M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. En ce qui concerne l’amendement n° 191, tout d'abord, comme vient de le souligner M. le rapporteur, pour un détenu qui exécute une peine, le travail constitue un moyen privilégié de préparer la sortie de prison et la réinsertion.

En complément des observations que nous avons formulées hier, je rappelle que, à aucun moment, l’activité ou le travail en prison ne sont considérés comme une sanction : il ne s’agit pas de travaux forcés ! Je tiens également à souligner que le problème de l’activité des détenus se pose plutôt dans les maisons d’arrêt que dans les établissements pour peine.

Dans les maisons d’arrêt, tout d'abord, les personnes détenues relèvent de plusieurs statuts. On y trouve des condamnés à de courtes peines, certes, mais aussi des prévenus. Le taux d’activité est d’environ 38 % dans les maisons d’arrêt, contre 51 % dans les établissements pour peine.

En outre, les établissements sont souvent vétustes, puisque la majorité d’entre eux ont été construits avant le début du XXe siècle, ce qui pose des problèmes de configuration et donc de sécurité, en ce qui concerne tant la surveillance des détenus que l’accueil des activités.

Il faut savoir que, dans certains établissements, les ateliers sont installés dans les couloirs. À la prison de la Santé, par exemple, ils ont été aménagés entre deux étages ! Même si nous développons une offre d’activité, un problème d’organisation se posera donc.

Néanmoins, malgré ces difficultés, l’administration pénitentiaire a accompli un énorme effort pour préserver et maintenir l’activité dans les établissements, comme le montrent les chiffres relatifs au taux d’activité que j’évoquais à l’instant.

Il n’est donc pas possible de faire du contrat de travail le droit commun pour les personnes détenues. Qu’inscrirons-nous dans ce contrat si la personne est transférée, remise en liberté ou relaxée s’il s’agit d’un prévenu ? Si nous mettons en place un contrat de travail de droit commun, le suivi des droits des personnes détenues posera problème en cas d’activité.

Je vous rappelle que l’acte d’engagement existe déjà dans la pratique, car certains établissements pénitentiaires l’ont expérimenté. Avec ce texte, nous généralisons ce document et lui accordons un statut juridique, ce qui créera des droits pour les détenus. Mesdames, messieurs les sénateurs, il s'agit tout de même d’une avancée majeure, qu’il vous revient d’accepter !

Le problème n’est pas que nous serions hostiles, ou non, au droit du travail. Simplement, des difficultés se poseront en cas de rupture du contrat, pour des raisons qui ne sont pas liées à l’activité, par exemple lors de la remise en liberté ou du déclassement des détenus. Si une personne éprouve des difficultés dans l’exercice de son activité, il faudra bien qu’elle cesse de travailler !

Le contrat de travail n’est donc pas adapté. Non seulement il irait à l’encontre des intérêts des entreprises, mais il ne répondrait pas aux attentes des personnes détenues.

D'ailleurs, madame Boumediene-Thiery, notre objectif n’est pas de favoriser l’activité des entreprises : nous souhaitons donner davantage de souplesse à l’administration pénitentiaire, mais aussi aux détenus !

Malgré la crise, au cours des six derniers mois, l’administration pénitentiaire a réussi à maintenir le même taux d’activité des détenus. Le contrat de travail risquerait d’être un obstacle à l’activité, au détriment des personnes détenues. Pour toutes ces raisons, je ne suis pas favorable à l’amendement n° 191.

En ce qui concerne l’amendement n° 229, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat, j’émettrai également un avis défavorable, car je ne souhaite pas l’introduction d’un contrat de travail de droit commun.

Je le rappelle, dans le cadre des aménagements de peine, les personnes sont soumises au droit commun si elles exercent une activité à l’extérieur, qu’elles soient en placement extérieur, en semi-liberté, voire en libération conditionnelle, et il s’agit alors d’un véritable contrat de travail.

L’acte d’engagement ne porte que sur l’activité en prison, en raison des contraintes que je viens d’exposer, mais toutes les personnes qui se trouvent encore placées sous écrou et qui bénéficient d’un aménagement de peine à l’extérieur ont signé un contrat de travail classique. Je suis donc défavorable à l’amendement n° 229.

En ce qui concerne l’amendement n° 22 rectifié, les droits sociaux sont attachés aux détenus individuellement et n’ont pas de lien avec une activité professionnelle. Tous les prisonniers en bénéficient, que ceux-ci exercent, ou non, une activité.

Les détenus pourront exercer plus facilement ces droits sociaux, notamment parce qu’ils auront la possibilité d’élire leur domicile dans les établissements pénitentiaires. Le présent projet de loi renforce les droits sociaux des détenus ! Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur l’amendement n° 22 rectifié.

L’amendement n° 114 vise l’acte d’engagement qui sera signé par le détenu et le chef d’établissement. Il tend à prévoir des modalités particulières pour les entreprises d’insertion. Or cette disposition ne nous paraît pas souhaitable ; l’activité doit être traitée de la même manière, dans quelque entreprise qu’elle ait lieu.

D'ailleurs, comme l’a rappelé M. le rapporteur, l’activité peut prendre diverses formes. Elle n’est pas seulement professionnelle ; elle peut être aussi artistique, culturelle ou sportive. Nous sommes donc défavorables à l’amendement n° 114.

En ce qui concerne l’amendement n° 21 rectifié, le contentieux qui naît entre l’administration et les détenus relève forcément de la compétence du juge administratif.

Les déclassements, il est vrai, peuvent constituer des sanctions, et le juge administratif contrôlera alors la légalité de ces décisions. Toutefois, ils peuvent aussi être pris dans l’intérêt du détenu : si celui-ci ne peut plus exercer son activité, en raison de problèmes de santé physiques ou psychologiques, par exemple, et s’il doit recevoir des soins avant de la reprendre, il est nécessaire de le déclasser.

Le déclassement n’est pas forcément une sanction ! D’où l’intérêt pour le détenu que le juge administratif puisse contrôler la légalité de ces décisions. L’amendement n° 21 rectifié n’est donc pas nécessaire.

L’amendement n° 23 rectifié vise, notamment, la réparation des accidents du travail ou des maladies professionnelles. Toutefois, les détenus bénéficient déjà d’une prise en charge de leurs frais médicaux classiques, qu’ils exercent ou non une activité, et l’amendement n° 23 rectifié n’est donc pas utile.

L’amendement n° 24 rectifié vise à permettre aux détenus de travailler pour leur propre compte, avec l’autorisation du chef d’établissement. Toutefois, cette possibilité est déjà prévue par la loi du 9 septembre 2002. Elle figure d'ailleurs aux articles 718 et D-101 du code de procédure pénale. Nous sommes donc défavorables à cet amendement.

S'agissant de l’amendement n° 63 rectifié, il est satisfait par l’article D-101 du code de procédure pénale, qui fixe des critères objectifs de choix pour l’accès au travail des détenus.

Je le répète, cette activité dépend non seulement de l’aptitude physique, mais aussi de la personnalité du détenu, sans qu’il y ait de sélection. Toute demande d’accès au travail est examinée par la commission pluridisciplinaire, qui rend un avis, et tout refus d’acceptation est motivé. Il n’y a donc pas de difficulté en l’occurrence. D'ailleurs, si une discrimination se produisait, elle relèverait du juge pénal.

Je suis donc défavorable à l’amendement n° 63 rectifié.

M. le président. Monsieur le rapporteur pour avis, l'amendement n° 191 est-il maintenu ?

M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Le cœur s’incline devant la raison ! (Sourires.) Je retire cet amendement, monsieur le président, au moins provisoirement ; nous reviendrons sur cette question une autre fois.

M. le président. L'amendement n° 191 est retiré.

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote sur l'amendement n° 229.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le cœur ou la raison, monsieur About, je ne vois pas les choses ainsi !

M. Nicolas About, rapporteur pour avis. « Ah! frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie. »

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J’ai un cœur et une raison et je ne m’inclinerai pas !

M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Le mieux est l’ennemi du bien !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les détenus sont sans doute emprisonnés pour de bonnes raisons, en tout cas pour un certain nombre de raisons, mais ils rencontrent nombre de difficultés, que ce soit pour exercer leurs droits civiques, pour entretenir des liens familiaux, et l’organisation d’une garantie de leurs droits est très complexe.

Si on renonce à l’idée selon laquelle l’application des droits, à l’exception de celui d’aller et venir, contribue à la réinsertion des détenus dans la société, on a tout faux ! Et on continue, comme c’est hélas le cas pour d’autres problématiques, de ne pas aller dans le sens de l’histoire humaniste !

La question du travail des détenus revêt deux aspects : le contrat de travail et une rémunération qui corresponde – je ne prétends pas qu’elle doit être identique – à la rémunération de droit commun, indexée sur le SMIC ou sur les minimas sociaux. Sur ces deux volets, vous ne voulez pas agir !

Comme vous le savez, de nombreux détenus ne peuvent malheureusement pas travailler. Pour eux, la reconstruction doit déjà passer par d’autres étapes avant qu’une activité professionnelle puisse être envisagée. Évidemment, il faut aussi tenir compte des difficultés qu’ont les entreprises à confier du travail aux détenus dans les établissements pénitentiaires, et ce pour toutes les raisons que vous avez mentionnées, madame la ministre, et que je connais bien.

Il n’en reste pas moins que le détenu exerçant une activité professionnelle doit avoir accès aux droits afférant au contrat de travail. Il doit aussi percevoir, pour son travail, une rémunération qui correspond à une réalité dans le monde des rémunérations salariales, qui sont déjà, il faut le dire, généralement basses.

Tel est mon point de vue ! Le rapport de Paul Loridant date de 2002. Nous sommes en 2009 et, une fois de plus, une loi pénitentiaire est préparée. Peut-être serons-nous obligés d’en élaborer une nouvelle bientôt, parce qu’elle n’aura pas répondu aux nécessités et aux espérances. Quel dommage ! Encore une occasion ratée !

Cette situation n’est pas liée au problème des entreprises. En revanche, mes chers collègues, soyez certains que, si des sociétés peuvent organiser une activité de télétravail au travers d’une exploitation toute particulière des détenus, elles le feront.

Par conséquent, je maintiens mon amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 229.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote sur l’amendement n° 22 rectifié.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Mon explication de vote concerne en fait tous les amendements pour lesquels un retrait a été demandé.

Je ne peux pas accepter cette demande de retrait. Comme je l’ai indiqué, il s’agit pour moi de compiler un ensemble de dispositions éparpillées dans les différents textes de manière à donner une meilleure lisibilité du droit applicable aux détenus.

De plus, l’incorporation de tous ces droits éparpillés dans le projet de loi pénitentiaire leur donne une valeur politique importante et leur confère une nouvelle dimension. C’est pourquoi je souhaite vivement cette réintégration !

Par ailleurs, s’agissant des interpellations de Mme la ministre, je ne me fais aucun souci sur les garanties données à l’encontre du travail obligatoire. En revanche, je regrette de le dire, mais, dans la réalité, l’administration pénitentiaire utilise souvent l’accès ou le non-accès au travail comme une sanction déguisée.

On pourra toujours observer que le déclassement d’emploi pourra faire l’objet d’un recours devant le tribunal administratif. Mais combien de temps faudra-t-il à celui-ci pour examiner le dossier et remettre sa décision ? Le détenu devra-t-il attendre trois ans pour savoir s’il a accès ou non au travail ? C’est complètement irréaliste, d’autant plus que l’on sait – tous ceux qui connaissent les prisons le savent – que ces décisions sont souvent prises en fonction du comportement du détenu.

Enfin, en matière de droits sociaux, je rappelle que, s’il existe des droits sociaux généraux, par exemple en cas de maladies, il existe aussi des droits sociaux spécifiques, notamment en cas d’accident du travail.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 22 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Claude Jeannerot, pour explication de vote sur l'amendement n° 114.

M. Claude Jeannerot. Nous nous rangeons à l’explication donnée par M. le rapporteur sur cet amendement.

En effet, j’en conviens, la proposition que nous avons faite introduit une difficulté de lecture. Néanmoins, sur le fond, elle milite pour que le projet de loi gagne en cohérence, ce qui est peut-être encore possible !

En particulier, comme je l’indiquais précédemment, nous pourrions améliorer la lecture du texte si l’article 14 et l’article 11 ter, que nous avons adopté hier, étaient présentés sous une même rubrique, qui traiterait de l’obligation de proposer au détenu une sorte de contrat d’insertion passant par l’activité professionnelle, par la formation et par l’éducation.

Je crois que nous y gagnerions en cohérence et en lisibilité.

Pour autant, nous retirons l’amendement n° 114.

M. le président. L’amendement n° 114 est retiré.

Je mets aux voix l'amendement n° 21 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 23 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 24 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 63 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 14.

(L'article 14 est adopté.)

Article 14
Dossier législatif : projet de loi pénitentiaire
Articles additionnels avant l'article 15

Article 14 bis

Lors de la passation d'un marché, le pouvoir adjudicateur peut attribuer un droit de préférence, à égalité de prix ou à équivalence d'offres, à l'offre présentée par le service pénitentiaire de l'emploi ou par les sociétés concessionnaires des établissements pénitentiaires pour les produits ou services assurés par les personnes détenues. Les dispositions de l'article 53 du code des marchés publics sont applicables. – (Adopté.)

Article 14 bis
Dossier législatif : projet de loi pénitentiaire
Article 15

Articles additionnels avant l'article 15

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 60 rectifié, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

Avant l'article 15, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'autorité administrative favorise, lors de l'incarcération initiale ou d'un transfèrement, la possibilité pour le détenu de maintenir des relations stables et continues avec sa famille.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement a pour objet le maintien des relations familiales avec les détenus.

Vous le savez, ce lien familial est indispensable, notamment pour préparer le parcours de réinsertion, mais également pour organiser la sortie.

La préservation des relations que le détenu entretient avec l’extérieur est donc une exigence forte, à laquelle le projet de loi apporte une réponse partiellement satisfaisante. Je pense, à cet égard, à l’inscription dans le texte de la commission du principe de parloir hebdomadaire.

Je souhaiterais revenir sur un point qui n’est pas abordé par le projet de loi pénitentiaire, celui du tourisme carcéral.

Il arrive que l’administration utilise le transfèrement des détenus, non pas uniquement pour assurer une meilleure répartition des détenus dans les prisons ou pour des raisons de sécurité ou de maintien de l’ordre, mais plutôt à titre coercitif, comme un moyen détourné de sanction. Le transfert se fait alors sans motif.

Ainsi, je me rappelle avoir été un jour interpellée par un détenu qui avait été transféré dix-huit fois en douze mois. C’est énorme !

Cette réalité a des conséquences désastreuses sur le droit au maintien des liens familiaux avec le détenu.

En effet, les familles n’ont pas toujours la possibilité ni les moyens de suivre leur proche qui est en détention. À ce titre, je vous rappelle les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l’Europe dans son rapport de 1993 : « Un détenu qui se trouve dans une telle situation de transfert incessant aura de très sérieuses difficultés à maintenir des contacts avec sa famille, ses proches ou même son avocat. L’effet des transfèrements successifs sur un détenu pourrait, dans certaines circonstances, constituer un traitement inhumain et dégradant. »

Il n’est donc pas seulement question d’une atteinte au droit de vivre des familles. Le transfèrement incessant peut engendrer des souffrances psychiques de nature à porter atteinte à la dignité du détenu. Il peut même compromettre le droit à la défense en perturbant les relations du détenu avec ses avocats.

C’est la raison pour laquelle, tout en ayant conscience que le transfèrement est souvent nécessaire, nous souhaitons qu’il soit exécuté dans le respect du droit du détenu à maintenir des relations avec ses proches. À dire vrai, cela n’implique pas grand-chose : prévenir la famille dans les meilleurs délais et assurer une proximité géographique entre le détenu et ses proches dans la décision de transfèrement.

J’ai rencontré de nombreuses familles qui vivent, en ce moment même, un véritable cauchemar en raison de l’éloignement avec un parent détenu. Par exemple, cela coûte très cher à une famille de Lille de se rendre à la prison des Baumettes ou dans une autre prison éloignée. Or, souvent, les familles concernées sont en situation difficile et n’ont pas les moyens d’effectuer des visites régulières au détenu.

Des problèmes matériels découlent de cette rupture. Les décisions de transfèrement doivent donc prendre en compte toutes ces exigences de stabilité, de contact et de moyens nécessaires à la famille pour entretenir la relation.

C’est ce que nous vous proposons avec cet amendement.

M. le président. L'amendement n° 115 rectifié bis, présenté par M. Anziani et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Avant l'article 15, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les personnes détenues dans des établissements pénitentiaires ont droit au maintien de leurs liens familiaux.

La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Cet amendement est de ceux qui ne plaisent pas toujours, puisque – je le reconnais bien volontiers – il s’agit d’un amendement de principe. D’ailleurs, il doit s’organiser avec l’amendement suivant, qui précise l’exercice du droit au maintien des liens familiaux.

Cet amendement se justifie par son texte. Il s’agit de rappeler, avec beaucoup de vigueur, le principe des liens familiaux !

Ce rappel vise, d’abord, à éviter les dérogations. En effet, dans la réalité, les choses ne se déroulent pas comme dans le code de procédure pénale. Des familles arrivent au parloir et découvrent qu’il n’y a pas de parloir. Des familles viennent parfois de loin pour se voir invitées, au dernier moment, devant la prison, à retourner chez elles.

Or, il s’agit d’un principe absolu pour le détenu, mais aussi pour les familles qui ont le droit de voir leur parent emprisonné !

De plus, ce principe présente un intérêt pour la réinsertion. En effet, en amoindrissant les relations entre la famille et le détenu, nous compromettons les possibilités de réinsertion, qui ne sont pas envisageables sans accueil familial à la sortie de prison.

M. le président. L'amendement n° 230, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Avant l'article 15, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les détenus ont le droit de maintenir des liens avec leur famille, leurs proches et des représentants d'associations ou de tout autre organisme extérieur.

Les autorités judicaires et administratives doivent tenir compte, dans toutes les décisions relatives à l'exercice de ce droit, de l'éloignement de la famille, de la fragilité psychologique du détenu et de son état de santé.

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Notre amendement reprend la règle pénitentiaire européenne 24.1, qui pose le principe du droit reconnu au détenu de maintenir des liens familiaux avec toute autre personne.

Or, chacun sait que les liens avec la famille ou les proches sont particulièrement difficiles à entretenir et souvent rompus dès l’arrivée en détention.

Certes, les détenus disposent déjà d’un droit à recevoir des visites. Mais son application est tout de même laissée à l’appréciation de l’administration pénitentiaire, qui peut le refuser pour des motifs liés au maintien de la sécurité ou au bon ordre de l’administration.

De ce fait, il arrive que des parloirs soient refusés à la dernière minute, sans que la famille ait évidemment pu être prévenue. Il arrive également que des proches, après avoir parcouru des kilomètres, voire des centaines de kilomètres, se voient refuser l’accès au parloir pour quelques minutes de retard.

De surcroît, la fréquence et la durée des séances de parloir sont souvent trop espacées pour la première et trop courte pour la seconde. Ces difficultés sont affrontées par les détenus, mais aussi par les familles. Comme l’a très habilement montré le film « À côté » de Stéphane Mercurio, que je vous conseille de regarder, le maintien des liens avec un conjoint ou un fils détenu constitue souvent un parcours plus qu’ardu.

Le maintien des liens avec les familles dépend également du lieu de l’incarcération. L’administration pénitentiaire ne tient nul compte de la distance entre le détenu, sa famille ou ses connaissances.

Ainsi, des milliers de détenus se retrouvent coupés de toutes relations familiales ou amicales et sont plongés dans un grand isolement affectif, pour ne pas dire dans une véritable misère affective, qui aggrave l’isolement carcéral.

En 1998, une étude publiée par les Cahiers de démographie pénitentiaire et qui, d’ailleurs, n’a pas été rééditée depuis, démontrait que 47 % des personnes incarcérées n’avaient pas été appelées à un seul parloir durant leur détention.

Depuis 2003, l’administration a ouvert des unités de vie familiale dans quelques établissements pour peine, ainsi que des parloirs familiaux dans certaines maisons centrales. Enfin, un petit progrès est accompli !

Toutefois, ces deux aménagements sont loin d’être généralisés et ne concernent que des condamnés à de longues peines.

L’absence de liens familiaux a des répercussions sur l’état de santé physique et mentale des détenus. Alors que le nombre de suicides a explosé depuis janvier dernier, il est urgent de les renforcer. Il doit donc être reconnu formellement dans la loi que les détenus ont droit au maintien de leurs liens avec leur famille ou toute autre personne.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Sur l’amendement n° 60 rectifié, la commission estime que le droit qui est visé, à savoir le maintien de relations stables et continues avec la famille, est garanti par les articles 15 et 15 bis du texte proposé par la commission, que nous examinerons dans quelques instants.

Je précise d’ailleurs que, concernant les transferts, qui, parfois, peuvent être très fréquents, quelques progrès ont été enregistrés, progrès liés à l’évolution de la jurisprudence administrative : alors que ces transferts étaient autrefois considérés comme étant des actes ne faisant pas grief, la jurisprudence du Conseil d’État a évolué et les assimile désormais à des décisions administratives susceptibles de recours.

La commission demande le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettra un avis défavorable.

L’amendement n° 115 rectifié bis semble inutile à la commission, l’article 15, dans la rédaction qu’elle a élaborée, permettant de garantir le droit au maintien des liens familiaux, ce de manière concrète, c'est-à-dire sous la forme de visites ou de permissions de sortie.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La rédaction de l’article 15 paraît préférable à celle qui est proposée dans cet amendement.

Elle pourrait, d’ailleurs, être enrichie de dispositions relatives aux unités de vie familiale, la volonté de la commission étant de ne pas limiter l’ouverture desdites unités aux établissements pour peine, mais de l’étendre aux maisons d’arrêt. En effet, une personne peut rester très longtemps dans une maison d’arrêt bien qu’elle soit présumée innocente. Plus on est présumé innocent, moins on a de droits : c’est là un paradoxe qu’il faudra bien résoudre.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Effectivement !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La commission demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.

Les remarques que je viens de formuler valent pour l’amendement n° 230.

Nous devons avoir pour objectif de favoriser au maximum la proximité du détenu et de sa famille. Cependant, dans la pratique, c’est parfois difficilement réalisable, en particulier pour les personnes condamnées à de longues peines – parce qu’il y a peu de maisons centrales sur notre territoire –, pour les mineurs – car seuls sept établissements pénitentiaires leur sont réservés – et pour les femmes – puisque, le nombre de femmes incarcérées représentant seulement un peu plus de 3 % de la population carcérale, les établissements accueillant des femmes ne sont pas très nombreux. Je précise au passage que tous ceux que j’ai visités, notamment la prison pour femmes de Rennes, sont parfaitement convenables. (Mme Bernadette Dupont opine.) Si l’ensemble des lieux de détention étaient dans un état comparable, la loi pénitentiaire aurait rempli en grande partie son objet.

Je précise, en outre, qu’une certaine souplesse est nécessaire, pour que le détenu puisse être affecté dans un établissement qui, de par le type d’activités et de formations qu’il propose, est le mieux à même de répondre à son profil.

Nous allons généraliser l’évaluation en début d’incarcération : si le détenu manifeste la volonté, par exemple, d’apprendre un métier de l’aéronautique, auquel il est plus facile de s’initier du côté de Toulouse que du côté de Lille, il pourra en être tenu compte pour son affectation.

On ne peut exclure que, dans certains cas, notamment les cas de criminalité intrafamiliale, l’éloignement puisse être souhaitable.

Je rappelle également la situation particulièrement difficile et douloureuse des détenus qui ne reçoivent aucune visite. Nombre d’entre eux ne reçoivent que les visites de l’aumônier et des visiteurs de prison. J’en profite, d’ailleurs, pour saluer le rôle tout à fait éminent joué par les uns et par les autres.

Je précise, enfin, que la commission a souhaité corriger les effets de l’éloignement – nous y reviendrons dans un instant – en reprenant une suggestion de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et de nos collègues du groupe CRC-SPG : la durée du parloir devra prendre en compte l’éloignement de la famille.