Justice
Dossier législatif : projet de loi de finances  pour 2010
Immigration, asile et intégration

M. le président. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Justice », figurant à l’état B.

État B

(en euros)

Mission

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

Justice

7 365 717 156

6 844 217 981

Justice judiciaire

2 878 530 730

2 835 070 254

Dont titre 2

1 992 223 062

1 992 223 062

Administration pénitentiaire

3 062 783 476

2 691 346 984

Dont titre 2

1 698 530 326

1 698 530 326

Protection judiciaire de la jeunesse

770 433 356

774 047 435

Dont titre 2

424 934 904

424 934 904

Accès au droit et à la justice

342 622 695

294 856 278

Conduite et pilotage de la politique de la justice

306 025 018

243 566 875

Dont titre 2

98 975 187

98 975 187

Conduite et pilotage de la politique de la justice (hors Chorus)

5 321 881

5 330 155

Dont titre 2

745 000

745 000

M. le président. L'amendement n° II-17 rectifié bis, présenté par M. du Luart, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :

Modifier comme suit les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Justice judiciaire

Dont titre 2

10 000 000

 

10 000 000

 

Administration pénitentiaire

Dont titre 2

 

 

 

Protection judiciaire de la jeunesse

Dont titre 2

 

 

Accès au droit et à la justice

 

10 000 000

 

10 000 000

Conduite et pilotage de la politique de la justice

Dont titre 2

 

 

Conduite et pilotage de la politique de la justice (hors Chorus)

Dont titre 2

 

 

 

 

TOTAL

10.000.000

10.000.000

10.000.000

10.000.000

SOLDE

0

0

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. L’amendement que j’avais déposé initialement tendait à une modification des crédits de la mission « Justice » portant sur 30 millions d’euros. Pourquoi ? Pour 2009, les crédits alloués aux frais de justice s’élevaient à 409 millions d’euros. Or, pour 2010, la somme inscrite dans le projet de loi de finances est de 395 millions d’euros, c’est-à-dire 14 millions d’euros de moins. Nous savons parfaitement aujourd’hui que, en fin d’année, une somme de 20 millions d’euros d’impayés s’inscrira en négatif sur l’année à venir. Considérant insincères les frais de justice qui nous étaient présentés et auxquels nous attachons une grande importance, ces frais qui, par le financement d’enquêtes, de recherches d’ADN, d’écoutes, permettent une bonne et saine justice, nous avons donc déposé, au nom de la commission des finances, un amendement tendant à corriger cette situation.

Après une discussion en aparté avant la séance avec plusieurs d’entre vous, mes chers collègues, j’ai accepté de rectifier cet amendement initial : l’amendement n° II-17 rectifié bis tend donc à n’augmenter ces frais que de 10 millions d’euros, pris sur la somme prévue pour l’action n° 1 « Aide juridictionnelle » du programme « Accès au droit et à la justice ». Vous me rétorquerez qu’il ne faut pas fragiliser l’aide juridictionnelle. Mais le taux de recouvrement de cette dernière n’est que de 11 %. Or je pense très sérieusement que, en demandant aux magistrats de s’impliquer tout de suite dans le recouvrement de l’aide juridictionnelle, ce taux pourrait être porté à 16 %, ce qui couvrirait la diminution de 10 millions d’euros proposée. D’aucuns soutiendront que cette action nécessitera un plus grand nombre de magistrats. Ce n’est pas vrai. Il suffit de mettre en place le recouvrement immédiatement à la sortie du tribunal pour faire progresser de 5 % le taux, et donc pour trouver les 10 millions d’euros que je vous propose de supprimer.

Je vous rappelle que j’avais proposé dès le mois d’octobre 2007 une réforme en profondeur de l’aide juridictionnelle. Elle va avoir lieu très prochainement, et je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de l’avoir indiqué tout à l’heure. Mais à partir du moment où le recouvrement sera amélioré, les frais de justice seront en adéquation avec les besoins. Il est impossible que la justice française démarre l’année 2010 avec des arriérés de paiement qui créent des problèmes dans l’ensemble des cours d’appel !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Monsieur le rapporteur spécial, votre question est tout à fait pertinente et précise. Des efforts ont été accomplis, notamment entre 2005 et 2008, pour réguler, voire diminuer, la dépense.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Elle avait dérapé de 25 % ; elle dérape aujourd’hui un peu moins !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. La situation n’est pas aussi dramatique qu’on pourrait le penser. Il est toutefois incontestable qu’un problème est posé. Des demandes, souvent légitimes, sont exprimées.

À votre bonne question, ai-je apporté une bonne réponse ?

L’amélioration du recouvrement de l’aide juridictionnelle est une priorité pour le Gouvernement, affichée par Mme le garde des sceaux. Il faudra évaluer les intentions. Mais les décisions de recouvrement ne sont pas toujours prises, alors qu’elles pourraient l’être, comme vous le savez bien. Tout ne dépend donc pas de la volonté gouvernementale. Peut-être faudrait-il améliorer le dispositif ? Ces questions doivent être posées. Elles ne pourront pas être résolues tout de suite. Les décisions adéquates devront être prises auparavant.

La proposition que vous présentez dans votre amendement fonctionnera-t-elle ? On ne peut pas en être sûr.

De surcroît, le calendrier ne nous facilite pas les choses. Nous sommes d’accord sur ce qu’il convient de faire pour ce qui concerne tant les frais de justice que l’aide juridictionnelle. Mme le garde des sceaux et moi-même nous inspirerons de différentes idées, notamment de votre rapport de 2007.

On peut également s’inspirer de ce que certains pays ont réussi à faire. Je pense notamment au Canada, où le barreau est organisé pour mieux exercer l’aide juridictionnelle. Nous devons progresser rapidement sur ce point, mais les décisions ne sont pas encore prises. Nous sommes encore dans un entre-deux !

J’ai bien compris que cet amendement visait à inciter fortement le Gouvernement à trouver des solutions. J’ai bien compris aussi l’esprit constructif qui est celui tant de la commission des finances que de la commission des lois. D’ailleurs, monsieur le rapporteur spécial, vous avez fait évoluer la rédaction de votre amendement, même s’il est ciblé sur un aspect particulier, celui de l’aide juridictionnelle.

Toutefois, en l’état actuel, le Gouvernement ne peut pas être favorable à cet amendement qui serait source de difficultés sur une question aussi sensible que celle de l’aide juridictionnelle, pour laquelle nous attendons des réponses.

En dépit de l’état d’esprit ouvert et constructif de cette discussion et de la volonté de trouver la meilleure solution possible, je n’ai pas la possibilité, même après avoir entendu votre argumentation, de vous apporter ce matin une autre réponse. Mais sachez que j’ai compris votre interpellation comme une demande d’avancer très vite sur ces questions.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. J’ai lu l’amendement initial et consulté tous les rapporteurs pour avis. Un certain nombre de crédits alloués sont en diminution, notamment ceux qui sont consacrés à la protection judiciaire de la jeunesse ou encore à l’action informatique ministérielle.

Comme vous l’avez dit vous-même, monsieur le secrétaire d’État, les choses sont un peu compliquées ! J’admire d’autant plus la commission des finances, qui est parvenue à modifier avec célérité l’amendement n° II-17 ! Je suis jaloux, monsieur le président, car je ne saurais le faire ! (Sourires.)

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Il faut être réactif ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Monsieur le rapporteur spécial, monsieur le président de la commission des finances, il est évident que le montant des frais de justice pose un problème.

Cela dit, dans le cas de la cour administrative d’appel de Versailles, que vous avez cité, il s’agit plus, me semble-t-il, d’un problème de trésorerie dû à un programme nouveau que d’un problème de dotation budgétaire ; il n’est donc pas aussi dramatique que vous voulez bien le dire. M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis, qui a spécifiquement traité cette question, pourra sans doute le confirmer.

Monsieur le rapporteur spécial, rappelez-vous que, sur l’initiative de la commission des finances, des efforts de rationalisation des coûts ont été demandés. Je pense en particulier à une grande réunion présidée par M. Jean Arthuis, au cours de laquelle il avait bien été dit, à propos des expertises ADN, qu’il était peut-être possible, sans remettre du tout en cause la liberté des magistrats, de faire appel à des laboratoires dont les coûts ne varient pas de un à trois ! Des progrès ont donc été accomplis.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Tout à fait !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Franchement, je ne suis pas sûr qu’en matière de frais de justice la situation soit si dramatique.

Monsieur le rapporteur spécial, il serait possible selon vous – pour ma part, je ne suis pas un spécialiste des questions budgétaires – d’améliorer le recouvrement : ce sera en fait le recouvrement non de l’aide juridictionnelle, mais des amendes et de tout ce qui alimente le budget. Mais la compensation ne se fait pas comme cela !

S’agissant des frais de justice, il ne doit pas y avoir de rupture de paiement, sauf à devoir effectuer un report sur l’année suivante. Vous proposez donc, monsieur le rapporteur spécial, une augmentation de 10 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement.

Mais parallèlement, vous proposez de diminuer les crédits alloués à l’aide juridictionnelle, laquelle constitue déjà un vrai problème dans la mesure où les crédits inscrits dans le projet de loi de finances sont en baisse de 27,65 millions d’euros. M. le secrétaire d’État confirme ce que nous disons depuis longtemps : il faut réformer l’aide juridictionnelle ; c’est sûr ! Mais, si vous diminuez encore les crédits, je crains un nouveau report sur l’année suivante. Les avocats ne seront pas payés et les problèmes ne s’amélioreront pas !

Par conséquent, monsieur le président, je suis bien embarrassé. Je comprends la situation, mais je ne suis pas sûr que la solution apportée soit la bonne. Aussi suis-je porté à suivre l’avis du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille, pour explication de vote.

M. Laurent Béteille. Mon intervention ira dans le même sens. Je comprends que les frais de justice posent problème et que l’on souhaite améliorer le recouvrement de l’aide juridictionnelle. Il faudrait d’ailleurs s’intéresser au recouvrement des frais de justice, car, dans certains cas, des frais pourraient être récupérés.

M. Laurent Béteille. En matière d’aide juridictionnelle, le recouvrement n’est certes pas fameux, mais j’attire l’attention de notre assemblée sur le fait qu’il est souvent extrêmement difficile, voire impossible.

En matière pénale, il n’y a pas de recouvrement possible : les frais d’avocat payés pour la défense d’un prévenu qui bénéficie de l’aide juridictionnelle ne peuvent être recouvrés sur personne !

En matière civile, pour un grand nombre de procédures de divorce, les deux parties sont éligibles à cette aide ! Là encore, il n’y a donc plus de recouvrement possible.

Ne nous faisons pas d’illusions, nous ne trouverons pas des millions en améliorant le recouvrement ! Même si les juridictions doivent effectivement être convaincues de la nécessité du recouvrement, je ne crois pas qu’il soit possible d’obtenir des résultats phénoménaux dans ce domaine-là. Par conséquent, mieux vaut s’en tenir à la position du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Le Sénat l’a bien compris, la première préoccupation de la commission des finances est de faire en sorte que la justice soit exercée dans les meilleures conditions possible.

La seconde est de veiller à ce que les lois de finances soient l’expression sincère des besoins qu’a le Gouvernement pour conduire sa politique. Or, en l’occurrence, les crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2010 posent un problème évident de sincérité. En effet, ils ne seront pas suffisants pour faire face aux besoins.

C’est vrai pour les frais de justice.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Il y aura un report !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. D’ores et déjà des reports de charges 2009 ne pourront semble-t-il pas être payés en 2009.

C’est sans doute vrai aussi pour des frais de santé. Il en va de la dette pour les hôpitaux comme de la dette pour les frais de justice. Il s’agit donc d’un vrai problème.

L’objectif de la commission des finances est de rendre le Gouvernement particulièrement attentif à la situation : des arbitrages n’ont pas été rendus comme ils auraient dû l’être. Nous ne pouvons pas laisser passer une loi de finances avec un déficit de sincérité !

Le président de la commission des lois me pardonnera, mais nous essayons d’agir en temps réel. Toute situation de crise nous oblige à développer des capacités d’adaptation !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous êtes formidables ! (Sourires.)

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. La commission des finances n’est pas autiste ; elle a entendu les arguments développés par les rapporteurs pour avis et par le Gouvernement.

Il n’est pas question de toucher aux frais informatiques. Ils constituent trop souvent une variable d’ajustement, moyennant quoi on traîne des systèmes inopérants.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Et si un ministère en souffre, c’est bien celui de la justice ! Il suffit de se rendre dans une juridiction pour constater le décalage entre le matériel existant et le matériel qui serait optimal !

M. Hubert Haenel. Ce n’est pas nouveau !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Les officiers de police judiciaire dressant des procès-verbaux avec un système informatique qui n’est pas compatible avec celui des greffes, il faut tout ressaisir. Cela prend quinze jours, un mois... Beaucoup de temps perdu ! On peut toujours faire des lois pour accélérer le cours de la justice, le problème demeure ! Par conséquent, nous renonçons à prélever sur les dépenses informatiques.

Le rapporteur spécial, M. Roland du Luart, a fait des propositions en matière d’aide juridictionnelle, d’accès à la justice. Il faudra donc qu’un débat ait lieu. Ne pourrait-on imaginer un petit ticket modérateur ? Il y a manifestement un recours abusif à l’aide juridictionnelle, et c’est ainsi que l’on encombre les juridictions.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Tout à fait !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est le signal que vous propose de lancer la commission des finances. Mais, chers collègues, je voudrais vous convaincre du fait que nous sommes en phase totale avec les avis exprimés par nos collègues Laurent Béteille et Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.

Je ne suis pas sûr qu’un tel amendement, s’il était adopté, ce que je souhaite, survivrait à la commission mixte paritaire. Mais il constituerait au moins un signal et une façon d’aider le Gouvernement en vue d’une bonne administration de la justice.

M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi, rapporteur pour avis.

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur pour avis. Je suivrai l’avis de la commission des finances, que je remercie d’avoir été sensible aux arguments des rapporteurs pour avis.

Je devine d’ailleurs l’embarras du rapporteur spécial. Lui qui a toujours insisté sur l’intérêt qu’il portait à l’aide juridictionnelle se voit aujourd’hui contraint, d’une certaine façon, de proposer la réduction des crédits alloués à un domaine sur lequel il a beaucoup travaillé et insisté.

Finalement, je crois que nous n’avons le choix qu’entre des inconvénients ! Si je suis la commission des finances, c’est sans doute parce que c’est sur ce terrain que la question de la sincérité des crédits inscrits est la plus perceptible.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est vrai !

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur pour avis. Il est inconcevable d’inscrire dans la loi de finances pour 2010 un montant de crédits moins important que celui des crédits déjà consommés en 2009. C’est cet argument-là qui me paraît le plus décisif, car, s’agissant de l’aide juridictionnelle, nous n’avons pas une vision très claire des difficultés éprouvées ni des conséquences d’une baisse des crédits, qui est déjà de 27,65 millions d’euros.

Il n’en demeure pas moins que le principe de réalité commande de voter l’amendement.

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis.

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis. Je vous rappelle qu’en 2006, lors de la mise en œuvre de la LOLF, la vraie problématique sur les crédits des services judiciaires portait déjà sur ces deux secteurs : l’aide juridictionnelle et les frais de justice !

Depuis, nous avons évolué, comme cela vient d’être rappelé. S’agissant des frais de justice, des travaux sont encore en cours au ministère pour améliorer la situation. Des choses ont également été faites pour l’aide juridictionnelle. J’ai moi-même été rapporteur de la loi du 19 février 2007 portant réforme de l’assurance de protection juridique qui permet d’éviter d’attribuer à tort l’aide juridictionnelle lorsque la personne qui se retrouve devant la justice dispose d’une assurance protection juridique.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis. Mais il est vrai que la mise en œuvre de ces dispositions est extrêmement lente et difficile.

De plus, des procédures que je qualifierai « de type accéléré » se multiplient devant la justice à la suite de notre volonté d’un moindre encombrement des tribunaux et d’une justice plus rapide, ce qui ne signifie pas pour autant une justice expéditive !

Voilà quelques années, j’ai participé à la mission d’information de la commission des lois sur les procédures accélérées de jugement en matière pénale, présidée par notre collègue Laurent Béteille. À l’époque, nous avions tiré un bilan tout à fait positif de la manière dont ces procédures se mettaient en œuvre.

Mais dans le cadre de procédures accélérées telles que la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, ou CRPC, par exemple, l’on n’a pas forcément les moyens de vérifier si la personne a une assurance protection juridique. Bien souvent, elle ne le sait pas elle-même, car cette assurance figure en annexe d’une autre !

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. C’est vrai !

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis. Les avocats sont souvent commis d’office. J’évoquais dans mon intervention les indicateurs de performance du tribunal de Bobigny, qui est l’un des plus importants de France. Le nombre des avocats commis d’office est impressionnant et, là encore, on ne sait pas par avance si la personne est éligible ou non à l’aide juridictionnelle ; mais on lui attribue l’aide juridictionnelle !

Le problème de l’aide juridictionnelle n’est donc pas simple à régler !

Je l’ai dit tout à l’heure, la commission des lois a eu la surprise de constater que les crédits destinés à l’aide juridictionnelle prévus pour 2010 étaient en baisse de 27,65 millions d’euros. Je doute donc déjà de leur sincérité.

Si l’on soustrait encore 10 millions d’euros de cette enveloppe, au titre du rétablissement de la sincérité des crédits en matière de frais de justice, l’insincérité sera alors totalement garantie s’agissant des crédits pour l’aide juridictionnelle en 2010 !

Faut-il guérir un mal par un autre mal ? Selon moi, ce n’est pas la bonne solution ! Toutefois, la commission des finances a tout à fait raison d’évoquer ces problèmes, lesquels, quatre ans après la mise en œuvre de la LOLF, ne sont pas encore réglés ! Mon collègue Roland du Luart, qui a présenté un rapport d’information remarqué sur l’aide juridictionnelle, en est d’ailleurs parfaitement averti.

Le Gouvernement doit empoigner à bras-le-corps cette problématique. Cependant, il me faut le reconnaître, je n’ai pas vraiment obtenu de réponses aux questions que j’ai posées tout à l’heure. Quoi qu’il en soit, la solution n’est pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul ! (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.

M. Richard Yung. Comme la commission des finances, chacun ici souhaite adopter le budget le plus sincère possible. Force est donc de reconnaître que la dotation budgétaire affectée à la mission « Justice » soulève moult questions.

Tout d’abord, comme vient de le dire notre collègue Yves Détraigne, qu’est-ce qu’une sincérité qui consiste à déshabiller l’aide juridictionnelle au profit des frais de justice, alors que ces deux actions sont déjà elles-mêmes insincères ?

Ensuite, qu’est-ce qu’une sincérité à géométrie variable et à évolution rapide ? On passe en effet en une demi-heure d’une diminution de 30 millions d’euros, dans l’amendement n° II-17, à une diminution de 10 millions d’euros, dans l’amendement n° II-17 rectifié bis ! Au fond, on se demande comment sont obtenus ces chiffres.

Sur le fond, l’argumentation est claire. Le budget de l’aide juridictionnelle enregistre déjà une baisse d’environ 30 %. Majorer cette dernière de 10 millions d’euros ne va pas dans le bon sens, cette aide étant justement destinée aux personnes démunies ou supposées telles qui ne peuvent pas payer totalement les honoraires d’un avocat.

Par ailleurs, vous le savez, mes chers collègues, la Chancellerie prépare une réforme du système de l’instruction visant à supprimer le juge d’instruction et à accorder un rôle majeur au procureur de la République. Les prévenus seront donc d’autant plus obligés de se défendre rapidement, ce qui entraînera une croissance des frais de l’aide juridictionnelle. Par cohérence, celle-ci devrait donc bénéficier de crédits plus importants.

Enfin, si chacun ici souhaite un meilleur taux de recouvrement de l’aide juridictionnelle, personne ne sait comment s’y prendre !

Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas cet amendement. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Cet amendement est intéressant, et je souhaite signaler deux points.

Tout d’abord, selon moi, la minoration des crédits affectés à l’action « Aide juridictionnelle », qui relève du programme « Accès au droit et à la justice », ne permet pas de faire œuvre utile, spécialement après la fermeture d’un certain nombre de tribunaux, qui a contribué à l’éloignement des justiciables.

Nous avons récemment assisté à une transaction entre l’État et Bernard Tapie, mettant en jeu des sommes absolument astronomiques. Je voudrais bien savoir si la convention d’arbitrage prévoyait le remboursement par M. Tapie des frais de justice engagés, notamment en matière d’expertise, dans les dizaines et les dizaines de procès le concernant. Il a lui-même dépensé bien plus d’argent que l’ensemble des services judiciaires concernés ! J’aimerais donc que la commission des finances se penche sur ce point.

Par ailleurs, je souhaite également attirer l’attention du Sénat sur un certain nombre de procédures pénales engagées à tort et à travers, qui occasionnent des frais extrêmement lourds. Je pense notamment aux autopsies. Selon moi, il conviendrait d’examiner le bien-fondé de ces différents frais, finalement imputés sur le budget de la justice, mais jamais réclamés aux justiciables malveillants.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout a été dit, y compris par Mme Goulet à l’instant.

Soyons sérieux, il ne s’agit pas uniquement d’une question de sincérité ou d’insincérité ! Que signifie cette volonté affichée de minorer encore l’aide juridictionnelle, alors que cette dernière rencontre d’ores et déjà de gros problèmes ?

Replaçons ce débat dans le cadre du budget global de la justice et de sa répartition entre les différents programmes et actions.

Par conséquent, nous sommes résolument opposés à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° II-17 rectifié bis.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Justice », figurant à l’état B.

Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.

Je mets aux voix les crédits de cette mission.

(Ces crédits sont adoptés.)

M. le président. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Justice ».

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à quatorze heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi de finances pour 2010, adopté par l'Assemblée nationale.

Immigration, asile et intégration

Article 35 et état B
Dossier législatif : projet de loi de finances  pour 2010
Article 35 et état B

M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, devant l’importance croissante que prennent les questions d’immigration dans nos sociétés, la France s’est dotée depuis maintenant plus de deux ans des moyens nécessaires à la mise en place d’une véritable politique dans ce domaine.

Un ministère de mission a été créé pour conduire, coordonner et animer cette politique, sous votre autorité, monsieur le ministre. Toutefois, le caractère interministériel de l’ensemble des actions développées reste très marqué et mérite, je le pense, d’être rappelé pour avoir une vision d’ensemble des efforts accomplis par le Gouvernement.

La politique transversale consacrée à l’immigration et à l’intégration des étrangers en France représentera, d’après le projet de loi de finances pour 2010, 3,62 milliards d’euros en crédits de paiement. Au total, ce sont quinze programmes répartis dans onze missions et entre dix périmètres ministériels qui participent à cette politique.

Le ministère des affaires étrangères contribuera pour 39 millions d’euros, celui de la culture pour 7 millions d’euros, celui de la justice pour 9 millions d’euros, celui de la recherche et de l’enseignement supérieur pour 1 575 millions d’euros, celui de la santé pour 535 millions d’euros, celui de l’intérieur pour 780 millions d’euros, celui de l’économie pour 16 millions d’euros, celui du travail et des relations sociales pour 16,5 millions d’euros, celui de la ville et du logement pour 60 millions d’euros et, enfin, les services du Premier ministre pour 20 millions d’euros.

Sur ces 3,6 milliards d’euros, 78 % représentent des crédits d’accompagnement social, contre 22 % destinés à des actions répressives de lutte contre l’immigration clandestine. Qui le reconnaît parmi ceux qui portent des critiques systématiques et quotidiennes à l’égard de cette politique ?

La contribution du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche correspond à la prise en charge de plus de 200 000 étudiants étrangers en université en France.

La contribution du ministère de l’intérieur représente, d’une part, le coût du contrôle de la politique migratoire et de la gestion des centres de rétention administrative et, d’autre part, la rémunération des personnels intervenant dans les procédures de naturalisation, de demandes de visas, d’asile et de titres de séjour.

La contribution du ministère de la santé, qui s’élève à 535 millions d’euros, correspond principalement au financement de l’aide médicale d’État dont bénéficient les personnes en situation irrégulière sur le territoire français, c’est-à-dire presque autant que la mission « Immigration, asile et intégration », qui représente 560 millions d’euros, soit 15,6 % des crédits budgétaires de la totalité de la politique transversale.

Je pense qu’il faut avoir ces chiffres en mémoire pour porter un jugement global sur la politique que vous coordonnez et que vous animez, monsieur le ministre.

Ce rappel étant fait, je voudrais aborder maintenant le budget de la mission « Immigration, asile et intégration ». Ce budget fait apparaître plusieurs progrès majeurs par rapport à l’année dernière.

Le premier est le taux élevé de progression des crédits, de 12 % en autorisations d’engagement et de près de 10 % en crédits de paiement. La hausse réelle, il est vrai, n’est que de 8,4 % si l’on tient compte de l’extension du périmètre intervenu dans les années 2009 et 2010 avec la dévolution des dépenses d’investissement des centres de rétention administrative au ministère de l’immigration dès le 1er janvier prochain.

Cette hausse correspond principalement à l’augmentation des crédits dédiés à l’accueil des demandeurs d’asile, notamment dans les centres d’accueil des demandeurs d’asile, les CADA, et à la progression de 77 % des crédits destinés à l’allocation temporaire d’attente versée aux demandeurs d’asile pendant toute la durée de la procédure d’instruction de leur demande.

Le deuxième axe de progrès consiste en la consolidation administrative de ce ministère récent, dont la gestion arrive aujourd’hui à maturité. En effet, d’une part, le plafond de 615 emplois en équivalent temps plein travaillé se stabilise ; d’autre part, tous les services sont depuis cette année regroupés sur deux sites, à proximité de l’hôtel du ministre. Ce regroupement a permis de réduire de 1,8 million d’euros les dépenses de fonctionnement du ministère en 2010.

Enfin, cette consolidation du ministère se traduit également, comme je l’ai déjà mentionné, par le regroupement au sein de la mission des crédits d’investissement des centres de rétention administrative, auparavant gérés par le ministère de l’intérieur.

Le troisième progrès notable est le retour à une situation financière normale pour l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, opérateur chargé de l’accueil des primo-arrivants et de la mise en œuvre de leur parcours d’intégration. Après plusieurs années où le fonds de roulement paraissait très excessif, l’année 2010 va voir le retour à la normale de cette situation.

Toutefois, à côté de ces progrès, monsieur le ministre, deux inquiétudes demeurent.

D’une part, la budgétisation des crédits destinés à l’accueil des demandeurs d’asile paraît encore insuffisante. En effet, malgré une hausse remarquable de 10 % en 2010, ces crédits seront vraisemblablement trop limités pour répondre à l’accroissement du flux des demandeurs d’asile qui, je le rappelle, a été de 19,7 % en 2008 et de 16,5% sur les premiers mois de l’année 2009. Il est donc à craindre que, pour la troisième année consécutive, il ne faille ouvrir de nouveaux crédits en cours d’exercice pour faire face à l’afflux des demandeurs d’asile.

D’autre part, la vision de la politique transversale d’immigration est encore lacunaire. Il est difficile d’analyser, dans le document de politique transversale, les raisons de l’évolution des crédits consacrés par chaque ministère à la politique d’immigration. Les capacités d’analyse et de contrôle du ministère de l’immigration sur l’ensemble de la politique transversale devraient être, à mon sens, renforcées.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des finances propose au Sénat d’adopter les crédits de cette mission.

Enfin, monsieur le ministre, je voudrais terminer mon intervention sur une note un peu plus personnelle. La France a toujours été un pays d’immigration, celle-ci étant tantôt subie, tantôt souhaitée. Notre pays possède une longue et riche expérience en la matière et, globalement, il a su réussir sa politique d’accueil et d’intégration. C’est une chance pour lui que de pouvoir utiliser son expérience pour relever les nouveaux défis qui s’annoncent, car chaque génération d’immigrés a ses caractéristiques propres.

Vous avez bien fait d’inviter les Françaises et les Français à réfléchir aux notions d’identité, de laïcité et d’intégration. Si la France a réussi dans le passé, c’est parce qu’elle a su être tout à la fois ferme et généreuse. La fermeté, c’est expliquer qu’un pays ne peut pas demander à ses ressortissants de respecter la loi, et aux étrangers de ne pas le faire. C’est aussi pourchasser sans répit toutes ces filières qui s’enrichissent du malheur des autres. La générosité, c’est accueillir chaque année celles et ceux qui frappent à notre porte pour des raisons essentielles, et qui nous demandent asile.

Nous le faisons : 52 000 contrats d’accueil et d’intégration ont été signés, 65 000 personnes ont été naturalisées en six mois ; ces chiffres nous placent aux premiers rangs des pays européens et nous permettent non seulement d’accueillir, mais aussi d’intégrer, dans le respect de chaque personne.

Le monde étant ce qu’il est, nous devrons encore longtemps conduire cette politique d’immigration ; c’est un problème de société que nous devons résoudre en conjuguant réalisme et humanisme.

Nous devons éviter que cette politique ne devienne l’enjeu de deux propagandes opposées : le nationalisme intransigeant d’un côté, l’angélisme béat ou tactique de l’autre. Ce doit être l’honneur de notre pays que de se tenir à égale distance de l’un et de l’autre. (Applaudissements sur les travées de lUMP ainsi qu’au banc des commissions.)