M. le président. Je constate que ce débat est achevé.

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Débat sur la crise de la filière laitière

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la crise de la filière laitière.

La parole est à M. Gérard Bailly, au nom du groupe Union pour un mouvement populaire, auteur de la demande d’inscription à l’ordre du jour. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Gérard Bailly. Monsieur le ministre, permettez-moi tout d’abord de vous adresser mes plus sincères félicitations pour votre nomination à ce grand ministère de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche. Je me réjouis d’ailleurs que le terme « alimentation » figure dans l’intitulé de vos fonctions. En effet, l’alimentation n’est-il pas l’objectif majeur, le plus noble, de notre paysannerie ?

Il me paraît très opportun d’évoquer plus précisément la crise de la filière laitière après avoir débattu du volet agricole de la négociation de l’OMC.

Comme cela a déjà été souligné aujourd'hui, cette filière se trouve actuellement dans une situation préoccupante. La colère des producteurs est réelle et inquiétante. Le 25 mai dernier, 12 000 producteurs ont manifesté à travers toute la France, bloquant certaines laiteries ou usines, ainsi que des supermarchés. Puis le mouvement s’est radicalisé pendant le week-end des 13 et 14 juin. Des manifestations importantes ont eu lieu ces derniers jours à Bruxelles et à Luxembourg. Le blocage d’une quarantaine de plates-formes d’approvisionnement de la grande distribution pendant 48 heures par 7 000 manifestants et des débordements au sein de certaines grandes surfaces suscitent naturellement notre vive inquiétude.

La tension monte et la tournure que peuvent prendre les événements est imprévisible si aucune solution n’est rapidement trouvée. Je ne voudrais pas, chacun le comprendra, que ce dossier passe dans les prochains mois des mains du ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche à celles du ministre de l'intérieur pour des raisons liées à la sécurité ! (Sourires.)

Mais revenons à l’origine de cette crise, c'est-à-dire la baisse soudaine et brutale du prix du lait. Ce prix, qui avait connu une flambée entre 2006 et 2008, après n’avoir cessé de baisser entre 2001 et 2006, est retombé à un niveau historiquement bas.

Si l’on se reporte au graphique retraçant les prix à la production en moyenne annuelle depuis dix ans, que constate-t-on ? Le prix payé au producteur pour un litre de lait, qui était de 31 centimes d’euro en 2001, est progressivement tombé à 26,7 centimes d’euro en 2006 avant de remonter à 33,6 centimes d’euro l’année dernière. Depuis, ce prix est brutalement retombé à 21, 22 ou 23 centimes d’euro – cela varie selon les régions et les productions –, c'est-à-dire à un niveau très inférieur aux coûts de production.

Au mois d’avril, lors de la dernière livraison, les producteurs ont ainsi dû accepter une baisse des prix de 30 %, décidée unilatéralement par les entreprises de transformation qui assurent la collecte de leur lait. Cette baisse est d’autant plus choquante qu’elle ne s’accompagne pas d’une baisse similaire des prix de vente des produits laitiers acquittés par les consommateurs : au premier trimestre, ces prix-là n’ont reculé que d’environ 2,2 %.

Comment expliquer un tel écart ? Pas par une diminution brutale de la consommation de ces produits, qui stagne ou qui décroît seulement très légèrement sur le long terme.

Mes chers collègues, j’ai moi-même pu constater l’évolution des prix et je vous invite à vous rendre dans les GMS, les grandes et moyennes surfaces, en province comme à Paris. Chez moi, le litre de lait entier est vendu entre 0,84 et 0,99 euro et le litre de lait demi-écrémé, entre 0,70 et 0,80 euro. Certes, après m’être renseigné auprès des vendeurs d’un supermarché supposé offrir les meilleurs prix et à l’issue d’un véritable jeu de piste, j’ai pu trouver des briques de lait demi-écrémé à 0,59 euro, mais elles étaient du côté des eaux minérales, à l’autre bout du magasin ! Bien sûr, c’est ce prix-là qui est annoncé dans les publicités, mais les articles concernés ne sont pas à la vue des consommateurs…

Les GMS devraient nous expliquer quelles sont les charges qui justifient de telles plus-values. Et les transformateurs doivent renoncer à leurs pratiques opaques que personne n’ose dénoncer par crainte d’être déréférencé.

Comme nous le savons, la filière laitière représente un poids économique et social non négligeable. Elle rassemble 95 000 producteurs, contre 151 000 en 1988, 700 entreprises privées et coopératives, pour un total de près de 200 000 emplois. Son chiffre d’affaires était de 23,5 milliards d’euros en 2007, dégageant un excédent commercial de 2,9 milliards d’euros.

Outre l’aspect économique et les questions d’emploi, n’oublions pas le rôle des éleveurs dans l’environnement et l’aménagement de nos territoires. Si nous n’y prenions pas garde, la friche prendrait vite le relais de nos verts pâturages dans les zones d’élevage à l’herbe.

Permettez-moi de vous citer quelques chiffres sur la baisse du nombre de vaches laitières. On en dénombre aujourd'hui environ 3,8 millions, contre 7,166 millions en 1983, soit une diminution de plus de 3 millions de têtes ! Et je rappelle que, comme François Fortassin et moi-même l’avons souligné dans un rapport, le cheptel français d’ovins est passé de 11 millions à 8,2 millions de bêtes en quelques années. Cette baisse du nombre d’herbivores domestiques observée sur notre territoire depuis une vingtaine d’années n’est évidemment pas sans conséquences dommageables pour notre environnement.

Bien sûr, à l’instar de nombre de mes collègues, je me félicite que les dernières réformes de la PAC, la politique agricole commune, aient rétabli des primes à l’herbe, afin d’aider les éleveurs des zones difficiles, notamment en montagne. Malheureusement, je crois que ce dispositif n’entrera pas en vigueur avant 2010. Espérons que le découragement ne frappe pas trop d’éleveurs d’ici là !

N’oublions pas non plus le rôle stratégique de notre filière laitière française, qui contribue à la préservation de l’indépendance alimentaire de notre pays, comme cela a été rappelé lors du débat précédent. Qu’adviendrait-il si nous ne maîtrisions plus l’approvisionnement de notre pays ? Comment garantir la qualité et la sécurité sanitaire de produits provenant de pays qui n’ont pas forcément des exigences aussi strictes que nous à cet égard ?

Par ailleurs, je ne pense pas que le dépérissement de notre filière laitière soit compatible avec les objectifs du Grenelle de l’environnement.

Chacun le sait, la production de lait obéit à des contraintes très particulières. Il s’agit d’un produit lourd, volumineux et fragile, qui ne peut pas être stocké longuement. Le métier est particulièrement difficile, avec deux traites quotidiennes et peu de temps libre pour la vie privée. D’ailleurs, on remarque que les producteurs laitiers qui ont quitté la profession n’y reviennent jamais. En outre, les investissements sont très lourds, ce qui rend l’installation délicate, et ils ne sont rentabilisés qu’au bout de nombreuses années. Enfin, les producteurs ne connaissent le prix qui leur sera payé qu’un mois et demi après avoir livré leur lait.

Il faut avoir ces considérations bien présentes à l’esprit lorsqu’on parle de lait. Le lait n’est pas un bien industriel comme un autre ; c’est un produit vivant, étroitement lié à l’animal dont il est issu et à l’homme qui lui a consacré son travail.

Ces dernières années, les prix du lait faisaient l’objet d’une recommandation nationale trimestrielle de l’interprofession, le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière, le CNIEL, fondée sur la combinaison de différents indicateurs et à caractère non obligatoire. Les structures régionales interprofessionnelles, les CRIEL, étaient les enceintes de discussion au niveau local entre producteurs et transformateurs, où les prix de base du lait étaient discutés à partir de la recommandation nationale. À ce titre, la filière laitière était souvent citée en exemple non seulement pour son organisation, mais également pour son sens de la responsabilité.

Or une lettre de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, demandant à l’interprofession laitière de cesser ses recommandations en matière d’évolution de prix, a été adressée au président du CNIEL au mois d’avril 2008. Elle y assimilait l’accord interprofessionnel sur le prix du lait à une « entente », interdite par la réglementation communautaire, dont un secteur comme la viande bovine avait déjà fait les frais en France, lors de la crise de la vache folle. Conformément à l’injonction de la DGCCRF, le CNIEL a cessé d’émettre des recommandations dès le 1er juillet 2008.

Depuis cette remise en cause du cadre interprofessionnel, le système a volé en éclats et les acteurs ne s’entendent plus. En effet, les transformateurs et les distributeurs n’ont pas joué le jeu et en ont profité pour ne pas venir à la table de négociations, soit en en ne présentant aucun chiffre, soit en proposant des prix d’achat du lait manifestement trop faibles.

Cependant, le Gouvernement, et plus particulièrement votre prédécesseur, Michel Barnier, auquel je rends hommage, n’est pas resté inactif.

M. Charles Revet. Tout à fait !

M. Gérard Bailly. À court terme, deux médiateurs ont été nommés pour encourager la reprise des négociations entre les parties prenantes aux niveaux national et régional. Leurs compétences ont été saluées. Cela a permis d’aboutir, le 3 juin, à un accord qui réévalue légèrement à la hausse le prix du lait pour les prochaines livraisons. Bien qu’il ne règle pas les problèmes sur le long terme, cet accord a le mérite d’exister et de permettre à la filière de « sortir de l’ornière », dans l’urgence.

À moyen terme, il est prévu que le projet de loi de modernisation de l’agriculture, attendu d’ici à la fin de l’année, offre de nouveaux outils permettant d’améliorer la transparence et de mieux organiser la filière. Je sais que votre nomination est toute récente, monsieur le ministre, mais pourriez-vous d’ores et déjà nous apporter quelques éléments sur ce sujet ? Il faut que nous puissions envisager ensemble une meilleure organisation du secteur agricole en général, et du secteur laitier en particulier.

Par ailleurs, dans le cadre du bilan de santé de la PAC, votre prédécesseur a obtenu deux rendez-vous à mi-parcours sur le marché laitier, en 2010 et 2012, rendez-vous qui n’étaient pas prévus au calendrier européen. Et, au vu de la conjoncture européenne et mondiale de cette production, l’idée d’un maintien du système des quotas après 2013 n’est peut-être pas complètement écartée.

Monsieur le ministre, les instances européennes, que vous connaissez bien, sauront peut-être vous écouter. Comme vous l’avez souligné tout à l'heure, la crise du lait a été, sur l’initiative de la France, inscrite à l’ordre du jour du Conseil des ministres européens de l’agriculture du 25 mai dernier. Quelques mesures de soutien ont été annoncées à cette occasion. Je pense notamment au prolongement de l’intervention et des aides au stockage privé du beurre, ainsi qu’au versement anticipé, dès le mois d’octobre prochain, en faveur des producteurs laitiers les plus touchés, de 70 % des subventions prévues au titre de 2010.

Cependant, la Commission a rejeté toute remise en cause de la hausse progressive des quotas d’ici à 2013, puis de leur suppression. Pour Mme Fischer Boel, commissaire européen, ce sont non pas les hausses de quotas qui expliquent la crise actuelle, mais la surproduction mondiale et la baisse de la consommation. On me permettra de m’interroger sur bien-fondé de cette analyse.

M. Charles Revet. Interrogation tout à fait justifiée !

M. Gérard Bailly. Pensez-vous, monsieur le ministre, que nos partenaires européens sont susceptibles d’évoluer sur ce sujet et que cette décision, prise dans un contexte aujourd’hui caduc, pourra être révisée un jour ?

La commission des affaires économiques, pour sa part, a travaillé sur ce thème, plus particulièrement au sein du groupe d’études de l’élevage que j’anime et qui a mis en place un mini-groupe de suivi du dossier laitier. Dans ce cadre, nous avons procédé à un certain nombre d’auditions. Ainsi, nous avons reçu, voilà quelques mois, à leur demande, les Jeunes Agriculteurs, très inquiets. Nous avons également entendu M. Jérôme Bédier, président de la Fédération du commerce et de la distribution, les entreprises Entremont et Danone, la Fédération nationale des producteurs de lait, ainsi que, hier matin, le CNIEL.

En outre, la commission des affaires économiques a auditionné, la semaine dernière, M. Luc Chatel, alors secrétaire d’État chargé de l’industrie et de la consommation.

Nous poursuivrons nos auditions dans les semaines à venir, et ce jusqu’à la rentrée, puisque nous devrions encore recevoir la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, l’Observatoire des prix et des marges, les médiateurs nommés par le Gouvernement et le président de l’Autorité de la concurrence.

Il me semble que nous pouvons tous nous accorder, aujourd’hui, pour dire qu’il est nécessaire d’aboutir non pas à une baisse du prix des produits laitiers à la consommation, car les producteurs seraient une nouvelle fois les premiers à en pâtir, mais à une répartition de la valeur ajoutée plus équilibrée et plus équitable tout au long de la filière.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, est-il normal et juste qu’un producteur ayant vendu son litre de lait un peu plus de 20 centimes d’euros le voie commercialisé sous une grande marque nationale dans la grande surface proche de chez lui à 1 euro le litre ?

Je le répète, il faut mettre fin à l’opacité entourant la formation de ce prix final. L’Observatoire des prix et des marges, créé par la loi de modernisation de l’économie, doit maintenant travailler sur les moyens de faire prévaloir la transparence en la matière.

Sur un plan plus opérationnel, il faudra que producteurs, transformateurs et distributeurs se retrouvent à nouveau à la même table pour discuter ouvertement de la répartition de la valeur ajoutée entre les différents maillons de la filière. Cela exige que transformateurs et distributeurs prennent leurs responsabilités devant l’opinion et les pouvoirs publics, communiquent leurs chiffres et assument les prix d’achat et de revente, ainsi que les marges qu’ils pratiquent.

M. Bédier nous a fait part de son accord pour participer aux travaux de l’Observatoire des marges sur ce sujet, à condition toutefois, selon ses propres termes, « de ne pas être sur un strapontin ».

La réunion du 17 juin dernier qui s’est tenue au ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi entre tous les acteurs de la filière ne semble pas avoir apporté d’évolution notable. En effet, d’abord, les grandes enseignes de la distribution n’étaient pas toutes directement présentes. Pourquoi ? Ensuite, les positions n’ont guère semblé prêtes à évoluer, jusqu’à paraître définitivement inconciliables, même si chacun a appelé à plus de sérénité au sein de la filière.

Si les GMS, ont aussi peu de marges qu’elles le prétendent, ce ne doit pas être si difficile à prouver… Et, dans un souci d’apaisement, pourquoi ne baisseraient-elles pas leurs marges de quelques centimes compte tenu de l’acuité de la crise actuelle ?

Il reste que les producteurs doivent mieux s’organiser en amont, afin de renforcer leur pouvoir de négociation face aux transformateurs et aux distributeurs. Il convient également de protéger les éleveurs dans leurs relations commerciales avec leurs acheteurs, au moyen d’une contractualisation équilibrée.

Nous sommes tous conscients des pressions pesant sur les éleveurs depuis l’aval de la filière et, à cet égard, la mise en place dans chaque département des brigades de contrôle me paraît être une très bonne initiative. Elle devrait être très utile aux producteurs et aux PME qui hésitent toujours à dénoncer les pratiques illégales de commercialisation.

De plus, l’élaboration d’un cadre interprofessionnel permettant d’instituer une contractualisation à partir de 2010 constitue l’un des trois points issus de l’accord du 3 juin, et il faut aller rapidement dans ce sens.

Par ailleurs, nous n’éviterons pas de revenir, à l’échelon européen, sur le régime laitier et de rediscuter de la fin programmée des quotas laitiers. Les évolutions erratiques des marchés agricoles montrent, une fois de plus, qu’ils ne peuvent être abandonnés au libre jeu de la concurrence et qu’ils doivent faire l’objet d’une régulation par les pouvoirs publics. À cet égard, je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir déjà souligné tout à l'heure que ce point constituait une priorité à vos yeux. Les productions agricoles sont, en effet, très largement soumises aux aléas climatiques, sanitaires ou économiques.

Des mécanismes de stockage et de dégagement doivent être maintenus, voire amplifiés. D’ailleurs, nous aurions échappé à la crise que nous avons connue l’an dernier à la suite de l’augmentation considérable du prix du lait si des stocks avaient existé à ce moment-là. Le stockage représente une méthode efficace pour lisser les prix en cas de surproduction ou de sous-production.

C’est pourquoi on peut déplorer la politique menée depuis plusieurs années tant par l’Europe que par les États-Unis. Ces derniers, qui viennent d’ailleurs de se rendre compte de la situation, ont décidé d’appliquer un vaste programme d’abattage de vaches laitières.

L’Europe doit également soutenir les mécanismes d’assurance récolte pour la filière lait, puisque des possibilités ont été ouvertes en ce sens dans le bilan de santé de la PAC. Notre pays doit veiller à les concrétiser dans le droit national.

Plusieurs questions restent en suspens.

Tout d’abord, comment discuter publiquement de marges sans tomber dans l’entente condamnée par la loi et sans revenir au contrôle des prix ?

M. Jérôme Bédier a proposé d’instaurer « une sorte de prix directeur entre les producteurs et les industriels ». L’idée que le CNIEL établisse des « indices de prix » permettant « d’éclairer les acteurs de la filière », la négociation relevant ensuite des relations contractuelles entre producteurs et transformateurs, nous paraît bonne.

La commission des affaires économiques, sur l’initiative de son président, M. Jean-Paul Emorine, que je salue et remercie, a décidé, comme la LME lui en donne la possibilité, de saisir l’Autorité de la concurrence pour avis sur la question. Les conclusions de cette instance sont attendues pour la rentrée parlementaire d’octobre ; nous ne manquerons pas, alors, d’avoir de nouveau des échanges sur ce point.

Ne pourrait-on, par ailleurs, interdire la vente de lait en dessous de son coût de production, de la même façon que l’on interdit aujourd’hui la revente à perte ? Car c’est bien une vente à perte que subissent aujourd'hui de nombreux éleveurs, qui ont vu leurs charges s’envoler sans pouvoir les répercuter. De fait, l’énergie, la main-d’œuvre, le matériel, les transports, les engrais, les frais vétérinaires, l’alimentation du bétail, les cotisations à la Mutualité sociale agricole, notamment, ont fait grimper considérablement les charges dans les exploitations.

Tels sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les quelques éléments et interrogations que je souhaitais vous livrer pour entamer notre débat d’aujourd’hui.

Nous devons faire preuve de détermination pour trouver des solutions à cette crise, quitte à légiférer si les partenaires de la filière ne parviennent pas à se mettre d’accord. Il est important de montrer, par le présent débat, à quel point notre assemblée est concernée par ce sujet. Il nous faut maintenant apporter des solutions concrètes, et je sais, monsieur le ministre, compte tenu des propos que vous avez tenu voilà quelques minutes, que vous aurez à cœur d’y travailler avec nous.

Ce ne sera sans doute pas facile, mais votre connaissance des problèmes européens, de l’Allemagne, principal pays producteur de lait en Europe, sont autant d’atouts sur lesquels nous comptons. De même, votre lucidité quant à l’importance des mécanismes de l’OMC devrait vous permettre d’exercer avec une grande efficacité vos nouvelles fonctions.

Il vous faudra aussi être convaincant au sein du Gouvernement français pour que se mette en place une bonne organisation des filières agricoles, plus particulièrement de la filière laitière, et donner un réel pouvoir aux interprofessions.

Enfin, nous attendons la réalisation très rapide du contrôle des marges, à laquelle MM. Michel Barnier et Luc Chatel se sont engagés, car le temps est compté.

En tout cas, nous espérons que vous saurez convaincre Mme le commissaire européen chargé de l’agriculture et du développement rural lors du déjeuner que vous prendrez avec elle tout à l'heure, et je vous souhaite bon appétit ! (Sourires et applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Charles Revet. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.

Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le ministre, permettez-moi de vous féliciter, à mon tour, pour votre nomination comme ministre de l’alimentation, de l’agriculture,…

M. Charles Revet. Et de la pêche !

Mme Jacqueline Gourault. C’est vrai, mon cher collègue, il ne faut pas oublier la pêche, même si, en tant qu’élue du Loir-et-Cher, je pense d’abord à l’agriculture, tout en sachant qu’un parlementaire doit avoir une vision nationale. (Sourires.)

Quoi qu'il en soit, monsieur le ministre, vous qui êtes aussi d’un département où l’agriculture occupe une place importante, vous savez évidemment, non seulement qu’il s’agit d’un secteur fondamental dans l’économie française, mais qu’elle est aussi au cœur d’une vision de la ruralité que nous partageons tous, me semble-t-il : nul ici ne peut imaginer un espace rural sans agriculteurs, et plus précisément sans exploitations familiales, à dimension humaine. Voilà pourquoi nous pensons qu’il faut absolument que ces exploitations puissent vivre : ce sont très largement elles qui font vivre les territoires sur lesquels elles sont implantées, qui font vivre notre ruralité.

Pourquoi une telle crise en 2009 ? En fait, elle n’aurait pas été possible avant les réformes de la PAC de 2003 et de 2006. En effet, les mécanismes de régulation auraient pallié les effets conjoncturels qui l’ont déclenchée et qui sont, pour l’essentiel, les suivants : d’abord, la flambée des cours des matières premières, car les fonds spéculatifs investissent massivement dans les produits laitiers industriels et dans le blé ; ensuite, les sécheresses simultanées en Australie, en Nouvelle-Zélande, notamment ; enfin, le retournement brutal des marchés à la suite de la crise financière.

Avant ces réformes, les mécanismes de régulation auraient consisté à déclencher l’achat au prix d’intervention, à soutenir les exportations en permettant les dégagements de marché de poudre et de beurre, et enfin, à organiser le marché grâce au recours aux quotas.

Or les réformes de la PAC ont visé, sur un fondement que je n’hésiterai pas à qualifier d’idéologique, à augmenter les quotas, ce qui revient à en supprimer l’effet, et nous croyons pouvoir penser que cette augmentation prélude à leur suppression, ainsi qu’à celle du prix d’intervention et des restitutions aux exportations.

Résultat : au plus fort d’une crise conjoncturelle, l’équilibre fragile de toute une filière se mue en une hécatombe économique et sociale. Vous n’ignorez pas les situations dramatiques vécues par de nombreuses familles dont les exploitations ne trouvent pas preneur de leur collecte de lait.

J’ai participé, voilà quinze jours, au comice agricole qui se tenait dans une commune de département, Savigny-sur-Braye, dans le Perche. Les agriculteurs et les producteurs laitiers ont tenu à y mener leur bétail et à participer à cette fête – car les comices agricoles sont des fêtes !

M. Charles Revet. C’est vrai et, en général, ce sont de belles fêtes !

Mme Jacqueline Gourault. Ils ont tenu à montrer leur volonté de se battre pour sauver leur métier. Mais leur regard trahissait leur grande inquiétude, voire, chez certains, leur désespoir devant leur situation.

M. Charles Revet. Ça aussi, c’est vrai !

Mme Jacqueline Gourault. Il faut en avoir conscience et prendre rapidement des décisions avant que des drames humains ne se multiplient dans les campagnes françaises.

J’ai parlé tout à l'heure d’idéologie parce que le système des quotas et de régulation des marchés a permis à la filière laitière de fonctionner pendant vingt ans, d’avoir le prix agricole le plus stable de toute l’agriculture, de renouveler ses actifs mieux que toute autre filière, de permettre l’installation de plus de jeunes agriculteurs que dans toute autre filière, et tout cela en coûtant très peu au budget de l’Union européenne puisque l’écoulement, de façon marginale, des stocks sous forme de poudre et de beurre ne représentait que 2 % à 3 % du budget de la PAC.

Dès lors, pourquoi le scénario du pire est-il encore aujourd’hui possible ?

La suppression des quotas est une impasse. Les rapports de force entre les acteurs économiques – producteurs, transformateurs, distributeurs – sont tels, que sans mesures de contingentement de la production pour équilibrer les négociations, les producteurs sont écrasés par la possibilité qu’ont les entreprises d’aval de corriger les effets du marché sur leurs propres marges. Il s’agit d’un phénomène en cascade. Les producteurs sont à la merci de tout retournement de tendance du marché.

Autrement dit, sans mécanisme de régulation du prix à l’échelle collective, nationale ou par grand bassin de collecte, il n’y a aucun espoir pour les producteurs de vivre de ce métier.

Monsieur le ministre, la responsabilité politique des décideurs nationaux et communautaires est extrêmement importante. Il ne sert à rien de faire peser toute la responsabilité sur la grande distribution et les industriels. Il est urgent de partager cette responsabilité et d’aménager le droit de la concurrence de manière à permettre aux producteurs de s’organiser pour rééquilibrer le dialogue interprofessionnel et les négociations commerciales.

J’espère, monsieur le ministre, que votre nomination apportera une réelle solution à la crise que vivent les producteurs de lait en France. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste. –  M. Jean-Pierre Chevènement applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise laitière de 2009 pressentie depuis 2008 fait partie du paysage désormais habituel et cyclique des crises qui frappent de façon quasi chronique les productions agricoles alimentaires dans leur ensemble.

Chaque crise apporte son lot de colère, d’exaspération, de renoncement et de faillites des producteurs, qui constituent pourtant la trame de notre ruralité.

Chaque crise mène à un degré de concentration plus élevé des exploitations au profit d’une rentabilité accrue pour les transformateurs et pour la grande distribution.

Ainsi, le nombre de vaches laitières a reculé de 14,2 % au cours de la période 2001-2007, et plus de 28 000 exploitations ont disparu. Avec une augmentation de population de plus de 10 millions d’habitants depuis 1985, la collecte annuelle de lait a reculé de 25 milliards de litres à 23 milliards de litres, soit 2 milliards de litres de lait en moins.

Les causes des crises laitières sont multiples et bien identifiées : les crises laitières, elles-mêmes, affaiblissent la production et les producteurs ; le pouvoir d’achat en baisse des Français, qui réduit la consommation des ménages ; la baisse de production de la filière veau, grande consommatrice de poudre de lait, filière qui produisait 405 000 tonnes en 1980 et qui n’en produit plus que 274 000 tonnes aujourd’hui ; les règles économiques du marché et de la concurrence, qui conduisent à la loi de la jungle et aux importations abusives anti-communautaires ; le comportement de prédateur de la grande distribution, qui réalise des marges exagérées via ses centrales d’achat au détriment des transformateurs ; les transformateurs qui, sous la pression de la grande distribution, camouflent leurs marges et sont contraints de répercuter les pressions des grands magasins spécialisés, les GMS, sur les producteurs ; la réduction des soutiens par l’Europe aux produits de dégagement que peuvent être le beurre et la poudre de lait en période de crise ; le poids de l’Europe libérale qui, en accord avec l’OMC, supprime progressivement tous les outils de régulation, dont les quotas laitiers, et libéralise à outrance le marché laitier, pour que le prix de référence mondial soit la règle générale alors que ce prix ne correspond qu’à 6 % des échanges.

M. le secrétaire d’État Luc Chatel a tenté, la semaine passée, au sein de la commission des affaires économiques du Sénat, de justifier la LME, la loi de modernisation de l’économie, et de minimiser son rôle dans la crise laitière.

Pourtant, cette loi, censée améliorer les relations commerciales, a pour effet de les aggraver en livrant les producteurs et les transformateurs aux diktats des centrales d’achat qui font la pluie et le beau temps, la pluie pour les fournisseurs et le beau temps pour elles-mêmes.

Cela n’est pas surprenant quand on sait que de multiples volets de cette loi ont été concoctés entre M. Michel Édouard Leclerc et le Président Sarkozy.

Il y a un an, avec Michel Barnier, le Gouvernement a cédé une fois de plus aux sirènes libérales de Bruxelles et a retiré au Centre national interprofessionnel de l’économie laitière, le CNIEL, le droit de formuler des recommandations trimestrielles sur le prix du lait.

Aujourd’hui, vous nous proposez trois outils qui, sans vouloir faire de procès d’intention, restent inefficaces face au problème de fond de la crise.

Vous nous proposez d’autoriser l’interprofession à établir des indices de prix. Il faut tout de même savoir que les centres d’économie rurale ont déjà tous les chiffres concernant le prix de revient.

Vous nous proposez également de multiplier les contrôles effectués par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, après avoir affaibli cet organisme au nom de la révision générale des politiques publiques.

Vous nous proposez, enfin, de changer le braquet de l’Observatoire des prix et des marges.

Les constats et les contrôles n’ont jamais constitué un outil efficace de prix rémunérateurs. Ils peuvent, à tout le moins, donner des indications souvent déjà connues.

Pendant des années, les producteurs en crise se sont laissés endormir par les instruments classiques de régulation autorisés en Europe, ce qui, à chaque crise, n’empêchait pas la concentration, mais rendait un peu moins douloureuse la situation des dégagés d’office.

La situation appelle autre chose que des mesurettes ou de l’enfumage, monsieur le ministre. C’est une question de jours pour certaines exploitations, de semaines et de mois pour d’autres.

L’exemple calculé par le Centre d’économie rurale des Côtes-d’Armor est éloquent pour prendre la mesure de la gravité de la crise.

Une exploitation laitière dégageait ces dernières années une moyenne de 15 000 à 16 000 euros de revenu par an et par unité de travail humain. Si nous prenons le cas d’un exploitant travaillant seul pour produire un quota annuel de 200 000 litres, nous arrivons à 1 250 euros de revenu net par mois. Si on applique à cet éleveur une baisse de 4 centimes d’euro par litre dès le quatrième trimestre 2008, son revenu net mensuel tombe à 666 euros. Si nous effectuons le même calcul pour un couple qui produit 400  000 litres de lait par an, nous arrivons au même résultat : 1 332 euros net par mois pour deux personnes au travail.

À supposer que la demande des industriels d’une baisse minimale de 100 euros par 1 000 litres de lait soit appliquée dès le mois de janvier, le revenu moyen mensuel calculé à partir des chiffres fournis par l’étude du Centre d’économie rurale des Côtes-d’Armor devient négatif. Un éleveur qui produit 200 000 litres de lait par an perd 416 euros par mois. Un couple qui a un quota annuel de 400 000 litres de lait perd 832 euros par mois.

Les communistes proposent de longue date d’encadrer les marges abusives, de développer la notion de « prix minimum garanti » et de l’élargir à l’Europe, d’utiliser le principe du coefficient multiplicateur qui établit un lien vertueux entre le prix de vente à la production et le prix à la consommation, d’imaginer un partage équitable des marges permettant au producteur de vivre du fruit de son travail sans pénaliser le consommateur. Chaque fois, nos propositions sont caricaturées au nom de l’économie administrée ou de la soviétisation de l’économie !

Je constate aujourd’hui que la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, la FNSEA, demande « la mise en œuvre d’un dispositif particulier d’encadrement des marges et/ou des coefficients multiplicateurs pour les produits alimentaires de base, qu’il s’agisse de produits agricoles bruts ou de première transformation ». M. Lemétayer serait-il devenu communiste ? (Sourires.)