M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous avons vite compris que la réforme telle qu’elle nous parvenait de l’Assemblée nationale était insuffisante en matière d’indemnisation des charges des avoués et des salariés. Nous avons rencontré, en examinant cette réforme, une vraie désespérance (Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Yves Détraigne et Daniel Dubois acquiescent.) : quand des gens font bien leur travail, ils ont en effet du mal à comprendre que l’on veuille supprimer leur profession. Beaucoup ont d’ailleurs découvert à cette occasion la qualité du travail des avoués et l’utilité de ce dernier, notamment par la sécurisation des procédures d’appel.

Je m’amuse d'ailleurs à entendre défendre les avoués par les auteurs de projets ou de propositions de loi qui voulaient leur suppression voilà quelques années…

Nous sommes favorables à la modernisation et à la simplification à condition de ne pas singer d’autres formes de professions judiciaires outre-Atlantique ou quelquefois outre-Manche – mais je sais que vous n’êtes pas adepte de cette école, madame le garde des sceaux. Ce n’est pas notre tradition juridique ; les responsabilités des huissiers et des notaires, notamment, ont plutôt été renforcées dans les textes. Cela me semble équilibré.

Dès lors que la décision était prise et votée à l’Assemblée nationale, le devoir du Sénat était de faire en sorte que, pour cette réforme maintenant inéluctable, comme je l’ai dit aux représentants des professions concernées – l’avenir nous dira si cette modernisation, cette simplification étaient fondées, et nous saurons évaluer la loi pour déterminer si la procédure d’appel est améliorée –, une solution équilibrée, mais juste et équitable quant à l’indemnisation tant des avoués que du personnel, soit trouvée. Je vous assure que les membres de la commission ont vraiment écouté les uns et les autres, y compris les avocats. Il faut saluer à cet égard Patrice Gélard, le rapporteur émérite, qui a énormément travaillé pour trouver des solutions.

Madame le garde des sceaux, il reste un point de désaccord dont il faudra, en l’absence de progression à cet égard, envisager les conséquences : je veux parler des préjudices autres que le seul préjudice patrimonial. Nous avons choisi l’expropriation sous le contrôle du juge parce que cela nous paraissait la formule la plus large, mais vous avez bien compris que l’indemnisation des préjudices réels des charges d’avoués doit pouvoir évoluer.

Quoi qu’il en soit, madame le garde des sceaux, nous vous remercions de votre écoute et de l’attention que vous avez portée aux travaux du Sénat. Si toutes les séances du Parlement se déroulaient dans le climat d’écoute et de dialogue qui a prévalu depuis hier, la législation serait bien meilleure ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme le ministre d'État.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’issue de cette première lecture, je souhaite remercier non seulement la commission des lois, tout particulièrement son rapporteur, mais également l'ensemble des intervenants. Chacun a exprimé ses idées dans des termes mesurés, et le débat a pu se dérouler dans un état d’esprit constructif, avec le souci de trouver les meilleures solutions possible.

D'ores et déjà, un certain nombre d’avancées ont été obtenues et sont venues enrichir le texte. Bien entendu, nous ne sommes pas d’accord sur tout et la discussion reste ouverte : n’oublions pas l’Assemblée nationale, qui aura son mot à dire ! C’est dans le cadre de ce dialogue élargi – je rappelle que la procédure accélérée n’a pas été engagée – que nous allons pouvoir continuer à travailler pour améliorer encore ce texte.

À mon sens, nous devons toujours garder à l’esprit l’objectif principal, à savoir la modernisation de nos systèmes juridiques par leur simplification. Plus ces derniers seront proches, meilleure sera la lisibilité. Cela a été dit au cours du débat, l’avoué n’intervient pas aujourd'hui en appel dans l'ensemble des domaines du droit pénal. C’est ainsi que la profession n’existe pas outre-mer et que la représentation par avoué devant les chambres sociales des cours d’appel n’est pas obligatoire.

Ces exemples montrent tout l'intérêt qu’il y a, pour notre justice comme pour notre droit, d’aller vers la modernisation et la simplification. Disant cela, je n’ignore pas les contraintes susceptibles de peser sur les femmes et les hommes qui sont touchés par la réforme. Certes, nous ne sommes pas parvenus à un accord total sur ce point, mais nous avons essayé de trouver les meilleures réponses possible aux problèmes qu’ils rencontrent, sur le plan tant matériel, notamment en termes d’emploi, que psychologique. En ce sens, la détermination de la durée de la période transitoire revêt une grande importance.

En me fixant pour objectif de rendre l’organisation judiciaire plus simple et plus moderne, j’entends renforcer notre droit continental ainsi que le modèle judiciaire et juridique français. Comme j’ai coutume de le dire, c’est l’un de mes principaux combats.

Le fait qu’un pays ait un droit qui ressemble au nôtre constitue un atout considérable tant pour nos entreprises à l’exportation que pour l’influence de notre pays. En plus de mes responsabilités nationales, je m’efforce donc, à l’occasion des relations bilatérales que j’entretiens avec un certain nombre de pays, de développer autant que faire se peut en Europe et au-delà cette capacité d’influence du droit français et continental. Il y a là à mes yeux un enjeu tout à fait essentiel.

Il ne s’agit donc pas du tout d’imiter le modèle anglo-saxon ou américain. C’est tout le contraire ! En défendant le droit continental et le modèle judiciaire et juridique français, je cherche à reprendre tous les créneaux conquis par le droit anglo-saxon au cours de ces dernières années, ce qui a contraint nos entreprises à subir une concurrence beaucoup plus importante. Mon ambition est que la France crée son propre système juridique, avec ses spécificités, mais que ce dernier puisse en même temps servir d’exemple.

Pour y parvenir, il importe de mettre en place une organisation simple, compréhensible, efficace. Tel est bien l’objectif de ce texte, comme de ceux que j’aurai l’honneur de présenter prochainement devant vous. Dans le prolongement de la discussion que nous avons eue depuis hier, nous devons, ensemble, continuer à faire progresser notre modèle judiciaire et juridique. Ce faisant, nous participerons aussi à étendre l’influence de la France ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-Pierre Vial. Très bien !

Mme la présidente. Mes chers collègues, le second texte inscrit à notre ordre du jour étant encore en discussion à l’Assemblée nationale, nous allons interrompre nos travaux. Nous les reprendrons vers dix-huit heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à dix-huit heures trente.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi portant réforme de la représentation devant les cours d'appel
 

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Dossier législatif : projet de loi relatif à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français
Discussion générale (suite)

Victimes des essais nucléaires français

Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français (n° 122).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français
Article 1er

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes arrivés au bout d’un parcours, un parcours au terme duquel les pouvoirs publics ont reconnu leur responsabilité dans les conséquences sanitaires des essais nucléaires français, un parcours au terme duquel, demain, les personnes souffrant d’une maladie radio- induite résultant d’une irradiation due aux essais nucléaires seront indemnisées.

Cela n’effacera pas les années de silence et les souffrances endurées mais cela sera pour les victimes une reconnaissance de leur situation et une réparation financière de leurs préjudices.

Si nous en sommes arrivés là, c’est grâce à la ténacité et à la pugnacité des associations de victimes. Ce texte leur donne raison et, à mon sens, largement satisfaction, même si je comprends que, lorsque l’on n’a pas tout obtenu, on peut avoir le sentiment de ne pas avoir été entendu.

M. Guy Fischer. C’est bien vrai !

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur. Si nous en sommes arrivés là, à la reconnaissance et à l’indemnisation des conséquences sanitaires des essais, c’est également grâce à la mobilisation des parlementaires. Ils ont élaboré, sur ce sujet, dix-huit propositions de loi.

Si nous en sommes arrivés là, c’est aussi parce que le ministre de la défense a su convaincre tous les acteurs concernés que le moment était venu de rompre ce silence et de bâtir un mécanisme approprié d’indemnisation des victimes, comme l’avaient fait auparavant les Américains et les Anglais.

Si nous sommes à quelques semaines de la mise en place du comité d'indemnisation, c'est enfin grâce au Parlement, qui, dans sa majorité, a non seulement approuvé, mais également renforcé, les garanties offertes aux victimes.

À l'initiative de l'Assemblée nationale et de son rapporteur, dont je veux saluer le travail de qualité, la procédure d'examen des demandes a été mieux encadrée et le suivi de la loi mieux assuré. Le Sénat a poursuivi et complété ce travail. Nous avons, je vous le rappelle, accru les garanties d'indépendance du comité. Nous avons également introduit le principe de présomption de causalité dans l'examen des demandes. Pour les victimes, il s'agit là d'une avancée importante, sur laquelle je reviendrai. Nous avons, enfin, renforcé le pouvoir de la commission de suivi, qui pourra désormais s'autosaisir.

Les apports des deux assemblées étant en tous points complémentaires, nous n'avons pas eu de mal à trouver un accord. Lors de la réunion de la commission mixte paritaire, nous avons proposé, le rapporteur de l'Assemblée nationale et moi, quelques amendements rédactionnels afin de parfaire le dispositif juridique. Mais, sur le fond, nous avons de conserve décidé d’en rester à la dernière rédaction que vous avez adoptée. Tous les apports du Sénat ont été conservés. Il s'agit véritablement d'une rédaction commune, puisque nous avions, pour notre part, repris les modifications introduites à l'Assemblée nationale sur le projet du Gouvernement.

Je voudrais souligner ici combien la situation des demandeurs va être modifiée par ce texte. Hier, les victimes des essais nucléaires devaient prouver devant les tribunaux, non seulement leur participation aux essais nucléaires et leur exposition à des rayonnements ionisants, mais également que ces essais étaient la cause de leur cancer. Or, selon les médecins et les cancérologues, aucun examen médical, aucun prélèvement, aucune analyse histologique ne permet d'établir la cause d'un cancer. Cette maladie n'a pas, selon l'expression consacrée, de signature. Autrement dit, il était demandé aux justiciables la preuve impossible. Nous connaissons des cancers ce que les études épidémiologiques nous ont appris. En d’autres termes, du cancer, nous n'avons que des statistiques. Nous le savons, certaines pratiques, comme le tabagisme, accroissent la probabilité de son déclenchement. Nous sommes en mesure de calculer à peu près le surcroît de risque attribuable à tel ou tel facteur par rapport à la moyenne de la population. Mais rien qui puisse constituer une preuve absolue devant le juge. En conséquence, 80 % des demandeurs étaient déboutés.

À l’avenir, ces mêmes justiciables n'auront plus qu'à apporter la preuve qu'ils souffrent d'une maladie radio-induite, et qu'ils ont séjourné dans les zones de retombée radioactive des essais. S'ils remplissent ces deux conditions, grâce à l'amendement que nous avons adopté, la cause de leur maladie sera présumée être les essais. L'introduction du principe de présomption va bouleverser la logique d’examen des dossiers des justiciables en vigueur jusqu’à présent. Nous avons ainsi opéré un renversement de la charge de la preuve.

À mes yeux, ce texte ressort de nos travaux plus juste, plus équitable et moins équivoque que la version initiale. Mais pour ne pas sombrer dans un exercice d'autosatisfaction, je voudrais profiter du temps qui m'est accordé pour aborder quelques questions qui demeurent posées.

Premièrement, fallait-il mettre en place une présomption irréfragable ? Fallait-il ainsi rendre l'État responsable de tous les cancers des personnes ayant séjourné, ne serait-ce qu'une journée, dans les zones concernées ? Pouvait-on instituer un dispositif d’indemnisation de ces cancers quelle qu’en soit la cause ? Le Sénat comme l'Assemblée nationale ont naturellement apporté une réponse négative. L’État ne se doit d’indemniser, au titre des essais, que les seules maladies qui ont un lien avec ces essais. Les autres doivent normalement être prises en charge par notre système de santé, mais non par l'État au titre de sa responsabilité. Pour cette raison, nous avons maintenu la procédure d’examen individuel des dossiers.

Selon l’article 4 du projet de loi, cet examen se déroulera « au regard de la nature de la maladie et des conditions d'exposition de l'intéressé ». Cela implique, d’une part, de se concentrer sur la maladie. Chaque cancer, il faut le savoir, a ses propres caractéristiques. Comme le montrent les études épidémiologiques, la probabilité qu'une même personne soumise aux mêmes conditions d'exposition déclenche un cancer radio-induit diffère selon la maladie. D’autre part, il s’agit de tenir compte notamment de l'âge de la personne à la date de l'exposition, de celui auquel la maladie s’est déclenchée, et enfin du degré d'exposition.

La deuxième question concerne justement le degré d’exposition. Fallait-il le prendre en compte, au risque de rétablir des seuils d'exposition arbitraires ? Le texte que nous sommes sur le point d’adopter ne se réfère en aucune façon à un seuil d'exposition. En revanche, l’exposition doit, bien sûr, être mentionnée. C'est la cause même de la maladie et le fondement de la responsabilité de l'État. Comme le prévoit l'article 1er du projet de loi, « peuvent obtenir réparation de leurs préjudices toutes les personnes souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français ». La prise en compte de la mesure de cette exposition ne peut donc pas être exclue.

Maintenir l’examen individuel des dossiers dans le cadre d’une présomption de causalité clairement affirmée, c’est évidemment laisser la possibilité au comité de contester la présomption. Sans cette possibilité, cet examen n'aurait pas de sens : autant dans ce cas ne pas perdre de temps et ne procéder qu'à la vérification des conditions de séjour et de maladie. L'examen individuel des dossiers permet d'écarter certaines requêtes. Mais, du fait de l'introduction de la présomption, ces demandes ne pourront être écartées que si le comité démontre pourquoi il conteste cette présomption. C'est cela le renversement de la charge de la preuve de la victime au comité.

La troisième question découle de ce point. Comment le comité pourra-il prouver l’absence de lien entre les essais et la maladie ? Voilà sans doute l'un des principaux enjeux du texte, et une question délicate. Je pourrais aisément, à ce stade de la procédure parlementaire, ne pas y répondre et me dérober au débat. Je voudrais au contraire essayer d'apporter une réponse à ces interrogations légitimes. Cette réponse se trouve à l'alinéa 3 de l'article 4, selon lequel, « lorsque les conditions sont réunies, la victime bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions d'exposition de l'intéressé, le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable ».

J’écarterai d’abord l’interprétation selon laquelle cette phrase permettrait de rejeter les dossiers dans lesquels on trouverait d'autres causes possibles des cancers. Non seulement ce n'est clairement pas ce qui est écrit dans la version que nous avons adoptée, mais, de plus, la commission des affaires étrangères du Sénat s'est manifestement opposée à cette possibilité. À ma demande, elle a ainsi refusé un sous-amendement du Gouvernement autorisant le comité à écarter une demande s’il établit l'existence d'une cause de la maladie autre que l'exposition aux rayonnements. Selon les médecins, les chercheurs, d’après les documents du CEA et de l'UNSCAR, la quasi-totalité des cancers radio-induits ont plusieurs causes. Ainsi, pour le CEA, « les cancers sont des maladies multifactorielles, il n'existe aucun moyen simple de distinguer un cancer induit par des radiations, d'un cancer apparu spontanément ».

Ce que l’on peut faire, se conformant à une méthodologie de l’agence internationale pour l'énergie atomique c’est dire à une personne : compte tenu de votre maladie, de votre profil, de votre âge, de la date du déclenchement de la maladie et des analyses épidémiologiques existantes, le risque supplémentaire de contracter un cancer attribuable aux rayonnements est dans votre cas évalué à tel pourcentage. C’est cela le risque attribuable.

Au-delà, disent les médecins, il faut prendre en compte l'interaction des causes. Par exemple, l'exposition aux rayonnements ionisants multiplie, nous le savons, les risques de cancer du fumeur. Si le tabagisme constitue une cause propre de la maladie, et d'un côté dédouane les essais nucléaires, tout se passe, de l’autre, comme si les rayonnements ionisants accéléraient l’apparition d'un cancer chez un fumeur. Ainsi, l’existence d’une autre cause n’exclut pas l'effet des rayonnements ionisants et, en conséquence, la responsabilité des essais. C'est pourquoi nous n'avons pas retenu cette rédaction.

En revanche, nous avons retenu la notion de risque attribuable. Celle-ci correspond en effet à une démarche scientifique fondée sur les études épidémiologiques existantes et sur une méthodologie élaborée au niveau international, et non à une appréciation subjective.

Cela m’amène à la quatrième question. Pourquoi avoir posé le principe selon lequel le comité ne pouvait écarter un dossier que si le risque attribuable était négligeable et pas si le risque attribuable était nul, inexistant, voire impossible ? Parce que nous sommes dans un domaine de lien probable, statistique et non dans un domaine déterministe. De même qu'il aurait été impossible aux victimes de prouver que la cause de leur cancer est de façon certaine l'exposition aux rayonnements, il aurait été impossible au comité de certifier que les contaminations n'en sont pas la cause. Autrement dit, le risque attribuable n'est jamais de 0 %. C'est pourquoi nous avons retenu la notion de risque négligeable.

Il appartiendra aux médecins du comité, et non au législateur, de s’accorder sur une méthodologie. À ma connaissance, des travaux de recherche ont été effectués sur la base d'un risque attribuable de 1 %, c’est-à-dire d’un surcroît de risque d'avoir un cancer de 1 % par rapport à une population non exposée. Selon ce scénario, le dossier d’indemnisation devra être retenu si le risque supplémentaire d’avoir eu un cancer attribuable aux essais est supérieur à 1 %. Cela correspondrait, me semble-t-il, à la volonté de chacun de mettre en place un dispositif généreux, qui prenne en charge assez largement les victimes. J'invite le Gouvernement à interpréter en ce sens la volonté du législateur. Il ne s'agit pas d'un seuil, puisque le calcul résulte de la prise en compte de chaque situation individuelle, de la maladie, de l’âge et de toute une série de facteurs, dont l'intensité de l'exposition mesurée par dosimétrie.

J’en arrive enfin à la cinquième et dernière question. Que se passera-t-il si la victime ne dispose pas de relevés dosimétriques attestant de son exposition ? Auparavant, l'absence de relevés dosimétriques pouvait signifier, devant les tribunaux, l'absence d'exposition à une irradiation et entraîner la non-prise en charge du dossier. À l’avenir, grâce à ce texte, ce qui était un problème pour les justiciables deviendra un problème pour le comité, s'il souhaite contester le lien de causalité présumé. Comment en effet calculer un risque attribuable sans relevés dosimétriques. Encore une fois, conformément à nos vœux, le doute bénéficie à la victime. La portée du renversement de la preuve que nous avons instauré est ici manifeste.

J’arrêterai là la description des enjeux liés à l'application de l'article 4. Nous pourrions y passer des heures. Je voudrais que les associations de victimes aient bien conscience que chaque mot a été examiné avec le sérieux et l'attention légitimement attendus du législateur.

À mon sens, nous pouvons être collectivement fiers de ce texte et de ce débat. Je voudrais remercier tous les intervenants, en commission comme en séance, pour leur implication et la qualité de leurs propos. Nous n'avons pas toujours été d'accord, mais le dialogue a toujours été constructif. Certains amendements ont été retenus, d'autres rejetés, mais jamais en fonction de critères partisans. Pour l’essentiel, il y a eu un consensus républicain sur un sujet qui ne se prête pas à des réflexes de partis.

Je voudrais également remercier à nouveau les associations : d’abord pour leur patience, elles attendent ce texte depuis longtemps ; pour leur disponibilité ensuite, elles nous ont éclairés, très précisément, sur tous les aspects du texte. Les mesures d'application devraient être publiées dans le courant du mois de janvier et les premières instructions de dossier courant février. Elles participeront à la commission de suivi qui devrait se réunir quelques mois après la mise en place du comité.

À ce point de mon intervention, j'allais, monsieur le ministre, vous demander de nous confirmer l'inclusion du myélome et du lymphome dans la liste des maladies radio-induites prévue à l'article 1er. Mais j'ai appris, dans la journée, que non seulement ces deux maladies ne seraient sans doute pas retenues, mais que l'inclusion du groupe 2 n'était pas acquise.

M. Guy Fischer. Scandaleux !

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur. Pour dire les choses plus clairement, nous travaillons depuis plusieurs mois sur la base d'un projet de décret d'application de l'article 1er qui retenait dix-huit maladies radio-induites. Ce projet de décret, qui a servi de base de discussion avec les associations, les rapporteurs de l'Assemblée nationale et du Sénat, semble aujourd’hui être remis en cause. La liste des maladies radio-induites visées par le projet de loi serait réduite à treize. Si je comprends bien, on voudrait contraindre M. le ministre à revenir sur l'engagement qu’il a pris depuis des mois devant l'ensemble des parties prenantes à l'élaboration de ce projet de loi, un engagement qu’il a renouvelé devant notre commission des affaires étrangères le 7 octobre dernier.

M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur. Si cette information est confirmée, je trouverai cela tout à fait regrettable, même si cela ne modifie pas le texte que nous avons adopté puisqu’il ne s’agit que du décret d'application. Cela modifierait en revanche le contrat moral sur lequel nous nous étions tous engagés auprès des victimes. Aussi, je demande que cet arbitrage soit revu et que la liste des maladies radio-induites et prévue à l'article 1er contienne bien les maladies des groupes 1, 2 et 3, retenues par l'UNSCEAR en 2006. Selon l’article 1er du projet de loi, j'attire votre attention à ce sujet, la liste est « fixée par décret en Conseil d'État, conformément aux travaux retenus par la communauté scientifique internationale ». Les critères de détermination de cette liste doivent être scientifiques et non financiers. Ces maladies ne sont pas issues de l'imagination de quelques responsables associatifs. Leur recensement résulte de travaux scientifiques reconnus par la communauté internationale. Je regrette qu'au moment où nous allons adopter définitivement cette loi, après plusieurs mois d'études et de discussions, on revienne sur ce qui était considéré depuis le début comme acquis.

Je tiens cependant à l’adoption du projet de loi, dans la version issue des travaux de la commission mixte paritaire. En effet, en cas de rejet, les victimes perdraient encore des mois précieux alors même que ne sont pas en cause les dispositions législatives, mais les dispositions réglementaires apparemment envisagées.

Je conserve, en outre, bon espoir d’un retour au projet de décret initialement prévu. Je me battrai pour qu'il en soit ainsi. C'est un problème de gouvernance, c’est un problème de conscience, un problème de respect de la parole donnée !

Ce texte va donc poursuivre son chemin. Il pourrait être promulgué d’ici à la fin de l’année. À partir de cette date, toutes les personnes, qu’elles aient déjà intenté un recours devant les tribunaux ou non, qu’elles aient déjà obtenu une indemnisation ou non, pourront, si elles s’estiment victimes des essais nucléaires, déposer une demande d’indemnisation : par ce texte, l’État s’engage à réexaminer l’ensemble des dossiers pour qu’une juste indemnisation soit apportée à toutes les victimes.

Je crois que cette loi peut faire date. Elle permettra de solder ce contentieux, de tourner la page des essais nucléaires « grandeur nature ».

Je voudrais achever mon intervention par une pensée pour les victimes. Si nous sommes ici ce soir, c’est qu’il y a cinquante ans des hommes et des femmes se sont engagés dans l’aventure nucléaire française. Ces hommes et ces femmes ont construit notre force de dissuasion nucléaire.

C’est grâce à eux que nous avons la garantie qu’en toutes circonstances la France, son territoire, son peuple, ses institutions républicaines sont à l’abri d’une agression ou d’un chantage les mettant directement en péril, comme ce fut le cas en 1940.

C’est grâce à eux que notre pays peut jouer le rôle qui est le sien parmi le cercle très restreint des puissances nucléaires.

Ce texte est de la part de notre République un texte de reconnaissance des souffrances que supportent aujourd’hui ceux qui l’ont servie hier, mais aussi du travail accompli par ces femmes et ces hommes qui ont contribué à assurer sa sécurité et sa grandeur.

Je n’oublie pas non plus la situation des habitants du Sahara, de Reggane ou de In Ecker, dans le Hoggar algérien, non plus que celle des habitants des atolls de Polynésie française, tel l’atoll de Tureia, ou des îles Gambier, qui ont été victimes, bien malgré elles, des retombées radioactives de nos essais.

Les cancers sont des maladies lourdes, leurs traitements souvent éprouvants et pas toujours couronnés de succès. Mes pensées vont à toutes ces victimes. Ce texte leur est dédié. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Hubert Falco, secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser Hervé Morin, qui, après l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le présent projet de loi à l’Assemblée nationale, dont je viens moi-même, a dû se rendre à une réunion très urgente à l’Élysée.

Il y a tout juste un an, le ministre de la défense s’engageait devant vous à porter un projet de loi sur l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Au cours de l’année écoulée, sa détermination comme la vôtre n’ont jamais faibli.

Pour aboutir, nous avons procédé à une très large concertation et à un travail d’écoute qui mérite d’être souligné.

Aujourd’hui, nous sommes heureux et fiers que l’engagement du Gouvernement ait été tenu.

Le projet de loi que vous vous apprêtez à adopter définitivement crée un dispositif d’indemnisation juste, rigoureux et équilibré.

Juste, parce qu’il prend en compte toutes les victimes, personnels civils et militaires de la défense, personnels du CEA et des entreprises présentes sur les sites, mais aussi populations civiles.

Rigoureux, parce qu’il est fondé à la fois sur une présomption légale d’existence d’un lien de causalité et sur un examen au cas par cas destiné à indemniser les personnes dont l’affection est bien liée à l’exposition aux rayonnements ionisants.

Cet examen est confié à un comité d’indemnisation présidé par un haut magistrat et essentiellement composé de médecins et d’experts, c’est-à-dire de personnes indépendantes, conformément à ce que vous aviez voulu.

La proposition du comité d’indemnisation sera jointe à la décision qu’il appartiendra au ministre de la défense de prendre pour chaque demande d’indemnisation.

Enfin, ce projet de loi est équilibré, du fait de la participation des représentants des associations et des élus au sein d’une commission de suivi qui sera chargée de faire des propositions concernant l’évolution de ce dispositif et qui aura la possibilité de se faire assister.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte est le fruit de notre travail à tous.

Au nom du ministre de la défense, je voudrais d’abord remercier chaleureusement le rapporteur du projet de loi au Sénat, mon ami Marcel-Pierre Cléach, de son investissement et de sa coopération avec le ministère de la défense.

Je souhaite également rendre hommage aux membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, saisie au fond, et, plus généralement, à ceux d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qui, tout au long de cette année 2009, ont participé aux groupes de travail que le ministre de la défense avait mis en place.

À chaque étape du processus de son évolution, en commission comme en séance, vous avez apporté des contributions qui ont amélioré significativement le texte.

Permettez-moi enfin de saluer le président de la commission, M. Josselin de Rohan, qui a fait en sorte que le texte soit examiné en commission dans des conditions très satisfaisantes. C’est grâce à lui que ce projet de loi aura pu être adopté avant le 31 décembre, comme Hervé Morin s’y était d’ailleurs engagé devant vous.

Mesdames, messieurs les sénateurs, grâce à votre engagement, à votre compétence et à votre détermination, nous permettons aujourd'hui à notre pays de tourner la page, d’être en conscience avec lui-même et de rejoindre les autres grandes démocraties, comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne, qui nous ont précédés dans cette voie.

Comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, la grandeur de la France fut de décider, au lendemain du second conflit mondial, en plein cœur de la guerre froide, de se doter d’une force de dissuasion indépendante ; ce fut de retrouver ainsi sa place au sein des grandes nations.

Ce fut également, il y a treize ans, de choisir d’arrêter les essais et de s’engager en faveur du désarmement et de la non-prolifération.

Aujourd’hui, grâce à ce texte, la France est grande dans la reconnaissance. Elle peut enfin clore sereinement un chapitre de son histoire. Elle peut enfin répondre au sentiment d’injustice de femmes et d’hommes qui n’avaient pas ménagé leurs efforts pour permettre à notre pays de relever le formidable défi du nucléaire. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)