Mme la présidente. La parole est à M. Guy Fischer, sur l'article.

M. Guy Fischer. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, l’article 2, pierre angulaire du projet de loi, prévoit le remplacement de l’API et du RMI par le RSA et détaille les modalités de sa mise en œuvre. Il s’appuie sur la proposition de loi déposée par notre collègue Michel Mercier.

Cet article très long détaille les principales dispositions relatives au RSA et affiche l’objectif de « faire des revenus du travail le socle des ressources des individus ». Qui ne souscrirait pas à une telle mesure ?

Mais, à y regarder de plus près, on s’aperçoit que les conséquences, tant pour ces « allocataires-salariés » que pour le marché du travail, seront lourdes.

Je m’attacherai d’abord aux conséquences pour les futurs allocataires salariés, présentés implicitement – nous l’avons souvent entendu dans cet hémicycle ! – comme des profiteurs du système. Les bénéficiaires du RMI « profitent » de quelque 440 euros par mois, alors qu’il s’agit pour nombre d’entre eux de survivre, tandis que les quelques familles les plus riches voient leurs revenus exploser et ne profiteraient pas du système !

Dans la droite ligne des textes qui nous ont été soumis ces derniers mois, notamment celui du projet de loi instaurant la notion d’« offre raisonnable d’emploi », il s’agit implicitement d’accuser les salariés privés d’emploi d’être des « chômeurs volontaires », pour lesquels il faudrait multiplier les contrôles et les pressions, afin qu’ils acceptent n’importe quel travail.

Ce texte sonne également comme la condamnation des « assistés », accusés d’être des « parasites » vivant aux crochets de « la France qui se lève tôt » ! Ainsi, alors que le RMI est un dispositif dont l’objectif est d’accompagner financièrement un retour à l’emploi, le RSA est censé soutenir durablement un revenu d’activité faible, quand bien même celui-ci ne permettrait pas à ses « bénéficiaires » de vivre dignement.

Le RSA se réduit-il à n’être que la mise en œuvre de l’obligation absolue de travailler à n’importe quel prix, pour être socialement respectable, et ce au détriment de la dignité humaine ?

Nous l’affirmons solennellement, ce dispositif sera également lourd de conséquences pour le marché du travail, car il contribue à transformer la norme de l’emploi. En effet, contrairement au mécanisme d’intéressement du RMI, qui est transitoire, celui du RSA est pérenne ! Ainsi, en agissant comme une subvention permanente aux très bas salaires, c’est-à-dire, pour l’essentiel, au temps partiel contraint, de fait massivement réservé aux femmes, il institutionnalise la précarité.

L’absence d’obligations pour les employeurs dans ce dispositif va renforcer cette tendance. Les retours des expérimentations ne nous trompent pas. Certes, comme l’indique l’exposé des motifs, et comme s’est plu à nous le rappeler M. le haut-commissaire, « près d’une année d’expérimentation apporte des informations positives avec des taux d’emploi supérieurs de 30 % en moyenne à ceux que l’on constate dans les zones témoins ». Mais de quels emplois s’agit-il ? D’un emploi à durée indéterminé fermement encadré par le droit du travail et couvert par la protection sociale ? Pas du tout ! Selon le rapport d’étape du comité d’évaluation des expérimentations de septembre 2008, il s’agit, pour environ un tiers, de contrats aidés et, pour un quart, de CDD de moins de six mois ou d’intérim.

Au final, l’idéologie libérale qui imprègne ce texte, en rabaissant le seuil d’exigence qui commande l’accès au travail et en faisant du travail précaire la nouvelle norme de l’emploi, conduira peut-être l’économie à la pleine activité, mais certainement pas au plein emploi. La différence est majeure ! Quand la première permet aux individus d’être autonomes économiquement et socialement et de vivre dignement, le second relègue l’individu au nouveau statut de « travailleur pauvre », qui s’installe pas à pas dans notre paysage social.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, sur l'article.

M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, si nous avons souhaité prendre la parole préalablement à l’examen de l’article 2 - par ailleurs très long, comme l’a rappelé mon collègue Guy Fischer -, c’est pour exprimer l’opposition des sénateurs socialistes à l’intégration, au sein du bouclier fiscal, de la taxe sur les revenus du capital.

À l’occasion de son discours prononcé le 28 août dernier à Changé, en Mayenne, le Président de la République a annoncé la création d’une nouvelle taxe sur les revenus du patrimoine et des placements pour financer la généralisation du revenu de solidarité active. Après avoir voulu supprimer la prime pour l’emploi, proposition à laquelle les parlementaires socialistes se sont, à juste titre, opposés, le Gouvernement et le Président de la république ont dû faire marche arrière.

Ce fut d’autant plus difficile que le Président de la République avait fait de la baisse des prélèvements obligatoires - quatre points de moins en cinq ans - l’une de ses grandes promesses de campagne afin, disait-il, de rendre de l’argent aux Français !

Depuis deux ans, les Français doivent se rendre à l’évidence : ils n’auront ni l’augmentation du pouvoir d’achat, ni la baisse des impôts !

Si nous ne sommes pas opposés, dans son principe, à cette nouvelle taxe, nous ne manquons pas de souligner que, pour nombre de personnes âgées qui disposent de petites retraites et de quelques revenus du capital, cette taxe constituera une ponction supplémentaire sur leur faible pouvoir d’achat alors que, dans le même temps, les retraites stagnent.

D’autres sources de financement auraient pu être trouvées, comme par exemple la taxation des stocks-options selon le régime commun, que nous avons souvent demandée, et qui rapporterait trois milliards d’euros à l’État. Mais, pour l’instant, la majorité ne veut pas en entendre parler.

Surtout, les contribuables ne seront pas logés à la même enseigne selon qu’ils bénéficient ou non du bouclier fiscal. C’est sans doute l’élément le plus choquant de votre dispositif.

En effet, malgré les trop nombreux et injustes cadeaux fiscaux votés au cours de l’été 2007, accordés aux contribuables les plus riches, le Président de la République confirme aujourd’hui ses choix politiques et multiplie les avantages.

Bien qu’il estime – je cite son discours d’août dernier - « qu’il n’est pas anormal, après avoir supprimé les droits de succession, [...] après avoir permis la défiscalisation de l’ISF - pour près d’un milliard d’euros en 2008 -, après avoir organisé le bouclier fiscal », de créer une nouvelle taxe pour financer le RSA, le Président de la République n’oublie pas d’inclure cette taxe dans le bouclier fiscal, afin de permettre à ses bénéficiaires de s’exonérer du paiement de cette taxe et, par là même, de ne pas participer à l’effort de solidarité nationale.

Ainsi, plus on est riche dans ce pays, moins on contribue à la solidarité nationale !

Opposés au principe même du bouclier fiscal, les socialistes sont vivement opposés à ce financement socialement injuste. Ils refusent que la nouvelle taxe soit intégrée dans le bouclier fiscal, au motif qu’une fois de plus les contribuables les plus aisés échapperaient au financement de la solidarité nationale.

A l’inverse, une fois de plus, la création de cette taxe a donné lieu à une cacophonie importante au sein du Gouvernement et de la majorité. La confusion persiste d’ailleurs au sein de cet hémicycle. En effet, comme la suite de la discussion nous le montrera, des sénateurs de la majorité réclament l’exclusion de cette taxe du bouclier fiscal ; je pense notamment à l’amendement déposé par M. Fouché, sénateur de la Vienne.

Vous-même, monsieur le haut-commissaire, aviez déclaré le 28 août dernier que cette taxe serait exclue du bouclier fiscal. La ministre de l’économie, Mme Christine Lagarde, qui n’en est pas à une contradiction près, vous avait alors contredit en confirmant la logique du bouclier fiscal et en envisageant, dans le même temps, l’allégement de l’imposition sur les patrimoines. Ce gouvernement ne manque décidément pas d’idées, surtout lorsqu’il s’agit de favoriser les plus riches au détriment des plus démunis !

Or il est indispensable de souligner que l’intégration du RSA dans le bouclier fiscal entraîne tout de même un coût supplémentaire pour l’État, via le remboursement aux bénéficiaires de plus de 40 millions d’euros. Autant d’argent qui ne servira ni au financement de l’action sociale, ni à l’insertion des plus exclus de ce pays !

Bien entendu, monsieur le haut-commissaire, vous nous répondrez que le bouclier fiscal ne bénéficie pas seulement aux plus aisés, en vous appuyant sur les chiffres délivrés par le ministère de l’économie. Néanmoins, sur les 23 000 demandes de remboursement effectuées en 2007, le ministère n’en a analysé qu’un peu plus de 13 000.

En réponse à M. de Montesquiou, je tiens à préciser que, si un peu plus de 10 000 foyers au revenu mensuel inférieur à 1000 euros ont reçu un droit à restitution moyen de 1960 euros, pour un total de 20 millions d’euros, environ 2250 foyers au revenu mensuel supérieur à 3500 euros ont bénéficié pour leur part d’un remboursement moyen de 85 000 euros, soit un montant total qui dépasse les 190 millions d’euros. On le voit, le bouclier n’a pas la même force pour tous !

Quant aux 10 000 autres bénéficiaires, le silence de l’administration reste total, ce qui pourrait laisser supposer des droits à restitution plus élevés encore.

M. Guy Fischer. Eh oui !

M. Jean-Pierre Godefroy. Non, monsieur le haut-commissaire, le Gouvernement n’arrivera pas à donner à cet avantage fiscal l’apparence d’un bouclier social au bénéfice des plus défavorisés !

C’est la raison pour laquelle, je le répète, nous sommes vivement opposés à l’intégration de la nouvelle taxe au sein du bouclier fiscal et que nous vous proposerons, dans la suite de la discussion, la suppression de cette mesure. C’est une question de justice sociale ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Peut-être…

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Virapoullé, sur l'article.

M. Jean-Paul Virapoullé. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, il est temps de rassurer les 150 000 bénéficiaires du RMI dans les départements d’outre-mer.

L’article 2 du projet de loi vise à réécrire les articles L. 262-1 et suivants du code de l’action sociale et des familles et l’article 15 précise que des ordonnances d’adaptation devront être prises dans un délai de dix-huit mois pour que ce texte puisse s’appliquer outre-mer.

En toute logique, si la loi ne s’applique pas outre-mer, les articles 2 et suivants ne s’appliquent pas. Ainsi, faute de base légale, ceux qui, aujourd’hui, perçoivent le RMI dans les départements d’outre-mer sur le fondement des articles L. 262 1 et suivants du code de l’action sociale et des familles ne pourront plus, demain, percevoir cette allocation, pourtant si vitale pour eux. La loi ne peut être virtuelle, elle doit être écrite.

Monsieur le haut-commissaire, je ne peux donc pas voter cette loi en l’état actuel, car elle aurait pour conséquence de placer 130 000 familles ayant droit au RMI sous le couperet d’une décision d’un tribunal administratif. Une personne de mauvaise foi pourrait intenter un recours contre le versement du RMI à ces foyers, et le tribunal serait bien obligé de reconnaître que, dans les quatre départements d’outre-mer, le RMI est alloué sans base légale.

Dans la vie, monsieur le haut-commissaire, on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre !

Soit vous appliquez la loi à l’outre-mer à titre expérimental, en préservant les autres formes d’intégration pendant un an et, au terme de cette période, vous mesurez l’impact de ces mesures et mettez en œuvre les adaptations nécessaires.

Soit vous n’appliquez pas la loi tout de suite, mais vous devez combler ce vide juridique par un amendement pour que les articles L. 262-1 et suivants du code de l’action sociale et des familles s’appliquent à l’outre-mer en attendant la promulgation des ordonnances fixant les modalités d’application du RSA dans ces collectivités. Dans ce cas, je pourrai faire un pas dans votre sens, sinon je resterai bloqué ; je ne suis pas borné, je suis juste objectif !

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Pour compléter les propos de notre collègue Jean-Pierre Godefroy sur le bouclier fiscal, je voudrais lui dire que nous devons, les uns et les autres, rester très humbles par rapport à ces notions de « bouclier » ou de « parapluie » fiscal.

En ces temps de crise financière causée en partie par la cupidité d’un certain nombre d’opérateurs financiers, je tenais, mes chers collègues, à vous remémorer certains textes fiscaux adoptés sous d’autres majorités.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je pense en particulier à une circulaire ministérielle du 28 mars 2002 réglant le statut fiscal des rémunérations des monteurs d’opérations LBO. Il s’agit d’investisseurs qui se spécialisent dans le rachat de PME dont le dirigeant prend sa retraite sans avoir de successeur. Ils prennent alors quelques dispositions pour donner meilleure allure à l’entreprise, puis la revendent trois ou quatre ans plus tard. Ces investisseurs, qui dépendent de grands groupes financiers, perçoivent une rémunération correspondant à 20 % de la plus-value réalisée.

M. Jean Desessard. Exactement !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Jusqu’à une période récente, je pensais que cette rémunération, distribuée sous forme de bonus, et qui peut atteindre plusieurs millions d’euros, était traitée comme un salaire et soumise, de ce fait, aux cotisations sociales et à l’impôt sur le revenu.

Mme Raymonde Le Texier. Pas du tout !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. En effet, une circulaire du 28 mars 2002 signée, à la veille de l’alternance, par MM.  Fabius et Jospin, a réglé le sort de ces revenus en les soumettant à un impôt forfaitaire de 16 %, l’imposition de régime commun ayant sans doute été jugée excessive. C’est donc une sorte de parapluie fiscal !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Aïe !

Mme Raymonde Le Texier. La droite nous a largement battus depuis !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. J’ai dit cela pour que chacun comprenne que, dans des contextes particuliers, on peut juger bon de prendre des dispositions dérogatoires au droit commun. Il s’agissait peut-être, à l’époque, d’éviter l’exil de ces opérateurs imaginatifs même si, en l’occurrence, les risques qu’ils prennent sont limités, puisqu’ils ne portent pas eux-mêmes l’investissement.

Je livre cet exemple pour vous permettre, mes chers collègues, de relativiser certains propos que vous ne manquerez pas d’entendre dans la suite du débat. Sur le fond, je vous renvoie à ce que j’ai dit hier à la tribune, lors de la discussion générale. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. Jean Desessard. C’est une attaque frontale ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Adnot, sur l'article.

M. Philippe Adnot. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, je n’ai pas pris la parole hier. J’ai bien fait, car j’avais des doutes sérieux sur ce texte. !

Vous avez un cabinet redoutable, monsieur le haut-commissaire ! (Sourires.) Vos collaborateurs ont passé un certain temps à me donner des explications. Je voudrais néanmoins vous interroger afin que tout soit clair dans mon esprit.

J’avais calculé qu’un salarié à mi-temps payé au SMIC et touchant le RSA, avantages compris, gagnerait plus que celui qui touche un SMIC en travaillant à temps complet dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Mais non !

M. Philippe Adnot. Votre cabinet m’a expliqué que le RSA serait aussi versé à ceux qui travaillent à temps plein et qui perçoivent jusqu’à 1,2 SMIC.

M. Nicolas About. Absolument, le pourcentage varie !

Mme Bernadette Dupont, rapporteur. Si vous aviez lu notre rapport !

M. Philippe Adnot. Monsieur le haut-commissaire, pouvez-vous me confirmer ces informations ?

Jusqu’à présent, je pensais que le RSA visait les personnes qui reprenaient un emploi. Il n’avait pas été dit clairement qu’il concernait tous les travailleurs, même ceux en CDI.

On semble penser aujourd’hui qu’un contrat à durée indéterminée n’est pas suffisant pour vivre. Alors, plutôt que d’augmenter le SMIC, on décide de nationaliser les bas salaires.

Je souscris entièrement aux propos qu’ont tenus certains dans cet hémicycle : avec le RSA, nous allons carrément changer de société et non pas, comme d’autres le prétendent, rétablir la valeur travail. Pour quelqu’un qui se trouve dans la situation que je viens d’évoquer, ce n’est plus son salaire qui sera déterminant dans son revenu, mais l’ensemble des prestations qui s’y ajouteront, y compris le RSA.

Je ne suis pas sûr, mes chers collègues, que vous ayez tous bien compris les conséquences sur la société de ce que nous nous apprêtons à mettre en place.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Nous avons surtout compris que nous traversions une crise !

M. Philippe Adnot. Monsieur le haut-commissaire, le RSA sera aussi attribué aux titulaires d’un contrat à durée indéterminée rémunérés au SMIC.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oui !

M. Philippe Adnot. Aussi, je vous pose la question suivante : combien les allocataires du RSA seront-ils ? Il avait été évoqué un effectif double de celui des bénéficiaires réunis du RMI et le l’API, mais je constate que nous ne sommes plus dans cet ordre de grandeur.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il y aura un écrêtement !

M. Philippe Adnot. En outre, confirmez-vous, monsieur le haut-commissaire, que les caisses d’allocations familiales devront recruter 2 000 personnes pour gérer le RSA ? D’ores et déjà, certaines d’entre elles ont demandé au conseil général de financer ces postes supplémentaires.

De votre réponse à ces différentes questions dépendra mon attitude ultérieure, monsieur le haut-commissaire.

M. Guy Fischer. Pour une fois, nous sommes d’accord avec vous ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. Une partie de l’article 2 est consacrée aux sanctions et à l’arrêt du RSA. Cette question est centrale et elle déterminera largement la philosophie réelle du RSA.

Il existe aujourd’hui deux pratiques et deux logiques.

D’une part, il arrive déjà aux présidents de conseil général de supprimer parfois le versement du RMI, soit en raison de malveillances, soit en raison de fraudes. Sauf cas particulier – on pense à la situation des Britanniques dans le sud-ouest de la France, qui a fait l’objet d’articles de presse –, les cas de fraude ne sont jamais supérieurs à 2 % de l’ensemble des dossiers.

D’autre part, il faut bien évoquer la loi du 1er août 2008 relative aux droits et aux devoirs des demandeurs d’emploi. Il est à craindre que la logique qui sous-tend ce texte s’applique aussi au RSA. Certes, monsieur le haut-commissaire, les propos que vous avez tenus hier nous ont largement rassurés, mais ceux-ci sont fort éloignés du texte tel qu’il a été voté par l’Assemblée nationale.

M. Guy Fischer. Il faut lire le texte, en effet !

M. Yves Daudigny. Sa rédaction est totalement inacceptable. En particulier, nous ne pouvons admettre que le président du conseil général doive motiver son refus de suspendre le versement en cas de fraude ou de malveillance.

Si la lettre et l’esprit de ce projet de loi devaient demeurer inchangés, le RSA perdrait une grande partie, sinon la totalité de sa dimension de solidarité et il ne deviendrait plus qu’un instrument de contrôle des personnes en recherche d’emploi, un instrument de sanctions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il faut lire les rapports de la commission et écouter M. le haut-commissaire ! Il a déjà été répondu à toutes ces questions !

Mme la présidente. La parole est à M. le haut-commissaire.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Je vais m’efforcer de remettre en perspective l’ensemble de ce projet de loi, ainsi que vous en avez manifesté le souhait, les uns et les autres.

Monsieur Godefroy, votre intervention portait essentiellement sur le bouclier fiscal. Comme vous l’avez tous souligné, cet article 2 est extrêmement important. Il vise à transformer les minimas sociaux et les mécanismes d’intéressement temporaires en un revenu de solidarité active, de manière que ses bénéficiaires se retrouvent sur des pentes plutôt ascendantes que descendantes. Ce dispositif a été travaillé, malaxé, réfléchi, expérimenté.

Le bouclier fiscal a retenu toute votre attention. Beaucoup a été dit sur ce bouclier, parfois avec excès. J’en ai même été gêné. Les personnes en difficulté vont percevoir 1,5 milliard d’euros supplémentaires, montant que l’on peut rapprocher des 23 millions à 27 millions d’euros dont il est question avec le bouclier fiscal.

Le débat que vous avez lancé est tout à fait légitime, mais je rappelle que le bouclier fiscal n’a rien à voir avec ce projet de loi. Ce mécanisme entraînera un manque à gagner pour l’État de 40 millions d’euros, au bénéfice, pour 13 millions à 15 millions d’euros, des titulaires des revenus les plus faibles et, pour 25 millions d’euros, des titulaires des revenus les plus élevés. Voilà les ordres de grandeur. Autant je respecte les intimes convictions des uns et des autres sur le bouclier fiscal, autant je considère que celui-ci à parfois bon dos.

M. Henri de Raincourt. C’est un cache-sexe ! (Sourires.)

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Vous savez tous comment a été créé le bouclier fiscal. Il date de 1988, lorsqu’a été votée la loi instituant le revenu minimum d’insertion, en application de l’annonce faite par François Mitterrand dans sa Lettre à tous les Français. À cette occasion, Pierre Bérégovoy voulut inscrire dans la loi une clause de sauvegarde de façon que l’addition de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur la fortune ne dépasse pas une certaine proportion des revenus.

Remémorons-nous comment les choses se sont déroulées, car c’est très intéressant. L’impôt de solidarité sur la fortune, quant à lui, avait été créé en 1981, avant d’être supprimé par la droite en 1986. Lors de l’examen de la loi relative au RMI, Claude Évin, Pierre Bérégovoy et Michel Rocard avaient justifié le rétablissement de l’ISF par la nécessité de financer le RMI. Ils avaient ajouté toutefois qu’il convenait de ne pas reproduire les erreurs du passé et avaient proposé d’instaurer cette clause de sauvegarde visant à plafonner – à un niveau plus élevé que 50 %, certes – les impôts dus par un même contribuable. Du coup, personne ne pouvait dire que le système était mauvais….

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ce fut voté à l’unanimité !

M. Jean-Pierre Godefroy. Mais vingt ans se sont écoulés depuis lors !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. À l’époque, la droite, qui, pourtant, rechignait à rétablir l’ISF, qu’elle venait de supprimer, n’a aucunement hésité à voter le RMI comme un seul homme, l’enjeu du traitement de la pauvreté l’emportant sur toute autre considération. Ce fut un grand moment !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Eh oui !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Résumons : mise en place du RMI, rétablissement de l’ISF, accompagné d’une clause de sauvegarde, et ce au nom de la solidarité. Si cela pouvait donner des idées, ce ne serait pas mal… (Sourires.)

M. Henri de Raincourt. Ils sont secoués ! (Nouveaux sourires.)

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Libre à vous de revenir sur cette question du bouclier fiscal, mais il serait dommage qu’aucun progrès social ne soit possible tant qu’il existera.

En outre, si d’aventure nous renoncions à créer cette taxe, comment financerions-nous le RSA ? Par les impôts locaux ! Si tel était le cas, ce seraient les plus modestes qui le paieraient.

Il faut faire le bilan des avantages et des inconvénients et mesurer les progrès enregistrés.

Au début, je ne disposais d’aucun moyen pour mettre en place le RSA ; puis 600 000 euros ont été débloqués, puis 20 millions d’euros et, finalement, 1,5 milliard d’euros. En matière de justice fiscale, la démarche est la même : au bouclier fiscal répond le plafonnement des niches fiscales. D’un côté, le bouclier fiscal entraîne une dépense fiscale de 23 millions d’euros, d’un autre côté, le plafonnement des niches fiscales permet de récupérer 200 millions d’euros dans la poche de ceux qui ont la possibilité d’échapper à l’impôt. Il conviendrait plutôt de saluer ce progrès considérable.

M. Henri de Raincourt. Ils n’en parlent même pas !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Pour une fois, un débat n’est pas renvoyé aux calendes grecques, mais à la semaine qui suit. Dès à présent, les commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat travaillent pour trouver la solution la plus juste possible. C’est quand même très important ! Sans le RSA, rien de tout cela n’aurait été mis en route.

Mme Isabelle Debré. Très bien !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Nous demandons un peu plus à ceux qui ont beaucoup pour une plus grande solidarité vis-à-vis des pauvres.

Monsieur Virapoullé, vous souhaitez que les domiens puissent être rassurés. Tel est évidemment mon souhait. Notre démarche, qui consiste à d’abord mettre en place le nouveau système, puis à supprimer le système précédent si le premier se révèle plus intéressant, vaudra pour les DOM. Monsieur le sénateur, le projet de loi ne contient, me semble-t-il, aucune disposition qui soit de nature à susciter votre inquiétude. Cependant, afin de lever toute ambigüité, le Gouvernement est prêt à déposer un amendement visant à préciser que le RMI et l’allocation de parent isolé resteront en vigueur jusqu’à la mise en place du RSA. Cela ne figure pas dans le projet de loi parce que nous craignions qu’on lui reproche d’être trop bavard.

Je n’ignore pas que les départements d’outre-mer bénéficient de systèmes spécifiques, qu’il s’agisse des agences départementales d’insertion, de l’allocation de retour à l’activité ou du revenu de solidarité dans les départements d’outre-mer. De fait, nous n’allons pas mettre en place le RSA, pour constater peu après qu’il est moins avantageux pour ses bénéficiaires. C’est pourquoi l’un de vos collègues, député de la Réunion, a été nommé parlementaire en mission auprès du Premier ministre, du secrétaire d’État à l’outre-mer, Yves Jégo, et de moi-même afin d’étudier cette question. Il débutera son travail au début du mois de novembre par une rencontre avec tous les présidents de conseil général.

Dès que nous serons prêts, nous vous soumettrons l’amendement et il sera déposé.

M. Adnot a demandé qui allait percevoir le RSA. Cette question est fondamentale. Percevront le RSA toutes celles et tous ceux dont les revenus d’activité sont trop faibles pour leur permettre de vivre dignement, compte tenu de leurs charges de famille. Le RSA commence à 447 euros, avec des points de sortie en fonction des situations familiales. Pour une personne vivant seule, ce point de sortie sera de 1,04 SMIC ; avec deux enfants à charge, il sera de 1,8 SMIC. S’agissant de la prime pour l’emploi, je rappelle que, pour une personne vivant seule, le point de sortie est de 1,2 SMIC ; avec deux enfants à charge, il est de 3,5 SMIC ; avec trois enfants à charge, il est de 4,7 SMIC.

Ces mécanismes ne se substituent pas aux revenus du travail, mais ils les complètent. Pourquoi sont-ils nécessaires ? S’ils n’existaient pas, nous serions face à une alternative diabolique : soit, comme certains pays l’ont fait, nous entérinerions définitivement la pauvreté au travail, soit nous exclurions une partie de la population du monde du travail, parce que l’augmentation du coût du travail des personnes non qualifiées se traduirait par leur éviction du monde du travail. Ce n’est d’ailleurs pas un problème franco-français. D’autres pays y ont été confrontés à plusieurs reprises.

C’est pour sortir de cette alternative diabolique qui est préjudiciable à certaines catégories de population – la France a malheureusement compté à la fois plus de chômeurs et plus de travailleurs pauvres que la moyenne européenne – que des mécanismes ont été mis en place dans divers pays et par différentes majorités. Il s’agissait de sortir les personnes de la pauvreté sans les diriger vers le chômage, c’est-à-dire sans peser sur le coût du travail.

C’est dans cette logique que s’inscrivent la prime pour l’emploi, certaines prestations familiales et, bien évidemment, le revenu de solidarité active.

Ces différents dispositifs ne sont pas destinés à entériner notre résignation face à la situation. Les gens peu qualifiés sont payés au salaire minimum. Mais ce n’est pas parce que l’on ne peut pas augmenter le salaire minimum, sous peine d’alourdir le chômage, que l’on doit se résigner à laisser ces gens dans la pauvreté. Si l’on veut progresser, il faut mettre l’accent sur la qualification, sur la formation, qui peut et qui doit être accessible. D’où l’intérêt de l’accord qui a été passé entre les partenaires sociaux pour ouvrir la formation à des publics qui n’y avaient pas accès.

J’ai été frappé, ces derniers temps, de constater que les personnes bénéficiaires de minima sociaux avaient du mal à accéder aux formations proposées par les régions. Cela a été la croix et la bannière, j’ai dû faire des pieds et des mains pour convaincre les acteurs concernés qu’une partie de l’argent que les régions consacrent à la formation professionnelle doit descendre à l’échelon du département pour la formation des allocataires du RMI, l’importance de ce transfert étant proportionnelle au nombre de RMIstes. Cela a déjà été fait dans certains départements. Cette procédure, pour l’heure très compliquée, devra devenir naturelle.

Notre démarche s’inscrit dans une logique très claire : dans un premier temps, rechercher les priorités ; dans un second temps, apporter des réponses.

Deux priorités se dégagent.

Première priorité : garantir aux personnes qui n’arrivent pas à sortir des minima sociaux que, dès qu’elles travaillent un peu, elles gagnent tout de suite de l’argent.

Seconde priorité : compléter le revenu des personnes qui travaillent mais qui, compte tenu de leurs charges de famille, restent dans la pauvreté, tirent le diable par la queue.

Telles sont les deux priorités absolues auxquelles nous répondons – second temps de notre démarche – par le revenu de solidarité active, doté de 1,5 milliard d’euros. Ainsi, nous allons dans le bon sens.

Parallèlement, et c’est un autre élément de notre réponse, nous organisons l’accompagnement, la formation, des formes de suivis, afin qu’une fois le premier élan donné nous puissions continuer.

Telle est la philosophie du revenu de solidarité active. Elle n’est pas perverse. Elle est saine, d’autant plus saine qu’elle met à égalité des personnes aux parcours différents, certains ayant été allocataires des minima sociaux, d’autres non.

Il est malsain qu’une personne puisse dire de son voisin d’atelier : il travaille autant d’heures que moi, il a autant d’enfants que moi, il a le même salaire que moi et, pourtant, son revenu est différent.

Il est également malsain qu’une personne puisse dire de son voisin de pallier : je travaille, il ne travaille pas et, pourtant, nous avons les mêmes revenus.

Monsieur Fischer, de telles situations, malsaines, je le répète, attisent les haines entre pauvres, moyens pauvres et très pauvres. Elles sont délétères et pour la cohésion sociale et pour la démocratie.

Nous voulons traiter ces situations de manière plus juste. Nous le ferons sans idéologie, avec pragmatisme, en nous donnant les moyens de renouer avec l’idée que la France a un bon modèle social.(Applaudissements sur les travées de lUMP.)