compte rendu intégral

Présidence de M. Roger Romani

vice-président

Secrétaires :

M. François Fortassin,

Mme Anne-Marie Payet.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Saisine du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Président du Conseil constitutionnel une lettre par laquelle il informe le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, le 18 septembre 2009, par plus de soixante députés, d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution de la loi tendant à favoriser l’accès au crédit des petites et moyennes entreprises et améliorer le fonctionnement des marchés financiers.

Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

3

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet
Discussion générale (suite)

Propriété littéraire et artistique sur internet

Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet (n° 623).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet
Article 1er

M. Michel Thiollière, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « Quand on aime, on ne compte pas ! », dit-on familièrement. Comme nous sommes nombreux dans cet hémicycle – et bien au-delà – à aimer l’art, les artistes, la culture et la diversité, en un mot la création, nous ne comptons ni notre temps, ni nos séances, ni notre énergie, ni notre force de conviction pour faire aboutir un texte qui nous paraît important, essentiel même, à l’avenir de la création dans notre pays.

Durant un an, le Sénat a travaillé en s’efforçant de répondre à des questions et de concilier à la fois les nouvelles technologies et la création, de faire en sorte que l’on puisse s’appuyer sur les nouvelles technologies pour renforcer la création, et non pas laisser nos créateurs se faire engloutir par la vague numérique.

Notre mission est bien de concilier les fabuleux apports du monde numérique et les irremplaçables apports de la création.

Or, aujourd’hui, c’est en quelque sorte une « double peine » qui est infligée aux créateurs et à l’économie de la création : le piratage et la crise s’abattent en même temps sur le monde de la création, sur les artistes et sur les filières industrielles qui y sont liées. Dans quelque domaine que ce soit, musique, cinéma, jeux vidéos, livre ou audiovisuel, nos artistes et nos entreprises de création souffrent à la fois de la crise et du piratage.

Je ne citerai que deux chiffres pour rappeler la situation actuelle. On parle beaucoup d’émergence dans notre pays et nous avons évidemment besoin d’artistes qui créent. Or, aujourd’hui, nous ne manquons nullement de créateurs et nombreux sont les artistes qui veulent émerger. En revanche, le piratage et la crise ont fait des dégâts puisque, au cours du dernier semestre de 2008, seulement 107 albums nouveaux de musique francophone ont été édités, quand on en comptait 233 en 2002. On assiste donc bien à un assèchement de la création.

Après avoir élaboré et voté la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, dite « Hadopi I », Nous en sommes aujourd’hui à « Hadopi II », à savoir le présent projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet.

Pendant des mois, des avancées et des revers ont été enregistrés et je considère que le temps de l’action publique a été beaucoup trop long. Entre-temps, une sorte de fossé tout à fait dommageable s’est creusée entre les créateurs et notre société. Pourtant, je le répète, le Sénat a travaillé, a débattu, a voté en temps et en heure. Mais, dans notre pays, comme le rappelait déjà La Fontaine dans sa fable Conseil tenu par les rats,

« Ne faut-il que délibérer, la Cour en conseillers foisonne ;

« Est-il besoin d’exécuter, l’on ne rencontre plus personne. » (Sourires.)

On en est donc là. Après que les uns et les autres se sont exprimés, il faut bien, un moment donné, délibérer et agir !

Alors, oui, le Sénat tranche et agit. Il a répondu à de légitimes questions. Doit-on avoir peur des nouvelles technologies ? Bien sûr que non, puisqu’elles permettent d’apporter plus d’informations, d’élargir les connaissances, qu’elles favorisent l’émergence de la création et les échanges sur celles-ci. Doit-on pour autant sacrifier la création à la fascination du monde pour ces nouvelles technologies ? Certes pas, parce que, depuis que le monde est monde, l’homme fait confiance aux nouvelles technologies, mais conserve en même temps tout son pouvoir à la création.

Aujourd’hui, c’est donc à nous, et à personne d’autre, qu’il revient d’inventer une voie nouvelle, une voie nouvelle contre tous les courants démagogiques, une voie nouvelle pour infléchir des usages qui nuisent à la création.

Le Sénat a donc pris sa part à ce travail. Le 8 juillet dernier, nous adoptions ici le présent projet de loi après avoir inséré sept nouveaux articles aux cinq articles que contenait le texte initial présenté par le Gouvernement.

Je résumerai les apports du Sénat en quatre points.

En premier lieu, les modifications que nous avons adoptées ont permis d’améliorer là lisibilité, la cohérence et donc l’intelligibilité du texte. Nous avons notamment mieux distingué le délit de contrefaçon de l’infraction de négligence caractérisée visant le titulaire de l’abonnement à Internet.

En second lieu, nous avons renforcé le caractère pédagogique et dissuasif du texte. Je vous rappelle que, à cet effet, nous avons prévu que la sanction de suspension de l’accès à Internet, lorsqu’elle est prononcée dans le cadre de l’infraction contraventionnelle de négligence caractérisée, ne figure pas au bulletin n° 3 du casier judiciaire. En effet, notre objectif est que le caractère pédagogique et dissuasif du nouveau dispositif proposé n’emporte pas de conséquences fâcheuses pour les personnes en recherche d’emploi ou souhaitant se présenter à un concours administratif.

Nous avons aussi renforcé l’information des abonnés et, par ailleurs, augmenté le plafond de l’amende encourue par le fournisseur d’accès à Internet, le FAI, qui ne mettrait pas en œuvre la peine de suspension qui lui aurait été notifiée.

En troisième lieu, le Sénat a adopté des dispositions de nature à mieux garantir le respect des libertés publiques et des principes constitutionnels. En particulier, nous avons fait en sorte que la Haute autorité ne puisse pas garder les données à caractère personnel relatives à l’abonné plus longtemps que la procédure ne l’exige. Nous avons aussi précisé le délai dans lequel les FAI doivent mettre en œuvre la suspension, afin d’encadrer l’appréciation du juge et de respecter ainsi pleinement le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines.

En quatrième lieu, nous avons introduit des dispositions permettant aux ayants droit de mieux faire valoir leurs droits auprès des autorités judiciaires. C’est pourquoi la Haute autorité devra informer les représentants des ayants droit sur les éventuelles saisines de l’autorité judiciaire. Ainsi, ceux-ci pourront décider, s’ils le souhaitent, de se constituer partie civile et, dans ce cas, se signaler auprès du procureur de la République. Il serait ainsi fait obstacle à la procédure de l’ordonnance pénale, au bénéfice d’une procédure classique.

L’Assemblée nationale, quant à elle, a inséré trois articles dans le texte issu du vote du Sénat : les articles 1er bis, 3 ter et 5. En outre, elle a encore clarifié certaines dispositions et en a modifié ou précisé utilement d’autres : la prestation de serment des agents de la Hadopi – Haute autorité pour la diffusion des œuvres et le protection des droits sur Internet – devant l’autorité judiciaire ; la limitation du recours au juge unique et à l’ordonnance pénale au seul délit de contrefaçon commis par Internet ; la possibilité pour les ayants droit d’obtenir des dommages et intérêts directement dans le cadre de la procédure d’ordonnance pénale ; enfin, les précisions touchant l’incrimination de négligence caractérisée et les dispositions relatives à l’application du principe de personnalisation et de proportionnalité des peines.

S’agissant de ce dernier point, seront ainsi précisés les critères devant guider l’action du juge dans le prononcé des sanctions, et notamment la suspension de l’accès à Internet.

Par ailleurs, nos collègues députés ont exclu les correspondances privées du champ d’investigation des agents de la Hadopi. Cependant, en cas de sanction de l’abonné consistant en une suspension de son accès à Internet, sa messagerie sera bien suspendue.

Le 16 septembre dernier, sous la présidence de notre collègue Jacques Legendre, président de la commission de la culture du Sénat, la commission mixte paritaire s’est réunie et s’est accordée sur un texte commun.

Nos sociétés contemporaines ne peuvent avancer que si l’on fait preuve de pédagogie, la pédagogie de ceux qui, connaissant tel ou tel domaine, l’expliquent à ceux qui le connaissent mal. Ensuite, notre société avance par le dialogue et le débat. En outre, elle ne peut avancer que dans la mesure où nos concitoyens se sont forgés pour eux-mêmes la conviction que ce qui leur est proposé va dans le bons sens : c’est clairement le cas en matière de santé publique ou de sécurité routière ; il faut que ce soit aussi le cas s’agissant de la création.

Avant de vous appeler, mes chers collègues, à adopter les conclusions de la commission mixte paritaire, je tiens à rappeler que nous avons, ici, toujours souhaité accompagner la mutation du monde physique vers le monde numérique, tout en faisant prévaloir nos valeurs, quitte à les actualiser.

De ce point de vue, je tiens à saluer la détermination du Président de la République, qui, voilà déjà deux ans, a engagé le débat et souhaité une réforme qui préserve la création.

Je tiens également à rendre hommage au travail de Mme Albanel, qui a, pendant de nombreux mois, suivi l’élaboration de ce texte, mais aussi à souligner, monsieur le ministre, que vous avez repris ce texte en le prolongeant de manière fort opportune à travers une mission, que vous avez confiée à MM. Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerutti, chargée d’étudier les moyens d’aller plus loin en matière de création dans le monde des nouvelles technologies.

Je tiens enfin à remercier mes collègues et l’administration du Sénat, qui m’ont beaucoup aidé dans ce travail. C’est la traduction de l’exigence du Sénat, sur laquelle nous avons souvent insisté, pour que l’offre légale soit à la fois plus fournie, moins coûteuse, donc plus pratique. Pour réussir, nous devons tout à la fois endiguer le piratage et développer une offre légale de qualité. Il est temps que tous les professionnels concernés se mettent au travail afin que l’offre légale soit une réalité concrète pour chacun de nos concitoyens.

Je dirai en conclusion que les problèmes qui nous occupent ne se posent pas uniquement dans notre pays. Ils concernent aussi nos voisins européens, de même que des pays plus éloignés. Ainsi, la Corée et Taïwan entreprennent des réformes tout à fait comparables à celle que nous avons engagée.

La France, comme elle le fait souvent dans le domaine de l’art et de la culture, doit montrer un chemin. Je ne voudrais pas que l’on oublie l’attente de ceux qui nous observent, l’impatience, voire l’envie, de la manifestation d’une volonté française. Permettez-moi, à cet instant, de citer un extrait de ce qu’avait déclaré, en 1983, l’écrivain argentin Jorge Luis Borges devant l’Académie française : « La France a l’habitude de dons infinis. Depuis la Chanson de Roland, on n’a cessé de monter cette limpide littérature du Grand Siècle, puis cette félicité, cette rare félicité qu’était Voltaire, et puis la voix de Hugo, la musique de Verlaine… Et pourquoi ne pas nommer André Gide, André Malraux ? »

Il revient aujourd’hui au législateur de tenter, avec humilité et courage, de faire en sorte que ce don infini de la France soit effectivement infini. ((Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. le président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, monsieur le rapporteur, cher Michel Thiollière, mesdames, messieurs les sénateurs, lorsque je suis venu vous présenter, le 8 juillet dernier, le présent projet de loi, j’ai tenu d’emblée à le replacer dans une perspective plus vaste.

J’ai toujours souligné que ce dispositif était, à mes yeux, nécessaire, mais non suffisant. Pour moi, la régulation de l’internet prévue par ce projet et par le précédent, qu’il vient compléter pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin dernier, n’est qu’un premier jalon. C’est le préalable indispensable à une deuxième étape : le développement de nouvelles formes d’offres culturelles sur Internet et l’invention de nouvelles sources de rémunération pour les créateurs.

J’ai donc lancé, voilà quelques jours, une concertation de tous les acteurs de la culture mais aussi de l’internet. J’ai confié cette mission à des personnalités éminentes, indépendantes et respectées de tous : Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerutti. Je leur ai demandé d’apporter des réponses concrètes et immédiates à trois questions fondamentales. Comment proposer des offres légales de musique et de films encore plus attractives pour les consommateurs ? Comment dégager de nouvelles ressources pour financer la création des œuvres ainsi diffusées ? Comment aboutir à un partage équitable de la richesse ainsi créée entre les artistes, les entreprises de la culture et les acteurs de l’internet ?

Avant la fin du mois de novembre, je ferai des propositions au Président de la République et au Premier ministre. Tous les créateurs de notre pays les attendent : il faut agir vite ; j’y suis déterminé.

Vous le constatez, pendant que le Parlement accomplissait les travaux nécessaires à la discussion et à l’adoption du présent projet de loi, je ne suis pas resté inactif, loin de là.

J’ai tenté de faire en sorte que le dispositif qu’il instaure, celui de la collaboration entre la Hadopi et les autorités judiciaires, prenne tout son sens aux yeux de nos concitoyens : il s’agit d’un mécanisme essentiellement pédagogique de lutte contre le piratage, indissociable de la mise en place d’un nouveau modèle de diffusion et de financement des œuvres culturelles. C’est ainsi que nous garantirons le mieux son applicabilité et son efficacité.

Je ne reviendrai pas sur le détail de ce projet de loi après la présentation que vient d’en faire votre rapporteur, Michel Thiollière, que je veux remercier de sa compétence et de son engagement depuis le 30 octobre 2008, date à laquelle le premier projet de loi, désormais désigné sous le nom de « Hadopi I », était adopté par le Sénat, à l’unanimité.

Je me limiterai donc à souligner que, grâce au Sénat et à l’Assemblée nationale, ce second projet de loi a fait l’objet de plusieurs améliorations qui rendent encore plus claires les intentions des pouvoirs publics.

Je pense notamment à la décision de la commission mixte paritaire de proposer un texte qui retranche la messagerie électronique du champ de la suspension d’accès aux services en ligne qui peut être prononcée par le juge judiciaire.

Par ailleurs, lorsque le juge sera amené à se prononcer sur une peine de suspension, il lui incombera de prendre en compte l’ensemble des circonstances de l’espèce, notamment la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur. De cette façon, la sanction sera la plus adaptée, donc la plus efficace possible. Certes, cette obligation découlait des principes généraux de notre droit. Mais, après le débat passionnel que nous avons connu sur ce texte, il ne faut pas craindre d’être tout à fait explicite.

Je veux, surtout, saisir cette occasion pour continuer à dénouer, inlassablement, les idées fausses dont est tissée l’incompréhension avec laquelle ce texte est parfois encore accueilli.

Je rappelle d’abord que l’édifice dont nous allons poser la dernière brique n’a pas été imaginé par des technocrates coupés des réalités. Il a été conçu par les acteurs de la culture et de l’internet eux-mêmes. Il est l’application des accords historiques signés à l’Élysée, le 23 novembre 2007, par un ensemble de près de cinquante organisations représentatives et entreprises de la musique, du cinéma, de la télévision, ainsi que par tous les fournisseurs d’accès à Internet.

Ensuite, les deux lois apporteront des avancées considérables pour le consommateur.

Ainsi, elles permettront l’accélération de la mise à disposition des films. Désormais, ils seront disponibles en DVD à peine quatre mois après leur sortie en salles, au lieu de six mois, et en VOD – vidéo à la demande – après quatre mois aussi, au lieu de sept mois et demi. Voilà une vraie mesure, concrète, qui devrait changer le comportement du consommateur.

Par ailleurs, les maisons de disques ont retiré tous les « verrous numériques » anti-copie des morceaux de musique téléchargés à l’unité. Autrement dit, dorénavant, lorsqu’on achètera en ligne une musique, on pourra la copier sans difficulté pour son usage personnel et familial, aussi facilement qu’on le faisait naguère avec une cassette.

Il est un autre point sur lequel je veux revenir, et qui est peut-être le plus important après les polémiques déraisonnables, disproportionnées auxquelles les deux textes ont donné lieu : contrairement aux caricatures qui en ont été faites, leur vocation est essentiellement pédagogique. Le cœur de leur mécanisme réside dans les rappels à la loi envoyés par la Hadopi. Les sanctions, sur lesquelles on s’est tellement répandu, n’ont été pensées que comme une force de dissuasion, qui vient coiffer la série d’avertissements envoyés par la Haute autorité.

Les sanctions seront probablement assez rares, car je crois à l’efficacité de cette dissuasion, mais la perspective de la sanction signalera qu’Internet ne doit pas être un lieu de non-droit : c’est un espace rapide, où l’on « surfe » ; ce ne doit pas être un espace où le droit se volatilise et devient virtuel.

Deux avertissements avant toute sanction, dont un par lettre recommandée : quel luxe de précautions, d’explications ! Comme s’il fallait recevoir deux avertissements à domicile avant de se faire retirer un point sur son permis de conduire… Et ces messages sont envoyés par une Haute autorité qui protège l’anonymat des internautes, qui est composée de magistrats et d’agents publics, impartiaux et indépendants.

Le premier décret d’application de la loi Hadopi I, déjà paru au Journal officiel, porte d’ailleurs sur la déontologie. Cela souligne à quel point le souci du Gouvernement a été d’interposer, entre les internautes et les titulaires de droits, une instance médiatrice incontestable, protectrice de leur vie privée.

Cette démarche n’est pas purement réactive et négative. Elle veut construire, sur le long terme, une nouvelle approche de l’internet. Il s’agit bel et bien de poser clairement le principe d’Internet comme espace civilisé, avec ce que cela implique comme protection des droits élémentaires de chacun. Un espace de droit dans lequel non seulement l’internaute ne doit pas être favorisé par rapport à celui qui se rend chez son disquaire, mais où l’internaute malin, trop malin, ne doit pas l’emporter sur l’internaute candide.

Ne soyons pas naïfs : nous savons que ce que nous décidons dans le monde virtuel d’Internet a des implications dans le réel, qu’il n’est pas bon de se laisser aller à l’illusion d’un monde parallèle où rien ne pèse, où triompherait l’insoutenable, l’excessive légèreté du Net. (Sourires.)

Selon Pascal, un paysan qui passe la moitié de sa vie à rêver qu’il est roi vaut bien un roi qui passe la moitié de sa vie à rêver qu’il est un paysan ! (Nouveaux sourires.)

Les « arrière-mondes » que nous créons ont plus d’influence et de puissance que l’on ne croit sur le monde réel ? Ils lui empruntent, mais ils le façonnent en retour, ils lui donnent ses nouvelles formes, ses habitudes. C’est pourquoi, si Internet est un formidable instrument, son champ ne doit pas être laissé en jachère juridique. Il ne doit pas échapper à notre vigilance ni à la régulation qui fonde nos sociétés de droit.

Le Président de la République nous a montré ce que peut la volonté politique : renverser un dogme, celui du laisser-faire, du pillage immoral de l’économie réelle des entreprises par l’économie virtuelle des marchés financiers. Je veux faire la même chose pour le pillage des œuvres, au nom d’une liberté mal comprise. La liberté n’est pas la licence, le libéralisme n’est pas la jungle.

Que veulent-ils, les démagogues du laisser-faire, qui confondent la jeunesse avec le jeunisme ? La gratuité pour toutes les œuvres des artistes sous prétexte qu’elles sont sur la Toile ?

J’ai fait du numérique l’une des priorités de mon action au ministère de la culture et de la communication. J’ai ainsi annoncé une porte d’entrée unique de notre patrimoine numérisé sur Internet, je suis entré dans le débat sur la numérisation des imprimés entre un géant américain et la Bibliothèque nationale de France, j’ai demandé qu’une partie du grand emprunt soit dirigée sur la nécessaire modernisation de notre patrimoine qui réside dans l’accélération et la mise en cohérence de sa numérisation.

Là où la gratuité est possible, j’ai agi concrètement et rapidement : j’ai décidé, dès cet été, de l’appliquer à l’entrée dans les musées et monuments nationaux pour tous les jeunes de moins de vingt-six ans qui résident régulièrement dans l’Union européenne, quelle que soit leur nationalité.

Mais la gratuité des œuvres d’auteurs, de compositeurs, d’interprètes, de scénaristes, de réalisateurs vivants, ce ne serait magnifique que dans un monde idéal ! Le financement de leurs œuvres est assuré non pas, comme pour les musées ou les monuments, par l’impôt des citoyens ou les gratifications d’un mécène, mais par le consentement du public de leurs admirateurs à les rémunérer.

Ensuite, je le redis, le projet de loi vise le grand nombre : il vise à modifier le comportement de la masse des internautes, à attirer l’attention sur les conséquences du piratage pour les créateurs et sur les sanctions encourues.

Évidemment, il sera toujours possible aux « petits malins » d’échapper momentanément aux sanctions en déployant beaucoup de savoir-faire, par exemple en cryptant leurs échanges. Ce sera le fait d’une infime minorité, comme pour toutes les formes de délinquance, et les techniques de détection évolueront en même temps que les techniques de dissimulation ; c’est un processus éternel qui n’a jamais dissuadé de lutter contre la délinquance. Mais il faut arrêter avec le romantisme du « pirate génial » de l’internet et du gangster fascinant. Le piratage sur Internet est beaucoup moins glamour que cela : ce sont des œuvres galvaudées et la diversité culturelle compromise.

D’ailleurs, si notre démarche était si mal fondée, elle ne serait pas, comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, de plus en plus imitée.

On disait, on répétait que la France était isolée, qu’elle s’enferrait dans l’opposition, la confrontation ; il semble bien plutôt, à regarder ce que font les autres pays, qu’elle était tout simplement en avance, tant notre philosophie est désormais reprise partout : Irlande, Taïwan, Corée du Sud, pour citer les plus proches de notre modèle. Des résultats spectaculaires sont déjà observés en Suède ; voilà deux semaines encore, des annonces fortes ont été faites par Peter Mandelson, ministre du commerce du Royaume-Uni.

Chacun sait que, dans le domaine de la culture, la France n’est pas un acteur comme les autres, qu’elle a toujours joué un rôle pionnier. Nous célébrons cette année le cinquantenaire du ministre de la culture. On le raillait à sa création, sans doute en prétextant que les arts et les artistes n’avaient pas besoin du soutien public. Eh bien, pour imaginer des solutions contre le piratage, de nombreux pays, et notamment ceux que je viens de citer, nous observent, nous imitent, nous rattrapent même. De même, plusieurs dizaines de pays, en cinquante ans, se sont dotés d’un ministère de la culture. C’est une forme de « piratage » que nous pouvons regarder avec satisfaction...

Peu importe d’ailleurs, en un sens, le contenu exact du dispositif de protection. Les techniques vont évoluer encore avec la vitesse qui les caractérise. Mais les avancées de la technique ne doivent pas conduire à l’obsolescence des principes. Or le principe de base, ici, est bien qu’il ne peut pas y avoir d’impunité totale. Il faut en donner des manifestations bien visibles. Ce sera, en France, le rôle de la Hadopi.

Les artistes l’ont bien compris. Les créateurs, les entreprises du cinéma, de la musique et de l’internet ont apporté un soutien massif au projet du Président de la République et au Gouvernement. Je rappelle tout particulièrement le soutien de toutes les PME de la culture, de ces petites entreprises qui sont les premières victimes du piratage parce que ce sont elles qui prennent le plus de risques, en soutenant de jeunes talents, avec des moyens parfois dérisoires.

Ces structures indépendantes sont au cœur du dynamisme et de la diversité de la scène artistique française et européenne. Elles ont apporté, aussi bien chez nous que chez nos partenaires, un soutien massif et régulièrement renouvelé à la loi. Ce texte n’est donc pas la loi des « majors » ni de quelque intérêt particulier que ce soit. C’est la loi de tous les créateurs et des jeunes talents et, in fine, de leurs publics, de ceux que j’ai vus, entendus, admirés, lors de mes déplacements à travers la France pendant tout l’été, à Marciac, Lussas, Saintes, etc.

Ce sont eux, mais aussi toutes les entreprises qui les produisent et les soutiennent, le réseau fourmillant des « PME culturelles », qui ont les yeux fixés sur nous aujourd’hui. Ils sont la réalité économique de la diversité culturelle. Ils attendent le dernier acte d’un processus législatif dont ils espèrent l’affirmation claire et ferme que, même sur Internet, la protection de leurs droits est une réalité.

Ce texte témoigne de notre attachement aux principes fondateurs d’un espace culturel civilisé. Il vise, dans une conception équilibrée des rapports sociaux, à conjuguer les exigences de l’accessibilité et du droit d’auteur, de la modernité des supports et de la pérennité des principes, et recourt, pour ce faire, à un système d’accompagnement juridique des évolutions techniques et de régulation du marché. Par là, c’est la continuité même de notre conception du monde et des valeurs défendues, depuis toujours, par votre Haute Assemblée, par-delà les clivages et les appartenances, que nous avons l’intention de promouvoir et de prolonger. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de lUnion centriste et de lUMP, ainsi que sur le banc de la commission.)