M. le président. La parole est à M. Georges Patient, sur l’article.

M. Georges Patient. Les barrages dressés lors des émeutes de novembre 2008 en Guyane, les événements qui secouent depuis plusieurs semaines la Guadeloupe, la Martinique et désormais la Réunion ont tous pour origine, même si le malaise s’avère en fait plus profond, les problématiques liées à la vie chère.

Dans un tel contexte, la question du logement devient centrale dans la mesure où le budget consacré à ce poste représente souvent plus de 30 % des dépenses des ménages. Le loyer et les charges ont connu, ces dernières années, des hausses bien supérieures au coût de la vie proprement dit. C’est d’ailleurs la raison qui a incité le Gouvernement à modifier les caractéristiques de l’indice des loyers et à instaurer l’indice de référence des loyers, l’IRL, fondé non plus uniquement sur le coût de la construction mais, plus largement, sur les indices des coûts à la consommation.

En Guyane, ces augmentations ont atteint des taux records, avec un marché du logement, notamment dans la capitale, complètement orienté à la hausse dans un contexte de pénurie de logements. Dans certains cas, on a même vu apparaître un marché de la demande à la place du marché de l’offre : le logement offert au plus offrant. Tout cela s’est accompagné d’une flambée des coûts de construction et de production.

Nous voyons bien, aujourd’hui, que l’on a atteint un point de non-retour et que la question du logement et des loyers reste problématique, dépourvue de solutions tangibles à court terme.

J’ajoute, sans entrer dans la polémique des chiffres récents publiés par l’INSEE, que les jeunes de moins de vingt-cinq ans représentent plus de 60 % de la population totale. C’est une force, selon certains, mais aussi une bombe à retardement. En effet, gérer l’éducation, l’insertion professionnelle, l’accès à un logement et à l’emploi pour un très grand nombre ne sera pas chose aisée dans un tel contexte économique.

La question du logement sera très prochainement encore plus préoccupante. Des solutions nouvelles sont donc à inventer rapidement.

L’accession à la propriété est sans doute la première de ces solutions. Plus spécifiquement, l’accession sociale demeure, en Guyane, une réponse au logement du plus grand nombre. Elle se heurte cependant, depuis plusieurs années, à un certain archaïsme, à la disparition de ses mécanismes de financement – notamment le prêt du Crédit Foncier de France, délivré autrefois, ou le prêt complémentaire LAS – et à une lente dégradation du volume de terrains équipés à coût modéré.

La sur-bancarisation du système actuel a sans doute trouvé ses limites. Sans entrer dans la polémique, on peut dire que le fait d’accéder à tout prix à la propriété peut devenir un leurre si l’endettement est trop important.

En Guyane, au contraire, il existe une majorité de ménages non bancarisés qui aspirent à la propriété, plus par pure tradition ou mode de vie que par choix économique. C’est une force, et il est nécessaire de s’en servir. L’instauration d’une plus grande souplesse dans le mécanisme de financement du logement évolutif social, le LES, par exemple, au lieu du recours systématique au crédit, doit permettre la construction de logements de masse évolutifs respectant l’environnement, c’est-à-dire de logements durables.

Des moyens financiers également adéquats seront nécessaires. Aujourd’hui, les subventions représentent à peine 30 % du coût total, hors achat du terrain et viabilisation ; dans les années quatre-vingt-dix, elles atteignaient la moitié de ce coût. Deux champs d’investigation doivent donc être étudiés : la révision de la politique des prix et l’indexation des subventions sur les véritables coûts de la construction. L’étroitesse du marché guyanais et le quasi-monopole de certains groupes ne facilitent sans doute pas les choses en la matière.

La quasi-hégémonie de choix du logement locatif social a entraîné celui-ci dans une impasse. Le nombre de demandeurs de logements sociaux locatifs est à ce jour bien supérieur à l’ensemble du parc de logements existants. La courbe de la demande croît de manière exponentielle alors que la production stagne, et le phénomène ne cesse de se dégrader au vu de la croissance démographique.

La politique des loyers consistant à systématiser le loyer plafond ne rend plus le logement locatif attractif pour un ménage modeste. Cette politique est pourtant la seule alternative pour les bailleurs sociaux, puisque ceux-ci doivent également prendre en compte le financement de l’aménagement des terrains, les équipements publics et, bien souvent, l’assainissement collectif.

Pour toutes ces raisons, nous atteignons des prix de loyers certes autorisés par la loi, mais trop élevés pour la majorité des bénéficiaires. Des choix nouveaux en la matière sont possibles, notamment par l’intermédiaire de la création de zones d’aménagement concerté, les ZAC, comme c’est le cas à Saint-Laurent-du-Maroni ou à Macouria, dans le secteur de Soula. Il est urgent d’en programmer d’autres dès maintenant. Le maître mot en la matière serait « diversification » : il s’agit de permettre le financement d’opérations croisées public-privé et logement social-logement intermédiaire, avec les équipements en parallèle.

Quels dispositifs pouvons-nous envisager pour répondre à cette problématique ? D’abord, l’instauration d’un véritable plan du logement en Guyane, à l’instar de ce qui vient d’être lancé à la Réunion. Ensuite, le développement d’opérateurs sociaux, intermédiaires et associatifs soutenus par les pouvoirs publics afin d’impulser une nouvelle dimension visant à l’augmentation de l’offre de logements. Enfin, une grande diversification des produits liés au logement : accroître l’offre locative de logements à loyers maîtrisés dans le parc public, mais aussi dans le parc privé, lancer une politique d’accession à la propriété, notamment sociale et intermédiaire, et développer l’offre de solutions d’hébergement ou de logement spécifique pour les populations marginalisées ou en insertion.

Cela demande avant tout, outre des moyens humains et financiers importants, une volonté politique sans faille de faire de la question du logement plus qu’une priorité locale, un devoir à l’égard de la jeunesse.

M. le président. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette, sur l’article.

M. Jean-Étienne Antoinette. Permettez-moi, avant l’examen de cet article, de faire une remarque de fond : la question du logement social en outre-mer est trop grave, trop tragique même pour qu’on achemine ainsi vers le marché de la spéculation ce qui constitue avant tout un droit fondamental de la personne humaine, un droit que vous avez même rendu opposable !

Ce droit touche à des problématiques sociales lourdes, ainsi qu’à des problématiques de santé publique particulièrement tenaces en outre-mer, où l’insuffisance de logements décents produit son corollaire dans la prolifération de l’habitat spontané et insalubre.

Ce droit fondamental, c’est d’abord à une politique publique volontariste de le garantir, sans compter sur le bon vouloir d’investisseurs qu’il va falloir appâter, ce qui, quoi qu’on fasse, produit des effets d’aubaine et des effets pervers.

Si la loi Girardin a justement produit ces effets pervers d’augmentation de la spéculation foncière, par exemple, ce marché du logement libre et intermédiaire a tout de même trouvé preneur. Il y avait de la demande ! Des entreprises du BTP ont prospéré, des emplois ont été créés et des familles ont accédé à des produits correspondant à leur évolution sociale et économique.

Outre-mer, 80 % de la population relève du logement social. C’est dire que 20 % ou presque dépasse les plafonds de ce dernier, ce qui n’est pas négligeable. Par ailleurs, au sein même de la population relevant du logement social, la mobilité professionnelle et économique existe un tant soit peu et aboutit donc aux aspirations de nombreux foyers à un parcours résidentiel ascendant, du collectif à l’individuel, du locatif à l’accession, du social à l’intermédiaire.

Pensez-vous que, en recentrant sur le logement social un dispositif conçu pour le logement libre, vous répondrez véritablement aux attentes des populations d’outre-mer les plus nécessiteuses, alors que cette approche, qui va soumettre la réponse au bon vouloir des investisseurs, dépend du degré d’attractivité du dispositif proposé ?

Mais passons sur l’opportunité. Puisque les jeux sont faits et que l’approche est décidée, parlons d’efficacité !

Malgré les modifications du texte actuel, on semble avoir oublié que trois évolutions majeures sont survenues depuis : je veux parler de la crise financière, du plafonnement des niches fiscales et de la mise en œuvre de la loi Scellier. J’ajouterai l’impact médiatique de la situation sociale dans les Antilles françaises, qui provoque un désengagement massif des investisseurs et des concours bancaires. Dans ce climat social et économique incertain, aux données aléatoires, peut-on imaginer aujourd’hui que les contribuables vont prendre le risque d’investir sur un produit peu rentable dans un département d’outre-mer ?

L’architecture d’une politique de logement dans les DOM devrait porter sur la diversification des produits offerts aux populations, avec les perspectives suivantes : premièrement, maintien et confortement de la LBU, avec une adaptation des paramètres de financement assurant l’équilibre des opérations et une dotation annuelle de 270 à 300 millions d’euros ; deuxièmement, maintien d’une défiscalisation patrimoniale par le logement intermédiaire, ce qui supposerait une adaptation de la loi Scellier donnant un avantage aux DOM ; troisièmement, mise en œuvre d’un dispositif de défiscalisation en location-accession ; quatrièmement, maintien d’un fonds d’aménagement urbain permettant d’assurer le financement des opérations d’aménagement. Il convient de prendre en compte les handicaps de l’outre-mer, liés, en général, aux plans de prévention des risques et aux retards en matière de viabilisation primaire.

En intégrant ces propositions dans une programmation annuelle du logement par département, il nous paraît possible d’assurer une relance du logement social et intermédiaire. C’est un peu le sens des divers amendements proposés par mes collègues et moi-même, amendements auxquels vous serez attentifs, j’espère.

M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade, sur l’article.

Mme Odette Terrade. Cet article 20 est l’un des articles clés du projet de loi. Il porte en effet sur la question de la défiscalisation des opérations de construction de logements avec la mise en exergue d’une priorité au financement d’opérations de construction de logements sociaux.

À dire vrai, nous approuvons sur le fond que la dépense fiscale destinée à l’outre-mer soit réorientée, abandonnant les rivages rebattus de la construction de logements à visée spéculative pour ceux de la réalisation de logements sociaux.

Rappelons quelques faits : les trois quarts des foyers fiscaux de l’outre-mer sont non imposables au titre de l’impôt sur le revenu ; par conséquent, dans l’hypothèse vraisemblable où ils ne sont pas propriétaires de leur résidence principale, ils sont parfaitement en droit de demander un logement social.

Mais voici des éléments encore plus précis : en 1999, 40 % des habitants de la cinquième circonscription législative de la Réunion – cela couvre les cantons de Bras-Panon, Sainte-Marie, Sainte-Suzanne, Saint-André, Saint-Benoît, La Plaine-des-Palmistes et Salazie – occupaient des logements dépourvus d’eau chaude. Et l’on comptait encore plus de 2 000 logements sans sanitaires intérieurs ! Dans la seconde circonscription de la Guyane, qui couvre l’essentiel de ce grand département, sauf l’agglomération de Cayenne, on comptait moins de 45 % de logements pourvus de l’eau chaude et plus de 20 % de logements dépourvus de point d’eau.

Dans les deux cas, si nous pouvons penser que la situation s’est quelque peu améliorée depuis, nous n’en sommes cependant pas tout à fait certains, notamment au vu des articles relatifs à la zone des cinquante pas qui montrent que tout est loin d’être réglé.

Toujours est-il que la priorité au logement social est une évidence.

Dans les départements d’outre-mer, il faut en effet construire beaucoup de logements sociaux en s’appuyant sur des réserves foncières faibles et assez peu extensibles, sauf peut-être en Guyane, tout en ayant le souci de résoudre les problèmes éventuels de sur-occupation, de confort des logements, comme de résorption des habitats insalubres, en faisant disparaître progressivement l’habitat de fortune ou construit illégalement et, pour finir, en respectant des normes de construction antisismique et anticyclonique.

Le tout se fait évidemment dans le cadre de financements tendus, adossés à une ligne budgétaire unique particulièrement réduite, et en sollicitant des organismes d’HLM et des collectivités locales disposant de moyens somme toute plutôt réduits au regard de l’immensité de la tâche.

Le portage des opérations de réalisation de logements sociaux, tel qu’il est prévu par cet article 20, montre une partie des problèmes auxquels nous sommes confrontés.

Le dispositif de défiscalisation a manifestement conduit au renchérissement du foncier, ce qui a contraint les collectivités locales et les organismes d’HLM à mobiliser d’autant plus de moyens pour pouvoir piloter quelques opérations.

Que l’on change quelque peu le fusil d’épaule est finalement plutôt bienvenu, mais appelle néanmoins quelques observations supplémentaires.

Et user de la priorité affichée à la construction de logements en saisissant l’occasion de réaliser quelques menues économies comptables n’est pas plus admissible !

Dans l’urgence de la situation, il ne faut pas hésiter à mobiliser les moyens nécessaires à la résolution des problèmes. Il importe, à notre sens, de savoir très vite si d’autres mesures peuvent être menées pour faciliter la réalisation des programmes locatifs sociaux qu’attendent à juste titre les mal-logés de l’outre-mer français. N’y a-t-il pas moyen, s’agissant notamment de l’utilisation du domaine public, et malgré les imperfections du cadastre dont nous avons déjà parlé, de concevoir des opérations de cession de terrains disponibles à titre gratuit ou avec une importante minoration, prise en charge en sus de la ligne budgétaire unique, en vue de réaliser dans de meilleures conditions encore des opérations de construction ?

Une telle démarche peut, de ce fait, apparaître plus pertinente – on joue alors sur le prix principal et non pas seulement sur les coûts fiscaux accessoires – qu’une simple exonération de droits de mutation.

En tout cas, la situation de l’outre-mer en matière de logement doit appeler à l’innovation, à la recherche du moindre coût pour le meilleur service rendu et au nécessaire effort de solidarité que nous devons aux populations aujourd’hui victimes du mal-logement.

Tels sont les points que le groupe CRC-SPG souhaitait porter à la connaissance du Sénat avant l’examen de cet article.

M. le président. La parole est à Mme Gélita Hoarau, sur l’article.

Mme Gélita Hoarau. Nous abordons le sujet qui appelle le plus débat.

Le problème du logement dans les DOM se résume en trois phrases : nous avons un besoin cruel de logements ; la production actuelle ne donne pas une réponse satisfaisante ; plus des deux tiers de nos populations sont éligibles à un logement social.

C’est dans ce contexte que vous décidez de remettre fondamentalement en cause ce qui avait été acquis avec la loi Girardin et qui devait se poursuivre jusqu’en 2018. Vous réformez complètement les dispositifs de défiscalisation pour l’accession libre à la propriété, ainsi que pour la construction de logements intermédiaires, et vous mettez en place une défiscalisation pour le logement social. Vous voulez en faire un mécanisme expérimental qui pourrait être étendu en métropole.

Par ailleurs, le vote dans la loi de finances pour 2009 de dispositions concernant la défiscalisation – les fameuses « niches fiscales » – vient compliquer les choses, tandis que le nouveau contexte de crise économique et financière accentue les difficultés. Si le secteur du BTP devait s’effondrer, les conséquences sociales seraient catastrophiques.

Entre-temps est aussi intervenu le vote de la loi Grenelle I, qui impose de nouvelles normes dans la construction de logements, normes que nous estimons nécessaires mais qui entraînent de nouvelles contraintes.

Dans ce contexte, les interrogations quant à l’efficacité des nouveaux dispositifs proposés se sont multipliées. Nous aurons l’occasion de les signaler au cours du débat.

Il y a donc une unanimité pour dire qu’il faut revoir quelque peu le dispositif concernant le logement libre pour le rendre plus attractif, qu’il convient de redonner au logement intermédiaire et intermédiaire-social sa véritable place, c’est-à-dire celui de relais entre le logement social et le logement libre, d’assurer une production de base du logement social par une programmation pluriannuelle et en sanctuarisant la LBU .

Les amendements déposés vont dans ce sens.

Je regrette que la question du logement soit traitée dans le projet de loi quasi uniquement sous l’angle de son financement, même si c’est un aspect essentiel.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Non négligeable !

M. Gélita Hoarau. Construire un logement, c’est d’abord, bien entendu, répondre à un besoin social et, par conséquent, assurer une bonne cohésion sociale. Mais c’est aussi contribuer à la création, sinon au maintien de l’emploi. Á la Réunion, on a coutume de dire que la construction d’un logement correspond à un emploi et demi. C’est participer à l’aménagement du territoire, et c’est un élément clef dans le processus du développement durable.

Aussi pouvons-nous regretter que certains problèmes ne soient pas abordés, sinon de manière sommaire. Au départ, il était prévu que le projet de loi proposerait « une incitation aux collectivités pour qu’elles développent une offre foncière suffisante ». Il n’en est plus question dans le texte discuté aujourd’hui.

Signalons quelques aspects pas ou peu abordés : la réhabilitation et les moyens de cette dernière, le logement des agriculteurs, l’auto-construction, la construction de logements sociaux et l’économie alternative pour l’accompagnement autour du logement social, les questions de l’aménagement, à savoir son financement, la densification, la centralité.

Ne sont pas davantage signalées les nouvelles contraintes environnementales qui posent les problèmes de l’aménagement paysager et architectural pour faire face aux effets du changement climatique, de l’équipement des logements individuels ou collectifs en appareils économes en énergie, d’un logement écologique et/ou à haute qualité environnementale adapté aux conditions de la Réunion, ce qui suppose la recherche de nouveaux matériaux.

Le fait de ne pas avoir abordé les questions sociales dans le projet de loi a eu un effet boomerang : ces problèmes sont revenus dans le débat par le biais de manifestations et de grèves prolongées. Il nous faut en tirer les leçons.

En 2004, à la Réunion, l’ensemble des acteurs – y compris donc l’État et son représentant – avaient rédigé un Livre blanc sur le logement social, et le gouvernement de l’époque s’était engagé à examiner de plus près les recommandations présentées. Il ne l’a pas fait.

Le 28 février 2007, le ministre de l’outre-mer organisait la « conférence nationale sur le logement social outre-mer ». Le principe de la transformation de celle-ci en une instance pérenne d’évaluation de la politique de l’État et de l’utilisation des crédits était acté.

L’idée mérite d’être approfondie. Actuellement, sous l’impulsion du conseil général de la Réunion, des ateliers travaillent à un « plan Marshall » du logement social : de nombreux aspects du problème sont abordés. Les conclusions que tireront ces ateliers ne devraient pas rester lettre morte.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Yves Jégo, secrétaire d'État chargé de l'outre-mer. Le Gouvernement ayant été interpellé, j’entends répondre. J’ai en effet entendu beaucoup de choses justes, mais aussi beaucoup de caricatures, et même parfois de caricatures grossières. (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG.) S’accrocher aussi vigoureusement au dispositif de défiscalisation du logement libre pour démontrer que la loi que nous faisons évoluer n’a produit que des effets bénéfiques n’est pas réaliste, surtout quand, dans le même discours, est dénoncée la panne terrible du logement social !

Regardons les chiffres : dans les départements d’outre-mer, on compte plus de 100 000 demandes de logements sociaux non satisfaites. Peut-on dès lors se contenter de dire que les dispositifs mis en place jusqu’à présent sont suffisants ? À l’évidence, non !

C’est une raison de plus, j’en suis d’accord, pour appréhender le problème par tous les côtés, en premier lieu en mobilisant le foncier.

Si l’État est prêt à faire des efforts sur son propre patrimoine pour que des logements sociaux puissent être construits, il appelle aussi les communes et les régions, dans le cadre des schémas d’aménagement régionaux, à dégager du foncier à cette même fin, car, sans foncier, on aura beau inventer ici les plus beaux outils et mettre en place les financements correspondants, les logements sociaux ne sortiront pas de terre.

Une mobilisation globale est donc nécessaire, et le Gouvernement, à travers les outils qu’il vous propose dans ce texte, mesdames, messieurs les sénateurs, entend bien apporter des réponses très fortes à ce sujet.

Il faut, évidemment, que les critères et les paramètres de financement du logement social non seulement soient garantis mais aussi correspondent à la réalité. Vous ne pouvez pas ignorer que, le 31 janvier dernier, un décret a révisé les paramètres et que les professionnels du logement social considèrent aujourd'hui qu’il est possible de construire dans de bonnes conditions. Sur ce point, nous avons rattrapé le retard.

Vous avez par ailleurs raison d’insister sur l’importance de la ligne budgétaire unique. Combien de fois devrai-je donc répéter que non seulement elle n’est pas menacée, mais qu’elle est pérennisée ? Elle est en effet inscrite dans le budget voté par le Parlement. J’ajoute qu’elle est passée de 236 millions d’euros à 258 millions d’euros.

À ce propos, j’ai bien entendu que certains souhaitaient qu’elle soit portée à 270 millions d’euros. Je n’y suis pas opposé, mais encore faudra-t-il, mesdames, messieurs les sénateurs, que ces crédits puissent être consommés.

En effet – et c’est là le paradoxe –, dans certains départements, nous ne sommes pas arrivés à utiliser les crédits de la LBU tout simplement parce qu’il n’y avait pas de projets sur la table ! Je pense notamment à la Martinique – ce n’est en rien une accusation à l’encontre de son conseil général –, où il y a une panne dans la construction de logement social et où il faudrait se mobiliser collectivement sur ce sujet.

Ensuite, sur un plan presque philosophique, je suis très surpris d’entendre, venant de la gauche de cette assemblée, qu’il est choquant de mettre la défiscalisation au service du logement social.

M. Bernard Vera. Pas du tout !

M. Yves Jégo, secrétaire d'État. Faire payer le logement des plus modestes par les plus riches me semble au contraire être une mesure formidable de justice sociale et d’équité ! (Mme Lucette Michaux-Chevry applaudit.)

Le Gouvernement mobilise les fonds là où ils sont, et l’objet de l’article que nous nous apprêtons à examiner est de donner beaucoup de souplesse au dispositif mis en place à cet effet : LBU seule, pas de problème ! LBU cumulée avec la défiscalisation, pas de problème ! Défiscalisation seule, pas de problème non plus ! C’est la volonté du Gouvernement d’être souple. C’est aussi sa volonté de ne pas oublier le logement intermédiaire, nécessité qui a été soulignée à juste titre, mais en prévoyant par exemple que celui qui construira un programme de logements intermédiaires aura l’obligation d’en consacrer 30 % au logement social.

Enfin, il faut tirer les conclusions de la mise en œuvre de la loi Girardin, qui a plutôt porté ses fruits et notamment permis de reconstruire le parc du logement libre, mais qui a aussi entraîné des dérives malheureuses : ainsi, à la Réunion – vous le savez bien, madame Hoarau –, le foncier a augmenté de 100 % !

Il fallait donc réorganiser, réorienter, le faire de la manière la plus souple possible, en mobilisant le plus de moyens possible, bref en faisant preuve d’autant de créativité que possible, créativité que je ne doute pas de trouver dans les amendements qui vont venir en discussion.

Le logement est une question majeure pour l’outre-mer, et c’est y apporter une réponse sociale que de « mettre le paquet » en la matière. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les dispositions que je vous propose d’examiner maintenant, mesdames, messieurs les sénateurs, constituent l’un des deux piliers du projet de loi.

M. le président. L'amendement n° 100, présenté par M. Magras, est ainsi libellé :

Avant le 1° du I de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé :

...° Dans le 1, les mots : « Saint-Barthélemy » sont supprimés ;

La parole est à M. Michel Magras.

M. Michel Magras. Cet amendement vise à exclure expressément Saint-Barthélemy du champ de la défiscalisation du logement social.

Je sais qu’un tel amendement peut surprendre, surtout au regard du cliché, repris un peu partout, selon lequel on ne voudrait pas de logement social à Saint-Barthélemy. J’avancerai donc quelques arguments.

Premier point, mon amendement est non pas contre le logement social, mais contre la défiscalisation dans le secteur du logement, qu’il soit social ou pas.

Deuxième point, je pense connaître mieux que quiconque les conditions dans lesquelles les logements se construisent à Saint-Barthélemy. Or les dispositions prévues dans le projet de loi n’y permettront pas la défiscalisation, car les taux ne correspondent pas à la réalité du coût de la vie. À l’inverse, il se pourrait bien que certaines entreprises soient tentées de nous imposer un type de logement qui ne réponde plus aux normes d’urbanisme, d’architecture ou de sécurité telles qu’elles sont définies dans notre collectivité.

Troisième point, le logement locatif privé assure une véritable part de l’économie locale à Saint-Barthélemy. Un grand nombre de personnes, en particulier des salariés touchant à peine le SMIC, ont compris depuis une vingtaine d’années qu’il valait mieux investir l’argent de la vente d’une parcelle de terrain dans la construction de logements assurant un revenu secondaire. En conséquence, vous n’entendrez jamais ces personnes, même au SMIC, se plaindre de la vie chère et vous ne rencontrerez pas plus d’assistés sociaux parmi elles, parce qu’elles ont un revenu parallèle.

Bien entendu, nous avons conscience des dérives qui s’engagent aujourd'hui : la demande étant supérieure à l’offre, les loyers se sont envolés et la collectivité entend bien les maîtriser sur son territoire.

Quatrième point, notre île a des traditions. L’une de ces dernières, à laquelle nous étions tous farouchement accrochés, voulait qu’un jeune, avant de fonder son foyer, se construise sa maison. Hier, c’était avec l’aide des parents, des amis, de la famille. Aujourd'hui, c’est grâce à la vente d’une parcelle de terrain. Mais la tradition se perpétue. De très nombreux jeunes, y compris ceux qui viennent de l’extérieur, ont compris l’importance fondamentale qu’il y a à accéder le plus vite possible à la propriété : avoir sa propre maison.

Bien entendu, la collectivité s’est rendu compte que ce système ne pouvait fonctionner pour tout le monde. Elle a donc mis en place un droit de préemption qu’elle utilise pour acheter des terrains qu’elle met ensuite à la disposition des jeunes pour la construction de logement ou qu’elle échange avec des jeunes dont les terrains sont en zone inconstructible.

Enfin, j’avancerai un dernier argument, et il est de poids. Nous avons tous entendu ce matin M. le secrétaire d'État dire, en réponse à la commission des finances, que la collectivité de Saint-Barthélemy avait la compétence en matière de logement et n’était de ce fait pas concernée par les amendements qui venaient d’être votés, point qui a été confirmé lorsque j’ai moi-même sous-amendé un amendement de M. Virapoullé.

Je rappellerai que la collectivité de Saint-Barthélemy, en plus de la compétence en matière de logement, exerce la compétence en matière d’urbanisme et, mieux encore, en matière fiscale. Il serait donc tout de même malvenu que le législateur impose une défiscalisation dans des domaines de compétence qui relèvent exclusivement de la collectivité !

Mes chers collègues, j’ai tenu à dresser cet argumentaire pour que chacun comprenne ma position, qui, je le sais, est encore une position singulière par rapport à l’outre-mer ; bien sûr, je soutiens la démarche que vous défendez, mais j’aimerais que vous compreniez la mienne et que vous acceptiez de voter mon amendement.