M. Yvon Collin. Quant aux départements, principaux financeurs du dispositif, comment vont-ils gérer la situation si la demande explose, d’autant que le projet de loi pose aussi de nouvelles exigences en matière d’insertion, qui ne seront pas sans répercussions budgétaires ?

Monsieur le haut-commissaire, les collectivités territoriales ont toujours été très volontaristes et innovantes en matière d’aide sociale. Plus particulièrement, les conseils généraux ont fait face, sans rechigner, aux nouvelles compétences et charges qui leur ont été transférées dans le cadre des lois de décentralisation successives, sans bénéficier des transferts financiers correspondants : je rappelle que l’État leur doit 2 milliards d’euros au titre du RMI.

Les départements ont donc toujours fait preuve d’esprit de responsabilité pour venir en aide à tous ceux qui en avaient besoin. En conserveront-ils demain la capacité si des engagements ne sont pas pris dès maintenant ?

Mers chers collègues, malgré toutes ces interrogations, la majorité des membres du groupe RDSE pense que le RMI a fait son temps et qu’il est aujourd’hui nécessaire de faire évoluer un système inadapté aux nouvelles formes de pauvreté. Par conséquent, nous voterons la création du RSA, qui répond à une attente forte de la plupart des acteurs de l’aide sociale et de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de lUMP et de l’Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, aujourd’hui, en France, plus de 7,9 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, dont 1 million d’enfants. Parmi elles, on compte 1,1 million de RMIstes qui vivent avec 447,91 euros par mois pour une personne seule, 671,87 euros pour un couple sans enfant, le montant du RMI étant majoré de 179,16 euros par enfant. En outre, plus de 1,5 million de ces personnes ont un emploi et constituent la cohorte, toujours plus nombreuse, de ceux que l’on appelle désormais les travailleurs pauvres.

Monsieur le haut-commissaire, nous connaissons votre engagement constant, depuis de longues années, dans la lutte contre la pauvreté et la précarité. Nous ne pouvons que saluer la sincérité et la force de vos convictions, mais nous avons également les nôtres, que nous allons nous attacher à défendre tout au long de ce débat : elles sont parfois proches des vôtres, parfois différentes, mais tendues vers le même objectif.

Vous avez affiché votre ambition de faire reculer la pauvreté de 30 % à l’horizon de 2012. Nous ne pouvons qu’être d’accord avec cet objectif ambitieux, dont la réalisation suppose une politique volontariste. Or je crains que le RSA n’y suffise pas.

Nous ne pouvons que souscrire à l’objectif général sous-tendant votre projet de loi, qui vise à permettre que chaque heure travaillée apporte un supplément de revenu. Nous partageons votre volonté de favoriser l’insertion des bénéficiaires de minima sociaux sans emploi et d’améliorer la situation financière des travailleurs pauvres.

Pourtant, le texte que vous présentez aujourd’hui devant le Sénat ne va pas sans poser de nombreux problèmes. Mes collègues du groupe socialiste qui interviendront après moi dans cette discussion générale reviendront sur certains points précis ; je souhaite, quant à moi, développer quelques remarques d’ordre plus général.

Première remarque, monsieur le haut-commissaire, il n’est pas possible de considérer votre projet de loi sans envisager le reste de la politique menée par le gouvernement auquel vous appartenez. Il n’est pas possible de déconnecter totalement le dispositif que vous nous présentez aujourd’hui des mesures prises par vos collègues, notamment en matière économique et en matière d’emploi.

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Jean-Pierre Godefroy. Avant même la crise financière et la récession économique qui menace maintenant notre pays, la politique de l’emploi menée par le Gouvernement a incontestablement contribué à la précarisation du travail et au développement de la pauvreté laborieuse.

Depuis 2002, les gouvernements de droite qui se sont succédé n’ont eu de cesse d’accroître la flexibilité du marché du travail, de dégrader les conditions de travail des salariés et de stigmatiser les chômeurs et les bénéficiaires de minima sociaux. Le gouvernement auquel vous appartenez persiste, avec le travail du dimanche qui sera encore plus déstabilisant pour les familles monoparentales. C’est une réalité que nous ne pouvons ignorer à l’heure où nous devons examiner ce projet de loi généralisant le RSA.

En effet, si le RSA permettra d’améliorer les conditions financières du retour à l’emploi, il ne facilitera pas, par lui-même, ce retour. Ce sont d’autres politiques qui y contribuent, notamment celles qui concernent les contraintes logistiques des familles, s’agissant par exemple de la garde des enfants ou des transports. À cet égard, la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale vient de démanteler le chèque-transport : voilà qui est significatif ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.) Au nombre de ces politiques figure également, bien sûr, une politique de l’emploi centrée sur le concept de « sécurité sociale professionnelle », c’est-à-dire un suivi individualisé, avec des supports logistiques pour la recherche d’emploi – ce qui renvoie aux moyens de la nouvelle agence pour l’emploi, encore inconnus – et une réforme de la formation professionnelle, que nous attendons toujours.

M. Guy Fischer. On va encore faire des économies là-dessus !

M. Jean-Pierre Godefroy. Ces sujets ont été abordés lors du Grenelle de l’insertion, mais force est de constater que le Premier ministre en a enterré les conclusions, puisque ces problématiques sont étrangères à votre texte.

Aujourd’hui, l’affaire se corse même un peu plus, puisque les prévisions de croissance et d’emploi sont catastrophiques. En ces temps de crise, le Gouvernement semble redécouvrir les vertus du traitement social du chômage et des emplois aidés, qu’il a tant décriés dans cet hémicycle. En septembre dernier, M. Laurent Hénart, qui fut en son temps secrétaire d’État à l’insertion professionnelle des jeunes, prétendait avoir anticipé le retour du chômage et prévu une enveloppe de 60 000 contrats aidés supplémentaires. Il est difficile d’en voir les effets, puisque 16 000 de ces contrats au moins ont été supprimés en août dans le secteur non-marchand ; quant au projet de loi de finances pour 2009, il prévoit bien une diminution du nombre des contrats aidés par rapport à 2008 !

C’est cette incohérence de la politique gouvernementale qui me fait douter des chances de réussite de votre dispositif. Les objectifs, certes louables, auxquels nous souscrivons totalement, sont incompatibles avec une politique économique fondée sur l’exploitation toujours accrue des salariés et sur l’attribution de cadeaux fiscaux de toutes sortes aux plus nantis.

Ma seconde remarque concerne l’expérimentation.

Avant d’être présenté au Parlement, le RSA a fait l’objet d’expérimentations locales : la première a commencé en juin 2007 dans l’Eure, les autres ont démarré entre novembre 2007 et mars 2008 dans trente-trois nouveaux départements, dont vingt-huit dirigés par la gauche, il faut le noter.

À la fin de juin 2008, ce sont près de 15 000 ménages qui expérimentaient le dispositif du RSA, chiffre à mettre en parallèle avec les plus de 3 millions de personnes qui seront concernées par les évolutions législatives que vous nous proposez aujourd’hui.

J’ajoute que chaque département a fait des choix différents et que les règles appliquées sont disparates, notamment en ce qui concerne le public éligible et le calcul du barème de l’incitation financière. Les premiers résultats semblent pourtant encourageants.

L’idée de faire précéder une grande réforme sociale d’expérimentations locales est très positive.

M. Jean-Pierre Godefroy. Ce qui l’est moins, c’est de ne pas avoir attendu la fin de ces expérimentations pour en proposer la généralisation.

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Jean-Pierre Godefroy. Cela aurait permis d’en faire une évaluation plus rigoureuse que celle dont nous disposons à ce jour. Le président du comité d’évaluation du RSA, M. François Bourguignon, a lui-même déclaré – et ses propos n’engagent bien sûr que lui –, dans Le Figaro du 9 septembre dernier, que « les premiers résultats obtenus étaient encore imprécis et provisoires », et que l’ « on a besoin de plus d’observations pour parvenir à une conclusion définitive. C’est pourquoi il est impossible, à ce stade, d’en extrapoler un résultat national. » Peut-être allez-vous pouvoir nous éclairer sur ce point, monsieur le haut-commissaire.

Tous les acteurs impliqués dans ces expérimentations revendiquent eux aussi de pouvoir aller au bout de leur démarche. Cela est nécessaire, selon eux, pour bien identifier les effets pervers et les carences du système, et modifier le dispositif en tant que de besoin. Aujourd’hui, vous leur coupez l’herbe sous le pied ; c’est dommage. Cependant, là encore, je suis convaincu, monsieur le haut-commissaire, que vous êtes contraint à cette rapidité par l’environnement politique qui imprègne ce gouvernement.

Monsieur le haut-commissaire, nous l’avons déjà dit et nous le redirons, les socialistes ne remettent pas en cause le principe du RSA.

D’abord, il y a une forme de cohérence à reconnaître qu’il représente une nouvelle étape dans un parcours engagé depuis vingt ans et qu’il s’inscrit dans le prolongement de dispositifs cherchant à favoriser le retour à l’emploi.

Ensuite, cette nouvelle étape est aujourd’hui nécessaire, compte tenu de la banalisation des situations de pauvreté dans notre pays, qui exige de nouveaux moyens.

Pour autant, le dispositif que vous nous proposez, indépendamment même du fait que d’autres politiques seraient nécessaires, présente des insuffisances et suscite des interrogations.

Dans les conditions actuelles, le RSA risque de susciter des trappes à précarité et à bas salaires. Tel qu’il est conçu, le RSA pourrait en effet favoriser le développement de l’emploi précaire, du temps partiel et, surtout, de la modération salariale, en en compensant les conséquences financières pour les salariés. Il y a là un risque extrêmement grave pour toutes les négociations salariales à venir.

C’est pourquoi le RSA ne trouve sa pertinence que s’il s’accompagne d’une politique du travail décent, agissant sur les causes de la pauvreté au travail sans se contenter de la compenser. Monsieur le haut-commissaire, la conjonction de la présentation du projet de loi en faveur des revenus du travail, que nous examinerons la semaine prochaine, et du processus de fixation du montant du SMIC ne peut que nous inquiéter.

Mme Raymonde Le Texier. Évidemment !

M. Jean-Pierre Godefroy. Lors de votre audition par la commission, je vous ai notamment demandé comment gérer la sortie du dispositif du RSA dans des secteurs où le travail à temps partiel est très répandu : magasins à grande surface, services à la personne, entre beaucoup d’autres. Les travailleurs de ces secteurs ont-ils vocation à rester au RSA durant toute leur vie professionnelle ? (Mme Raymonde Le Texier approuve.) Vous n’avez pas pu me répondre, parce qu’il manque à ce projet de loi un volet concernant les entreprises.

Pour éviter que le RSA ne constitue une trappe à précarité, le travail à temps très partiel subi doit être fermement découragé, par exemple par des majorations pénalisantes de cotisations sociales, comme c’est le cas au Royaume-Uni. C’est d’ailleurs ce que prévoyait le projet du parti socialiste et de sa candidate au second tour de l’élection présidentielle. C’est ce qui fait la différence entre le RSA dans la version promue par le Gouvernement et par Nicolas Sarkozy et celui que nous préconisons.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Nous en discuterons !

M. Jean-Pierre Godefroy. Il manque aussi à ce projet de loi des dispositions précises et fortes sur l’accompagnement social des bénéficiaires du RSA. Vous le savez parfaitement, la qualité de l’accompagnement social et professionnel sera déterminante dans la réussite du RSA, notamment pour faire accéder les actuels bénéficiaires du RMI à l’emploi.

Mais qu’en est-il des moyens affectés à cette mission-clé ? Les départements auront-ils les moyens d’une politique d’accompagnement personnalisé ? Le service public de l’emploi aura-t-il, lui aussi, les moyens d’accompagner les 300 000 à 400 000 personnes nouvelles qui vont s’inscrire sur les listes des demandeurs d’emploi ? Pour cela, il faudrait renforcer très sensiblement les moyens du service public de l’emploi, qui, aujourd’hui, ne sait pas, le plus souvent, comment réinsérer les personnes les plus éloignées de l’emploi. À défaut, la loi risque de ne pas donner tous ses fruits, faute de moyens d’application. Pouvez-vous nous apporter des réponses précises sur ce point ?

Le second problème que je souhaite mentionner a trait à ce qui m’apparaît comme un oubli, celui de la situation des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans. Vous tentez d’apporter une réponse,…

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. On a commencé à le faire !

M. Jean-Pierre Godefroy. … mais un peu tard. Il aurait également été souhaitable de mener l’expérimentation sur ce point dans plus d’un département.

Cela étant, l’oubli le plus manifeste concerne les personnes en situation de très grande exclusion.

Au travers de ce texte, monsieur le haut-commissaire, vous faites le pari de l’employabilité des personnes. Prendre ce pari est positif en soi, à condition qu’il ne soit pas exclusif. Chacun sait que de très nombreuses personnes sont très éloignées de l’emploi en raison de l’importance de leurs difficultés sociales ou de santé et de l’état du marché de l’emploi. Ces personnes ne tireront aucun bénéfice de la mise en place du RSA. Cette pauvreté-là, qui est la grande oubliée de votre texte, est pourtant cruellement d’actualité aujourd’hui. Il suffit d’entendre le témoignage des associations d’aide à la grande pauvreté, comme ATD Quart-Monde et bien d’autres, ou de voir ce qui se passe sur nos territoires.

Il manque en effet à ce projet de loi des mesures de revalorisation des minima sociaux. Vous n’ignorez pas que les revenus des plus pauvres se dégradent : depuis cinq ans, les minima sociaux – RMI, API, AAH et minimum vieillesse – ont beaucoup perdu de leur pouvoir d’achat par rapport au SMIC. Aujourd’hui, le montant du RMI ne représente plus que 60 % du seuil de pauvreté, contre 70 % en 1995.

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Jean-Pierre Godefroy. Contrairement à une idée reçue, les minima sociaux français sont sensiblement inférieurs à ceux des autres pays européens : le revenu garanti à une personne isolée est égal en France à 45 % du revenu médian, contre 50 % en Autriche, 60 % en Suède, au Danemark ou en Finlande, et 75 % au Royaume-Uni.

Ces exemples européens montrent qu’un niveau supérieur de minima sociaux ne décourage pas la réinsertion et que, au contraire, en maintenant les personnes privées d’emploi à un niveau d’employabilité correct, les minima sociaux facilitent la réinsertion.

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Jean-Pierre Godefroy. Rien ne justifie qu’une société riche ne garantisse pas un niveau de vie décent à tous ses membres. Il nous semble que le revenu garanti par le RMI ou, demain, par le RSA à ceux qui ne travaillent pas devrait atteindre le seuil de pauvreté, en tenant compte de l’ensemble des prestations. Au lieu de cela, l’intensification de la pauvreté chez les plus pauvres est en passe de devenir une exception française.

Avant de conclure, je voudrais dire quelques mots sur la réforme des politiques d’insertion, un volet du texte que l’on a parfois tendance à oublier et qui pourtant est très important.

Les acteurs concernés considèrent unanimement que les mesures prévues au titre III du projet de loi sont très en deçà des conclusions du Grenelle de l’insertion. Pour quelles raisons certaines dispositions du titre III sont-elles contraires au résultat unanime de la concertation ? Quelles raisons ont présidé à ces arbitrages ? Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen des articles.

Monsieur le haut-commissaire, je voudrais bien savoir ce que viennent faire dans ce texte les articles 13 bis et 13 ter, introduits à l’Assemblée nationale. Ce sont des « cavaliers », dont le bien-fondé me paraît tout à fait contestable.

M. Guy Fischer. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Godefroy. L’article 13 bis prévoit qu’un employeur puisse s’acquitter partiellement de l’obligation d’emploi en accueillant en stage des personnes handicapées, dans la limite de 2 % de l’effectif total des salariés de l’entreprise.

Il me semble particulièrement malvenu d’assouplir cette obligation d’emploi alors que les associations de défense des personnes handicapées nous rappellent régulièrement à quel point celles-ci peinent à s’insérer sur le marché du travail, les employeurs préférant payer les amendes prévues plutôt que de remplir leurs obligations légales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Dois-je vous rappeler les dérives constatées dans l’utilisation des stages par certains employeurs, des stagiaires ne servant qu’à pourvoir des postes de travail à moindre coût ?

Par ailleurs, il me semble malvenu d’inclure les stagiaires handicapés dans le calcul des effectifs de l’entreprise, alors que les stagiaires non handicapés ne sont pas pris en compte. En tant qu’auteur d’une proposition de loi débattue ici même, malheureusement sans succès, visant à organiser le recours aux stages, j’y reviendrai, soyez-en sûr, lors de l’examen de ces articles. J’espère, monsieur le haut-commissaire, que vous soutiendrez nos amendements de suppression.

Nous aurions aimé pouvoir souscrire à ce texte ; vous aurez compris, monsieur le haut-commissaire, qu’il faudrait redresser singulièrement la barre pour que cela soit possible. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Monsieur Godefroy, vous avez dépassé de quatre minutes votre temps de parole.

M. Jean-Pierre Sueur. Un peu de mansuétude, monsieur le président, eu égard à la qualité du propos !

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.

M. Jean Boyer. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, le lien social apporte indiscutablement à l’homme une raison d’être, une assurance supplémentaire donnant à la solidarité tout son sens.

L’insertion, c’est l’exemple même de la main tendue à celles et à ceux qui ont besoin, un jour ou l’autre, de s’appuyer sur une force émancipatrice. Reconnaissons ensemble aujourd’hui que, s’il n’y avait pas en France cet esprit de partage dans la société, il manquerait à celle-ci quelque chose de fondamental : sa cohésion. C’est un point à ne pas oublier.

Avec les membres du groupe de l’Union centriste, j’ai, sur le fond, toutes les raisons de saluer le projet de loi dont nous entamons aujourd’hui l’examen.

Ce texte répond en effet à un besoin vital pour un nombre grandissant de nos concitoyens, qui, éloignés de l’emploi, éprouvent des difficultés croissantes à se réinsérer. Hélas, les événements financiers récents et l’évolution très préoccupante de l’économie ne permettent pas d’envisager, à court terme, d’amélioration spontanée de leur situation.

C’est la raison pour laquelle il faut agir. Agir, c’est faire en sorte que notre système de minima sociaux incite réellement à la reprise d’activité. Agir, c’est aussi simplifier l’architecture générale des politiques de l’insertion. Or c’est exactement ce que prévoit le présent projet de loi.

Le revenu de solidarité active réforme en profondeur l’incitation à la reprise d’emploi. Avec le revenu de solidarité active, il n’y aura plus d’effets de seuil, puisque son montant sera le même pour toute reprise d’emploi et qu’il sera pérenne. Le revenu de solidarité active profitera aussi à tout travailleur modeste, et non plus au seul public jusqu’ici allocataire du revenu minimum d’insertion ou de l’allocation de parent isolé.

Enfin, l’aide sera centrée sur les publics les plus éloignés de l’emploi, dont la réinsertion est souvent progressive.

Toutefois, il nous faut être réalistes : nous savons que tous les bénéficiaires du RSA ne seront pas employables et ne pourront pas entrer dans la logique du retour vers l’emploi.

La présente réforme simplifiera aussi énormément les politiques de l’insertion, en fusionnant le revenu minimum d’insertion et l’allocation de parent isolé et en créant un contrat unique d’insertion : plus de lisibilité, pour plus d’efficacité.

Vous me permettrez, monsieur le haut-commissaire, d’achever ce panorama positif par un petit « cocorico » centriste : nous pouvons constater avec fierté que deux importantes propositions faites par des membres de notre groupe sont reprises in extenso dans votre texte. Michel Mercier, Joseph Kergueris, le président de la commission des affaires sociales, Nicolas About, et Jacqueline Gourault peuvent en témoigner.

Dans son rapport du 18 mai 2005, Valérie Létard, qui, avant d’entrer au Gouvernement, était membre du groupe de l’Union centriste du Sénat, préconisait le passage d’une logique de statut â une logique de revenus pour l’attribution des droits sociaux aujourd’hui liés aux minima. Le présent projet de loi met en œuvre cette proposition.

Il en est de même pour ce qui concerne la proposition formulée par M. Michel Mercier de fusionner le revenu minimum d’insertion et l’allocation de parent isolé dans son rapport du 16 décembre 2005 sur les droits et devoirs des bénéficiaires des minima sociaux. Cette fusion sera opérée dans le revenu de solidarité active.

Si, sur le fond, nous considérons par conséquent que le présent projet de loi constitue une réelle avancée, il reste cependant à aborder la délicate question de son financement.

Monsieur le haut-commissaire, il y a bien, selon nous, matière à porter sur la question du financement un regard plutôt globalement positif : avant de parler des modalités du financement, force est d’abord de constater que cette réforme est bel et bien financée !

Qu’il en soit ainsi dès la présentation du texte pourrait paraître évident à un profane. Mais combien de mesures avons-nous examinées et votées dont le financement n’était pas d’emblée assuré ? Comme vous l’avez tous deviné sur les différentes travées de cette assemblée, je pense à l’allocation personnalisée d’autonomie : le législateur a dû intervenir a posteriori afin d’assurer le financement, lequel se révèle, je le fais remarquer sans la moindre intention de polémique partisane, insuffisant, ô combien, pour certains départements.

Pour le RSA, cela ne sera pas le cas, ce qui témoigne d’une véritable responsabilité législative. Mais, si la mesure est financée, les modalités mêmes de son financement ont fait couler beaucoup d’encre et suscité de vives polémiques.

Cette affaire prouve une fois de plus à quel point un assainissement de nos finances publiques est urgent et indispensable. En l’absence d’une vraie lutte structurelle contre l’endettement et les déficits, le même cercle vicieux se reproduira : il faudra décider de nouvelles ponctions pour financer toute nouvelle mesure, c’est-à-dire étrangler un peu plus une économie déjà oppressée et qui n’en peut plus d’être pressurée. C’est en tout cas ce que nous observons.

Dans ce contexte, entre plusieurs maux, restait à choisir le moindre. Notre sentiment général sur les arbitrages faits jusqu’ici est que, à partir d’un mauvais départ, le tir a été correctement rectifié.

De prime abord, je le dis franchement, nous étions défavorables au financement exclusif du revenu de solidarité active par la création d’un prélèvement supplémentaire de 1,1 % sur les revenus du capital et du patrimoine.

Taxer le capital et le patrimoine, cela signifie taxer les assurances vie, les revenus locatifs, les plans d’épargne logement. Autrement dit, ce prélèvement frappe de plein fouet les classes moyennes, et elles seules.

Il ne nous semblait pas équitable que seules ces dernières supportent la charge du financement de cette réforme de solidarité sans que les plus aisés, protégés par le bouclier ou les niches fiscales, y contribuent.

C’est pourquoi, nous pensions, avec nos collègues députés membres du Nouveau Centre, que le nouveau prélèvement devait être exclu du bouclier fiscal. Finalement, ce n’est pas la solution qui a été retenue par l'Assemblée nationale. Mais j’ai appris qu’il y avait eu la nuit dernière une avancée positive.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté. Absolument !

M. Jean Boyer. Attendons la suite ! Nous sommes très favorables au plafonnement des niches fiscales. Certains d’entre nous, à l’instar de notre collègue Jean Arthuis, éminent président de notre commission des finances, dont la compétence en matière de finances est reconnue bien au-delà de cet hémicycle, le demandaient depuis longtemps.

Le bouclage financier, tel qu’il est actuellement déterminé dans le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, nous paraît équilibré, d’autant plus d’ailleurs que, à terme, le plafonnement des niches pourrait remplacer le prélèvement de 1,1 % ou permettre d’envisager une réduction du taux de cette taxe.

Reste, monsieur le haut-commissaire, à obtenir une garantie qui nous tient à cœur : que le revenu de solidarité active n’engendre pas de « dommages collatéraux » pour les départements en termes de charges indues.

M. Jean Desessard. Pas de bouclier, là !

M. Jean Boyer. Je voudrais terminer sur une note positive. Nous nous félicitons de ce que les députés de notre sensibilité aient pu faire inscrire dans la loi le principe selon lequel l’État compensera intégralement aux départements les charges supplémentaires liées à la mise en œuvre de la mesure. C’est pour nous un élément à la fois fondamental et élémentaire. Je pense en particulier à mon département, la Haute-Loire, mais ce n’est pas le seul !

J’aurais voulu évoquer, monsieur le haut-commissaire, la situation des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans, que nous ne devons pas oublier. Mais, par correction vis-à-vis de mes collègues et pour respecter mon temps de parole, je vais conclure en soulignant que, si nous sommes bien sûr favorables à la réforme que vous portez, nous n’en sommes pas moins attachés à l’octroi de solides garanties financières aux départements. Autrement dit, ce n’est pas parce que l’on soutient une équipe que l’on doit négliger la gestion du club ! (Sourires.)

Nous œuvrons tous pour atteindre cet objectif, si précieux pour la gestion de nos départements. Acceptez, mes chers collègues, que je termine par ce message sur la question de l’organisation d’un tel outil en citant Jean-François Malherbe, docteur en philosophie : « La méthodologie est une carte routière : elle nous indique où sont les routes et les chemins de traverse, mais elle ne nous indique en aucun cas où aller ». Avec le revenu de solidarité active, non seulement la voie est ouverte, mais la direction est tracée. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Gélita Hoarau.

Mme Gélita Hoarau. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, de tous les départements de la République, la Réunion connaît le taux de chômage le plus élevé, avec près de 30 %. Ce taux risque de bondir si les règles de défiscalisation actuellement en vigueur venaient à disparaître. C’est l’un des enjeux du projet de loi de finances poux 2009 et du projet de loi pour le développement économique de l’outre-mer.

Selon les chefs d’entreprise, la remise en cause de ce système de défiscalisation, même si l’on ne doit pas ignorer les dérives qu’il génère, et qu’il faut corriger, entraînerait non seulement la faillite d’un grand nombre d’entreprises, mais aussi le licenciement de 9 000 à 10 000 travailleurs !

Par ailleurs, la situation sociale dans mon département est dramatique. Les chiffres officiels font apparaître que plus d’un Réunionnais sur deux vivent au-dessous du seuil de pauvreté, 52 % exactement. Sur une population de 780 000 habitants –  un million dans vingt ans –, 350 000 personnes relèvent de la CMU, 186 000 personnes vivent du RMI. Près de 30 000 foyers sont dans l’attente d’un logement social. Enfin, la Réunion compte 130 000 illettrés, et le coût de la vie y est bien plus élevé qu’en métropole.

De plus, l’avenir suscite l’inquiétude. C’est l’incertitude quant au sort de l’octroi de mer ; c’est la renégociation des accords sucriers en 2013 ; c’est le maintien ou non de la Réunion dans l’objectif 1 pour les fonds structurels européens ; c’est la signature des accords de partenariat économique entre l’Union européenne et les États ACP de notre région.

C’est dans ce contexte plein de difficultés que l’on devra élaborer et mettre en œuvre la loi généralisant le RSA.

Ce texte doit viser, notamment, à lutter contre la pauvreté, en respectant le droit au travail des personnes qui sont privées d’emploi et à valoriser l’activité professionnelle par une rémunération décente.

En métropole, où le tissu marchand est dense, on peut concevoir un retour massif à l’emploi dans ce secteur. La situation est tout autre à la Réunion : le secteur marchand y est bien moins développé et ne peut pas accueillir des milliers de chômeurs. C’est la raison pour laquelle nous formulons des propositions spécifiques en faveur de la Réunion.

Nous avons un besoin urgent et massif de main-d’œuvre dans deux secteurs d’activité essentiels : l’environnement et le service à la personne.

En matière d’environnement, tout d’abord, nous le savons, la Réunion dispose encore d’une biodiversité riche et unique au monde. L’Union européenne a déjà souligné la contribution très importante de notre île au patrimoine mondial de la biodiversité et l’urgence de mener des actions de masse pour préserver la richesse de ce patrimoine gravement menacé.

Sa sauvegarde et sa mise en valeur nécessitent la création de milliers d’emplois, notamment dans le parc national de la Réunion, qui recouvre une bonne partie du territoire de l’île, et dans le parc marin. Il en est de même pour la collecte, le tri systématique et la valorisation des déchets. C’est tout cela que j’englobe dans ce que j’appelle le secteur de l’environnement. On pourrait y ajouter d’autres activités, mais je ne prétends pas être exhaustive.

Nous proposons de créer pour ce domaine un véritable service public qui mobiliserait des milliers de jeunes susceptibles d’entrer dans le champ d’application du RSA.

Pour l’aide à la personne, ensuite, un autre service public pourrait également être créé. À la Réunion, les offres d’accueil et d’encadrement pour les personnes âgées, les personnes handicapées, la petite enfance, sont dramatiquement insuffisantes. Il est indispensable de donner à cette population fragile les moyens nécessaires pour vivre décemment, si l’on veut assurer la cohésion sociale. Dans ce secteur aussi, les besoins en emplois se chiffrent par milliers. Et seule la création d’un service public permettrait de satisfaire les demandes et de ne laisser personne sur le bord du chemin.

La création de ces deux grands services publics, qui pourraient générer de manière pérenne plusieurs dizaines de milliers d’emplois, suppose des actions de formation adéquates, une gestion transparente et paritaire afin d’éviter ce que le préfet de la Réunion a appelé « les emplois-magouilles ». Elle nécessite également une mobilisation de tous les outils financiers existants : ceux du RMI, des emplois aidés, des emplois verts, des crédits supplémentaires prévus au RSA, notamment.

À ces crédits peuvent s’ajouter, pour le service d’aide à la personne, une contribution de la caisse d’allocations familiales et de la caisse de sécurité sociale.

Monsieur le haut-commissaire, la création de ces deux grands services publics est une expérience qui mérite d’être menée à la Réunion, en vertu du droit constitutionnel à l’expérimentation. Elle répond à des besoins urgents de notre population et elle peut atteindre l’objectif que vous vous fixez dans ce projet de loi : donner une perspective d’insertion avec un revenu décent pour le plus grand nombre.

À mon avis, on peut trouver les moyens de cette création sans qu’il soit nécessaire de demander à l’État un effort financier exorbitant, même s’il doit être raisonnablement sollicité puisqu’il s’agirait surtout d’un redéploiement de fonds déjà existants.

L’état d’urgence dans lequel se trouve l’emploi à la Réunion, ne nous permet pas d’attendre 2011, comme le prévoit l’article 15. Mettons en œuvre dès maintenant, à travers ce texte, cette action expérimentale de création de ces deux services publics.

Accepteriez-vous, monsieur le haut-commissaire, que nous introduisions ce débat, donc cette demande, lors de la discussion du projet de loi pour le développement économique de l’outre-mer ?

Bien évidemment, et je termine sur cette remarque, ces propositions ne peuvent constituer les seules réponses au problème de l’emploi à la Réunion. Comme partout ailleurs, nous devons faire face aux grands défis mondiaux tels que la crise énergétique, les changements climatiques ou la flambée des prix des matières premières.

Relever ces défis exige de développer des secteurs porteurs d’emplois dans des domaines aussi variés que les énergies renouvelables, les grands chantiers de déplacement comme le tram-train, la recherche-développement, la santé, les technologies de l’information et de la communication.

Tous ces projets contribueront à sortir la Réunion de la crise par le haut, en nous appuyant sur une jeunesse toujours plus nombreuse et de mieux en mieux formée.

Dans l’immédiat, nous devons répondre aux attentes des plus démunis. C’est l’objectif déclaré de votre projet de loi. C’est pour cela que j’insiste sur les propositions que je viens de formuler, dans l’espoir d’être entendue. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste.)