M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder à la discussion interactive et spontanée.

Chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes maximum.

La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Monsieur le président, nous allons communier dans l’unanimité ! Nous partageons en effet les remarques et les prises de position du Sénat, au travers de sa résolution européenne, et du Gouvernement, par la voix de M. le ministre, et estimons que cette proposition de directive est mauvaise.

Elle est fondamentalement néfaste pour les raisons qui ont été indiquées, mais également parce qu’elle pousse la perversité jusqu’à prévoir une harmonisation a minima. C’est la première fois, me semble-t-il, que cela arrive.

Jusqu’à maintenant, quel que soit le domaine en question, un certain nombre de normes et d’objectifs étaient fixés à l’échelon européen afin que les États membres les respectent. Mais ces derniers pouvaient parfaitement faire mieux, s’ils étaient en avance sur ce système.

Si nous devions suivre la voie qui nous est indiquée, nous ouvririons une boîte de Pandore. L’Europe est déjà stigmatisée comme étant le foyer de l’ultralibéralisme et de la destruction des services publics et de la protection sociale – c’est malheureusement ainsi, en effet, que nos citoyens la perçoivent. Si, en plus, elle devait imposer une régression par rapport à ce qui existe, il n’y aurait plus d’Europe ! Je crois que nous atteignons là le sommet de l’inanité.

Pour toutes ces raisons, nous nous opposons à ce projet de directive, qui est d’ailleurs incomplet parce qu’il ne reprend que quatre directives sur les huit qui existent, et ne propose aucune solution intéressante.

Je pensais que l’occasion nous était donnée, comme l’avait souhaité la Commission voilà deux ou trois ans, d’instaurer un système européen d’action de groupe. Je sais que la France est un peu réticente en la matière – les déclarations de M. Novelli en témoignent –, mais l’action de groupe constituerait un outil formidable de protection des droits des consommateurs.

Évidemment, en l’état actuel, il n’en est rien, et nous nous opposons totalement à ce projet de directive.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christian Estrosi, ministre. Je souscris aux propos de M. Yung s’agissant de la régression des droits des consommateurs. Je prendrai, pour ma part, un exemple assez significatif : les obligations des parties pendant le délai de rétractation.

La proposition de directive prévoit un dispositif commun applicable aux contrats de vente à distance et aux contrats conclus en dehors des établissements commerciaux, alors que le droit français distingue ces deux types de contrats.

Ainsi, elle prévoit que la période de rétractation de quatorze jours ne suspend pas les obligations des parties : le consommateur est tenu de procéder au paiement de sa commande, et le professionnel doit exécuter la livraison du produit ou du service.

Or, pour les contrats conclus hors établissement commercial, et notamment en cas de démarchage à domicile, la loi française interdit tout paiement ou tout engagement du consommateur pendant la période de rétractation, et toute exécution d’une prestation de service, de quelque nature que ce soit. Il s’agit d’un dispositif auquel les associations de consommateurs et nombre de parlementaires sont attachés.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre position, car cette unanimité du Sénat et cette détermination affichée aideront le Gouvernement dans ses démarches auprès de la Commission et au sein du Conseil.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Tout à fait !

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Je m’associe aux propos qui viennent d’être tenus, car l’harmonisation complète des droits des consommateurs dans l’Union européenne, proposée par la Commission européenne, pourrait conduire à un nivellement par le bas et être défavorable à la France, où ces droits sont déjà protégés.

Nous comprenons bien que l’idée initiale était de mettre fin à la fragmentation du marché intérieur. Aujourd’hui, les consommateurs n’ont pas les mêmes droits dans tous les États membres, et les entreprises sont obligées de se soumettre à des législations nationales très variées.

L’harmonisation complète des droits des consommateurs, réunis dans une directive, est, selon la Commission, le seul moyen d’assurer un même niveau de protection à tous les consommateurs, de renforcer la clarté juridique et de stimuler les échanges transfrontaliers. C’est tout à fait légitime.

Mais ce projet ambitieux n’est pas clair, et nous devons à la vigilance de la commission des affaires européennes et aux travaux de la commission de l’économie d’en être alertés. Ces deux commissions estiment en effet que l’harmonisation complète pourrait conduire à une situation moins favorable pour certains droits des consommateurs. De même, selon l’Organisation des consommateurs européens, le BEUC, accorder des droits identiques à tous les consommateurs ne serait pas forcément bénéfique pour ceux qui jouissent déjà d’un niveau de protection élevé, ce qui est le cas en France.

Pourtant, la Commission européenne a affirmé qu’elle n’envisageait pas de renoncer au principe des règles totalement harmonisées. Partant de là, le champ d’application de la future directive et le choix des domaines dans lesquels l’harmonisation complète apporterait un bénéfice pour tous les opérateurs, consommateurs et entreprises, demeurent des questions majeures. Pour y répondre, il faudrait connaître l’évaluation d’impact de la nouvelle législation.

Enfin, à ma connaissance, le point essentiel, à savoir le degré d’harmonisation, n’a pas encore été abordé. Il est donc encore temps d’agir, comme d’ailleurs vous avez entrepris de le faire, monsieur le ministre.

Disposons-nous d’informations nous permettant d’évaluer la proposition de directive ? Vous avez certes déjà apporté des éléments de réponse, monsieur le ministre, mais je souhaite insister sur cet aspect.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christian Estrosi, ministre. Madame la sénatrice, vous m’interrogez sur l’incidence de la directive et sur ses enjeux, et c’est avec grand bonheur que je vous apporterai un complément de réponse.

Tout d’abord, nous craignons que la proposition de directive sur les droits des consommateurs ne soit pas de nature à renforcer la confiance des consommateurs dans le marché intérieur et qu’elle ne nuise au contraire au développement du commerce intracommunautaire.

Je citerai un exemple qui complétera celui que j’évoquais tout à l’heure en réponse au sénateur Richard Yung : celui des clauses abusives dans les contrats de consommation.

Actuellement, en droit national, un décret interdit douze clauses abusives, dites « noires », et présume le caractère abusif de dix autres clauses ; le texte communautaire, lui, n’en interdit que cinq. On voit l’incidence qu’aurait la directive en supprimant purement et simplement plus de la moitié des clauses abusives interdites !

J’en viens au niveau d’harmonisation, pour répondre au second volet de votre question, madame le sénateur. La France est favorable à une harmonisation ciblée. Je le dis clairement, il n’est pas question, de notre point de vue, d’accepter l’harmonisation maximale en ce qui concerne les informations précontractuelles, les clauses abusives, le démarchage à domicile ou la vente à distance.

M. le président. Nous en avons terminé avec ce deuxième thème.

III. – Transposition insuffisante d’une directive ferroviaire

M. le président. Sur le troisième thème, la transposition insuffisante d’une directive ferroviaire, la parole est à M. Roland Ries, au nom de la commission des affaires européennes.

M. Roland Ries, au nom de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’année dernière, au mois de juin, la France a fait l’objet d’une mise en demeure de la Commission européenne pour une transposition insuffisante du premier paquet ferroviaire, qui concerne plus précisément le fret ferroviaire.

À ce jour, les problèmes soulevés par la Commission européenne n’ont toujours pas reçu de solution. Elle nous a donc adressé, voilà quelques jours, un « avis motivé », dernière étape avant la saisine de la Cour de justice.

La Commission nous reproche essentiellement de ne pas garantir suffisamment la transparence de la concurrence. Elle fait notamment observer que certaines activités relatives à la fonction essentielle d’allocation des sillons, telles que les études techniques des demandes de sillons et la détermination des créneaux horaires des trains, sont assurées par la direction de l’infrastructure de la SNCF et que les dispositions prises pour séparer cette direction des autres activités de la SNCF n’apportent pas l’assurance qu’elle assume ses fonctions de manière suffisamment indépendante.

La Commission européenne nous reproche également l’absence de mécanisme incitant les opérateurs ferroviaires et le gestionnaire de l’infrastructure à améliorer les performances et à réduire les coûts.

Enfin, la Commission nous reproche l’absence d’indépendance de l’organe de contrôle ainsi que l’insuffisance de ses pouvoirs.

Je dois reconnaître que nous ne sommes pas seuls dans ce cas, puisque la plupart des États membres se trouvent en infraction. La situation laisse perplexe : sur le papier, tout le monde souhaite le développement du ferroviaire, pour des raisons de sécurité comme d’environnement, mais, lorsqu’il s’agit d’appliquer les décisions prises en commun, il devient urgent d’attendre.

J’observe d’ailleurs que le Premier ministre avait demandé l’année dernière au président de notre commission, M. Hubert Haenel, un rapport portant notamment sur le processus d’attribution des sillons et la gestion de l’infrastructure. Ce rapport, rendu voilà maintenant exactement un an, préconisait la création d’une société indépendante, filiale de la SNCF, qui aurait été chargée de la gestion des capacités et de l’exploitation du réseau, sur le modèle de ce qui a été fait pour l’électricité avec RTE EDF. En somme, c’est ce que la Commission européenne nous demande aujourd’hui : il faut le dire, nous avons perdu un an pour nous mettre en règle.

Il est vrai que le projet de loi actuellement en discussion sur l’organisation et la régulation des transports ferroviaires modifiera profondément les règles applicables. Je constate cependant que s’expriment ici et là des doutes sur la capacité des nouvelles règles à mettre effectivement en conformité sur tous les points notre droit ferroviaire avec les règles européennes. Or, nous n’arriverons pas à développer le ferroviaire sans une complète sécurité juridique.

Ma question, monsieur le secrétaire d’État, est donc la suivante : les dispositions aujourd’hui en discussion sont-elles réellement suffisantes pour « désarmer », si je puis dire, la critique de la Commission européenne ? Toutes les précautions sont-elles prises pour que celle-ci soit prochainement amenée à constater que ses différentes objections sont désormais sans objet ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est une excellente question que me pose M. Ries ! Je reviens à l’instant – c’est pourquoi je n’ai malheureusement pas pu assister tout à l’heure à la séance de questions d’actualité au Gouvernement – de Naples, où se tenait une réunion des ministres européens des transports et de leurs collègues méditerranéens. J’y ai eu l’occasion de dire assez fermement au président de Trenitalia, M. Moretti, quelle était la position de la France. En effet, je n’aime pas que nous soyons mis en cause par ceux qui affirment vouloir faire rouler des trains sur notre territoire et finalement ne présentent pas les dossiers en temps et en heure !

Comme vous l’avez indiqué, monsieur Ries, la réponse à la Commission est en effet contenue dans un texte auquel vous avez vous-même beaucoup travaillé : le projet de loi par lequel, en instaurant l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, l’ARAF, nous nous mettons en conformité avec la directive du troisième paquet ferroviaire en préparant la libéralisation des services de transport international de voyageurs à partir du 1er janvier 2010. Soit dit en passant, cela commencera en réalité à partir du 15 décembre 2009, date à laquelle le service d’hiver s’applique sur les principaux réseaux ferroviaires européens.

Ce projet de loi nous permet aussi d’instaurer un dispositif de régulation pour renforcer les garanties d’un accès non discriminatoire au réseau pour le fret – c’est déjà le cas puisque, actuellement, 15 % du trafic de fret est réalisé par d’autres opérateurs que la SNCF – et pour le trafic voyageurs.

Nous avons beaucoup travaillé, avec la commission de l’économie et son président, M. Emorine, ainsi que le rapporteur du projet de loi, M. Grignon, sur l’ARAF. Cette autorité indépendante sera composée de sept membres au mandat non renouvelable. Son président assurera ses fonctions à plein temps. Elle disposera de services spécifiques et de l’autonomie financière. Ses pouvoirs seront étendus puisqu’elle possédera un pouvoir réglementaire et donnera également un avis sur les dessertes intérieures. Il me semble qu’elle correspond tout à fait à l’esprit de la directive.

Par ailleurs, le projet de loi a été amendé afin de tenir compte des remarques de la Commission et des propositions avancées par le président Hubert Haenel. 

Ainsi, un amendement instaure, au sein de la SNCF, une séparation entre l’activité de gestion du trafic et des circulations, assurée pour le compte de Réseau ferré de France, RFF, et les autres activités de l’entreprise ferroviaire.

Un service spécialisé, qui sera mis en place avant le 1er janvier prochain, exercera donc, toujours pour le compte et selon les principes de RFF, la gestion du trafic et des circulations sur notre réseau ferré national, ainsi que l’instruction des demandes d’allocation des sillons. Il opérera en toute indépendance, comme le prévoient les directives communautaires et comme le demande le premier paquet ferroviaire. Je rappelle que la directive européenne ne formule par d’exigence de « séparation institutionnelle » en la matière, dès lors que la neutralité du service est garantie.

Lors de l’examen du projet de loi à l’Assemblée nationale, des amendements ont encore renforcé l’indépendance de ce service : son directeur sera nommé directement par le Premier ministre, après avis de l’Autorité de régulation ; il jouira d’une indépendance fonctionnelle et décisionnelle à l’égard de la SNCF ; il aura la maîtrise exclusive de son budget ; enfin, la confidentialité et le secret professionnel de ses agents seront garantis.

L’Autorité de régulation des activités ferroviaires sera chargée de veiller à la bonne application de ces dispositions. Elle pourra être saisie par toute partie prenante et aura des pouvoirs de sanction, y compris pécuniaire, importants.

Pour répondre très précisément à votre question, monsieur Ries, il ne nous paraît pas nécessaire de modifier les dispositions du projet de loi, d’autant que le Sénat et l’Assemblée nationale ont beaucoup enrichi ce dernier.

Il est exact que la Commission pouvait fonder sa critique sur le fait que ce texte n’est pas encore, au moment où je vous parle, effectivement adopté. Quel est le calendrier prévu ? Le projet de loi doit être examiné par la commission mixte paritaire le 27 octobre, et il est inscrit à l’ordre du jour du Sénat le 2 novembre et de l’Assemblée nationale le 3 novembre pour son adoption définitive. Nous devrions de la sorte être « pile dans les clous » de ce que nous demande l’Union européenne, comme nous l’étions déjà dans le domaine du fret.

Reste en effet, monsieur Ries, la question de l’ouverture à la concurrence des services régionaux de voyageurs, sujet que vous connaissez bien et qui est souvent évoqué dans votre région, en Alsace.

Nous avons mis en place un « comité des parties prenantes », présidé par le sénateur Francis Grignon, qui nous donnera en février 2010 un avis sur la question et nous indiquera s’il estime possible de se lancer dans une expérimentation de cette ouverture, ce que, pour ma part, je crois. Ainsi, les majorités qui seront issues du scrutin régional de mars prochain pourront, si elles le souhaitent, procéder à des expérimentations, si tant est que M. Grignon nous donne en la matière… le feu vert ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission de l’économie.

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, de l'aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tenais tout d’abord à rappeler la grande implication de la commission de l’économie dans le secteur ferroviaire et à saluer le travail de notre collègue Francis Grignon, rapporteur du projet de loi relatif à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et guidés et portant diverses dispositions relatives aux transports.

Le débat qui nous réunit aujourd’hui intervient à un moment très particulier puisque l’avis motivé de la Commission européenne a été adressé au gouvernement français quelques jours avant la réunion, mardi prochain, de la commission mixte paritaire qui examinera le projet de loi que je viens d’évoquer, dont l’objet est justement de mettre en conformité la France avec les premier et troisième paquets ferroviaires.

Je ne voudrais pas prolonger le débat, d’autant que la réponse de M. le secrétaire d’État a clairement présenté la position française en matière de transports ferroviaires. Cependant, je crois utile d’examiner en détail certains des griefs de la Commission européenne portant sur l’insuffisance des mesures prises pour mettre en œuvre le premier paquet ferroviaire.

Concernant le premier axe de l’avis motivé de la Commission, de loin le plus substantiel, qui a trait à l’indépendance des fonctions essentielles du réseau ferroviaire, cinq griefs sont adressés à la France.

Premier grief, le service de la SNCF chargé du trafic et des circulations, également appelé SNCF Infra, ne possède pas la personnalité juridique. Tous, et notamment le président de la commission des affaires européennes, Hubert Haenel, nous attachons une grande importance à cette question. J’estime pour ma part que, même si cette branche de la SNCF ne possède effectivement pas, pour l’heure, la personnalité juridique, elle remplit toutes les autres conditions matérielles d’indépendance découlant des obligations communautaires.

Deuxième grief, la Commission regrette qu’aucun droit de se plaindre auprès de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires ne soit accordé aux parties prenantes. Or, l’article 9 du projet de loi sur la régulation ferroviaire ouvre très largement ce droit.

Troisième grief, l’ARAF devrait, selon Bruxelles, donner un avis conforme non seulement lors de la révocation, mais aussi lors de la nomination du directeur de la SNCF Infra. Là encore, cette critique me semble exagérée, car une telle disposition aboutirait à conférer à l’ARAF le pouvoir de nommer le directeur de la SNCF Infra. Le texte qui sera présenté la semaine prochaine à la commission mixte paritaire me semble équilibré, son article 1er prévoyant que le directeur de la SNCF Infra sera nommé pour une période de cinq ans, par décret du Premier ministre sur proposition du ministre chargé des transports et après avis simple de l’ARAF, ce qui assurera son indépendance par rapport au président de la SNCF.

Quatrième grief, l’avis motivé reproche le fait que le projet de loi ne fixe pas les conditions d’incompatibilités appliquées par la commission de déontologie pour autoriser ou non le départ vers des entreprises privées des agents qui ont travaillé au sein de la SNCF Infra.

Mais, à l’évidence, c’est non pas à la loi mais au pouvoir réglementaire de déterminer ces critères, en s’inspirant de l’expérience de la commission consultative mise en place au sein de la Commission de régulation de l’énergie.

Enfin, cinquième grief, Bruxelles aurait aimé que les modalités concrètes d’organisation de la SNCF Infra soient définies dans le texte du projet de loi ; mais là encore, il revient au pouvoir réglementaire et non à la loi de les fixer.

S’agissant maintenant de la tarification de l’accès à l’infrastructure ferroviaire, qui constitue le deuxième axe de l’avis motivé, je rappellerai simplement que la Commission européenne ne semble pas avoir pris connaissance du V de l’article 8 du projet de loi, qui confère à l’ARAF le pouvoir d’émettre un avis conforme sur la fixation des redevances liées à l’utilisation du réseau ferré national.

Enfin, nous souscrivons pour l’essentiel aux critiques de la Commission à l’encontre de l’actuelle mission de contrôle des activités ferroviaires, et l’objet même du projet de loi est d’ailleurs de remplacer cette mission par l’Autorité de régulation des activités ferroviaires.

Pour conclure, je rappellerai que, comme président de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, j’ai toujours eu à cœur de mettre le droit national en conformité avec le droit communautaire. Mais, en l’espèce, je pense avoir démontré que les critiques de la Commission sont peu voire pas justifiées, dans la mesure où le Parlement a largement anticipé ces remarques lors de l’examen du projet de loi relatif à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et guidés et portant diverses dispositions relatives aux transports.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder à la discussion interactive et spontanée.

Chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes maximum.

La parole est à M. Michel Teston.

M. Michel Teston. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la Commission européenne vient effectivement d’ouvrir une procédure en infraction contre plusieurs États européens, dont la France, pour mauvaise mise en œuvre du premier paquet ferroviaire.

Le Parlement français n’est pas informé de l’avis motivé de la Commission, ce qui est absolument anormal alors que le Sénat en débat aujourd’hui. Je rappelle que seul le Gouvernement français est habilité à rendre public ce document, et que ce n’est pas à la Commission de le faire.

M. le président de la commission de l’économie vient de nous donner connaissance de cet avis motivé. Jusqu’alors, seul un communiqué laconique de la Commission européenne avait été rendu public. L’avis souligne des lacunes telles que le manque d’autonomie du gestionnaire d’infrastructures par rapport aux opérateurs ferroviaires ou encore l’absence d’un organisme de régulation indépendant.

Le projet de loi relatif à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et guidés et portant diverses dispositions relatives aux transports, en cours de discussion au Parlement, crée une autorité de régulation des activités ferroviaires et prévoit la mise en place d’une direction chargée de l’attribution des sillons, direction séparée du reste de la SNCF.

Monsieur le secrétaire d’État, ma question est identique à celle de Roland Ries : ces dispositions sont-elles de nature à répondre aux observations de la Commission européenne ?

En outre, quelle que soit l’appréciation portée sur le premier paquet ferroviaire – la mienne est très négative puisque je défends un système ferroviaire intégré –, la résorption de la dette de RFF est une question centrale pour le développement du transport ferroviaire.

En mars dernier, le Sénat a adopté l’un de nos amendements visant à prévoir, avant la fin de l’année 2009, le dépôt d’un rapport sur les solutions envisageables pour résorber cette dette. En précisant que ce rapport devra formuler des propositions pour le remboursement de la dette, la majorité de l’Assemblée nationale a été plus audacieuse que la majorité du Sénat, laquelle avait largement édulcoré notre amendement.

Monsieur le secrétaire d’État, êtes-vous prêt à proposer des solutions ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, la messe est dite, si je puis m’exprimer ainsi dans cette assemblée laïque, pour nous mettre en harmonie avec les directives européennes. Nous créons l’ARAF, qui sera mise en place prochainement et qui sera présidée par une personnalité ayant les qualités d’indépendance nécessaires et la connaissance du secteur ferroviaire. Nous mettrons en place avant le 1er janvier prochain la direction spécialisée de la SNCF, le directeur étant nommé par le Premier ministre, en toute indépendance.

Par ailleurs, dans le même état d’esprit, nous créons au sein de la SNCF une direction des gares afin qu’un opérateur qui voudrait accéder aux services des gares pour installer des guichets, par exemple, puisse également s’adresser à un service indépendant.

Tout cela se fait, me semble-t-il, dans les délais prévus, peut-être avec un peu de retard, en effet, puisque ce projet de loi a cheminé lentement entre les deux assemblées, mais nous devrions en avoir terminé au début du mois de novembre prochain.

Quant à la dette de Réseau ferré de France, c’est un autre débat : elle est importante et elle n’a pas vocation à diminuer avec l’ensemble des projets du Grenelle de l’environnement, puisque nous devons présenter un projet de 2 000 kilomètres de lignes nouvelles avant 2020 et de 2 500 kilomètres après 2020.

Il convient de trouver les modalités de financement. Nous avons évoqué ces problèmes lors de la réunion des ministres européens des transports qui a lieu hier et ce matin à Naples.

Ainsi, monsieur Teston, vous êtes un élu de la région Rhône-Alpes : pour financer la ligne à grande vitesse Lyon-Turin, il y aura, bien sûr, une participation de l’Union européenne d’environ 600 millions d’euros dans un premier temps, une participation des États, ainsi que de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFIFT, et un partenariat public-privé. Tous les pays européens qui construisent actuellement des réseaux à grande vitesse –  l’Espagne nous a presque rejoints, l’Italie essaie de diminuer son retard – connaissent ces difficultés de financement, et nous devrons en effet traiter la dette de Réseau ferré de France.

Certains évoquent le grand emprunt. Il ne faut pas mettre le grand emprunt à toutes les sauces ! Un emprunt est fait non pas pour résorber une dette, mais pour porter des projets d’avenir. La réflexion est ouverte, et toutes les suggestions seront les bienvenues.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite vous interroger sur la position contradictoire que semble prendre le Gouvernement eu égard au règlement d’obligation de service public à l’égard des deux opérateurs publics que sont la SNCF et la RATP.

En effet, l’amendement que le Gouvernement a fait adopter à l’Assemblée nationale sans que le Sénat ait pu en dire un mot – il avait en effet examiné le projet de loi auparavant, sans cet amendement – concerne tout de même l’autorité organisatrice des transports de l’Île-de-France.

Cet amendement procède au dessaisissement du Syndicat des transports d’Île-de-France, le STIF, au profit de l’État et crée une situation délicate pour la RATP au regard du règlement d’obligation de service public, pendant que la SNCF se prépare, quant à elle, à la mise en concurrence.

En effet, l’amendement du Gouvernement procède à l’arrêt du processus de spécialisation ouvert par la loi SRU pour ce qui concerne la RATP, cette dernière étant transformée en autorité organisatrice d’État, et ce jusqu’en 2039, alors que le règlement d’obligation de service public ne permet la prolongation que jusqu’en 2030.

C’est sans doute parce que le règlement d’obligation de service public prévoit la possibilité pour les États de fixer eux-mêmes les termes des contrats de service public avec des opérateurs que le Gouvernement s’est permis une telle manœuvre. Il est déjà grave de dessaisir l’autorité organisatrice des transports de l’Île-de-France de sa substance juridique, mais il me semble encore plus grave de transférer à la régie le patrimoine et les infrastructures qui appartenaient au STIF, car l’État constitue ainsi une entité sans séparation fonctionnelle, en situation exorbitante du droit commun à l’égard de RFF. Dans la situation que vous créez, la RATP ne serait pas obligée de payer des péages à RFF puisqu’elle serait propriétaire de ses infrastructures.

Vous êtes en train de placer la RATP dans une situation en tous points similaires à celle dont vous voulez sortir la SNCF. Monsieur le secrétaire d’État, comment entendez-vous justifier cette position contradictoire auprès des instances européennes ?