M. Daniel Raoul. Ça dépend lesquels !

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. Face au problème du malendettement et du développement débridé et irresponsable de certaines formes de crédit, de très nombreux élus s’impatientent, voire – je pèse mes mots – s’exaspèrent.

Oui, mes chers collègues, nombre d’entre nous sont exaspérés par les excès auxquels se livrent des opérateurs et par les situations de détresse que nos centres communaux d’action sociale ou les services sociaux des départements sont obligés de gérer ! Jean Arthuis, qui préside en ce moment même une réunion de la commission des finances, a ainsi coutume de dire que le crédit à la consommation est dans certains cas un crédit garanti par le centre communal d’action sociale ou par les services sociaux des départements ! Compte tenu de nos expériences, nous pourrions être nombreux à faire nôtre cette remarque.

Je lis dans certaines gazettes que des responsables du secteur professionnel du crédit à la consommation se plaignent de leur mauvaise image – ils en sont en effet conscients – dans l’opinion publique et auprès des élus. Certains s’étonnent même des mesures figurant dans le texte de la commission spéciale. Or celles-ci ne sont que prophylactiques. Elles visent à établir un rapport de responsabilité, un contrat équilibré entre l’emprunteur et le prêteur.

Pourtant, cette image, dont certains professionnels au moins sont conscients et dont ils se plaignent, c’est eux-mêmes, collectivement, qui l’ont façonnée. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les publicités dans les journaux populaires. M. le rapporteur, de retour d’un déplacement durant lequel il avait disposé d’un peu plus de temps que d’habitude pour les consulter, les avait d’ailleurs brandies lors d’une réunion de la commission spéciale. Il suffit également de consulter les prospectus que nous recevons dans nos boîtes aux lettres, de regarder les publicités télévisées, de voir comment se concluent des contrats de crédit dans certaines surfaces de vente pour comprendre à quel point il devenait urgent de réformer ce système. Au reste, c’est dans son intérêt, comme vous l’avez dit, madame la ministre, et dans celui de notre économie, en particulier dans cette phase difficile que nous connaissons. (Mme la ministre acquiesce.)

En cette période de crise, les banques sont aidées, mais nous attendons en contrepartie un comportement éthique de leur part, notamment vis-à-vis des emprunteurs. (Murmures sur les travées du groupe socialiste. –Mme Nicole Bricq hoche la tête.) Je vois que Nicole Bricq approuve mes propos, ce dont je suis ravi ! (Protestations amusées sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Nicole Bricq. Non, j’appréciais le numéro : dans la démagogie, vous êtes très bon !

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. Par ailleurs, nous le savons tous, il est utile que la consommation demeure l’un des facteurs de soutien de l’activité de notre pays.

Telles sont les raisons pour lesquelles de nombreuses propositions de loi ont été rédigées. Philippe Dominati a bien voulu citer celle que j’avais déposée au début du mois de novembre, mais il convient tout autant de rendre hommage à Claude Biwer, à Muguette Dini, à Michel Mercier pour le nouveau texte de l’Union centriste, à Charles Revet, à Nicole Bricq et aux membres du groupe socialiste, qui sont également des parties prenantes importantes de ce débat. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Nicole Bricq. Méfiance…

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. Toutes ces propositions ont été examinées sans tabou par la commission spéciale. Si cette dernière n’a pas entériné tous les dispositifs (Ah ! sur les travées du groupe socialiste),…

M. Daniel Raoul. Loin de là !

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. … elle s’est efforcée de tirer la substantifique moelle de chacun. (Oh ! là ! là ! sur les travées du groupe socialiste.)

La loi ne peut pas tout faire. Je saisis donc l’occasion de cette intervention pour m’adresser aux responsables des établissements de crédit et des sociétés financières et leur dire : chiche ! Vous protestez, la main sur le cœur, de vos bonnes intentions, de votre volonté de rendre le crédit plus accessible à tous, à des prix réalistes et de manière responsable. Peut-être auriez-vous pu le faire mieux et plus tôt ! Quoi qu’il en soit, le texte auquel nous travaillons vous donnera tous les outils pour y parvenir demain. Il est fait pour vous !

Mme Nicole Bricq. Ça, c’est vrai, et il le dit !

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. Faites-en bon usage, utilisez pleinement ces outils, faites-en votre chose ! Pour répondre à ceux qui considèrent que le Parlement ne va pas assez loin,…

M. Daniel Raoul. C’est vrai !

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. …  faites en sorte que le malendettement diminue vraiment et montrez-leur qu’ils se trompent. Faites surtout en sorte qu’une nouvelle exaspération ne naisse pas, conduisant un jour à un dispositif encore plus resserré.

Après la convergence des intentions et des analyses, j’en viens au deuxième maître mot caractérisant ce texte : l’équilibre.

Notre objectif était de réformer en profondeur le modèle économique de la distribution du crédit à la consommation …

M. Daniel Raoul. Ce n’est pas vrai !

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. … sans pour autant casser la dynamique de ce secteur. Je pense que nous avons abouti à un texte équilibré.

Madame la ministre, votre projet de loi était bon. Nous en avons respecté les principes, la trame, les éléments essentiels. Nous nous sommes juste efforcés de le compléter. J’espère que le Sénat validera notre approche.

Ceux qui voudraient minimiser nos apports font à mon avis fausse route, et je voudrais expliquer pourquoi.

Tout d’abord, il était nécessaire d’opérer une réforme des taux de l’usure. Comme l’a rappelé Mme Lagarde, les catégories sur lesquelles se fonde la problématique du taux de l’usure sont obsolètes. Aujourd’hui, les personnes les plus fragilisées se voient proposer le crédit le plus cher et le mode de crédit le plus dangereux, puisque c’est celui qui ne s’amortit pas.

M. Daniel Raoul. Tirez-en la conclusion !

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. La conclusion à en tirer, mon cher collègue, c’est de voter notre texte ! (Rires sur les travées de lUMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Nous avons en effet le mérite de nous prononcer en faveur d’une réforme du taux de l’usure et de formuler des propositions précises et réalistes.

MM. Daniel Raoul et Jean-Pierre Sueur. Très timides !

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. Par ailleurs, nous proposons la création d’une centrale des crédits aux particuliers. Cette dénomination est un peu longue, j’en conviens, mais je la préfère à celle de « fichier positif ».

Mme Nicole Bricq. Moi aussi !

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. M. le rapporteur et moi-même avons beaucoup de choses en commun, en particulier celle de nous sentir mal à l’aise et bridé face aux fichiers. Nous avons donc souhaité que le principe de la création d’une centrale des crédits aux particuliers, qui est essentielle, figure dans la loi et que la méthode pour y aboutir y soit esquissée.

M. Daniel Raoul. Et mette un certain temps …

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. Ce sujet mérite une réflexion sérieuse, approfondie, objective, s’appuyant sur des faits, des chiffres et des comparaisons internationales incontestables.

En cette matière, j’ai été frappé de rencontrer, d’un côté, les intégristes du fichier « positif », hors duquel il n’y aurait point de salut, et, de l’autre, les intégristes anti-fichier pour qui le recours à ce mode de fonctionnement est abominable. Les uns comme les autres ont à mon avis également tort. La commission spéciale propose donc au Sénat et au Gouvernement d’élaborer calmement les conditions de faisabilité de la centrale des crédits aux particuliers, si le législateur prend la décision de valider son principe et de le rendre opératoire dans trois ans.

En outre, nous nous sommes attachés à définir le microcrédit personnel. Nous estimons en effet qu’il faut aller bien au-delà des pratiques actuelles. Cela nécessite non seulement une volonté du secteur bancaire, mais également un accompagnement des services sociaux, ce qui suppose de mettre en place les moyens nécessaires, et un soutien de l’État via le fonds de cohésion sociale, qui a été créé en 2005 par la loi de programmation pour la cohésion sociale et dont nous souhaitons la pérennisation.

Enfin, la dernière piste suivie par la commission spéciale a trait à un sujet infiniment délicat : la distribution du crédit sur le lieu de vente, ce qu’on appelle la fameuse « zone grise ».

Nous proposons à cet égard une série de mesures qui devraient permettre d’y voir enfin clair : une obligation d’offre de crédit alternative – le crédit affecté et le crédit renouvelable –, un espace dédié dans le magasin, une formation des personnels, c’est-à-dire leur spécialisation, et un registre que l’employeur devra tenir à disposition afin, en cas de nécessité, de savoir comment le crédit a été attribué. Avec l’ensemble de ce dispositif, qui s’ajoute aux mesures figurant dans votre texte, madame la ministre, telles que le paiement comptant, qui est le principe, et un remboursement minimum du capital à chaque échéance, les excès du crédit sur le lieu de vente devraient diminuer, voire disparaître.

J’en viens enfin au troisième maître mot caractérisant ce texte : l’urgence. J’y insiste, le calendrier est essentiel.

Je faisais état de notre impatience. Elle demeure totale. Il faut aller vite : la crise est là, le surendettement est une grave préoccupation sociale, la consommation donne des signes d’essoufflement. C’est une raison de plus pour mettre en œuvre le plus rapidement possible le nouveau dispositif issu du projet de loi et complété par nos travaux.

Cela signifie, madame le ministre, que ce texte doit être examiné au plus vite en première lecture à l’Assemblée nationale, de préférence au cours de la session extraordinaire à venir,…

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. … que la navette soit achevée à l’automne,…

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. …que la loi soit promulguée le plus tôt possible avant la fin de l’année,…

Mme Nicole Bricq. Vous rêvez !

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. … que la réforme du taux de l’usure soit engagée dès le 1er janvier 2010, que tous les décrets d’application soient pris au cours du premier trimestre 2010.

Mme Nicole Bricq. C’est ça…

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. Madame le ministre, sur ces questions de calendrier, nous attendons vos engagements, car ce texte n’a de sens, compte tenu des attentes qui s’expriment, que si nous sommes en mesure de l’arrêter, de le voter et de l’appliquer dans les meilleurs délais possible.

Tels sont, mes chers collègues, les éléments essentiels de l’analyse et des travaux de la commission spéciale. Permettez-moi de souhaiter que les débats en séance publique soient à l’image de ceux que nous avons eus au sein de la commission : constructifs, pluralistes et efficaces ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le rapporteur de la commission spéciale a beaucoup travaillé,…

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. C’est vrai !

Mme Nicole Bricq. … de même que nos collègues, et nous avons pris des initiatives parlementaires. Cependant, à l’arrivée, le texte dont nous débattons – c’est non plus, je le rappelle, le texte du Gouvernement, mais celui de la commission, selon la nouvelle procédure – nous déçoit. Je vous en expliquerai les raisons au cours de mon intervention.

La crise étant malheureusement durable, on devrait repenser le modèle économique qui nous y a conduits. On sait que le révélateur en fut, aux États-Unis, l’endettement des ménages non solvables et l’éclatement de la bulle immobilière qui s’est ensuivi. Il est donc bien dans notre rôle de parlementaires de nous interroger, à l’occasion de ce débat, sur le modèle économique du crédit comme moteur de la consommation qu’il soutient ou qu’il génère : la consommation est en effet un indicateur essentiel, du moins dans les critères actuels du produit intérieur brut, de la croissance. Les dépenses financées grâce à lui représentent, ainsi que vous l’avez écrit dans votre rapport, monsieur Dominati, 5 % du PIB.

L’horizon est sombre, du fait notamment de l’explosion du chômage. Et l’on sait que ce dernier perdurera au-delà d’une reprise économique encore hypothétique, en tout état de cause durablement faible, et donc incapable de le résorber.

Or, en économie de marché – et le groupe socialiste se situe dans ce cadre –,…

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. Intéressant…

Mme Nicole Bricq. … il faut regarder si l’offre de crédit est adaptée à la demande. Dès avant la crise, nous savions que non ! Nombreux étaient déjà les exclus du crédit à la consommation et ceux du crédit personnel classique : les plus pauvres, bien sûr, les destinataires du RMI et, demain, du RSA, confinés dans le secteur de l’aide sociale et de l’accompagnement assuré par les collectivités locales.

Il faut y ajouter des populations insérées dans la vie active mais exclues du crédit, le « précariat » étant devenu peu à peu la règle. Sans statut, multipliant les CDD, l’intérim, les temps partiels, jonglant avec les emplois, ces travailleurs sont de fait exclus du crédit. Que dire des jeunes à qui l’on ne prête que s’ils ont la perspective d’une bonne carrière assurée par le diplôme d’une grande école ? Comment peut-on parler encore, à propos des causes du surendettement, « des accidents de la vie » quand la vie elle-même devient accidentée ?

Le marché du crédit est mal orienté tant dans sa cible potentielle que dans ses produits. Parmi ceux-ci, le crédit renouvelable est le plus largement vanté – le plus rentable aussi… –, mais, inadapté à la demande, il est aussi une véritable trappe à surendettement. Les derniers chiffres communiqués par la Banque de France, qui datent du mois d’avril, nous enseignent qu’il y a une montée du surendettement et que 85 % des dossiers saisis par les commissions comportent un crédit renouvelable.

C’est pourquoi, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous attachons une grande importance aux trois propositions que je vais brièvement vous présenter.

La première proposition, celle à laquelle nous tenons le plus et dont la commission a le moins débattu, consiste en la création d’un « crédit social » dont le montant serait destiné à faire face à des dépenses personnelles pour un coût raisonnable et dont la cible serait aisément identifiable. Un tel crédit, s’il était privilégié, détournerait du crédit renouvelable des populations qui n’ont rien à y faire ; il élargirait significativement et de façon responsable l’offre de crédit.

Ce crédit ferait l’objet d’un taux bonifié par l’État. J’ai choisi cette formule afin de ne pas tomber sous le coup de l’article 40 de la Constitution…

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. Heureusement qu’il existe !

Mme Nicole Bricq. … en créant une charge pour l’État. D’autres choix sont possibles, et je vous en présenterai quelques-uns, mis en œuvre dans des pays libéraux, à l’occasion de la discussion des articles.

J’ajoute que l’intérêt économique d’un tel crédit est certainement supérieur à celui d’une défiscalisation des intérêts d’emprunts immobiliers que vous avez fait adopter par la majorité parlementaire, pour un coût moindre. Je rappelle que la défiscalisation des intérêts d’emprunts immobiliers, dont l’efficacité économique n’est absolument pas reconnue, représente 3 milliards d’euros pour le budget de l’État !

La consommation résiste, mais jusqu’à quand ? Des experts estiment qu’elle pourrait fléchir de 5 % d’ici à 2010. Les ménages vont donc se serrer la ceinture, et les stabilisateurs automatiques que vous avez tant vantés, madame la ministre, ne joueront plus face à la montée du chômage.

Est-il normal, dès lors, que le Gouvernement et sa majorité se désintéressent d’un sujet tellement important ? Le laissent-ils aux collectivités locales, qui sont une fois de plus à l’initiative ? Celles-ci ont lancé ou étendent le microcrédit au moyen de prêts bonifiés par les villes, par l’intermédiaire des crédits municipaux. C’est le cas, notamment, de Dijon, de Paris, de Bordeaux, de Strasbourg. En Île-de-France, des partenariats permettent aux départements de mettre à disposition de leurs résidents un crédit bonifié proposé par la Ville de Paris. C’est également le cas dans mon département, la Seine-et-Marne, où le conseil général participe au financement des prêts.

Il est vrai que le Gouvernement s’en tient, par son projet, à la transposition de la directive sans explorer les voies d’un changement de modèle économique. Ce faisant, il se met dans les pas très stricts de la Commission européenne. Il se satisfait comme elle de l’objectif de cette directive, qui était, ne l’oublions jamais, de réaliser le marché intérieur des crédits. La directive a pourtant fait l’objet d’une élaboration particulièrement longue, et le Parlement européen l’a opportunément modifiée afin de mieux protéger le consommateur.

Le rapporteur a bien entendu notre proposition de crédit social, mais le texte de la commission n’y prête qu’un faible écho, au demeurant à côté du sujet puisqu’il se contente de légaliser le fonds destiné à abonder le microcrédit personnel dans un futur projet de loi de finances – il n’est pas fait mention de l’année 2010… –, fonds qui demeure cantonné au secteur de l’aide sociale proprement dit et orienté essentiellement vers le financement de l’activité. Je n’ose pas penser qu’il puisse financer les quelques dizaines de milliers d’auto-entrepreneurs.

Certes, ce type de crédit a son intérêt, mais il laisse finalement tranquilles les banques et les établissements prêteurs et ne modifie pas en profondeur l’offre de crédit. Sa philosophie continue de reposer sur une logique de bénévolat sans modifier le modèle économique des banques, qui ont pourtant reçu l’aide de la nation.

À ce sujet, je rappellerai que l’article 6 de la loi de finances rectificative pour le financement de l’économie du 16 octobre 2008 faisait de la distribution de crédits aux particuliers comme aux entreprises une contrepartie attendue de l’aide accordée par l’État.

La semaine dernière, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale sur l’initiative de Mme Chantal Brunel, tendant à favoriser l’accès au crédit des petites et moyennes entreprises, nous avons fléché les crédits destinés aux entreprises et avons prévu des sanctions si les banques et les établissements prêteurs ne respectaient pas les obligations nées de la loi et de la libéralisation du livret A ; mais nous ne l’avons pas fait pour les crédits aux particuliers.

Le rapporteur pointe d'ailleurs dans son rapport écrit « le risque de sous-distribution du crédit », mais sans y apporter une véritable réponse.

Par ailleurs, le projet est-il apte à abaisser le coût du crédit ? Nous en doutons dès lors que le calcul du taux de l’usure demeure inchangé. Notre deuxième proposition, essentielle, vise donc à réformer dans la loi le mode de calcul du taux de l’usure.

Madame la ministre, vous n’avez pas voulu utiliser le vecteur législatif pour apporter une telle modification.

Le rapporteur, qui assume son penchant libéral depuis plusieurs années – je salue et respecte la constance de sa philosophie –,…

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. Cela fait même plus longtemps ! (Sourires.)

Mme Nicole Bricq. … considère que notre proposition « doute de la capacité du marché à s’autoréguler ». Il est vrai que nous en doutons ! (Eh oui ! sur certaines travées du groupe socialiste.) La crise financière, dans laquelle les banques de proximité ont complètement dévié de leur objet social, nous laisse en effet sceptiques quant aux vertus de l’autorégulation.

M. Dominati fait une avancée en proposant de compartimenter l’usure non plus par les types de crédits mais par les montants. Cela pourrait être intéressant, mais il s’en remet à l’autorité administrative pour prendre des mesures temporaires durant un délai de deux ans afin de permettre aux prêteurs de s’adapter.

Le Gouvernement a marqué son accord en commission sur cette proposition. En réalité, il s’en accommode parfaitement dans la mesure où il garde la main et négociera la réforme que les banquiers et les prêteurs voudront bien accepter. Comme nous avons pu le constater lors de l’audition de ces derniers, le texte de la commission ne leur posera guère de problèmes. On peut considérer que les banques ont malheureusement gagné sur toute la ligne !

J’en viens au troisième sujet de nos préoccupations, la responsabilisation du prêteur. Il serait à notre avis temps, après quinze ans de débat, de disposer dans notre droit d’un outil efficace en même temps que respectueux des libertés individuelles : je veux parler d’un répertoire national des crédits à la consommation par lequel le prêteur peut et doit s’assurer de la solvabilité de l’emprunteur.

Je sais que cette proposition ne fait pas l’unanimité, mais je constate, en lisant les déclarations de chacun, que la plus grande hostilité émane des banques, qui souhaitent préserver l’avantage qu’elles tiennent de la connaissance directe de leur clientèle.

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. La Fédération de la distribution est pour !

Mme Nicole Bricq. Le texte de la commission renvoie malheureusement à trois ans la possible création d’un tel fichier. Quand on sait qu’il faut techniquement deux ans d’adaptation, cela envoie à un délai très lointain, trop lointain. En attendant, il faudra se contenter de la promesse du Gouvernement d’améliorer le fonctionnement de l’actuel FICP, dont les carences sont connues depuis longtemps.

Nous craignons que cette promesse ne nous condamne à l’immobilisme et regrettons que notre proposition de créer et d’encadrer par la loi un outil efficace n’ait pas été entendue.

Même amélioré, en supposant que le Gouvernement tienne son engagement, le FICP ne sera jamais l’outil de prévention dont nous avons besoin. Il interviendra toujours trop tard, puisqu’il se contente d’enregistrer les incidents de paiement.

Vous avez cité l’expérience belge. Elle n’a pas, pour nous, une valeur universelle. Mais, lorsque nous sommes allés à Bruxelles, toutes les parties concernées, que nous avons auditionnées, nous ont dit quelle position elles avaient prise à l’origine et quel bilan elles dressaient de la création du répertoire national du crédit créé sous l’égide de la Banque nationale de Belgique. Nous avons ainsi pu constater que ceux qui étaient initialement opposés à la création d’un tel répertoire – c’étaient, à l’époque, en Belgique, les banquiers, comme aujourd’hui en France – reconnaissent maintenant ses vertus, tandis que ceux qui étaient réservés, à savoir les associations de consommateurs, ont vite reconnu son utilité préventive. Il est dommage que le dossier soit refermé sans avoir été vraiment ouvert. Les banques peuvent respirer !

Enfin, nous espérions que des revendications unanimes portées par les associations fussent entendues, à savoir la séparation nette entre cartes de fidélité et cartes de crédit et la séparation tout aussi nette entre activités de vente et activités de crédit. Ce n’est pas le cas. Pourtant, les propositions de loi des sénateurs de la majorité étaient, sur ce point, teintées d’un volontarisme que l’on ne retrouve pas dans le texte de la commission.

Quand nous défendrons nos amendements, cas d’espèce à l’appui, je vous montrerai ce qui se passe encore aujourd’hui même.

Pour finir, madame la ministre, l’opposition socialiste a compris que vous teniez à ce texte, du moins à cette lecture par le Sénat, car, interrogée en commission – je rejoins sur ce point M. le président de la commission spéciale, Philippe Marini –, vous n’avez pu nous en garantir le cheminement et l’adoption dans des délais raisonnables.

Le risque de retard des décisions non directement issues de la transposition de la directive est réel, mais l’opposition socialiste a appris, au cours de ces deux dernières années, à prendre la mesure de votre stratégie de communication qui consiste à capitaliser sur un projet plutôt que sur des résultats et à « jouer à saute-mouton », en passant d’un sujet à un autre. Cependant, craignez que la frustration suscitée par des promesses non tenues ne contribue au désenchantement de nos concitoyens à l’endroit de l’action politique.

En ne modifiant pas l’économie du crédit à la consommation, vous prenez malheureusement le risque, dans une période particulièrement dure pour les Français, d’accroître encore le surendettement.

La formule « plus d’accès, moins d’excès », employée par le Gouvernement à propos de ce projet de loi et attribuée, me semble-t-il, à M. Martin Hirsch, est un slogan qui parle, mais un slogan ne fait pas une politique.

Pour bien faire comprendre ce qui nous sépare de la majorité, je me permettrai de citer ce qu’écrit M. le rapporteur de la commission spéciale dans l’introduction de son rapport : « les pouvoirs publics [au cours de la période qui s’ouvre] seront simultanément incités – dans une proportion dont on ne peut préjuger – à rehausser les prélèvements obligatoires et à diminuer la dépense publique, notamment les prestations sociales et de chômage ainsi que, d’une façon générale, les dépenses auxquelles des ménages sont susceptibles de pourvoir directement […]. Dans cette perspective, le revenu disponible des ménages souffrira inexorablement de la réépargne publique. »

M. Jean-Pierre Sueur. C’est exact !

Mme Nicole Bricq. « Il importera cependant que leur consommation puisse contribuer positivement à la demande globale et à la croissance, alors même que l’évolution de leurs revenus sera contrainte. »

Tout est dit ! Vous comprendrez que nous ne partagions pas la philosophie de ce rapport, ni celle du texte de la commission spéciale, qui a mis ses pas dans ceux du Gouvernement. Nous marquerons notre opposition à ce texte. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.

Mme Muguette Dini. Je me réjouis, madame la ministre, que les différentes propositions de loi déposées tant par les membres de notre groupe que par d’autres groupes aient finalement fait réagir le Gouvernement.

Depuis des années, les parlementaires ont alerté les pouvoirs publics sur le manque de prévention efficace du surendettement.

Avant le surendettement installé, il y a, pour beaucoup de familles, séduites par la publicité pernicieuse de certains organismes de crédit, une longue période de stress. L’angoisse, qui peut aller jusqu’à détruire un foyer, naît au moment où le couple réalise que, s’il veut rembourser ses crédits, pris quelquefois à la légère, il va devoir réduire son train de vie quotidien, ce qui est bien plus stressant que de ne pas avoir une grande télévision à écran plat !

L’intitulé de votre projet de loi, madame la ministre, comporte d’ailleurs les mots « crédit à la consommation », ce qui indique une volonté d’agir à la fois sur la prévention et sur le traitement du surendettement.

La loi Neiertz du 31 décembre 1989 et la loi du 29 juillet 1998 avaient pour objectif premier non pas d’appréhender le surendettement en tant que tel, mais de l’alléger et de le traiter.

Je crois résolument que nous devons situer notre action, en amont, sur le plan de la prévention. Si une personne est surendettée, c’est précisément parce que la prévention a échoué.

Si le texte du projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui intègre bien des mesures préventives, je crois cependant que ces dernières s’avéreront rapidement insuffisantes. On se situe plus dans la limitation des abus du crédit à la consommation que dans une véritable prévention.

Les avancées sont réelles au niveau de l’information de l’emprunteur. L’encadrement plus strict de la publicité, dans la forme comme dans le fond, était essentiel. La délivrance obligatoire d’une fiche d’information précontractuelle à l’emprunteur est également positive.

L’autre avancée notable est le renforcement de la responsabilité des prêteurs. C’est une disposition majeure de la proposition de loi déposée voilà quelques mois par notre groupe. Les prêteurs seront tenus de donner des explications à l’emprunteur, afin de lui permettre de déterminer si le contrat de crédit proposé est adapté à ses choix et à sa situation financière. L’établissement de crédit devra aussi attirer l’attention de l’emprunteur sur les caractéristiques essentielles du ou des crédits proposés et sur les conséquences que ces derniers peuvent avoir sur sa situation financière. Surtout, le prêteur devra vérifier la solvabilité de son client.

Sur tous ces points, le texte du projet de loi reprend les principes de mise en garde et de vérification des capacités financières de l’emprunteur dégagés par la jurisprudence.

Dans deux arrêts du 25 avril 2007, la première chambre civile de la Cour de cassation a réaffirmé l’obligation faite au prêteur professionnel de contrôler les informations fournies par ses clients lors de la conclusion du contrat. Elle a jugé, conformément aux termes de l’article 1147 du code civil, qu’il appartient au prêteur de vérifier les capacités financières et de remboursement des emprunteurs. La haute juridiction avait déjà énoncé ce principe dans deux arrêts de février et d’octobre 1992.

Le principal outil mis à la disposition du prêteur pour exercer ce devoir d’investigation reste le fichier des incidents de crédit aux particuliers, dont la consultation est désormais obligatoire. Notre groupe souhaitait aller plus loin ; mon collègue Claude Biwer reviendra sur ce point.

Les deux autres éléments positifs de ce texte en matière de prévention du surendettement sont l’encadrement du crédit renouvelable, ce crédit sur simple coup de fil ou en trois clics sur internet, et la réglementation de l’usage des cartes de fidélité.

Je dois dire, madame la ministre, que je regrette que nos propositions en faveur de la promotion de véritables actions d’éducation n’aient pas été retenues. Une approche pragmatique de la situation de l’endettement et du surendettement, au travers de mesures de sensibilisation et d’éducation, me paraît pourtant indispensable.

Il est très important d’apprendre aux enfants, dès l’école primaire, à tenir un budget familial, comme cela se pratique dans certains autres pays.

Pour cela, il faudrait sans doute changer les mentalités françaises, qui considèrent bien souvent que l’argent est un sujet tabou appartenant à la sphère privée, si privée d’ailleurs que le sujet est rarement abordé en famille : combien d’argent mes parents gagnent-ils ? À quoi cet argent est-il dépensé ? Pourquoi ne peut-on acheter tout ce que l’on désire ? Comment, avec leurs salaires, mes parents ont-ils pu acquérir tant de choses ?

J’aurais souhaité que cette approche du budget familial ait lieu en fin de CM2, de troisième et de terminale, mais j’ai été sensible à l’argument des programmes scolaires déjà très chargés. Je me demande alors si cette éducation ne devrait pas être faite par les banques, à l’ouverture du premier compte courant, à la majorité. Je vois beaucoup de jeunes, qui ne sont pas toujours issus de milieux défavorisés d’ailleurs, qui ne font pas systématiquement le lien entre leurs rentrées d’argent et leurs dépenses. Où est la belle époque où les banquiers étaient avant tout des conseillers et non, majoritairement, des vendeurs de placements ou de crédits ?

Venons-en maintenant à l’obligation faite au prêteur de vérifier la solvabilité de l’emprunteur et des moyens dont il dispose pour la préserver.

En matière de financement des entreprises, ce devoir de contrôle existe et ne se justifie qu’en raison à la fois des documents comptables imposés par la loi aux emprunteurs et du développement d’informations publiques, en particulier celles dont la Banque de France assure le traitement. C’est donc sur la base de ces données qu’est appréciée la responsabilité des banquiers.

En matière de crédit à la consommation – et je reconnais que ce n’est pas simple –, le prêteur sollicité par un client habituel peut, certes, se référer aux renseignements qui permettent d’avoir une opinion sur sa capacité à faire face à l’emprunt demandé. Pour autant, en dehors de cette situation, l’absence à la fois d’obligation comptable à la charge d’un consommateur et de répertoire public relatant l’intégralité des dépenses, ou permettant de lui attribuer une cote de confiance, rend difficile l’approche du prêteur.

Par nos amendements, nous avions souhaité améliorer les deux sources de l’information donnée au prêteur. Il s’agit, d’une part, de l’information privée, résultant des renseignements et des documents obligatoirement fournis par l’emprunteur, et, d’autre part, de l’information publique, au travers d’un répertoire, permettant de connaître le passif et l’actif du patrimoine du candidat à l’emprunt.

Nous avons maintenu le premier de nos amendements, qui doit permettre le renforcement de l’information privée délivrée au prêteur.

Nous verrons d’ici à quelques mois si les mesures de votre projet de loi seront suffisantes pour endiguer le surendettement. En attendant, madame la ministre, monsieur le rapporteur, nous vous ferons crédit (Sourires.) …