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Dossier législatif : proposition de loi tendant à généraliser l'assurance récolte obligatoire
Discussion générale (suite)

Assurance récolte obligatoire

Adoption des conclusions négatives du rapport d'une commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à généraliser l'assurance récolte obligatoire
Discussion générale (fin)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 214, 2007-2008) tendant à généraliser l’assurance récolte obligatoire, présentée par MM. Yvon Collin et Jean-Michel Baylet.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi.

M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au début de l’année, Jean-Michel Baylet et moi-même avons déposé une proposition de loi tendant à généraliser l’assurance récolte obligatoire.

Nous nous réjouissons d’avoir aujourd’hui la possibilité de défendre ce texte, qui, je le crois, répond à une attente exprimée depuis longtemps par de nombreux agriculteurs.

En effet, le dispositif assurantiel existant, qui comprend l’assurance récolte telle qu’issue de la loi d’orientation agricole du 5 janvier 2006 et le système d’indemnisation public via le Fonds national de garantie des calamités agricoles, se révèle trop limité pour répondre efficacement aux conséquences des aléas climatiques.

Depuis quelques années, on observe une augmentation de l’intensité et de la fréquence des intempéries. On en connaît les effets dévastateurs sur les récoltes et, in fine, sur les revenus des exploitants. En moyenne, un agriculteur subit une perte de revenu de 20 % tous les trois à quatre ans. S’agissant plus particulièrement des arboriculteurs, leur revenu chute en moyenne de 30 % tous les 3,6 ans, en raison d’averses de grêle, malheureusement de plus en plus fréquentes.

Bien sûr, l’agriculture est par nature – si j’ose dire ! – fortement dépendante des conditions climatiques, mais c’est là une donnée avec laquelle les agriculteurs ont toujours su qu’ils devaient composer. Il reste que, d’une façon générale, ces derniers sont confrontés à de nouveaux défis susceptibles d’accroître leurs difficultés.

Ils doivent faire face à des risques émergents dans le domaine sanitaire, tels que l’encéphalopathie spongiforme bovine, hier, ou la fièvre catarrhale, aujourd’hui. Il leur faut aussi s’accommoder de la volatilité des marchés qui peuvent, au gré des variations des cours, déstabiliser leurs revenus.

Alors, quand les caprices du ciel s’ajoutent aux aléas d’ordre économique et sanitaire, les agriculteurs les plus fragiles se retrouvent parfois bien démunis pour gérer les risques. C’est pourquoi, avec mon collègue Jean-Pierre Baylet, également sénateur de Tarn-et-Garonne, j’ai souhaité renforcer quelque peu la sécurité des agriculteurs contre l’un de ces risques.

La proposition de loi est simple puisqu’elle tient en deux articles. Le premier vise à rendre obligatoire l’assurance récolte, définie dans son principe par l’article L. 361-8 du code rural, et à l’étendre à l’ensemble des productions agricoles ; le second compense les conséquences financières pour l’État des dispositions du premier.

En réalité, cette simplicité dans la présentation recouvre une situation plus complexe.

Le monde agricole est hétérogène : on n’appréhende pas les risques de la même façon selon le territoire sur lequel on se trouve. On se satisfait plus ou moins de l’actuel système d’indemnisation selon que l’on est dans la monoculture ou dans la polyculture, ou selon que l’on s’occupe d’une grande ou d’une petite exploitation. Cette diversité ne facilite pas la mise en place d’un outil uniforme et accessible à tous.

C’est l’une des raisons – car il y en a d’autres – pour lesquelles, monsieur le rapporteur, vous jugez prématurée l’adoption d’une telle proposition de loi.

Vous avez bien sûr différents arguments pour justifier votre position.

Vous invoquez d’abord un obstacle juridique : les assurances n’étant obligatoires que lorsque se trouve en jeu la responsabilité à l’égard de tiers, l’assurance récolte ne pourrait guère avoir ce caractère obligatoire.

Je ne suis pas, je le confesse, un spécialiste du droit des assurances, mais il me semble que rien n’est figé dès lors que la volonté politique existe, du moins tant que l’on reste dans les limites posées par notre Constitution. Il est vrai que tout cela relève d’un plus vaste débat, qu’il serait impossible de trancher aujourd’hui.

Vous avez raison, monsieur le rapporteur, de mettre en avant la question de la responsabilité de l’agriculteur et d’évoquer le respect de la liberté de s’assurer ou pas. Cependant, venant d’un département confronté aux mêmes problèmes que ceux qui se posent dans le mien, vous savez bien que ce choix n’est pas totalement libre pour l’exploitant : il existe une contrainte, qui est financière.

Sans vouloir mésestimer l’engagement des pouvoirs publics sur le plan budgétaire, convenons que le taux de prise en charge par l’État d’une partie de la prime d’assurance – aujourd’hui 35 %, peut-être demain 40 % – n’est pas suffisamment incitatif. De plus, le montant des primes d’assurance contre les risques climatiques reste trop élevé pour certaines filières. Il en résulte un engouement inégal pour l’assurance récolte selon le type de production.

Sur les 20 % d’exploitations ayant souscrit un contrat, en 2007, la couverture concernait 27 % des superficies pour les grandes cultures et seulement 0,93 % pour les cultures fruitières. Cet écart montre combien, s’agissant des souscriptions de contrat d’assurance, les disparités sont grandes.

Voilà qui atteste la nécessité de conforter l’assurance récolte et de mutualiser le risque, ce qui fait l’objet de la présente proposition de loi.

Bien entendu, monsieur le rapporteur, j’ai conscience que cette mesure serait coûteuse.

M. Yvon Collin. Certes, comme mon collègue et moi-même le précisons dans l’exposé des motifs de notre proposition de loi, la généralisation de l’assurance récolte à l’ensemble des productions permettrait d’élargir l’assiette de cotisants. Cependant, avant que celle-ci atteigne une masse critique, il est vrai que l’État serait plus fortement mis à contribution du fait de la prise en charge partielle des primes et cotisations d’assurance et de l’apport de garanties en termes de réassurance.

Doit-on toujours compter sur l’État ? Il faut reconnaître qu’il est très sollicité en ce moment. Néanmoins, s’agissant de l’agriculture, à laquelle on reproche souvent – et souvent à tort – d’être trop aidée, il ne me semblerait pas anormal que l’État tienne au moins ses engagements, ce qui est loin d’être toujours le cas, comme certains de mes collègues et moi-même avons l’occasion de le rappeler lors des débats budgétaires.

Les articles 62 et 63 de la loi d’orientation agricole du 5 janvier 2006 ont réaffirmé le principe du développement de l’assurance récolte, à côté de l’indemnisation publique au titre des calamités agricoles. Il s’agissait là d’une excellente avancée, sur laquelle je m’appuie pour aller encore un peu plus loin. Mais il est dommage que le soutien au dispositif ne se traduise pas systématiquement en loi de finances initiale et que la commission des affaires économiques, que je félicite au passage pour sa vigilance sur ce sujet, soit obligée, chaque année, de s’élever contre la sous-dotation du Fonds national de garantie des calamités agricoles, qui assure pourtant la gestion des primes prises en charge par l’État au sein de l’assurance récolte.

Espérons en tout cas que, sensibilisé par notre débat d’aujourd’hui, monsieur le ministre, vous ferez le nécessaire pour que soient honorés en 2009 les objectifs de la dernière loi d’orientation. Peut-être – sait-on jamais ! – irez-vous même au-delà en soutenant la présente proposition de loi.

Je rappelle que l’Espagne a consacré 280 millions d’euros au financement de son système d’assurance récolte en 2008. Cette mobilisation considérable permet de fournir une couverture relativement bonne aux exploitations espagnoles.

L’idée de l’assurance récolte n’est donc pas une exception française, ce qui a d’ailleurs permis – et nous avons peut-être là une « fenêtre d’espoir » – son inscription au « bilan de santé » de la PAC. Nous y reviendrons sans doute dans la suite de la discussion générale.

Je souhaite que ce dossier évolue favorablement au niveau européen, car il nous permettra de réorienter une partie des aides communautaires vers l’assurance récolte, tout en mettant celle-ci en conformité avec les règles de l’OMC.

Mes chers collègues, je sais que l’idée d’une extension de l’assurance récolte fait presque l’unanimité dans notre assemblée. Peu à peu, l’usage de la couverture du risque progresse chez les exploitants, et la loi d’orientation du 5 janvier 2006 a de ce point de vue donné un coup d’accélérateur. En revanche, je sais aussi que l’idée de la rendre obligatoire ne recueille pas l’adhésion de la majorité de la Haute Assemblée.

J’ai exprimé les raisons qui ont conduit au dépôt de la présente proposition de loi. Sans y revenir, je conclurai en réaffirmant mon attachement au principe de solidarité nationale et à la mutualisation du risque, qui me paraît nécessaire pour optimiser le dispositif.

La commission des affaires économiques n’est pas cet avis. J’en prends acte, tout en remerciant son président ainsi que notre collègue Bernard Soulage, rapporteur, du remarquable travail d’analyse qui a été accompli sous leur direction. M. Soulage souligne notamment dans son rapport l’intérêt qu’il y a à débattre sur un sujet qui concerne nombre d’entre nous, sur toutes les travées de cet hémicycle.

J’espère, quoi qu’il en soit, faire avancer cette cause, à laquelle sont particulièrement attachés les élus du Sud-Ouest, mais aussi ceux d’autres territoires où se pratique, notamment, l’arboriculture.

Nous serons bien entendu, monsieur le ministre, attentifs aux réponses que vous voudrez bien nous apporter. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Daniel Soulage, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà maintenant trois ans, lors de l’examen de la dernière loi d’orientation agricole, nous décidions, par un amendement de notre collègue Gérard César, vivement soutenu par le président Emorine et notre ancien collègue Dominique Mortemousque, auteur d’un excellent rapport, de prévoir l’extension progressive de l’assurance récolte à l’ensemble des productions. Nous nous étions alors mis d’accord – et une intervention de M. Dominique Bussereau, alors ministre de l’agriculture, l’avait précisé explicitement – pour conserver à l’assurance récolte son caractère facultatif.

Faut-il aujourd’hui aller au-delà, en la rendant obligatoire ? C’est ce à quoi tend la proposition de loi de nos collègues Yvon Collin et Jean-Michel Baylet.

Avant de vous faire part des conclusions de la commission, qui a examiné cette proposition la semaine dernière, je voudrais rappeler en quelques mots le contexte dans lequel elle s’inscrit.

Les exploitations agricoles vivent sous la menace constante d’un accident climatique : coup de grêle ou de gel, période de sécheresse, excès d’humidité, inondation, etc. Le Fonds national de garantie des calamités agricoles, le FNGCA, a longtemps été l’unique moyen d’indemniser les agriculteurs. Il connaît cependant certaines limites : longueur des délais d’indemnisation, nécessité d’une reconnaissance du caractère de calamité agricole, faiblesse des montants versés. Aussi, monsieur le ministre, avez-vous décidé très opportunément de « sortir » progressivement certaines productions couvertes par le fonds et de renvoyer, pour leur couverture, à des mécanismes assurantiels.

En dépit des inconvénients que présente le FNGCA et quelles que soient ses imperfections, il joue et devra continuer à jouer un rôle très important. On pourra certes retirer certaines filières du fonds si les exploitants trouvent effectivement des produits d’assurance adaptés – ce sera d’ailleurs le cas des grandes cultures dès 2009 –, mais on ne saurait le supprimer complètement ; il est en effet seul à même de couvrir les pertes de fonds ou les cultures non assurables. Prenons grand soin de ne pas sortir trop vite du fonds les secteurs de l’arboriculture, de la viticulture et des légumes avant que les assurances récoltes les concernant n’aient été totalement étudiées, tant en ce qui concerne leur mécanisme que le nombre de contrats souscrits. C’est de toute manière un outil à conserver et, à mon avis, il doit constituer un « filet de sécurité » réactivable ponctuellement, en cas de besoin.

Je voudrais vous présenter brièvement le système, à mes yeux indispensable, existant aux États-Unis et appelé « assurance catastrophe » : celui-ci indemnise les agriculteurs uniquement en cas de « coup dur », c’est-à-dire de pertes supérieures à 50 % du rendement historique de l’exploitation. L’exploitant ne paie pas de prime d’assurance, celle-ci étant entièrement prise en charge par l’équivalent du ministère de l’agriculture.

Parallèlement au FNGCA, se sont développés depuis longtemps des produits d’assurance contre la grêle, le gel, puis, plus récemment, contre plusieurs risques combinés – grêle, gel, sécheresse, inondation ou excès d’eau, ainsi que vent –, et ce avec le soutien de l’État, voire des collectivités locales, qui versent une partie des primes d’assurance à des taux variant selon les productions et en fonction de leur situation économique.

À la suite du décret du 14 mars 2005 et de la loi d’orientation agricole du 5 janvier 2006, l’assurance récolte a démarré en fanfare dans notre pays, avec environ 60 000 contrats signés. Sa progression a ensuite été beaucoup plus lente, puisque moins de 70 000 contrats sont aujourd’hui souscrits, trois ans après le lancement du dispositif.

L’assurance récolte couvre désormais plus du quart des surfaces assurables, avec des différences notables selon les productions : près de 30 % pour les grandes cultures, 12 % pour la viticulture – celle-ci est du reste en progression à cet égard –, mais moins de 1 % pour les cultures fruitières – et elles seraient même en régression !

L’assurance récolte présente de nombreux avantages, notamment par rapport au système d’indemnisation classique. Elle permet en effet des remboursements plus rapides et plus élevés, ainsi qu’une gestion des risques plus responsable de la part de l’agriculteur.

Le soutien résolu des pouvoirs publics à son développement est une condition de son succès. Les risques sont tels, en effet, qu’un grand nombre d’exploitants ne pourraient pas payer la prime d’assurance en l’absence de soutien public.

Par ailleurs, il est indispensable que l’État s’engage et donne de nouvelles possibilités de réassurance pour permettre le développement des secteurs déjà couverts ainsi que celui d’autres secteurs, dont l’élevage.

Le Président de la République a justement annoncé jeudi dernier qu’il demanderait que la Caisse centrale de réassurance, organisme qui bénéficie de la garantie de l’État, intervienne afin de faciliter l’assurance des crédits aux entreprises. Or un engagement similaire au profit de l’assurance récolte est demandé depuis longtemps par les milieux agricoles comme par les professionnels du secteur.

Je voudrais à ce sujet saluer l’action du Gouvernement et surtout votre propre action, monsieur le ministre. À Bruxelles, ces derniers mois, à l’occasion du « bilan de santé » de la PAC, vous avez en effet défendu avec beaucoup d’intelligence et d’opiniâtreté notre modèle agricole. Vous avez également amorcé le débat sur l’après-2013, voilà quelques semaines, à Annecy. Vous avez d’autant plus de mérite que la partie n’est pas facile dans les négociations pour notre pays, bien qu’il assume la présidence de l’Union.

Grâce à votre insistance, en particulier, l’article 69 du règlement du Conseil sur les régimes de soutien direct en faveur des agriculteurs devrait être révisé de telle manière que l’assurance récolte bénéficie d’importants soutiens communautaires. Je vous rappelle, mes chers collègues, que l’actuel article 69 permet aux États membres de réattribuer jusqu’à 10 % des aides qu’ils perçoivent au titre du premier pilier pour financer des mesures liées à la protection ou à l’amélioration de l’environnement, ainsi qu’à l’amélioration de la qualité et de la commercialisation des produits agricoles. Or, aux termes du nouvel article 68, les États seraient autorisés à réallouer une partie – 2,5 % au maximum – de ces 10 % sous la forme de contributions au paiement des primes d’assurance récolte. Le nouvel article 69 prévoit les conditions de ce soutien : 60 %, voire 70 % dans certains cas, de la prime seraient pris en charge par les fonds publics, dont les deux tiers par des financements communautaires.

Cette mesure, si elle venait à être finalement adoptée – et nous vous faisons confiance, monsieur le ministre, pour œuvrer en ce sens – permettrait de renforcer très substantiellement le soutien à l’assurance récolte dès 2010, date de son entrée en application. Par ailleurs, il faut mentionner que le nouvel article 70 permet aux États membres de financer des fonds de mutualisation assurant le paiement aux agriculteurs d’indemnités destinées à couvrir les pertes économiques découlant de l’apparition d’un foyer de maladie animale ou végétale.

Le principe d’une extension de l’assurance récolte fait l’objet, j’ai pu le constater, d’un accord assez large chez tous les acteurs concernés. Il reste à déterminer comment atteindre cet objectif. La proposition de loi qui est soumise à votre examen propose de la rendre obligatoire.

En effet, un système d’assurance ne fonctionne bien que lorsque les risques sont mutualisés entre le plus grand nombre de personnes. Si les seuls qui s’assurent sont ceux qui présentent un risque important, les primes vont être très élevées et même exorbitantes : les assureurs font évidemment un calcul économique et modèlent les primes sur le risque à couvrir. Si tout le monde participe, le coût pour chacun peut être beaucoup moins élevé. C’est la logique suivie par nos collègues MM. Collin et Baylet, qui évoquent dans leur exposé des motifs un « principe de solidarité ».

Pour séduisante que paraisse cette proposition, il me semble que la solution n’est pas si simple que cela. Il faut bien voir que la mise en place d’une assurance récolte obligatoire pose un certain nombre de problèmes. J’en mentionnerai quatre.

En premier lieu, les assurances obligatoires sont une « espèce » très répandue chez nous. Les juristes en ont compté plus de quatre-vingt-dix dans le droit français. Le fondement en est, presque toujours, la responsabilité à l’égard d’un tiers. Quand vous conduisez une voiture, vous devez être assuré parce que, si vous êtes responsable d’un accident, il faut que la victime soit indemnisée, même si les frais dépassent vos capacités financières ; c’est là que l’assureur entre en jeu.

En deuxième lieu, nous allons bientôt examiner le projet de loi de finances pour 2009, et l’on sait que les marges budgétaires de l’État sont extrêmement réduites. Or le financement d’une assurance récolte représente 32 millions d’euros aujourd’hui, mais elle représenterait sans doute dix fois plus si tout le monde devait être assuré, et cela sans compter le secteur de l’élevage.

Au demeurant, puisqu’on parle de solidarité, si certains agriculteurs ne s’assurent pas aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas solidaires à l’égard de leurs collègues et qu’ils se reposent sur le FNGCA, c’est tout simplement parce que les assureurs ne sont pas en mesure de proposer aujourd’hui des produits d’assurance adaptés à toutes les situations. Je pense en particulier aux cultures fourragères, mais aussi à de nombreux arboriculteurs, qui devraient payer des primes d’assurances insupportables.

En troisième lieu, une obligation d’assurance signifie de nouvelles formalités, de nouvelles procédures de contrôle, venant s’ajouter à toutes celles qui existent déjà, véritable fardeau pour les exploitants. Il faudrait en outre vérifier que certains ne trichent pas, et même sans doute prendre des sanctions ; mais lesquelles ? Tous ces points seraient très difficiles à régler et peuvent difficilement l’être dans le cadre de cette proposition de loi.

En dernier lieu, je m’appuierai sur les exemples des États-Unis, où le président Emorine s’est rendu en 1997 avec notre collègue M. Deneux pour étudier notamment cette question, et de l’Espagne, que M. Mortemousque a également très bien décrit. Ces pays sont très en avance sur la France en matière d’assurance récolte. Pour autant, ils ne l’ont pas rendue obligatoire. Les personnes que j’ai auditionnées n’ont pas su me citer un seul pays dans le monde où l’assurance récolte soit obligatoire. D’ailleurs, en Espagne, qui est en quelque sorte le modèle européen, l’État dépense dix fois plus qu’en France pour l’assurance récolte, mais la moitié seulement des exploitations sont assurées ; il semble que l’on se trouve face à un plafond.

D’une manière générale, l’agriculture est aujourd’hui une activité entrepreneuriale. Évitons d’imposer aux exploitants de nouvelles obligations sans avoir la certitude qu’elles vont réellement améliorer la situation.

L’ensemble de ces éléments m’a conduit, en tant que rapporteur du texte, à faire état de conclusions négatives à son égard et notre commission à suivre lesdites conclusions. Il n’en reste pas moins que je juge cette proposition de loi bienvenue aujourd’hui en ce qu’elle permet de faire le point sur ce dossier alors que se fait le basculement entre le système du FNGCA et celui de l’assurance récolte et que vous le défendez, monsieur le ministre, devant les instances de Bruxelles, où il devrait faire l’objet d’un accord le 19 novembre prochain.

Nous souhaitons donc saisir l’occasion de ce débat pour vous appuyer dans ces négociations, monsieur le ministre, mais également pour vous rappeler qu’un engagement ferme des pouvoirs publics et une visibilité à long terme sur l’assurance, ainsi que sur la réassurance, sont les seuls facteurs de réussite pour le développement de l’assurance récolte. Pour aller plus loin aujourd’hui, la France doit pouvoir accorder, comme les États-Unis ou l’Espagne, la garantie de l’État par l’intermédiaire, par exemple, de la Caisse centrale de réassurance.

Notons, à regret, que dès 2009, le taux de subvention par l’État de la prime d’assurance pour les grandes cultures passera de 35 % à 25 % ; on le comprend à la vue des prix du marché pour les céréales l’année dernière, mais la situation est aujourd’hui bien différente puisque leur cours s’est replié de manière catastrophique ; les cours du maïs sont ainsi aujourd’hui inférieurs de moitié à ceux de l’année dernière.

Le signal donné est en revanche positif pour les productions arboricoles et viticoles, dont le taux de soutien devrait être réévalué à 40 %. On peut par ailleurs noter, avec satisfaction, la bonification de 5 % pour les jeunes agriculteurs, ainsi que l’apport de certaines collectivités locales qui aident déjà à la prise en compte de ces risques. En outre, le relèvement de la DPA, la déduction pour aléas, constitue un autre signal positif, même s’il est à nuancer avec la diminution de la déduction pour investissements.

En conclusion, après avoir remercié les auteurs de la proposition de loi de susciter très utilement la discussion sur l’assurance récolte, je vous invite cependant, mes chers collègues, à ne pas l’adopter, pour les raisons que j’ai exposées. Bien entendu, cela ne doit pas nous empêcher, bien au contraire, de faire le point avec vous, monsieur le ministre, sur l’extension de l’assurance récolte ni d’échanger sur les perspectives de son développement.

Permettez-moi enfin, monsieur le ministre, de vous remercier personnellement de votre engagement pour l’agriculture, et de remercier aussi tous ceux qui se sont battus pour l’assurance récolte. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste, de lUMP et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’interviens de nouveau dans la discussion générale, mais cette fois pour exprimer tout le bien que mon groupe pense de la proposition de loi visant à rendre obligatoire la souscription d’une assurance récolte par tous les exploitants. (Sourires.)

En effet, à nos yeux, une telle solution est seule à même de réduire le niveau moyen des primes exigées par les assureurs, grâce à l’élargissement de l’assiette des cotisants, et de rendre ainsi le dispositif plus accessible et plus protecteur pour le monde agricole.

Apparemment, le Gouvernement et la commission jugent cette proposition inenvisageable ou, plutôt, prématurée. Nous pouvons entendre certains arguments.

Toutefois, tout le monde, y compris M. le rapporteur, s’accorde sur la nécessité d’une extension aussi large que possible de la couverture assurantielle. Or cela exige un soutien massif tant au niveau national qu’à l’échelle européenne. Nous constatons hélas que les crédits consacrés à l’assurance récolte, qui s’élèveront à 32 millions d’euros en 2009, ont jusqu’à présent été insuffisants.

Comment le ministère de l’agriculture entend-il atteindre les objectifs qu’il s’était fixés en termes de taux de pénétration ? Au vu de ce que d’autres pays consacrent au financement de leur dispositif d’assurance récolte, on est amené à considérer que le Gouvernement ne semble pas décidé – c’est le moins qu’on puisse dire – à donner le coup de rein nécessaire en la matière.

Par ailleurs, monsieur le ministre, vous avez décidé de réduire de dix points le taux de subventionnement des grandes cultures, alors même qu’elles vont sortir du champ du Fonds national de garantie des calamités agricoles, tout en continuant à y cotiser. Même si ces cultures ne sont pas celles qui ont le plus besoin de soutien, je pense que le dispositif sera difficile à leur vendre sur le terrain. (M. le rapporteur acquiesce.) Or c’est sur elles que reposent les principes de solidarité et de mutualisation !

En outre, sur une demande française, l’assurance récolte a été inscrite au « bilan de santé » de la PAC, qui doit être voté d’ici à la fin de l’année. La Commission européenne propose d’utiliser le régime des soutiens spécifiques pour favoriser le développement de l’assurance récolte, mais également d’un fonds de mutualisation, en cas de maladies animales ou végétales.

Le nouvel article 68 du règlement du Conseil établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la PAC permettrait aux États d’utiliser 10 % de leurs plafonds nationaux au titre du premier pilier, en vue d’octroyer une contribution financière aux agriculteurs au paiement des primes. Ce niveau de financement est sûrement optimiste ; d’autres politiques seront à financer par ce canal. Une hypothèse de 1 % à 3 % des droits à paiement unique fléchés vers l’assurance récolte me paraît plus réaliste.

Quoi qu’il en soit, le soutien public, prévu par l’article 69 de ce même règlement, pourrait s’élever à 60 %, voire à 70 %, du coût de la police d’assurance. Il serait pris en charge par l’Union européenne pour les deux tiers et, si j’ai bien compris, par les États membres pour le tiers restant.

Dans l’ensemble, cette assurance récolte « à la sauce européenne » est finalement assez proche du système français, à un ou deux détails près, comme le taux de franchise fixé à 30 %, contre 25 % en France. D’ailleurs, cela semble se justifier par le fait que l’assurance récolte proposée par la Commission est calibrée pour être déclarée en boîte verte à l’OMC, ce qui n’est pas le cas de l’actuel système français de l’assurance récolte. Néanmoins, cela reste gênant.

Le principal point d’interrogation a trait au cofinancement obligatoire entre la France et l’Europe. Le budget français sera-t-il à la hauteur ? En tout cas, il semble que le débat s’annonce vif.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dresser un « état des lieux » ? Nous vous demandons instamment de faire de cette question une priorité lors de la dernière ligne droite des négociations du « bilan de santé » de la PAC.

La gestion des risques, notamment climatiques, est un enjeu majeur pour l’agriculture, déjà confrontée à la raréfaction du foncier agricole et à la volatilité des prix. À mon sens, l’assurance récolte est un instrument adapté, répondant à une logique d’entreprise, et je suis convaincu qu’il faut la rendre obligatoire. Encore faut-il lui donner une image forte, exprimant la volonté du Gouvernement de miser sur cette nouvelle formule.

Monsieur le ministre, nous savons que vous vous y emploierez avec toute la pugnacité, l’ardeur et la compétence qui sont les vôtres. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)