM. Frimat, Boulaud, Badinter, Bel, Carrère, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le dernier alinéa de cet article :

« Si le Parlement n'est pas en session à l'expiration du délai de quatre mois, il est réuni en session extraordinaire. »

La parole est à M. Didier Boulaud.

M. Didier Boulaud. S’il se produit des événements d’une particulière gravité nécessitant un engagement très important des forces armées, on ne peut pas imaginer que le Gouvernement laisse le Parlement dans l’ignorance de la situation. Nous pouvons donc penser qu’il convoquera une session extraordinaire, et ce serait bien normal.

Toutefois, nous ne souhaitons pas que la réunion du Parlement en session extraordinaire reste à l’exclusive discrétion de l’exécutif. C’est la raison pour laquelle il nous paraît nécessaire de prévoir que cette session extraordinaire sera convoquée de droit.

M. le président. L'amendement no 114, présenté par MM. Frimat, Boulaud, Badinter, Bel, Carrère, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

La parole est à M. Didier Boulaud.

M. Didier Boulaud. Il s’agit ici du thème récurrent de la nécessaire information du Parlement sur le contenu des accords de défense et de coopération militaire. Le sujet est même devenu une sorte de « marronnier » parlementaire : à chaque réforme, on en reparle ! On promet aussi beaucoup, mais nous ne voyons jamais rien venir !

Afin d’en finir avec cette lancinante ritournelle, nous proposons d’inclure dans la Constitution une disposition tout à fait claire, prévoyant simplement que « le Gouvernement informe le Parlement du contenu des accords de défense et de coopération militaire en vigueur, dans les conditions fixées par le règlement des assemblées ».

Cela nous paraît d’autant plus indispensable que, à l’exception de celles auxquelles nous participons en vertu d’un mandat international, nos interventions militaires à l’étranger se fondent souvent sur des accords de défense signés avec des pays tiers.

Je rappelle que le Président de la République s’est lui-même engagé « à rendre publics tous nos accords de défense ». C’était le 28 février 2008. Certes, il s’exprimait devant le Parlement sud-africain, mais j’imagine que cela valait aussi pour le Parlement français !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela n’a pas à être inscrit dans la Constitution !

M. Didier Boulaud. Certains de ces accords, on ne peut pas l’ignorer, mes chers collègues, peuvent avoir des conséquences politiques et militaires de taille : ils légitiment juridiquement et politiquement l’engagement de nos troupes et déterminent le caractère de nos interventions. Ce fut le cas au Rwanda, en Côte d’Ivoire et, plus récemment, au Tchad.

Le Parlement doit-il encore et toujours rester en marge ?

Aujourd’hui, rien ni personne ne devrait s’opposer à ce que nous puissions inscrire dans la Constitution un principe sur lequel tout le monde, ici comme à l’Assemblée nationale, semble d’accord.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. J’ai eu l’impression, monsieur le président, de revivre la première lecture : mêmes amendements, mêmes discours de M. Boulaud…

M. Didier Boulaud. Et toujours aussi brillants ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Sans doute, mais une fois suffit : nous en étions tellement pénétrés en première lecture que nous n’avions pas besoin d’une répétition, d’autant moins que, hélas, elle ne fut pas plus brève !

Quoi qu’il en soit, toutes les explications ont été données en première lecture.

C’est tout de même paradoxal : jamais dans la Constitution le Parlement n’avait été associé à ces questions, et cette réforme, vous l’avez d’ailleurs vous-même reconnu, monsieur Boulaud, marque un renforcement indéniable des pouvoirs du Parlement. Mais vous voulez toujours plus !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En deuxième lecture, l’Assemblée nationale n’a apporté au texte adopté par le Sénat en première lecture que des changements de pure forme, et ces corrections méritaient effectivement d’être apportées. C’est même pour cette raison que cet article fait l’objet de la navette : sans ces corrections de pure forme, aucun amendement n’aurait, de toute façon, pu être déposé ! Rien n’a été modifié sur le fond, et le résultat nous convient parfaitement ! En l’occurrence, il ne s’agit pas de voter conforme : nous sommes en accord total avec l’Assemblée nationale !

J’émets donc un avis défavorable sur tous les amendements identiques à ceux que nous avons examinés en première lecture.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Ainsi que vient de le souligner le rapporteur, cet article 13 du projet marque incontestablement une avancée démocratique importante, qui doit permettre au Parlement d’être informé et de contrôler la mise en œuvre des opérations extérieures.

Il faut, bien sûr, un système équilibré. Deux impératifs doivent être conciliés : d’une part, l’efficacité des opérations militaires que nous devons réaliser ainsi que la protection des hommes et des femmes qui les mènent ;…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. … d’autre part, la nécessité, reconnue dans cet article 13, du contrôle parlementaire sur des opérations qui engagent notre pays.

Le Gouvernement a été à l’écoute du Parlement en première lecture. Les délais initialement prévus ont été réduits en ce qui concerne tant l’information du Parlement que la demande de son autorisation. Je pense sincèrement que l’équilibre qui a été trouvé est plutôt satisfaisant et correspond à la fois à une meilleure information du Parlement et, naturellement, à la protection du sort de nos soldats engagés à l’extérieur.

Cet équilibre ayant été trouvé en première lecture, le Gouvernement est défavorable à l’ensemble des amendements.

M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud, pour explication de vote.

M. Didier Boulaud. Monsieur le président de la commission des lois, c’est vrai, nous demandons toujours plus, et nous avons bien raison !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non !

M. Didier Boulaud. Je rappellerai simplement le débat qui s’est déroulé dans cet hémicycle sur la constitution de la délégation parlementaire au renseignement, dont nous faisons partie, vous et moi.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Et dont je ne parle pas !

M. Didier Boulaud. En l’espèce, on aurait été bien inspiré de nous écouter et de demander plus !

Depuis six mois que cette délégation existe, permettez-moi de le dire, elle vivote !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On n’est pas censé parler de ce qui est fait par cette délégation !

M. Didier Boulaud. Si l’on avait été un peu plus ambitieux lors de sa création, il est probable qu’elle serait un peu plus efficiente !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il est du devoir des membres de la délégation de ne pas s’exprimer sur ce qu’elle fait.

M. Alain Gournac. C’est un engagement qui a été pris !

M. Didier Boulaud. J’ai seulement dit qu’elle ne faisait rien. Elle dort !

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour explication de vote.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je suis vraiment désolé de contrarier M. le rapporteur : je n’ai pas l’intention de faire durer le débat, mais il me semble utile de l’éclairer sur un point, ainsi que tous nos collègues.

Certes, nous formulons des propositions que nous avons déjà formulées en première lecture, mais, entre-temps, nos principes n’ont pas changé : nous sommes donc fondés à intervenir sur une question qui nous paraît principielle. Je pense qu’il ne se trouvera pas ici un seul de nos collègues pour affirmer que la question de la vie et de la mort, qui est sous-jacente dans toute intervention militaire, n’est pas d’ordre principiel. Par conséquent, il est légitime que nous nous y attachions et que nous insistions.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Jusqu’à présent, le Parlement n’était pas informé !

M. Jean-Luc Mélenchon. On ne peut pas, sur une telle question, parler d’« avancée ».

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Si !

M. Jean-Luc Mélenchon. Nous ne négocions pas ! Le peuple est souverain. Il est un et indivisible, sa représentation de même. On se conforme aux principes que l’on défend ou on ne s’y conforme pas.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Quand même !

M. Jean-Luc Mélenchon. Pour nous qui sommes les héritiers lointains du texte de Jean Jaurès sur l’armée nouvelle (M. le rapporteur s’exclame), quelle que soit la forme de l’armée, y compris quand elle est professionnelle, elle est le peuple en armes. Par conséquent, la légitimité de l’intervention de la force, c’est la démocratie et cette légitimité est acquise dès lors qu’elle est l’expression du souverain, à savoir le peuple. Voilà pourquoi nous y attachons autant d’importance et d’intérêt.

Vous pourriez dire que le Président de la République, quand il prend la décision, est aussi l’expression de la souveraineté du peuple.

M. Jean-Luc Mélenchon. Oui, mais le pouvoir réside dans le Parlement, et lorsque vous vous présentez devant lui quatre mois après avoir engagé des troupes, il n’est pas vrai que sa décision est libre…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est la fonction exécutive !

M. Jean-Luc Mélenchon. …parce que le Parlement est composé de parlementaires responsables, qui savent que la présence des troupes sur le terrain modifie les conditions dans lesquelles la décision peut être prise, vous le savez comme moi. Regardez nos amis américains, qui ont fait la sottise d’aller en Irak malgré l’avis que la France avait exprimé avec beaucoup de prescience. Maintenant, même ceux qui étaient opposés à la guerre d’Irak savent bien que l’on ne peut pas retirer les troupes comme cela, parce qu’il s’agit d’une guerre et que l’on ne se retire pas d’un conflit du jour au lendemain.

Par conséquent, monsieur le secrétaire d’État, ce n’est pas vrai que l’on améliore l’information du Parlement. (M. le secrétaire d’État manifeste son désaccord.) Le Parlement n’a pas à être informé : il doit décider.

MM. Jean-Jacques Hyest, rapporteur, et Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Avant, on le consultait quand ?

M. Jean-Luc Mélenchon. Voilà un des faux-semblants de cette réforme : on donne le sentiment que l’on améliore l’autorité du Parlement parce qu’on le consultera quatre mois après avoir engagé des troupes. Mais il s’en passe des choses en quatre mois ! Oui, on peut dire que c’est une information, mais ce n’est plus une décision.

Donc, a contrario, l’introduction dans la Constitution d’une disposition ainsi rédigée signifie que le Parlement est dessaisi de la décision de faire intervenir des troupes.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est incroyable d’entendre cela !

M. Jean-Luc Mélenchon. Auparavant, il y avait un flou, un vide, qui faisait que l’on pouvait imputer telle ou telle caractéristique du chef de l’État qui procédait ou ne procédait pas à cette consultation.

Et ne me dites pas que démocratie et efficacité militaires sont contraires ! Deux exemples prouvent l’inverse.

Premièrement, pour ce qui est de la France, la Grande Guerre de 1914-1918 a été intégralement soumise au contrôle du Parlement, qui se réunissait en comité secret. Cela ne nous a pas empêchés de la gagner !

Deuxièmement, le Parlement a pu délibérer de l’envoi des troupes pour la première guerre du Golfe – j’en parle de façon d’autant plus détendue que je ne l’ai pas voté – la veille du commencement des hostilités.

Par conséquent, l’argument selon lequel la démocratie parlementaire serait inconciliable avec la nécessité de la rapidité de la décision et de son efficacité ne tient pas ! C’est un choix délibéré que nous analysons comme un renforcement de la monocratie qui, dorénavant, sera consolidée par cette disposition que l’on introduit dans la Constitution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 53 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 55.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 111.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 112.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 57.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 56.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 11.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 113.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 114.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 13.

(L'article 13 est adopté.)

Article 13
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 14

Article additionnel après l'article 13

M. le président. L'amendement n° 115, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l'article 13, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

... - Le premier alinéa de l'article 38 de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Une telle autorisation est exclue dès lors que les mesures envisagées sont relatives aux garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ».

La parole est à Mme Gisèle Printz.

Mme Gisèle Printz. En première lecture, le Sénat a adopté sans modification l’article 13 bis, introduit dans le projet de loi constitutionnelle par l’Assemblée nationale, sur proposition du rapporteur de la commission des lois. Cet article qui tend à imposer la ratification expresse des ordonnances prises en vertu de l’article 38 de la Constitution.

Il s’agit d’une avancée importante, mais insuffisante. Elle risque même d’être contre-productive dans la mesure où le Gouvernement sera conduit à amplifier la pratique de la ratification par voie d’amendements. La ratification sera bien expresse, mais elle interviendra dans n’importe quel véhicule législatif, alors que la ratification d’ordonnances devrait donner lieu au dépôt de textes spécifiques.

En clair, le présent projet de loi constitutionnelle ne changera rien au recours périodique aux ordonnances tel qu’on le connaît aujourd’hui.

Le rapporteur de la commission des lois du Sénat avait déclaré en première lecture qu’il n’aimait pas spécialement le recours aux ordonnances.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je le confirme !

Mme Gisèle Printz. Il a rappelé que le Sénat l’avait refusé à propos de certains sujets fondamentaux tels que les prescriptions en matière civile.

Nous partageons cet état d’esprit et nous proposons même de l’élever en principe constitutionnel.

Si nous sommes opposés à la suppression de l’article 38 de la Constitution, nous sommes encore plus résolus à penser qu’il est nécessaire de limiter le champ d’intervention des ordonnances en excluant le recours à cette facilité lorsqu’elles concernent la compétence normative du Parlement qui a trait à la protection des droits et libertés des citoyens.

Cet amendement, qui vise à compléter le texte adopté par l’Assemblée nationale, nous permettrait d’agir préventivement afin de renforcer notre droit positif.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission émet le même avis défavorable qu’en première lecture.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 115.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article additionnel après l'article 13
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Articles additionnels après l'article 14

Article 14

L'article 39 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Dans la dernière phrase du dernier alinéa, les mots : « et les projets de loi relatifs aux instances représentatives des Français établis hors de France » sont supprimés ;

2° Sont ajoutés trois alinéas ainsi rédigés :

« La présentation des projets de loi déposés devant l'Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique.

« Les projets de loi ne peuvent être inscrits à l'ordre du jour si la Conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues. En cas de désaccord entre la Conférence des présidents et le Gouvernement, le président de l'assemblée intéressée ou le Premier ministre peut saisir le Conseil constitutionnel qui statue dans un délai de huit jours.

« Dans les conditions prévues par la loi, le président d'une assemblée peut soumettre pour avis au Conseil d'État, avant son examen en commission, une proposition de loi déposée par l'un des membres de cette assemblée, sauf si ce dernier s'y oppose. »

M. le président. L'amendement n° 116, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant le 1° de cet article, insérer deux alinéas ainsi rédigés :

...° Après la première phrase du deuxième alinéa, il est inséré une phrase ainsi rédigée :

« Les avis du Conseil d'État sur les projets de loi sont rendus publics après leur adoption en conseil des ministres. »

La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Cet amendement concerne un problème que nous avons déjà évoqué en première lecture – c’est le propre de la deuxième lecture que d’amener à revenir sur des thèmes déjà abordés lors de la première lecture –, celui de la publicité des avis du Conseil d’État.

Nous savons tous que le secret qui entoure les avis émis sur les projets de loi par le Conseil d’État, en tant que conseiller du Gouvernement, est des plus relatifs puisque nombre de nos collègues bénéficient en fait de la possibilité d’en prendre connaissance.

Alors que le Sénat avait, quant à lui, considéré que le Conseil d’État devait conseiller uniquement le Gouvernement, l’Assemblée nationale a réintroduit l’idée selon laquelle il pourrait conseiller aussi le Parlement puisque le président de l’assemblée concernée aura la faculté de lui soumettre pour avis des propositions de loi.

Mais qui sera destinataire de cet avis ? L’auteur de la proposition de loi ? Sera-t-il alors censé le garder secret ou pourra-t-il le rendre public ? Dans ce dernier cas, il y aurait, d’un côté des avis rendus publics sur les propositions de loi et, de l’autre, des avis faussement secrets sur les projets de loi. Il serait beaucoup plus simple de mettre le droit en rapport avec la réalité et de rendre ces avis publics.

On nous a dit, en première lecture, que cela pouvait entraîner des controverses. Mais maintenir le secret uniquement sur les avis concernant les projets de loi risquerait de faire naître la confusion. C’est pourquoi nous proposons de faire ce pas vers la simplicité.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous avions effectivement supprimé, en première lecture, la disposition permettant – car il s’agit d’une simple faculté – que le Conseil d’État donne des avis sur les propositions de loi. L’Assemblée nationale l’a rétablie, en précisant toutefois que l’auteur de la proposition de loi peut s’y opposer, faute de quoi il risquerait de considérer que sa proposition n’est soumise au Conseil d’État que parce qu’on n’en veut pas.

L’équilibre qui a été trouvé à l’Assemblée nationale nous a semblé satisfaisant. Personnellement, en première lecture, j’y étais favorable.

Cela étant, M. Frimat traite d’un autre sujet puisqu’il évoque les avis du Conseil d’État sur les projets de loi. Or il n’est pas question d’inscrire dans la Constitution que les avis du Conseil d’État sur les projets de loi seront rendus publics ou non. Il y aura une loi : nous pourrons en rediscuter. C’est d’ailleurs une question qui est soulevée en permanence. En général, l’opposition est informée des avis du Conseil d’État avant la majorité ; c’est un état de fait. Quelquefois, nous avons connaissance de l’avis du Conseil d’État par des collègues de l’opposition qui bénéficient de réseaux. Tant mieux !

M. Jean-Pierre Fourcade. C’est dans Libération !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela étant, nous préférons quand même être dans la majorité plutôt que dans l’opposition !

Quoi qu’il en soit, la commission émet un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Monsieur Frimat, le Gouvernement partage votre préoccupation d’améliorer la qualité de la législation. Telle est la raison pour laquelle l’article 14 prévoit la possibilité, pour le Parlement, de saisir pour avis le Conseil d’État d’une proposition de loi.

En revanche, le Gouvernement ne partage pas votre position pour ce qui concerne la publicité des avis rendus par le Conseil d’État. L’avis appartient à celui à qui il est rendu. Il faut, me semble-t-il, laisser chaque destinataire libre de lui donner la publicité qu’il souhaite. En particulier, il est préférable de ne pas obliger le Gouvernement à rendre publics les avis du Conseil d’État. C’est, nous le savons bien, un des facteurs de la liberté dont le Conseil d’État sait faire preuve à l’égard du Gouvernement. Il est plus facile de faire au Gouvernement toutes les observations qui lui paraissent utiles si ces avis conservent un caractère confidentiel. Il serait dommage de risquer de mettre à mal cette liberté. Le fait que l’avis soit rendu public avant ou après le passage du projet en conseil des ministres est sans incidence à cet égard.

Monsieur Frimat, voilà pourquoi je souhaite le retrait de cet amendement. À défaut, le Gouvernement en demandera le rejet.

M. le président. Monsieur Frimat, l’amendement n° 116 est-il maintenu ?

M. Bernard Frimat. Je le maintiens. Les amis de M. Karoutchi se chargeront de le rejeter ! (Sourires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Chacun son boulot !

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Évidemment, comme il s’agit de la deuxième lecture, vous ne voulez pas qu’il y ait la moindre modification.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est la même chose qu’en première lecture !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et pourtant, tout le monde estime normal que les avis du Conseil d’État sur les projets de loi soient rendus publics.

Vous dites que tout le monde les connaît. Je ne sais pas comment ceux qui les connaissent font pour les connaître mais, moi, je ne les connais pas !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Demandez à M. Badinter !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il y aurait des réseaux, nous dites-vous ! S’il y a des réseaux et si tout le monde peut connaître ces avis, autant ne pas être hypocrite !

Si vous aviez accepté des propositions telles que celle-ci, aussi logiques que celle-ci, vous auriez peut-être rendu plus acceptable l’ensemble du projet de loi constitutionnelle, nous aurions pu être séduits par cette réforme. Mais vous ne voulez rien changer ! Vous allez même jusqu’à enlever des droits au Parlement tout en affirmant le contraire ! Là où tout le monde devrait être d’accord, vous ne l’êtes pas ! Vous pouvez être fiers de vous en adoptant une telle attitude… Pour notre part, nous maintenons notre position.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 116.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° 117, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Supprimer les deuxième et troisième alinéas du 2° de cet article.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Permettez-moi, monsieur le président, mes chers collègues, de rappeler les termes des deuxième et troisième alinéas du 2° de l’article 14 :

*« La présentation des projets de loi déposés devant l’Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique.

« Les projets de loi ne peuvent être inscrits à l’ordre du jour si la Conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues ».

Derrière cette rédaction, se cache une idée qui doit, à notre avis, rejoindre le cimetière des fausses bonnes idées. Elle avait été défendue avec force par l’ancien vice-président du Conseil d’État, notamment au cours d’une réunion à laquelle il nous avait conviés. Il s’agit de prévoir qu’une étude d’impact doit être présentée avant le dépôt d’un projet de loi, ou même que celui-ci ne peut être déposé devant le Parlement que s’il a donné lieu préalablement à une étude d’impact. Cette idée magnifique recueille l’assentiment de brillants esprits, mais nous ne faisons pas partie de ceux qui l’approuvent. En effet, il suffit de considérer les choses très concrètement pour examiner les conséquences d’une telle mesure.

Prenons, mes chers collègues, l’exemple de ce projet de loi constitutionnelle. Certains membres des ministères concernés devraient établir une étude sur l’impact présumé des dispositions inscrites dans ce projet de loi constitutionnelle. Ainsi, les ministères seraient conduits à élaborer des textes qui entreraient nécessairement dans le débat politique. Or l’impact de telle ou telle mesure, c’est justement l’objet du débat politique. Croire qu’il pourrait y avoir, préalablement au débat politique, une sorte d’étude « objective » qui détaillerait l’impact prévisible des mesures proposées dans ledit projet de loi relève de la pure illusion !

Ma démonstration vaut pour pratiquement tous les projets de loi, mais permettez-moi de citer également, monsieur le président, le projet de loi relatif aux organismes génétiquement modifiés. Imaginez l’étude d’impact réalisée par le ministère chargé du sujet.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Celui de Borloo !

M. Jean-Pierre Sueur. Quelle que soit la qualité de ladite étude, le débat parlementaire commencerait par la contestation vigoureuse de ses assertions et de ses conclusions. Sur un tel sujet, c’est d’emblée tout le débat qui est politique, et notre rôle est précisément de l’engager.

En revanche, il serait bien utile de doter le Parlement de moyens supplémentaires pour procéder aux évaluations nécessaires. Nous sommes d’accord pour que le Gouvernement et les groupes parlementaires puissent recourir à leur expertise propre, mais l’idée d’ajouter une étude d’impact censée être neutre est une pure utopie.

M. le président. L'amendement n° 16, présenté par M. Vasselle, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le deuxième alinéa du 2° de cet article :

 « La présentation des projets de loi déposés devant l'Assemblée nationale ou le Sénat comporte une étude d'impact et répond aux conditions fixées par une loi organique.

Cet amendement n'est pas soutenu.

Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 117 ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission l’a déjà expliqué, il lui semble intéressant que la loi organique détermine les documents qui devront accompagner un projet de loi. L’étude d’impact est l’un des éléments de travail qui ont été cités, mais ce n’est pas le seul. Il peut tout aussi bien s’agir d’une évaluation de la loi précédente, des rapports rédigés par tel organisme, telle commission ou tel groupe de travail qui auront été saisis.

La commission est défavorable à cet amendement parce qu’elle considère que les projets de loi doivent être accompagnés d’un certain nombre d’éléments propres à éclairer le Parlement.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Voilà une réponse qui manque d’impact ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Le Gouvernement ne peut rejoindre les auteurs de cet amendement, car il partage pleinement le souci exprimé par l'Assemblée nationale d’améliorer la qualité de la législation.

Comme l’avait d’ailleurs relevé le Conseil d’État, de nombreuses circulaires ont été prises en la matière depuis plusieurs années, mais sans succès véritable. Une loi organique pourra notamment obliger le Gouvernement à accompagner les projets de loi de véritables études d’impact. Il s’agit simplement de prévoir des règles de meilleure qualité pour préparer la loi.

Dans ces conditions, je vous demande, monsieur le sénateur, de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, le Gouvernement émettra un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 117.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 118, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Supprimer le dernier alinéa du 2° de cet article.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Le dernier alinéa du 2° de l'article 14 permet au président de chacune des deux assemblées de soumettre au Conseil d'État des propositions de loi avant leur examen en commission, dans les conditions prévues par la loi, sauf si l'auteur de la proposition de loi s'y oppose.

En première lecture, le Sénat avait supprimé cette disposition. Si vous étiez cohérents, mes chers collègues, et si l’impératif du vote conforme ne sévissait pas, vous devriez voter notre amendement.

Les objections émises en première lecture par le Sénat sont toujours pertinentes et justifient la demande de suppression de cette disposition, dont la portée a certes été amoindrie au cours de la navette puisque la demande d'avis sera facultative, au gré de la volonté non seulement du président de l'assemblée, mais aussi de l'auteur de la proposition.

Quoi qu’il en soit, cette disposition relève d’une grave confusion.

C’est une banalité de le rappeler, le Conseil d'État a deux fonctions : une fonction juridictionnelle et une fonction de conseil auprès du Gouvernement. À ce titre, il n’a donc pas à être le conseiller du Parlement. C’est confondre les genres que de solliciter l’avis du Conseil d’État sur une proposition de loi qui relève de la seule initiative du Parlement.

La confusion tient donc d’abord au fait que l’on méconnaît la différence entre l’exécutif et le législatif. Au demeurant, M. le président de la République a, à cet égard, donné cet après-midi une belle leçon de confusion ! L’exemple vient de haut, certes, mais, à tout prendre, nous sommes désolés de constater que la confusion dans ce domaine progresse de cette manière…

La confusion vient aussi de ce que, dans l’intervalle de quelques jours, le Sénat aura adopté des positions radicalement différentes. Où est donc sa crédibilité ?

En tout état de cause, nous ne jugeons pas de bonne politique de demander l’avis du Conseil d’État sur les propositions de loi, tout en rappelant que, selon nous, il convient que les avis du Conseil d’État sur les projets de loi soient rendus publics, ne serait-ce que pour respecter le principe d’égalité, puisque certains en ont connaissance cependant que d’autres demeurent dans l’ignorance.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Manifestement, notre collègue Jean-Pierre Sueur n’a pas compris ce qu’était la navette !

M. Robert Bret. Surtout avec un vote conforme !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Si nous adoptons les mêmes positions qu’en première lecture, il n’y aura jamais d’accord ! (M. Jean-Pierre Sueur s’exclame.)

Le fait de soumettre une proposition de loi à l’avis du Conseil d’État n’est qu’une simple faculté souhaitée par les députés. De plus, à la demande des députés de l’opposition, l’auteur de la proposition de loi peut le refuser, pour éviter toute pression des présidents des assemblées.

Après avoir lu avec attention les débats de l'Assemblée nationale et dialogué avec mon collègue rapporteur, cette disposition ne m’a pas paru constituer l’un des motifs d’opposition du Sénat pour parvenir à un accord entre nos deux assemblées.

M. Robert Bret. C’est regrettable !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est pourquoi la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. Robert Bret. La commission mixte paritaire a déjà eu lieu ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. J’ai parlé de « dialogue », mon cher collègue ! Nous continuons le dialogue !

M. Robert Bret. Un dialogue interne à la majorité !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Par cet amendement, il est proposé de supprimer la possibilité pour le Parlement de solliciter, par l’intermédiaire du président d’une assemblée, l’examen d’une proposition de loi par le Conseil d’État.

Il s’agit simplement de permettre au Parlement de solliciter une expertise juridique complémentaire, qui ne peut être que bénéfique au renforcement de la sécurité juridique et à l’amélioration de la qualité de la législation. Cette décision est cohérente avec le renforcement des pouvoirs du Parlement et notamment avec la place plus grande qui sera donnée aux propositions de loi dans le partage de l’ordre du jour.

En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a adopté avec l’accord du Gouvernement, j’y insiste, un sous-amendement socialiste prévoyant expressément que la saisine du Conseil d’État ne pourrait avoir lieu qu’avec l’autorisation de l’auteur de la proposition de loi. Il s’agit donc bien là d’une simple faculté mise à la disposition du Parlement si le président de l’assemblée et l’auteur de la proposition de loi le souhaitent, et uniquement dans ce cas.

Dans ces conditions, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. C’est quand même incroyable !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est vous qui êtes incroyable !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous nous donnez des leçons sur la navette. Normalement, celle-ci doit se poursuivre jusqu’à l’obtention d’un accord entre les deux assemblées.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Il va y avoir accord !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On va y arriver !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela ne veut pas dire que l’on doit systématiquement refuser tout amendement, au motif que l’on veut obtenir un vote conforme.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Peut-être, mais c’est pourtant exactement ce que vous faites !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je m’en suis déjà expliqué hier, mais vous n’étiez pas là, monsieur Dreyfus-Schmidt. Vous n’avez rien compris au dialogue que nous avons engagé avec l’Assemblée nationale !

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Dreyfus-Schmidt.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, M. le président de la commission des lois a l’habitude d’interrompre les orateurs !

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Vous aussi, monsieur Dreyfus-Schmidt !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Et encore plus que moi !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Résultat : vous n’acceptez aucun amendement. Vous venez encore de refuser que l’avis du Conseil d’État soit rendu public.

En revanche, vous voulez que le président d’une assemblée puisse soumettre pour avis au Conseil d’État, avant son examen en commission, une proposition de loi déposée par l’un des membres de cette assemblée, sauf si ce dernier s’y oppose. C’est une inégalité, car les membres de l’opposition pourraient s’y opposer, alors que ceux de la majorité, évidemment, l’accepteraient.

Ce n’est absolument pas acceptable, mais peu importe ! Puisque cela a été voté, il faut le conserver ! C’est comme ça !

Nous le déplorons vivement et, bien évidemment, pour ce qui nous concerne, nous voterons l’amendement n° 118.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, je n’avais pas prévu d’expliquer mon vote. Mais, ayant entendu la leçon de M. le président de la commission des lois sur la navette que nous aurions mal comprise, je me permets quelques observations.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous êtes même opposé aux amendements socialistes de l’Assemblée nationale !

M. Jean-Pierre Sueur. Je vous répondrai aussi sur ce point, monsieur le président de la commission des lois, puisque vous avez bien voulu m’interrompre, ce dont, moi, je vous remercie ! (Sourires.)

Je soulignerai tout d’abord que, lors de la première lecture, d’éminents collègues de notre assemblée, MM. Patrice Gélard et Jean-René Lecerf, ont tenu des propos tout à fait remarquables sur ce sujet.

En présentant leur amendement commun, M. Jean-René Lecerf a déclaré : « le Conseil d’État, qui est d’abord le conseiller du Gouvernement, n’a pas vocation à devenir celui du Parlement. De surcroît, il risquerait de se transformer progressivement en une nouvelle chambre dont les avis deviendraient rapidement incontournables. [...] le Parlement doit être laissé libre de choisir ses experts en fonction des différents textes qui lui sont soumis et qu’aucun monopole, ni même aucune priorité, ne devrait être réservé au Conseil d’État. »

Vous constaterez que je cite les bons auteurs !

J’en viens à la navette.

Monsieur le président de la commission des lois, le groupe socialiste du Sénat a le droit d’avoir une position différente de celle du groupe socialiste de l’Assemblée nationale. Vous le savez, le parti socialiste est très pluraliste…

M. Jean-Pierre Sueur. … et les points de vue s’expriment librement en son sein ! (Rires et exclamations sur les travées de lUMP.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est l’hôpital qui se moque de la charité !

M. Jean-Pierre Sueur. C’est d’ailleurs quelque chose que vous aurez du mal à contester, mes chers collègues !

Par ailleurs, vous parlez d’accord, mais nous sentons bien la difficulté à laquelle nous nous heurtons. Vous avez décidé que cette lecture du texte serait la dernière – il n’y aura donc qu’une navette – et que le texte devait donc être adopté conforme en raison de la tenue du Congrès lundi prochain. Dès lors, les conditions dans lesquelles nous travaillons sont telles que la rédaction finalement adoptée sera loin du niveau que l’on pourrait attendre d’un texte aussi important que la Constitution !

Tout à l'heure, il a été question des propositions de résolution, dont l’examen est subordonné à l’avis du Gouvernement. Eh bien, plusieurs collègues de la majorité m’ont confié dans la salle des Conférences : « Vous avez tout à fait raison, mais nous ne pouvons rien faire puisque la décision a été prise d’obtenir un vote conforme. » Tout le monde sait cela !

Nous aurions pu également poursuivre la discussion sur cette affaire d’avis du Conseil d’État. Et il en est de même pour bien d’autres sujets !

Je regrette vraiment que, sur un débat aussi fondamental, on ne prenne pas davantage de temps.

Monsieur le président Hyest, vous nous parlez de vos négociations, de vos discussions.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. J’ai parlé de dialogue avec l’Assemblée nationale !

M. Jean-Pierre Sueur. Mais dialogue entre qui et qui ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Entre rapporteurs, évidemment !

M. Jean-Pierre Sueur. « Évidemment », dites-vous. Mais je veux mettre les points sur les i !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est toujours comme ça !

M. Jean-Pierre Sueur. C’est peut-être toujours comme ça, mais ce dialogue n’a lieu qu’entre le groupe UMP de l’Assemblée nationale et le groupe UMP du Sénat !

En revanche, lors de la tenue d’une commission mixte paritaire, les représentants de l’opposition sont invités à participer au débat, et c’est normal !

M. Robert Bret. Ce n’est pas leur conception du débat démocratique !

M. Jean-Pierre Sueur. Selon la conception qui est la vôtre, la fixation de ce qui doit être le droit et l’écriture de la nouvelle Constitution se décide lors de réunions du groupe majoritaire qui se tiennent ici, à l’Assemblée nationale, à Matignon, à l’Élysée... Telle n’est pas notre conception !

À l’heure où M. le Président de la République nous fait un certain nombre de propositions ou d’observations par le biais d’un entretien accordé au Monde – et je vois que plusieurs collègues sont, en ce moment même, absorbés par la lecture de ce journal –, nous pouvons constater que la méthode d’élaboration de ce texte est totalement contraire aux déclarations en question ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour explication de vote.

M. Jean-René Lecerf. Effectivement, je pourrais me sentir quelque peu mal à l’aise puisque, voilà moins d’un mois, je faisais adopter à la quasi-unanimité le même amendement de suppression, avec le renfort de mes collègues Gérard Longuet et Jean-Pierre Raffarin.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ils ne sont pas là !

M. Jean-Pierre Fourcade. J’avais voté contre !

M. Jean-René Lecerf. Effectivement, quelques collègues avaient voté contre, mais ils se comptent sur les doigts d’une seule main, et encore suis-je généreux !

Sur ce sujet comme sur d’autres, en un mois, je n’ai évidemment pas changé d’opinion. Je continue de considérer que cet avis du Conseil d’État sur les propositions de loi est au mieux inutile, au pis regrettable.

De même, je continue de penser que le fait de rendre public un avis du Conseil d’État sur les projets de loi constituerait une avancée et épargnerait aux rapporteurs cette espèce chasse au trésor qui consiste à se procurer ledit avis. Ils finissent toujours par l’obtenir, mais au prix d’une dommageable perte de temps !

De même, je considère qu’il s’agit à tout le moins d’une maladresse, mais plus vraisemblablement d’une erreur, de prévoir dans la Constitution que les ministres reprendront immédiatement leur fonction de parlementaire, éjectant ainsi leur suppléant !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Oh !

M. Jean-René Lecerf. Mon avis est resté le même sur tous ces sujets. J’essaie seulement de les mettre en regard, d’une part, du renforcement des pouvoirs du Parlement,…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il n’y en a pas !

M. Jean-René Lecerf. … et, d’autre part, des pouvoirs nouveaux qui sont donnés aux citoyens, notamment à travers l’institution de l’exception d’inconstitutionnalité. C’est pourquoi, bien que je n’aie pas changé d’avis, je voterai différemment. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 118.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 14.

(L'article 14 est adopté.)

Article 14
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 15

Articles additionnels après l'article 14

M. le président. L'amendement n° 58 rectifié, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Après l'article 14, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 40 de la Constitution est abrogé.

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je sais bien que nous sommes dans une procédure de navette accélérée, laquelle constitue d’ailleurs, pour le coup, une nouveauté ! (Exclamations sur les travées de lUMP.)

M. Alain Gournac. Pas très accélérée, quand même !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est une pratique nouvelle, même si cela ne figure pas dans la future révision constitutionnelle. Et la procédure est bien accélérée puisque vous n’acceptez aucun amendement !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Si vous trouvez que le rythme est accéléré, ce n’est pas notre avis !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On peut examiner les aspects positifs et négatifs de cette réforme, mais il n’en reste pas moins vrai que certains sujets sont très importants. Or, avec la méthode retenue, on aboutit à des réformes totalement surréalistes, qui ne correspondent pas du tout à l’esprit de nos institutions. Il en est ainsi de la possibilité de soumettre pour avis des propositions de loi déposées au Conseil d’État, de subordonner les propositions de résolution à l’avis du Gouvernement, etc. Ces réformes-là sont quand même des « ovnis constitutionnels » !

Souvenez-vous : nous avons eu un débat très important sur l’article 40 de la Constitution. Sa suppression fut repoussée à quelques voix près par notre assemblée. Compte tenu de la configuration de notre assemblée, cela signifie que des membres de la majorité UMP – je ne sais plus qui – étaient favorables à cette suppression. Cela vaut donc la peine que nous en discutions plus avant.

L’article 40 de la Constitution empêche toute initiative parlementaire engendrant des dépenses nouvelles. Or il est appliqué de manière sans cesse plus restrictive.

Au Sénat, jusqu’à une époque encore récente, l’article 40 n’était invoqué, si nécessaire, qu’après la présentation de l’amendement en séance publique. C’était, somme toute, relativement démocratique. Cela s’expliquait, tout le monde l’avait bien compris, par l’impossibilité pour le Sénat de renverser le Gouvernement. Depuis l’année dernière, bien que le Sénat n’ait toujours pas la possibilité de renverser le Gouvernement, sous la ferme impulsion de M. Arthuis, le Sénat décidait d’appliquer strictement, excessivement même, comme à l’Assemblée nationale, l’article 40. Ainsi, les amendements jugés trop dépensiers sont-ils déclarés irrecevables par la commission des finances avant même leur dépôt au service de la séance.

Tout dernièrement, dans le cadre du projet de loi de modernisation de l’économie, un amendement déposé non seulement par le groupe communiste républicain et citoyen, mais aussi par le groupe socialiste, visant à obliger les opérateurs privés de téléphonie mobile à créer des tarifs adaptés aux plus défavorisés, a été « retoqué » par la commission des finances, car cette dernière supputait qu’en cas de refus des opérateurs ce serait à l’État d’intervenir. Cela laisse présager ce que sera l’avis préalable du Gouvernement sur une proposition de résolution !

Ce cas extrême montre bien jusqu’où peut aller une interprétation extensive, sans limite, de l’article 40.

M. Arthuis, président de la commission des finances, serait-il le Dr Jekyll et Mr Hyde du droit d’amendement ? (Sourires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.) Il a en effet lui-même proposé, en première lecture, de manière selon moi très judicieuse, la suppression de l’article 40 de la Constitution, au nom d’une amélioration des prérogatives parlementaires en matière budgétaire – il avait même parlé de « maturité parlementaire » ! –, alors que c’est lui qui organise la chasse à l’amendement dépensier depuis plusieurs mois. Comprenne qui pourra !

S’il est un symbole de la primauté de l’exécutif sur le Parlement, c’est bien celui-là : en juillet 2007, le Gouvernement de M. Fillon prélève plusieurs millions d’euros au profit des plus aisés, dans le cadre de la loi TEPA, alors qu’un parlementaire ne peut même pas proposer 100 euros de dépenses publiques,...

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Mais si !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... même compensées par des ressources nouvelles. Là, on mesure bien l’équilibre entre les droits du Parlement et ceux de l’exécutif !

Ceux qui souhaitent réellement revaloriser le rôle du Parlement – puisqu’il n’est question que de cela du côté de la majorité et du Gouvernement ! – peuvent adopter notre amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous avions débattu de ce sujet pendant près d’une soirée entière en première lecture. La commission confirme l’avis défavorable qu’elle avait alors émis sur des amendements ayant le même objet.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Le Gouvernement confirme également son avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Fourcade. À mon sens, la suppression de l’article 40 de la Constitution a évidemment une portée symbolique. De ce point de vue, Mme la présidente du groupe CRC, a longuement défendu le retour à la « maturité du Parlement ».

Toutefois, l’article 40, que le Sénat applique enfin de manière correcte, depuis une intervention du Conseil constitutionnel – je m’en félicite, car l’interprétation qui en était précédemment faite ici me paraissait un peu trop laxiste –, est un élément important de la vie parlementaire.

Au moment où nous avons les plus grandes difficultés à convaincre nos partenaires de l’Eurogroupe et de l’Union européenne que nous faisons des progrès sur la voie de la sagesse financière, la suppression de l’article 40 de la Constitution nous ferait immanquablement passer pour des laxistes chroniques. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat proteste.)

C'est la raison pour laquelle je m’oppose à l’amendement n° 58 rectifié. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 58 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 22, présenté par M. Lambert, est ainsi libellé :

Après l'article 14, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 40 de la Constitution, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. ... - Les dispositions fiscales dérogatoires qui ont pour conséquence une diminution des ressources publiques ou l'aggravation d'une charge publique sont abrogées dans un délai de trois ans à compter de leur entrée en application, à défaut de la présentation par le gouvernement au Parlement d'une évaluation de leur coût et de leur efficacité. »

La parole est à M. Alain Lambert.

M. Alain Lambert. Cet amendement avait déjà été présenté en première lecture. Toutefois, je n’avais pas eu la possibilité de prendre part à la discussion et j’ai été très frustré par les explications que j’ai pu lire dans le compte rendu de nos débats. C’est la raison pour laquelle je souhaitais avoir droit à une « épreuve de rattrapage ». (Sourires.)

Nous en sommes tous conscients, au rythme actuel, la dépense fiscale devient pratiquement aussi importante que la dépense budgétaire. Le seul moyen de remédier à cette situation, c’est d’éviter que la dépense fiscale ne puisse être votée ad vitam æternam. Le fait qu’elle soit votée pour une durée déterminée présenterait un immense avantage : si le Parlement veut la maintenir, il la vote de nouveau ; s’il ne veut pas la maintenir, il ne la vote pas, et l’exonération disparaît.

Cette formule est en outre respectueuse des contribuables puisqu’ils ont une visibilité sur l’avantage fiscal qui leur est proposé.

Certes, une telle disposition aurait peut-être plus sa place dans une loi organique que dans la Constitution.

Toutefois, si l’on m’apportait des assurances un peu plus encourageantes que celles qui ont été données précédemment, je pourrais éventuellement retirer cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur Lambert, je ne peux pas m’engager sur le contenu d’une éventuelle future loi organique, mais il est vrai qu’une telle disposition ne relève manifestement pas de la Constitution.

Cela dit, il y a tout de même un paradoxe dans votre proposition, mon cher collègue. En effet, à défaut de présentation par le Gouvernement au Parlement d’une évaluation, les dispositions fiscales dérogatoires pourraient être abrogées. Dès lors, si le Gouvernement estime qu’il ne s’agit pas d’une bonne mesure, il lui suffira de ne présenter aucune évaluation pour qu’elle soit abrogée. A contrario, il présentera une évaluation seulement s’il veut voir proroger la dérogation.

Cela étant, à mes yeux, nous ne devrions pas adopter de mesures indéfinies, dans le domaine fiscal comme dans les autres ; il serait préférable de définir dans la loi la durée d’application d’un dispositif, par exemple deux ans ou trois ans, pour l’évaluer à l’issue de cette période et, le cas échéant, le proroger. Cela me paraîtrait une façon moderne de procéder, tout particulièrement, c’est vrai, en matière fiscale.

Au demeurant, monsieur Lambert, vous avez opté pour cette formule en étant à l’origine de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, qui a constitué un progrès considérable et un véritable bouleversement de nos pratiques.

Nous devons nous habituer à prendre des mesures de cette manière, en songeant que nous serons peut-être amenés ensuite à les supprimer. Sinon, on crée, d’un côté, des taxes et, de l’autre, des niches fiscales, les unes comme les autres n’ayant, après quelques années, plus aucun sens parce qu’elles ne produisent pas ou plus les effets recherchés.

Quoi qu’il en soit, monsieur Lambert, et sous le bénéfice des explications que je viens de vous apporter – j’espère m’être montré plus convaincant qu’en première lecture –, la commission sollicite le retrait de votre amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, le Gouvernement partage naturellement vos préoccupations. Vous souhaitez qu’à défaut d’une évaluation de leur coût et de leur portée certaines dispositions fiscales dérogatoires soient abrogées au maximum trois ans à compter de leur entrée en vigueur.

Comme le Premier ministre le rappelait hier encore ici même, le Gouvernement souhaite réellement réduire le nombre des niches fiscales. La diminution de ces exonérations constitue évidemment un axe très important du rétablissement de l’équilibre de nos finances publiques, à un moment où nous en avons particulièrement besoin.

Pour autant, monsieur Lambert, et c’est sur ce point que nos analyses diffèrent, nous ne sommes pas favorables à l’inscription dans la Constitution de la règle que vous préconisez. C’est le Parlement qui vote les exonérations fiscales. Il ne faudrait pas donner au Gouvernement la possibilité de les remettre en cause du fait de sa seule inaction. D’ailleurs, comme vous l’admettez vous-même, cela ne serait pas conforme à l’équilibre de nos institutions.

En outre, les entreprises qui bénéficient d’exonérations fiscales utiles – je pense notamment à certaines dispositions destinées à favoriser la recherche – ne doivent pas être maintenues dans l’incertitude quant à la durée du dispositif dans lequel elles s’engagent, faute de quoi celui-ci pourrait se révéler inefficace.

Cela étant, monsieur le sénateur, le Premier ministre a été saisi de votre demande et il fera très prochainement des propositions en ce sens, même si cet amendement n’est pas adopté aujourd'hui.

M. le président. Monsieur Lambert, l'amendement n° 22 est-il maintenu ?

M. Alain Lambert. Non, je le retire, monsieur le président.

Toutefois, afin qu’il n’y ait aucune ambiguïté, je tiens à apporter une précision. Mon amendement, qui est peut-être mal rédigé, ne visait nullement à permettre au Gouvernement de légiférer à la place du Parlement.

M. le président. L'amendement n° 22 est retiré.

Articles additionnels après l'article 14
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 16

Article 15

Dans le premier alinéa de l'article 41 de la Constitution, après les mots : « le Gouvernement », sont insérés les mots : « ou le président de l'assemblée saisie ».

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° 119, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. L’article 15 du projet de loi constitutionnelle modifie l’article 41 de la Constitution pour accorder au président de chaque assemblée la faculté de soulever l’irrecevabilité des amendements qui ressortiraient au domaine réglementaire.

Je le rappelle, en première lecture, le Sénat a adopté deux amendements identiques de suppression de cet article, le premier du rapporteur de la commission des lois, M. Hyest, et le second du groupe socialiste. À l’époque, M. le rapporteur nous expliquait qu’une telle disposition était inutile.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !

M. Jean-Pierre Sueur. Selon lui, il appartenait au Gouvernement de défendre ses propres prérogatives, et non aux présidents des assemblées de le faire à sa place.

Comme M. le rapporteur nous l’avait également rappelé, l’article 41 de la Constitution n’a pas été souvent mis en œuvre par le Gouvernement pour déclarer qu’une disposition était de nature réglementaire. Il est même convenu qu’il pouvait parfois être utile d’outrepasser les dispositions strictes des articles 34 et 37 de la Constitution, qui, comme vous le savez, déterminent le domaine de la loi.

En deuxième lecture, l’Assemblée nationale a rétabli l’article 15. D’ailleurs, M. le rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale a purement et simplement repris l’argumentation du Gouvernement, expliquant que le dispositif proposé ne pourrait s’appliquer que de manière facultative, contrairement à la recevabilité financière, qui présente un caractère absolu, et estimant infondées les craintes portant sur la limitation du droit d’amendement.

De mon point de vue, l’argumentation de la commission des lois de l’Assemblée nationale, contrairement à celle de la commission des lois du Sénat, apparaît bien faible. C’est pourquoi il n’y aurait, me semble-t-il, que des avantages à nous réunir tous autour de la position de notre rapporteur, M. Jean-Jacques Hyest.

Mais, pour les raisons déjà évoquées, il n’en sera rien, une fois encore ! En effet, même si cette disposition est perçue comme mauvaise,…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je n’ai pas dit qu’elle était mauvaise !

M. Jean-Pierre Sueur. … même si elle porte finalement atteinte au droit d’amendement,…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non !

M. Jean-Pierre Sueur. … même si elle donne un pouvoir inutile aux présidents des assemblées, même si la possibilité offerte au Gouvernement d’opposer l’irrecevabilité à un amendement portant sur un sujet relevant du domaine réglementaire suffit amplement, cet amendement ne sera sans doute pas adopté. (Exclamations amusées.)

Vous l’avez bien compris, l’article 15 vise seulement à donner des arguments à ceux qui voudraient empêcher l’examen de certains amendements.

Franchement, il serait logique de la part du Sénat de se rassembler autour de la pensée de M. Jean-Jacques Hyest ! (Sourires.)

M. le président. L'amendement n° 59, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

L'article 41 de la Constitution est abrogé.

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Je crains que mon amendement ne connaisse le même sort que celui qu’a prédit M. Sueur pour son propre amendement et, disant cela, je pense faire plus preuve de réalisme que de pessimisme !

Comme vous le savez, l’article 41 de la Constitution permet au Gouvernement d’opposer l’irrecevabilité à une proposition ou à un amendement qui n’est pas du domaine de la loi ou qui est contraire à une délégation accordée en vertu de l’article 38, relatif aux ordonnances.

Aux termes de l’article 15 du projet de révision constitutionnelle, cette faculté serait également offerte aux présidents des assemblées parlementaires.

En première lecture, le Sénat s’était opposé à une telle extension. Puis, l’Assemblée nationale a rétabli la rédaction initiale du projet de révision. À présent, vote conforme oblige, la majorité sénatoriale s’apprête à se contredire !

En protégeant les textes d’origine gouvernementale des empiétements du législateur dans le domaine réglementaire, l’article 41 de la Constitution permet au Gouvernement de repousser des amendements ou propositions, alors que le droit d’amendement est précisément une prérogative essentielle pour les parlementaires. Par conséquent, l’article 41 de la Constitution et le droit d’amendement des membres du Parlement sont contradictoires.

On nous explique qu’étendre aux présidents des assemblées la possibilité d’opposer l’irrecevabilité serait une mesure d’égalité entre ces derniers et le Gouvernement.

Ce que nous constatons, c’est surtout qu’une telle extension contraindrait encore plus le droit d’amendement. Alors, de grâce, n’essayez pas encore une fois d’invoquer une revalorisation du rôle du Parlement et des parlementaires ! L’article 15 contribue, au contraire, à limiter leur action.

Il eût mieux valu inscrire dans la Constitution un droit absolu d’amendement pour chaque élu national. Mais l’objectif affiché du renforcement des pouvoirs du Parlement n’est qu’un prétexte à ce qui est en réalité une reprise en main.

La disposition contenue dans l’article 15 constituera une pression supplémentaire pour le président de l’Assemblée nationale, qui pourra lui aussi décider de l’irrecevabilité d’un amendement.

Mme le garde des sceaux a indiqué que l’article 41 était fondamental, tout en soulignant dans le même temps qu’il avait été peu utilisé. L’objectif non avoué serait-il alors de faire en sorte qu’il soit employé bien plus souvent ? Si c’est le cas, inutile de vous dire que cela nous inquiète encore plus !

Pour toutes ces raisons, nous sommes contre l’extension de la possibilité d’opposer l’irrecevabilité aux présidents des assemblées. Mais nous allons plus loin : nous sommes opposés à l’article 41 dans son intégralité.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est autre chose !

Mme Éliane Assassi. Nous en demandons l’abrogation parce qu’il confère selon nous au Gouvernement un pouvoir de nature arbitraire. Il participe de ces dispositions qui consacrent la prééminence de l’exécutif sur le législatif, notamment en favorisant un déséquilibre au profit du domaine réglementaire et en mettant directement en cause le droit d’amendement qui appartient aux parlementaires.

Plutôt que d’étendre l’article 41 de la Constitution, revaloriser le rôle du Parlement supposerait plutôt d’abroger cette disposition. C’est ce que nous proposons.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. J’aime beaucoup entendre M. Sueur prévoir ce que je vais dire !

M. Jean-Pierre Sueur. Je rends simplement hommage à ce que vous disiez auparavant !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je maintiens ce que j’ai dit. Simplement, l’Assemblée nationale tient beaucoup à cet article 15.

M. Jean-Pierre Sueur. Donc, vous retirez vos propos d’hier !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais non !

M. Jean-Pierre Sueur. Si ! Vous votez contre !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. À mon sens, l’article 15 crée une simple faculté. Dès lors, je ne vais pas remettre en cause le choix de l’Assemblée nationale de réintroduire dans le projet de révision constitutionnelle un dispositif prévu par le Gouvernement. Cela fait partie des éléments du dialogue avec l’Assemblée nationale,…

M. Robert Bret. Non, avec l’UMP !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. … c’est tout ! Ce n’est pas quelque chose de fondamental ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Josiane Mathon-Poinat. Quelle pirouette !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. D’autres acteurs institutionnels souhaitaient également ce dispositif, qui sera – je le crois – peu utilisé. D’ailleurs, l’article 41 est déjà peu employé ; M. le secrétaire d’État pourrait le confirmer. (M. le secrétaire d’État acquiesce.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Alors, autant le supprimer !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je suis parlementaire depuis vingt-trois ans et je n’ai pratiquement jamais vu un gouvernement demander l’application de l’article 41.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Pour ma part, je le déplore !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On peut, certes, parfois, le regretter.

Cette faculté est étendue aux présidents des assemblées : grand bien leur fasse ! Puisque je ne m’y oppose pas, je suis défavorable à ces deux amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je répondrai brièvement, monsieur le président, parce que nous avons déjà eu ce débat.

En ce qui concerne l’amendement n° 119, je dirai que le Gouvernement est favorable au maintien d’une disposition qui permet aux présidents d’une assemblée de constater l’irrecevabilité d’un amendement de nature réglementaire, comme peut le faire aujourd’hui le Gouvernement. Ce contrôle de l’irrecevabilité, vous le savez bien, n’aura rien de systématique, contrairement à ce qui existe pour l’article 40.

Pour ce qui est de l’amendement n° 159, je rappelle que le Gouvernement est attaché à l’irrecevabilité de l’article 41, qui, même si elle est peu utilisée, a toute son utilité. Le présent projet de loi vise précisément à en faciliter l’usage, le cas échéant.

Le Gouvernement souhaite le maintien de l’article 41 parce que le respect du partage entre loi et règlement participe de l’intelligibilité de la loi.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. L’argumentation que vient de développer M. le rapporteur ne nous a malheureusement pas convaincus.

Il nous a expliqué qu’il maintenait ce qu’il avait dit en première lecture, mais qu’il était, hélas, contraint de nous demander de nous prononcer en sens inverse de la position qu’il avait défendue.

Cependant, il a ajouté un argument : comme cet article ne sert à rien et puisqu’on ne s’en servira pas, ce n’est pas grave de donner ce pouvoir supplémentaire au président du Sénat !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Non, il n’a pas dit cela !

M. Jean-Pierre Sueur. Il est tout de même difficile d’être convaincu par un tel argument !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 119.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 59.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 15.

(L'article 15 est adopté.)

Article 15
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 17

Article 16

L'article 42 de la Constitution est ainsi rédigé :

« Art. 42. - La discussion des projets et des propositions de loi porte, en séance, sur le texte adopté par la commission saisie en application de l'article 43 ou, à défaut, sur le texte dont l'assemblée a été saisie.

« Toutefois, la discussion en séance des projets de révision constitutionnelle, des projets de loi de finances et des projets de loi de financement de la sécurité sociale porte, en première lecture devant la première assemblée saisie, sur le texte présenté par le Gouvernement et, pour les autres lectures, sur le texte transmis par l'autre assemblée.

« La discussion en séance, en première lecture, d'un projet ou d'une proposition de loi ne peut intervenir, devant la première assemblée saisie, qu'à l'expiration d'un délai de six semaines après son dépôt. Elle ne peut intervenir, devant la seconde assemblée saisie, qu'à l'expiration d'un délai de quatre semaines à compter de sa transmission.

« L'alinéa précédent ne s'applique pas si la procédure accélérée a été engagée dans les conditions prévues à l'article 45. Il ne s'applique pas non plus aux projets de loi de finances, aux projets de loi de financement de la sécurité sociale et aux projets relatifs aux états de crise. »

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 60, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Cet amendement vise à supprimer la disposition selon laquelle l’examen en séance publique porterait sur le texte issu des débats de la commission concernée.

Cette innovation nous est présentée comme un renforcement des pouvoirs du Parlement, comme une importante revalorisation de la fonction législative. Il nous est expliqué que la discussion du texte de la commission en séance publique nous permettrait de nous recentrer sur les questions de fond. Comme si, sur ce texte, mes chers collègues, nous débattions d’autre chose que de questions de fond !

Le débat en séance publique est un point d’appui pour que l’opposition puisse faire valoir ses analyses et ses propositions de fond, afin de mettre en évidence les différents choix et les différentes orientations. La séance est le lieu de la publicité des débats, de leur transparence, une transparence qui serait renforcée si l’égalité du temps de parole entre les groupes était de mise.

La séance publique est aussi le lieu où tous les parlementaires peuvent s’exprimer et croiser leurs points de vue. C’est d’autant plus utile que de nombreux textes de loi contiennent des dispositions qui intéressent plusieurs secteurs de la vie de notre pays.

De plus, dans cette assemblée, qui comporte de nombreux élus locaux, des maires notamment, beaucoup sont à même d’intervenir utilement sur des textes qui, s’ils ne concernent pas leur commission, les intéressent au regard de la gestion de leur collectivité.

L’article 16 aura surtout des conséquences sur les groupes les moins importants, qui ne disposent pas des moyens d’assurer une présence forte et régulière en commission.

Il faut aussi envisager cet article à la lumière des autres dispositions du projet de loi, notamment des droits de l’opposition.

Tout d’abord, avec ce projet de loi qui ne prévoit ni une modification des modes de scrutin dans le sens d’un renforcement de la proportionnelle ni aucune autre disposition permettant au Parlement d’être réellement représentatif du peuple, le fait majoritaire va en fait s’accentuer.

Aucune garantie ne nous est donnée que le débat en séance publique ne sera pas tronqué. Quelle assurance aurons-nous de pouvoir redéposer des amendements en séance publique ? Quel sera le rôle du Gouvernement à l’égard des commissions ?

L’article 15 renforce les conditions d’irrecevabilité des textes et l’article 18 multiplie les possibilités d’examen simplifié en commission.

Si l’idée est de lutter contre toute tentative d’obstruction de la part de l’opposition, le Gouvernement et la majorité ont mieux à faire : cesser de nous faire examiner autant de projets de lois en urgence – procédure assortie de fait d’une restriction du temps de parole en séance –, cesser de rejeter, trop souvent sans réel examen, les propositions de l’opposition ; bref, permettre un réel débat de fond et non pas imposer au Parlement un seul point de vue, comme la majorité s’apprête une nouvelle fois à le faire avec l’annonce avant tout débat d’une adoption conforme du présent projet de loi constitutionnelle.

Ainsi, loin de renforcer les pouvoirs du Parlement, l’article 16 les amoindrit, mais renforce, par contre, le fait majoritaire.

M. le président. L'amendement n° 120, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Supprimer le deuxième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 42 de la Constitution.

La parole est à Mme Gisèle Printz.

Mme Gisèle Printz. L'article 16 du projet de loi constitutionnelle dispose que la discussion en séance publique des projets de loi se fera dorénavant sur le texte issu des travaux de la commission saisie au fond, à l'exception des projets de loi de finances, des projets de loi de financement de la sécurité sociale et des projets de révision constitutionnelle.

En première lecture, le rapporteur de la commission des lois a indiqué, de manière laconique, que ces dérogations étaient justifiées. Nous pensons au contraire que ces exceptions sont opposées à la logique affichée de la présente réforme constitutionnelle. Si l'on veut véritablement revaloriser le travail des commissions et concentrer le débat en séance publique sur les options de fond, rien ne justifie le sort particulier fait aux projets de loi de finances, aux projets de loi de financement de la sécurité sociale et aux projets de loi constitutionnelle. On devrait même considérer que la discussion sur la base des conclusions de la commission saisie au fond devrait précisément porter sur ces projets, car ils concernent les domaines essentiels de l'action gouvernementale.

C'est la raison pour laquelle nous déposons de nouveau cet amendement de suppression de la dérogation à la règle de l'examen en séance publique des textes élaborés par la commission.

En effet, il n’est pas logique que les projets de loi constitutionnelle, les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale ne puissent être examinés sur la base du texte adopté par la commission, alors même qu’il est de tradition de considérer le vote de la loi de finances comme l’acte essentiel du Parlement.

Pourquoi, alors que l’on veut revaloriser le Parlement à travers le travail de ses commissions, lui interdit-on de débattre sur les travaux de ces dernières pour des projets de loi très importants ?

M. le président. L'amendement n° 23, présenté par M. Lambert, est ainsi libellé :

Dans la seconde phrase du dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 42 de la Constitution, supprimer les mots :

aux projets de loi de finances, aux projets de loi de financement de la sécurité sociale et

La parole est à M. Alain Lambert.

M. Alain Lambert. J’aimerais savoir pourquoi on fait un sort particulier, en matière de délais, aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale, alors que j’ai cru entendre, dans les travaux de première lecture, que les lois de finances et de financement de la sécurité sociale ne se voyaient conférer, dans la hiérarchie des normes, aucune « valeur ajoutée » particulière.

J’imagine qu’on m’éclairera sur ce mystère.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le fait que l’on vote désormais en première lecture sur le texte de la commission est un apport important de cette révision constitutionnelle. Cette proposition figurait d'ailleurs dans le rapport d’information de MM. Gélard et Peyronnet ; elle va effectivement beaucoup changer l’organisation de notre travail parlementaire.

La situation est tout de même extraordinaire : on octroie un droit nouveau au Parlement, et le groupe communiste n’en veut pas !

M. Philippe Marini. C’est vraiment surprenant !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous en avons débattu en première lecture : la commission est favorable à cette mesure ; elle émet donc un avis défavorable sur l’amendement n° 60.

Quant au groupe socialiste, il se demande, tout comme Alain Lambert, pourquoi on exclut de cette possibilité les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale.

Il convient de rappeler que, dans ce domaine, le Gouvernement a le monopole de l’initiative législative. Nous avons retenu les considérations du comité Balladur, qui avait conclu que, dans ce domaine crucial de l’action gouvernementale, celui-ci devait conserver l’initiative. Le budget peut certes être amendé, mais il reste dans le cadre proposé par le Gouvernement. C’est pourquoi nous n’avons pas étendu aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale le fait de discuter en séance le texte adopté par la commission.

Compte tenu de ces explications, la commission demande le retrait de l’amendement n° 23 et le rejet des amendements nos 60 et 120.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. J’avoue que j’ai un peu de mal à suivre la position défendue par les auteurs de l’amendement n° 60. Vous proposez de supprimer un élément majeur dans l’entreprise de renforcement du Parlement…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous ne sommes pas d’accord avec vous !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. … en prévoyant que, réserve faite du PLF, du PLFSS et des projets de révision de la Constitution, le texte discuté en séance plénière ne sera plus le projet du Gouvernement mais le texte issu des travaux de la commission qui en a été saisie.

Je constate d’ailleurs une différence d’appréciation entre les différents groupes de l’opposition, puisque certains considèrent tout de même que c’est une avancée.

Quoi qu’il en soit, le Gouvernement émet évidemment un avis défavorable sur cet amendement.

Quant à l’exception concernant les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale, elle figurait déjà dans le rapport remis par le comité Balladur. Aux yeux du comité, la règle nouvelle ne s’appliquerait pas aux projets de loi de finances non plus qu’aux projets de loi de financement de la sécurité sociale, qui sont au cœur des prérogatives du Gouvernement dans la conduite de l’action publique. Elle ne vaudrait pas non plus pour des projets de loi constitutionnelle.

Madame Printz, cette dernière exception se justifie par le fait qu’un projet de loi constitutionnelle est une initiative propre du Président de la République. Il a semblé justifié aux membres du comité Balladur ainsi qu’au Gouvernement qu’une telle proposition du chef de l’État vienne en discussion en séance sous la forme que le Président a souhaitée.

En ce qui concerne les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale, monsieur Lambert, le Gouvernement estime que ces projets répondent à des règles très spécifiques au regard des procédures, des délais, de la présentation des amendements. Ces règles figurent dans la Constitution aux articles 47 et 47-1, mais aussi dans la fameuse LOLF, dont vous avez été l’initiateur, ainsi que dans la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale.

Il a semblé au Gouvernement que ces dispositions organiques avaient leur cohérence et qu’il n’était pas nécessaire de revenir sur ces dispositifs, qui, de l’avis de tous, ont beaucoup apporté au débat budgétaire.

Il a surtout semblé au Gouvernement que ces deux projets très spécifiques correspondaient à des choix déterminants du Gouvernement, qu’ils devaient venir en tant que tels en séance publique et être soumis ainsi très solennellement aux parlementaires.

Sans doute, monsieur Lambert, avez-vous raison en indiquant que des efforts doivent être faits pour que les projets de loi de finances soient remis dans de meilleures conditions à l’automne. Je dois vous avouer que je bataille fermement pour obtenir des améliorations en ce domaine, mais vous savez mieux que moi combien la procédure d’élaboration du budget est lourde et complexe.

je serais heureux que, sous le bénéfice de ces commentaires, monsieur Lambert, vous puissiez retirer votre amendement.

Sur les deux autres amendements en discussion commune, le Gouvernement émet un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je me permets de relever la position du Gouvernement, qui demande à Alain Lambert de retirer son amendement, mais qui propose le rejet de notre amendement identique : c’est curieux !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais vous ne demandiez pas d’explication !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous aimerions être traités de la même manière dès lors que notre amendement tend exactement aux mêmes fins.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n’est pas la même motivation !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je ne sais pas si Alain Lambert retirera le sien, mais nous sommes tout à fait d’accord avec lui pour que les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale n’aient pas un sort particulier.

La proposition qui consiste à prendre pour base le texte de la commission nous paraît intéressante ; en revanche, il n’y a aucune raison pour qu’il y ait des exceptions.

Nous sommes donc d’accord avec Alain Lambert et vous l’êtes sûrement aussi, mais vous ne cherchez qu’à voter ce texte conforme.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est conforme à ce nous avons voté en première lecture !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n’est pas une raison suffisante. Le rôle du Sénat n’est pas d’émettre un vote conforme à toute force, au contraire !

Nous ne cesserons de dénoncer cette caricature de démocratie.

M. le président. La parole est à M. Josselin de Rohan, pour explication de vote.

M. Josselin de Rohan. Ce débat est intéressant, car l’article qui a été adopté par l’Assemblée nationale contient une novation profonde dans le droit parlementaire de la Ve République.

Désormais, il y aura, pour la première assemblée saisie, deux catégories de textes soumis à l’examen en séance publique : ceux qui seront issus du travail de commission, sur lesquels le Gouvernement aura le droit, si je puis dire, de présenter des amendements pour inviter éventuellement l’assemblée à corriger ce qu’il estime trop éloigné de son texte initial, et ceux qui, touchant aux finances publiques, à la sécurité sociale et aux questions constitutionnelles, seront présentés tels que le Gouvernement les aura conçus.

Il est important de souligner que cette dernière catégorie de textes regroupe en effet ceux qui sont essentiels à l’action gouvernementale, qui en sont le fondement, ce qui justifie qu’une telle procédure soit retenue. S’agissant des leviers de sa politique, il est normal que le Gouvernement préfère voir le débat s’engager à partir des dispositions qu’il présente.

Dans un cas, le Gouvernement montre qu’il est prêt à accepter certaines modifications au projet de loi ; dans l’autre, il se prémunit contre ce risque.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Très mauvais exemple !

M. Josselin de Rohan. C’est ici qu’intervient l’article 49-3 de la Constitution : si la commission, pour une raison ou pour une autre, dénature profondément le projet de loi, au point que le Gouvernement ne reconnaît plus ses intentions primitives et y voit même un danger pour l’exécution de son programme, le Premier ministre sera conduit à poser la question de confiance.

M. Josselin de Rohan. Cependant, il ne pourra le faire qu’une fois par session. Cela signifie qu’un travail approfondi de recherche de synergie devra être mené entre le Gouvernement et sa majorité.

M. Robert Bret. C’est sans doute le dialogue évoqué par M. Hyest !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !

M. Josselin de Rohan. En vérité, monsieur le secrétaire d'État, nous allons entrer dans l’ère du pari, et c’est un pari pascalien, car vous prenez un risque, nous prenons tous un risque : il faudra assurer chaque jour une véritable symbiose entre le Gouvernement et sa majorité.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas le cas aujourd’hui ?

M. Robert Bret. Il suffit de lire Le Monde !

M. Josselin de Rohan. Quoi qu’il en soit, personne ne peut dire que cette mesure ne représente pas une nouveauté dans la pratique de la Ve République. J’espère qu’elle sera probante et que nous ne serons pas un jour obligés de revenir en arrière parce que trop de dysfonctionnements auront été constatés. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, pour explication de vote.

M. Jean-Claude Peyronnet. Je suis d’accord sur un point avec M. de Rohan : il s’agit en effet d’une novation importante. Cependant, la proposition que Patrice Gélard et moi-même avions faite était plus encadrée. Je ne suis donc pas sûr que tout le monde mesure bien les conséquences et le travail qu’il reste à faire.

Par exemple, que devient le droit d’amendement des non-commissaires ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On se pose la question !

M. Jean-Claude Peyronnet. Un membre de la commission des finances ou de la commission des affaires économiques pourra-t-il amender un projet de loi dont la commission des lois aura été saisie au fond ?

M. Philippe Marini. Évidemment !

M. Jean-Claude Peyronnet. Certes, cela semble logique, mais qui portera cet amendement ?

M. Philippe Marini. Vous le savez !

M. Jean-Claude Peyronnet. La commission s’adjoindra-t-elle des membres d’autres commissions ? Ou bien l’initiateur de l’amendement le déposera-t-il avec des membres de son groupe ?

Par ailleurs, quelle sera la publicité des travaux ? En effet, il n’est pas concevable que la commission travaille en catimini. Le système ne peut fonctionner que si les débats en commission font l’objet, comme les débats en séance publique, d’un compte rendu publié au Journal officiel. Sinon, l’opposition risque de perdre la réalité de ses droits.

Autres questions importantes : le Gouvernement pourra-t-il être entendu par les commissions ? Viendra-t-il défendre son texte devant elles ? Qui interviendra ?

Si le projet de loi constitutionnelle est adopté – ce que je ne souhaite pas, globalement –, c’est cette mesure qui sera la plus importante, mais à condition que tout le monde joue le jeu. Autrement dit, le fait majoritaire ne doit pas neutraliser le débat. Cette innovation pourrait nous faire gagner beaucoup de temps en séance publique, en nous épargnant d’avoir à reprendre des discussions qui ont déjà eu lieu en commission. La suppression de cette redondance, chacun en conviendra, permettra au Parlement de mieux exercer sa mission de contrôle.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Comme M. le secrétaire d’État l’a fort bien noté, nous avons des points de vue différents avec le groupe socialiste sur ce sujet. Les questions que vient de soulever Jean-Claude Peyronnet illustrent d’ailleurs parfaitement les raisons de notre totale hostilité à cet article.

En séance publique, un parlementaire en vaut un autre. Chacun, quelle que soit la commission à laquelle il appartient, dispose, fort heureusement, du droit d’amender et peut s’exprimer. Traiter une grande partie des textes en commission rendra assez complexe le maniement de ce droit.

En outre, une telle procédure favorisera les groupes les plus importants et le bipartisme. Les défauts qui sont déjà constatés aujourd'hui vont donc se trouver accentués, et j’ai l’impression que certains, à l’UMP, ne s’en rendent pas compte.

Compte tenu de la nécessaire adéquation entre le Président de la République et la majorité présidentielle, comment imaginer qu’un texte issu de la commission puisse être contraire au projet initial du Gouvernement ? C’est quasiment impossible ! Le cas de figure peut toujours se présenter, mais il créerait une crise dont il faudrait bien tirer les conséquences.

Discuter le texte issu des travaux de la commission revient donc à favoriser les groupes parlementaires les plus importants, à favoriser la majorité présidentielle et à dévaloriser le débat en séance publique, qui est pourtant le moment privilégié de la discussion parlementaire.

Pour toutes ces raisons, nous maintenons notre opposition résolue à cet article.

M. le président. La parole est à M. Alain Lambert, pour explication de vote.

M. Alain Lambert. Je souhaite retirer mon amendement n° 23, car l’interprétation qui en est faite va totalement à rebours de mes convictions.

Lors des débats précédents, on a un peu trop affirmé, sur le banc du Gouvernement comme sur celui de la commission, que, en voulant accorder l’exclusivité des dispositions fiscales et sociales respectivement aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale, nous cherchions à conférer à ces textes une suprématie. Et l’on nous a opposé de grands discours sur la hiérarchie des normes, que nous avons bien sûr écoutés avec révérence.

Mais voilà que, tout à coup, à l’occasion de l’examen de l’article 16 du présent projet, nous entendons dire que les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale constituent, selon M. le secrétaire d’État, des choix « déterminants » du Gouvernement, le président de Rohan allant jusqu’à parler d’éléments « essentiels » de l’action gouvernementale, dont ces textes constitueraient le « fondement ».

On ne peut pas dire tout un jour et son contraire le lendemain.

M. le président. L’amendement °23 est retiré.

La parole est à M. Philippe Marini, pour explication de vote.

M. Philippe Marini. J’aimerais ajouter quelques mots aux propos d’Alain Lambert.

Certes, les projets de loi de finances et leur duplication, les projets de loi de financement de la sécurité sociale, sont des textes fondamentaux. Dans la logique de la Ve République, ils occupent une place toute particulière au sein de notre ordre juridique. Il est donc dommage que les conséquences n’en aient pas été tirées pour leur réserver l’exclusivité de toutes dispositions venant « impacter » le solde public.

La position que le Sénat avait adoptée en première lecture me semblait plus cohérente au regard de l’équilibre des institutions de la Ve République, laquelle s’est bâtie sur une vision de l’intérêt général. Or l’intérêt général s’exprime mieux dans un document global, axé sur la recherche d’une cohésion d’ensemble, telle une loi de finances ou une loi de financement de la sécurité sociale, que dans une loi sectorielle qui s’efforce de résoudre des problèmes particuliers.

Cela étant, nous sommes en seconde lecture et tous ces débats ont déjà eu lieu. Il va donc de soi qu’il convient de repousser les amendements de suppression, d’autant que celui de Mme Borvo Cohen-Seat, en particulier, me semble reposer sur une véritable confusion.

M. Robert Bret. Elle est dans votre esprit !

M. Philippe Marini. Il ne s’agit pas ici de légiférer en commission, mais de légiférer sur le texte adopté par la commission, ce qui est tout à fait différent.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J’avais très bien compris !

M. Philippe Marini. En séance publique, le Gouvernement et tous les parlementaires – quelle que soit la commission permanente à laquelle ils appartiennent – pourront amender le texte.

À la différence de ce qui eût existé si l’on avait choisi le mode de législation en commission, il s’agit simplement ici d’une disposition d’ordre et de procédure qui valorise le travail de la commission parlementaire, ni plus ni moins. Le droit d’amendement des parlementaires n’est aucunement limité, contrairement à ce que M. Peyronnet et Mme Borvo Cohen-Seat ont pu dire tout à l’heure. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.

M. Christian Cointat. Indépendamment des dispositions portant sur la circonscription que j’ai l’honneur de représenter, l’article 16 et celui consacré à l’exception d’inconstitutionnalité sont, à mes yeux, les deux plus importants du projet de loi constitutionnelle. À eux seuls, ils justifient l’adoption de ce texte : ils représentent une avancée considérable tant pour le Parlement que pour les citoyens.

Je rejoins M. Peyronnet lorsqu’il dit que l’article 16 du présent projet de loi va tout changer, si tant est qu’on le veuille bien. Cette mesure offrira en effet un véritable pouvoir et une responsabilité supplémentaire au Parlement. C’est la raison pour laquelle je ne peux partager le point de vue du groupe CRC exprimé par sa présidente, Mme Borvo Cohen-Seat, car c’est justement là que le travail parlementaire prendra toute sa force.

Le Gouvernement ne se rend d’ailleurs peut-être pas compte du travail qui l’attend demain pour convaincre les parlementaires du bien-fondé de ses projets de loi.

Quoi qu’il en soit, nous devons absolument voter le texte en l’état et donc repousser ces amendements de suppression. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 60.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 120.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 16.

(L'article 16 est adopté.)

Article 16
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Article 18 (début)

Article 17

L'article 43 de la Constitution est ainsi rédigé :

« Art. 43. - Les projets et propositions de loi sont envoyés pour examen à l'une des commissions permanentes dont le nombre est limité à huit dans chaque assemblée.

« À la demande du Gouvernement ou de l'assemblée qui en est saisie, les projets ou propositions de loi sont envoyés pour examen à une commission spécialement désignée à cet effet. »

M. le président. L'amendement n° 27, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :

Compléter le texte proposé par cet article pour l'article 43 de la Constitution par un alinéa ainsi rédigé :

« Les commissions permanentes ou spéciales n'ont pas la personnalité juridique. À ce titre, elles n'ont pas vocation à contracter, fût-ce par la voie de leur président. »

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Je saisis l’occasion offerte par ce débat pour opérer une petite mise au point.

Lors de la discussion du projet de loi de modernisation de l’économie, le 4 juillet dernier, le ministre de l'économie a fait savoir au Sénat que le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale et l'auteur d'un rapport avaient conclu une convention avec des représentants du secteur bancaire.

Cette pratique, outre le fait qu'elle méconnaît complètement le bicamérisme puisque le Sénat n'avait pas été informé de cette démarche, constitue un précédent dont la valeur juridique est discutable.

La réforme de la Constitution semble le cadre idéal pour préciser que les commissions permanentes ou spéciales n’ont pas la personnalité juridique et n’ont donc pas vocation à contracter, fût-ce par la voie de leur président.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Une telle disposition n’a pas sa place dans la Constitution.

Par ailleurs, il ne semble pas usuel que les commissions passent stricto sensu des conventions de quelque nature que ce soit.

La commission est donc défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Contrairement au ministre de l’économie, je ne connais pas les détails juridiques de la convention conclue par la commission des finances de l’Assemblée nationale.

Quoi qu’il en soit, une commission, en elle-même, n’a pas la personnalité juridique, même si elle peut éventuellement passer une convention par le biais de son assemblée.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Par les questeurs !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. En tout état de cause, l’amendement proposé ne vise pas à accorder la personnalité juridique à une commission. Quand bien même ce serait le cas, une telle disposition n’aurait pas sa place dans la Constitution, comme vient de le souligner M. Gélard.

Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Je souhaitais juste obtenir cette précision, monsieur le président, et je retire donc mon amendement.

M. le président. L'amendement n° 27 est retiré.

Je mets aux voix l'article 17.

(L'article 17 est adopté.)

Article 17
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Article 18 (interruption de la discussion)

Article 18

Le premier alinéa de l'article 44 de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Ce droit s'exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique. »

M. le président. Je suis saisi, par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n°148, tendant au renvoi à la commission.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'Administration générale, l'article 18 du projet de loi constitutionnelle relatif à la modernisation des institutions de la Ve République (n° 459, 2007-2008). 

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour cinq minutes, et un orateur d’opinion contraire pour cinq minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n’est admise.

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la motion.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’article 18 du projet de loi constitutionnelle est extrêmement lourd de conséquences, car il ouvre la porte à un encadrement très strict du droit d’amendement et le remet en cause. Je n’ai pas cessé de le dire en première lecture et mon opinion n’a pas changé sur ce point.

Durant les dernières semaines, les auteurs du projet de loi, ceux qui le soutiennent ainsi que le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement ont vanté sur toutes les ondes, dans tous les organes de presse, les bienfaits de cette réforme et son caractère historique, voire « révolutionnaire », selon M. Karoutchi !

Évidemment, dans toutes ces déclarations, il n’a jamais été question de l’encadrement du droit d’amendement. Pourtant, ce qui est ici en jeu, c’est bien la réduction de ce droit démocratique essentiel.

Nous nous sommes évertués, ainsi que nos collègues de l’opposition, à dénoncer cet état de fait, mais, évidemment, en raison de la nécessité de voter ce texte et bien qu’il n’accroisse qu’optiquement les droits du Parlement, la propagande a marché à fond !

Le Président de la République, dans l’entretien accordé au Monde daté du  17 juillet, reconnaît explicitement les limites du texte puisqu’il estime nécessaire de s’autoproclamer garant du droit d’amendement de l’opposition.

Pour notre part, nous préférerions évidemment que les garanties figurent dans la Constitution et ne dépendent pas du bon-vouloir du Président de la République.

Le débat ne peut se poursuivre sérieusement sur un point aussi essentiel pour la démocratie parlementaire sans un éclaircissement sur les intentions présidentielles et, surtout, sans un échange en commission des lois. Nous devons adopter un texte qui apporte les garanties nécessaires, c'est-à-dire un texte conforme aux engagements que prend le Président de la République, mais uniquement par voie de presse !

C’est au Parlement de défendre ses prérogatives. Voilà pourquoi il est tout à fait nécessaire de renvoyer cet article en commission pour l’examiner de manière plus approfondie.

M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Naturellement, la commission n’a pas eu à se prononcer sur cette motion puisqu’elle vient d’être déposée.

À titre personnel, et compte tenu de ce qui a été adopté en commission des lois, je suis défavorable à cette demande de renvoi en commission.

Certes, nous abordons ici les conditions d’exercice du droit d’amendement. Je rappelle que le cadre en sera fixé par une loi organique, qui sera par définition relative au Sénat. Les deux assemblées devront donc trouver un accord. Nous en débattrons de nouveau tous ensemble à cette occasion.

Pour cette raison, le renvoi en commission de cet article est inutile.

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement partage l’analyse de M. le vice-président de la commission des lois.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 148.

(La motion n'est pas adoptée.)

M. le président. En conséquence, nous poursuivons la discussion de l’article 18.

Je suis saisi de neuf amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

Les deux premiers amendements sont identiques.

L'amendement n° 62 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

L'amendement n° 121 est présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour présenter l'amendement n° 62.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Cet article du projet de loi ne devait pas constituer pour le Gouvernement et pour les membres de l’UMP un élément important de débat. En effet, leur leitmotiv au sujet de ce texte est qu’il renforce le rôle du Parlement et qu’il encadre les pouvoirs du Président de la République. Il leur fallait donc minimiser, voire un peu dissimuler cet article 18, qui tend pourtant à limiter le droit d’amendement.

Nombreux sont ceux qui croyaient une telle duplicité impossible : affirmer la revalorisation du Parlement alors que la séance publique et le droit d’amendement sont mis à mal est en effet un exercice quelque peu ardu !

L’amendement est un outil essentiel du parlementaire pour faire valoir son opinion, engager le débat et soumettre ses idées au vote. C’est d’ailleurs le seul moyen dont dispose réellement l’opposition pour proposer d’autres solutions que celles qui sont avancées par le Gouvernement et la majorité. Réduire le droit d’amendement revient donc à tuer le débat démocratique.

Nous l’avons souligné en première lecture, l’articulation de la promotion du travail en commission, l’inscription de l’encadrement du droit d’amendement par les règles des assemblées après le vote d’une loi organique et la réduction du nombre de séances consacrées au débat législatif préparent une réorganisation profonde de la procédure législative, au détriment du débat pluraliste, démocratique et transparent.

Il faut le rappeler inlassablement, le comité Balladur a clairement préconisé la mise en place d’un « 49-3 » parlementaire aux mains de la majorité de chaque assemblée.

Monsieur le président, je considère que, par cette intervention, j’ai également défendu les amendements nos 63, 64, 65 et 66 déposés par mon groupe sur cet article.

M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès, pour présenter l'amendement n° 121.

Mme Christiane Demontès. Initialement, l'article 18 du projet de loi constitutionnelle complétait l'article 44 de la Constitution afin de préciser que le droit d'amendement s'exerce en séance ou en commission selon les conditions et les limites fixées par le règlement des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique.

En première lecture, le Sénat a supprimé la mention des limites, incluse dans celle des conditions. Il a également supprimé la référence à la loi organique. Le rapporteur de la commission des lois a notamment constaté : « La référence faite ici à la loi organique limite la compétence de principe que la Constitution reconnaît aux règlements des assemblées et contredit l'autonomie des assemblées pour fixer les modalités d'exercice du droit d'amendement. »

En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a introduit de nouveau la possibilité d'adopter une loi organique relative au droit d'amendement.

Cette réforme, présentée dans le but de mieux organiser les débats en séance publique, va faciliter le recours aux procédures simplifiées d'adoption des projets et propositions de loi et ainsi conférer à terme un véritable pouvoir législatif aux commissions, sans aucune ratification en séance plénière.

Cette crainte est justifiée par le fait que le droit d'amendement s'exercera dorénavant en séance publique ou en commission et par la réintroduction de la référence à la loi organique, dont l’objet est de définir non seulement le régime des amendements parlementaires, mais aussi le régime des amendements gouvernementaux, afin de fixer un cadre commun de discussion.

Comme vient de le dire Mme Mathon-Poinat, le droit d'amendement est un droit intrinsèque à la fonction de parlementaire. Or il risque de devenir un droit accessoire, cantonné dans la future programmation de la durée du débat public et encadré par les règles relatives à l'irrecevabilité financière ainsi que l'irrecevabilité matérielle nouvelle relative au respect du domaine de la loi, prononcée à la demande du président de l'assemblée.

Les déclarations contradictoires émanant du président de l'Assemblée nationale, des rapporteurs et du Gouvernement nous laissent dans le flou, sans aucune prévisibilité puisque l'article 18 se contente de renvoyer pour son application aux futures dispositions des règlements des assemblées et à celles d'une loi organique.

Ce sujet transcende les clivages partisans. Il concerne aussi bien les parlementaires qui appartiennent à la majorité que ceux qui appartiennent à l'opposition. Ensemble, nous devons nous montrer vigilants et ne toucher au droit d'amendement que si l'on bénéficie de nombreuses garanties.

Ces dernières n'étant pas réunies au stade de la deuxième lecture, nous réitérons avec encore plus d'insistance notre demande de suppression de l'article 18 du projet de loi constitutionnelle.

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !

M. le président. L'amendement n° 63, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Dans le premier alinéa de l'article 44 de la Constitution, après le mot : « ont », sont insérés les mots : « à tout moment du débat ».

Cet amendement a déjà été défendu.

L'amendement n° 64, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Après le premier alinéa de l'article 44 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le Gouvernement ne peut introduire, par amendement à un projet de loi ou une proposition de loi, de dispositions nouvelles autres que celles qui sont en relation directe avec une des dispositions du texte en discussion ou dont l'adoption est soit justifiée par des exigences de caractère constitutionnel soit nécessitée par la coordination avec d'autres textes en cours d'examen au Parlement. Ces dispositions ne s'appliquent pas aux projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. »

Cet amendement a déjà été défendu.

L'amendement n° 65, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le troisième alinéa de l'article 44 de la Constitution est supprimé.

Cet amendement a déjà été défendu.

L'amendement n° 8, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi le second alinéa de cet article :

« Ce droit s'exerce en séance et en commission selon les conditions fixées par les règlements des assemblées. »

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. L’Assemblée nationale a rétabli l’intervention d’une loi organique pour fixer le « cadre » dans lequel sera exercé le droit d’amendement.

Après les limites et les conditions, voici donc le cadre !

En réalité, il s’agit de synonymes, l’idée de fond étant toujours la même : le Gouvernement entend encadrer le droit d’amendement par une loi organique.

À ce sujet, je rejoins parfaitement les conclusions formulées par M. Hyest lors de la première lecture. Je me permettrai donc, afin de défendre cet amendement, de citer in extenso les propos tenus alors par notre rapporteur : « Votre commission s’est interrogée sur le renvoi à la organique pour déterminer le “cadre” dans lequel s’inscriraient les règlements des assemblées. Dans deux autres articles de la Constitution, les articles 12 et 24, la compétence donnée aux assemblées pour définir les règles qui les concernent n’est pas encadrée. La référence faite ici à la loi organique limite la compétence de principe que la Constitution reconnaît aux règlements des assemblées et contredit l’autonomie des assemblées pour fixer les modalités d’exercice du droit d’amendement. Aussi, nous proposons de supprimer cette référence ».

Je vous propose donc, aujourd'hui, de prendre acte des propos lumineux de notre rapporteur, prononcés ici même voilà quelques semaines, pour supprimer la référence à la loi organique.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Philippe Richert.)

PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Article 18 (début)
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Discussion générale

7

Conférence des présidents

M. le président. La conférence des présidents a établi comme suit l’ordre du jour des prochaines séances du Sénat :

Jeudi 17 juillet 2008

À 9 heures 30, à 15 heures et le soir :

Vendredi 18 juillet 2008

À 9 heures 30, à 15 heures et le soir :

Mardi 22 juillet 2008

À 10 heures, à 16 heures et le soir :

- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après déclaration d’urgence, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (n° 448, 2007-2008) ;

(La conférence des présidents a fixé à deux heures et demie la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ;

Les délais limite pour le dépôt des amendements et pour les inscriptions de parole sont expirés).

Mercredi 23 juillet 2008

À 15 heures :

1°) Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de modernisation de l’économie ;

2°) Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires publiques pendant le temps scolaire ;

À 21 heures 30 :

3°) Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif aux droits et aux devoirs des demandeurs d’emploi ;

4°) Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour l’année 2007.

Jeudi 24 juillet 2008

À 11 heures 30 :

- Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail.

Par ailleurs, la conférence des présidents a fixé les dates de séances de questions d’actualité au Gouvernement.

D’octobre à décembre 2008

- Jeudi 16 octobre 2008 - Jeudi 30 octobre 2008

- Jeudi 13 novembre 2008 - Jeudi 27 novembre 2008

- Jeudi 11 décembre 2008 - Jeudi 18 décembre 2008

Y a-t-il des observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances ?...

Ces propositions sont adoptées.

8

Article 18 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 18

Modernisation des institutions de la Ve République

Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi constitutionnelle en deuxième lecture

M. le président. Nous reprenons la discussion en deuxième lecture du projet de loi constitutionnelle, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, de modernisation des institutions de la Ve République.

Dans la discussion des articles, nous poursuivons l’examen de l’article 18.

Discussion générale
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Article 19

Article 18 (suite)

L'amendement n° 24, présenté par M. Lambert, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

... - Le dernier alinéa du même article est complété par les mots : « et par la commission saisie au fond ».

La parole est à M. Alain Lambert.

M. Alain Lambert. Monsieur le président, je frémis tant le sujet est délicat !

Il s’agit du vote bloqué, prévu à l’article 44, alinéa 3, de la Constitution. Je ne ferai à personne l’offense d’expliquer cette procédure que nous connaissons tous puisque nous l’avons tous pratiquée.

Pour qu’il n’y ait pas la moindre ambiguïté, je rappelle que le principe du vote bloqué ne doit pas, à mes yeux, être remis en cause. Il peut être utile pour clarifier un débat, accélérer un débat enlisé, surmonter une obstruction. En seconde délibération, il peut servir à revenir sur des erreurs ou des accidents circonstanciels. Le Gouvernement doit pouvoir ainsi conserver la maîtrise du déroulement des débats.

En revanche, les amendements soumis au vote devraient, selon moi, être aussi agréés par la commission saisie au fond. Ce système aurait le mérite de prendre davantage en compte l’expression de la représentation nationale. En cas de désaccord sur un ou plusieurs amendements entre le Gouvernement et la commission saisie au fond, ceux-ci ne seraient pas soumis au vote bloqué et pourraient cependant, pris individuellement, faire l’objet d’une seconde délibération, de manière que les droits ultimes du Gouvernement soient préservés.

M. le président. L’amendement n° 66, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

... - Après le deuxième alinéa de l’article 44 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsqu’un amendement a été adopté par une assemblée, le gouvernement ne peut demander une nouvelle délibération de l’article amendé au cours de la même lecture devant ladite assemblée. »

Cet amendement a déjà été défendu.

L’amendement n° 122, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

... - Le même article est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le Gouvernement ne peut introduire, par amendement à un projet de loi ou une proposition de loi, de dispositions nouvelles autres que celles qui sont en relation directe avec une des dispositions du texte en discussion ou dont l’adoption est soit justifiée par des exigences de caractère constitutionnel soit nécessitée par la coordination avec d’autres textes en cours d’examen au Parlement. Ces dispositions ne s’appliquent pas aux projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. »

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Cet amendement a pour objet d’encadrer le pouvoir d’amendement du Gouvernement en proscrivant les cavaliers législatifs. Je pense que tout le monde sera d’accord sur cet objectif.

On pourrait nous demander pourquoi le Gouvernement, à la différence des parlementaires, ne pourrait pas, lui aussi, déposer tous les amendements qu’il souhaite : tout simplement parce qu’il peut les présenter n’importe quand et, notamment, sans qu’ils aient été examinés par la commission. Il peut ainsi déposer un amendement à la dernière minute, ce qui est tout à fait gênant parce qu’on risque de se trouver face à des dispositions dont il n’a jamais été question par ailleurs.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’ensemble des amendements en discussion commune ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Beaucoup de ces amendements ont déjà été déposés en première lecture et rejetés par notre assemblée. Je ne ferai donc pas de longs commentaires.

Je rappellerai qu’il peut être utile d’organiser des débats simplifiés en séance publique, comme le permettra la disposition ajoutée par l’article 18 au premier alinéa de l’article 44 de la Constitution, en particulier sur des textes à caractère technique qui ne recèlent pas de réels enjeux politiques. La commission est donc défavorable aux amendements identiques nos 62 et 121.

L’adoption de l’amendement n° 63 reviendrait à empêcher les commissions d’examiner les amendements avant leur examen en séance publique. C’est curieux ! Avis défavorable.

Il en va de même en ce qui concerne l’amendement n° 64. Le droit d’amendement du Gouvernement est soumis par la jurisprudence du Conseil constitutionnel aux mêmes conditions que celui des parlementaires. Les dispositions introduites par cet amendement ne lui sont actuellement applicables qu’à partir de la deuxième lecture d’un texte. Il n’y a aucune raison de les étendre à la première lecture.

L’amendement n° 65 tend à supprimer le vote bloqué, ce qui diminuerait l’une des garanties de l’efficacité de l’action gouvernementale. Il faut maintenir cette procédure, d’autant que le recours à la procédure dite du « 49-3 » sera très encadré. Avis défavorable.

Madame Boumediene-Thiery, l’Assemblée nationale a effectivement souhaité rétablir en deuxième lecture le renvoi à la loi organique, que le Sénat avait supprimé en première lecture. La position des députés se justifie par le souci de fixer un cadre commun aux conditions d’exercice du droit d’amendement par le Gouvernement et les parlementaires. Nous avions, quant à nous, estimé qu’il n’y avait pas de raison d’encadrer le droit d’amendement du Gouvernement.

Par souci de compromis, il est souhaitable d’en rester à cette rédaction, et la commission émet donc un avis défavorable sur l’amendement n° 8.

L’amendement n° 24 pose pour principe que le Gouvernement devrait obligatoirement retenir les amendements proposés ou acceptés par la commission saisie au fond, ce qui limiterait fortement la portée du vote bloqué. Dès lors que le Sénat se rallie à la limitation du recours au 49-3, il n’est pas souhaitable de restreindre, de surcroît, l’utilisation du vote bloqué qui, même si elle doit rester exceptionnelle, n’en constitue pas moins une garantie de l’efficacité de l’action de l’exécutif.

J’émettrai donc un avis défavorable sur cet amendement pour qu’on ne puisse pas m’accuser de ne demander le retrait de leurs amendements qu’à certains de nos collègues ! Au demeurant, je demande le retrait de tous les amendements, bien entendu ! Mais, dans le cas présent, la commission, comme en première lecture, a émis un avis défavorable.

L’amendement n° 66 vise non pas la nouvelle délibération, procédure qui relève de l’initiative du Président de la République, mais la seconde délibération, qui est demandée par le Gouvernement. Celle-ci garantit une certaine souplesse à la procédure législative. Avis défavorable.

L’amendement n° 122 appelle le même commentaire et recueille le même avis défavorable que l’amendement n° 64.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Le Gouvernement est naturellement défavorable aux amendements nos 62 et 121, qui tendent à la suppression de l’article 18.

Il ne s’agit nullement, avec cet article, de porter atteinte au droit d’amendement, qui continuera à s’exercer en commission et en séance publique. Évidemment, lorsque, pour quelques textes, tout le monde aura convenu – comme aujourd’hui pour certaines conventions internationales – qu’il n’est pas nécessaire de reprendre en séance publique un débat amplement mené en commission, l’intérêt de rediscuter en séance des amendements déjà examinés en commission sera… limité.

Quant à la loi organique, elle a pour objectif d’assurer que le traitement des amendements du Gouvernement s’effectuera de manière cohérente entre les deux assemblées, sans plus.

L’amendement n°63 du groupe CRC tend à introduire des dispositions qui seraient contradictoires avec le deuxième alinéa de l’article 44 de la Constitution, qui permet au Gouvernement de s’opposer, après l’ouverture du débat, à l’examen des amendements qui n’ont pas été soumis antérieurement à la commission. La clarté et la sincérité du débat parlementaire peuvent justifier une certaine organisation de nature à permettre à chacun de prendre connaissance des amendements déposés. Par conséquent, l’avis du Gouvernement est défavorable.

Les amendements nos 64 et 122 tendent à interdire au Gouvernement de déposer des amendements d’un certain type en première lecture. Il s’agit d’une proposition du comité Balladur que le Gouvernement n’a pas souhaité intégrer dans son projet de loi, et des amendements de même nature ont été précédemment rejetés. La jurisprudence sur les cavaliers législatifs permet déjà amplement de limiter toute dérive du droit d’amendement gouvernemental en première lecture. L’ajout de cette précision à l’article 44 ne s’impose donc pas.

L’amendement n°65 tend à la suppression du troisième alinéa de l’article 44 de la Constitution. Cet amendement recueille un avis défavorable. En effet, le vote bloqué doit bien entendu être utilisé avec parcimonie et modération, mais cet instrument reste utile pour assurer une certaine cohérence à un texte. Le projet de révision constitutionnelle renforce déjà très largement les pouvoirs du Parlement et réduit un certain nombre de prérogatives du Gouvernement, comme l’a dit M. le rapporteur, notamment en ce qui concerne le recours à la procédure de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution.

L’amendement n° 8 recueille également un avis défavorable, car le Gouvernement ne souhaite pas que le règlement de chaque assemblée puisse apporter des limitations à son droit d’amendement. Autant il est légitime que les règlements arrêtent les règles concernant le dépôt des amendements des membres de chaque assemblée, les modalités de leur examen, de leur discussion et de leur vote, autant il ne paraît pas souhaitable au Gouvernement que de telles règles puissent le contraindre, d’autant que ces règles pourraient être très différentes d’une assemblée à l’autre. C’est d’ailleurs le sens du renvoi à la loi organique qui a été réintroduit par l’Assemblée nationale.

Monsieur Lambert, le Gouvernement comprend bien qu’il faille accorder un droit de regard aux commissions saisies au fond sur la possibilité de recourir à la procédure de l’article 44, alinéa 3, de la Constitution.

Votre argumentation est très équilibrée puisque vous considérez que la procédure du 44-3 ne doit pas être remise en cause dans la mesure où elle peut, comme vous le dites, aider à clarifier le débat, à accélérer un débat enlisé, à surmonter une obstruction. C’est effectivement le point de vue du Gouvernement, qui n’a pas souhaité modifier cette procédure. Le comité Balladur lui-même, de composition pluraliste, ne l’avait pas proposé.

Le Gouvernement estime aussi que le vote bloqué doit être utilisé avec parcimonie, je l’ai dit à l’instant ; je crois que c’est plutôt le cas aujourd’hui.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. J’en viens à votre proposition selon laquelle les commissions pourraient codécider avec le Gouvernement des amendements faisant l’objet du vote bloqué.

Dans le cadre de l’équilibre général de cette réforme, le Gouvernement est attaché à ce que certains instruments soient maintenus qui lui permettent de faire valoir son point de vue. C’est pourquoi il estime qu’il doit pouvoir disposer de la procédure de l’article 44, alinéa 3, notamment en cas de désaccord profond avec la commission saisie au fond. C’est l’un des éléments de l’équilibre de la procédure législative.

En conséquence, monsieur le sénateur, je me permets de vous demander – c’est à peine si j’ose le faire, après les reproches qui ont été formulés tout à l'heure par M. Dreyfus-Schmidt ! – le retrait de votre amendement n° 24. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Enfin, l’amendement n° 66 tend à interdire au Gouvernement de demander, au cours d’une même lecture, une nouvelle délibération. Avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 62 et 121.

M. Bernard Frimat. Nous avons demandé un scrutin public sur ces amendements de suppression, non pas pour multiplier les scrutins publics, auxquels nous savons nos collègues de l’UMP très attachés en cas de difficulté, mais simplement parce que l’article 18 nous semble essentiel.

Monsieur le secrétaire d’État, vos paroles, tant en première qu’en seconde lecture, ne nous ont pas rassurés. Vous avez utilisé la conjonction « et » –  « en commission et en séance plénière »  –- alors que le texte dit « ou ».

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est pareil !

M. Bernard Frimat. Je ne pense pas, sauf si le Gouvernement présente un amendement de dernière minute, que nous soyons partis pour constitutionnaliser les pages d’un grand quotidien du soir ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Ce serait, certes, une innovation constitutionnelle intéressante, mais je crains que nous ne votions à Versailles, lundi, que sur le texte que nous avons à débattre et qu’il n’y ait pas de codicille sous forme d’appendice « mondial » !

Le Président de la République nous annonce qu’il se porte garant des droits de l’opposition. Vous me permettez de trouvez cela très injuste pour la majorité ! (Sourires sur les mêmes travées.)

M. Jean-Jacques Hyest. C’est l’arbitre !

M. Bernard Frimat. Car nous avons, nous, une démarche beaucoup plus consensuelle – nous sommes d’ailleurs les seuls –, visant à ce que l’ensemble des parlementaires puisse en toute équité bénéficier du droit d’amendement.

Or il nous semble que, loin d’en accorder les garanties, vous renvoyez le droit d’amendement et la manière dont il sera exercé au règlement des assemblées parlementaires.

J’ai eu l’occasion d’expliquer hier que nous nous trouvions face à une dégradation, en termes de qualité juridique des instruments de référence. Nous souhaitons réellement que cet article fasse l’objet d’un scrutin public pour bien montrer que nous sommes là au cœur de l’explication et de la défense de ce qui est une démarche démocratique.

À qui fera-t-on croire que réglementer le droit d’amendement et ne garantir, par article du journal Le Monde interposé, que le droit d’amendement de l’opposition, en laissant en déshérence celui de la majorité –  ce qui est insupportable –, constitue une avancée démocratique ?

Nous sommes simplement devant une diminution du droit du Parlement. C’est un recul supplémentaire que recèle ce texte cette loi, lequel en comporte de nombreux, et qui justifie notre position.

Mais nous ne désespérons pas de vous convaincre ! La nuit aidant, vous arriverez peut-être à comprendre qu’il était possible d’aller vers une révision plus intelligente. À ce moment-là, en deuxième lecture, monsieur le secrétaire d’État, saisi d’un élan démocratique que nous saluerions à sa juste valeur, vous nous proposeriez la constitutionnalisation des propositions du Président de la République ! (M. le secrétaire d'État s’exclame.) Cela aurait le mérite de les faire passer du statut de coup de communication à celui de progrès démocratique ! Cela dit, je pense que nous en sommes loin. La nuit nous apportera sans doute tout de même quelques précisions, sous votre houlette bienveillante, monsieur le président.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez fait toute votre communication, monsieur le secrétaire d’État, depuis des mois, sur le renforcement des pouvoirs du Parlement. Or nous avons constaté qu’en réalité il ne s’agissait aucunement de cela. En effet, malgré toutes les possibilités dont disposent déjà, dans la Constitution telle qu’elle est aujourd’hui, le Gouvernement et la majorité pour encadrer le débat parlementaire, cette révision ne va vous servir qu’à le contraindre encore davantage et, notamment, à réduire le droit d’amendement des parlementaires.

Nous avons tenté de contrecarrer la communication gouvernementale en expliquant que la vraie raison de cette révision constitutionnelle, une présidentialisation accrue du régime, n’était hélas pas contrebalancée par un renforcement des droits du Parlement.

Le Président de la République a lui-même voulu cette réforme depuis qu’il est élu, afin d’exercer sans entraves son rôle de chef absolu de l’exécutif, un rôle qu’il revendique, comme il le démontre aujourd’hui en venant s’immiscer, par le biais d’un entretien accordé au Monde, dans le débat entre le Gouvernement et le Parlement. Et, à cette occasion, il s’affirme garant du droit d’amendement ! Et vous n’en profitez pas ? Il y a là un léger dysfonctionnement ! Apparemment, il est le chef de l’exécutif, mais l’exécutif ne suit pas puisqu’il refuse toute modification de cet article 18 dans un sens qui permettrait d’asseoir le renforcement de ce droit d’amendement des parlementaires.

Nous sommes donc confortés dans l’idée qu’il ne s’agit donc en rien, avec ce texte, de renforcer les droits du Parlement. Le Président de la République fait des effets d’annonce, il parle dans la presse ! Peut-être qu’avec votre révision il en sera tout autrement, mais ça, nous ne pouvons pas le prévoir, car nous ne lisons pas dans le marc de café !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Nous vivons donc à l’heure de la juxtaposition des contraires. C’est l’apothéose de l’oxymore ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Tout à l’heure, il a été fait allusion à la première page du numéro du journal Le Monde paru aujourd’hui à midi. Mais il faut aussi lire en détail la page 6.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah oui ! Elle est encore mieux !

M. Jean-Pierre Sueur. Nous y voyons qu’au moment même où il nous dit qu’il est nécessaire et urgent de renforcer les pouvoirs du Parlement, M. le Président de la République se comporte comme un hyper-président. (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.)

Cet hyper-président, à lui seul, statue sur la Constitution, la loi et le règlement des assemblées parlementaires. C’est extraordinaire !

Ainsi, on fait le contraire de ce que l’on dit et l’on dit le contraire de ce que l’on fait !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Si l’on croyait tout ce qu’il dit !

M. Jean-Pierre Sueur. Si vous le permettez, je vais m’en tenir à quelques lignes de propos du Président de la République :

« Les propositions de Bernard Accoyer sur les droits de l’opposition et des groupes parlementaires à l’Assemblée seront mises en œuvre. »

Donc, voilà que le Président décide de quelque chose qui relève tout de même, à l’évidence, de l’Assemblée nationale !

« Je suis pour que le seuil de constitution d’un groupe à l’Assemblée, qui est actuellement de vingt membres soit abaissé à quinze. »

Je pensais que c’était une prérogative du Parlement que de statuer en la matière… Mais c’est le Président qui décide !

« Je suis favorable à l’égalité du temps de parole entre majorité et opposition dans les débats. »

Mme Isabelle Debré. Ce n’est pas le cas aujourd’hui !

M. Jean-Pierre Sueur. Mais je ne vous empêche pas de parler, chère collègue, en particulier lors des séances de questions d’actualité.

Je termine par cette citation, qui nous ramène à l’amendement n° 121 : « Lors du vote de la loi organique qui précisera les conditions et limites du droit d’amendement, je veillerai à ce que les droits de l’opposition soient garantis. »

Le Président dit bien que la loi organique précisera non seulement les « conditions » du droit d’amendement, mais aussi ses « limites ». Pensez-vous, mes chers collègues, qu’il soit nécessaire de faire une loi organique pour préciser les « limites » du droit d’amendement ?

Jusqu’à ce jour, nous vivons avec une Constitution qui garantit pleinement le droit d’amendement. Pourquoi faut-il que le Président de la République vienne nous dire qu’outre la Constitution il y aura une loi qui précisera naturellement le règlement mais qui aura pour finalité non seulement de préciser les conditions du droit d’amendement mais aussi ses limites ?

Il y a là quelque chose de très inquiétant : l’hyper-président fait tout, y compris ce qui n’est pas de son ressort. En vertu de la Constitution, le Président n’a pas les pouvoirs qu’il s’arroge dans la page 6 du journal Le Monde ! Voilà la vérité de la Constitution sous l’égide de laquelle nous vivons !

Et ce que dit explicitement le Président de la République renforce nos inquiétudes parce qu’il s’agit réellement, monsieur le président – je sais que cela doit vous préoccuper, comme tous les parlementaires –, de restreindre le droit d’amendement.

M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.

M. Christian Cointat. J’aime beaucoup la dialectique, mais il y a quand même des limites à ne pas franchir !

Je crois que le sophisme est une de vos règles, monsieur Sueur, et c’est un peu dommage parce que vos interventions sont toujours très talentueuses.

Mais là, franchement, vous allez un peu loin !

D’abord, vous parlez des organes de presse dont il faut garantir la liberté. Or vous faites une publicité pour le moins curieuse pour un journal !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est une publicité de Sarkozy !

M. Christian Cointat. Et comme par hasard, ce n’est pas un journal de droite !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est le journal du Président !

M. Christian Cointat. Deuxième chose : vous n’avez pas cessé de réclamer un geste du Président de la République. Il le fait, vous le critiquez ! Il faudrait savoir ! Il répond à votre attente, et vous répondez que ce n’est pas ce que vous vouliez !

En réalité, vous êtes dans une situation où quoi qu’on fasse, quoi qu’on dise, quoi qu’on propose, vous n’en voulez pas l’accepter, même si c’est dans l’intérêt général. C’est bien regrettable !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous êtes le porte-parole de l’Élysée ?

M. Christian Cointat. Il y a des gestes, des avancées, on essaie de défendre l’intérêt général et l’intérêt du Parlement. C’est aussi à nous de prendre nos responsabilités ! Il est bien clair que le Président de la République ne va pas décider pour le Parlement ! C’est ridicule d’en arriver à soutenir une telle argumentation !

Le Président de la République est le garant de la Constitution, vous le savez tous : c’est dans son rôle. C’est pourquoi, très naturellement, il donne sa vision des choses. Cela peut nous éclairer. De plus, c’est une garantie qu’il vous apporte, un geste qu’il fait en votre direction. (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.) Vous devriez être satisfaits, vous pourriez même demander davantage ! Pourquoi pas ? Mais, au moins, n’essayez pas de ridiculiser une démarche très sérieuse.

Alors oui, vous l’avez dit, c’est un hyper-président. « Hyper », c’est mieux que « super » ! Finalement, vous adorez le Président, puisque c’est pour vous un super-homme ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Moi aussi, j’apprécie d’ordinaire les interventions de notre collègue Cointat.

Quel est le problème qui est ici posé ? Quelle est notre inquiétude ? Elle tient à ce que le Président de la République est devenu le chef de l’opposition parlementaire. (Sourires.) Oui ! Avant il l’était par Premier ministre interposé. Mais maintenant celui-ci a mal au dos !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Ah, non, vous allez trop loin ! C’est indigne !

M. Pierre-Yves Collombat. C’était dans le journal : il n’avait pas besoin de raconter ça !

Le problème est là : à la différence d’un régime vraiment présidentiel, où il y a séparation des pouvoirs, en France, désormais, il n’y a plus séparation des pouvoirs. Le Président de la République est celui qui peut dissoudre l’Assemblée nationale, mais aussi celui qui, en lieu et place du Gouvernement, conduit maintenant directement les travaux parlementaires ! C’est ce qu’on a dit, et très bien dit, dans la presse.

Voilà ce qui est inquiétant ! Ce que vous ne voulez pas admettre clairement, c’est qu’on assiste à un glissement d’une majorité parlementaire, qui doit normalement faire la loi, à la majorité du Président : il n’y a plus de séparation des pouvoirs.

Vous imaginez-vous que le général de Gaulle se serait rendu devant des assemblées de partis, devant le parti majoritaire de l’époque ? C’est impensable !

Le Président de la République est devenu le chef de la majorité parlementaire.

Mme Isabelle Debré. Mais il a été élu, et bien élu !

M. Pierre-Yves Collombat. Il n’y a plus de séparation des pouvoirs et, comme chacun sait, où il n’y a pas de séparation des pouvoirs, il n’y a pas de Constitution ! Voilà ce que nous craignons.

La Constitution que vous êtes en train de mettre en place non seulement ne rend pas plus de pouvoirs au Parlement, mais elle crée un régime de nature consulaire.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Oh !

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Vous savez très bien que je n’ai pas pour habitude de me lancer dans de grands discours, je serai donc assez concise.

J’avoue que je suis un peu surprise : j’entends un discours qui n’est pas du tout en accord avec la réalité. Aujourd'hui, nous ne disposons d’aucun amendement qui nous permettrait d’avancer sur ce texte sur lequel nous sommes en train de travailler ensemble. Si les discours me semblent bons, ils ne se traduisent malheureusement pas dans la réalité par des propositions d’amendements.

S’il y avait véritablement une volonté politique du Gouvernement, en tout cas du Président de la République, les choses ne se passeraient pas de cette manière. Tous nos amendements sont balayés d’un revers de main et refusés.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Comme en première lecture !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Nous assistons à une certaine mascarade. Il est vraiment de la plus grande hypocrisie de faire un vote conforme qui ne dit pas son nom.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous le disons !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Alors, faites-le directement !

M. Henri de Raincourt. On aimerait bien !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Cela serait plus simple. Il est vraiment regrettable que sur les résolutions, pour lesquelles nous devrons obtenir un accord afin d’être certains qu’elles ne dérangeront pas, ou sur le droit d’amendement, notre République soit soumise au fait du prince. (M. Henri de Raincourt s’esclaffe.)

Mme Isabelle Debré. Nicolas Sarkozy a été élu, et bien élu !

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 62 et 121.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 141 :

Nombre de votants 296
Nombre de suffrages exprimés 289
Majorité absolue des suffrages exprimés 145
Pour l’adoption 119
Contre 170

Le Sénat n'a pas adopté.

Je mets aux voix l'amendement n° 63.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 64.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 65.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 8.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Monsieur Lambert, l'amendement n° 24 est-il maintenu ?

M. Alain Lambert. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 24 est retiré.

Je mets aux voix l'amendement n° 66.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 122.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 18.

(L'article 18 est adopté.)

Article 18
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 20

Article 19

L'article 45 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Sans préjudice de l'application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis. » ;

2° Le deuxième alinéa est ainsi modifié :

a) Les mots : « déclaré l'urgence » sont remplacés par les mots : « décidé d'engager la procédure accélérée sans que les Conférences des présidents s'y soient conjointement opposées » ;

b) Après le mot : « ministre », le mot : « a » est remplacé par les mots : « ou, pour une proposition de loi, les présidents des deux assemblées agissant conjointement, ont ».

M. le président. Je suis saisi de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° 68, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Les trois derniers alinéas de l'article 45 de la Constitution sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque par suite d'un désaccord entre les deux assemblées, un projet ou une proposition de loi n'a pu être adopté après deux lectures par chaque assemblée, le gouvernement demande à l'Assemblée Nationale de statuer définitivement. »

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. L’article 19 n’est pas plus satisfaisant en deuxième lecture qu’il ne l’était en première lecture. En effet, l’article 15 du projet de loi ayant été rétabli par les députés, ceux-ci ont également rétabli le 1° de l’article 19, entérinant de fait la règle qui permettra, à terme, de limiter rigoureusement la recevabilité des amendements.

Quant aux dispositions relatives à la procédure d’urgence, qui pourra être engagée à moins que les conférences des présidents ne s’y soient conjointement opposées, et à la possibilité pour les présidents des deux assemblées de convoquer une commission mixte paritaire, l’Assemblée nationale n’y a apporté que des modifications rédactionnelles, sans remettre en cause le fond.

Or l’article 19 fait partie des articles du projet de loi qui tendent à restreindre les pouvoirs du Parlement, puisqu’il limite le droit d’amendement et le débat en séance publique par un élargissement – injustifié – du régime des commissions mixtes paritaires aux propositions de loi.

Ces commissions mixtes paritaires sont l’antithèse du débat démocratique : elles sont opaques puisqu’elles ne sont pas publiques et elles ne sont pas représentatives des sensibilités politiques présentes dans l’hémicycle. De plus, elles interviennent au terme d’un débat expédié sur un projet de loi pour lequel l’urgence a été déclarée.

L’urgence et les commissions mixtes paritaires ne permettent donc pas de débattre dans de bonnes conditions. Or le Gouvernement et la majorité nous suggèrent aujourd’hui d’étendre les possibilités de convoquer des commissions mixtes paritaires.

Nous proposons par conséquent de mettre un terme à ce régime des commissions mixtes paritaires et de prévoir, afin de garantir un vrai débat public et démocratique, que quand, à la suite d’un désaccord entre les deux assemblées, un projet ou une proposition de loi n’a pu être adopté après deux lectures par chaque assemblée, le Gouvernement demande à l’Assemblée nationale de statuer définitivement.

M. le président. L'amendement n° 67, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Supprimer le 1° de cet article.

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. L’Assemblée nationale a rétabli en deuxième lecture le premier alinéa de ce texte que le Sénat avait pourtant supprimé en première lecture. Aux termes de cet alinéa, peut être déposé en première lecture tout amendement qui, une fois les deux premiers obstacles des articles 40 et 41 de la Constitution franchis, présente un lien, même indirect, avec le texte en discussion.

Nous avons longuement débattu pour savoir si cette disposition était plus favorable au droit des parlementaires que la jurisprudence du Conseil Constitutionnel.

Le rapporteur de la commission des lois, notre collègue Hyest, ne semble pas lui-même totalement convaincu par le rétablissement de la rédaction initiale par l’Assemblée nationale.

Ainsi, dans son rapport, il indique : « Il n’est pas certain que cette formule soit plus favorable que la jurisprudence du Conseil constitutionnel exigeant que les amendements ne soient “pas dépourvus de tout lien” avec l’objet du projet ou de la proposition de loi déposé sur le bureau de la première assemblée saisie. »

Comme à l’accoutumée, vous écrivez, monsieur le rapporteur, ce que tout le monde pense tout bas, en affirmant que « la proposition de l’Assemblée nationale aura le mérite de fixer dans la Constitution les conditions de recevabilité des amendements en première lecture ».

C’est bien cela le point important, au-delà des querelles d’interprétation de la jurisprudence du Conseil constitutionnel : le droit d’amendement dans cet article 19, comme dans l’article 18, est, pour la première fois, encadré, limité, réduit dans le texte même de la Constitution.

Cet alinéa est à l’image de la démarche qui est à la fois celle du Gouvernement, de l’UMP et du Président de la République M. Sarkozy : on affiche un objectif et on fait exactement le contraire.

En feignant d’accepter largement les amendements en première lecture, vous offrez en fait un cadre constitutionnel à la réduction future de ce droit d’amendement.

Aussi, nous vous proposons, mes chers collègues, de mettre un terme à cette duplicité en supprimant de nouveau cette disposition.

M. le président. L'amendement n° 123, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Repentin, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le second alinéa du 1° de cet article :

« Tout amendement est recevable dès lorsqu'il présente un lien avec le texte déposé ou transmis. »

La parole est à M. Thierry Repentin.

M. Thierry Repentin. En première lecture, sur l'initiative de sa commission des lois, l'Assemblée nationale a précisé que, sous réserve de l'application des articles 40 et 41, « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ».

Le Sénat, sans doute trop timoré pour défendre les droits des parlementaires (Protestations sur quelques travées de lUMP), a supprimé cette disposition et a préféré s'en tenir à la jurisprudence édictée par le Conseil constitutionnel, alors même que nous disposons d’une fenêtre de tir pour modifier le texte constitutionnel et ne pas laisser les juges du Conseil décréter ce qui est « bon » pour la Constitution.

Bien que la première ait une influence mécanique sur la seconde, on ne saurait confondre la théorie prohibant les cavaliers législatifs et celle dite de « l'entonnoir » selon laquelle, à la suite de la première lecture du texte de loi, les amendements présentés ne peuvent plus porter que sur les dispositions restant en discussion, sans qu'il soit possible d'en instaurer de nouvelles.

Nous pensons que l'application stricte de la règle dite de « l'entonnoir » conduit à une restriction excessive du droit d'amendement parlementaire.

En première lecture, le rapporteur de la commission des lois a considéré que notre proposition était moins favorable que celle de l'Assemblée nationale, qu'il a pourtant préalablement dénoncée, et surtout moins avantageuse que la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ce qui est un contresens complet.

Sous le prétexte d'une meilleure organisation de la discussion, la règle de « l'entonnoir » assèche le débat parlementaire. Selon nous, le dépôt d'amendement doit s'exercer pleinement. Il ne saurait être limité par une règle supplémentaire d'irrecevabilité fixée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel et contraire à la volonté du constituant.

En revanche, afin de respecter les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, il nous paraît nécessaire de préciser qu'un amendement ne doit pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du projet ou de la proposition de loi. Ce droit doit donc pouvoir s'exercer dès lors que l'amendement a un lien avec le texte au cours de toutes les lectures ayant lieu avant commission mixte paritaire, y compris s'il traite d'un point qui n'a pas été abordé lors des lectures précédentes. S'il s'agit de revaloriser le rôle du Parlement, comme nous le lisons dans la presse, nous avons la possibilité de concrétiser ce souhait en adoptant notre proposition, qui est bien la mieux-disante.

M. le président. L'amendement n° 61 rectifié, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Après le mot :

accélérée

rédiger comme suit la fin du a du 2° de cet article :

après un avis conforme des Conférences des Présidents à la majorité des trois cinquièmes » ;

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Par cet amendement, nous souhaitons nous opposer une nouvelle fois à l’aggravation du fait majoritaire, auquel il est procédé à l’occasion de cette révision constitutionnelle.

Ce 2° de l’article 19 prévoit les conditions de la déclaration d’urgence pour le Gouvernement, que l’on appelle dorénavant, de manière tout à fait hypocrite, « procédure accélérée ».

Il a été clamé haut et fort que l’urgence serait considérablement limitée et que l’accord du Parlement était acquis. En fait, si les conférences des présidents – c’est-à-dire la majorité de chaque assemblée – approuvent l’urgence, le Gouvernement aura la voie libre.

Qui peut imaginer, dans le contexte actuel, une majorité de l’Assemblée nationale ou du Sénat refuser l’urgence, cette procédure accélérée, au gouvernement de M. Sarkozy ?

La moindre des choses serait d’exiger l’accord des conférences des présidents à la majorité qualifiée des trois cinquièmes pour que l’opposition soit réellement associée à l’avis du Parlement. Tel est l’objet de notre amendement.

À l’heure actuelle, il n’est même pas sûr que cette majorité qualifiée satisfasse l’objectif que nous visons, tant la domination de l’UMP et de ses alliés est forte au sein des deux conférences des présidents.

Notre amendement peut cependant permettre une réelle limitation du fait majoritaire et donner un sens à cette référence au Parlement, dans le cadre de l’article 45 de la Constitution et de la procédure d’urgence qu’il impose.

M. le président. L'amendement n° 124, présenté par MM. Frimat, Sueur, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

...° Le troisième alinéa est ainsi rédigé :

« Le texte élaboré par la commission mixte est soumis par le Gouvernement pour approbation aux deux assemblées. Aucun amendement n'est recevable. »

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Nous avons déjà défendu cet amendement lors de la première lecture, mais il est très important pour nous : il s’agit de la faculté accordée au Gouvernement de déposer des amendements après la tenue de la commission mixte paritaire.

Il y a bien là un réel problème au regard des droits du Parlement. En effet, un accord intervenu en commission mixte paritaire témoigne de celui des représentants des deux assemblées, donc de l’ensemble du Parlement.

Il nous paraît tout à fait exorbitant que le Gouvernement puisse déposer des amendements après une CMP. Je sais, pour avoir déjà entendu cet argument, qu’il y voit une contrepartie au fait qu’il n’est pas représenté à la commission mixte paritaire.

Mais, je souhaite vous le faire observer, monsieur le secrétaire d’État, dès lors que le Gouvernement présente un amendement, dans un grand nombre de cas, il y a automaticité du vote bloqué, les parlementaires appartenant à la majorité, quelle qu’elle soit, se trouvant devant le dilemme suivant : accepter l’amendement du Gouvernement ou rejeter l’ensemble du texte.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais non !

M. Jean-Pierre Sueur. Cela pose un réel problème pour la démocratie.

Nous nous permettons donc de formuler une telle suggestion, sur laquelle le Président de la République ne s’est pas encore penché à cette heure, et ce dans l’esprit qui est toujours le nôtre, à savoir améliorer ce texte. Nous craignons cependant, bien entendu, que le « mur » du vote conforme n’interdise tout progrès en ce sens.

M. le président. L'amendement n° 125, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

...° Il est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le Gouvernement ne peut engager la procédure accélérée plus de cinq fois par session ordinaire. »

La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Avec cet amendement, que nous avions aussi déposé en première lecture, nous vous proposons de limiter à cinq le nombre de procédures accélérées par session ordinaire. Certes, il n’est pas bon d’inscrire des chiffres dans la Constitution, mais vous nous avez donné le mauvais exemple avec 577 ou 348. (Sourires.) Dans cette guerre des chiffres, nous proposons le 5.

Je le reconnais, cet amendement est de médiocre qualité. L’urgence, qui a été rebaptisée « procédure accélérée », est faussement limitée, puisque, finalement, Robert Bret vient de le dire, chaque fois que le Gouvernement le voudra, il pourra recourir à cette procédure, sauf si les deux conférences des présidents s’y opposent. Or on imagine mal une opposition conjointe en cas de différence de majorité entre le Sénat et l’Assemblée nationale, et encore moins si les deux assemblées appartiennent à la même famille politique que le Gouvernement.

Là encore, en prévoyant la possibilité d’une opposition conjointe des conférences des présidents des deux assemblées à la procédure accélérée, vous introduisez – c’est presque un tour de force dans ce texte – un nouveau trompe-l’œil, une fausse limitation de cette procédure.

Nous en sommes conscients, un amendement visant à limiter le recours à cette procédure à cinq fois par session est loin d’être fantastique. Il nous semble cependant préférable à cette fausse limitation que vous proposez d’introduire. Au demeurant, je sais que votre goût pour le trompe-l’œil va vous engager à poursuivre dans la voie de la conformité, ce qui donne à ce débat tout son sens et remet à sa juste place les derniers artifices…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Un feu d’artifice !

M. Bernard Frimat. …de supposées propositions. Ces lendemains de 14 juillet sont assez médiocres.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission est défavorable à l’amendement n° 68.

En tout état de cause, il n’est pas indispensable de prolonger la navette après les deux lectures.

En outre, l’adoption de cet amendement ne favoriserait pas la recherche d’une solution de compromis entre le Sénat et l’Assemblée nationale.

La commission est également défavorable à l’amendement n° 67.

S’agissant de l’amendement n° 123, l’exercice du droit d’amendement a donné lieu à une difficulté d’interprétation entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Nous avons considéré que la jurisprudence actuelle du Conseil constitutionnel, selon laquelle un amendement déposé en première lecture « ne doit pas être dépourvu de tout lien » avec l’objet du projet ou de la proposition de loi, paraissait plus favorable que la position adoptée par l’Assemblée nationale, aux termes de laquelle un amendement est recevable dès lors qu’il présente « un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ».

Cette différence d’interprétation ne justifie pas que la navette se poursuive, dans la mesure où les deux assemblées visent le même objectif, à savoir l’exercice le plus libre possible du droit d’amendement en première lecture.

J’ai pu apprécier à sa juste valeur l’assertion selon laquelle « la règle de “l’entonnoir” assèche le débat parlementaire ». Vous avez inventé une nouvelle technique, celle de l’arrosoir  (M. Bernard Frimat s’exclame) ; elle n’enrichit cependant pas le travail parlementaire !

Cet amendement avait déjà été déposé en première lecture. Vous m’excuserez de vous le dire, monsieur Repentin, mais il est bien moins favorable que la rédaction retenue par l’Assemblée nationale, aux termes de laquelle « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ».

M. Bernard Frimat. Vous aviez voté contre !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous avons voté contre votre amendement parce qu’il est moins protecteur que ce qui a été adopté par l’Assemblée nationale.

M. Bernard Frimat. Vous aviez dénoncé la position votée à l’Assemblée nationale !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Certes, mais le dialogue avec l’Assemblée nationale nous a permis de revenir sur notre position ! Vous ne savez pas dialoguer, monsieur Frimat ! (M. Jean-Pierre Sueur s’exclame.)

Si nous n’adoptons pas vos amendements, vous n’êtes pas satisfaits ! L’Assemblée nationale n’a pas retenu tous les amendements que nous avions adoptés, et cependant, nous sommes contents !

Sur l’amendement n° 61 rectifié, la commission a émis un avis défavorable.

S’agissant de l’amendement n° 124, vous revenez, monsieur Sueur, sur la disposition selon laquelle aucun amendement n’est recevable, sauf accord du Gouvernement, sur le texte élaboré par la commission mixte paritaire. Or cette disposition est la contrepartie de l’absence du Gouvernement en commission mixte paritaire.

M. Jean-Pierre Sueur. On a compris !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Proposez-vous que le Gouvernement soit présent lors de la CMP ?

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument pas !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Lorsque la première assemblée est saisie du texte élaboré en CMP, le Gouvernement peut déposer des amendements, mais l’assemblée saisie n’est pas obligée de les voter.

M. Jean-Pierre Sueur. J’ai évoqué le cas de la seconde assemblée saisie !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Par ailleurs, des amendements peuvent être nécessaires, comme l’a d’ailleurs estimé le Conseil constitutionnel, pour assurer le respect de la Constitution, procéder à une coordination ou corriger une erreur matérielle.

Je tenais à vous apporter cette précision, monsieur Sueur, car, contrairement à ce que vous avez répété plusieurs fois, la première assemblée saisie du texte de la CMP n’a pas l’obligation de voter les amendements en question.

M. Jean-Pierre Sueur. Bien sûr ! Mais si on est saisi en second ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.

Sur l’amendement n° 125, vous avez reconnu vous-même, monsieur Frimat, qu’il n’était pas très satisfaisant.

M. Bernard Frimat. C’est tout de même mieux que la rédaction que vous avez retenue !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous comprendrez donc que la commission y soit défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. S’agissant de l’amendement n° 68 présenté par le groupe CRC, qui vise à supprimer la commission mixte paritaire tout en conservant le dernier mot à l’Assemblée nationale, il témoigne d’une certaine défiance à l’égard du bicamérisme. La CMP, n’est pas un organe contraire au pluralisme et à la transparence, c’est un organe de conciliation destiné à rapprocher les points de vue des deux assemblées, dans un système où l’adoption d’un texte identique par les deux chambres doit être la norme.

Le Gouvernement a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est vrai qu’il y a un dialogue permanent ! (Sourires sur les travées du groupe CRC.)

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. L’amendement n° 67 vise à supprimer le 1° de l’article 19, lequel précise l’exercice du droit d’amendement en première lecture. Le Gouvernement ne partage naturellement pas vos craintes, monsieur Bret, sur le fait que la rédaction proposée n’aboutisse pas à l’objectif recherché ou, au contraire, ouvre excessivement le droit d’amendement. Avec cette disposition, il s’agit de reprendre différemment, de manière un peu plus ouverte, la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui sanctionne les amendements dépourvus de tout lien avec le texte en discussion. C’est aussi un signal que le constituant lui adresse, afin d’éviter une jurisprudence trop restrictive.

Le Gouvernement a donc émis un avis défavorable sur l’amendement n° 67.

Par l’amendement n° 123, il est proposé de mettre fin à la jurisprudence dite de « l’entonnoir », qui permet d’organiser le débat correctement, en évitant de rouvrir toujours la discussion sur des sujets nouveaux. Le Gouvernement n’est naturellement pas favorable à cette remise en cause, et il émet donc un avis défavorable.

Sur l’amendement n° 61 rectifié, le Gouvernement a également émis un avis défavorable, puisqu’il a fait le choix d’encadrer le recours à l’urgence en donnant un droit de veto aux conférences des présidents des deux assemblées en cas d’opposition conjointe.

Il s’agit, nous semble-t-il, d’une avancée importante par rapport à la pratique actuelle, qui nous paraît justifiée. Au demeurant, une disposition permettant à la majorité des trois cinquièmes d’une assemblée de s’opposer à la procédure accélérée serait-elle effective ?

Sur l’amendement n° 124, l’avis du Gouvernement est identique à celui de la commission : défavorable. Le Gouvernement ne siège pas à la commission mixte paritaire, mais, par définition, il faut qu’il puisse faire valoir son point de vue sur un texte élaboré en CMP.

Quant à l’amendement n° 125, le Gouvernement, à l’instar de la commission, a émis un avis défavorable. Vous l’avez dit vous-même, monsieur Frimat, pourquoi cinq ? L’urgence correspond à des circonstances et il est difficile de la quantifier à l’avance. Le texte présente déjà une solution, en instaurant un droit de regard des conférences des présidents des deux assemblées sur l’usage de la procédure accélérée. Nous souhaitons en rester là.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 68.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 67.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Repentin, pour explication de vote sur l'amendement n° 123.

M. Thierry Repentin. Je ne me laisse pas abuser, monsieur le secrétaire d’État, par votre argumentation sur la théorie dite de « l’entonnoir ».

Selon vous, l’organisation des débats devrait obéir à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, selon laquelle les discussions doivent porter « uniquement sur les dispositions restant en discussion ». Il ne faudrait donc pas évoquer de nouveaux sujets.

Pour ma part, je peux vous citer de nombreux exemples de textes de loi, à l’examen desquels j’ai participé au cours de ces quatre dernières années, et pour lesquels, entre la première et la deuxième lecture, nous avons eu des discussions constructives avec le Gouvernement, que nous appartenions d’ailleurs à la minorité ou à la majorité de l’assemblée.

En deuxième lecture, nous avons pu faire adopter des articles nouveaux qui découlaient de discussions qui étaient intervenues en première lecture, mais qui avaient des répercussions que nous n’avions pas forcément bien évaluées.

Sur le projet de loi portant engagement national pour le logement, les dispositions foncières ont été introduites en deuxième lecture. Sur le texte instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, la revalorisation des aides personnelles au logement au 1er janvier de chaque année est une mesure qui a été ajoutée par un amendement parlementaire en deuxième lecture, alors qu’il n’y avait pas eu de discussion sur ce sujet en première lecture.

Monsieur le secrétaire d’État, ceux qui mènent cette grande réforme de la Constitution sont, me semble-t-il, bien loin des soucis quotidiens que nous avons à gérer pour un certain nombre de textes de loi et de nos difficultés, en tant que parlementaires de terrain, à trouver des solutions aux problèmes qui nous sont soumis et auxquels nous essayons de répondre en déposant des amendements. Il y a vraiment une très grande distance entre le pouvoir qui discute, y compris dans la presse, et ceux qui s’efforcent de faire leur travail de parlementaire au quotidien !

En quatre ans, en tant que jeune parlementaire, j’ai pu mesurer le recul de nos droits en matière législative, avec la jurisprudence dite de « l’entonnoir », mais aussi avec l’interprétation nouvelle de l’article 40 de la Constitution.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 123.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 61 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 124.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 125.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 19.

(L'article 19 est adopté.)

Article 19
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Article additionnel avant l'article 21

Article 20

Le deuxième alinéa de l'article 46 de la Constitution est ainsi rédigé :

« Le projet ou la proposition ne peut, en première lecture, être soumis à la délibération et au vote des assemblées qu'à l'expiration des délais fixés au troisième alinéa de l'article 42. Toutefois, si la procédure accélérée a été engagée dans les conditions prévues à l'article 45, le projet ou la proposition ne peut être soumis à la délibération de la première assemblée saisie avant l'expiration d'un délai de quinze jours après son dépôt. »

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 69 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

L'amendement n° 126 est présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

... - L'avant-dernier alinéa du même article est supprimé.

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour présenter l’amendement n° 69.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Nous demandons la suppression du droit de veto dont dispose le Sénat en matière de loi organique le concernant en vertu du quatrième alinéa de l’article 46 de la Constitution.

En prévoyant que « les lois organiques relatives au Sénat doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées », cette disposition donne à notre assemblée un droit de veto, alors même que sa légitimité démocratique est inférieure à celle de l’Assemblée nationale.

Ce droit de veto apparaît de plus en plus incompréhensible compte tenu du mode de désignation des sénateurs, qui entraîne un décalage flagrant entre la réalité des collectivités territoriales telle qu’elle ressort du suffrage universel et la composition politique de notre assemblée.

Dans ces conditions, il est inacceptable que le Sénat ait les mêmes pouvoirs que l’Assemblée nationale, et même des pouvoirs supérieurs, d’autant plus que le droit de veto du Sénat s’applique non seulement aux lois organiques le concernant, mais également en matière de révision constitutionnelle et lors des délibérations portant sur certains textes législatifs.

Sans compter que la large interprétation qui est faite des termes « lois organiques relatives au Sénat » conduit à considérer non seulement celles qui sont réservées exclusivement au Sénat, mais au-delà, également celles qui s’appliquent aux deux chambres.

Pour des considérations de légitimité démocratique, nous ne pouvons continuer dans cette voie.

Le dernier mot doit revenir aux députés, élus par le peuple au suffrage universel direct, et qui peuvent donc légitimement représenter le peuple.

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour présenter l'amendement n° 126.

M. Bernard Frimat. Cet amendement ayant été excellemment défendu, je m’en tiendrai là.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Comme en première lecture, la commission émet un avis défavorable sur les amendements identiques nos 69 et 126.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Naturellement, l’obligation de voter dans les mêmes termes les lois organiques relatives au Sénat correspond à la nécessité de respecter l’indépendance de chacune des assemblées.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. En aucun cas, le Sénat ne peut imposer ses vœux à l’Assemblée nationale en ce qui concerne les règles qui lui sont applicables ni d’ailleurs dans un autre domaine.

Il est normal que l’Assemblée nationale n’ait pas non plus le dernier mot quand sont en cause les dispositions qui intéressent le Sénat.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.

M. Bernard Frimat. Ce sont les propos de M. le secrétaire d'État qui m’amènent à intervenir.

Permettez-moi de vous rappeler un exemple, monsieur le secrétaire d'État, illustrant un cas où le veto du Sénat a limité le pouvoir de l’Assemblée nationale en raison de la conception très large de la notion de lois organiques relatives au Sénat.

Il s’agit du cumul des mandats – mais je sais que ce n’est pas votre tasse de thé ! Alors que l’Assemblée nationale avait limité à deux le cumul des mandats nationaux, le Sénat l’a porté à trois, à la condition que le troisième mandat soit celui de conseiller municipal d’une ville de moins de 3 000 habitants. Dans la mesure où la disposition touchait le Sénat, l’Assemblée nationale a dû revenir en arrière et l’accepter.

On le voit, il y a des cas où le droit de veto du Sénat bloque une initiative de l’Assemblée nationale, sans que cela touche la constitution même du Sénat.

Nous sommes hostiles à un droit de veto. C’est pourquoi nous voterons en faveur de ces amendements.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 69 et 126.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 20.

(L'article 20 est adopté.)

Article 20
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Article 21

Article additionnel avant l'article 21

M. le président. L'amendement n° 25, présenté par M. Lambert, est ainsi libellé :

Avant l'article 21, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le cinquième alinéa de l'article 47 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Au début de la discussion générale en première lecture devant chaque assemblée, le ministre chargé du budget et le chef de l'administration en charge de la préparation du projet de loi de finances prêtent serment du respect par le projet de loi de finances du principe de sincérité. »

La parole est à M. Alain Lambert.

M. Alain Lambert. Un des cancers expliquant la situation très dégradée de nos comptes publics depuis trente-cinq ans est le mensonge budgétaire : les projets de loi de finances sont présentés avec quelques artifices – et aucune majorité ne peut dire qu’elle n’en a pas connu –, telles les sous-budgétisations, les débudgétisations. Bref, ces pratiques traduisent des manques de sincérité évidents.

Pour progresser vers la sincérité budgétaire, qui est un principe de nature constitutionnelle, il me paraît nécessaire d’en revenir à une solennité ayant beaucoup de poids.

Dans cet esprit, je propose d’introduire la prestation de serment, à l’image de celles auxquelles donnent lieu les commissions d’enquête.

Ceux d’entre vous qui ont participé à de telles commissions savent comment les choses s’y déroulent. Toute personne auditionnée est tenue de prêter serment, après avoir entendu la lecture, par le président de la commission, de quelques articles du code pénal et l’énumération des peines encourues en cas de témoignage mensonger. Je vous livre quelques ordres de grandeur des peines prévues : cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

Si nous instituions un serment de cette nature au moment de la présentation du projet de loi de finances, nous ferions largement réfléchir le ministre en charge du budget lors du travail de préparation budgétaire, ainsi qu’à ses côtés le chef de son administration, qui pourrait très utilement compléter et prolonger sur le plan technique le serment ainsi prononcé.

J’ai lu le compte rendu des débats de la première lecture, qui m’a quelque peu blessé, je ne vous le cache pas, car l’ironie était présente sur toutes les travées, me donnant l’impression que certains collègues n’avaient même jamais entendu parler de commissions d’enquête. Pour certains, je me référais à des époques anciennes. Or je combats le mensonge ! Il ne sert à rien de pleurer sur la situation de nos comptes publics, de nous accuser mutuellement, majorité et opposition, d’être responsables de la situation des comptes publics : nous sommes solidairement responsables de la situation des comptes publics vis-à-vis des générations à venir !

Comme il faut remédier à cette situation, prenons les moyens appropriés, par exemple en recourant à une telle prestation de serment.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il est vrai que si l’on imposait une prestation de serment aux ministres du budget, il n’y aurait plus beaucoup de volontaires pour occuper cette fonction ! Franchement, une telle pratique ne se situe pas tellement dans notre tradition.

Il n’en est pas de même des commissions d’enquête auxquelles il est obligatoire de communiquer tous les éléments d’information demandés, sous peine de sanctions pénales particulières.

Dans l’amendement, c’est le principe de sincérité budgétaire qui est visé. Or je rappelle que le respect de ce principe est soumis à la fois au contrôle du Conseil constitutionnel et à l’examen du Parlement lors de la discussion du projet de loi de finances. Par conséquent, la prestation de serment dans ce cadre ne me paraît pas cohérente avec nos principes institutionnels.

D’ailleurs, monsieur Lambert, vous le savez bien, une telle disposition impliquerait la nécessité de faire respecter le serment. S’il ne l’était pas, qui vérifierait la sincérité ?

M. Alain Lambert. La loi de règlement !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En effet, mais il conviendrait alors de prévoir des peines, puisque celles que vous avez citées pour les commissions d’enquête ne s’appliqueraient pas dans ce cas, sauf disposition particulière du code pénal. À l’heure actuelle, il n’existe aucune sanction pour non-respect du serment.

Au demeurant, je comprends bien votre préoccupation, d’autant que vous avez été ministre, qui plus est, chargé des comptes, vous aussi.

M. Alain Lambert. Il m’en reste des souvenirs !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais je n’ose imaginer que votre administration aurait pu vous mentir, c’est impossible !

M. Alain Lambert. N’en dites pas trop sur les comptes, monsieur le président, parce que je vais vous répondre !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Moi, je ne suis pas expert en matière de comptes !

M. Alain Lambert. Ça se voit !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Permettez-moi de vous rappeler aussi que la Cour des comptes est également chargée de vérifier et de certifier les comptes.

Mme Nicole Bricq. On va en reparler !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En effet, nous en avons déjà parlé, mais nous en reparlerons.

Pour toutes ces raisons, estimant que cet amendement n’est pas indispensable, la commission en demande le retrait.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Monsieur Lambert, le Gouvernement comprend les préoccupations fortes que vous exprimez par cet amendement.

Il est vrai que l’État doit respecter sa parole. C’est un élément essentiel dans le rapport de confiance qui doit s’instaurer entre les citoyens et l’État.

Vous avez plus raison encore concernant la sincérité du budget qui engage notre pays. C’est d’ailleurs une question que vous aviez abordée de manière très approfondie dans votre rapport sur la loi organique relative aux lois de finances en 2000.

Vous y indiquiez alors que l’application du principe de sincérité s’appréciait pleinement lors de la reddition des comptes plutôt que lors du dépôt du budget.

À la suite d’un premier débat au Sénat, le Gouvernement a pris en compte cette préoccupation et a ainsi proposé à l’Assemblée nationale une disposition relative à la sincérité des comptes des administrations publiques.

Cet amendement du Gouvernement réaffirme ce principe important, qui est le corollaire direct de l’article XV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, lequel dispose que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».

Concernant la sincérité budgétaire stricto sensu, votre idée de serment serait sans doute un moyen très solennel de donner tout son poids à ce principe. Cela marquerait évidemment les esprits.

Néanmoins, le Gouvernement est réservé pour une raison de fond importante. Il estime que la responsabilité du budget incombe au Gouvernement dans son ensemble, sous l’autorité du Premier ministre, comme d’ailleurs toute la politique de la nation – c’est l’article 20 de la Constitution.

Le Gouvernement s’interroge sur la possibilité de faire supporter cette responsabilité au seul ministre du budget, ou plus encore au directeur du budget, même si leur rôle est essentiel dans la procédure budgétaire.

Si nous allions dans cette direction, nous risquerions d’introduire une forme de responsabilité individuelle indirecte des ministres, ce qui serait probablement contraire à l’esprit de la Constitution de 1958.

Cette raison de fond, qui n’est pas l’une des moins importantes, me conduit à vous suggérer, monsieur le sénateur, le retrait de l’amendement, même si, je le réaffirme, nous partageons amplement votre souci tout à fait justifié concernant la sincérité du budget et des comptes.

Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi il émettra malheureusement un avis défavorable.

M. le président. Monsieur Lambert, l'amendement n° 69  est-il maintenu ?

M. Alain Lambert. Monsieur le président de la commission des lois, quelle que soit l’amitié bien ancienne qui nous unit, vos réponses m’incitent à maintenir mon amendement.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. J’aurais pu dire simplement « avis défavorable » !

M. Alain Lambert. D’abord, vous commencez par me dire qu’avec une telle disposition il n’y aura pas beaucoup de ministres qui accepteront la responsabilité du budget.

M. Thierry Repentin. C’est vrai !

M. Alain Lambert. Tout est dit ! On part même du postulat que tous les budgets sont insincères ! (M. le rapporteur s’exclame.) C’est ce que j’ai compris.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce sont les comptes qui sont insincères ! Les budgets sont sincères au moment où ils sont déposés ! Ce n’est pas pareil ! Les budgets sont des prévisions !

M. Alain Lambert. Qu’il s’agisse du budget ou des comptes, tout cela me paraît se ressembler !

Ensuite, vous essayez de me donner un motif juridique, expliquant que la disposition serait contraire aux grands principes de la République.

Votre première affirmation comme les explications que vous m’avez données me conduisent à maintenir mon amendement pour que chacun prenne ses responsabilités au regard de l’essentiel, que nous avons jusqu’alors oublié, à savoir les conséquences que le mensonge budgétaire peut avoir sur la situation de nos comptes publics et sur ce que nous allons laisser aux générations de nos enfants.

Monsieur le secrétaire d’État, j’ai bien écouté votre réponse qui est beaucoup plus équilibrée, et même finement ciselée.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Merci !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Moi, je ne suis pas aussi doué que M. le secrétaire d'État ! C’est pourquoi je ne suis que rapporteur !

M. Alain Lambert. Monsieur le président de la commission des lois, vous êtes absolument irremplaçable dans la spécialité des lois, mais, en matière budgétaire, vous pouvez encore progresser,…

M. Robert Bret. Peut mieux faire !

M. Alain Lambert. …comme tout un chacun, car nous avons tous une marge de progrès dans la vie !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est ce que je vous ai dit ! D’ailleurs, je vais peut-être aller aux finances !

M. Alain Lambert. Cela étant, je ne veux pas vous froisser, mais je ne souhaite pas non plus être froissé. Donc, vous le voyez, chacun doit rester à sa place.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je n’ai été froissé à aucun moment !

M. Alain Lambert. Si vous voulez m’interrompre, je vous en prie, monsieur le président de la commission…

Je reviens à votre réponse, monsieur le secrétaire d'État. Vous craignez que je ne fasse commettre une erreur à la Haute Assemblée en focalisant la responsabilité sur un seul des ministres et vous me rappelez la responsabilité ministérielle, principe que j’avais intégré dans ma réflexion, même si cette dernière n’était pas aussi aboutie, naturellement, que la vôtre. Là encore, chacun sa place !

En tout état de cause, si mon amendement est imparfait, je ne vois aucun inconvénient à ce que vous le rectifiiez.

De deux choses l’une : soit le Gouvernement estime mon idée juste et suggère une rectification que je m’empresserai d’accepter ; soit il considère que ma démarche est inutile, ce dont je prends acte, mais cela signifie que la sincérité budgétaire est un principe qu’on pose mais que l’on n’a pas l’intention de respecter.

Dans ces conditions, je n’ai pas eu la réponse me permettant de retirer mon amendement, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 25.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article additionnel avant l'article 21
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Article 22

Article 21

I. - Non modifié.

II. - Après l'article 47-1 de la Constitution, il est inséré un article 47-2 ainsi rédigé :

« Art. 47-2. - La Cour des comptes assiste le Parlement dans le contrôle de l'action du Gouvernement. Elle assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l'exécution des lois de finances et de l'application des lois de financement de la sécurité sociale ainsi que dans l'évaluation des politiques publiques. Par ses rapports publics, elle contribue à l'information des citoyens.

« Les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière. »

M. le président. L'amendement n° 127, présenté par M. Frimat, Mme Bricq, MM. Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Massion, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

I. Après la deuxième phrase du premier alinéa du texte proposé par le II de cet article pour l'article 47-2 de la Constitution, insérer une phrase ainsi rédigée :

Elle exprime son opinion sur la sincérité des comptes de l'État et de la sécurité sociale.

II. Supprimer le second alinéa du même texte.

La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Nous allons continuer à parler de sincérité budgétaire.

Mes chers collègues, l’Assemblée nationale a supprimé la disposition introduite par le Sénat aux termes de laquelle la Cour des comptes « exprime son opinion sur la sincérité des comptes de l'État et de la sécurité sociale ». Elle a adopté un amendement du Gouvernement lui substituant le texte suivant : « Les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière ». Cet amendement, qui s’inspire directement des dispositions de l'article 27 de la LOLF, a été adopté – et cela doit être noté – sans qu'aucune explication ait été donnée en séance publique.

Notre amendement vise à rétablir le texte proposé pour l'article 47-2 dans sa rédaction adoptée par le Sénat en première lecture. Nous souhaitons donner au régime de certification des comptes prévu par la loi organique du 1er août 2001 un fondement constitutionnel en y introduisant la notion essentielle de sincérité des comptes.

Cette démarche conditionne la valeur de l'autorisation budgétaire ainsi que la bonne information du citoyen, et elle conforte les acquis des lois organiques relatives aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale en liant, conformément à l'interprétation du Conseil constitutionnel, la notion de sincérité des comptes et leur nécessaire certification.

L’introduction de la notion de sincérité est essentielle, d’une part, parce que le vote de la loi de règlement est amené à prendre de plus en plus d’importance, d’autre part, parce que le Conseil constitutionnel a considéré, dans la décision qu’il a rendue sur la LOLF, que « la sincérité de la loi de règlement s’entend en outre comme imposant l’exactitude des comptes ».

En votant cet amendement en première lecture, nous savions parfaitement ce que nous faisions. Il est absolument inadmissible de voter des dispositions sans que le Parlement en ait débattu. Même si nous avons bien compris que vous voulez un vote conforme, il n’en demeure pas moins qu’une disposition de cette importance mérite un débat.

À l’Assemblée nationale, la majorité s’est rangée à l’avis du Gouvernement en votant son amendement. Nous considérons que ce n’est pas ainsi que le Parlement sera mieux à même de contrôler l’action du Gouvernement ou d’évaluer les politiques publiques. On ne peut prétendre vouloir revaloriser les droits du Parlement et, s’agissant d’un point aussi important, lui demander de voter les yeux fermés une disposition dont il n’a pu préalablement mesurer les enjeux.

Mes chers collègues, en première lecture, vous avez voté la disposition que nous vous proposons à travers cet amendement. Si vous êtes sincères et honnêtes intellectuellement, vous aurez à cœur de la voter en deuxième lecture afin de ne pas vous déjuger.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ainsi que je l’ai rappelé au cours de la discussion générale, le Sénat, lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle en première lecture, avait effectivement modifié son article 21 en disposant que la Cour des comptes « exprime son opinion sur la sincérité des comptes de l’État et de la sécurité sociale – et, par conséquent, les certifie ». Bien entendu, M. le Premier ministre et Mme le garde des sceaux ont tous deux confirmé qu’il ne s’agissait absolument pas de remettre en cause la mission de certification des comptes de la Cour des comptes.

Les députés, s’ils sont revenus sur ces dispositions, se sont cependant efforcés de répondre aux préoccupations exprimées par le Sénat en prévoyant que « les comptes des administrations publiques sont équilibrés et sincères » et qu’ils « donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière ».

Cette disposition, inspirée de l’article 27 de la loi organique relative aux lois de finances, a pour objet d’affirmer dans la Constitution un principe de fond applicable à toutes les administrations publiques et cohérent avec l’article XV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».

Compte tenu de ces éléments et des efforts faits par l’Assemblée nationale pour prendre en considération les préoccupations du Sénat, la commission considère qu’il n’y a pas lieu de revenir sur cet article et, par conséquent, émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Comme vous l’avez rappelé, le Sénat avait adopté, en première lecture, l’amendement que vous lui soumettez de nouveau.

Je le répète, le Gouvernement est favorable à ce que figure dans la Constitution le principe de la sincérité des comptes, dont le Conseil constitutionnel a d’ailleurs déjà fait mention dans sa jurisprudence.

À l’Assemblée nationale, c’est à l’article 21 du projet de loi qu’a été introduite une disposition qui, me semble-t-il, devrait vous donner satisfaction. Le principe est clairement affirmé que les comptes des administrations publiques, et donc pas seulement ceux de l’État, doivent être sincères et réguliers. Cette règle de fond ainsi inscrite dans notre Constitution va au-delà de la règle de compétence que vous proposez d’introduire au profit de la Cour des comptes.

Cette disposition, d’ailleurs, ne porte évidemment pas atteinte aux prérogatives actuelles de la Cour des comptes. La rédaction que vous proposez, en vertu de laquelle la Cour « exprime son opinion », manque un peu de précision. La Cour constate et certifie ; elle n’exprime pas, me semble-t-il, une opinion sur de tels sujets.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur votre amendement.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Je déduis du refus du Gouvernement, qui a introduit cette modification, de se prononcer favorablement sur notre amendement qu’il se défie de l’opinion de la Cour des comptes. C’est cela qui le gêne.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Pas à moi, madame Bricq !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 127.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 21.

(L'article 21 est adopté.)

Article 21
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Article 23

Article 22

L'article 48 de la Constitution est ainsi rédigé :

« Art. 48. - Sans préjudice de l'application des trois derniers alinéas de l'article 28, l'ordre du jour est fixé par chaque assemblée.

« Deux semaines de séance sur quatre sont réservées par priorité, et dans l'ordre que le Gouvernement a fixé, à l'examen des textes et aux débats dont il demande l'inscription à l'ordre du jour.

« En outre, l'examen des projets de loi de finances, des projets de loi de financement de la sécurité sociale et, sous réserve des dispositions de l'alinéa suivant, des textes transmis par l'autre assemblée depuis six semaines au moins, des projets relatifs aux états de crise et des demandes d'autorisation visées à l'article 35 est, à la demande du Gouvernement, inscrit à l'ordre du jour par priorité.

« Une semaine de séance sur quatre est réservée par priorité et dans l'ordre fixé par chaque assemblée au contrôle de l'action du Gouvernement et à l'évaluation des politiques publiques.

« Un jour de séance par mois est réservé à un ordre du jour arrêté par chaque assemblée à l'initiative des groupes d'opposition de l'assemblée intéressée ainsi qu'à celle des groupes minoritaires.

« Une séance par semaine au moins, y compris pendant les sessions extraordinaires prévues à l'article 29, est réservée par priorité aux questions des membres du Parlement et aux réponses du Gouvernement. »

M. le président. L'amendement n° 70, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 48 de la Constitution, insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Les règlements des assemblées garantissent une juste représentation de l'ensemble des groupes parlementaires au sein de la conférence des présidents, dont les travaux sont publics.

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’article 22 du projet de loi constitutionnelle traite d’une question importante, mise en avant par la communication gouvernementale, à savoir la fixation de l’ordre du jour des assemblées parlementaires.

Initialement, l’Assemblée nationale avait retenu que l’ordre du jour serait fixé dans chaque assemblée par la conférence des présidents.

Au Sénat, lors de la première lecture, la commission a fait adopter un amendement précisant que l’ordre du jour serait fixé par chaque assemblée. L’Assemblée nationale s’est finalement rangée à l’avis du Sénat.

Ce faisant, vous voulez faire croire que l’ordre du jour sera à l’avenir fixé par chaque assemblée, ce qui marquerait un renforcement des pouvoirs du Parlement, puisqu’il aurait désormais la maîtrise de son ordre du jour.

En réalité, même si la référence explicite à la conférence des présidents a disparu de cet article 22, on sait bien que celle-ci jouera un rôle dans la fixation de l’ordre du jour.

Le texte constitutionnalise, ce qui est nouveau, la conférence des présidents, laquelle est mentionnée dans la nouvelle rédaction de l’article 45.

Nous considérons, pour notre part, que ce n’est pas une avancée, puisque les règles de composition des conférences des présidents, en particulier celle du Sénat, amplifient considérablement le fait majoritaire et écartent tout droit réel des groupes parlementaires de l’opposition.

Au Sénat, le rapport de force entre l’opposition et la majorité est de 40-60 ; au sein de la conférence des présidents, ce rapport est de 25-75. C’est pourquoi nous proposons de changer radicalement sa composition et son mode de fonctionnement et de l’inscrire dans notre loi fondamentale.

Concernant, en premier lieu, sa composition, il apparaît de plus en plus inconcevable de conserver une telle amplification du fait majoritaire au sein de cette instance.

Pourquoi ne pas mettre en place, ce qui serait la moindre des choses, une représentation proportionnelle de la majorité et de l’opposition ?

Compte tenu du rôle essentiel qu’elle aura, vous ne pouvez pas vous contenter de « constitutionnaliser » la conférence des présidents sans la démocratiser, en tout cas sans la rendre conforme au rapport de force dans chacune des assemblées.

Concernant, en second lieu, le fonctionnement de la conférence des présidents, nous considérons qu’il doit lui aussi changer. Les débats doivent y être organisés et, surtout, la transparence doit y être instaurée. Personne ne sait ce qui se dit au sein de la conférence des présidents. C’est encore plus vrai aujourd’hui.

Demain, aux termes de la présente réforme, cette instance devra prendre un certain nombre de décisions. Il est donc inacceptable que ses travaux ne soient pas publics, à tout le moins qu’ils ne fassent pas l’objet d’un compte rendu public.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Défavorable.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous entendez constitutionnaliser la conférence des présidents telle qu’elle est !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 70.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° 71, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Supprimer les deuxième et troisième alinéas du texte proposé par cet article pour l'article 48 de la Constitution.

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le Gouvernement prétend donner de nouveaux droits au Parlement. Ce qui nous est présenté comme un bouleversement et un risque très important est en réalité très maîtrisé. En effet, en contrepartie d’une distribution de l’ordre du jour entre le Premier ministre et le Parlement, au profit, rappelons-le, de la majorité, le Gouvernement s’assure une maîtrise quasi totale du déroulement des débats législatifs.

Désormais, si ce texte est adopté, seront actés dans la Constitution tous les cas de figure, et ils sont nombreux, où le Gouvernement pourra fixer l’ordre du jour : au moins deux semaines par mois ainsi que lors de l’examen des projets de loi de finances, des projets de loi de financement de la sécurité sociale et des textes transmis par l’autre assemblée depuis six semaines au moins, des projets de loi relatifs aux états de crise, etc.

Bref, une fois que ce texte sera adopté, il sera impossible aux deux chambres de modifier leur propre règlement intérieur.

Il nous paraît paradoxal de prétendre renforcer les droits des deux assemblées et, dans le même temps, d’exercer toujours plus de contraintes sur les parlementaires.

C’est pourquoi nous demandons la suppression de ces nouvelles mesures.

M. le président. L'amendement n° 72, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Dans le deuxième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 48 de la Constitution, supprimer les mots :

, et dans l'ordre que le Gouvernement a fixé,

et remplacer le mot :

il

par les mots :

le Gouvernement

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous revenons encore une fois sur la manière savante dont il est prévu de fixer l’ordre du jour.

Évidemment, il serait difficile de reculer par rapport à la situation actuelle, car, en l’occurrence, les droits des parlementaires sont réduits à leur plus simple expression. En effet, l’ordre du jour est exclusivement fixé par le Premier ministre. Seule une séance est réservée à l’initiative parlementaire, séance dont nous avons pu mesurer toutes les limites au Sénat depuis longtemps.

Le groupe CRC bénéficie d’une initiative parlementaire par an. Cependant, il faut le savoir, les propositions parlementaires doivent être courtes et porter sur un sujet très limité.

En théorie, le projet de loi constitutionnelle prévoit de partager l’ordre du jour entre le Premier ministre et les présidents des groupes parlementaires. Toutefois, la rédaction particulièrement floue de cet article 22 modifie considérablement le discours.

Le dispositif dédié à l’organisation de l’ordre du jour inclut aussi les « débats ». Cela nous semble inquiétant compte tenu de l’évolution globale qui se dessine : moins de séances publiques et plus de travail en commission. Combien de jours seront vraiment consacrés au travail législatif en séance publique ? Mystère ! Ne prépare-t-on pas une organisation mensuelle favorisant à l’extrême le travail de la commission pour limiter le débat en séance sur les projets ou propositions de loi ?

Par ailleurs, vous limitez d’emblée le travail législatif des parlementaires à trois semaines par mois, dont une sera laissée facultativement à la disposition des assemblées.

Enfin, sous couvert d’ouverture de nouveaux droits pour les assemblées, le projet de loi constitutionnelle conférera encore plus de pouvoirs au parti du Président.

Si la réforme est votée, l’ordre du jour sera fixé à hauteur de quinze jours par le Premier ministre, de quatorze jours par le chef des députés UMP, et seulement de un jour par celui des députés de l’opposition. Il s’agit non pas d’un pouvoir gagné par le Parlement, mais d’un pouvoir supplémentaire pour le parti du Président !

Pour ces raisons, nous vous proposons, mes chers collègues, d’adopter notre amendement qui vise à rendre la maîtrise de leur ordre du jour aux assemblées, sans ambiguïté ni ambivalence.

M. le président. L'amendement n° 73, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Dans le deuxième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 48 de la Constitution, supprimer les mots :

et aux débats

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les véritables pouvoirs des parlementaires ne représenteront pas grand-chose puisque leur droit d’amendement et de débattre seront réduits.

La preuve en est cet alinéa de l’article 22 du projet de loi constitutionnelle, aux termes duquel deux semaines de séance sur quatre seront réservées, par priorité et dans l’ordre que le Gouvernement aura fixé, à l’examen des textes mais aussi aux débats dont il demande l’inscription à l’ordre du jour.

Le temps du débat public est réduit et, de surcroît, le Gouvernement nous propose d’inclure, dans les deux petites semaines qui y seront consacrées, les débats – on ne sait d’ailleurs pas très bien de quels débats il s’agira. Nous ne pouvons que nous en inquiéter.

Le risque n’est-il pas que le Parlement devienne une chambre où se multiplieront les débats non législatifs. Il y aura les résolutions, à condition que le Gouvernement estime qu’elles ne le dérangent pas, et des débats non législatifs dont on ne connaît pas exactement l’utilité. Cela viendrait en tout cas conforter les dispositions du projet de loi renforçant le travail en commission et la restriction du droit d’amendement et du débat public.

Deux semaines consacrées aux projets de loi, c’est très court. Mais y inclure les débats dépourvus de portée politique relève de la provocation à l’égard des parlementaires. C’est la raison pour laquelle nous proposons la suppression de ces débats des deux semaines de séance publique.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous avons déjà longuement débattu de toutes ces propositions sur lesquelles je réitère l’avis défavorable de la commission.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 71.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 72.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 73.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 17, présenté par M. Vasselle, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le quatrième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 48 de la Constitution :

« Le Parlement consacre au moins le quart du temps de la session ordinaire au contrôle de l'action du Gouvernement et à l'évaluation des politiques publiques.

Cet amendement n’est pas soutenu.

Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° 128, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit l'avant-dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 48 de la Constitution :

« Une semaine de séance sur quatre est réservée à l'initiative des groupes parlementaires et répartie conformément à la règle de la proportionnalité.

La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Nous avons déjà présenté cet amendement en première lecture. M. le président de la commission des lois nous avait alors proposé une construction ingénieuse.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je vous remercie.

M. Bernard Frimat. Elle n’a pas survécu !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Hélas !

M. Bernard Frimat. L’Assemblée nationale est peu ou prou revenue à sa position initiale.

Là encore, le progrès est plus apparent que réel. En effet, il sera loisible au Gouvernement de déborder de son ordre du jour, sachant que le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale seront inscrits à l’ordre du jour par priorité.

La partie restante de l’ordre du jour sera dans les mains de la majorité de l’assemblée. Les droits de l’opposition, qui, à l’origine, étaient censés animer et magnifier cette révision constitutionnelle, sont aujourd’hui passés par pertes et profits. En effet, nous y reviendrons lors de l’examen de l’article 24, une malheureuse journée par mois est réservée à un ordre du jour arrêté par tous les groupes, y compris les groupes minoritaires, mais à l’exception du groupe majoritaire de la majorité.

C’est la portion congrue, mais cela colle assez bien avec cette fausse revalorisation des droits du Parlement que vous vous ingéniez à faire passer pour vraie.

Nous voulons véritablement que le Parlement joue son rôle, dans le pluralisme et la diversité si chers à M. Michel Mercier. Aussi, et afin de marquer notre différence, nous proposons qu’une semaine sur quatre soit réservée à l’initiative des groupes parlementaires et répartie à la proportionnelle. Ainsi, chaque groupe, qu’il soit minoritaire ou majoritaire, pourra véritablement s’exprimer dans un temps qui sera raisonnable.

Mes chers collègues, je suis persuadé que mon argumentation vous aura convaincus. Si j’ai raison, cela va nous poser de nombreux problèmes pour l’organisation de la suite de nos travaux.

M. le président. L'amendement n° 74, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Dans le cinquième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 48 de la Constitution, remplacer les mots :

Un jour de séance par mois est réservé

par les mots :

Trois jours de séance par mois sont réservés

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous avons déjà présenté cet amendement en première lecture, mais je suis persuadée que, compte tenu des propos du Président de la République parus dans la presse, vous allez le considérer différemment. En effet, le Président de la République a déclaré qu’il était favorable à un temps de parole égal entre la majorité et l’opposition. Nous n’en demandions pas tant !

M. Robert Bret. Il est trop généreux !

M. Christian Cointat. C’est un cadeau !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Certes, ce propos n’engage que lui-même, mais mon amendement va désormais vous paraître bien timoré.

Le projet de loi initial prévoyait de réserver une séance par mois à un ordre du jour arrêté par la conférence des présidents à l’initiative des groupes parlementaires qui ne déclarent pas soutenir le Gouvernement.

En première lecture, l’Assemblée nationale a souhaité préciser que cette séance serait réservée aux groupes parlementaires qui ne disposent pas de la majorité au sein de cette dernière. Cela devient compliqué, car ici même, aucun groupe n’a la majorité.

Le Sénat, sur l’initiative de notre rapporteur, a quant à lui décidé d’introduire les notions de groupes d’opposition et de groupes minoritaires – en l’occurrence, on peut penser qu’il s’agit de groupes minoritaires au sein de la majorité – sans pour autant revenir sur le nombre de jours réservés à l’initiative parlementaire de l’opposition. C’est la portion congrue pour l’opposition. Nous en restons quasiment à la situation actuelle, c’est-à-dire un jour par mois.

Notre amendement vise donc à renforcer l’initiative parlementaire des groupes n’appartenant pas à la majorité, c’est-à-dire – c’est clair – de ceux qui sont dans l’opposition, qui expriment un vote d’opposition.

Le projet de loi ne comporte en effet aucune révolution majeure par rapport à la situation actuelle. Pire, avec la rédaction retenue par la majorité, le temps réservé à l’opposition pourrait encore être amputé par les droits accordés aux groupes minoritaires.

Rien ne garantit non plus qu’il s’agisse des groupes minoritaires par rapport à la majorité. Tout cela est très confus.

Ce qui est réel, c’est que nous n’avons aucun droit nouveau par rapport à la situation actuelle. Il me semble donc que, à la lumière des propos du Président de la République, vous pourriez voter en faveur de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Certains parlementaires de la majorité considèrent que seuls les parlementaires de l’opposition minoritaire ont vraiment une garantie. Ils peuvent en effet arrêter l’ordre du jour d’une journée sans que le Gouvernement puisse intervenir.

M. Jean-Pierre Sueur. Cela s’applique aussi aux centristes !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pour l’instant, une journée est réservée à l’ensemble des groupes et il convient d’y ajouter les travaux des commissions. L’initiative parlementaire n’est pas seulement celle des groupes, c’est aussi celle des commissions, les propositions de loi qui seront déposées.

C’est un paradoxe. Vous trouvez que ce n’est pas bien alors que nous, nous voulions aller plus loin et réserver au Parlement la maîtrise d’une plus grande part de son ordre du jour.

Il faudra travailler dans le dialogue. Les initiatives parlementaires intéressantes doivent pouvoir prospérer avec l’accord du Gouvernement sur son ordre du jour réservé.

Vos réserves m’étonnent. Nous considérons qu’il s’agit d’un progrès considérable pour l’opposition par rapport à la situation actuelle.

M. Jean-Pierre Sueur. Un jour pour tous les groupes de l’opposition !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Rendez-vous compte : un jour par mois, monsieur Sueur !

M. Jean-Pierre Sueur. Avec les centristes !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ils sont minoritaires et vous aussi !

M. Jean-Pierre Sueur. Il ne faut pas se moquer de nous. Une semaine par mois répartie à la proportionnelle de tous les groupes du Parlement, ce serait raisonnable. Là, vous nous faites l’aumône ; c’est une misère !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je ne reprendrai pas l’argumentation de M. le rapporteur. Observons le fonctionnement actuel du Parlement. À la conférence des présidents, que ce soit au Sénat ou à l’Assemblée nationale, j’ai la maîtrise absolue et totale de l’ordre du jour.

Nous faisons des propositions pour changer cette situation. Vous nous répondez que c’est une misère. Nous verrons à l’usage. Je ne sais pas si cela fonctionnera à merveille, mais ce que je sais, en revanche, c’est qu’il s’agit d’un vrai partage. Outre la semaine de contrôle, il y aura des temps d’initiative qui ne dépendront plus du Gouvernement.

Il s’agit d’une avancée considérable. Que vous la trouviez insuffisante, je le comprends. Si vous le pouviez, vous prendriez la maîtrise de la totalité de l’ordre du jour et le Gouvernement n’aurait plus grand-chose.

M. Jean-Pierre Sueur. Pas du tout ! Personne n’a proposé ça !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Vous n’avez pas imaginé cela, madame Borvo, et je vous en remercie.

Je considère que cet article constitue une avancée considérable. Je m’en tiens donc à la proposition du Gouvernement et, par voie de conséquence, j’émets un avis défavorable sur ces amendements.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous êtes contredit par le Président de la République !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 128.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 74.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 22.

(L'article 22 est adopté.)

Article 22
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Article 23 bis

Article 23

Le troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Dans la première phrase, le mot : « texte » est remplacé par les mots : « projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale » ;

2° Dans la deuxième phrase, le mot : « texte » est remplacé par le mot : « projet » ;

3° Il est ajouté une phrase ainsi rédigée :

« Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. »

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° 75, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution est supprimé.

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. L’article 23 est l’illustration même de la contradiction du Gouvernement s’agissant de la revalorisation des droits du Parlement : d’un côté, il nous assène depuis le début de l’examen de ce projet de loi constitutionnelle qu’il a pour ambition de donner au Parlement une plus grande maîtrise du travail législatif et, de l’autre, il nous explique qu’il faut maintenir dans notre Constitution le troisième alinéa de l’article 49.

L’article 49-3 est pourtant le symbole de la soumission totale du Parlement au Gouvernement. Lorsqu’il y a recours sur le vote d’un texte, le Gouvernement force la main des députés puisque les débats sont immédiatement interrompus et l’adoption du texte est tacitement acquise.

Il constitue ainsi une arme absolue pour le Gouvernement contre les députés, en particulier ceux de l’opposition. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Gouvernement n’a pas hésité à l’utiliser chaque fois que l’opposition a déposé un nombre important d’amendements, sur des textes pourtant fondamentaux qui auraient nécessité un débat approfondi.

Le recours à l’article 49-3 est une des anomalies de notre Constitution tant il constitue une atteinte aux droits du Parlement, puisqu’il prive les députés, y compris ceux de la majorité, de tout droit de parole.

À l’origine destinée à être exceptionnelle, cette procédure a eu tendance, au fil des années, à se banaliser en raison de son efficacité, du point de vue du Gouvernement bien sûr.

De nombreuses propositions ont été faites dans le passé pour limiter l’utilisation de l’article 49-3, qui empêche toute expression parlementaire. La Constitution n’avait toutefois jamais été modifiée sur ce point. Or, aujourd’hui, avec ce projet de loi constitutionnelle, le Gouvernement a la possibilité de remettre en cause cette procédure.

Mais la proposition de nouvelle rédaction du troisième alinéa de l’article 49, prétendument destinée à restreindre le possible usage aux projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale et, pour le surplus, à un texte par session, nous laisse sans voix.

En effet, elle ne modifie quasiment pas la pratique actuelle. Avec l’article 23, le Gouvernement donne l’impression de faire un pas en avant en faveur du Parlement : en réalité, il nous propose le statu quo.

Maintenir le troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution, quels que soient les aménagements que vous y apportez, constitue une atteinte aux droits du Parlement. L’article 49-3 est une arme sans égal dans la Constitution puisqu’il permet, à la limite, de faire adopter un texte sans débat et sans vote en vingt-quatre heures, si l’opposition ne dépose pas de motion de censure.

Nous souhaitons par conséquent y mettre un terme définitif et supprimer le troisième alinéa de l’article 49. Tel est le sens de notre amendement que nous vous proposons bien sûr de voter.

M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.

L'amendement n° 2 est présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller.

L'amendement n° 129 est présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste et apparentés.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer le 3° de cet article.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour présenter l’amendement no 2.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement concerne également la limitation de l’utilisation de l’article 49-3.

Je souhaite souligner à mon tour l’hypocrisie de l’article 23 du projet de loi constitutionnelle. Sous le prétexte de limiter le recours à la procédure du 49-3, on ne fait en réalité que constitutionnaliser une pratique éprouvée.

Cette limitation de façade n’apporte rien à la pratique actuelle. Cette disposition est en réalité un argument supplémentaire – peut-être un argument spécieux – qui nous est à nouveau servi pour vendre cette réforme comme renforçant les droits du Parlement sans rien changer au fond. Quelle hypocrisie !

Si cette réforme est adoptée, le Gouvernement va presque se sentir obligé de recourir à la procédure du 49-3 une fois par session.

Alors, soit on tire toutes les conséquences du fait majoritaire et la confiance légitime du Gouvernement en sa majorité devrait l’inciter à renoncer à cette procédure, soit la confiance ne règne pas et rien ne justifie la limitation du recours à l’article 49-3.

Avec l’article 23, c’est un faux compromis qui nous est soumis. C’est la raison pour laquelle nous proposons, par cet amendement, de limiter strictement le recours à l’article 49-3 au vote des projets de loi finances et projets de loi de financement sécurité sociale et, par conséquent, de supprimer le 3°de l’article 23.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour présenter l'amendement n° 129.

M. Pierre-Yves Collombat. Je ferai simplement remarquer que l’existence de l’article 49-3 s’explique par le fait qu’il s’agissait à l’origine de constituer des coalitions pour gouverner avec des majorités fluctuantes.

Le 49-3 était fait pour donner de la cohésion là où il n’y en avait pas. Or tout le monde sait bien que ce n’est pas du tout ainsi que les choses se passent. Le 49-3 est donc une survivance, un outil de confort pour le Gouvernement, car il n’en a pas véritablement besoin.

Que l’on conserve des garanties s’agissant de textes aussi importants et aussi complexes que les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale, pourquoi pas ? Mais pour tous les autres textes, cela n’a rigoureusement aucun sens.

De plus, la rédaction qui nous est proposée ne rime à rien. Pourquoi « une fois » ? Pourquoi pas deux fois ou deux fois et demie ? Soit le 49-3 est utile parce qu’on n’a pas de majorité solide et il faut le maintenir en l’état, soit on ne le réserve qu’aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale.

Si le Gouvernement voulait vraiment donner le signe que le Parlement se voit attribués des droits supplémentaires, c’est vraiment un des articles sur lesquels il pourrait le faire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est tout de même extraordinaire ! Aujourd’hui, le Gouvernement peut utiliser le 49-3 sur chaque texte. Il propose une limitation, ce qui a inquiété – à juste titre, d’ailleurs – un certain nombre de nos collègues. Or on vient maintenant nous dire : « C’est encore trop ! ».

On reconnaît cependant son utilité pour les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale, et on limite le recours à cette procédure à une fois par session pour un autre projet de loi ou proposition de loi. On a dit, d’ailleurs, que c’est « un fusil à un coup ». Tel n’est pas le cas.

Certains pensent que c’est trop limité, d’autres que cela ne l’est pas assez. En vérité, il faut en rester au texte du Gouvernement – ce que nous avons accepté en définitive car, si l’on regarde l’équilibre général, il existe par ailleurs un certain nombre d’outils, notamment le vote bloqué, pour empêcher une obstruction parlementaire persistante. C’est de cela qu’il s’agit.

On ne peut empêcher de légiférer quand un Président de la République est élu avec un programme et qu’il dispose d’une majorité parlementaire. Il est bien normal que cette majorité puisse aller jusqu’au bout de ses réformes.

M. Pierre-Yves Collombat. S’il y a une majorité, elle vote les textes !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Certes, monsieur Collombat, mais nous ne faisons pas la Constitution pour cinq ou dix ans. Il faut vous rappeler que dans l’histoire de la Ve République il y a eu deux périodes où l’on a utilisé le 49-3 parce qu’il n’y avait pas de majorité ou une majorité très juste. Monsieur Mercier, vous vous en souvenez.

M. Michel Mercier. Et vous, monsieur le président de la commission, bien plus que moi !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est pourquoi le 49-3 peut être utile. Aussi, nous souhaitons maintenir l’article tel qu’il a été voté par l’Assemblée nationale. Cela fait partie des équilibres et du dialogue entre l’Assemblée nationale et le Sénat.

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur ces trois amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Nous avons déjà eu en première lecture un long débat sur le 49-3. La rédaction qui est retenue à l’article 23 est une solution de compromis et de raison entre celles et ceux qui – ils étaient majoritaires ici – en première lecture disaient : « Ne touchez pas au 49-3, faites en sorte que le Gouvernement puisse en faire une application aussi fréquente qu’il le souhaite, et sur chaque texte s’il le veut ».

Je rappelle, comme l’a dit le président Hyest, que, par exemple, pendant la période du gouvernement Rocard on avait utilisé le 49-3 plus d’une vingtaine de fois en deux ans et demi. Par conséquent, il est vrai que le 49-3 peut avoir son utilité. Mais il est également vrai qu’avec le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, le fait majoritaire est plus établi qu’il y a une quinzaine d’années. C’est pour cela que nous voulons une solution de raison, c’est-à-dire une utilisation moins large.

Pour autant, le 49-3 peut être utile pour le Gouvernement, pas forcément contre l’opposition mais dans certains cas où il y aurait des débats internes dans la majorité sur un texte particulier.

Dans l’équilibre que nous recherchons entre l’exécutif et le législatif, encadrer le 49-3 est un élément de progrès. Le supprimer complètement serait probablement un élément de déstabilisation de l’exécutif.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 75.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2 et 129.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 23.

(L'article 23 est adopté.)

Article 23
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 24

Article 23 bis

Après l'article 50 de la Constitution, il est inséré un article 50-1 ainsi rédigé :

« Art. 50-1. - Devant l'une ou l'autre des assemblées, le Gouvernement peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un groupe parlementaire au sens de l'article 51-1, faire, sur un sujet déterminé, une déclaration qui donne lieu à débat et peut, s'il le décide, faire l'objet d'un vote sans engager sa responsabilité. »

M. le président. L'amendement n° 130, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Cet article vise à créer la possibilité pour le Gouvernement de faire des déclarations thématiques suivies de débats. Comme le Gouvernement dispose d’ores et déjà de cette possibilité, cet article est tout à fait superfétatoire. Nous en proposons donc la suppression dans un sens d’économie.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Dans la mesure où la procédure des questions orales avec débat, qui est régulièrement pratiquée au Sénat, est peu utilisée à l’Assemblée nationale où elle est presque tombée en désuétude, la disposition prévue à l’article 50-1 peut intéresser les députés. C’est la raison pour laquelle nous l’avons maintenue. Aussi, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 130.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 23 bis.

(L'article 23 bis est adopté.)

(M. Christian Poncelet remplace M. Philippe Richert au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

Article 23 bis
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 24 bis (supprimé)

Article 24

Après l'article 51 de la Constitution, il est inséré deux articles 51-1 et 51-2 ainsi rédigés :

« Art. 51-1. - Non modifié.

« Art. 51-2. - Pour l'exercice des missions de contrôle et d'évaluation définies au premier alinéa de l'article 24, des commissions d'enquête peuvent être créées au sein de chaque assemblée pour recueillir, dans les conditions prévues par la loi, des éléments d'information.

« La loi détermine leurs règles d'organisation et de fonctionnement. Leurs conditions de création sont fixées par le règlement de chaque assemblée. »

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° 131 rectifié, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le texte proposé par cet article pour l'article 51-1 de la Constitution :

« Art. 51-1. - Le règlement de chaque assemblée est adopté à la majorité des trois cinquièmes de ses membres. Il détermine les droits des groupes parlementaires constitués en son sein. »

La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. L’article 24 correspond à l’article 51-1 de la Constitution. Si j’ai bien compris, c’est l’article de tous les bonheurs pour certains membres de cette assemblée…

M. Michel Mercier. C’est déjà une évidence !

M. Bernard Frimat. La caractéristique de cet article, – mais cela n’est pas surprenant dans ce texte – c’est de ne rien garantir et de renvoyer au règlement de chaque assemblée. Si ce sont les règlements des assemblées qui doivent déterminer les droits des groupes, ce qui peut se concevoir, il faut donner des garanties.

La seule garantie que nous pouvons obtenir, ce n’est pas la lecture du journal Le Monde. Vous vous êtes exprimé, monsieur le président, dans des termes tellement précis en début d’après-midi qu’il n’est pas nécessaire de revenir sur ce point. La garantie, ce serait que les règlements des assemblées soient adoptés dans des conditions de majorité qualifiée, qui exprimeraient la volonté de trouver un accord au sein de chaque assemblée.

À partir du moment où la garantie est donnée que les règlements des assemblées sont adoptés à la majorité des trois cinquièmes, les groupes autres que les groupes majoritaires pourront se satisfaire d’un règlement où chacun sera respecté. Ce ne serait finalement pas une mauvaise idée de respecter chacun des groupes. Certes cela nécessiterait de prendre de nouvelles habitudes. Toutefois, le débat n’étant pas terminé, il est encore possible d’intégrer dans la révision constitutionnelle des éléments positifs si nous voulons donner corps à ce qui s’est passé très récemment, et ne pas considérer qu’il y a, d’un côté, un texte intangible et, de l’autre, des éléments qui viennent décorer ce texte par média interposé mais qui ne dureront que l’espace d’une édition d’un grand quotidien du soir.

Nous vous proposons donc de prévoir que le règlement de chaque assemblée est adopté à la majorité des trois cinquièmes.

M. le président. L'amendement n° 76, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Dans la première phrase du texte proposé par cet article pour l'article 51-1 de la Constitution, après le mot :

détermine

insérer les mots :

à la majorité des trois cinquièmes

La parole est à M. Ivan Renar.

M. Ivan Renar. L'article 24 tend à prévoir la définition, dans le règlement de chacune des deux assemblées, des droits des groupes politiques. Si vous suivez notre amendement, ainsi que celui qui vient d’être présenté par Bernard Frimat, ces dispositions devront être adoptées à la majorité qualifiée des trois cinquièmes.

Monsieur le secrétaire d’État, vous aviez refusé cette disposition en invoquant notamment le fait qu'en général la réforme du règlement fait l'objet d'un consensus, et qu’une majorité qualifiée n’est donc pas nécessaire. Soit ! Mais on nous avait aussi annoncé un statut de l'opposition ; or nous en sommes bien loin !

Depuis l'ouverture du débat, on entend de toutes parts l'affirmation de l'exigence que soient reconnus et respectés les droits des groupes et la diversité politique dans les deux hémicycles. Mais malgré cela, le projet de loi n'emprunte pas, loin s'en faut, la voie d'un renforcement des droits et des pouvoirs de l'opposition. Dans ces conditions, permettez-nous d'exprimer en amont un peu de l'inquiétude qui sera forcément la nôtre quand il s'agira de définir ces droits.

Vous comprendrez que nous demandions un certain nombre de garanties ; et justement l'adoption des dispositions du règlement à la majorité qualifiée serait une garantie. D'une part, il serait illogique que la majorité soit en mesure de décider seule des droits qu'elle entend conférer à l'opposition. D'autre part, si on veut réellement que tous les groupes parlementaires bénéficient de droits identiques, il faut commencer par donner à tous le droit de décider.

Sur le contenu des droits des divers groupes parlementaires, comme sur les autres questions, il est nécessaire qu'il y ait un débat contradictoire lors de leur définition. Une simple décision issue du fait majoritaire ne saurait venir balayer d'un revers de main toute proposition émanant de l'opposition, ou favoriser la seule logique du bipartisme.

M. Jean-Jacques Hyest. C’est pour cela qu’on a inscrit « les groupes minoritaires ».

M. Ivan Renar. Si on veut réellement une revalorisation des pouvoirs du Parlement, il faut également s'attacher à permettre le débat dans les meilleures conditions en valorisant aussi le travail des groupes, y compris quand ils sont dans l'opposition. Comme nous avons eu l'occasion de l'exprimer, se fonder sur l'appartenance ou non à la majorité pour déterminer des droits, c'est renforcer le bipartisme dans notre vie politique. C’est en soi très restrictif.

Le règlement de chacune des deux assemblées doit donc être rédigé d'une manière respectueuse pour les droits de chaque groupe, et le vote à la majorité des trois cinquièmes y contribuerait.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Comme je l’ai indiqué en première lecture, il n’est pas souhaitable de fixer une majorité qui en fait aboutirait souvent à un blocage, alors qu’il faut rechercher le consensus, comme cela a toujours été fait au Sénat s’agissant du règlement. Aussi, la commission émet un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Supprimer la mention des groupes minoritaires ou d’opposition dans la Constitution ne permettra pas d’atteindre le but souhaité, qui est de permettre aux règlements des assemblées de reconnaître des droits au profit de ces groupes parlementaires.

En 2006, l’Assemblée nationale avait entendu introduire dans son règlement des dispositions réservant certaines fonctions, notamment celles de président et de rapporteur des commissions d’enquête, à des membres des groupes de l’opposition. Or le Conseil constitutionnel a annulé ces dispositions en considérant notamment qu’elles instauraient entre les groupes une différence de traitement injustifiée.

C’est pour cette raison que le comité présidé par Édouard Balladur avait préconisé une modification de la Constitution destinée à permettre la reconnaissance de droits nouveaux à l’opposition. Le Gouvernement est très attaché à cette mesure qui permettra de créer de nouveaux droits pour les groupes d’opposition ou minoritaires.

Quant à l’adoption du règlement de chaque assemblée à la majorité des trois cinquièmes, elle n’est pas justifiée. Traditionnellement, les réformes des règlements se font dans le consensus. Introduire un tel verrou risquerait de conduire à des blocages en cristallisant des positions purement politiques. C’est pourquoi je souhaite le rejet de ces deux amendements.

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote sur l'amendement n° 131 rectifié.

M. Bernard Frimat. Je ne pense pas, monsieur le secrétaire d’État, que nous ayons la même vision du consensus : pour nous, un consensus concerne l’ensemble des groupes ; j’ai compris que, pour vous, le consensus était interne à la majorité.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur, et M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Mais pas du tout !

M. Henri de Raincourt. Quelle mauvaise foi !

M. Bernard Frimat. J’essaie d’être à votre hauteur, mon cher collègue !

Le deuxième élément sur lequel je voudrais attirer votre attention, monsieur le secrétaire d’État, c’est que le rapport Balladur, auquel vous faites allusion, constitutionnalisait ces droits à l’article 1er. Or vous les en avez fait disparaître pour, effectivement, les renvoyer au règlement des assemblées.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pas du tout !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Mauvaise foi !

M. Bernard Frimat. J’ai eu hier l’occasion d’expliquer en quoi cela représentait une régression dans la norme juridique.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. C’est n’importe quoi !

M. Bernard Frimat. Nous ne pouvons que constater – mais ce n’est pas une surprise – notre désaccord.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. C’est de la mauvaise foi ! Cela figure bien à l’article 1er !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement no 131 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement no 76.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement no 132, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Supprimer le texte proposé par cet article pour l'article 51-2 de la Constitution.

La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. L’article 51-2 de la Constitution a été introduit en deuxième lecture à l’Assemblée nationale. Nous n’avons donc pas pu en débattre.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est bien ce que nous sommes en train de faire !

M. Bernard Frimat. Tout à fait !

Cet article semble effectivement s’inscrire dans la stratégie de révision, et son adoption a sans doute une importance capitale. Tous ceux qui, ici, sont un tant soit peu attachés à la révision savent les raisons de cette importance, je dirais presque de son importance radicale. Il faut essayer de comprendre un peu.

Je suis étonné, mes chers collègues, de la définition que vous donnez des commissions d’enquête. Vous voulez les constitutionnaliser. Pourquoi pas ! Jusqu’à présent, elles ne l’étaient pas, et cela n’a pas empêché d’en créer : on faisait référence à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, qui prévoyait vraiment la commission d’enquête dans toute sa dimension, dans toute sa plénitude, avec non pas seulement la volonté de recueillir des éléments d’information, mais aussi celle de formuler un certain nombre de propositions. La lecture des travaux des commissions d’enquête du Sénat montre qu’elles ne se sont pas contentées de recueillir des éléments d’information mais qu’elles sont allées beaucoup plus loin que cela !

La rédaction qui nous est présentée à l’article 24 du projet de loi me semble donc maladroite, malhabile et restrictive. À la limite, le juge constitutionnel, demain, pourra s’appuyer sur la lettre de la Constitution pour limiter le champ d’investigation des commissions d’enquête ! Or je ne pense pas que ce soit dans la pensée de ceux qui sont à l’origine de ce texte, et c’est pour cette raison que nous vous en proposons la suppression.

La commission d’enquête existe déjà. Ce qui nous semble en revanche intéressant, – et nous avons reçu sur ce point un renfort solitaire mais important – c’est le droit qui serait reconnu à l’opposition, dans un monde meilleur et dans un futur idéal, de demander et, surtout, d’obtenir – car, le pouvoir de demander, nous l’avons déjà ! – la création de commissions d’enquête.

L’amendement no 133 viendra merveilleusement illustrer la possibilité de consensus si chère à certains collègues ici présents puisqu’il précise simplement que, « à la demande de soixante députés ou soixante sénateurs, une commission d'enquête est constituée ». Mon ami Pierre-Yves Collombat le présentera dans un instant, je ne m’y attarderai donc pas plus longuement. Néanmoins, afin de pouvoir le présenter, il faut d’abord supprimer l’article 51-2 dans sa version actuelle : c’est ce à quoi tend l’amendement no 132.

M. le président. L'amendement no 133, présenté par MM. Frimat, Badinter et Bel, Mme Bricq, MM. Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le texte proposé par cet article pour l'article 51-2 de la Constitution :

« Art. 51-2. – À la demande de soixante députés ou soixante sénateurs, une commission d'enquête est constituée, dans la limite de deux par session. Elle est chargée de recueillir des éléments d'information sur des faits déterminés, y compris lorsque ces faits ont donné lieu à des poursuites judiciaires. »

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Bernard Frimat a dit l’essentiel, et je crois sincèrement que cet amendement devrait faire l’objet d’un consensus puisqu’il répond au vœu du chef de la majorité parlementaire. Celui-ci a en effet déclaré au journal Le Monde : « Je souhaite que, chaque année, un certain nombre de commissions d'enquête puissent être créées à la demande de l'opposition ».

M. Robert Bret. Il n’y a qu’à demander !

M. Pierre-Yves Collombat. C’est bien ce que nous proposons, par le biais d’une mesure très simple : que, deux fois par session, soixante députés ou sénateurs puissent obtenir la constitution d’une commission d’enquête.

Vraiment, mes chers collègues, si vous n’acceptez pas cela, c’est que nous ne comprenons plus rien ! (M. Michel Mercier s’exclame.) À moins qu’au contraire nous ne comprenions trop bien !

Tout le monde est d’accord, depuis le chef de la majorité parlementaire jusqu’à l’opposition, à l’exception peut-être des groupes qui n’appartiennent pas à la majorité mais qui votent avec elle. (M. Michel Mercier rit.) Quoi qu’il en soit, c’est assurément une proposition très positive que nous faisons là.

M. le président. L'amendement no 6, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

Après le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 51-2 de la Constitution insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Il ne peut être fait obstacle à la création d'une commission d'enquête lorsque celle-ci est demandée par soixante députés ou soixante sénateurs. Chaque député ou chaque sénateur ne peut être signataire d'une demande de commission d'enquête constituée en vertu du présent alinéa que deux fois par session ordinaire et une fois au cours d'une même session extraordinaire.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Par un courrier parvenu le 9 juillet aux députés, le président de l’Assemblée nationale s’est engagé, en se fondant sur l’article 24 de ce projet de loi, à élaborer les éléments d’une charte de l’opposition et à mettre en place dès l’adoption de la révision constitutionnelle un groupe de travail pluraliste pour réfléchir à plusieurs pistes. L’une d’elles a retenu toute mon attention : un « droit de tirage pour les groupes parlementaires, permettant d’obtenir la création de commissions d’enquête parlementaires et de missions d’information, dans un nombre à déterminer par législature ».

Cette proposition a au moins le mérite d’avoir été formulée, à défaut de l’avoir été également devant la Haute Assemblée.

Il me semble que la disposition que nous discutons relève du « consensus mou » et ne vise qu’à constitutionnaliser les commissions d’enquête sans pour autant laisser un quelconque droit particulier à l’opposition. Il aurait pourtant été facile de préciser que les groupes parlementaires de l’opposition ou les groupes minoritaires peuvent, au cours de chaque session ordinaire ou extraordinaire, demander la création d’un certain nombre de commissions d’enquête. Tel n’est pas le cas.

Qu’il me soit également permis d’exprimer tout mon étonnement. Lorsque, en première lecture, nous avions évoqué la question des commissions d’enquête, le rapporteur nous avait objecté qu’elle ne relevait pas de la Constitution ; et voilà qu’aujourd’hui, en deuxième lecture, il en va différemment ! Que vous le vouliez ou non, les choses ont évolué. Que perdrions-nous à inscrire maintenant dans la Constitution le droit pour un groupe parlementaire de demander une commission d’enquête, hormis le temps d’une nouvelle navette ?

Je pense que le jeu en vaut la chandelle. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé cet amendement.

M. Robert Bret. Vous avez eu raison !

M. le président. L'amendement no 77, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Dans la seconde phrase du second alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 51-2 de la Constitution, après le mot :

création

insérer les mots :

à l'initiative d'au moins trente parlementaires ou d'un groupe parlementaire

La parole est à M. Ivan Renar.

M. Ivan Renar. Notre amendement vise à donner un sens réel à une disposition qui, en l’état, relève de l’affichage et n’a d’autre objet que de justifier le ralliement d’un certain nombre d’élus à un vote favorable au projet de loi constitutionnelle lors du Congrès du Parlement, le 21 juillet prochain.

À l’Assemblée nationale, il faut le rappeler, c’est l’amendement no 260, émanant du parti radical de gauche et présenté par M. Giacobbi, qui a indiqué que les conditions d’organisation et de fonctionnement des commissions d’enquête relèveraient du domaine de la loi et la définition des conditions de leur création du domaine du règlement de chaque assemblée.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait !

M. Ivan Renar. M. Hyest, président-rapporteur de la commission des lois du Sénat, indique que, « comme le relèvent les auteurs de l’amendement, la création des commissions d’enquête pourra, “le cas échéant, être une des prérogatives accordées [par le projet de révision] aux différents groupes parlementaires” ». Si les auteurs de l’amendement l’affirment, c’est que cela doit être vrai !

Trêve de plaisanterie ! Ou les groupes parlementaires sont habilités à créer des commissions d’enquête, et cela doit être précisé dès à présent dans la Constitution – rien ne l’empêche ! –, ou cela n’est pas inscrit dans la Constitution, et ce ne sont que promesses de couloirs en échange de tel ou tel bénéfice hypothétique, ce qui doit être fermement refusé.

Que ce soit clair : la rédaction proposée pour cet article 51-2 de la Constitution ne comporte aucune avancée, ni petite ni grande.

Le reste, réforme ou non du règlement, loi organique ou pas, dépendra du bon vouloir de la majorité, simple, de chaque assemblée, donc de l’UMP. L’amendement no 260 de l’Assemblée nationale ne vise qu’à jeter un voile pudique sur des ententes qui ne peuvent pas être exposées sur la place publique tant elles heurteraient l’idéal démocratique, l’idéal républicain.

L’adoption de notre amendement no 77, qui s’apparente aux deux précédents – la seule différence étant que nous proposons que la demande émane de trente parlementaires ou d’un groupe parlementaire –, permettrait de concrétiser ce qui, en l’état actuel, ne constitue en rien un progrès pour les groupes parlementaires existants ou à venir.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous avions évoqué en première lecture cette question des commissions d’enquête et de la possibilité pour les groupes parlementaires d’avoir un droit de tirage, dans des conditions à déterminer par le règlement.

Il a semblé à l’Assemblée nationale – sur la proposition, c’est exact, de M. Giaccobi – qu’il valait mieux constitutionnaliser les commissions d’enquête, de façon que puissent être ensuite prévues dans les règlements des assemblées des dispositions concernant, justement, le droit de tirage, notamment pour les groupes parlementaires.

Je pense pour ma part que, contrairement à ce qui a été affirmé, la définition du champ de compétence des commissions d’enquête qui figure à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 n’est en rien modifiée par la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale.

La constitutionnalisation des commissions d’enquête est assurément utile, car elle permettra de réunir dans le règlement de chaque assemblée toutes les dispositions concernant les droits des groupes parlementaires. Pour cette raison, j’émets un avis défavorable sur tous les amendements présentés, qui d’ailleurs se contredisent quelque peu.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. L’article de la Constitution qu’il est envisagé de supprimer a été introduit à l’Assemblée nationale en deuxième lecture. Il a pour objet d’inscrire dans la Constitution la possibilité pour le Parlement de créer des commissions d’enquête au titre de ses missions de contrôle et d’évaluation.

Cet article tel qu’il est rédigé par l’Assemblée nationale nous semble opportun et permettra de développer de nouveaux droits, comme le droit de tirage pour les groupes minoritaires ou d’opposition.

En revanche, comme il l’a indiqué à maintes reprises, le Gouvernement n’est pas favorable à ce que le détail de ce droit de tirage apparaisse dans la Constitution. M. Frimat le rappelait tout à l’heure, une telle disposition relève bien de la loi, en l’occurrence de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, et surtout, bien sûr, des règlements de nos deux assemblées.

Enfin, bien que le lieu ne soit pas forcément approprié pour le faire, je rappellerai d’un mot que, naturellement, la lettre que le président de l’Assemblée nationale, M. Accoyer, a adressée à l’ensemble des présidents des groupes de l’Assemblée nationale n’était que la conséquence et le développement liés à ces droits nouveaux rendus possibles par cet article 24 du projet de loi constitutionnelle.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. On ne peut pas tout mettre dans la Constitution. Il est clair que les développements envisagés par le président Accoyer s’appuient sur cette nouvelle rédaction. Par conséquent, c’est un élément important pour la suite.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela viendra… plus tard !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. En conséquence, le Gouvernement est défavorable à ces quatre amendements.

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote sur l'amendement no 132.

M. Bernard Frimat. Voici venu un court moment de vérité !

M. Bernard Frimat. Court, car il ne faut jamais abuser des bonnes choses ; et puis, ce sera tellement saisissant pour certains d’entre nous d’être brutalement confronté à la vérité…

Sur ce point encore, la révision qui nous est présentée montre ses limites. On constitutionnalise les commissions d’enquête, très bien ; mais garantir aux parlementaires, dans la Constitution, le droit d’en obtenir la création, ah non ! surtout pas !

Ainsi est rendue sa juste valeur au discours qui nous est tenu : au-delà du discours, il y a ce que l’on inscrit dans la Constitution et ce que l’on n’y inscrit pas.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. La Constitution n’est pas un règlement intérieur !

M. Bernard Frimat. Vous y avez fait figurer tellement de choses que l’argument, à cette heure avancée de la soirée, est suffisamment dévalué pour que vous évitiez de l’utiliser !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est à géométrie variable !

M. Bernard Frimat. Nous sommes, là encore, en désaccord. Vous tenez un discours, mais vous avez une pratique et une réalité qui le démentent.

Alors, vous pouvez vous gargariser de vos avancées démocratiques : nous vous les laissons, puisqu’elles n’en sont pas. Et si nous avons pris la position qui est la nôtre, si nous avons continué ce débat dont nous connaissons l’issue amendement par amendement,…

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Vous l’aviez adoptée avant même le débat !

M. Bernard Frimat. …c’est simplement afin de pouvoir effectuer une ultime démonstration de ce décalage entre un discours enjôleur et une pratique qui n’est pas démocratique.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Pourquoi faut-il constitutionnaliser cette disposition ? Pour les raisons que vous avez avancées tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État.

Le projet de donner des rôles un peu spécifiques à des membres de l’opposition a été retoqué par le Conseil constitutionnel parce que cela créait une inégalité, avez-vous dit.

Par conséquent, si vous n’inscrivez pas dans la Constitution qu’il y a des droits spécifiques pour l’opposition…

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. C’est inscrit dans la Constitution !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est écrit à l’article 51-1 !

M. Pierre-Yves Collombat. …on se retrouvera avec les mêmes difficultés.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Rideau !

M. Pierre-Yves Collombat. Vous mettez dans la Constitution ce qui vous arrange quand cela vous arrange et, quand c’est l’inverse, vous ne le faites pas.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 132.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote sur l'amendement n° 133.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, je vous remercie de me donner la parole en cet instant, et c’est d’ailleurs la seule fois que je m’exprimerai ce soir.

M. Pierre-Yves Collombat. C’est dommage ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat rit.)

M. Michel Mercier. Je voudrais expliquer pourquoi je suis tout à fait opposé à l’amendement n° 133 de nos collègues socialistes et je préfère l’amendement n° 77 présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.

L’amendement n° 133 tend à conférer le droit à soixante députés ou à soixante sénateurs de créer une commission d’enquête.

Cet amendement va dans le sens du bipartisme absolu, au détriment – c’est son premier objectif – des groupes minoritaires, qu’ils votent ou non avec la majorité. À cet égard, monsieur Collombat, je vous remercie de votre condescendance un peu méprisante : nous votons comme nous l’entendons et vous, vous votez comme vous le souhaitez.

M. Pierre-Yves Collombat. Qu’est-ce que cela avait de condescendant ?

M. Michel Mercier. Ça a été vécu ainsi !

M. Pierre-Yves Collombat. Il s’agissait d’un constat !

M. Michel Mercier. Monsieur Collombat, je qualifie votre attitude comme je l’entends !

M. Pierre-Yves Collombat. Cela n’avait rien de condescendant !

M. Michel Mercier. Alors, exprimez-vous autrement et ce sera bien !

M. Pierre-Yves Collombat. Vous appartenez à la majorité, c’est tout !

M. Michel Mercier. Vous pouvez avoir un avis sur les positions que nous prenons. Mais ce n’est pas à vous de décider ce que nous devons faire.

Mme Isabelle Debré. Tout à fait !

M. Michel Mercier. Monsieur Collombat, occupez-vous de votre majorité et ce sera parfait !

M. Pierre-Yves Collombat. J’aimerais bien…

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je vous rassure : vous n’êtes pas prêt de la récupérer !

M. Michel Mercier. Moi aussi, j’ai lu le journal ce soir – me l’étant fait prêter. Je suis donc amené à demander au Gouvernement de nous dire très clairement ce qu’il entend par « pluralisme ». Il fallait bien y arriver !

J’ai déposé un amendement qui a été voté à l’article 1er

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !

M. Michel Mercier. …et qui dispose que la loi garantit les expressions pluralistes des opinions.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Oui !

M. Michel Mercier. J’ai pensé et je continue de penser que cet amendement veut dire quelque chose, qu’il n’impose pas au Gouvernement un système électoral, mais que dans l’expression des opinions, il y a forcément le vote, qu’il faut organiser de telle façon que le pluralisme de l’opinion puisse être bien pris en compte.

Je voudrais savoir, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, si vous faites la même analyse que moi. Que dit M. le Président de la République dans le journal ce soir ? Il dit : « Je n’ai pas ″accordé aux centristes″ : cela s’est fait dans un dialogue républicain. Qui peut nier que le pluralisme existe ? La réalité est que la proportionnelle occupe déjà une grande place dans nos modes de scrutin. »

M. le Président de la République associe pluralisme et scrutin proportionnel, c’est ce qui est écrit en toutes lettres dans Le Monde. (M. le rapporteur s’exclame.) Monsieur le président Hyest, c’est plus que ce que je demande peut-être, mais c’est ce qui est écrit. Un lien est établi entre pluralisme et proportionnelle.

J’attends très clairement de savoir si le Gouvernement pense, en effet, que sans imposer la proportionnelle intégrale, qui n’est en aucun cas ce que nous demandons, et sans traiter les questions de scrutin dans la Constitution – nous sommes tout à fait d’accord sur ce point – cet amendement ouvre des portes et n’en ferme pas sur des modes de scrutin où le pluralisme des opinions pourra s’exprimer librement et être pris en compte, comme c’est le cas dans le mode de scrutin proportionnel.

Comme l’amendement de M. Frimat vise à permettre à seulement soixante députés ou soixante sénateurs de créer une commission d’enquête, je ne peux pas y être favorable.

M. le président. Monsieur Frimat, l'amendement n° 133 est-il maintenu ?

M. Bernard Frimat. Je remercie Michel Mercier de son intervention fort intéressante et je dirai que le « traité de droit constitutionnel » Fressoz-Roger devient maintenant un élément essentiel de nos débats.

M. Michel Mercier. On fait comme on peut !

M. Bernard Frimat. Je considère effectivement la très grande pertinence de sa remarque.

Mon cher collègue, nous avons rédigé cet amendement pour poser le problème et consacrer un droit. Nous avons pris le chiffre de soixante députés ou sénateurs simplement par similitude avec le Conseil constitutionnel. Mais si le Gouvernement me donne l’assurance que l’amendement n° 77 de Mme Borvo Cohen-Seat et des membres du groupe CRC qui évoque le chiffre de trente parlementaires ou un groupe parlementaire reçoit un accueil favorable, nous retirerons volontiers le nôtre.

Je vous rappelle, mon cher collègue, que nous avons soutenu ensemble un amendement sur la saisine du Conseil constitutionnel par un groupe.

Compte tenu de la qualité de l’intervention de Michel Mercier et parce que l’endroit d’où il l’a faite dans l’hémicycle a son importance, en signe de bonne volonté, je retire par avance mon amendement, ce qui est un signe avant-coureur de l’acceptation que Mme le garde des sceaux ne pourra que prononcer par fidélité à la pensée présidentielle à laquelle, nous le savons, elle est très attachée.

M. le président. Il n’est pas interdit d’espérer !

L'amendement n° 133 est retiré.

Je mets aux voix l'amendement n° 6.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 77.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Même si ce n’est pas le lieu pour faire l’exégèse des paroles ou des écrits du Président de la République, je voudrais apporter une précision à M. Mercier.

S’agissant du pluralisme des opinions, monsieur Mercier, vous me demandez si c’est un signe de fermeture ou d’ouverture. Le fait d’inscrire le pluralisme des opinions dans la Constitution est un signe d’ouverture, ou c’est à n’y plus rien comprendre.

Les propos du chef de l’État, comme l’inscription dans la Constitution, ne ferment bien sûr aucune porte, c’est un signe d’ouverture. Nous l’avons dit tout au long des débats depuis plus d’un mois : il n’est pas question d’aborder les modes de scrutin dans la Constitution. Mais je vous le redis, monsieur Mercier : les propos du chef de l’État et le fait que nous ayons accepté, sur votre initiative, d’inscrire l’expression pluraliste dans la Constitution sont le signe que l’ensemble du Gouvernement, la majorité et le chef de l’État ne veulent pas fermer les portes. C’est donc un signe d’ouverture.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Heureusement que de temps en temps, il y a une expression pluraliste, sinon on ne serait pas en démocratie !

M. le président. Je mets aux voix l'article 24.

(L'article 24 est adopté.)

Article 24
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Article 24 ter (supprimé)

Article 24 bis (supprimé)

M. le président. L’article 24 bis a été supprimé par l’Assemblée nationale.

L'amendement n° 78, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Dans l'article 54 de la Constitution, après les mots : « soixante sénateurs » sont insérés les mots : « ou par un groupe parlementaire ».

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Avec cet amendement qui avait été adopté en première lecture et que nous reprenons maintenant, on mesure ce qu’il en est des promesses et même des votes de notre assemblée.

C’est avec une certaine amertume que nous pouvons constater le rejet par l’Assemblée nationale d’un amendement adopté à la quasi-unanimité par le Sénat en première lecture.

Mis à part Mme le garde des sceaux et, si mes souvenirs sont bons, M. Fourcade, M. Hyest, au nom de la commission des lois, et tous les groupes de notre assemblée, nous avions approuvé, chacun avec des raisons différentes mais complémentaires et convergentes, le fait qu’un groupe parlementaire puisse saisir le Conseil constitutionnel de la conformité d’un accord international à la Constitution de notre pays.

M. Hyest, au nom de la commission des lois, avait notamment précisé qu’au moment où l’exception d’inconstitutionnalité prévue par ce projet de loi allait permettre à tout citoyen de s’opposer à une loi, il serait étonnant de continuer à refuser la saisine par un groupe parlementaire.

M. Mercier avait, quant à lui, souligné l’intérêt de cette nouvelle prérogative pour les groupes parlementaires. M. Portelli avait approuvé cet amendement qu’il jugeait excellent, tout comme notre collègue Bernard Frimat.

Or le Gouvernement et la commission des lois de l’Assemblée nationale ont refusé cette proposition par opportunité politique, car leur argumentation ne peut résister à la contradiction, madame le garde des sceaux.

Premier argument avancé : il y aurait une inégalité entre parlementaires, étant donné la différence d’effectif des groupes selon les périodes. Cet argument néglige le fait que les autres modes de saisine, par soixante parlementaires de chaque assemblée, par exemple, permettent le respect du droit individuel de saisine de chacun. Cet argument n’apparaît donc pas très sérieux, voire pas très intelligible.

Ensuite, les mêmes indiquent que le droit de saisine est individuel. Mais de qui se moque-t-on ? Les recours émanent systématiquement des groupes politiques car ce sont eux qui constituent le Parlement. Imaginez un Parlement qui serait la simple addition d’individualités politiques ! Le droit de saisine du Président de la République est-il un droit individuel ou un droit résultant de la fonction ? La seconde hypothèse est la réponse évidente.

Nous demandons donc solennellement au Sénat de rétablir son vote de première lecture sur un projet important pour l’avenir du fonctionnement démocratique de nos assemblées.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à l’heure, M. Bret et ses collègues ont présenté un amendement visant à donner le dernier mot à l’Assemblée nationale, même en matière constitutionnelle.

J’ai regretté que l’Assemblée nationale n’ait pas accepté que l’on puisse ouvrir le recours au Conseil constitutionnel aux groupes.

Pour l’Assemblée nationale, le droit de saisine est non pas un droit collectif attaché à un groupe, mais un droit individuel que les parlementaires peuvent exercer sans considération de leur appartenance à un groupe. C’est un point de désaccord.

Quand il y a un débat, il faut bien à un moment ou à un autre retenir l’essentiel et céder sur ce qui ne paraît pas fondamental, et c’est le cas. J’en suis désolé. En effet, à partir du moment où était instaurée l’exception d’inconstitutionnalité, il paraissait naturel que le Conseil constitutionnel puisse être saisi par un nombre inférieur à soixante députés ou sénateurs.

Nous n’avons pas pu aboutir à un accord sur ce point avec l’Assemblée nationale. Pour autant, nous n’allons pas remettre en cause l’ensemble du dispositif. Aussi, la commission est obligée d’émettre un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Par cet amendement, vous souhaitez revenir à la rédaction adoptée par le Sénat en première lecture.

Comme M. le rapporteur vient de dire, l'Assemblée nationale a considéré que la saisine du Conseil constitutionnel devait rester un droit individuel. Le droit de saisir le Conseil constitutionnel d’un engagement international est déjà reconnu par la Constitution, qui a fixé le nombre de parlementaires à soixante députés ou soixante sénateurs.

Compte tenu de ces éléments et de l’accord intervenu entre la majorité de l'Assemblée nationale et celle du Sénat, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

M. Jean-Pierre Sueur. Quel accord ? Quand ? Comment ?

MM. Robert Bret et Jean-Pierre Sueur. Il n’y a pas eu de commission mixte paritaire !

Mme Isabelle Debré. La deuxième lecture, voulais-je dire.

M. Robert Bret. De qui se moque-t-on ? Du Parlement !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Franchement, les arguments avancés ne sont pas du tout convaincants : le droit de saisir le Conseil constitutionnel serait un droit individuel.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Or ce n’est pas du tout le cas puisqu’il faut soixante parlementaires ! (M. le rapporteur s’exclame.) Si vous voulez dire que des parlementaires peuvent individuellement se regrouper, demeure alors la possibilité de constituer un groupe de soixante.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est cela !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Absolument ! Il s’agit non pas d’un droit individuel, mais d’un droit à se mettre individuellement dans un groupe de soixante,…

M. Robert Bret. Alors l’article 1er n’a aucune valeur !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. …ce qui est tout à fait différent ! Si la Constitution garantissait un droit individuel des parlementaires, nous ne demanderions pas la reconnaissance d’un droit pour les groupes. Ce serait tout à fait différent, puisque chaque parlementaire pourrait saisir le Conseil constitutionnel. D’ailleurs, les citoyens vont pouvoir le faire !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Par voie d’exception !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En effet. Eh bien, chaque parlementaire pourrait aussi le saisir par voie d’exception ! (Rires sur le banc des commissions.  M. le vice-président de la commission des lois lève les bras au ciel.)

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Mais non ! C’est au cours d’un procès bien sûr !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur Gélard, vous, le constitutionnaliste, vous pouvez lever les bras au ciel, mais les arguments qui nous sont avancés ne tiennent pas ! Ce sont des aberrations ! Il s’agit non pas d’un droit individuel des parlementaires, mais d’un droit des parlementaires de se regrouper à soixante ! Donc, c’est un droit de soixante parlementaires ! Nous voulons qu’on octroie ce droit aux groupes pour affirmer la réalité du pluralisme du Parlement.

Monsieur Mercier, j’en suis désolée, mais l’inscription, sur votre initiative, à l’article 1er du projet de loi constitutionnelle du principe selon lequel la loi garantit les expressions pluralistes des opinions n’a aucune réalité, compte tenu du refus de l'Assemblée nationale de reconnaître l’existence autonome des groupes. D’ailleurs, pourquoi inscrire ce droit d’expression pluraliste au Parlement dans la Constitution, sauf à considérer qu’il y a un parti unique ? Il me semblait évident que ce droit était respecté dans une démocratie !

M. Pierre-Yves Collombat. C’est pour cette raison que c’est inscrit !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’article 1er introduit une lapalissade dans la Constitution, mais nous n’en tirons pas les conséquences sur le fonctionnement du Parlement, ni sur le pluralisme au sein des deux chambres.

Pour ma part, je constate que l'Assemblée nationale a refusé de reconnaître l’existence autonome des groupes.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non, non !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Elle ne leur a pas reconnu non plus de droits spécifiques.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je vais tenir compte des arguments qui nous sont opposés.

Imaginez que, dans un groupe parlementaire, certains membres ne veuillent pas déposer un recours devant le Conseil constitutionnel. Il pourrait y avoir des problèmes car il n’y a pas de mandat impératif. Un groupe ne saurait se résumer au seul président ! C’est l’unanimité du groupe qui prévaut !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et quand on vote pour les autres ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il nous avait semblé simple de reconnaître des droits spécifiques aux groupes d’opposition ainsi qu’aux groupes minoritaires dans l’article 24 du projet de loi pour l’article 51-1 de la Constitution, mais il n’en demeure pas moins que la question posée par l'Assemblée nationale n’est pas anodine.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous allons prévoir l’unanimité des membres du groupe, si ça vous fait plaisir !

M. Robert Bret. Nous allons modifier notre amendement, si vous le souhaitez !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Que ferions-nous si un certain nombre de membres du groupe ne signaient pas le recours ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le groupe ne pourrait pas le déposer, parce qu’il s’agit d’un droit individuel. Le recours devrait être signé par tous les membres du groupe.

Mme Isabelle Debré. Bien sûr !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous modifions notre amendement !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La démocratie fonctionne peut-être de cette manière dans certains groupes, mais cela peut poser problème dans d’autres…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Où ça ? À quel endroit ? Quelle est la liberté de vote dans votre groupe ?

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.

M. Robert Badinter. La question est, il est vrai, tout à fait intéressante.

M. Robert Bret. Elle est révélatrice !

M. Robert Badinter. En termes de droit constitutionnel, nous ouvrons très largement la saisine du Conseil constitutionnel aux justiciables, qui peuvent ne pas être des citoyens,…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait !

M. Robert Badinter. …dans le cadre de l’exception d’inconstitutionnalité.

Dès lors, il nous est apparu logique de nous interroger en commission des lois, puis en séance publique, sur le fait de savoir s’il ne fallait pas offrir également cette possibilité à un groupe parlementaire. L’inégalité qui existe en matière de droits des groupes parlementaires est profondément choquante dans la mesure où tous les groupes parlementaires ne comptent pas un minimum de soixante membres !

Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué la question de l’unanimité. J’y répondrai très simplement : si nous songions à demander l’unanimité du groupe parlementaire pour saisir le Conseil constitutionnel, l’argument avancé par l'Assemblée nationale tomberait de facto. Mais, très franchement, même si j’admire l’énergie que vous avez déployée au cours de nos longs débats, c’est une bien mauvaise méthode parlementaire que de nous dire qu’il y a eu un accord. Entre qui et qui ? Il n’y a pas eu de commission mixte paritaire ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je n’ai jamais dit cela !

M. Robert Badinter. Si vous avez passé un accord avec le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, celui-ci ne nous est en rien opposable ! Les vraies questions doivent être discutées jusqu’au terme du débat !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Bien sûr !

M. Robert Badinter. Et s’il doit y avoir navette, il y aura navette ! Car telle est la réalité de la procédure parlementaire !

Mais ne venez pas nous dire que tel est le texte de la révision constitutionnelle et que l'Assemblée nationale n’en changera pas un mot, pas plus que le Sénat !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n’est pas du tout cela !

M. Robert Badinter. Alors même que l’on nous parle de restaurer, voire d’accroître les droits du Parlement, qu’en est-il, si l’on nous dit, par avance, que l’accord passé par les présidents des commissions des lois des deux assemblées – parfaitement compétents d’ailleurs, mais appartenant tous deux à la même majorité – vaut droit constitutionnel ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je n’ai jamais parlé d’ « accord » !

M. Robert Badinter. Franchement, c’est ce que j’entends depuis le début ! Certes, un accord a peut-être été passé entre deux personnes, voire deux groupes parlementaires, mais il ne s’agit pas d’un accord entre les deux assemblées !

Tout à l'heure, on a évoqué la nécessité de sauvegarder l’expression pluraliste, mais la nécessité de reconnaître des droits égaux à tous les groupes parlementaires en matière de saisine du Conseil constitutionnel me paraît constituer à cet égard un impératif catégorique.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Ils ne l’ont jamais dit avant !

M. Robert Badinter. Vraiment, je demande à mes collègues de la Haute Assemblée, qui, dans un premier temps, avaient estimé que cette saisine était souhaitable, de ne pas penser que c’est un fait acquis au seul motif que le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale a, semble-t-il, été plus convaincant que celui de la commission des lois du Sénat, qui sait, pourtant, être fort persuasif, car nous n’avons pas entériné cet accord !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. J’ai été convaincant sur un certain nombre de points, vous le savez bien !

M. Robert Badinter. Je le sais ! Mais, à cet égard, vous le reconnaîtrez comme moi, cet accord n’engage que vous !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non, il engage la commission des lois !

M. Robert Badinter. En l’occurrence, il est essentiel de reconnaître le principe de l’égalité des groupes parlementaires en matière de saisine du Conseil constitutionnel. C’est aussi simple que cela, et c’est d’ailleurs ce que vous aviez voulu !

M. le président. La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Afin de tenir compte de la teneur de notre débat, je modifie, monsieur le président, l’amendement n° 78, pour y faire figurer la notion d’unanimité des membres du groupe.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela ne change rien !

M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 78 rectifié, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, et ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Dans l'article 54 de la Constitution, après les mots : « soixante sénateurs » sont insérés les mots : « ou par un groupe parlementaire à l'unanimité de ses membres ».

Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je tiens tout d’abord à dire que j’exprime non pas mon point de vue, mais celui de la commission des lois,...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. …qui a délibéré du texte adopté en deuxième lecture par les députés la semaine dernière ! J’en ai assez d’entendre dire que j’ai passé un accord dans mon coin avec le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale. C’est faux !

Mme Isabelle Debré. Absolument !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous sommes parvenus à un équilibre. Comme je l’ai déjà dit, l'Assemblée nationale a tenu compte, en deuxième lecture, de nombreuses améliorations apportées par le Sénat, mais elle n’a pas été convaincue par tous les amendements que nous avions adoptés. C’est ce que l’on appelle le dialogue…

M. Robert Bret. Un dialogue entre qui et qui ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. …mais, à un certain moment, il faut savoir accepter les arguments de son interlocuteur !

C’est pourquoi je suis toujours défavorable à cet amendement, même rectifié ! Et je serai défavorable à tous les autres amendements restant en discussion, sans donner plus d’explications d’ailleurs ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.  – M. Pierre Laffitte applaudit également.)

Mme Alima Boumediene-Thiery. Et la démocratie parlementaire ?

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Même avis que la commission.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 78 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 24 bis demeure supprimé.

Article 24 bis (supprimé)
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Article 25

Article 24 ter (supprimé)

M. le président. L’article 24 ter a été supprimé par l'Assemblée nationale.

L'amendement n° 134, présenté par MM. Badinter, Frimat et Bel, Mme Bricq, MM. Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Dans la Constitution, les mots : « Conseil constitutionnel » sont remplacés par les mots : « Cour constitutionnelle ».

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Nous retrouvons là une situation qui n’est pas sensiblement différente de celle que nous venons d’évoquer.

Je livre à mes collègues Lecerf et Gélard un cas d’étude, pour leurs étudiants, sur la procédure parlementaire.

Cet amendement porte sur une question qui n’est pas majeure dans les institutions, puisqu’il s’agit simplement de la dénomination à retenir pour le Conseil constitutionnel.

On le sait, il y a une différence absolument radicale entre le Conseil constitutionnel d’origine et celui d’aujourd'hui : l’ouverture de sa saisine aux parlementaires, puis, à présent, aux justiciables, a transformé cette institution en une juridiction constitutionnelle, comme il en existe dans toutes les démocraties, notamment européennes.

Après avoir consulté les présidents successifs du Conseil constitutionnel, notamment les deux précédents, j’ai déposé un amendement visant à modifier la dénomination de cette institution pour que celle-ci corresponde plus à la réalité.

Aujourd'hui, cette institution ne donne pas des conseils, elle rend des décisions juridictionnelles ayant autorité de la chose jugée à l’encontre de toutes les autorités de l’État. Comme la logique le commande, appelons-la donc « Cour constitutionnelle ».

Cet amendement, qui n’est pas d’une grande importance politique, procède simplement du bon sens juridique.

Je n’avais pas compris la raison de l’attachement à une formule dépassée, mais la commission des lois avait émis un avis favorable sur cet amendement, qui a été adopté par le Sénat. J’en ai été ravi, d’autant que les succès sont rares : j’ai compté qu’un de mes amendements en moyenne est adopté par an ! C’est la destruction progressive du pouvoir de convaincre !...

Pour en revenir à mon amendement, j’ai constaté que l'Assemblée nationale est revenue à la dénomination de « Conseil constitutionnel ». Comme tout juriste sérieux, je me suis reporté à ses travaux. Et le résultat est prodigieux ! Les débats qui ont eu lieu sur cet amendement tiennent en quatre lignes !

Deux amendements identiques de suppression ont été déposés, l’un, au nom de la commission, par notre distingué collègue Jean-Luc Warsmann, l’autre par M. Jacques Myard. Aucun d’entre eux n’a étayé son argumentation, se contentant d’indiquer que leur amendement visait à supprimer l’article 24 ter. Le Gouvernement a émis un avis favorable, sans justification. Les amendements identiques ont ensuite été mis aux voix, et l’article a été supprimé, sans mot dire, y compris de l’opposition.

La seule explication, je l’ai trouvée dans le rapport de M. Hyest, et je l’en félicite, lorsqu’il cite le rapport de M. Warsmann. Les députés estiment que la mission juridictionnelle du Conseil constitutionnel « n’est ignorée par personne ».

Je veux bien, mais reconnaissons que c’est une vision singulièrement irénique de la réalité. Si vous demandez à nos concitoyens ce que rend le Conseil – des conseils ou des décisions ? –, je suis sûr qu’ils n’en savent rien !

Par conséquent, je souhaite toujours que l’on reconnaisse à l’institution sa véritable identité de Cour, et cela pour une raison simple : au regard de toutes les juridictions en Europe qui, toutes, sont appelées Cour, il n’est pas bon de nommer « Conseil » une grande institution comme celle-là, qui rend des décisions.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le changement de dénomination n’apporterait rien. Une telle disposition a d’ailleurs été débattue lors de la première lecture au Sénat.

MM. Jean-Pierre Sueur et Bernard Frimat. Et votée !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Il ne s’agit pas de minimiser le rôle juridictionnel du Conseil constitutionnel. Mais le fait est que ce n’est pas qu’une juridiction. Ce n’est pas non plus une Cour suprême. Il s’agit d’une institution tout à fait originale au sein de notre République.

Dans le cadre de l’équilibre des pouvoirs, le Gouvernement a effectivement souhaité maintenir la dénomination actuelle. Par conséquent, il est défavorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.

M. Bernard Frimat. Je voudrais simplement faire remarquer à Mme le garde des sceaux qu’elle avait déjà lu en première lecture la même argumentation défavorable et que le Sénat avait adopté cette disposition contre son avis.

Par conséquent, son intervention ne nous a rien apporté.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 134.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article 24 ter demeure supprimé.

Article 24 ter (supprimé)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article 25 ter (supprimé)

Article 25

I. - Non modifié.

II. – Supprimé.

M. le président. L'amendement n° 135, présenté par MM. Badinter, Frimat, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit la seconde phrase du second alinéa du I de cet article :

Les nominations effectuées par le président de chaque assemblée ont lieu après avis public de la commission permanente compétente de l'assemblée concernée, statuant à la majorité des trois cinquièmes.

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Cet amendement concerne toujours le Conseil constitutionnel. S’agissant de la nomination de ses membres, nous avions fait remarquer – et je le souligne encore ce soir – à quel point il était essentiel que la décision fasse l’objet d’un consensus. En clair, cela signifie que doit intervenir un vote positif à la majorité des trois cinquièmes et, en pareil cas, nous serons dans l’indiscutable. De telles procédures sont d’ailleurs utilisées dans d’autres grandes démocraties pour la désignation des magistrats qui jugent dans les juridictions constitutionnelles.

Nous avons déjà longuement exposé les raisons pour lesquelles le système adopté, le véto négatif à la majorité des trois cinquièmes, profite purement et simplement à la seule majorité. Ce n’est nullement un appel au consensus ! De plus, en conservant un tel véto, vous mettez à mal ce dont vous vous réclamez tant : l’ouverture.

Il n’y a là qu’une volonté de conserver du côté de la majorité la maîtrise de telles nominations. Par conséquent, je vous demande une nouvelle fois d’adopter l’amendement que nous proposons.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. L’objet de cet amendement revient à transférer le pouvoir de nomination du président aux assemblées qui donneraient les avis.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Si l’avis doit être conforme, c’est que l’on transfère le pouvoir de nomination !

Le Gouvernement n’est pas favorable à cet amendement, car la décision de nomination doit être prise par le président du Sénat et le président de l’Assemblée nationale. L’ajout des commissions apporte de la transparence.

Pendant très longtemps, on ne s’est jamais posé la question de l’indépendance et de la qualité des membres du Conseil constitutionnel ! C’était un pouvoir propre du Président de la République.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Comme toujours, la question est de savoir à quoi sert ce que nous faisons, ...

M. Jean-Pierre Sueur. ... puisque M. le rapporteur n’a donné aucune argumentation.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est la vérité, monsieur le président ! Pourquoi débattre si aucun argument n’est avancé ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je n’ai pas à fournir d’argumentation. J’ai donné l’avis de la commission, qui est défavorable à cet amendement.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame le garde des sceaux, il est tout à fait inexact de dire que nous demandons un avis conforme. Si tel était le cas, il y aurait effectivement un transfert du pouvoir de nomination du Président de la République vers le Parlement.

L’amendement présenté par M. Badinter précise seulement que les nominations effectuées par le président de chaque assemblée ont lieu après avis « public » de la commission.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Aux trois cinquièmes !

M. Jean-Pierre Sueur. Statuant, en effet, à la majorité des trois cinquièmes.

M. Jean-Pierre Fourcade. On a lu l’amendement !

M. Jean-Pierre Sueur. Mme le garde des sceaux a parlé d’avis conforme ! (Exclamations sur les travées de lUMP.)

M. le président. Pas de dialogues, mes chers collègues.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, puisque M. Fourcade m’a interpellé...

M. le président. Il ne vous a pas interpellé !

M. Jean-Pierre Sueur. ... pour me faire remarquer que l’amendement avait été lu, permettez-moi de lui faire observer que Mme la ministre ne l’a pas lu de la même manière que lui. Il est donc très important qu’on ne nous fasse pas dire ce que nous n’avons pas dit, ni d’ailleurs écrit !

M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour explication de vote.

M. Jean-René Lecerf. Sur le précédent amendement, j’étais personnellement convaincu…

M. Jean-René Lecerf. … de la pertinence de l’argumentation de M. Badinter. C’est la raison pour laquelle je me suis abstenu, même si cela n’a pas changé grand-chose.

En revanche, sur celui-ci, très honnêtement, je ne vois pas quel juriste ou quelle personnalité politique désigné pour siéger au Conseil constitutionnel, puis essuyant un refus même à la majorité simple de la commission compétente, resterait en place.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Évidemment !

M. Jean-René Lecerf. Par conséquent, il s’agit vraiment d’un faux problème.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Très bien !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 135.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 136, présenté par MM. Badinter, Frimat, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Rétablir le II de cet article dans la rédaction suivante :

II - Le deuxième alinéa de l'article 56 de la Constitution est supprimé.

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Nous retrouvons la même situation que celle qui a été précédemment évoquée s’agissant de la dénomination du Conseil. Mais, cette fois, nous abordons la question des membres à vie, les anciens Présidents de la République.

Les raisons historiques qui sont à l’origine de cette singularité française étaient d’assurer aux anciens Présidents de la République un traitement décent. La IVe République ne le faisait pas. Le général de Gaulle s’en est soucié, à juste titre. Mais les situations telles que celle dans laquelle se trouvait le président René Coty ont fort heureusement disparu !

Aujourd’hui, la République s’honore en assurant aux anciens présidents de la République les traitements et les avantages qui conviennent, et l’argument d’origine n’est donc plus valable.

Nous nous trouvons donc devant une singularité qui est vraiment unique s’agissant des juridictions constitutionnelles : la présence à vie d’anciens Présidents de la République.

La conséquence, je l’ai évoquée : compte tenu du rajeunissement des Présidents de la République et, mieux encore, de la prolongation de la vie, le nombre des anciens Présidents de la République membres à vie du Conseil constitutionnel va aller croissant.

Cela n’est pas bon. J’irai même plus loin, cela n’a tout simplement pas de sens. Rien n’empêche un Président de la République qui a fini son mandat et qui a la vocation d’être juge constitutionnel de demander à être nommé au Conseil constitutionnel. Il se trouvera toujours l’un des trois présidents pour le faire ! Il ne serait pas nommé à vie et il serait soumis aux mêmes obligations que les autres membres.

Mais le système créé pour le seul président René Coty ayant perduré, nous sommes dans une situation tout à fait différente. Les anciens Présidents de la République ne se sentent pas liés par les obligations des autres membres ; ils se considèrent au-dessus.

Par exemple, sans vouloir offenser quiconque, ils ne sont pas d’une assiduité exemplaire. Et quand on vient me dire que leur sagesse permet d’éclairer le Conseil, je rappelle que les présidents du Conseil constitutionnel et les rapporteurs prennent bien soin, sur les questions essentielles, de consulter tous ceux qui peuvent les éclairer, éventuellement les anciens Présidents de la République.

Réfléchissez bien ! Il n’est pas bon qu’il y ait, dans la République, quelque forme de mandat à vie que ce soit,...

M. Robert Badinter. ... et ce pour une raison simple, mais je ne suis pas le seul ici de mon âge : on prend inévitablement une certaine distance avec l’évolution des sensibilités contemporaines. Or, selon moi, quand on doit arrêter des décisions de cet ordre, une telle prise de distance n’est pas bonne et, s’agissant d’une fonction à vie, j’ajoute que les capacités intellectuelles peuvent – mais on ne le réalise pas toujours – ne pas demeurer aussi vivaces qu’au moment de la prise de fonctions.

Par conséquent, le mandat à vie est en soi condamnable, de même que la présence à vie des anciens Présidents de la République au sein du Conseil constitutionnel. Je ne parle pas de ceux qui y siègent déjà ; il est hors de question de toucher à leur mandat ; cela n’est pas souhaitable.

Enfin, il n’est pas bon non plus qu’au sein d’une grande juridiction comme celle-là, Conseil ou Cour, une proportion de plus en plus importante de femmes ou d’hommes – pour l’instant, ce ne sont que des hommes –, soit perçue de l’extérieur comme étant inévitablement des personnalités politiques.

La politisation d’une grande institution juridictionnelle est mauvaise. Les Britanniques disent, à juste titre, qu’il ne suffit pas que la justice soit rendue ; encore faut-il que l’on pense qu’elle a été rendue ! Or ce n’est pas le soupçon de politisation des membres du Conseil constitutionnel qui incitera à mieux accueillir les décisions de celui-ci.

Tout y contribue ; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle la commission des lois et vous-mêmes aviez voté la suppression du deuxième alinéa de l’article 56 de la Constitution. Je regrette que cette mesure ait été rétablie ; je demande donc à la Haute Assemblée de revenir à sa position première.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je vais faire un effort ! La commission a émis un avis défavorable, mais nous serons certainement amenés à revenir sur cette question.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Josselin de Rohan, pour explication de vote.

M. Josselin de Rohan. Je ne suis pas d’accord avec la version donnée par M. Badinter des raisons pour lesquelles les Présidents de la République ont été nommés conseillers constitutionnels par les constituants de 1958.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour améliorer leur retraite !

M. Josselin de Rohan. Ce n’est nullement pour leur assurer une retraite ! Le Président Vincent Auriol, qui a longtemps été parlementaire, pouvait très bien vivre de sa retraite de parlementaire. Le Président René Coty avait, lui aussi, été parlementaire avant et après la guerre. Le Conseil constitutionnel de la Ve République n’a donc jamais été considéré comme une maison de retraite !

En vérité, on a voulu bénéficier de la sagesse et de l’expérience des anciens Présidents ; Vincent Auriol et René Coty étaient en effet des hommes d’un grand bon sens. Pour des raisons que l’on connaît, le Président Vincent Auriol n’a pas voulu siéger au Conseil constitutionnel. Le Président René Coty y a siégé jusqu’à ce que ses forces l’abandonnent, et personne n’a trouvé qu’il détonnait au sein de cette noble assemblée !

Monsieur Badinter, l’un de vos successeurs à la présidence du Conseil constitutionnel, M. Jean-Louis Debré, qui m’honore de son amitié, m’a dit combien il était heureux de compter deux anciens Présidents de la République. C’est une différence qu’il a avec vous, car vous n’en comptiez aucun. Par conséquent, vous ne parlez pas en connaissance de cause de l’apport que cela représente pour les débats au sein du Conseil constitutionnel !

Le président Jean-Louis Debré explique que l’expérience, la sagesse et la connaissance du monde politique des deux anciens Présidents de la République sont véritablement bienvenues et permettent d’éclairer un certain nombre de débats.

En effet, il ne s’agit pas seulement de se prononcer en tant que juristes. Quelquefois, il faut également tenir compte du contexte politique. Et ces deux anciens Présidents de la République, qui bénéficient d’une réelle expérience, apportent beaucoup à la juridiction chargée d’examiner la conformité d’un certain nombre de textes à notre loi fondamentale.

Par conséquent, monsieur Badinter, je ne peux pas vous laisser dire que la règle selon laquelle les anciens Présidents de la République siègent de droit au Conseil constitutionnel serait une anomalie ou une disposition totalement inutile pour notre République. Vous pouvez être de cet avis, mais permettez que d’autres ne le partagent pas.

Certes, vous pouvez arguer que le poids des ans devrait amener les anciens Présidents de la République à opter pour une autre activité. Mais un tel argument pourrait également valoir pour le Sénat. (Murmures sur plusieurs travées.) On peut effectivement faire autre chose à partir d’un certain âge.

Vous avez également indiqué que la science permettrait à un très grand nombre d’anciens Présidents de la République de siéger au sein de cette juridiction.

Monsieur Badinter, prenons un cas concret. Imaginons un Président de la République élu une première fois à cinquante-deux ans – vous voyez à qui je peux faire allusion (Sourires) –, puis réélu. À l’issue de son second mandat, il serait alors âgé d’une soixante d’années. Convenez-en, il pourrait s’occuper autrement qu’en devenant membre du Conseil constitutionnel !

En l’occurrence, je ne suis pas certain que le Président de la République auquel je pense aille nécessairement siéger au sein de la juridiction constitutionnelle. Et s’il y va, tant mieux ! Il pourra faire bénéficier cette institution de son expérience, comme d’autres l’ont fait avant lui. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour ma part, je soutiendrai naturellement cet amendement. En effet, il s’agit d’un sujet qui a fait l’objet d’une réflexion importante.

La question n’est pas de connaître l’avis, nécessairement subjectif, de chaque parlementaire sur les apports respectifs des différents anciens Présidents de la République siégeant ou ayant siégé au sein du Conseil constitutionnel. Le problème est tout autre !

Le point essentiel, c’est que le monde a effectivement changé. D’ailleurs, vous vous plaisez à le rappeler en toutes occasions. Deux anciens Présidents de la République siègent aujourd'hui au Conseil constitutionnel, ce qui aurait été inconcevable à une certaine époque. Peut-être seront-ils un jour trois, voire quatre. (Exclamations sur les travées de lUMP.)

M. Robert del Picchia. Et pourquoi pas vingt-cinq ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En outre, les anciens Présidents de la République restent plus longtemps au Conseil constitutionnel, ce qui est d’ailleurs positif, puisque c’est la conséquence de l’allongement de la durée de la vie.

Dès lors, on constate une disproportion entre le nombre de membres du Conseil constitutionnel nommés et le nombre de membres de droit à vie, c'est-à-dire les anciens Présidents de la République. Le fait d’avoir un nombre important de membres à vie et même le simple fait d’en avoir plusieurs posent problème.

Le sujet a fait l’objet d’une réflexion, et il nous est apparu utile de supprimer ce qui constitue aujourd'hui peut-être pas une anomalie, mais à tout le moins une survivance de temps plus anciens. Mais, pour des raisons qui nous dépassent certainement, nous ne pourrons sans doute pas procéder à une telle révision. C’est très regrettable !

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.

M. Robert Badinter. Je souhaite répondre à M. de Rohan.

Mon cher collègue, je vous rappelle que la Haute Assemblée avait voté une telle suppression.

M. Jean-Pierre Fourcade. À quelques voix près !

M. Robert Badinter. En outre, sauf erreur de ma part, le président René Coty est mort avant 1974, c'est-à-dire à une époque où le Conseil constitutionnel n’était pas la même institution qu’aujourd'hui.

En effet, si la révision constitutionnelle – je dirais même la « révolution » – voulue par le président Valéry Giscard d’Estaing en 1974 a transformé la nature du Conseil constitutionnel, cette juridiction faisait auparavant quelque peu figure de « belle au bois dormant ». Si vous vous reportez, comme je l’ai fait, aux travaux du Conseil constitutionnel, vous vous rendez compte que seulement douze ou treize décisions ont été rendues – je mets de côté le contentieux électoral – avant 1974. Compte tenu de son mode de saisine, cette institution n’était alors pas une véritable juridiction.

La réalité est totalement différente aujourd'hui ! On ne peut donc se référer au précédent du Président de la République René Coty.

J’en viens maintenant à la situation actuelle. Monsieur de Rohan, selon vous, M. Jean-Louis Debré, l’actuel président du Conseil constitutionnel, souhaiterait que les anciens Présidents de la République, dans l’avenir – je ne parle pas de ceux qui y siègent actuellement –, demeurent membres de droit à vie de cette institution. Je me permets de vous signaler que je l’ai entendu défendre une position exactement inverse.

M. Josselin de Rohan. Pourtant, c’est ce qu’il a dit !

M. Robert Badinter. Peut-être aurions-nous dû le convoquer devant la commission des lois du Sénat, nous aurions ainsi été fixés. Nous divergeons, parce que chacun de nous a entendu une version différente.

M. Henri de Raincourt. Moi, j’ai entendu la même version que M. de Rohan !

M. Robert Badinter. Pour ma part, j’établis une distinction entre ce qui vaut pour le passé, auquel nul ne saurait toucher, et ce qui vaut pour l’avenir ; je me suis déjà suffisamment exprimé sur le sujet.

Ce n’est faire offense à personne de le souligner, il n’est pas bon que quiconque puisse détenir un mandat à vie dans une juridiction. Croyez-moi, nous aurons l’occasion de le constater dans les décennies à venir.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 136.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 25.

(L'article 25 est adopté.)

Article 25
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Article additionnel après l’article 26

Article 25 ter (supprimé)

M. le président. L’article 25 ter a été supprimé par l’Assemblée nationale.

Mais l'amendement n° 79, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, tend à le rétablir dans la rédaction suivante :

Le deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution est complété par les mots : « ou par un groupe parlementaire ».

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Cet amendement vise à rétablir la disposition adoptée par le Sénat en première lecture pour élargir le droit de saisine du Conseil constitutionnel aux groupes parlementaires.

Cela étant, dans un souci de cohérence avec le débat que nous avons eu tout à l’heure, je propose de rectifier cet amendement en y ajoutant les mots : « à l’unanimité de ses membres ».

M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 79 rectifié, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, et tendant à rétablir l’article 25 ter dans la rédaction suivante :

Le deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution est complété par les mots : « ou par un groupe parlementaire à l'unanimité de ses membres ».

Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 79 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. En conséquence, l’article demeure supprimé.

Article 25 ter (supprimé)
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Article 28

Article additionnel après l’article 26

M. le président. L'amendement n° 15, présenté par MM. Haenel et Grignon, Mme Keller, MM. Leroy et Richert et Mmes Sittler et Troendle, est ainsi libellé :

Après l'article 26, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 74-1 de la Constitution, il est inséré un article 74-2 ainsi rédigé :

« Art. 74-2. - La République reconnaît la légitimité de la législation particulière aux départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. »

La parole est à Mme Catherine Troendle.

Mme Catherine Troendle. L’article 26 du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République crée un article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958.

Ce nouvel article permettra à tout justiciable de soulever une exception d’inconstitutionnalité à l’occasion d’un procès si la disposition législative qui lui est applicable lui semble contraire aux droits et libertés reconnus par la Constitution. Par un mécanisme de filtrage, il appartiendra à la Cour de cassation ou au Conseil d’État de saisir le Conseil constitutionnel.

S’agissant du droit local alsacien-mosellan, il n’est pas inconcevable que cette exception soit invoquée au sujet des libertés fondamentales, au motif d’une atteinte aux principes d’égalité devant la loi, de laïcité ou d’unité de la République. Pour l’essentiel, les matières qui relèvent du droit local sont la sécurité sociale, les associations, l’enseignement religieux et le statut des cultes.

Pour ce qui est des cultes, il est important de souligner que la législation locale est conforme au principe de laïcité. Comme vous le savez, ce principe n’interdit pas le financement public des activités religieuses, mais il implique une neutralité de l’État par rapport aux cultes. L’État doit précisément faire preuve de neutralité dans ses choix en matière de nomination des ministres des cultes statutaires.

Au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il n’est pas exclu que l’une ou l’autre disposition du droit local soit déclarée contraire à la Constitution. En effet, la jurisprudence constitutionnelle a développé une conception stricte de l’unité territoriale du régime des libertés publiques, dans le cadre de laquelle le principe même du droit local pourrait être contesté.

Le droit local maintenu en vigueur en Alsace et en Moselle après le retour de ces territoires à la France, et rétabli comme élément de la légalité républicaine après la fin de l’annexion de ces territoires par le IIIe Reich, constitue une institution respectée par tous les gouvernements successifs des IIIe, IVe et Ve Républiques. D’ailleurs, les populations locales y sont très attachées.

Après quatre-vingt-dix ans d’intégration dans le système juridique français, ce droit local apparaît comme une déclinaison spécifique des droits et libertés constitutionnels.

Afin de prévenir toute difficulté, trois possibilités étaient envisageables.

La première aurait consisté à ajouter la phrase suivante à la fin de la première phrase du premier alinéa de l’article 61-1 de la Constitution : « Sont exclues de cette procédure les dispositions législatives maintenues en vigueur par la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle et la loi du 1er juin 1924 portant introduction des lois commerciales françaises dans lesdits départements, ainsi que les dispositions ayant modifié ces lois. »

La deuxième aurait visé à rétablir le texte du projet du Gouvernement limitant le domaine de l’exception d’inconstitutionnalité aux lois postérieures à 1958.

Enfin, la troisième aurait eu pour objet d’inscrire le droit local alsacien dans la Constitution, à l’instar du droit des territoires d’outre-mer : « La République reconnaît la légitimité de la législation particulière aux départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. » Cette solution est de loin préférable.

Tel est l’objet de cet amendement. (M. Hubert Haenel applaudit.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous comprenons très bien les interrogations que la création d’une exception d’inconstitutionnalité peut susciter chez nos collègues élus d’Alsace-Moselle, qui se demandent si une telle disposition pourrait remettre cause le droit local, dont notre collègue Catherine Troendle vient de rappeler les fondements.

Nous le savons, les départements concernés sont très attachés à ce système. J’en profite pour saluer la qualité du travail effectué par l’Institut du droit local alsacien-mosellan, que nous apprécions. Il pourrait parfois se révéler utile d’étendre le droit local aux autres départements français. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) En effet, il s’agit d’un droit très bien fait qui pourrait nous inspirer, notamment en matière de sécurité sociale. Cela changerait sans doute beaucoup de choses.

Néanmoins, il apparaît clairement qu’aucune des lois locales ne porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Il n’y a, me semble-t-il, aucun risque en la matière.

En effet, l’objectif du constituant n’est pas de permettre la remise en cause d’un ordre juridique préservé depuis bientôt un siècle. Les habitants des trois départements concernés doivent bénéficier du maintien du droit local, au nom de la sécurité juridique.

La loi organique qui déterminera les conditions et réserves d’application de l’exception d’inconstitutionnalité pourra, le cas échéant, préciser ce point.

Mme le garde des sceaux le démontrera sans doute beaucoup mieux que moi, et apportera toutes les garanties nécessaires de la part du Gouvernement, mais il ne me semble pas nécessaire d’introduire une telle précision dans le projet de loi constitutionnelle, car il n’y a aucun risque pour la pérennité du droit local en Alsace-Moselle.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission sollicite le retrait de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement comprend tout à fait l’attachement légitime des populations des trois départements d’Alsace et de Moselle au droit local en vigueur sur ces territoires.

Madame Troendle, comme j’ai eu l’occasion de le faire à l’Assemblée nationale, je peux répondre par l’affirmative aux trois questions que vous venez de poser.

D’abord, je partage pleinement votre affirmation selon laquelle le droit local doit faire l’objet d’une protection constitutionnelle.

En 1918, lorsque les territoires concernés ont réintégré la souveraineté française, les plus hautes instances de l’État se sont engagées politiquement et moralement au respect des spécificités locales.

Puis, en 1946, le constituant a choisi de restaurer le droit local alsacien-mosellan, qui avait été mis entre parenthèses après l’annexion allemande.

Le droit local alsacien a ainsi été progressivement incorporé dans notre tradition républicaine. Voilà pourquoi vous n’avez rien à craindre de sa confrontation avec le bloc de constitutionnalité, madame la sénatrice.

Par ailleurs, comme vous l’avez justement rappelé, le droit local d’Alsace-Moselle est déjà soumis au contrôle des juges puisque le Conseil d’État contrôle la compatibilité des lois antérieures à 1946 avec la Constitution de 1958 et avec le préambule de la Constitution de 1946. Il a toujours jugé le droit local compatible avec la Constitution de 1958. Il a ainsi rejeté des recours dirigés contre le régime des cultes d’Alsace et de Moselle, par un arrêt du 6 avril 2001, mais également contre la législation locale sur les associations, par un arrêt du 22 janvier 1988 Association « Les Cigognes ».

De même, le Conseil constitutionnel, dans le cadre du contrôle de la conformité des lois antérieures à 1958, n’a jamais déclaré une seule disposition du droit local d’Alsace-Moselle contraire à la Constitution.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Voilà !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Vous avez très justement rappelé à ce propos sa très récente décision portant sur la loi du 21 janvier 2008 relative au code du travail, qui modifie le droit du travail d’Alsace-Moselle.

Les juges n’ont jamais remis en cause le droit local alors qu’ils disposent de cette faculté. Il n’y a donc aucune raison de penser que cette jurisprudence puisse évoluer dans un sens différent à la suite de la révision constitutionnelle.

Par conséquent, l’exception d’inconstitutionnalité ne constitue pas une menace pour le droit local. Je pense même qu’elle pourra conforter l’ancrage constitutionnel de ce droit local. Celui-ci est toujours sorti renforcé et légitimé de sa confrontation avec notre bloc de constitutionnalité.

S’il y avait des craintes particulières s’agissant du régime spécifique des cultes, je rappelle qu’il a été jugé non contraire à la Constitution par le Conseil d’État, dans sa décision du 6 avril 2001.

Naturellement, en Alsace-Moselle comme ailleurs, le principe constitutionnel de laïcité s’applique.

Vous souhaitez insérer dans la Constitution un nouvel article qui reconnaîtrait, de manière expresse, la « légitimité de la législation particulière aux départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin ». Compte tenu de ce que je viens de dire, une reconnaissance expresse n’est pas juridiquement nécessaire. Paradoxalement, elle pourrait même contribuer à jeter le doute sur la compatibilité entre le droit local et la Constitution, alors que la jurisprudence ne l’a jamais remise en cause.

Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, il y serait défavorable.

M. le président. La parole est à M. Hubert Haenel, pour explication de vote sur l'amendement n° 15.

M. Hubert Haenel. Ce droit local concernant 3 millions de Français, je voudrais revenir quelques instants sur le sujet, en tant que président de la commission d’harmonisation du droit local d’Alsace-Moselle.

Je remercie M. le président de la commission des lois de ses propos, ainsi que Mme le garde des sceaux de sa réponse très étayée.

Madame le garde des sceaux, si j’ai bien compris, vous affirmez trois choses.

Premièrement, le droit local est constitutionnellement protégé ; vous l’avez, je crois, démontré.

Deuxièmement, le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel n’ont jamais remis en cause le droit local d’Alsace-Moselle, alors qu’ils peuvent déjà le faire.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait !

M. Gérard Longuet. C’est exact !

M. Hubert Haenel. À cet égard, vous avez cité plusieurs décisions, dont celle du Conseil constitutionnel portant sur la loi du 21 janvier 2008 relative au code du travail.

Enfin, madame le garde des sceaux, vous venez d’affirmer publiquement et solennellement que le droit local ne pourrait pas davantage être remis en cause en bloc dans le cadre du contrôle de constitutionnalité par voie d’exception.

Cela ne signifie pas pour autant que, s’agissant de l’harmonisation du droit local, le Conseil constitutionnel ne pourra pas déclarer que telle disposition est contraire à la Constitution ou à tel principe constitutionnel du préambule.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Bien sûr !

M. Hubert Haenel. Il ne faut pas non plus se méprendre sur la portée de nos propos, afin de ne tromper personne.

C’est à présent à Mme Catherine Troendle, après sa présentation particulièrement brillante, de nous dire, au nom de tous les parlementaires d’Alsace et de Moselle qui ont signé l’amendement, si elle le retire ou pas.

M. le président. Madame Troendle, l'amendement n° 15 est-il maintenu ?

Mme Catherine Troendle. Je voudrais remercier Mme la garde des sceaux de sa réponse. Bien évidemment, nous retirons cet amendement, parce que nous sommes rassurés.

Permettez-moi néanmoins de profiter de l’occasion qui m’est donnée, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, pour vous dire qu’il ne serait pas inintéressant, comme M. le rapporteur l’a évoqué, de mener une réflexion sur la possibilité de transposer certains dispositifs de notre droit local dans le droit français.

Dans divers domaines, le droit local s’avère bien plus efficace. M. Hyest a fait allusion à la sécurité sociale ; je citerai également le droit des associations et, tout particulièrement, le livre foncier.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le cadastre également !

M. le président. L'amendement n° 15 est retiré.

Article additionnel après l’article 26
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Article 30 quater

Article 28

L'article 65 de la Constitution est ainsi rédigé :

« Art. 65. - Le Conseil supérieur de la magistrature comprend une formation compétente à l'égard des magistrats du siège et une formation compétente à l'égard des magistrats du parquet.

« La formation compétente à l'égard des magistrats du siège est présidée par le premier président de la Cour de cassation. Elle comprend, en outre, cinq magistrats du siège et un magistrat du parquet, un conseiller d'État désigné par le Conseil d'État, un avocat ainsi que six personnalités qualifiées qui n'appartiennent ni au Parlement, ni à l'ordre judiciaire, ni à l'ordre administratif. Le Président de la République, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat désignent chacun deux personnalités qualifiées. La procédure prévue au dernier alinéa de l'article 13 est applicable aux nominations des personnalités qualifiées. Les nominations effectuées par le président de chaque assemblée du Parlement sont soumises au seul avis de la commission permanente compétente de l'assemblée intéressée.

« La formation compétente à l'égard des magistrats du parquet est présidée par le procureur général près la Cour de cassation. Elle comprend, en outre, cinq magistrats du parquet et un magistrat du siège, ainsi que le conseiller d'État, l'avocat et les six personnalités qualifiées mentionnés au deuxième alinéa.

« La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du siège fait des propositions pour les nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation, pour celles de premier président de cour d'appel et pour celles de président de tribunal de grande instance. Les autres magistrats du siège sont nommés sur son avis conforme.

« La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du parquet donne son avis sur les nominations qui concernent les magistrats du parquet.

« La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du siège statue comme conseil de discipline des magistrats du siège. Elle comprend alors, outre les membres visés au deuxième alinéa, le magistrat du siège appartenant à la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet.

« La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du parquet donne son avis sur les sanctions disciplinaires qui les concernent. Elle comprend alors, outre les membres visés au troisième alinéa, le magistrat du parquet appartenant à la formation compétente à l'égard des magistrats du siège.

« Le Conseil supérieur de la magistrature se réunit en formation plénière pour répondre aux demandes d'avis formulées par le Président de la République au titre de l'article 64. Il se prononce, dans la même formation, sur les questions relatives à la déontologie des magistrats ainsi que sur toute question relative au fonctionnement de la justice dont le saisit le ministre de la justice. La formation plénière comprend trois des cinq magistrats du siège mentionnés au deuxième alinéa, trois des cinq magistrats du parquet mentionnés au troisième alinéa, ainsi que le conseiller d'État, l'avocat et les six personnalités qualifiées mentionnés au deuxième alinéa. Elle est présidée par le premier président de la Cour de cassation, que peut suppléer le procureur général près cette cour.

« Sauf en matière disciplinaire, le ministre de la justice peut participer aux séances des formations du Conseil supérieur de la magistrature.

« Le Conseil supérieur de la magistrature peut être saisi par un justiciable dans les conditions fixées par une loi organique.

« La loi organique détermine les conditions d'application du présent article. »

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’Assemblée nationale a voté conforme la proposition du Sénat en première lecture : le débat ne devrait donc pas avoir lieu !

M. Bernard Frimat. Vous n’êtes pas obligés de voter conforme !

M. le président. L'amendement n° 81, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit cet article :

L'article 65 de la Constitution est ainsi rédigé :

« Art. 65. - Le Conseil supérieur de la magistrature comprend une formation compétente à l'égard des magistrats du siège et une formation compétente à l'égard des magistrats du parquet.

« La formation compétente à l'égard des magistrats du siège est présidée par un magistrat du siège élu en son sein. Elle comprend cinq magistrats du siège et un magistrat du parquet, trois représentants élus des avocats, des universitaires et du Conseil d'État, ainsi que trois personnalités qualifiées désignées respectivement, à la majorité qualifiée, par l'Assemblée nationale, par le Sénat et par le Président de la République selon la procédure prévue au dernier alinéa de l'article 13.

« La formation compétente à l'égard des magistrats du parquet est présidée par un magistrat du parquet élu en son sein. Elle comprend cinq magistrats du parquet et un magistrat du siège, ainsi que les trois représentants élus des avocats, des universitaires et du Conseil d'État et les trois personnalités qualifiées mentionnées à l'alinéa précédent.

« La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du siège fait des propositions pour les nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation, pour celles de premier président de cour d'appel et pour celles de président de tribunal de grande instance. Les autres magistrats du siège sont nommés sur son avis conforme. Elle statue comme conseil de discipline des magistrats du siège.

« Les procureurs généraux près la Cour de cassation et les cours d'appel sont nommés après avis de la formation du conseil compétente à l'égard des magistrats du parquet. Les autres magistrats du parquet sont nommés sur son avis conforme.

« La formation compétente à l'égard des magistrats du parquet statue comme conseil de discipline des magistrats du parquet. Elle est alors présidée par le procureur général près la cour de cassation.

« Le Conseil supérieur de la magistrature se réunit en formation plénière pour répondre aux demandes d'avis formulées par le Président de la République au titre de l'article 64. Il se prononce, dans la même formation, sur les questions relatives à la déontologie des magistrats, et peut rendre des avis d'initiative sur les atteintes à l'indépendance de la magistrature. La formation plénière comprend l'ensemble des formations compétentes à l'égard des magistrats du siège et du parquet. Elle est présidée par un magistrat élu en son sein.

« Le ministre de la justice peut consulter le Conseil supérieur de la magistrature sur toute question relative au fonctionnement de la justice. Il est entendu par le Conseil chaque fois qu'il en fait la demande. Il peut solliciter une nouvelle délibération sur les propositions ou avis en matière de nomination.

« Le Conseil supérieur de la magistrature peut être saisi par un justiciable dans les conditions fixées par une loi organique.

« La loi organique détermine les conditions d'application du présent article. »

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Vous n’êtes pas obligés de voter conforme, et l’Assemblée nationale n’est pas non plus obligée de s’en tenir à ce vote conforme.

À la lecture de l’article 28, on se rend compte que la grande réforme du CSM n’a finalement pas lieu, que la tutelle du ministère de la justice n’a pas totalement disparu et que l’autonomie de fonctionnement n’est pas garantie. La composition et les modalités de désignation des personnalités extérieures sont très loin d’être parfaites.

Vous persistez à vouloir confier la présidence de la formation du CSM compétente à l’égard des magistrats du siège au premier président de la Cour de cassation. Nous avons pourtant relevé que cela poserait des problèmes de compatibilité, de conflit d’intérêts et d’unité du corps. Tous ces arguments ont été balayés, mais il est encore temps pour vous de faire marche arrière. Nous proposons en effet que la formation compétente à l’égard des magistrats du siège élise son président en son sein, parmi ses membres magistrats. Il en serait d’ailleurs de même pour la formation compétente à l’égard du parquet.

Un autre point pose problème : la composition non paritaire et les conditions de nomination des membres non- magistrats. Le projet de loi modifie la composition des deux formations du CSM, les magistrats y devenant minoritaires. Si nous avons toujours revendiqué un Conseil supérieur de la magistrature plus ouvert, à la légitimité démocratique renforcée, nous ne souhaitons pas, à l’instar de votre réforme, que le poids politique de l’exécutif reste prégnant s’agissant de cette composition. Nous préférons, par conséquent, établir la parité entre magistrats et non-magistrats.

Par ailleurs, la nouveauté que constituent les avis qui précéderont les nominations des personnalités qualifiées ne sera pas de nature à éviter toute politisation. Nous proposons donc un mode de désignation démocratique destiné à garantir le pluralisme au sein de ces personnalités.

De même, nous exigeons la plus grande indépendance en matière de nominations des membres du parquet et de sanctions disciplinaires. L’indépendance des magistrats du parquet ne sera effective qu’à partir du moment où ceux-ci seront nommés sur avis conforme, et non plus simple, de la formation du CSM compétente à l’égard des magistrats du parquet

Il conviendrait également de prévoir que les pouvoirs en matière de sanctions disciplinaires soient identiques dans les deux formations du CSM.

En outre, la présence du garde des sceaux aux séances des formations du CSM est plus que contestable. Nous souhaitons donc clarifier les relations entre celui-ci et le ministre de la justice, en prévoyant une saisine pour consultation, pour demander son audition ou pour solliciter une nouvelle délibération.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. À l’exception d’une simple précision rédactionnelle, l’Assemblée nationale a accepté, en deuxième lecture – et ce n’était pas sa position en première lecture –, les propositions du Sénat. Il s’agissait essentiellement d’assurer la parité dans les formations disciplinaires.

Ne remettons pas en cause cet article qui a été adopté par les deux assemblées, avec une simple modification de forme concernant les personnalités qualifiées.

Dans ces conditions, je ne peux qu’être défavorable à cet amendement, ainsi qu’aux deux suivants.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Nous avons longuement débattu de cette réforme constitutionnelle, en première lecture à l’Assemblée nationale et au Sénat, en deuxième lecture à l’Assemblée nationale.

Cette réforme du CSM comporte trois avancées.

D’abord, le CSM n’est plus présidé par le Président de la République ; on ne pourra donc pas le soupçonner de politisation.

S'agissant de la participation du garde des sceaux aux séances des formations du CSM, je veux souligner que c’est tout de même le ministre qui débat du budget et des moyens alloués à la justice. Il peut également proposer des nominations, notamment en ce qui concerne les magistrats du siège, mais il ne peut les nommer.

S’agissant des magistrats du parquet, il y a une avancée puisque, désormais, la formation compétente donnera son avis non seulement pour les procureurs, mais aussi pour les procureurs généraux.

On garantit l’indépendance des magistrats en confiant la présidence, pour la formation du parquet, au procureur général près la Cour de cassation et, pour la formation du siège, au premier président de la Cour de cassation.

Pour ce qui est du parquet et des procureurs de la République, nous ne souhaitons pas qu’ils soient indépendants, conformément aux statuts.

M. Gérard Longuet. Ils ne sont pas propriétaires de leur fonction !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Ils sont sous l’autorité du garde des sceaux !

Les Français élisent le Président de la République sur une politique claire. S’agissant, par exemple, de la politique pénale, s’ils ont voté pour un Président de la République qui s’engageait à lutter contre la récidive, il importe que les procureurs de la République luttent contre la récidive, conformément à la demande des citoyens. Si les procureurs de la République sont indépendants, l’action publique ne sera plus menée conformément aux attentes des Français.

L’indépendance de la magistrature, je tiens à le rappeler, est dans l’activité juridictionnelle des magistrats du siège, à laquelle nous sommes extrêmement attachés. L’indépendance des juges, c’est rendre une justice sans influence, la même pour tout le monde, sur l’ensemble du territoire.

L’indépendance du parquet, c’est une autre question ! Les procureurs généraux seront toujours nommés en conseil des ministres, mais il y aura désormais un avis du Conseil supérieur de la magistrature. Jusqu’à présent, il n’y a pratiquement jamais eu de « passer outre » au sujet des nominations des procureurs de la République.

Je voudrais simplement rappeler la signification d’un « passer outre » pour la nomination d’un procureur de la République. Pourquoi le garde des sceaux peut-il souhaiter passer outre l’avis défavorable du Conseil supérieur de la magistrature ? Les raisons ne sont nullement suspectes. Parfois, plutôt que de favoriser l’ancienneté, il peut être intéressant de privilégier la compétence, la spécialisation, et de reconnaître le talent d’un magistrat, procureur de la République, de manière volontaire, individuelle, sans remettre en cause le pouvoir de nomination en lui-même. Un « passer outre », ce n’est ni plus ni moins que cela.

Ce texte comporte donc trois avancées majeures : le Président de la République ne préside plus le CSM ; la confiance accordée aux plus hauts magistrats est renforcée ; le CSM émettra un avis sur la nomination des procureurs généraux, mesure qui était attendue par de nombreux magistrats.

L’Assemblée nationale a adopté la proposition du Sénat concernant la parité. Tel n’était pas le projet du Gouvernement dans le cas de l’instance disciplinaire. Nous avons accepté cette modification.

Hormis l’ajout d’une précision formelle, l’Assemblée nationale a adopté cet article dans la rédaction du Sénat en ce qui concerne la parité au sein des formations exerçant une compétence disciplinaire et les personnalités extérieures. La réforme du CSM a longuement été débattue en première et en deuxième lecture.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’ensemble des amendements portant sur le Conseil supérieur de la magistrature.

M. le président. L'amendement n° 137, présenté par MM. Badinter, Frimat, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit le texte proposé par cet article pour l'article 65 de la Constitution :

« Art. 65. - Le Conseil supérieur de la magistrature comprend une formation compétente à l'égard des magistrats du siège, une formation compétente à l'égard des magistrats du parquet et une formation plénière.

« La formation compétente à l'égard des magistrats du siège comprend cinq magistrats du siège et un magistrat du parquet, un conseiller d'État désigné par le Conseil d'État, un professeur de droit et un avocat ainsi que trois personnalités qualifiées n'appartenant pas au Parlement, ni à l'ordre judiciaire, ni à l'ordre administratif, désignés respectivement par le Président de la République, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat. La procédure prévue au dernier alinéa de l'article 13 est applicable aux nominations des personnalités qualifiées. Les nominations effectuées par le président de chaque assemblée du Parlement sont soumises à l'avis de la commission permanente compétente de l'assemblée concernée. Cette formation est présidée par une personnalité élue en son sein pour deux ans.

« La formation compétente à l'égard des magistrats du parquet est composée de cinq magistrats du parquet et un magistrat du siège et des six personnalités prévues à l'alinéa précédent. Elle est présidée par une personnalité élue en son sein pour deux ans.

« La formation compétente à l'égard des magistrats du siège statue comme conseil de discipline des magistrats du siège. Elle est alors présidée par le premier président de la Cour de cassation. Elle fait des propositions de nomination pour tous les magistrats du siège.

« La formation compétente à l'égard des magistrats parquet statue comme conseil de discipline des magistrats du parquet. Elle est alors présidée par le procureur général près la Cour de cassation. Les magistrats du parquet sont nommés sur son avis conforme.

« Le Conseil supérieur de la magistrature se réunit en formation plénière pour répondre aux demandes d'avis formulées par le Président de la République au titre de l'article 64. Il se prononce, dans la même formation, sur les questions relatives à la déontologie des magistrats ainsi que sur toute question relative au fonctionnement de la justice. Il est composé des membres des deux formations. Il est présidé par l'un de ses membres élus en son sein pour deux ans.

« Le garde des sceaux, à sa demande ou à la demande du Conseil supérieur de la magistrature peut être entendu par la formation plénière.

« Le Conseil supérieur de la magistrature peut être saisi par tout justiciable.

« Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. »

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Tant du côté de nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen que du côté de la commission et du Gouvernement, tout a été dit. Il ne me reste donc plus qu’à expliquer mon vote. En effet, je ne vais pas reprendre une argumentation à laquelle on a déjà opposé une fin de non-recevoir. Je sais parfaitement que ce qui sera voté correspondra à ce qui a été convenu entre les groupes majoritaires du Sénat et de l’Assemblée nationale.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non, il s’agit du texte adopté par le Sénat en première lecture !

M. Robert Badinter. Je reviens à la situation telle qu’elle se présente aujourd’hui.

Voilà bien longtemps – plus de cinquante ans – que j’appartiens au paysage judiciaire. Voilà bien longtemps que je fréquente de nombreuses juridictions à travers le monde. Au moment où l’on parle de la magistrature française en cette quasi fin de parcours du projet de loi constitutionnelle, je tiens à dire que l’on ne lui rend pas assez souvent hommage. Elle assume une très haute et très difficile mission au sein de l’État. Or on a souvent le sentiment, y compris chez les responsables politiques, que l’on ne prend pas assez en compte sa mission et les efforts qu’elle accomplit au service de cette mission.

Quand on connaît les justices européennes – je ne prétends pas que nous avons la meilleure justice de toute l’Europe, ni même de toutes les démocraties –, on peut affirmer que la justice française tient fort bien sa place au milieu du concert des justices européennes. Je tenais à le dire !

Madame le garde des sceaux, le projet de loi qui nous est aujourd’hui soumis comporte une avancée que vous avez oublié de citer, et qui est à mes yeux très importante, c’est le fait que les justiciables pourront désormais saisir directement le Conseil supérieur de la magistrature. Pour le reste, ce texte est tout simplement une grande occasion ratée.

Les magistrats étaient en droit d’attendre la parité en matière de nominations. Une formation composée de représentants des magistrats et de représentants de ce qu’on appelle communément la société civile était la seule formule concevable. Cette parité aurait correspondu à ce qui se pratique dans toutes les autres instances identiques en Europe. Certes, la parité est instaurée en matière disciplinaire – c’était le moins que l’on pouvait faire ! –, mais pas pour les nominations.

S’agissant du parquet, j’ai toujours été partisan de son indivisibilité et de sa hiérarchisation. Cela va de soi dans n’importe quelle politique pénale. Cependant, cette hiérarchisation n’a rien à voir avec les garanties que tout magistrat – et les membres du parquet sont bel et bien des magistrats – est en droit d’attendre. Les nominations des magistrats du parquet doivent faire l’objet d’un avis conforme.

Vous avez également évoqué la situation des magistrats du siège. Permettez-moi de vous dire qu’aux temps où nous sommes et compte tenu des réformes intervenues, notamment dans les douze dernières années, les magistrats du parquet ont un pouvoir de décision, notamment en matière de libertés individuelles, qui ne cesse de croître en amont de toute procédure juridictionnelle. Pour toutes ces raisons, ils étaient en droit d’obtenir, eux aussi, un avis conforme. On ne leur donne pas. Tant pis ! Je l’ai dit, c’est une grande occasion ratée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. L'amendement n° 80, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Dans le cinquième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 65 de la Constitution, remplacer les mots :

donne son avis

par les mots :

rend un avis conforme

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Cet amendement est défendu.

M. le président. La commission et le Gouvernement se sont déjà exprimés.

Je mets aux voix l'amendement n° 81.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 137.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 80.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 28.

(L'article 28 est adopté.)

Article 28
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Article 30 quinquies

Article 30 quater

L'article 72-3 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Dans le deuxième alinéa, après le mot : « Mayotte, », sont insérés les mots : « Saint-Barthélemy, Saint-Martin, » ;

2° Le dernier alinéa est complété par les mots : « et de Clipperton ». – (Adopté.)

Article 30 quater
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Article 30 sexies

Article 30 quinquies

L'article 73 de la Constitution est ainsi modifié :

1° À la fin du deuxième alinéa, les mots : « par la loi » sont remplacés par les mots : «, selon le cas, par la loi ou par le règlement » ;

2° Dans le troisième alinéa, les mots : « par la loi » sont remplacés par les mots : «, selon le cas, par la loi ou par le règlement, » et, après les mots : « de la loi », sont ajoutés les mots : « ou du règlement ».

M. le président. L'amendement n° 138 rectifié, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste et rattachés, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Mon intervention vaudra également pour l’amendement n° 139, qui vise à supprimer l’article 30 sexies.

L’article 30 quinquies et l’article 30 sexies ont été introduits par le Sénat en première lecture à la fin de notre discussion. On sait que les débats en fin de séance, mais qui s’en plaindrait, ont tendance à s’accélérer …

M. Bernard Frimat. Notre collègue Cointat, dont nous avons pu apprécier tout l’allant en première lecture, a fait adopter ces deux articles concernant l’outre-mer. L’un vise à permettre au pouvoir réglementaire d’habiliter les assemblées des départements et des régions d’outre-mer à adapter un certain nombre de dispositions. L’autre a trait aux ordonnances. Ils sont donc de même nature.

La lecture du rapport de M. Warsmann est fort intéressante. Bien entendu, il n’a pas proposé la suppression de ces deux articles à l’Assemblée nationale, sinon nous ne serions pas en train de les examiner, mais il regrette qu’ils aient été introduits sans avoir fait l’objet d’une analyse approfondie et sans que la nécessité en ait été démontrée. Ces deux arguments, que je ne vais pas développer à cette heure tardive, me semblent pertinents.

Vu les compliments dont M. Warsmann a été l’objet ce soir dans les rangs de la majorité, qui s’est ralliée à la plupart de ses positions, vous attacherez probablement de la considération à ses regrets, mes chers collègues.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ces deux articles, qui ont été votés en toute conscience par le Sénat, répondent à des besoins.

M. Christian Cointat. Absolument !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il est vrai que le lien avec la Constitution pour l’un d’eux peut paraître ténu, mais aurait-on procédé à une révision constitutionnelle spécifique en la matière ? Il était donc indispensable de profiter de l’occasion qui nous était offerte avec ce texte.

N’oubliez pas que les collectivités d’outre-mer sont une préoccupation habituelle du Sénat. Celle-ci est tout à fait digne, même si certains n’ont pas la même habitude que nous ...

Les deux amendements portant articles additionnels de M. Cointat avaient reçu un avis favorable du Gouvernement, qui dispose aussi de sa capacité d’expertise. Comme je l’ai dit, ils correspondent aux besoins des collectivités d’outre-mer. D’ailleurs, l’Assemblée nationale n’a pas estimé devoir les supprimer.

La commission a donc émis un avis défavorable sur les amendements nos 138 rectifié et 139.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Même avis défavorable sur ces deux amendements.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 138 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 30 quinquies.

(L'article 30 quinquies est adopté.)

Article 30 quinquies
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Article 30 septies

Article 30 sexies

Le premier alinéa de l'article 74-1 de la Constitution est ainsi rédigé : 

« Dans les collectivités d'outre-mer visées à l'article 74 et en Nouvelle-Calédonie, le Gouvernement peut, par ordonnances, dans les matières qui demeurent de la compétence de l'État, étendre, avec les adaptations nécessaires, les dispositions de nature législative en vigueur en métropole ou adapter les dispositions de nature législative en vigueur à l'organisation particulière de la collectivité concernée, sous réserve que la loi n'ait pas expressément exclu, pour les dispositions en cause, le recours à cette procédure. »

M. le président. L'amendement n° 139, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

Cet amendement a été précédemment défendu.

La commission et le Gouvernement se sont déjà exprimés.

Je le mets aux voix.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 30 sexies.

(L'article 30 sexies est adopté.)

Article 30 sexies
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Article 31 bis

Article 30 septies

Après l'article 75 de la Constitution, il est inséré un article 75-1 ainsi rédigé :

« Art. 75-1. - Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. »

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, sur l'article.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Il s’agit d’une question qui a été longuement abordée en première lecture, mais il me semble important d’y revenir quelques instants.

Nous avons déjà eu l’occasion de parler des langues régionales. Cependant, il s’est passé quelque chose au cours de la navette.

Nous le savons tous, il existe une forte demande sociale de préservation de ces langues. L’idée d’instaurer un patrimoine historique composé par les langues régionales nous a préoccupés, au même titre que la disparition de traditions locales. C’est à cet effet que l’Assemblée nationale avait voté en première lecture l’inscription des langues régionales dans la Constitution.

Certes, leur mention à l’article 1er de la Constitution n’était pas satisfaisante. Nous avions d’ailleurs proposé de la déplacer après la référence au français. Malheureusement, notre proposition n’avait pas reçu d’écho favorable au Sénat.

L’Assemblée nationale, en deuxième lecture, a pris en compte les demandes fortes et légitimes de faire référence aux langues régionales dans un autre article de la Constitution, à savoir l’article 30 septies.

Que nous les pratiquions ou pas, nous sommes nombreux à revendiquer le droit pour les langues régionales d’être protégées : il y va de leur survie et de leur développement.

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires étant vouée à ne jamais être adoptée, il était impérieux de constitutionnaliser l’existence des langues régionales : de cette reconnaissance découle la possibilité, par la voie législative, de mettre en œuvre un cadre juridique les protégeant, garantissant leur développement, avec bien sûr toutes les réserves qui ont déjà été demandées.

Personnellement, je me réjouis que l’Assemblée nationale ait rétabli la mention des langues régionales.

Contraint de voter conforme le texte issu de l’Assemblée nationale, le Sénat ne devrait pas remettre en cause cette mention aujourd’hui, et je m’en félicite.

M. le président. L'amendement n° 91 rectifié, présenté par MM. Renar et Autain, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Ivan Renar.

M. Ivan Renar. Malgré tout mon attachement aux langues régionales, et bien qu’ayant été attentif aux interventions favorables à leur inscription dans la Constitution, je continue de penser que celles-ci n’ont pas leur place dans la loi fondamentale.

Dans le même temps, parce que je mesure toute la richesse de ce patrimoine que sont les langues régionales, j’estime que le sujet est suffisamment important pour être l’objet d’une loi spécifique et d’un débat législatif à part entière. En effet, les langues régionales valent mieux qu’une forme d’instrumentalisation dans un débat touchant à la révision de la Constitution.

Comme le disait très bien notre ami Félix Leyzour, amoureux du breton, ancien sénateur et ancien député des Côtes-d’Armor, dans un débat sur les langues régionales : « Le problème des langues et cultures régionales, s’il n’est pas “le” problème en France, est “un” problème qu’il nous faut aborder, avec le souci de sortir par le haut de ces débats biaisés, et de traiter la question avec comme objectif de “servir” la cause des langues régionales et non pour “s’en servir” périodiquement à d’autres fins politiques ».

À ce sujet, on a pu constater, pour le regretter, que ce n’est pas l’inscription de la langue française dans la Constitution en 1992 qui a permis d’endiguer la régression de son usage, y compris dans les instances où elle est pourtant l’une des langues officielles.

Cela devrait faire méditer ceux qui veulent coûte que coûte inscrire les langues régionales dans la Constitution. Ce n’est d’ailleurs pas un passage obligé pour la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

En revanche, veillons à ne pas réduire, au nom de la protection des langues, les citoyens, qui sont des individus libres et égaux, en éléments de groupes ethniques au sein d’une Europe supranationale des régions.

J’ai toujours été un partisan résolu du plurilinguisme et un ardent défenseur de la diversité culturelle. Aussi, je m’inquiète plutôt de l’insuffisance des moyens pourtant indispensables à une réelle promotion des langues, quelles qu’elles soient.

Grâce aux langues régionales, de nombreux Français apprennent à parler rapidement deux langues. D’un côté, l’éducation nationale a tout à gagner de ce bilinguisme, qui est un atout puisqu’on sait qu’il favorise l’apprentissage d’autres 1angues. D’un autre côté, avec la mondialisation, le monde est devenu un village. Notre pays a un besoin énorme et vital de personnes qui parlent le chinois, l’arabe, etc.

Nous avons également la chance de pouvoir compter sur des immigrés dont ces différentes langues sont la langue maternelle. Quelle fabuleuse richesse ! C’est pourquoi nous avons besoin, outre le français, qui est notre langue commune, de pratiquer des langues étrangères, mais aussi de prendre en compte les autres langues de France.

L’introduction des langues régionales au sein du titre de la Constitution relatif aux collectivités territoriales, loin d’être à mes yeux un compromis acceptable, est source, au contraire, d’inquiétudes supplémentaires.

C’est la porte ouverte à de nouveaux désengagements de l’État, qui s’accompagneront de nouveaux transferts de charges sur les collectivités déjà asphyxiées. Ce serait un sérieux recul pour les langues régionales.

Une véritable décentralisation n’a de sens que si elle est accompagnée des moyens financiers et humains, dans le cadre d’une politique nationale, en partenariat avec les collectivités locales. C’est tout le sens de la proposition de loi que nous allons déposer.

Au-delà de l’affichage, pour que les langues régionales demeurent parlées, elles ne doivent pas nécessairement figurer dans la Constitution : elles doivent être pratiquées dans la rue comme à l’école, à la radio comme à la télévision. L’école, les enfants, là est la clé du trésor, pour reprendre une expression d’André Malraux.

La diversité culturelle et linguistique est un véritable patrimoine commun de l’humanité, aussi nécessaire pour le genre humain que la biodiversité dans l’ordre du vivant.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Renar !

M. Ivan Renar. Je conclus, monsieur le président !

La France se doit de valoriser sa propre diversité, d’autant qu’elle a ratifié la convention de l’UNESCO pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.

Néanmoins, on peut être pratiquant et partisan des langues régionales sans pour autant vouloir les inscrire dans la loi fondamentale, d’autant que, sur le fond, il s’agira avant tout de se prononcer sur un projet de révision de la Constitution qui, en amoindrissant les pouvoirs du Parlement, affaiblit la démocratie. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Président de la République a bien du mal à trouver une majorité.

Quel gain pour les langues régionales si la révision n’est pas adoptée à Versailles, comme on peut l’espérer ? C'est pourquoi il est important de légiférer spécifiquement sur les langues régionales.

En attendant, je vous propose d’adopter cet amendement de clarification.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement.

Comme on l’a expliqué, la référence aux langues régionales n’a certainement pas sa place à l’article 1er de la Constitution. Elle n’a pas plus sa place à l’article 2, madame Alima Boumediene-Thiery, puisqu’il s’agit du titre concernant la souveraineté.

Le dialogue a donc permis à la fois de reconnaître les langues régionales, ce qui est tout à fait légitime, et de les mettre à la bonne place, après la décentralisation. C’est un bon équilibre !

J’ajoute, pour notre collègue Jacques Legendre, que l’article suivant, bien qu’ayant été simplifié – je crois néanmoins que cela lui conviendra parfaitement –, prend en compte la francophonie.

Quoi qu’il en soit, la commission émet un avis défavorable. Je pensais d’ailleurs que M. Renar allait retirer son amendement après le plaidoyer qu’il a prononcé pour les langues régionales.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. Gaston Flosse, pour explication de vote.

M. Gaston Flosse. Je souhaite tout simplement demander à M. le rapporteur de bien vouloir confirmer que les langues d’outre-mer sont également concernées par ces dispositions de l’article 30 septies, à savoir, pour la Polynésie française, le reo ma’ohi, c'est-à-dire le marquisien, le mangarevien, le paumotu, pour la Nouvelle-Calédonie, les langues canaques, pour Wallis et Futuna, le Wallisien et les langues des départements d’outre-mer.

Pourrons-nous dorénavant nous exprimer dans nos langues natales au sein de nos assemblées, ce qui nous est interdit aujourd'hui, la langue française restant, bien entendu, la première langue, la langue officielle parlée par tout un chacun.

Pour finir, je veux dire à M. Renar qu’il manque de cohérence. Il reconnaît dans son introduction que les langues régionales sont une richesse pour la nation, mais il nous dit ensuite de les jeter au panier, car elles n’ont pas leur place dans la loi fondamentale de la République.

Nous ne partageons absolument pas ce point de vue. Nos langues sont le support de nos cultures et nous tenons à elles !

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. À titre personnel, déplacer la question des langues régionales à ce niveau de la Constitution me convient. Mais je souhaite obtenir une précision, d’autant que je m’interroge s’agissant de l’intervention de M. Flosse.

Le fait d’inscrire dans la Constitution que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France est-il un préliminaire à la signature de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ou bien s’agit-il d’un préliminaire à l’utilisation officielle de ces langues dans les assemblées, comme notre collègue vient de le demander ?

M. Gaston Flosse. Je n’ai pas dit « officielle » !

M. Pierre-Yves Collombat. Excusez-moi, cher collègue, mais vous avez fait allusion à leur utilisation « au sein de nos assemblées » !

M. Gaston Flosse. Vous déformez mes propos : le français reste la langue officielle !

M. Pierre-Yves Collombat. Donc, allons-nous vers une utilisation officielle des langues régionales ou bien s’agit-il, comme le prévoit simplement le texte, de considérer qu’elles appartiennent au patrimoine de la France ?

J’aimerais obtenir une réponse précise sur ce point.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La reconnaissance des langues régionales concerne également, bien entendu, les langues d’outre-mer. D’ailleurs, si soixante-dix-neuf langues régionales ont été recensées en 1999 dans un rapport remis au ministre de l’éducation nationale, c’est grâce à la richesse des langues de nos collectivités d’outre-mer !

Il est évident que cet article n’ouvre aucun nouveau droit.

Le Conseil constitutionnel a indiqué que le français devait être obligatoirement utilisé dans la sphère publique, conformément à l’article 2 de le Constitution. Bien entendu, ce n’est pas un principe absolu ; je pense notamment à l’enseignement des langues régionales, à condition qu’il ne soit pas obligatoire.

En tout état de cause, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est extrêmement précise à cet égard et le présent article ne la remet absolument pas en cause.

M. le président. La parole est à M. Ivan Renar, pour explication de vote.

M. Ivan Renar. Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre !

Je ne suis pas et je ne veux pas apparaître comme étant contre les langues régionales : le seul point de divergence entre nous, c’est leur inscription dans la Constitution.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui, j’avais bien compris !

M. Ivan Renar. Cette affaire est tellement importante qu’elle mériterait un texte de loi spécifique, y compris afin de prévoir les moyens du développement des cultures et des langues régionales.

Ne me faites pas passer pour ce que je ne suis pas : j’ai reçu suffisamment de courriers ! J’ai remarqué qu’il y avait des courants identitaires très forts aux quatre coins de notre pays.

L’inscription des langues régionales dans la Constitution me paraît pleine de contradictions et de dangers. Mais ce n’est pas une attaque contre les langues régionales ! J’ai le droit d’avoir ce point de vue et de le défendre, même si je suis un peu seul, à la manière des Rêveries du promeneur solitaire.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 91 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 30 septies.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Le groupe CRC s’abstient !

(L'article 30 septies est adopté.)

Article 30 septies
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Articles additionnels avant l'article 32

Article 31 bis

I. - Dans le titre XIV de la Constitution, il est rétabli un article 87 ainsi rédigé :

« Art. 87. - La République participe au développement de la solidarité et de la coopération entre les États et les peuples ayant le français en partage. »

II. - Non modifié..................................................................... – (Adopté.)

Article 31 bis
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Article 32

Articles additionnels avant l'article 32

M. le président. L'amendement n° 84, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Avant l'article 32, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le second alinéa de l'article 88-1 de la Constitution est supprimé.

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Je défendrai également l’amendement n° 85, monsieur le président.

Nous estimons que la caducité du traité de Lisbonne doit être prise en compte dans la Constitution.

Le vote du peuple irlandais entraîne de facto une nouvelle négociation entre les États membres. Il y aura donc à la clé un nouveau traité. Procéder autrement serait une violation flagrante des principes du droit international.

Aussi, nous vous invitons à ne pas renouveler les erreurs passées. En effet, le traité constitutionnel européen repoussé par référendum le 29 mai 2005 est demeuré dans la Constitution jusqu'en 2008.

Au travers de cet amendement n° 84, l'occasion vous est offerte d'adapter immédiatement la Constitution à l'évolution institutionnelle européenne en supprimant le second alinéa de l’article 88-1 de la Constitution.

En ce qui concerne l’amendement n° 85, il vise à supprimer les dispositions votées par le Congrès du Parlement devant s'appliquer lors de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, aujourd'hui caduc.

M. le président. L'amendement n° 85, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Avant l'article 32, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 2 de la loi constitutionnelle n° 2008-103 du 4 février 2008 modifiant le titre XV de la Constitution est abrogé.

Cet amendement a déjà été défendu.

Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Les dispositions du second alinéa de l’article 88-1 de la Constitution doivent être maintenues, car le sort définitif du traité de Lisbonne n’est pas connu.

Les ratifications se poursuivent. Le « non » irlandais est pris en compte et les vingt-sept membres de l’Union européenne cherchent une solution.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que, depuis l’examen de ce texte en première lecture, la Belgique a ratifié le traité le 10 juillet ; l’Espagne l’a ratifié hier. Vingt-trois États sur vingt-sept l’ont déjà ratifié. Bien entendu, il n’y a pas de violation du droit des traités.

La commission est donc défavorable à ces deux amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement partage l’avis de la commission.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 84.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 85.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Articles additionnels avant l'article 32
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Article 33

Article 32

L'article 88-4 de la Constitution est ainsi rédigé :

« Art. 88-4. - Le Gouvernement soumet à l'Assemblée nationale et au Sénat, dès leur transmission au Conseil de l'Union européenne, les projets ou propositions d'actes des Communautés européennes et de l'Union européenne.

« Selon des modalités fixées par le règlement de chaque assemblée, des résolutions européennes peuvent être adoptées, le cas échéant en dehors des sessions, sur les projets ou propositions mentionnés au premier alinéa, ainsi que sur tout document émanant d'une institution de l'Union européenne.

« Au sein de chaque assemblée parlementaire est instituée une commission chargée des affaires européennes. »

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 5 est présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller.

L'amendement n° 140 est présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste et apparentés.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Dans le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 88-4 de la Constitution, remplacer les mots :

est instituée une commission chargée

par les mots :

est institué un comité chargé

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour défendre l’amendement n° 5.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement concerne la commission chargée des affaires européennes et vise à revenir à la rédaction que nous avions adoptée au Sénat concernant la future dénomination de l’actuelle délégation pour l’Union européenne.

Afin de donner aux futures instances en question une véritable existence transversale, indépendante des commissions permanentes, il convient de modifier leur appellation actuelle.

Le terme « commission » a tendance à créer la confusion avec les commissions permanentes.

Là encore, je reprendrais mot pour mot les propos de M. le rapporteur en première lecture : « La dénomination de “ comité chargé des affaires européennes ”, qui avait été proposée par nos collègues Patrice Gélard et Jean-Claude Peyronnet, est préférable, quoi qu’en disent certains députés, à celle de “ commission chargée des affaires européennes ”. »

En effet, il s’agit de faciliter l’identification de ces organismes, qui occupent aujourd’hui une place essentielle dans chaque assemblée, en les distinguant des commissions permanentes et des commissions spéciales.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Et le rapporteur de poursuivre : « J’ai tenu à déposer cet amendement en accord avec le président de la Délégation pour l’Union européenne, M. Haenel, pour bien marquer les différences de compétence entre ce comité chargé des affaires européennes et les commissions permanentes ou les commissions spéciales de nos assemblées. ».

Tout le monde était donc d’accord pour que ce changement de dénomination ait lieu, que la « commission chargée des affaires européennes » devienne « comité chargé des affaires européennes ».

Lorsque j’ai posé la question à M. le rapporteur, lors de notre dernière réunion en commission, sachant que tout le monde était d’accord, il m’a répondu que telle était la volonté de l'Assemblée nationale. Ce n’est pas très satisfaisant.

Je vous propose donc de suivre le raisonnement de M. Hyest dans ses conclusions, lors de la première lecture, et d’adopter cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour présenter l'amendement n° 140.

M. Bernard Frimat. Il est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Effectivement, comme je l’avais indiqué en première lecture, le terme « comité » aurait été meilleur pour bien marquer la différence avec les commissions permanentes ou les commissions spéciales.

J’ajoute pour ceux dont la connaissance de l’anglais est imparfaite qu’en anglais « comité » et « commission » se traduisent tous deux par « committee ». Donc, de toute façon, sur le plan européen, cela ne changeait rien.

Le président de la Délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne est, semble-t-il, très attaché au terme « commission ». Sur le fond, cela ne remet pas en cause le rôle des commissions permanentes. Ainsi que nous l’avons évoqué tout à l’heure, on ne peut appartenir qu’à une seule commission, mais la Délégation pour l’Union européenne est constituée de membres des commissions permanentes. Donc, cela ne modifie en rien les fonctions respectives de la Délégation et des commissions permanentes.

J’aurais presque eu envie de recourir à une troisième lecture pour régler ce seul point, mais cela me paraît superflu. (Sourires.) Dans le dialogue fructueux qui s’est établi entre les deux assemblées, je pense que le Sénat a obtenu bien plus sur certains aspects fondamentaux, notamment l’équilibre des juridictions.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. D’abord, je tiens à remercier le rapporteur de nous éviter une troisième lecture pour régler ce point. (Nouveaux sourires.)

J’ajoute, chacun l’a compris, qu’il ne s’agit pas d’une commission au sens de l’article 43 de la Constitution. C’est une question de dénomination, et cela ne changera pas le rôle de cette instance, qu’elle s’appelle « comité » ou « commission ».

M. Robert Bret. Nous voilà grandement soulagés !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 5 et 140.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 32.

(L'article 32 est adopté.)

Article 32
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Article additionnel après l'article 33

Article 33

L'article 88-5 de la Constitution est ainsi rédigé :

« Art. 88-5. - Tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un État à l'Union européenne et aux Communautés européennes est soumis au référendum par le Président de la République.

« Toutefois, par le vote d'une motion adoptée en termes identiques par chaque assemblée à la majorité des trois cinquièmes, le Parlement peut autoriser l'adoption du projet de loi selon la procédure prévue au troisième alinéa de l'article 89. »

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, sur l'article.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Je souhaite m’exprimer sur cette question du référendum qui, d’une certaine manière, renvoie au référendum préalable à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.

Nous avons été nombreux dans cet hémicycle à nous opposer, à droite comme à gauche, à ce que l’on pouvait légitimement appeler l’amendement « anti-Turquie ». Nous avons supprimé cette mesure, sans pour autant convaincre l’Assemblée nationale de s’en tenir à la procédure prévue par l’article 89 de la Constitution, et nous le regrettons.

En effet, que l’on soit pour ou contre la Turquie – là n’est pas la question ! – on ne peut créer un système qui a pour objet de soumettre l’entrée d’un pays à un référendum automatique qui n’existe que pour ce seul pays.

Or la nouvelle disposition que l’on nous propose aujourd’hui est en réalité un référendum quasi automatique : le référendum est le principe, sauf si les trois cinquièmes des parlementaires s’y opposent par une motion adoptée en termes identiques par les deux assemblées.

Mes chers collègues, quoi que nous fassions, l’article 88-5 de la Constitution sera marqué du sceau indigne et inique de la discrimination et de la méfiance de nombreux collègues et du Président de la République à l’égard de la Turquie.

Ce texte n’est que le prolongement édulcoré de celui que nous avons supprimé au Sénat : il ressuscite sous une nouvelle forme où toute mention de la population est absente, mais où l’ombre de l’adhésion de la Turquie plane. Quelle hypocrisie !

Le présent article n’est que le résultat d’un tripatouillage visant à contenter les quatre-vingt-cinq députés farouchement opposés à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, et à rassurer ceux d’entre nous qui y voyaient une insulte à l’égard de ce pays.

Pensez au peuple turc qui nous observe : on ne s’honore pas, aujourd’hui, en trouvant un moyen de l’exclure de la construction européenne sans en avoir l’air, par un bricolage juridique !

La philosophie de cet article peut être ainsi résumée : comment évacuer la Turquie sans en avoir l’air. Pourtant, la Turquie, nous en aurons besoin dans l’avenir. C’est un pont vers d’autres pays, vers d’autres mondes.

Mes chers collègues, le mal a déjà été fait : si l’on ne revient pas à la procédure de l’article 89, l’article 88-5 de la Constitution demeurera une insulte à l’égard de la Turquie, et ce, quel que soit le dispositif qui sera inventé pour masquer le mépris que certains portent à ce pays.

M. le président. La parole est à M. Josselin de Rohan, sur l'article.

M. Josselin de Rohan. Je me félicite que le vote du Sénat ait été pris en compte par l’Assemblée nationale. Nous avons, à une très large majorité, repoussé un article dont la rédaction était offensante pour un pays allié et ami. Il était indispensable que nous manifestions de la manière la plus large notre désapprobation devant cette rédaction. Cela prouve d’ailleurs l’utilité d’une seconde chambre pour corriger les excès qui peuvent s’être manifestés dans la première.

Je ne souscris pas aux propos excessifs de Mme Boumediene-Thiery. Le référendum a toujours été reconnu comme un moyen d’approbation des traités. C’est une possibilité que le Président de la République pouvait, à tout moment, invoquer.

Le Président de la République actuel, comme d’ailleurs son prédécesseur, a toujours fait savoir qu’en raison des problèmes que cela posait pour la France et pour l’Union européenne on demanderait au peuple français son avis sur l’adhésion de la Turquie. Il n’y a rien d’offensant à cela ! Ce qui est offensant, c’est de ne le faire que pour la Turquie et non pour les autres pays.

M. Bruno Retailleau. Tout à fait !

M. Josselin de Rohan. Nous rétablissons maintenant le droit commun. Une disposition adoptée par l’Assemblée nationale prévoit la possibilité, sous réserve d’une majorité qualifiée dans les deux assemblées, de dispenser le Président de la République d’utiliser la procédure référendaire. En effet, un certain nombre de pays, notamment ceux des Balkans, vont solliciter leur adhésion à l’Union européenne. Or on ne devrait pas faire un référendum pour l’adhésion du Monténégro, du Kosovo, de la Macédoine et, éventuellement, de la Serbie. C’est le bon sens !

M. Josselin de Rohan. Quand on sait le coût d’un référendum, les taux d’abstention qui sont enregistrés, quand on sait que, très souvent, ce n’est pas à la question qu’on répond, mais au questionneur et sur d’autres sujets qui n’ont strictement rien à voir avec la question posée, on comprendra que, pour des pays qui ne posent pas de problèmes particuliers, la ratification par la voie parlementaire soit tout à fait légitime.

Au demeurant, de quel droit considère-t-on comme antidémocratique une ratification par la voie parlementaire ? Celle-ci a toujours été prévue dans notre Constitution depuis que nous avons un État démocratique.

La formule qui a été adoptée me paraît parfaitement raisonnable. Autant j’étais opposé à la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture, autant je trouve que le dispositif qui nous est présenté aujourd’hui est convenable, raisonnable et n’est offensant pour personne. (M. Robert del Picchia applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, sur l'article.

M. Bernard Frimat. Monsieur le président, cette intervention sur l’article me dispensera de longs développements sur mon amendement.

En première lecture, 297 d’entre nous avaient voté pour la suppression de la disposition introduite par l’Assemblée nationale et 7 avaient voté contre. Le vote fut donc quasi unanime. C’était en tout cas un vote très net, qui, en supprimant une mesure discriminatoire, replaçait le problème dans la logique initialement définie avant l’adoption du référendum obligatoire pour la Turquie.

Nous rendions ainsi au Président de la République sa prérogative qui était, pour toute demande d’adhésion, de pouvoir choisir entre le référendum et la ratification par le Congrès.

Il nous semble que cette position était la bonne. C’est celle que nous avions défendue lors de la précédente révision constitutionnelle, c’est celle que nous avons défendue en première lecture, et c’est celle que nous défendons aujourd’hui. Nous ne changerons pas notre position sur ce point. En matière de ratification d’une nouvelle adhésion, le Président de la République doit pouvoir jouir de ses privilèges.

Or, là, on renverse la charge de la preuve, dans un exercice assez compliqué puisque le référendum concerne tout le monde. M. de Rohan vient de nous dire qu’en réalité ce n’était pas vrai et que, dans certains cas, le bon sens commandait de ne pas recourir au référendum. Donc, on le prévoit pour tout le monde, en sachant qu’il ne peut valoir pour tout le monde !

Et comme il faut tout de même bien trouver une mesure qui ait l’apparence de l’universalité, on précise que, à la majorité des trois cinquièmes de ses membres, le Parlement pourra autoriser le Président de la République à ne pas soumettre le projet de loi de ratification au référendum. Il aurait peut-être été plus simple de laisser au Président de la République la possibilité d’arbitrer, comme nous le demandions, entre référendum ou Congrès.

Nous ne nous retrouvons pas dans ce compromis qui a surtout comme première et grande qualité d’être interne à l’UMP. Mais nous comprenons bien que, par les temps qui courent, il soit une impérieuse nécessité dans la perspective d’atteindre d’autres objectifs. Il reste, malgré tout, plus discrètement, moins pesamment, orienté de manière précise sur la Turquie, …

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non !

M. Bernard Frimat. …et, d’une certaine façon, sans le dire, vous êtes arrivés au même résultat.

Nous ne nous associerons donc pas à cette réunion de famille qui a pris la forme de l’amendement adopté par l’Assemblée nationale.

M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, sur l'article.

M. Christian Cointat. Je n’avais pas voté la réforme constitutionnelle qui a rendu obligatoire le référendum avant toute nouvelle adhésion. La raison en était très simple : je ne pouvais pas accepter que l’on retire au Président de la République le choix de la méthode de ratification, ainsi que l’avait prévu la Constitution de la Ve République.

Je reste donc logique avec moi-même. J’ai voté le texte du Sénat en première lecture parce qu’il redonnait au Président de la République un choix qui lui avait été indûment retiré, tout en l’assortissant d’une garantie supplémentaire qui ne me paraissait pas inutile, la majorité des trois cinquièmes, c’est-à-dire un dispositif semblable à celui qui est requis pour toute modification de la Constitution. Ce n’est donc pas rien, et beaucoup de précautions sont prises.

Pour aller à l’encontre de ceux qui ont toujours des craintes en ce qui concerne la Turquie, on a cherché une autre solution. Entre nous soit dit, je ne vois vraiment pas comment un Président de la République pourrait passer outre un référendum sur la Turquie ; les craintes ne sont donc que purement intellectuelles, mais en aucun cas réelles.

La solution qui a été trouvée est un peu compliquée, mais elle a le mérite de ne pas rendre obligatoire un référendum dans la mesure où peuvent se présenter des cas, comme l’a rappelé tout à l’heure M. de Rohan, où il serait ridicule d’aller jusqu’au référendum.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait !

M. Christian Cointat. Le jour où la Suisse voudra nous rejoindre, faudra-t-il organiser un référendum ? Il ne faut pas exagérer !

Nous avons donc fait un effort ! Je vais évidemment voter cet article un peu contraint et forcé, mais je le ferai parce que je reconnais qu’il faut aussi tenir compte de l’avis des autres.

Je souhaite à présent m’adresser à M. Retailleau. J’ai lu dans la presse – car, moi aussi, je lis la presse – que M. de Villiers avait déclaré qu’en l’absence de référendum obligatoire sur tout élargissement de l’Union européenne il ne voterait pas la révision de la Constitution. Je vous lance un appel : …

M. Bernard Frimat. C’est la pêche aux voix !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Ils recrutent à l’extrême droite !

M. Christian Cointat. … si nous avons fait un effort pour aller dans votre sens, faites-en un vous aussi !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quels efforts avez-vous faits ?

M. Christian Cointat. Avec cette rédaction, vous disposez vraiment de toutes les garanties : pour éviter un référendum, il faudra que tout le monde y mette du sien ! En outre, et c’est ce qui me permettra de voter ce texte sans trop d’états d’âme, le Président de la République aura la liberté de ne pas passer par la voie parlementaire, même si on le lui demande.

C’est pourquoi je lance cet appel : si les uns font un effort – et Dieu sait si nous en avons fait un ! –, que tout le monde fasse de même. M. Retailleau, votez la révision constitutionnelle !

M. le président. La parole est à M. Robert Bret, sur l’article.

M. Robert Bret. Initialement, cela a été rappelé, le projet de loi visait à revenir sur la disposition « antiturque » qui avait été introduite dans la Constitution en 2005, sur l’initiative de Jacques Chirac.

Nous avions dénoncé, à l’époque, la mesure tendant à rendre obligatoire l’organisation d’un référendum sur l’adhésion de nouveaux États à l’Union européenne, indépendamment de l’entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l’Europe, car elle constituait une mesure d’opportunité visant à rassurer une partie de la majorité hostile à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne.

Le traitement discriminatoire réservé à la Turquie étant trop visible, le texte initial du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République revenait sur la disposition adoptée en 2005 et prévoyait que toute loi autorisant la ratification d’un traité élargissant l’Union européenne puisse être adoptée, après un vote en termes identiques des deux chambres, par la voie du référendum ou du Parlement réuni en Congrès, avec l’exigence, dans ce dernier cas, d’une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Mais l’Assemblée nationale, en première lecture, a préféré conserver le principe du référendum obligatoire préalablement à l’entrée éventuelle de la Turquie dans l’Union européenne, tout en écartant cette obligation pour d’autres pays candidats. D’où une rédaction compliquée et confuse qui faisait appel à la démographie et rendait obligatoire le référendum pour les seuls États dont la population représentait plus de 5 % de la population de l’Union européenne.

Le Sénat a voté la suppression de ce référendum obligatoire « antiturc », avec raison, et le retour à l’option entre le référendum et la voie parlementaire pour les futurs élargissements de l’Union européenne.

En deuxième lecture, l’Assemblée nationale a de nouveau modifié l’article 33 du projet de loi. Il est désormais prévu que le référendum est la voie ordinaire pour toute nouvelle adhésion, mais qu’il est possible de recourir à la voie du Congrès lorsqu’un quasi-consensus se dessine chez les parlementaires.

Je vous rappelle les propos de Mme le garde des sceaux : « La consultation du peuple français pour les élargissements les plus importants sera donc assurée par cette voie. Inversement, il sera possible d’éviter d’organiser des référendums de façon trop rapprochée dans des hypothèses où il n’y a pas d’enjeu […]. »

Que signifie l’expression « élargissements importants » et quels sont les élargissements pour lesquels « il n’y a pas d’enjeu » ? Quels sont les critères qui permettront de définir l’importance d’un élargissement ? Tout cela semble bien flou. Et pour cause, il s’agit encore d’une disposition d’opportunité visant la Turquie !

Ainsi, il reviendra au Parlement de décider si l’adhésion de tel ou tel État pose ou non un problème. Non, madame la ministre, c’est au peuple français qu’il appartient de le faire ! Il s’agit du destin de nos peuples : seuls les peuples doivent avoir la possibilité de décider et non pas ceux qui exercent le pouvoir en leur nom. La démocratie muselée qui nous est proposée débouche non pas sur l’avenir, mais sur une impasse !

C’est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen souhaite que cet article soit supprimé de ce projet de loi. Nous voulons que le peuple puisse se prononcer directement sur l’entrée dans l’Union européenne de tout État.

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

Les deux premiers sont identiques.

L’amendement n° 18 rectifié est présenté par MM. Retailleau, Darniche et Seillier.

L’amendement n° 86 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Bruno Retailleau, pour présenter l’amendement n° 18 rectifié.

M. Bruno Retailleau. Notre amendement de suppression vise à rétablir le verrou référendaire, tel qu’il avait été proposé, il y a trois ans, par Jacques Chirac et tel qu’il avait été voté par cette majorité sénatoriale, réunie en Congrès le 28 février 2005 ; ni plus, ni moins.

Je ne comprends pas le raisonnement de notre excellent collègue Christian Cointat. Il nous dit que la nouvelle rédaction de l’article 88-5 de la Constitution ne pose pas de problème puisqu’il y aura forcément un référendum. Dans ce cas, inscrivons le référendum dans la Constitution et revenons au texte de 2005 ! J’avais d’ailleurs dit, en première lecture, que la rédaction de l’Assemblée nationale ne me paraissait pas la meilleure et que je préférais revenir à celle de 2005. En tout cas, la rédaction que l’on nous propose aujourd’hui n’est pas satisfaisante parce qu’elle est très ambiguë, précisément du fait de la suppression de l’automaticité du référendum.

Mes chers collègues, pour les Français, une seule question compte : avec cette révision, conserveront-ils la garantie d’avoir le dernier mot sur les élargissements futurs de l’Union européenne et, notamment, sur les élargissements importants comme l’éventuelle adhésion de la Turquie ? La réponse est claire : non !

Je le regrette pour deux raisons.

La première, c’est que nous mettons en place un engrenage redoutable, qui peut déboucher sur un piège.

En effet, en 1999, au sommet d’Helsinki, la Turquie est admise comme pays candidat.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La demande d’adhésion remonte à 1963 !

M. Bruno Retailleau. En 2004, les négociations sont ouvertes. En 2007, notamment sous la présidence allemande, on engage les négociations sur trois chapitres de cette adhésion et, aujourd’hui, on supprime le verrou référendaire. J’y vois une logique qui va rendre le refus de cette adhésion très improbable et totalement inacceptable par les Turcs, auxquels on demande, de proche en proche, de réaliser d’énormes efforts.

La deuxième raison de mon regret, c’est que l’on accrédite, avec la suppression de ce verrou référendaire, l’idée de la construction d’une Europe a-démocratique. J’ai apprécié l’intervention du Président de la République sur une chaîne de télévision publique, il y a quelques semaines, au cours de laquelle il a dressé ce constat, et je pense que le diagnostic est juste : « Il y a eu erreur dans la façon de construire l’Europe. »

Où est l’erreur ? Que manque-t-il aujourd’hui à l’Europe ? L’assentiment, la raison du cœur, le consentement populaire sont absents. Tout est fait pour tenir systématiquement les peuples à l’écart.

Soit on ne les consulte pas, ce qui est souvent le cas pour les élargissements. Quand a-t-on interrogé les Français sur un élargissement pour la dernière fois ? Il y a bien longtemps ! Or un élargissement définit non seulement un périmètre, un espace, mais aussi un projet : c’est important !

Soit on les consulte : le référendum de 2005, le traité de Lisbonne, ersatz du traité constitutionnel. Mais quand les peuples ne donnent pas la réponse attendue, on cherche à contourner celle-ci, comme pour le vote des Irlandais. Ce n’est pas une bonne manière !

Au fond, que retiendront les Français de cette réforme ? Certainement pas la réforme du 49-3, l’ordre du jour partagé, etc. Ils risquent de ne retenir que la suppression de cette ultime garantie dont ils disposaient. Or il revient au peuple, en dernier ressort, de dire si, oui ou non, il souhaite partager son destin avec tel ou tel autre peuple.

Tel est le sens de cet amendement, qui mérite sans doute un peu d’attention.

M. Christian Cointat. Nous allons à votre rencontre ! C’est incroyable ! Je vais finir par le regretter !

M. le président. L’amendement n° 86 a déjà été défendu.

L’amendement n° 141, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit cet article :

L’article 88-5 de la Constitution est ainsi rédigé :

« Art. 88-5. - Tout projet de loi autorisant la ratification d’un traité relatif à l’adhésion d’un État à l’Union européenne et aux Communautés européennes est adopté selon la procédure prévue aux deuxième et troisième alinéas de l’article 89. »

Cet amendement a également été défendu.

L’amendement n° 87, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Après les mots :

relatif à

rédiger ainsi la fin du premier alinéa du texte proposé par cet article pour l’article 88-5 de la Constitution :

l’Union européenne et aux Communautés européennes est adopté selon la procédure référendaire.

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Avec cet amendement, nous nous interrogeons fortement sur la présence, dans un texte prétendant moderniser les institutions de la Ve République, d’une disposition refusant au peuple le pouvoir de se prononcer de plein droit sur tout ce qui a trait à l’Union européenne. C’est pourquoi nous proposons que cette consultation soit généralisée à tout nouveau traité européen.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En première lecture, nous avions pris une décision claire et quasi unanime sur cet article 33. Celle-ci n’est pas remise en cause par l’amendement adopté par l’Assemblée nationale, puisqu’une option est laissée au Président de la République. Le Parlement peut en effet autoriser l’adoption d’un projet de loi de ratification selon la procédure prévue au troisième alinéa de l’article 89 de la Constitution. Cette mesure s’inscrit donc exactement dans la ligne de ce que nous avions voté en première lecture.

M. Henri de Raincourt. C’est inversé !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La formulation est inversée, mais le résultat est le même !

Le Sénat, qui a eu raison de voter ce dispositif à la quasi-unanimité en première lecture, doit être cohérent avec lui-même et rejeter tous les amendements modifiant le texte adopté par l’Assemblée nationale et qui constitue une solution équilibrée.

Je rappellerai enfin à nos collègues du groupe CRC que, aux termes mêmes de la Constitution, si « la souveraineté nationale appartient au peuple », celui-ci « l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Quand on entend dire sans cesse que le peuple doit être consulté, il est bon de rappeler que la souveraineté s’exerce aussi par la voie de ses représentants ! D’ailleurs, que faisons-nous depuis quelques semaines en révisant la Constitution ? On pourrait aussi supprimer le Parlement et demander au peuple de se prononcer sur tous les sujets !

La commission émet donc un avis défavorable à ces quatre amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à ces amendements.

L’équilibre qui a été trouvé par l’Assemblée nationale en deuxième lecture est satisfaisant et il convient de s’y tenir. Le référendum demeurera le principe très clairement établi dans la Constitution pour tous les élargissements de l’Union européenne.

Il sera toutefois possible, dans les hypothèses où il n’y a pas d’enjeu véritable, de recourir à la voie du Congrès en cas de quasi-consensus des parlementaires pour reconnaître que le référendum n’est pas justifié. Je relève d’ailleurs une autre avancée : ce quasi-consensus devra se manifester par un vote à la majorité des trois cinquièmes dans chacune des assemblées. Cette exigence est donc beaucoup plus rigoureuse que pour la révision de la Constitution.

Il s’agit d’un compromis équilibré entre le principe selon lequel le peuple doit s’exprimer et le souci d’éviter, dans quelques cas, des référendums à répétition, par exemple pour l’adhésion échelonnée de plusieurs États des Balkans.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 18 rectifié et 86.

M. Pierre-Yves Collombat. À titre tout à fait personnel, je voterai ces amendements.

Premièrement, c’est la seule façon de n’établir aucune discrimination entre les pays candidats. Si j’avais encore quelques doutes, les explications qui viennent de nous être données suffiraient à prouver que seule l’adhésion de certains pays sera soumise au référendum.

Deuxièmement, et surtout, ce vote me semble la meilleure façon de rendre la parole au peuple, qui a été trop ignoré dans la construction européenne et qui, maintenant, lorsqu’il est consulté – et c’est peut-être la raison pour laquelle on ne veut pas trop le consulter –, sait dire – et il ne s’agit pas seulement des Français – qu’il ne comprend pas la façon dont l’Europe s’est construite.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 18 rectifié et 86.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous savons très bien que la souveraineté est exercée par le peuple ou ses représentants, c’est évident.

Nous ne souhaitons pas qu’il y ait un référendum sur toute question discutée au Parlement. Nous voulons que, sur les questions importantes, le peuple soit consulté. Vous savez que nous sommes des adversaires du plébiscite.

Quand le peuple est consulté, à l’occasion du débat public qui s’instaure, il s’approprie des questions et ne vote pas comme les parlementaires. Il peut aussi ne pas voter comme le voudrait le Gouvernement. Ce fut le cas, par exemple, en France en 2005 et en Irlande cette année.

La question est symbolique concernant l’élargissement de l’Europe. Les peuples constatent qu’il y a un déni de démocratie au sujet de l’Europe –  pourtant les parlementaires en parlent très souvent ! –, et ils voudraient être consultés.

Autant donc proposer cette consultation sans discrimination entre tel ou tel élargissement. C’est important de consulter le peuple pour les Balkans, mais ce le serait également, si le cas se présentait, pour la Suisse.

Je trouve choquant, avec le compromis que vous avez trouvé, que les représentants du peuple ne donnent pas à celui-ci le droit de s’exprimer.

Il y a une sorte d’inversion : on dit que la souveraineté s’exerce par le peuple ou ses représentants, mais ces représentants, alors que le référendum est inscrit dans la Constitution, refuseraient au peuple le droit de s’exprimer sur tel ou tel élargissement ! Ce n’est pas la conception que j’ai des rapports entre le peuple et ses représentants.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 18 rectifié et 86.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 141.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 87.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 33.

(L'article 33 est adopté.)

Article 33
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Article 33 bis

Article additionnel après l'article 33

M. le président. L'amendement n° 142, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l'article 33, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 89 de la Constitution est ainsi rédigé :

« Art. 89. - L'initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République, sur proposition du Premier ministre, et aux membres du Parlement. 

« Lorsque le projet ou la proposition de révision a été voté par les deux assemblées en termes identiques, la révision est définitive après avoir été approuvée par un référendum organisé dans les six mois par le Président de la République.

« Toutefois, le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n'est approuvé que s'il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le bureau du Congrès est celui de l'Assemblée nationale. 

« Lorsque le projet ou la proposition de révision n'a pas été voté en termes identiques après deux lectures dans chaque assemblée, le Président de la République peut le soumettre au référendum.

« Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire.

« La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision. »

La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Cet amendement, que nous avions présenté en première lecture et que nous maintenons, a pour objet de trouver une solution quand il y a un désaccord entre les deux assemblées. En cas de blocage, nous proposons de trancher par référendum.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 142.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article additionnel après l'article 33
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Article 34

Article 33 bis

Dans la première phrase du deuxième alinéa de l'article 89 de la Constitution, après le mot : « être », sont insérés les mots : « examiné dans les conditions de délai fixées au troisième alinéa de l'article 42 et ». 

M. le président. L'amendement n° 88, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

... - Le troisième alinéa du même article est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« Lorsque le projet ou la proposition de révision réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés dans chaque assemblée, la révision est définitive.

« Toutefois, lorsque le projet ou la proposition de loi n'a pas été voté en termes identiques après deux lectures par chaque assemblée, le Président de la République peut soumettre au référendum le texte adopté à la majorité absolue des suffrages exprimés par l'une ou l'autre des assemblées. »

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet amendement est identique au précédent. Le comité Balladur, dans un paragraphe intitulé Démocratiser la procédure de révision de son rapport, soulignait qu’il résultait des dispositions de l’article 89 que chaque assemblée ait un pouvoir de blocage pour toute révision constitutionnelle.

Il proposait donc qu’en cas de refus d’une révision par l’une des assemblées, l’autre assemblée ayant adopté le texte à la majorité des trois cinquièmes, un référendum soit organisé.

Le comité Balladur avait fait quelques propositions intéressantes, comme une dose de proportionnelle ou une réforme du scrutin sénatorial, par exemple. Ces propositions n’ont pas été reprises ; c’est dommage.

Je suppose que le vote sur cet amendement sera le même que sur le précédent.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 88.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 33 bis.

(L'article 33 bis est adopté.)

Article 33 bis
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Article 35

Article 34

I. - Les articles 11, 13, le dernier alinéa de l'article 25, les articles 34-1, 39, 44, 56, 61-1, 65, 69, 71-1 et 73 de la Constitution, dans leur rédaction résultant de la présente loi constitutionnelle, entrent en vigueur dans les conditions fixées par les lois et lois organiques nécessaires à leur application.

II. - Les articles 41, 42, 43, 45, 46, 48, 49, 50-1, 51-1 et 51-2 de la Constitution, dans leur rédaction résultant de la présente loi constitutionnelle, entrent en vigueur le 1er mars 2009.

III. - Supprimé.

IV. - Non modifié.

M. le président. L'amendement n° 143, présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

I. Dans le I de cet article, supprimer les mots :

le dernier alinéa de l'article 25,

II. Le même I est complété par une phrase ainsi rédigée :

Les dispositions prévues au dernier alinéa de l'article 25 de la Constitution entrent en vigueur le 1er janvier 2009.

La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Je défendrai successivement les amendements nos 143 et 144, l’amendement n° 145 étant d’ailleurs devenu sans objet.

L’amendement n° 143 tire les conséquences de l’engagement de Mme le garde des sceaux selon lequel la commission chargée de donner un avis sur le découpage des circonscriptions sera créée par une loi avant le 31 décembre 2008. Le fait qu’elle y soit défavorable ne signifie pas pour autant qu’elle ne doit pas tenir ses engagements.

M. le président. L'amendement n° 144 est présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, et ainsi libellé :

Après les mots :

présente loi constitutionnelle

rédiger comme suit la fin du IV de cet article :

s'appliquent aux députés et sénateurs amenés à accepter de telles fonctions postérieurement à la date d'entrée en vigueur de la loi organique prévue à cet article.

La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. L’amendement n° 144 tend à mettre l’accent sur un petit confort que s’octroient les membres de l’actuel gouvernement. Il n’est pas raisonnable de prévoir des parachutes, même s’ils ne sont pas dorés, pour que des ministres puissent revenir dans leur assemblée d’origine au mépris de leurs suppléants qui ont fait leur travail de parlementaires, en prenant leur succession à l’Assemblée nationale.

Je souhaite pour vous que les suppléants ne se réveillent pas d’ici à lundi pour réaliser qu’ils sont en train de voter leur propre disparition ! C’est leur problème, mais cela ne me semble pas très correct.

On peut être pour ou contre la mesure. Personnellement, nous ne sommes pas d’accord parce qu’elle pourra transformer demain les postes de ministres en hochets pour récompenser certaines personnes en leur faisant faire un tour de manège avant de les renvoyer dans leur assemblée !

Cette mesure ne nous semble pas très sérieuse, mais on peut admettre qu’elle soit adoptée. Pourtant, le minimum de la correction aurait été de ne pas rendre la loi rétroactive et de l’appliquer à ceux qui, après le vote éventuel de la révision, deviendraient ministres.

Il est toujours choquant de changer la règle du jeu en cours de route. Mais on comprend bien que, chemin faisant, les anciens parlementaires actuellement ministres aient envie de grappiller cette facilité pour eux-mêmes. C’est humain, mais cela n’est ni décent ni moral.

Vous me direz qu’il sera toujours possible à un ministre de se soumettre à réélection. La vertu est une qualité rare et les professeurs de vertu sont encore plus rares ! Il s’agit d’une corporation à laquelle je n’appartiens pas et dans laquelle je n’ai aucune envie d’entrer.

Nous proposons donc un changement de date, un petit effort dans cette révision globalement si médiocre.

M. le président. L'amendement n° 145 est présenté par MM. Frimat, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, et ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

... - Les dispositions de l'article 56 relatives au statut de membre de droit à vie des anciens présidents de la République au sein du Conseil constitutionnel dans leur rédaction résultant de la présente loi constitutionnelle ne s'appliquent pas aux anciens présidents de la République actuellement membres de droit du Conseil constitutionnel.

L’amendement n° 145 est devenu sans objet.

M. le président. L'amendement n° 4, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

Après les mots :

présente loi constitutionnelle,

rédiger comme suit la fin du IV de cet article :

s'appliquent à compter du prochain renouvellement de l'Assemblée nationale et des prochains renouvellements partiels du Sénat.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Nous avions eu, en première lecture, l’agréable surprise de voir soutenu par le rapporteur et par la commission des lois cet amendement tendant à rendre rétroactive la règle permettant aux ministres de retrouver leur siège de parlementaire.

En séance publique, M. le rapporteur avait bien précisé que l’article 10 du projet de loi aurait vocation à s’appliquer aux ministres amenés à accepter de telles fonctions après l’entrée en vigueur de la loi organique. J’avais, sur la base de cette garantie, voté pour l’article 10.

Arrivés à l’examen des dispositions finales, nous nous sommes rendu compte que le banc de la commission s’était vidé, que notre collègue M. Jean-René Lecerf, qui avait déposé un amendement similaire, n’était plus là pour le défendre et que finalement notre rapporteur s’était retrouvé le seul de la majorité à soutenir cette proposition.

Pour reprendre les mots de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État, nous avons assisté à un véritable « concours de lâcheté » sur cette disposition. Des parlementaires pour la première fois sur ce texte ont suivi non pas le rapporteur, mais le Gouvernement, soudés par une solidarité de groupe qui m’a surprise et qui contrastait avec la position adoptée en commission des lois.

Le Gouvernement est vraisemblablement passé par là, et ce n’est pas la première fois. Avec cette disposition – et là, mes chers collègues, on atteint un paroxysme – vous donnez l’image d’une majorité corsetée et muselée, condamnée à exécuter la bonne volonté du Gouvernement. (Protestations sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de lUC-UDF et de lUMP.)

Il n’y a que la vérité qui blesse !

Cette disposition, au seul bénéfice du Gouvernement et de ses membres, crée un parachute doré pour ceux qui ont quitté un siège de parlementaire et qui souhaitent le retrouver.

Or, vous me direz qu’il s’agit non pas de rétroactivité, mais d’application immédiate. J’ai déjà entendu l’explication. Mais soyons honnêtes, le retour des ministres au Parlement après cette réforme aura des conséquences sur leurs suppléants qui les ont remplacés. Il y aura donc un effet rétroactif, appelons un chat un chat !

La rétroactivité de cette disposition est scandaleuse et méprisante à l’égard de ces parlementaires qui actuellement suppléent les ministres en place. Rien n’est prévu pour eux, et ils s’en iront à peine leurs marques trouvées dans nos assemblées. Vous les transformez en pantins démocratiques, que vous maniez selon les désirs de sa majesté ! (Protestations sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de lUC-UDF et de lUMP.)

Ne me dites pas qu’il s’agit de l’intérêt général ! À mon sens, il s’agit plus de l’intérêt de certains, de quelques serviteurs du prince. Nous sommes dans la mascarade politique !

M. Christian Cointat. C’est inacceptable ! (M. Del Picchia proteste également.)

Mme Alima Boumediene-Thiery. Acceptable ou pas, je le dis comme je le pense, et vous devrez vous y habituer !

L’objet de cet amendement est non pas d’empêcher cette procédure, bien entendu, mais de prévoir une loi qui mettra un terme à cette mascarade en supprimant le caractère rétroactif de l’article 10 du projet de loi.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Les propos de Mme Boumediene-Thiery sont excessifs !

D’abord, il n’y a pas rétroactivité ; il y a application immédiate. Ce n’est pas la même chose. Ce point a été tranché en première lecture. Le Sénat puis l’Assemblée nationale ont déjà manifesté par leurs votes leur souhait d’en rester à la rédaction du projet de loi constitutionnelle. Je suis donc défavorable à l’amendement n° 4.

En ce qui concerne l’amendement n° 143, monsieur Frimat, si vous avez lu mon rapport en première lecture sur ce dispositif, vous devriez être rassuré. J’ai indiqué que la commission indépendante devrait s’emparer du dossier de redécoupage des circonscriptions législatives. Cela nécessite l’adoption d’une loi. Mme le garde des sceaux s’était engagée ici même à déposer le projet de loi qui fixera la composition et le fonctionnement de la commission avant la fin de l’année.

Cela étant, votre amendement n’est pas indispensable. Je vous demande de le retirer. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Défavorable sur les quatre amendements.

M. Christian Cointat. Avis en béton et convainquant ! (Sourires.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 143.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour explication de vote sur l'amendement n° 4.

M. Jean-René Lecerf. Je ne porterai pas plainte contre Mme Boumediene-Thiery bien qu’elle ait dérobé l’exposé des motifs de mon amendement de première lecture !

Je regrette le terme de « lâcheté » qu’elle a utilisé. Je considère que l’application immédiate est au mieux une maladresse et au pire une faute.

Je n’ai pas changé d’opinion. Le bilan entre le coût et les avantages de la réforme me paraît largement positif : je voterai donc cette réforme. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est la confiance qui est en cause dans cette affaire. Les élections législatives et sénatoriales se sont déroulées selon des règles qui étaient connues de tous, notamment des suppléants des députés qui sont devenus ministres et de ces derniers.

J’insiste, les députés qui suppléent aujourd'hui les ministres exercent leur mandat sur la base d’une règle du jeu qui a été clairement définie. Il est très choquant de démettre des députés de leur mandat sans aucun vote.

Les arguments très forts développés par M. Frimat et auxquels M. Lecerf et Mme Boumediene-Thiery ont fait allusion, plaident pour une application de cette disposition aux ministres nommés après le vote éventuel de cette révision constitutionnelle.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La question a déjà été tranchée !

M. Jean-Pierre Sueur. Une telle décision me paraîtrait en tout cas plus saine et plus morale au vu des responsabilités des uns et des autres et des exigences de la démocratie. Pour cette raison, je soutiens pleinement cet amendement.

Puisque nous sommes en train d’examiner les derniers amendements, je profite de cette occasion pour répéter que ce débat est pitoyable et très regrettable. Nous avons beau échanger, apporter des arguments, défendre des positions, cela ne sert à rien !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout a été dit en première lecture !

M. Jean-Pierre Sueur. C’est un déni du parlementarisme, au moment même où on exalte les droits nouveaux que cette réforme constitutionnelle permettrait de donner au Parlement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 4.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 144.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 34.

(L'article 34 est adopté.)

Article 34
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 35

I. - À compter de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, signé le 13 décembre 2007, le titre XV de la Constitution est ainsi modifié :

1° Dans le premier alinéa de l'article 88-4, les mots : « les projets ou propositions d'actes des Communautés européennes et de l'Union européenne » sont remplacés par les mots : « les projets d'actes législatifs européens et les autres projets ou propositions d'actes de l'Union européenne » ;

2° Dans l'article 88-5, les mots : « et aux Communautés européennes » sont supprimés ;

3° Les deux derniers alinéas de l'article 88-6 sont ainsi rédigés :

« Chaque assemblée peut former un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne contre un acte législatif européen pour violation du principe de subsidiarité. Ce recours est transmis à la Cour de justice de l'Union européenne par le Gouvernement.

« À cette fin, des résolutions peuvent être adoptées, le cas échéant en dehors des sessions, selon des modalités d'initiative et de discussion fixées par le règlement de chaque assemblée. À la demande de soixante députés ou de soixante sénateurs, le recours est de droit. »

II et III. - Non modifiés.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° 90, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Il s’agit d’un amendement de cohérence. L’article 35 du projet de loi a pour objet d’accorder la réforme constitutionnelle avec les conséquences de la ratification du traité de Lisbonne par la France. Ce traité étant dorénavant caduc, il convient de supprimer cet article.

M. le président. L'amendement n° 89, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Dans la seconde phrase du dernier alinéa du I de cet article, après les mots :

soixante sénateurs

insérer les mots :

ou d'un groupe parlementaire

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Nous avons déposé une série d’amendements qui tendaient à octroyer des droits nouveaux aux groupes parlementaires. Par cohérence, nous entendons permettre à ces groupes de pouvoir prendre l’initiative d’un recours devant la Cour de justice des Communautés européennes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 90.

Quant à l'amendement n° 89, il nous semble tout à fait intéressant que le groupe CRC, qui souhaite supprimer toutes les références au traité de Lisbonne, soit prêt à faire usage de certains droits nouveaux créés par ce même traité !

En conséquence, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement. Il reviendra en tout état de cause au règlement de déterminer les modalités d’initiative des recours devant la Cour de justice des Communautés européennes. Un tel recours devra rassembler un minimum de soutien dans l’assemblée.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 90.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 89.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 35.

(L'article 35 est adopté.)

Vote sur l'ensemble

Article 35
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi constitutionnelle, je donne la parole à M. Pierre Laffitte, pour explication de vote.

M. Pierre Laffitte. Aucune loi n’est parfaite et celle-là ne l’est pas. Mais elle comporte des avancées considérables, notamment en ce qui concerne les droits accordés aux groupes parlementaires n’appartenant ni à la majorité ni à l’opposition, et le pouvoir accru de tous les parlementaires en matière d’initiative législative, ce qui nous conduira certainement à réformer nos structures.

Une majorité de mon groupe votera donc pour ce texte. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de lUC-UDF et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard.

M. Patrice Gélard. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je voudrais d’abord rendre hommage à notre rapporteur, M. Jean-Jacques Hyest, pour le travail considérable qu’il a fourni pendant cette longue période, ainsi que pour ses talents de diplomate, grâce auxquels de nombreuses propositions du Sénat ont été retenues. (Applaudissements sur les travées de lUMP)

Cette révision constitutionnelle est la suite logique du quinquennat, dont nous n’avions pas encore réellement tenu compte dans nos institutions, et de l’inversion du calendrier électoral. Elle respecte les engagements du chef de l’État et prend en considération un grand nombre de propositions du comité Balladur. Elle assure la modernisation de nos institutions dans toute une série de domaines, notamment en ce concerne le statut du chef de l’État ou les pouvoirs du Parlement, qui connaissent des avancées considérables.

En outre, cette réforme constitutionnelle innove dans toute une série de domaines. Je les cite en vrac : la francophonie, les langues minoritaires, le référendum d’initiative populaire, l’exception d’inconstitutionnalité, le Conseil supérieur de la magistrature, la commission des affaires européennes ou l’admission de nouveaux États au sein de l’Union européenne.

C’est donc une révision pleine de potentialités que nous allons adopter, mais beaucoup de travail nous attend. Il faudra adopter sept lois organiques, plusieurs lois ordinaires et modifier le règlement de chacune de nos assemblées dans un laps de temps relativement réduit, entre octobre 2008 et mars 2009.

Certains peuvent être déçus que leurs propositions n’aient pas été retenues, mais il me paraît important, dans le cadre d’une révision constitutionnelle, de ne pas tout modifier en une seule fois. Une révision ciblée sur des problèmes simples permet de mieux aller au fond des choses, même si nous devons réviser la Constitution chaque année. Celle-ci doit évoluer et s’adapter ; ce n’est pas une tente dressée pour le sommeil.

Nous disposons maintenant d’une base pour la transformation, la modernisation et la démocratisation de nos institutions si nous acceptons d’utiliser pleinement les nouveaux pouvoirs constitutionnels qui nous seront donnés.

C'est la raison pour laquelle le groupe UMP émettra un avis favorable sur l’ensemble de cette révision constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Nous avons tenu à ce que cette seconde lecture, au terme de laquelle nous arrivons, donne lieu à un réel débat. Nous n’allions pas tout arrêter et considérer que la messe était dite parce que certains d’entre nous avaient décidé de voter conforme le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale. Je salue la patience de ceux qui, dans le silence, ont supporté ces deux jours.

Après cette absence de dialogue qui a caractérisé nos travaux et cette parodie de débat menant à un vote conforme dans lequel la majorité de notre assemblée a pu manifester tout son sens de l’ouverture, nous pouvons constater qu’aucun amendement de l’opposition, ou d’autres sénateurs d’ailleurs, n’a été adopté. C’était pourtant votre dernière chance, et nous avions évoqué cette possibilité.

Nous aurons l’occasion à Versailles de reprendre les raisons très précises pour lesquelles nous estimons que ce texte est médiocre, cette révision insuffisante et cette démarche clanique, privilégiant la victoire d’un camp sur un autre et refusant toute discussion. Pardonnez-moi, je suis quelque peu excessif, vous avez dialogué au sein de l’UMP. Je salue cette innovation démocratique !

Vous avez, avec frénésie, depuis quelques semaines, tenté de débaucher un certain nombre de parlementaires socialistes. Nous mesurerons lundi la vanité de vos efforts. Cette révision ne grandit pas le Parlement, elle conforte le conservatisme du Sénat et maintient ses verrous.

Sur les chaînes de télévision – sans doute peu au fait de la réalité de la situation –, on nous demande si notre attitude va changer après les nouvelles annonces qui ont été faites. Nous avons dû expliquer que, lundi, nous allions voter non pas la constitutionnalisation d’un article du Monde, mais un texte dont, en dépit des déclarations, pas un mot, pas une virgule n’a changé, comme vous en avez d’ailleurs apporté la parfaite démonstration ces deux derniers jours.

Vous avez voulu que cette révision soit la vôtre, et bien gardez-la ! Mais n’oubliez pas que les communistes, les socialistes et les Verts du Sénat et de l'Assemblée nationale n’ont pas la minorité de blocage des deux cinquièmes.

Nous ne saurons que lundi soir ce qu’il sera advenu de cette réforme ! Votre tentative d’essayer de nous faire porter un possible échec se heurte à ce simple postulat mathématique : nous ne représentons pas les deux cinquièmes des voix. Si la révision constitutionnelle est rejetée, c’est bien parce qu’il y aura eu ailleurs qu’au sein des formations de gauche des parlementaires qui auront fait le constat des insuffisances de cette réforme. (M. le secrétaire d’État fait un signe de dénégation.)

Que mes propos ne vous enthousiasment pas, monsieur le secrétaire d’État, à deux heures et demie du matin, je n’en suis ni étonné ni navré. Mais il ne faut pas, à cette heure avancée de la nuit, avoir une telle réaction. Après, vous allez très mal dormir…

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Rassurez-vous !

M. Bernard Frimat. … et j’en serais désolé pour vous.

Au demeurant, les sénateurs socialistes, tant ce soir que lundi à Versailles, voteront à l’unanimité contre cette révision constitutionnelle, qui restera une gigantesque occasion gâchée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette révision constitutionnelle a fait l’objet d’une véritable gestation, puisque voilà environ neuf mois que l’on en parle, après son annonce par le Président de la République, Nicolas Sarkozy. Au demeurant, avant d’être élu, celui-ci considérait qu’une telle révision constitutionnelle était inutile.

M. Josselin de Rohan. Ce n’est pas vrai !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il y a d’abord eu la mise en place du comité Balladur, dont sont issues les soixante-dix-sept propositions, qui, au fond, instauraient un régime présidentiel affiché, avec, en compensation, l’introduction d’une dose de proportionnelle, un Sénat plus démocratique, et des limites aux pouvoirs du Président de la République.

Ensuite, il y a eu le projet du Gouvernement, présenté en décembre dernier, qui organisait un présidentialisme caché par une communication savamment orchestrée au fil des mois : on expliquait qu’il s’agissait, en fait, d’une revalorisation des droits du Parlement. Étaient alors jetées aux oubliettes toute dose de proportionnelle, toute modification du scrutin sénatorial et toute limitation des pouvoirs du Président de la République.

M. Fillon avait annoncé, en décembre, que cette révision serait adoptée s’il y avait consensus. Je comprends maintenant qu’il parlait d’un consensus au sein non pas du Parlement, mais de l’UMP. De la consultation du peuple, il n’en a jamais été question ! Or, pour ma part, je pense qu’une révision constitutionnelle d’importance ne peut intervenir sans consultation populaire.

Il n’a jamais été question non plus des sujets qui pèsent lourdement sur les rapports entre les citoyens et les institutions, notamment des moyens d’assurer une meilleure représentativité du Parlement. Mes chers collègues, je pourrais vous citer bien d’autres exemples, que j’ai d’ailleurs déjà évoqués, mais je vous épargnerai ce rappel parce que vous me semblez bien fatigués ce soir.

Plus de six mois se sont écoulés depuis le mois de décembre, et force est de constater que vous n’êtes pas parvenus à un consensus. Peut-être un accord a-t-il été trouvé au sein de la majorité présidentielle ; nous le verrons lundi prochain !

Toutes les tentatives de l’opposition pour modifier le projet de loi constitutionnelle afin d’atteindre l’objectif annoncé, à savoir le renforcement des droits du Parlement, ont été rejetées.

En outre, le débat auquel nous avons assisté sur la représentativité des collectivités territoriales par le Sénat a tourné à la caricature.

Qui plus est, le renforcement des pouvoirs du Parlement a fait l’objet, au sein même des assemblées, d’une véritable propagande. Mais, il faut bien le dire, la discussion a permis de révéler la réalité du texte. Ainsi, les mesures relatives au droit d’amendement sont finalement apparues pour ce qu’elles étaient

Nous avons donc maintenant un régime tout à fait particulier, c'est-à-dire un régime d’inspiration présidentielle à l’américaine, avec des pouvoirs considérables accordés au Président de la République, lequel n’est pas responsable devant le Parlement, mais peut le dissoudre ; dans le même temps, ce régime est proche d’un parlementarisme rationnalisé à l’anglaise, sans les droits de l’opposition.

Au final, il en ressort un système hybride, en réalité assez monarchique, où règne la confusion des pouvoirs et où le fait majoritaire est exacerbé ; cela aboutit à une opposition minorée quand le pays vote à droite et à une majorité minorée quand le pays vote à gauche.

Mon groupe votera non, trois fois non, à cette évolution qui repousse un peu plus les limites de la Constitution de 1958, que nous n’approuvons pas. Avec le quinquennat et l’inversion du calendrier, que nous n’avons pas non plus soutenus, le présidentialisme est lui aussi exacerbé.

Notre refus catégorique se justifie encore plus au regard de l’attitude actuelle du Président de la République, lequel nous laisse entrevoir la façon dont il veut tirer profit de cette révision constitutionnelle. Il n’est qu’à voir sa prestation aujourd’hui dans la presse – excusez-moi d’y revenir –, pour comprendre combien il entend peser sur le débat parlementaire, alors que le texte n’est pas encore adopté. Lorsqu’il viendra s’exprimer devant le Parlement, il pourra donner toute la mesure de ce présidentialisme accru, puisqu’il annoncera en direct ce que nous apprenons aujourd’hui par voie de presse.

Nous voyons tous la « pêche aux voix » qui a lieu actuellement. Ce n’est pas le consensus que vous visez : vous cherchez simplement à convaincre jusqu’au dernier parlementaire hésitant de mordre à l’appât et de voter votre révision. Ce spectacle affligeant conforte véritablement notre groupe dans sa décision initiale, à savoir le rejet de cette réforme constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’éprouve une frustration et une déception, car j’ai l’impression que nous avons raté une occasion tout à fait exceptionnelle de moderniser nos institutions.

Je considère en effet que nous aurions pu aller beaucoup plus loin, même si quelques avancées, malheureusement loin d’être satisfaisantes pour les parlementaires et les citoyens, ont été enregistrées. Notre assemblée, en faisant preuve d’une grande inertie, s’est transformée en chambre d’enregistrement.

Nous avons éludé, et nous le regrettons, les questions fondamentales : la réforme du Sénat et la prise en compte de la population dans le mode d’élection des sénateurs, le cumul des mandats et leur limite dans le temps, le droit de vote des étrangers, mesure essentielle qui aurait pu donner un nouvel élan à notre démocratie, le scrutin proportionnel, qui aurait pu permettre à nos assemblées d’être plus dynamiques et à l’image de notre société, notamment avec plus de femmes et plus de jeunes.

La majorité a réduit, et c’est dommage, cette révision au minimum, pour la transformer en réforme de convenance qui sert davantage les intérêts particuliers que l’intérêt général. L’exemple des parachutes dorés est, à cet égard, éloquent.

Nous avons également assisté à une nouvelle procédure, une « CMP-UMP », ce qui est tout à fait regrettable, car nous avons fait reculer la démocratie parlementaire. C’est très grave pour notre démocratie, pour notre société et pour l’avenir de notre pays.

M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia.

M. Robert del Picchia. Je serai bref. Je souhaite remercier le Président de la République. Pendant les préparatifs de sa campagne électorale, nous lui avions suggéré de créer des sièges de députés des Français de l’étranger, ce qui, je le sais, n’était pas facile. Je veux également remercier le Sénat, qui a adopté cette mesure, ce qui n’était pas facile non plus.

Au final, les Français de l’étranger sont très heureux ce soir. Leurs élus ont voté à l’unanimité, moins neuf abstentions, en faveur de cette mesure. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à mon tour, je souhaite remercier toutes celles et tous ceux qui ont permis la bonne tenue de ce débat, plus particulièrement en deuxième lecture. Car le rôle du Sénat est, il faut bien le reconnaître, difficile, dans la mesure où la Constitution prévoit que le texte doit être voté en termes identiques par les deux assemblées pour parvenir à l’étape finale du Congrès. Un tel vote nécessite une grande discipline, et je remercie M. le rapporteur d’avoir expliqué tous les aspects de ce texte avec une grande patience.

La réforme constitutionnelle sur laquelle nous sommes amenés à nous prononcer porte une ambition simple, claire et évidente. Si l’on se réfère à l’intitulé du rapport Balladur ou à l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle, il s’agit de construire une République plus démocratique, donc avec des pouvoirs plus équilibrés.

Nous le savons tous, la Ve République a connu plusieurs phases historiques qui ont conduit à un renforcement du rôle du Président de la République ; je pense, notamment, à l’élection au suffrage universel direct en 1962, au quinquennat et à l’inversion du calendrier électoral : toutes ces mesures ont abouti à une présidentialisation accrue de notre régime politique.

Aujourd’hui, on se rend bien compte qu’il faut « desserrer » un certain nombre de contraintes : nécessaires en 1958, celles-ci ne peuvent résister à l’évolution de la société française.

Deux grandes catégories de mesures apparaissent clairement dans le projet de loi constitutionnelle, qui vise à modifier plus de la moitié des articles de la Constitution : d’une part, l’accroissement des pouvoirs du Parlement et la limitation de ceux du Président de la République ; d’autre part, la reconnaissance de nouveaux droits aux citoyens. C’est autour de ces deux idées que notre groupe a essayé de travailler.

Nous reconnaissons tout à fait que, s’agissant des pouvoirs du Parlement, de nombreuses dispositions sont prévues. Le fait que la première chambre saisie se prononcera désormais sur le texte élaboré en commission apparaît comme une véritable révolution. Nous renouons ainsi avec notre tradition parlementaire, interrompue en 1958. Désormais, le Parlement pourra jouer véritablement son rôle.

L’ordre du jour partagé, le nouveau pouvoir de contrôle et d’évaluation des politiques publiques modifient considérablement le fonctionnement du Parlement et définissent son nouveau rôle.

La limitation des pouvoirs du Président de la République, s’agissant notamment des nominations à des postes extrêmement sensibles – il suffit de voir ce qui se passe ces jours-ci – est également un élément qui peut changer profondément la nature de notre régime.

En outre, et c’est pour nous le plus important, deux nouveaux droits sont accordés au citoyen.

L’un d’eux, qui est donné assez facilement et sur lequel nous n’avons probablement pas assez insisté, concerne l’exception d’inconstitutionnalité. Celle-ci manquait dans notre système juridique français. Alors que partout ailleurs, dans les pays voisins, le justiciable peut demander au juge de ne pas appliquer un texte de loi au motif qu’il est inconstitutionnel, cela n’est pas possible en France à l’heure actuelle. Demain, si le projet de loi constitutionnelle est adopté, ce sera possible.

Il s’agit d’une garantie nouvelle extrêmement importante qui est octroyée au citoyen. Grâce à cette mesure, tout le monde pourra saisir le Conseil constitutionnel.

Certes, ce n’est pas la voie de l’action ! Nous aurions pu aller plus loin, notamment en étendant le droit de saisine du Conseil constitutionnel aux groupes parlementaires. Car chaque fois que l’on fera la « purge », si vous permettez l’expression, de l’inconstitutionnalité par la voie de l’action, la sécurité juridique y gagnera.

En tout état de cause, ce nouveau droit accordé au citoyen représente, j’y insiste, un immense progrès.

L’autre droit, sur lequel nous avons mis l’accent tout au long de ce débat, concerne le pluralisme ; bien que le terme soit parfois galvaudé, celui-ci conditionne la liberté : il consiste à faire en sorte que toutes les tendances politiques existant dans notre pays soient reconnues, puissent s’exprimer et avoir une place au sein du Parlement.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Seule la proportionnelle l’aurait permis !

M. Michel Mercier. Bien sûr, ma chère collègue, il faut un système électoral qui le permette, mais nous ne demandons pas qu’il figure dans la Constitution.

Nous avons insisté sur cette notion de pluralisme par le biais d’un amendement extrêmement important, rejoignant la réflexion du professeur Jean-Louis Seurin dans les Mélanges Auby : « La liberté ne peut être maintenue que par un agencement des organes de gouvernement capable de traduire, dans les institutions de gouvernement, le pluralisme des forces sociales en compétition pour le pouvoir. »

Cette garantie est essentielle à nos yeux : la République sera tout à fait démocratique lorsque le pluralisme des opinions se retrouvera au sein des organes de gouvernement.

Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, d’avoir un peu ouvert la porte ce soir. Je veux bien croire qu’il était difficile de l’ouvrir complètement. (Sourires.) Nous ne saurons que lundi prochain si elle est totalement ouverte ou pas.

Pour notre part, nous sommes prêts au dialogue, comme nous l’avons été depuis le premier jour. Nous souhaitons que le dialogue entre le Gouvernement et ceux qui pensent comme nous puisse porter tous ses fruits. Il reste trois jours pour y parvenir.

Je le dis très clairement, nous ne voulons pas que la réforme se joue à qui perd gagne, selon l’expression utilisée par le journal Le Monde en date du 21 mai 2008.

Nous espérons que cette réforme deviendra la réalité politique de notre pays : cela ne dépend que de vous et des explications que vous voudrez bien nous donner, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'État. Nous souhaitons pouvoir engranger tous les progrès que ce texte comporte. Nous attendrons lundi pour savoir si vous nous permettez de le faire. (Applaudissements sur les travées de lUC-UDF et sur des travées de lUMP.)

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi constitutionnelle.

En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 142 :

Nombre de votants 329
Nombre de suffrages exprimés 287
Majorité absolue des suffrages exprimés 144
Pour l’adoption 162
Contre 125

Le Sénat a adopté.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je veux simplement vous remercier, monsieur le président, monsieur le rapporteur, ainsi que tous ceux qui ont participé à cet important débat pour la République. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
 

9

Texte soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution

M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de règlement du Conseil relatif au statut de la société privée européenne.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3909 et distribué.

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Dépôt d'un rapport d'information

M. le président. J’ai reçu de MM. Jacques Valade, Jacques Legendre, Serge Lagauche, Jean-Léonce Dupont, Michel Thiollière, Alain Dufaut, Pierre Martin, Jean François Humbert et Yves Dauge un rapport d’information fait au nom de la commission des affaires culturelles à la suite d’une mission effectuée en Inde du 19 au 27 avril 2008.

Le rapport d’information sera imprimé sous le n° 473 et distribué.

11

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 17 juillet 2008 à quinze heures et le soir :

- Discussion du projet de loi (n° 448, 2007-2008), adopté par l’Assemblée nationale après déclaration d’urgence, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail.

Rapport (n° 470, 2007-2008) de M. Alain Gournac, fait au nom de la commission des affaires sociales.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le jeudi 17 juillet 2008, à deux heures cinquante-cinq.)

La Directrice

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD