M. Philippe Marini, rapporteur. C’est la réalité des choses !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous risquez de vous faire lyncher par vos électeurs !

M. André Santini, secrétaire d'État. Je comprends que mes propos vous déplaisent, mais ils sont conformes aux statistiques fiscales ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)

Surtout, j’aimerais que l’on cesse un instant la politique politicienne et la démagogie pour convenir tous ensemble qu’il existait dans ce pays deux offenses à la justice fiscale, deux « péchés contre l’esprit ».

Le premier, c’était en effet que l’on puisse payer plus de 50 % de son revenu, parfois même 100 %, voire davantage, en impôts annuels. Cela n’existe pas ailleurs, l’imposition sur la fortune ayant été progressivement supprimée. En France, nous sommes les derniers à l’avoir conservée (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.), mais, en dépit de tous les démagogues, il fallait en responsabilité garantir qu’elle ne conduise pas à des prélèvements confiscatoires.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce sont des comparaisons à géométrie variable !

M. André Santini, secrétaire d'État. Nous l’avons fait, nous avons eu raison ; le Gouvernement le revendique.

M. René-Pierre Signé. Contrairement à Jacques Chirac, vous n’avez pas osé supprimer l’ISF !

M. André Santini, secrétaire d'État. Le second péché contre l’esprit – j’ose espérer qu’un péché contre l’esprit ne vous laissera pas indifférents, mesdames, messieurs les sénateurs ! –, celui contre lequel personne n’avait trouvé de solution avant cette législature, c’est que la multiplication et le déplafonnement de certaines niches fiscales permettaient à des contribuables de s’exonérer complètement d’impôt sur le revenu. Fin 2008, nous avons enfin mis en œuvre un plafonnement effectif des niches fiscales.

M. René-Pierre Signé. Il en reste !

M. André Santini, secrétaire d'État. Nous l’avons fait, nous avons eu raison ; le Gouvernement le revendique.

Le vrai scandale, ce n’est pas qu’un citoyen dans ce pays ne paye que 50 % d’impôt ; le vrai scandale, c’était que, jusqu’ici, on pouvait en payer zéro !

Cette vérité aussi, j’aimerais que tout le monde s’attache à la rappeler !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On vous demande de nous fournir un bilan !

M. André Santini, secrétaire d'État. Je ne nie pas qu’on puisse avoir une réflexion d’ensemble sur la fiscalité du patrimoine. Le Conseil des prélèvements obligatoires a d’ailleurs jugé dans son dernier rapport que cette dernière était plus lourde chez nous que chez nos voisins. Mais cette réflexion, il faudra la mener de façon complète, à froid, et pas en période de crise.

L’article 2 de la proposition de loi vise à confisquer aux dirigeants, par un impôt au taux de 100 %, les indemnités de départ excédant 250 000 euros nets. Au surplus, l’entreprise qui se risquerait à verser une indemnité pourtant ainsi confisquée serait soumise à une taxe supplémentaire dont les modalités ne sont pas précisées.

L’article 3 a pour objet de taxer à 100 % toute rémunération liée à l’évolution de cours boursiers, ce qui vise sans doute les stock-options et les actions gratuites.

Le Gouvernement n’est pas favorable à ces deux propositions, et je m’en explique.

En premier lieu, une réponse strictement fiscale ne me paraît pas aujourd’hui la mieux adaptée. Les indemnités versées aux dirigeants à l’occasion de la cessation de leurs fonctions sont en effet, par principe, imposables. Elles ne sont exonérées, par exception et sous plafond, que lorsque cette cessation revêt un caractère forcé.

Ces dispositions assurent un traitement équilibré des indemnités de départ des dirigeants, lesquelles ne sont exonérées que si elles sont versées dans des conditions les rapprochant de celles qui sont prévues pour l’exonération des indemnités de licenciement des salariés.

M. René-Pierre Signé. Ce ne sont pas les mêmes montants !

M. André Santini, secrétaire d'État. Mais surtout, depuis deux ans, le Gouvernement a pris des mesures pour moraliser la rémunération des dirigeants.

Dès août 2007, l’article 17 de la loi TEPA a renforcé drastiquement l’encadrement des « parachutes dorés » des dirigeants des sociétés cotées.

Ce nouveau dispositif impose, à peine de nullité, la fixation de conditions de performances conditionnant le versement des indemnités de départ, le respect d’une procédure contraignante allant au-delà de la procédure classique d’approbation des conventions réglementées et, enfin, la publicité des décisions du conseil d’administration autorisant les engagements et constatant la réalisation des conditions de résultats.

Le régime juridique ainsi mis en place permet déjà de garantir que les indemnités de départ des dirigeants ne leur sont pas indûment versées, mais récompensent effectivement leurs performances. (Vives exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. René-Pierre Signé. Pas toujours !

M. André Santini, secrétaire d'État. Afin que les stock-options ne puissent plus être réservées à quelques-uns, l’article 22 de la loi du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail prévoit qu’elles ne pourront plus être attribuées aux dirigeants si les autres salariés ne bénéficient pas d’un système de stock-options, d’actions gratuites, d’intéressement ou de participation dérogatoire.

Au surplus, je ne vous apprendrai pas que le Président de la République souhaite régler rapidement ce problème. Je sais également que les parlementaires sont attachés à trouver une solution, comme l’a montré le débat qui s’est déroulé la semaine dernière sur le collectif budgétaire à l’Assemblée nationale. Je sais aussi que M. le président de la commission des finances a l’intention d’ouvrir le débat la semaine prochaine lors de l’examen au Sénat de ce même collectif.

Enfin, hier soir, le Président de la République a abordé cette question lors d’une réunion avec des parlementaires et certains de ses ministres, dont Éric Woerth. Il a souhaité l’interdiction de l’attribution de bonus et de stock-options aux mandataires sociaux des sociétés qui reçoivent le soutien de l’État. Un décret va être pris qui fixera les conditions dans lesquelles sera interdite l’allocation de stock-options ou d’autres avantages exceptionnels aux dirigeants lorsque les entreprises bénéficieront du soutien de l’État.

Dans ce cadre, la création d’une taxe supplémentaire de 15 % ne me paraît pas être le bon outil.

Les articles 4 et 5 tendent à apporter des précisions techniques aux dispositions précédentes. Ils visent à indexer le plafonnement de l’indemnité de départ des dirigeants prévue à l’article 2 sur l’indice des prix à la consommation et à appliquer rétroactivement les articles 1er à 3 aux revenus de 2008. Le Gouvernement n’y est pas plus favorable qu’aux articles 1er à 3 qu’ils précisent.

L’article 6 vise à modifier le régime des conventions réglementées en conférant de nouvelles attributions à l’assemblée générale des actionnaires. Il prévoit de modifier les règles applicables aux conventions réglementées dans les sociétés anonymes en vue de confier l’autorisation requise à l’assemblée générale, et non plus au conseil d’administration. L’objectif serait que ce soit l’assemblée générale des actionnaires, et plus seulement le conseil d’administration, qui intervienne dans la définition des conditions de rémunération des dirigeants.

Cette disposition ne peut être adoptée dans le cadre de l’examen de cette proposition de loi, car elle modifie les règles applicables aux conventions réglementées, dont le périmètre s’étend bien au-delà de celui de la rémunération des dirigeants. De nombreuses conventions réglementées correspondent à des actes de gestion, notamment dans les groupes de sociétés dans lesquelles les conventions intra-groupe sont soumises à ce dispositif.

Par ailleurs, les actionnaires sont d’ores et déjà impliqués dans la procédure des conventions réglementées puisque les conventions concernées leur sont déjà soumises en vertu de l’article L. 225-40 du code de commerce.

Pour ce qui concerne les rémunérations, la législation assure une transparence sur l’ensemble des rémunérations versées aux dirigeants, ce qui permet aux actionnaires d’exercer pleinement leurs pouvoirs lors des assemblées générales.

Enfin, il n’entre pas dans les attributions du comité d’entreprise de se prononcer sur des actes de gestion et des décisions qui doivent demeurer de la compétence des seuls organes de direction de la société. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)

L’article 7 prévoit d’étendre la négociation obligatoire aux rémunérations versées aux dirigeants salariés. Cette disposition ne permet pas d’atteindre l’objectif poursuivi, en particulier parce qu’elle n’aurait aucun effet pour les dirigeants qui ne sont pas salariés.

Par ailleurs, la loi du 3 décembre 2008 a conditionné l’attribution de stock-options aux dirigeants des sociétés cotées, ou l’attribution gratuite d’actions, à l’existence d’un dispositif en faveur de l’ensemble des salariés.

Cela n’atténue pas l’intérêt d’une réflexion sur une meilleure répartition de la valeur ajoutée, comme l’a demandé le Président de la République.

Vous le comprenez, le Gouvernement n’est pas favorable à l’adoption de la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui.

La priorité du Gouvernement, c’est de préserver l’emploi dans notre pays à travers un plan de relance responsable, cohérent et construit, pour faire face à la crise. (Rires ironiques sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. René-Pierre Signé. Il n’y réussit pas !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est plutôt raté !

M. Guy Fischer. Et 80 000 chômeurs de plus…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous nous faites rire !

M. André Santini, secrétaire d'État. J’ignorais que l’emploi vous faisait rire…

Cela passe, bien sûr, par les mesures d’urgence prises en fin d’année dernière pour soutenir notre système financier et le crédit aux PME.

Cela passe par le soutien à l’activité, via les chantiers de la relance suivis par Patrick Devedjian.

Cela passe également par une accélération des remboursements de crédits de TVA et de trop-perçus d’impôts sur les sociétés, dispositions que vous avez votées en fin d’année dernière. Éric Woerth a également donné des consignes très précises pour que les services fiscaux et les URSSAF accordent des facilités de règlement.

Cela passe enfin par toutes les mesures du projet de loi de finances rectificative, qui viendra en discussion devant la Haute Assemblée la semaine prochaine. Ce sera notamment l’occasion de tirer les conséquences du sommet social du 18 février dernier ou encore du plan de soutien à la filière automobile conclu par Christine Lagarde et Luc Chatel le 9 février dernier.

Le Gouvernement encourage les entreprises à recourir à l’activité partielle plutôt qu’à licencier ; il allège l’impôt des contribuables modestes ; il améliore l’indemnisation du chômage partiel.

Nous avons – et nous allons encore – beaucoup parler de hauts revenus cet après-midi. Mais je souhaitais que nous ne perdions pas de vue l’attention que porte le Gouvernement à nos compatriotes qui se trouvent en situation de fragilité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise économique que nous traversons impose plus que jamais aux pouvoirs publics de prendre leurs responsabilités et de garder leur sang-froid.

Le Président de la République et le Gouvernement ont pris leurs responsabilités en agissant rapidement pour sauvegarder notre système financier, clef de voûte de notre économie, et en donnant la priorité à l’investissement.

C’est la condition d’une reprise économique solide, saine et durable, puis d’un redressement progressif, mais nécessaire, de nos finances publiques, en jouant sur les déficits et, évidemment, sur l’endettement.

Ce n’est pas dans des mesures précipitées, dispersées – certains diraient démagogiques – comme celles que nous examinons aujourd’hui (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG.),…

M. Jean-Pierre Fourcade. que l’on trouvera une issue à la crise ! (M. Robert del Picchia applaudit.)

Notre responsabilité de parlementaires est de refuser la facilité qui consisterait à désigner des boucs émissaires et à poser de faux problèmes pour éluder les vraies questions, comme celles des réformes structurelles que doit impérativement mener notre pays pour maîtriser ses dépenses publiques, pour renforcer son attractivité et pour faire face aux défis de la mondialisation et du vieillissement de la population.

Le groupe UMP du Sénat, au nom duquel j’interviens, est favorable au principe d’une réforme fiscale, à condition qu’elle soit globale, équilibrée et opportune, comme l’a très bien souligné M. le rapporteur général de la commission des finances, notre excellent collègue Philippe Marini.

Notre groupe s’opposera donc fermement aux dispositions proposées dans le cadre de la proposition de loi soumise aujourd’hui à l’examen de la Haute Assemblée.

En premier lieu, dans le contexte économique que nous connaissons, nous sommes fermement opposés à la remise en cause du bouclier fiscal.

Il faut d’abord rappeler, comme l’a fait excellemment M. le secrétaire d’État chargé de la fonction publique, que le bouclier fiscal garantit que personne ne paiera plus de 50 % de ses revenus au titre des différents impôts qui le frappent. On parle tout le temps du bouclier, mais on oublie de dire que 50 %, c’est la moitié des revenus !

Après quelques années d’expérience, il faudra évidemment améliorer le fonctionnement du bouclier fiscal. Nous sommes d’accord sur le fait qu’il faudra résoudre la contradiction existant entre les niches fiscales et le fonctionnement du bouclier.

Le Gouvernement s’est engagé, comme l’a rappelé M. Santini, à plafonner les niches fiscales, avec notre aide. Il faudra poursuivre la démarche engagée, car le bouclier fiscal n’atteindra sa totale opportunité que lorsque les niches fiscales auront été ramenées à un niveau modeste et strictement nécessaire. (M. le secrétaire d’État acquiesce.)

En supprimant le bouclier fiscal, comme le proposent les auteurs de la proposition de loi, on enverrait un très mauvais signal non seulement aux contribuables établis en France, mais aussi et surtout à ceux qui envisagent d’y revenir ou de s’y installer.

M. Jean-Pierre Fourcade. Nous disposons aujourd’hui d’un excellent élément d’attractivité, le crédit d’impôt recherche. Il ne serait pas opportun de casser l’attractivité de ce mécanisme en supprimant le bouclier fiscal. (M. le secrétaire d’État et M. le rapporteur acquiescent.)

J’ai rencontré voilà quelques jours des dirigeants d’une petite entreprise de haute technologie biomédicale installée à Londres. Ils envisagent de revenir en Île-de-France, mais craignent que la modification perpétuelle de nos règles fiscales ne contrarie leurs efforts. La suppression du bouclier fiscal ne les inciterait pas à revenir.

M. Philippe Marini, rapporteur. Très bien !

M. Jean-Pierre Fourcade. Notre pays a engagé depuis plusieurs années des réformes importantes pour renforcer son attractivité et pour attirer ceux qui investissent, qui créent des richesses et de l’emploi, qu’il s’agisse d’entreprises ou de particuliers.

Nous ne devons pas réduire ces efforts à néant en revenant constamment sur les mesures que nous avons adoptées. Notre pays a besoin de stabilité juridique et fiscale pour inspirer la confiance (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP.) sur le plan tant intérieur qu’extérieur. Nous vivons dans un monde ouvert où la concurrence entre les nations s’exerce dans tous les domaines, y compris dans le domaine fiscal, à défaut de s’exercer dans le domaine monétaire pour les pays qui appartiennent à la zone euro. (M. Thierry Foucaud s’exclame.)

Si nous désignons les « riches » comme les responsables de tous nos maux et les taxons de manière excessive, ils partiront payer leurs impôts ailleurs, et la charge fiscale retombera alors sur les classes moyennes, ce dont se gardent bien de parler les partisans de la suppression du bouclier fiscal.

M. Jean-Pierre Fourcade. Tous nos partenaires européens l’ont compris, et je me demande pourquoi nous ne suivrions pas l’exemple de la Suède,…

Mme Nicole Bricq. Dans ce pays, le rapport salarial est de un à quatre !

M. Jean-Pierre Fourcade. …de l’Espagne, de l’Allemagne ou du Danemark, qui ont tous fixé, par voie légale ou constitutionnelle, le plafond d’impôts à 50 %.

Par conséquent, la France a besoin que tous, chacun à sa manière, contribuent à la croissance et à notre modèle de société. Il nous faut éviter, compte tenu de la crise que nous traversons, de multiplier les facteurs de division.

M. Philippe Marini, rapporteur. Très bien !

M. Jean-Pierre Fourcade. S’agissant des rémunérations excessives,…

M. Guy Fischer. Comme cela est pudiquement exprimé !

M. Jean-Pierre Fourcade. …autre volet de cette proposition de loi, la préservation de notre unité nationale et de notre pacte social impose le respect de la parole de l’État et des mesures qui ont été adoptées dans le cadre des différentes lois que M. le secrétaire d'État et M. le rapporteur général ont citées et sur lesquelles je ne reviendrai pas.

Mais elle impose aussi le respect de principes de justice, de solidarité, d’éthique et de liberté, qui ont été très bien rappelés par le Président de la République à Saint-Quentin. Comme lui, les sénateurs du groupe UMP jugent inacceptables les avantages obtenus par certains dirigeants d’entreprise, surtout lorsque celle-ci a bénéficié de fonds publics. Ces comportements individuels ne correspondent pas à nos valeurs, en particulier à la valeur « travail », que nous voulons promouvoir, alors que d’autres, par leur comportement, la détournent et la dénaturent.

Il est temps de mettre fin à certaines dérives et de moraliser certaines pratiques. Mais, là encore, nous ne devons légiférer ni dans la précipitation ni dans l’excès. À cet égard, les mesures présentées dans le cadre de cette proposition de loi sont inspirées par des considérations qui me paraissent dépasser l’objet de ce que nous devons faire aujourd’hui.

Ainsi, par exemple, taxer à 100 % les stock-options et les actions gratuites serait à la fois confiscatoire sur un plan juridique et inadapté sur un plan économique.

La rémunération des dirigeants n’est pas un mal en soi, mais nous devons veiller à ce qu’elle soit mieux encadrée, mieux conditionnée à l’efficacité économique, et, surtout, liée à d’autres paramètres que l’évolution des cours de la bourse.

Nous devons agir avec pertinence et mesure. Pour être entendu, notre message doit être fort et clair.

À cet égard, nous approuvons la méthode retenue par le Président de la République et le Gouvernement : les grandes entreprises cotées en bourse et bénéficiant de l’aide de l’État ont jusqu’à la fin du mois de mars pour mettre de l’ordre dans les rémunérations de leurs dirigeants. Si elles ne le font pas, les pouvoirs publics devront prendre leurs responsabilités, si possible par la voie réglementaire, pour plus de rapidité et d’efficacité. S’il faut légiférer, nous le ferons.

Il nous paraît cependant essentiel de faire preuve de méthode et de cohérence, de ne pas faire l’amalgame entre les rémunérations excessives de certains dirigeants et celles de l’ensemble des chefs d’entreprise, notamment les chefs de petites et moyennes entreprises et les artisans,…

M. Christian Cambon. Très bien ! Voilà ce qu’il faut dire !

M. Jean-Pierre Fourcade. …qui sont confrontés aux difficultés de l’heure. Il faut non pas adresser des signaux divergents, mais lutter ensemble contre les difficultés économiques actuelles.

C’est dans cet esprit et dans cette perspective que le groupe UMP s’opposera à la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Christian Cambon. Très bonne intervention !

M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi de nos collègues du groupe CRC-SPG s’inscrit pleinement dans l’actualité et témoigne d’un réel besoin de remettre en cause des situations fiscales devenues intenables, de plus en plus injustifiables, voire intolérables au regard de la situation de notre pays et des difficultés rencontrées par un nombre croissant de Français, pas seulement les plus modestes d’entre eux.

Dès son apparition, dans les semaines qui ont suivi l’élection du Président de la République, l’idée même du bouclier fiscal faisait débat au Parlement et n’allait pas sans poser de multiples problèmes, déjà dénoncés à cette même tribune : des problèmes éthiques, des problèmes d’équité fiscale, des problèmes de justice sociale, bien sûr, mais également des problèmes d’efficacité et de cohérence économiques.

Aujourd’hui, dans un contexte de crise grave et durable, la question et le principe d’un bouclier fiscal se posent avec la plus grande acuité. La crise financière et la récession économique sans précédent dans lesquelles notre pays s’enfonce chaque jour davantage nous amènent à nous interroger de nouveau sur l’opportunité d’un tel dispositif en faveur de quelques-uns.

Mes chers collègues, face à des perspectives de croissance négative pour l’année en cours, face à l’urgence budgétaire, aggravée par d’importantes pertes de recettes fiscales, est-il encore raisonnable de maintenir un système qui prévoit que les impôts directs payés par un contribuable ne peuvent excéder 50 % de ses revenus ? Comment justifier aujourd’hui le maintien du bouclier fiscal dans notre pays ?

À l’heure actuelle, ce système est très large puisqu’il vise tant les impositions fiscales que les charges sociales personnelles, comme la CSG et la CRDS.

Mécaniquement, il conduit à réduire fortement l’assiette d’imposition des plus gros revenus, alors que ceux-ci devraient au contraire contribuer le plus aux efforts de la nation.

Le constat de cet effet pervers est l’occasion pour le Sénat de revenir à certains fondamentaux, chers à mon groupe et à la famille politique du radicalisme, à savoir le principe de l’égalité devant l’impôt et le principe de la progressivité de l’impôt.

M. Guy Fischer. Très bien !

M. Yvon Collin. Il est bon de rappeler, mes chers collègues, que le premier de ces deux principes est inscrit dans notre Constitution puisque l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose qu’une « contribution commune est indispensable » et qu’elle « doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».

Autrement dit, pour les membres de mon groupe, tout citoyen doit contribuer, en fonction de ses moyens, au budget de la nation. L’impôt doit redevenir fondateur de la citoyenneté. (Mme Nicole Bricq applaudit.) C’est pourquoi, dans l’absolu, il ne doit pas y avoir d’exonération possible.

M. Guy Fischer. Très bien !

M. Yvon Collin. Le second de ces principes, celui de la progressivité de l’impôt, est contraire au concept même de bouclier fiscal. Celui-ci constitue ni plus ni moins une atteinte grave à la progressivité de l’impôt, principe qui a présidé à la naissance de l’impôt sur le revenu, instauré par la loi du 15 juillet 1914 sur l’initiative de notre ancêtre radical Joseph Caillaux.

Notre fiscalité doit réaffirmer le principe selon lequel plus on gagne, plus on paie d’impôts, et, par conséquent, plus on contribue à la vie de la nation.

En conjuguant ces deux principes, nous devons refonder une politique fiscale juste et comprise par tous. De la même façon, il faut éviter les mouvements d’évasion et de défiscalisation au profit d’autres pays membres de l’Union européenne ou de paradis fiscaux.

Mes chers collègues, l’équilibre qu’il nous faut retrouver repose sur la nécessité pour l’État, d’une part, de s’assurer de recettes fiscales suffisantes pour bénéficier de marges de manœuvre budgétaires et, d’autre part, de ne pas compromettre l’attractivité de notre territoire, tant pour attirer les investisseurs étrangers que pour enrayer le flot continu des « exilés fiscaux et économiques », lesquels se rendent ainsi coupables d’actes d’incivilité, si ce n’est de délinquance financière.

D’ailleurs, monsieur le secrétaire d'État, force est de constater que le bouclier fiscal, quoi qu’on en dise, n’a pas enrayé ce phénomène et que, par conséquent, les bienfaits annoncés pour le pays ne sont pas au rendez-vous.

Face à un tel constat d’inefficacité, et compte tenu de la crise qui frappe les Français, des voix pleines de bon sens s’élèvent, à l’intérieur même de la majorité, pour remettre en cause le bouclier fiscal. Par exemple, et pour ne citer que lui, le président de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a proposé la semaine dernière de soustraire du bouclier fiscal la CSG et la CRDS, ce qui permettrait à l’État de récupérer pour la seule année 2009 plusieurs dizaines de millions d’euros.

Mais, surtout, la conjoncture actuelle et les débats qui surgissent autour du bouclier fiscal expriment l’urgence qu’il y a dans notre pays à engager une grande et véritable réforme fiscale.

Cette réforme, qui n’aurait aucun sens sans une profonde réforme de l’État, notamment une redéfinition de ses devoirs régaliens et de ses relations avec les collectivités locales, concernerait la fiscalité tant nationale que locale. Elle s’orienterait vers un principe de « fiscalité juste », conformément à l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

À cet esprit de justice s’ajouterait le principe de « vertu fiscale », selon lequel toute contribution devrait être affectée à une dépense préalablement définie par le législateur.

Mes chers collègues, nous ne pourrons nous satisfaire encore longtemps de mesures de circonstance et de toilettages ponctuels. Il est donc grand temps d’en revenir aux fondamentaux de notre République : un État aux contours bien définis, mû par une fiscalité juste, équitable, efficace et comprise par tous.

En attendant cette grande réforme que nous appelons de nos vœux, l’abrogation du bouclier fiscal constituerait un signal fort dans ce sens. C’est pourquoi les sénateurs radicaux de gauche et la très grande majorité des membres du groupe du RDSE approuveront cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »

« Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vous aurez reconnu, respectivement, les articles XIII et XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Le groupe socialiste, en soutenant la proposition de loi du groupe CRC-SPG, ne cède aucunement à une quelconque facilité – celle du « bouc émissaire », par exemple – ou à une réaction émotive face aux événements que nous vivons. Au contraire, il s’agit pour lui de poursuivre le débat que nous avons engagé depuis plusieurs années avec la majorité sur les vertus de l’outil fiscal, la légitimité des politiques qui y recourent au service de la justice sociale et de l’efficacité économique, et ce a fortiori dans la période de crise profonde que nous traversons.

Lors du débat sur la fameuse loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi justifiait le passage de 60 % à 50 % du bouclier fiscal, instauré par le gouvernement précédent, en l’intégrant au contrat que passait « l’individu face à l’État ». Elle se situait ainsi dans la pure tradition libérale, celle de l’impôt-échange.

Nous nous revendiquons d’une autre philosophie politique, qui fait de l’impôt un « devoir nécessaire au lien social fondé sur l’idée de la solidarité ».

Telle est la source directe de notre attachement à la progressivité de l’impôt, laquelle garantit une redistribution, améliorant ainsi les conditions de vie des personnes les plus modestes qui ont par ailleurs – je le rappelle en ces temps de crise profonde et durable – une forte propension à consommer. Or, la consommation est un soutien essentiel à la croissance. Les derniers chiffres tant de la consommation que du chômage ne nous rassurent pas quant à l’étendue de la crise. (M. Michel Sergent acquiesce.)

La dualité « impôt échange » ou « impôt de solidarité » est une tension dynamique qui domine le débat fiscal. Cette proposition de loi est donc bienvenue pour alimenter ce débat, d’autant que, avec la nouvelle procédure, nous débattrons de chaque article.

Force est de constater que, depuis 2002, les gouvernements et leur majorité ont agi dans trois directions : d’abord, délier le lien fiscal en vidant peu à peu de son contenu le principe de l’égalité contributive devant l’impôt ; ensuite, délier le lien économique, favorisant ainsi des plus-values rentières, sans aucune justification de performance et sans renforcer notre appareil productif ; enfin, délier le lien social, en justifiant des écarts de revenus exponentiels, tout en diminuant les responsabilités qui devaient y être attachées.

Le bouclier fiscal n’est que le dernier avatar, mais ô combien emblématique, d’une série de mesures d’affaiblissement de l’impôt. Sans la survenue de la crise, vous auriez continué dans le même sens pour arriver à une imposition des revenus qu’on qualifie de flat, qui tourne définitivement le dos à la progressivité.

Dans cette même période, les inégalités de revenus ont explosé. Il est démontré que l’aggravation des inégalités est due à la déformation accélérée de la masse salariale au niveau des très hauts salaires. Par conséquent, il est évident pour nous qu’il faut supprimer le bouclier fiscal. Aujourd'hui encore plus qu’hier, il n’a plus aucune justification, si tant est qu’il en ait eu une.

On ne peut pas dire que les quelques chiffres dont nous disposons confortent l’argumentaire du Gouvernement. M. le secrétaire d’État et M. le rapporteur général ont employé certains arguments à l’attention des parlementaires de la majorité, afin que, de retour dans leur département ou dans leur commune, ces derniers puissent répondre à l’apostrophe de leurs concitoyens. Ce problème, nous le savons, n’est en effet pas uniquement porté par l’électorat de la gauche.

Permettez-moi de revenir sur les arguments utilisés pour justifier le maintien du bouclier fiscal.

Tout d’abord, ce bouclier éviterait le départ des Français les plus fortunés. Je mettrai deux chiffres en parallèle : la perte au titre de l’ISF pour 2008 est de 17 millions d’euros et le coût du bouclier fiscal est évalué à 458 millions d’euros. Le compte n’y est pas.

Ensuite, le bouclier fiscal nous permettrait de préserver notre compétitivité et notre attractivité. Cet argument a-t-il encore un sens alors que le paradigme d’hier est devenu obsolète du fait de la crise ?

Peut-on justifier le bouclier fiscal alors que, dans le même temps, on adresse des avertissements moraux aux patrons, on les exhorte à faire preuve de retenue quant à leurs rémunérations ? Si l’on veut être logique, si l’on veut aller au bout de ces exhortations et de ces incantations, il faut en tirer la conséquence par rapport au bouclier fiscal.

Le plafonnement des niches fiscales, décidé en loi de finances pour 2009, répondrait au problème, nous avait-on dit. Il n’en est rien dès lors que le revenu pris en compte pour le calcul est net des déductions fiscales. La diminution ainsi réalisée du revenu réel provoque un remboursement plus important, comme les chiffres l’attestent : c’est la redistribution à l’envers ! C’est la « régressivité » en lieu et place de la progressivité. (M. Jack Ralite acquiesce.)

Malheureusement, le Président de la République, le Gouvernement et la majorité ont érigé ce bouclier fiscal en totem. Y renoncer reviendrait, selon eux, à invalider les choix initiaux qui ont été faits voilà déjà quelques années.

Mais puisque la crise est là, profonde, durable et dure aux plus pauvres, libérez-vous de ce carcan plutôt que de chercher refuge dans une construction que vous avez labellisée trilogie « ISF-bouclier-nouvelle tranche d’imposition », construction paralysante qui aboutit à ne rien faire !