M. Dominique Braye. Regroupez-vous !

M. Jean-Pierre Caffet. Mais là n’est pas le plus grave.

Le plus grave, c’est que les auteurs de cette proposition commettent l’erreur stratégique de concevoir l’avenir de la région capitale à l’échelle de la petite couronne, alors qu’il est nécessaire d’y intégrer des sites aussi décisifs que Saclay, les villes nouvelles, les zones aéroportuaires, mais aussi les quartiers en difficulté.

Plus grave encore, cette proposition entérinerait une région à deux vitesses, avec un « hyper centre » doté de pouvoirs comparables à ceux d’une communauté urbaine, le reste de la région étant censé trouver son ancrage en Île-de-France par la seule grâce d’un nouveau mode de scrutin.

En effet, selon le rapport du comité Balladur « le fait que certains des conseillers régionaux siégeraient également au conseil du Grand Paris, garantit contre le risque d’un éclatement de la région d’Île-de-France en deux entités éloignées l’une de l’autre ».

Disons-le clairement, nous n’y croyons pas : la vie économique, les politiques publiques à mettre en œuvre, les solidarités à construire, bref, l’aménagement d’un territoire aussi stratégique ne sont certainement pas solubles dans un mode de scrutin.

L’autre projet est celui de Paris Métropole, fruit d’une démarche entreprise par de nombreux élus franciliens, de droite comme de gauche, qui veulent disposer d’un instrument fédérateur pour coordonner, impulser et renforcer les dynamiques nécessaires autour des principaux enjeux de l’Île-de-France.

J’entends bien la critique formulée à l’égard de ce second projet : simple syndicat d’études, Paris Métropole ne pourrait pas, de ce fait, répondre aux défis lancés par le développement de la région capitale. Cette objection mérite considération. C’est pourquoi Paris Métropole doit évoluer pour devenir une structure opérationnelle capable de résoudre certains problèmes franciliens.

Puisque le comité Balladur nous invite à mieux coordonner nos collectivités, faisons-le, mais d’abord sur un périmètre qui n’exclue pas un Francilien sur deux, ce que permettrait Paris Métropole, englobant les secteurs de développement indispensables à l’Île-de-France mais aussi, j’insiste, la plupart des quartiers en difficulté de la région.

Faisons-le ensuite pour concentrer l’action de Paris Métropole sur ce qui est mal géré, voire pas géré, afin d’en faire le lieu de règlement des carences que chacun reconnaît.

Concrètement, Paris Métropole doit pouvoir être doté de compétences ou de missions reconnues dans des domaines qui nécessitent toujours plus de coordination.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Pierre Caffet. Des pistes existent d’ores et déjà.

La solidarité financière, d’abord. Aujourd’hui, le fonds de solidarité de la région d’Île-de-France, instrument créé il y a plus de vingt ans, a atteint ses limites. Cette question est essentielle pour l’avenir régional. Or le comité Balladur n’en parle pas. Plus qu’une lacune, c’est une faute !

La politique du logement, ensuite. Parce qu’elle est la compétence de tous,…

M. le président. Vous devez maintenant conclure, cher collègue.

M. Jean-Pierre Caffet. … elle n’est plus la compétence de personne !

Enfin, les enjeux urbains – l’organisation physique du territoire francilien, son dynamisme économique comme la localisation des grands équipements publics – sont plus que jamais d’actualité et pourraient être pris en charge par Paris Métropole.

Mais je conclus, monsieur le président.

On le voit, cette perspective est aux antipodes de l’immobilisme et du statu quo, principal argument de ceux qui voudraient revenir aux schémas des années cinquante. C’est pourquoi j’ai la conviction qu’elle mérite mieux que le mépris affiché par les tenants d’une recentralisation qui assument le risque d’une région coupée en deux et par là même impuissante.

Ce débat est donc loin d’être terminé. Puissent la sagesse et l’écoute des élus l’emporter. L’avenir de la région capitale en dépend ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Yves Krattinger, rapporteur de la mission temporaire, applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.

M. Philippe Dallier. Je ne surprendrai sans doute personne en vous disant que j’utiliserai également mon temps de parole pour évoquer le Grand Paris et tenter de vous convaincre que, sur ce sujet-là, pas plus que sur les autres, le statu quo n’est tenable.

Dans son rapport, avec un courage et une audace que je salue, le comité Balladur a retenu, dans les grandes lignes, les idées formulées il y a près d’un an dans un autre rapport rendu ici, au Sénat, au nom de notre observatoire de la décentralisation – vous pourriez vous en souvenir, monsieur Caffet ! (M. Jean-Pierre Caffet proteste.)

Mais aussitôt, comme il y a un an, les oppositions se sont manifestées avec une véhémence qui ne s’explique que par la peur de voir, petit à petit, avancer cette idée d’une métropole outil de gouvernance politique.

Si l’imagination fait défaut à certains pour penser un nouveau modèle institutionnel, elle est au pouvoir pour asséner des critiques ! Ainsi, le Grand Paris serait, comme l’a dit Bertrand Delanoë, « un mastodonte impuissant », renvoyant les communes de la première couronne à leur immense solitude, ou alors « une immense régression démocratique » qui nous ramènerait au département de la Seine d’avant 1964, selon Jean-Paul Huchon – idée reprise à l’instant par notre collègue Jean-Pierre Caffet.

Ces critiques excessives et vides de sens – comme la dernière que j’ai citée, puisque la décentralisation est passée par là depuis 1964 ! –, ont du moins le mérite d’être formulées. Mais il y a aussi le non-dit…

Notre collègue Pierre Mauroy, membre du comité Balladur, a dit avec bien plus de légitimité que moi ce qu’il fallait penser de l’attitude d’une grande partie des élus de la gauche francilienne : ils ne veulent en fait rien lâcher du pouvoir qu’ils détiennent, même au profit d’une structure plus puissante. Pourtant, cette structure serait certainement à gauche, du moins si nous votions demain ! En 2014, on ne sait pas ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Permettez également à l’élu de Seine-Saint-Denis que je suis de s’adresser à ses collègues de la majorité pour leur dire qu’il n’est pas possible de différer une réforme qui doit aussi et peut-être surtout avoir pour but de « recoudre » socialement ce territoire, notamment par le partage de la richesse fiscale.

Cependant, malgré ces critiques très dures – c’est un paradoxe étonnant –, chacun s’accorde à reconnaître l’existence de la métropole parisienne.

Il est effectivement difficile de la nier, même si l’on peut discuter à l’infini son périmètre : la métropole parisienne existe, comme existent en France, à une autre échelle, des métropoles régionales, comme émergent, partout dans le monde, des métropoles qui concurrenceront bientôt Paris, Londres, New York et Tokyo, ces villes-monde qui n’avaient jusqu’alors pas d’égales.

Mais, malheureusement, le consensus s’arrête là, car, pour les opposants au Grand Paris, l’émiettement du pouvoir, le morcellement du territoire, la ségrégation territoriale, le financement des politiques sociales et de la ville ne constitueraient pas des problèmes appelant des réponses métropolitaines.

Pour eux, la métropole parisienne existe, certes, mais il ne serait pas pertinent de chercher à asseoir les grandes politiques publiques sur le périmètre le plus approprié, avec pour objectifs une plus grande efficacité de la dépense publique et une meilleure réponse aux attentes de nos concitoyens !

Nous allons demander aux autres métropoles françaises, comme à l’ensemble des collectivités locales, de se réformer pour être plus efficaces. En revanche, ici, à Paris et alentours, nous pourrions nous exonérer de cette ardente obligation ? Mais à quel titre ?

M. Dominique Braye. Très bien !

M. Philippe Dallier. Selon certains, il suffirait que nous nous parlions pour améliorer la situation.

Certes, il faut se parler. La conférence métropolitaine lancée par Bertrand Delanoë aurait pu constituer une initiative intéressante si elle était devenue l’embryon d’une assemblée constituante du Grand Paris. Or elle a fini en syndicat mixte d’études, refuge de tous les opposants au Grand Paris. Quelle déception !

Je partage d’ailleurs pleinement le constat de nos rapporteurs pour lesquels cette structure apparaît « dépourvue de capacité d’agir par elle-même pour organiser le territoire, puisque aucune compétence ni aucune ressource ne lui sont dévolues ». En somme, un « mastodonte impuissant », pour paraphraser M. le maire de Paris.

Ce qui manque à la métropole parisienne, c’est une incarnation politique ; c’est un chef d’orchestre légitime pour imposer une politique, parce qu’il aura été élu sur un programme pour la métropole.

La seule justification du refus de toute évolution serait de considérer que le modèle de gouvernance issu de la réorganisation de 1964 et des lois de décentralisation est parfait. Mais chacun sait bien que ce n’est pas le cas !

Voilà pourquoi il n’est pas possible de reporter aux calendes grecques la création d’un Grand Paris ! Après le discours du Président de la République prononcé lors de la remise officielle du rapport du comité Balladur, tous ceux qui ne veulent pas d’un pouvoir métropolitain ont poussé des soupirs de soulagement, prenant pour un « enterrement de première classe », comme ils l’ont dit, le calendrier proposé par le chef de l’État.

Certes, il était utile d’attendre le rendu des dix équipes d’architectes-urbanistes. C’est chose faite !

Certes, il est utile également d’attendre que Christian Blanc nous présente ses projets de futurs pôles de développement économique ainsi que les projets d’infrastructure de transport qu’il aura retenus pour les relier entre eux. Ce sera chose faite à la fin du mois d’avril, nous a-t-on dit hier.

M. Jean-Pierre Caffet. Tout à fait !

M. Philippe Dallier. Mais après ?

Croire que le Grand Paris pourrait se résumer à un catalogue de projets d’infrastructure, si attractifs et porteurs de rêves soient-ils, serait un contresens historique terrible.

Sans réforme de la gouvernance, donc sans pilote dans l’avion, que se passera-t-il ? Il est facile de le deviner : chacun tirera à hue et à dia et, au bout du compte, l’État imposera ses vues, procédera par opérations d’intérêt national et recherchera simplement, si j’ose dire, des clés de financement.

Est-ce vraiment ce que veulent les élus locaux d’Île-de-France ? Est-ce cela l’aboutissement de près de trente ans de décentralisation en Île-de-France, le retour des opérations d’intérêt national ?

Mais il y a plus grave encore. Dans ce cas de figure, nous n’aurions pas avancé d’un pas sur le sujet du partage de la richesse fiscale ; nous n’aurions pas avancé sur la cohésion sociale ni sur l’unité d’un territoire que nous devons recoudre ; nous n’aurions pas non plus créé de sentiment d’appartenance positif à cet espace, si riche par ailleurs, alors qu’il concentre des zones de pauvreté devenues de véritables bombes à retardement !

Mon Grand Paris est un projet pour la cohésion urbaine et sociale. Les grands projets d’infrastructure y contribueront en renforçant la compétitivité de la métropole, mais ils ne sauraient constituer une fin en soi.

J’ai beaucoup travaillé sur ce sujet, mais je conclus, monsieur le président.

La solution que j’ai proposée n’est peut-être pas la plus optimale quant à son périmètre, j’en conviens, mais c’est la seule que nous puissions mettre en œuvre rapidement sans devoir tout remettre en cause, y compris les départements de la grande couronne et la région. Le comité Balladur est arrivé aux mêmes conclusions.

Cette solution ne crée pas de nouvelle frontière ; elle s’appuie sur les frontières actuelles de la petite couronne et fait tomber les frontières internes qui ne représentent rien.

Cette solution s’appuie sur les communes, échelon de proximité, et porte au bon niveau les politiques qui doivent être portées.

Cette solution permet le partage de la richesse fiscale pour financer les politiques sociales et la politique de la Ville.

Qui propose un modèle de gouvernance plus pertinent ? Personne ! Mais, c’est bien connu, la critique est facile, l’art est difficile !

Paris ne peut pas rester au bord du chemin de ce grand mouvement de construction politique des métropoles : ce serait une faute politique majeure !

La création du Grand Paris est une question d’intérêt général ; c’est aussi une question d’intérêt national.

Voilà pourquoi seul le chef de l’État peut initier ce mouvement. Voilà pourquoi l’avenir du Grand Paris concerne tous les parlementaires, et pas seulement ceux d’Île-de-France. Il y a urgence, nous ne pouvons pas nous défausser !

Si nous n’agissons pas, c’est une occasion historique, mais c’est aussi notre mission que nous aurons manquées ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.

Je vous le rappelle, mon cher collègue, votre temps de parole est réellement de cinq minutes. Un certain droit de tirage a effectivement déjà été utilisé ! (Sourires.)

M. Claude Bérit-Débat. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite intervenir sur l’intercommunalité et, plus particulièrement, sur l’enjeu qu’elle représente dans le paysage politique français ainsi que sur les ambitions que l’on peut légitimement nourrir à son égard.

L’intercommunalité, tout le monde s’accorde à le reconnaître, est une vraie réussite. D’une part, 93 % des communes appartiennent à une intercommunalité et représentent 87 % de la population. D’autre part, la loi Chevènement de 1999 a eu des effets positifs profonds et durables sur l’organisation territoriale française.

On disait hier « Paris et le désert français » ; on pourrait dire aujourd’hui, après avoir écouté ce débat, « la France intercommunale et le désert parisien » !

Si l’intercommunalité est devenue une réalité quotidienne pour les élus et surtout pour nos concitoyens, des améliorations doivent lui être apportées.

Il faut d’abord, comme le soulignent les rapporteurs, achever la carte de l’intercommunalité d’ici à 2011 ; cela me semble une bonne date. Pour ce faire, vous nous proposez, messieurs les rapporteurs, de trouver les moyens de contraindre les communes récalcitrantes. Les pistes mentionnées dans votre rapport vont, je crois, dans le bon sens : les pénalités négatives, notamment, me paraissent un dispositif intéressant.

Mais il faut aussi rationaliser la carte de l’intercommunalité, en dotant les territoires d’EPCI d’une taille critique, c’est-à-dire un territoire pertinent correspondant à un bassin de vie, un territoire aux dimensions adaptées aux missions qui y sont exercées.

Cela suppose aussi de mettre fin aux intercommunalités défensives et aux intercommunalités d’aubaine qui se sont créées.

On voit trop souvent aujourd'hui sur le périmètre d’une même agglomération deux intercommunalités, l’une purement défensive, l’autre essayant de travailler. C’est une situation inacceptable !

S’il faut renforcer les compétences obligatoires des intercommunalités, comme vous le proposez, cela me semble surtout vrai pour les communautés de communes, les communautés d’agglomération disposant déjà d’un arsenal de compétences obligatoires assez important.

Mais il faut aussi, et surtout, laisser le soin aux élus de définir librement l’intérêt communautaire. C’est tout aussi important !

M. Dominique Braye. Absolument !

M. Claude Bérit-Débat. Il est fondamental de bien ancrer l’idée que l’intercommunalité doit être une intercommunalité de projet. Les communes doivent se regrouper en fonction des besoins qu’elles identifient elles-mêmes. Dans ce cadre, elles doivent conserver la clause générale de compétence, sans quoi elles ne seraient plus maîtresses de leur action.

En outre, il me semble nécessaire d’élargir plus particulièrement les compétences des communautés de communes.

L’intercommunalité en France repose, selon moi, sur la possibilité laissée aux acteurs locaux de déterminer eux-mêmes leurs propres besoins. En effet, « la France se nomme diversité » ; en outre, l’esprit de la décentralisation – et nous y sommes tous très attachés –, c’est la possibilité donnée aux acteurs locaux de gouverner véritablement leurs territoires en fonction de leur propre vision politique.

Dans ces conditions, le renforcement de l’intercommunalité ne peut se faire au détriment des communes, qui ont un rôle essentiel à jouer dans la vie du pays, comme chacun, y compris les rapporteurs de la mission temporaire, s’accorde à le dire.

Je suis personnellement opposé à la création de communes nouvelles sur le périmètre des intercommunalités, car le rôle du maire serait alors réduit à l’inauguration des chrysanthèmes !

La représentativité démocratique des EPCI doit être repensée en conséquence. Les EPCI ne sont pas des collectivités locales, mais ils ont des budgets trop importants pour ne pas rendre des comptes aux citoyens.

À cet égard, les préconisations des rapporteurs vont dans le bon sens : le système de « fléchage » sur le modèle PLM, préconisé par l’Assemblée des communautés de France, paraît être la solution la plus logique pour ce nouveau mode de scrutin.

Toutefois, j’aurais souhaité personnellement que l’on aille un peu plus loin et que l’on ne fixe pas de seuil du tout. En effet, pourquoi introduire le seuil de 500 habitants ? Dès lors que l’on définit une règle sur la base de 3 500 habitants, on peut l’appliquer à toutes les communes. Je ne vois donc pas pour quelle raison il serait impossible de décider de ne pas fixer de seuil du tout. La règle de la proportionnelle est compliquée, m’objectera-t-on.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Claude Bérit-Débat. J’évoquerai, pour conclure, la dimension financière de l’intercommunalité.

On nous annonce la suppression de la taxe professionnelle. Il ne faut pas oublier – je le dis solennellement – que cette taxe représente la seule ressource fiscale des communautés d’agglomération et des communautés de communes ayant choisi la taxe professionnelle unique, ou TPU.

La suppression de cette taxe sera compensée par des dotations, nous dit-on ; mais, dans ce cas, les EPCI seraient mis sous la tutelle de l'État.

À l’instar de plusieurs intervenants, je considère qu’il faut un impôt en lien avec l’activité économique et la commune, ou l’EPCI. Un impôt assis sur une valeur locative foncière, comme le préconise le rapport du comité Balladur, et sur la valeur ajoutée des entreprises permettrait d’établir ce lien et de fournir des moyens aux EPCI.

Au-delà de la taxe professionnelle, il faut également veiller à mettre en place une véritable péréquation qui soit à la fois verticale et horizontale. Il conviendrait, comme le préconise l’Association des communautés de France, de donner plus de moyens aux communautés de communes et aux communautés d’agglomération qui jouent un rôle important dans la péréquation horizontale. Mais n’oublions pas que la meilleure péréquation ne peut venir que de l'État, puisque le partage ne peut s’effectuer que dans le cadre d’un territoire très pertinent.

J’espère que, grâce à une intercommunalité bien conduite et bien comprise, la France retrouvera toutes ses forces. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et au banc des commissions –  M. Dominique Braye applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Lucette Michaux-Chevry.

Mme Lucette Michaux-Chevry. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la crise qui a sévi dernièrement en outre-mer a mobilisé toute la presse française et internationale. Malheureusement, le rapport qui nous est soumis ne consacre qu’une demi-page à la réorganisation territoriale de l’outre-mer, avec une seule préconisation, une assemblée unique.

Le 1er décembre 2009 marquera les dix ans de la Déclaration de Basse-Terre, que j’ai signée, dans cette même ville dont je suis le maire, avec mes collègues de Guyane et de Martinique.

Depuis la Constitution de 1958, différentes législations ont été adaptées à l’outre-mer, sans politique véritablement pensée et mise en œuvre dans l’intérêt de ces régions.

L’outre-mer, c’est une autre France, dans un environnement totalement différent.

Je le répète depuis des années, si l’on observe l’espace géographique de la Caraïbe, on constate que la France est absente dans les instances décisionnelles de la Communauté des Caraïbes, ou CARICOM, dans celles du Forum des États d’Afrique, Caraïbes et Pacifique, ou CARIFORUM, et dans celles qui ont été mises en place par les conventions de Lomé, où se prennent cependant les décisions majeures pour le développement de la zone, notre pays se contentant de donner un mandat à l’Union européenne.

Il est tout de même aberrant que le siège caribéen de l’Europe se situe à La Barbade plutôt qu’en Guadeloupe ou en Martinique, qui sont des territoires européens ! Ce sont de telles erreurs qui révoltent aujourd'hui la population.

De même, la France, principal bailleur de fonds dans le domaine de la coopération dans la Caraïbe, complète le montant des fonds alloués aux départements d’outre-mer par le Fonds européen de développement régional, le FEDER, et de ceux qui sont consentis par le Fonds européen de développement, le FED, aux États de la Caraïbe, mais elle n’en a jamais profité pour régler le problème fondamental de l’hospitalisation des étrangers sur le territoire français, dont le coût reste à la charge des hôpitaux !

Comment évoquer l’intégration dans la zone, quand on voit la complexité de nos procédures administratives comparée à la simplicité de celles qui sont appliquées dans la Caraïbe ? Par exemple, à Saint-Martin, dans la zone hollandaise, qu’aucune barrière ne sépare de la zone française, le délai de construction d’un aéroport est inférieur à un an, alors qu’il est de trois ans et demi, voire quatre ans, chez nous !

Dès lors, peut-on parler de coopération ?

La vision jacobine que la France a conservée a fait échouer notre projet. Ce que nous avions demandé voilà dix ans, M. Domota l’obtiendra peut-être par la révolte, le désordre et sous la pression. Cela me choque. Nous, nous voulions agir conformément au droit, écouter tous les points de vue, tous les partis politiques, pour élaborer un document de fond.

S’agissant de la gouvernance, je ne m’étendrai pas sur la coexistence des deux assemblées. Un petit territoire comme le nôtre compte une commune, une communauté de communes, une communauté d’agglomération, un département, une région, et personne ne sait qui fait quoi. Il n’y a aucune lisibilité.

Le rapport du comité pour la réforme des collectivités locales présidé par M. Balladur prône une assemblée unique, sans en préciser toutefois les prérogatives, ce qui pourrait impliquer que tous les pouvoirs sont confiés à un exécutif autoritaire.

C’est la raison pour laquelle le statut des Canaries, des Açores et de Madère nous paraissait le meilleur, l’existence d’un conseil exécutif faisant obstacle au pouvoir total et dictatorial d’un président.

J’en viens au problème des communes. Il est amusant de constater que des routes nationales, régionales, départementales et communales passent dans une même commune ; cependant, c’est également décevant, le maire sollicité répondant toujours que telle route est l’affaire du département ou de la région – ce n’est jamais la sienne ! – et, dans le même temps, la région renvoyant la balle à la commune, au département. Au final, personne ne s’en sort ! Une petite ville comme la mienne est traversée par trois routes ! Mme le ministre, qui connaît bien l’outre-mer, notamment Basse-Terre, sait que ces problèmes se posent de façon récurrente.

J’aborderai à présent la question de l’octroi de mer.

M. le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique a indiqué que des délais seraient accordés aux entreprises pour acquitter cette taxe. Attention ! L’octroi de mer est une taxe très ancienne – elle date du XVIIe siècle –dont le produit est perçu par les communes sur toutes les marchandises pénétrant dans nos régions.

Or la France se laisse leurrer par le concept européen tendant à transformer l’octroi de mer en une TVA régionale. En effet, alors que la TVA est une taxe fixe, l’octroi de mer représente une taxe modulable par les élus, qui disposent ainsi d’une sorte d’autonomie fiscale.

Or l’Europe ne touche pas aux negativ lists des îles de la Caraïbe. En d’autres termes, la Dominique pourrait taxer à 100 % une bouteille d’eau produite en Guadeloupe, mais cette dernière, soumise à la réglementation européenne, ne pourrait appliquer une taxe supérieure à 20 % à une bouteille sortant de la Dominique. Comment peut-on parler de concurrence ?

J’aborderai également la question de l’omniprésence de l’État. Vous avez ressenti cette dernière, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'État. En tant qu’élue, j’ai toujours dit ce que je pensais : nous en avons assez de cette situation où trop de fonctionnaires viennent chez nous pour profiter de l’indemnité dite de cherté de vie, de ces chasseurs de primes qui viennent en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à la Réunion, et qui, à la différence de leurs prédécesseurs, ne s’intègrent pas dans le tissu familial et économique local et ne connaissent pas les Antilles. Depuis leurs bureaux, ils prennent des décisions qui sont en inadéquation avec la réalité.

Expliquez-moi pourquoi certains problèmes, comme celui des cinquante pas géométriques, appelés autrefois les cinquante pas du Roi, ne sont jamais réglés ? Pourquoi certaines règles ridicules – par exemple celles aux termes desquelles le lit des rivières relève de la compétence de l’État, et les berges, de la compétence des propriétaires et des communes – ne sont jamais abolies ?

Les États généraux de l’outre-mer seront l’occasion de mettre fin à ces situations et de colmater les brèches. Il importe de mettre l’ensemble des dossiers de l’outre-mer sur la table et d’y apporter des réponses claires et précises.

J’entends dire partout que les habitants de l’outre-mer veulent leur indépendance et qu’il faut tout simplement la leur donner. Madame le ministre, monsieur le secrétaire d'État, il ne s’agit pas de cela !

D’ailleurs, conscients de la méconnaissance totale de nos frères métropolitains au sujet des problèmes qui nous intéressent, nous avons été prudents en 2003, lors de la modification de la Constitution : vous ne pouvez pas nous imposer l’indépendance ! (Sourires.) Seuls nous-mêmes pouvons la décider !

Aujourd’hui, si cette crise est pénible pour nous tous, c’est aussi l’occasion de crever l’abcès, de mettre à plat l’intégralité des dossiers de l’outre-mer, en ne se limitant pas à procéder à des ajustements administratifs ou financiers. Le problème n’est en effet pas là ! Il s’agit de savoir comment intégrer le Domien sur son territoire, afin de lui permettre de se sentir responsable et investi d’un pouvoir décisionnel, en tant que partie prenante et non plus spectateur de la vie de l’outre-mer.

La France a réussi à créer une élite en outre-mer ; qu’elle fasse confiance à cette dernière pour régler ses propres problèmes, car l’outre-mer est l’une des plus belles vitrines de la France. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)