M. Pierre Fauchon, rapporteur. … nous a décrit les préoccupations humanitaires qui sont les siennes et celles de son groupe, mais dont – dois-je le rappeler ? – il n’a pas le monopole. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Ces préoccupations ont conduit à l’inscription à l’ordre du jour de notre assemblée de la présente proposition de résolution européenne.

M. Mermaz souhaite que l’Union européenne attribue le bénéfice de la protection temporaire, instituée par une directive européenne, aux réfugiés afghans. Ces derniers bénéficieraient alors de certains droits, en premier lieu de la possibilité d’obtenir un titre de séjour, pour une durée maximale de trois ans.

Les Afghans connaissent dans leur pays une situation douloureuse, et nous souhaitons tous, monsieur Mermaz – vous n’avez pas le monopole de ce souhait –, que les millions de réfugiés vivant au Pakistan et en Iran puissent retourner le plus tôt possible dans leur pays, après que ce dernier aura retrouvé la paix que la France contribue de son mieux à rétablir.

Dans cette attente, il faut trouver des solutions afin que les malheureux trouvent, dans les pays dans lesquels l’errance les a jetés, un accueil convenable et, dans la mesure du possible, fraternel.

Cependant, ces préoccupations humanitaires, si émouvantes soient-elles, ne sont pas toujours compatibles avec les mécanismes juridiques invoqués pour les justifier, comme le montre l’examen de cette proposition de résolution.

Je n’évoquerai que la résolution, car l’amendement qui a été déposé n’a pas été adopté par la commission des lois. Dans la mesure où il n’a pas été présenté en séance publique, nous n’avons pas à en débattre.

Au nom de la commission des lois, j’ai pour mission de soulever devant vous deux objections majeures, même si une seule suffit à montrer l’irrecevabilité de cette proposition de résolution.

En premier lieu, la proposition ne se fonde en réalité aucunement sur l’article 88-4 de la Constitution.

En second lieu, les critères définis par la directive et permettant d’attribuer la protection temporaire ne sont pas réunis en ce qui concerne les ressortissants afghans se trouvant sur le sol européen.

Ainsi, même si l’on admettait l’applicabilité de l’article 88-4, les conditions requises pour sa mise en œuvre ne seraient pas réunies.

Vous me permettrez de faire un peu de droit, mais le lieu s’y prête et c’est ma mission. L’article 88-4 de la Constitution prévoit que peuvent être présentées des propositions de résolution européenne sur des projets d’actes européens ou sur tout document émanant d’une institution de l’Union européenne, un livre vert ou un livre blanc par exemple.

La proposition de résolution doit donc porter sur des textes. Or, en l’occurrence, il s’agit non pas d’un projet d’acte européen ou d’un document émanant d’une institution européenne, mais d’une action, d’une initiative qui vous paraît souhaitable.

Quant au précédent que vous avez mentionné dans votre intervention, monsieur Mermaz, il n’a pas été évoqué devant la commission.

Si bien intentionnée que puisse être cette initiative, mais je ne suis pas là pour en juger et mon propos n’est pas d’en apprécier la pertinence, elle ne peut pas se fonder sur l’article 88-4 de la Constitution.

En effet, la présente proposition de résolution a non pas pour objet de prendre position sur un projet de texte européen, mais de demander que la France sollicite la mise en œuvre d’une procédure particulière, à savoir l’octroi de la protection temporaire, telle qu’elle est prévue par une directive du 20 juillet 2001.

Selon cette procédure, un État membre peut effectivement solliciter la Commission européenne en vue de proposer au Conseil de décider d’attribuer la protection temporaire à un groupe de personnes.

Votre proposition de résolution tend à ce que notre gouvernement invite la Commission à prendre une telle initiative en faveur des réfugiés afghans. Cette démarche est donc totalement étrangère à celle de l’article 88-4, qui, je le répète, impose de viser des textes.

Il apparaît donc clairement que cette proposition de résolution ne saurait se fonder sur cet article de la Constitution. Il est d’autant moins justifié de détourner l’article 88-4 de sa finalité propre qu’il existe, depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, une autre voie, à la fois plus large et plus souple, puisque vous avez désormais la possibilité de nous faire adopter des résolutions. Je sais que ce rappel de la révision constitutionnelle vous est désagréable, car vous ne l’avez pas votée et, s’il ne s’en était tenu qu’à vous, cette procédure n’existerait pas ! Il s’agit bien entendu de l’article 34-1 de la Constitution, qui, au vu de l’argumentation que vous venez d’exposer, monsieur Mermaz, constituerait un cadre bien plus adapté que l’article 88-4, ce dernier ne correspondant en rien à la démarche entreprise.

M. Christian Cointat. Tout à fait !

M. Nicolas About. Bien sûr !

M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je trouve cela d’autant plus extraordinaire que, lorsque nous avons débattu des conditions d’application de cette réforme, nous avons, sur la proposition de M. Bel et des membres de son groupe, fait en sorte que ce droit de résolution soit le plus largement ouvert. Je précise d’ailleurs que je m’étais personnellement associé à cette initiative.

Je pensais donc que vous alliez retirer cette proposition de résolution fondée sur l’article 88-4 pour la reprendre sur la base de l’article 34-1, ce qui l’aurait rendue juridiquement plus acceptable et lui aurait permis d’être débattue. Vous n’avez pas voulu le faire, pour des raisons qui m’échappent. Cela relève de votre responsabilité, et non de la mienne.

Il y a donc, pour la commission des lois, un problème de recevabilité, et je suis d’autant plus fondé à le relever que, cher collègue, vous aviez à votre disposition une autre voie.

J’aurais pu achever ici mon intervention en vous invitant, mes chers collègues, à rejeter le texte ; mais la commission a voulu faire son devoir jusqu’au bout et s’est posé la question de savoir si, dans l’hypothèse où nous serions saisis sur un autre fondement, les conditions posées par la directive étaient remplies. En d’autres termes, les ressortissants afghans peuvent-ils prétendre au bénéfice de cette fameuse protection temporaire, et je souligne à dessein l’adjectif « temporaire » ? La réponse à cette question me conduit à ma seconde objection.

La directive du 20 juillet 2001 relative à la protection temporaire pose trois critères clairs.

Premièrement, les États membres doivent être confrontés à un afflux massif de populations. Or ce n’est pas le cas aujourd’hui. Vous avez vous-même parlé de quelques centaines de réfugiés, monsieur Mermaz. Les chiffres de 2007, les derniers fournis par Eurostat, font état de 7 665 demandes d’asile pour l’ensemble de l’Union européenne et, s’il semble que le nombre de demandes augmente depuis 2008, avec un dernier chiffre estimé de 9 135 demandes d’asile au premier semestre 2009, nous restons très loin du pic du début des années 2000, avec 45 000 demandes en 2001.

Il n’y a donc pas d’afflux massif.

Deuxièmement, les systèmes d’asile des États membres doivent se trouver dans l’incapacité de traiter dans des conditions normales, c’est-à-dire de la même manière que les demandes d’asile émanant de ressortissants d’autres pays, les demandes d’asile résultant de cet afflux.

En réalité, en France comme dans les autres États européens, rien ne démontre une incapacité des services à traiter ces demandes. Ils les traitent peut-être d’une manière que vous jugez trop restrictive, mais ils les traitent. Nous avons les résultats chiffrés et vous en avez vous-même fait état, démontrant du même coup que nous n’étions pas dans l’incapacité de traiter ces demandes.

Troisièmement, le retour dans le pays d’origine doit être impossible. Sans rouvrir le difficile débat de l’automne dernier sur les rapatriements d’Afghans, je constate simplement que la Cour européenne des droits de l’homme considère que le retour est possible. Ce retour est-il pour autant opportun ? Vous avez jugé, de manière sévère, qu’il ne l’était pas. J’estime pour ma part qu’il s’agit d’une décision politique sur laquelle le rapporteur de la commission des lois n’a pas à se prononcer.

Je m’en tiendrai donc à rapporter les réflexions de la commission, non sans avoir précisé que le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, qui, plus que quiconque, est autorisé à donner un avis sur la question, m’a lui-même indiqué que les critères de la protection temporaire n’étaient pas réunis. Vous critiquez le fait que, dans mon rapport, je me sois référé à une note écrite. En réalité, j’ai invité des représentants du Haut Commissariat à venir s’exprimer devant la commission, mais ils ont décliné mon offre. Je ne pouvais quand même pas les faire venir de force !

En revanche, j’ai entendu M. Henry, directeur général de l’association France Terre d’Asile, qui m’a communiqué des informations extrêmement intéressantes.

Enfin, à tous ceux qui, au hasard du débat – on dit tant de choses dans un débat, surtout quand il prend un caractère plutôt politique –, ont prétendu, ou prétendront, que ces trois critères ne sont pas cumulatifs, je répondrai que, à mon avis, ils le sont mais que, en tout état de cause, aucun des trois n’est rempli.

Pour l’ensemble de ces raisons, la commission ne peut que vous inviter à rejeter cette proposition de résolution européenne, mes chers collègues.

Permettez-moi, cela dit, une réflexion supplémentaire. Au fond, pourquoi avoir créé cette protection temporaire si elle ne permet pas de répondre à une situation grave comme celle que vivent les Afghans aujourd’hui ? Il faut se rappeler, pour éclairer le débat, que cette directive de 2001 est directement née des suites de la crise de l’ex-Yougoslavie, puis de celle du Kosovo, au moment où les États membres de l’Union européenne venaient d’accueillir, de façon concertée, non pas quelques milliers, mais plus de 100 000 réfugiés notamment kosovars.

C’est véritablement pour répondre à ce type de situations sur le continent européen qu’a été conçue la protection temporaire, et qu’elle a pris la forme d’une directive. Vouloir aujourd’hui la détourner de sa raison d’être et de ses critères d’application ne servirait en rien la cause que l’on veut défendre, s’agissant d’une protection précaire et provisoire.

Ce serait en outre interpréter un texte européen d’une manière excessivement personnelle et nationale, ce qui serait inévitablement mal perçu par nos partenaires européens,…

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Oui !

M. Pierre Fauchon, rapporteur. … cosignataires de cette directive, qui n’apprécieraient guère que l’on prétende la détourner de son objectif et de ses conditions d’application, et que l’on méconnaisse les raisons pour lesquelles elle a été instituée.

Nous donnerions un mauvais signal, et il ne faudrait pas s’étonner ensuite que certains de nos partenaires, en particulier les Anglais, soient encore plus réticents à s’engager sur la voie de l’harmonisation des règles européennes, dès lors qu’ils constateraient que les Français prennent des libertés avec l’interprétation de ces règles.

Du point de vue de la politique européenne, adopter une telle proposition de résolution constituerait, à mes yeux, une erreur et une contre-performance.

Il ne faut pas négliger cette dimension du problème, sur laquelle M. Cointat reviendra tout à l’heure.

En réalité, l’intérêt des Afghans qui se présentent en Europe est de pouvoir bénéficier, comme ils en ont le droit actuellement, d’un examen personnalisé, et non pas collectif, de leur situation, au travers d’une demande d’asile susceptible de leur assurer une protection pérenne, ce qui, par définition, n’est pas le cas de la protection temporaire.

J’ajoute que jamais la protection temporaire n’a joué à ce jour, ni pour les réfugiés irakiens ni pour les réfugiés somaliens, qui sont aujourd’hui beaucoup plus nombreux que les réfugiés afghans à demander l’asile en Europe.

Le véritable problème, sur lequel nous pouvons nous rejoindre, monsieur Mermaz, c’est que les dispositifs européens d’accueil des demandeurs d’asile ne sont pas adaptés, puisqu’ils ne permettent pas de répondre à toutes les situations. En particulier, ils ne traitent pas correctement de la situation des personnes qui fuient leur pays, non pas en raison de persécutions personnelles, mais du fait d’un état d’insécurité lié à un conflit armé, à une guerre.

Je suppose que nous sommes tous d’accord sur ce point, mes chers collègues, et c’est pourquoi, en conclusion, je me permettrai de relayer les efforts faits par notre pays durant sa présidence de l’Union européenne, au second semestre 2008, l’une des avancées souhaitées par le Président Sarkozy ayant été précisément d’améliorer la protection du droit d’asile.

La Commission européenne a présenté en deux temps, fin 2008 et fin 2009, ce que l’on a appelé le « paquet asile », qui consiste à refondre les directives et règlements, en vue d’un régime d’asile européen qui soit commun et plus accessible. Ce « paquet » comporte également la création d’un bureau européen d’appui en matière d’asile, qui contribuerait à une meilleure application de ces règles.

Je me réjouis d’apprendre, et de vous apprendre, car la nouvelle est toute fraîche, que ce bureau sera créé prochainement, et qu’il sera établi à Malte. Il devrait constituer une sorte de « conscience européenne » sur ces problèmes, et nous en avons besoin, c’est-à-dire une base d’informations, de réflexions, de propositions et d’initiatives.

Je crois que, dans ce domaine, on peut attendre les progrès que nous appelons tous de nos vœux.

Sur le fond, force est de constater cependant que les négociations sont difficiles, tant les positions des États membres sont éloignées les unes des autres. M. le ministre le confirmera sans doute dans son intervention, mais les avancées sont très lentes, et nous savons par expérience que les processus de concertation au niveau européen ne se soucient pas suffisamment du résultat, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, d’ailleurs.

Rejoignant des conclusions qui, monsieur le président de la commission des affaires européennes, nous sont familières, je forme ici le vœu que la France prenne l’initiative d’une coopération, non pas « renforcée » au sens des traités, mais spécialisée, avec ceux de ses partenaires qui le souhaitent, pour avancer sur ce sujet en dehors des procédures communautaires.

S’il est impossible de le faire à vingt-sept, faisons au moins preuve de créativité et de volontariat avec ceux qui se sentent concernés. Ne nous mettons pas dans la situation de M. Barroso, à qui l’on a reproché, lors de son investiture par le Parlement européen, de ne pas prendre suffisamment d’initiatives. Affirmons par des actes la volonté des Européens les plus responsables de faire en sorte que le droit sacré de l’hospitalité, héritage des plus nobles traditions des sociétés anciennes – ma culture historique rejoint ici celle de M. Mermaz – reste une exigence prioritaire pour nos sociétés modernes. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de lUMP. – M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je commencerai mon propos par une citation qui, je crois, devrait rassembler tous les républicains : « Le vieux peuple que nous sommes a assez vécu pour savoir qu’il est un champion dont les hommes libres ne se passent pas. Il n’ignore pas davantage que sa propre indépendance implique l’appui de ceux qui s’opposent à la tyrannie. Il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde. » Ces mots, vous les avez reconnus, sont ceux que le général de Gaulle prononça à Londres, le 1er mars 1941.

Ce « pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde », nous continuons à l’honorer chaque jour.

La France a inscrit dans sa Constitution, dès 1946, qu’elle accorderait le statut de réfugié à « toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté ». Elle fut le principal promoteur de la convention de Genève du 28 juillet 1951, qui prévoit que le statut de réfugié est délivré à « toute personne qui craint avec raison d’être persécutée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ».

La France a été, plus récemment – on le doit à mon prédécesseur, Brice Hortefeux – l’artisan du Pacte européen sur l’immigration et l’asile, adopté à l’unanimité des vingt-sept États membres de l’Union européenne, sous présidence française, le 16 octobre 2008.

La France est fidèle à sa tradition d’asile. Monsieur Mermaz, nous sommes toujours en pointe sur le sujet. C’est la France qui pousse à la création d’un régime d’asile européen commun et c’est moi qui essaie de convaincre mes partenaires européens d’agir plus vite dans ce domaine. C’est à l’instigation de la France que nous avons avancé pour que, prochainement, un bureau européen d’appui soit installé à Malte.

La France a été pionnière et est même la seule à ce jour à mener un programme de réinstallation, sur une base volontaire, des réfugiés érythréens et somaliens en provenance de Malte. La France en a accueilli cent, et est le seul pays européen à l’avoir fait.

Par conséquent, la France n’a pas, me semble-t-il, de leçons à recevoir de ses partenaires et nous honorons notre tradition d’asile.

Notre pays reste depuis plus de vingt ans, avec les États-Unis, l’un des deux premiers pays du monde pour la demande d’asile.

La demande d’asile globale adressée à la France au cours de l’année 2009 a de nouveau progressé, de plus de 10 %, par rapport à celle de l’année 2008 : 10 900 titres de séjour de réfugiés ont été délivrés au cours de l’année 2009, contre 9 700 en 2008, soit une progression de 12,5 %. Sur deux ans, la progression est de 32 %.

Le Gouvernement poursuit le renforcement du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile.

Les centres d’accueil des demandeurs d’asile, les CADA, sont passés de 5 000 places en 2000 à 17 000 places en 2006 et ils en offrent aujourd’hui 21 000. J’ai décidé l’ouverture de 1 000 places supplémentaires en 2010, financées sur le budget du ministère de l’immigration, qui vous a été soumis.

L’asile représentait 289 millions d’euros en 2009. Il devrait dépasser 318 millions d’euros en 2010 – donc plus de la moitié des 600 millions d’euros environ dont j’ai la charge au titre du budget de mon ministère -, soit une croissance de 10 % par an.

Dans ce contexte, les membres du groupe socialiste du Sénat ont présenté le 14 décembre 2009 une proposition de résolution européenne demandant à la Commission européenne de proposer au Conseil d’appliquer aux ressortissants afghans le dispositif de protection temporaire prévu par la directive du 20 juillet 2001.

Tout d’abord, sur le plan formel, comme l’a très justement montré le rapporteur de la commission des lois, M. Pierre Fauchon, cette proposition de résolution se fonde sur une directive européenne déjà adoptée. Or, aux termes de l’article 88-4 de la Constitution, les résolutions européennes qui peuvent désormais être adoptées par le Parlement doivent s’appuyer sur des projets ou propositions d’actes de l’Union européenne ou sur tout document émanant d’une institution de l’Union, et non pas sur une directive déjà adoptée.

Surtout, en dépit de son apparente générosité, cette proposition nous semble à la fois inopportune et contre-productive. M. Mermaz ne m’en voudra pas, je l’espère, mais autant j’ai trouvé de la sincérité et de l’émotion lorsqu’il décrivait la situation des Afghans, autant je ne l’ai trouvé ni convaincant ni convaincu dans la défense de cette proposition. Je pense qu’il sait lui-même qu’elle est inopportune, car la directive du 20 juillet 2001 fixe trois conditions pour le recours à cette procédure, dont aucune n’est ici remplie.

Ces trois conditions, M. le rapporteur les a rappelées : un afflux massif, la saturation des procédures d’examen des demandes d’asile et l’impossibilité d’un retour dans le pays d’origine. J’examinerai la situation au regard de ces trois conditions.

Première condition, l’existence d’un afflux massif doit être constatée à l’échelon européen, par une décision du Conseil prise à la majorité qualifiée et sur proposition de la Commission. Or aucun des pays de l’Union européenne n’a constaté un afflux massif de demandeurs d’asile en provenance d’Afghanistan. J’ajoute que, sur le plan politique, aucun pays de l’Union européenne ne souhaite mettre en œuvre une telle procédure.

La demande d’asile afghane en Europe est aujourd’hui contenue. Le nombre de demandes d’asile reçues par les pays de l’Union européenne a progressivement diminué, passant de 45 000 en 2001 à moins de 15 000 en 2009. Le nombre de demandeurs d’asile afghans est, par exemple, inférieur au nombre de demandeurs d’asile irakiens et égal au nombre de demandeurs d’asile somaliens.

En France, l’Afghanistan ne figure pas parmi les cinq premières nationalités pour la demande d’asile en 2009, qui sont la Serbie, le Sri Lanka, l’Arménie, la République démocratique du Congo et la Russie. On a dénombré 702 demandes d’asile de ressortissants afghans en 2009 sur un total de 33 200 demandes adressées à la France, soit 2 % de la demande globale.

Ce faible niveau de la demande d’asile afghane en France a une raison simple, vous l’avez vous-même souligné, monsieur Mermaz : la France est un pays de transit des filières d’immigration afghane vers la Grande-Bretagne et l’Europe du Nord. Les ressortissants afghans entrant sur le territoire national, quelle que soit leur situation administrative, se dirigent ou veulent se diriger très majoritairement vers la Grande-Bretagne, la Suède, la Norvège ou le Danemark. Leur présence, dans des conditions souvent très précaires, à Paris, entre la gare de l’Est et la gare du Nord, ainsi qu’autour du port de Calais, n’a pas de lien avec une quelconque insuffisance de notre dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile, je veux le redire avec force.

Ce n’est pas parce que nous ne sommes pas en situation de leur accorder un hébergement que nous connaissons les situations difficiles que vous avez, à juste titre, décrites. La plupart de ces ressortissants afghans ne demandent pas l’asile à la France, ils cherchent au contraire à quitter notre territoire.

À cet égard, monsieur Mermaz, je reviendrai sur certains points de votre intervention.

En ce qui concerne le hangar de Sangatte, vous êtes probablement aujourd'hui l’un des seuls à le décrire comme un lieu où l’hygiène, la sécurité et la tranquillité étaient assurées.

Quant à la « jungle », ce terme n’a pas été inventé par le Gouvernement ; c’est le nom que les migrants eux-mêmes donnaient à ce qu’il fallait bien appeler une « zone de rackets ». Loin d’être un gentil camp humanitaire, c’était une zone tenue par les passeurs où certaines personnes, qui avaient déjà payé 15 000 euros pour venir jusqu’à Calais, étaient maltraitées, exploitées et devaient encore payer entre 500 et 1 000 euros pour chaque tentative de passage vers le Royaume-Uni... Il est donc surprenant de le présenter comme un lieu où les personnes vivaient dans de bonnes conditions.

Monsieur Mermaz, l’État ne peut pas être schizophrène. Nous ne pouvons pas lutter avec détermination contre les filières mafieuses de l’immigration clandestine et laisser à proximité des gares, des points de rupture de charge ou du port de Calais, des passeurs exercer tranquillement leur trafic dans des zones d’hébergement qui ne sont absolument pas préparées à cela et qui sont, je le répète, des zones de racket. Ce n’est pas possible.

Contrairement à ce que vous avez suggéré, le 22 septembre dernier, lorsque nous avons démantelé la « jungle », nous avons le soir même offert aux adultes comme aux mineurs isolés des possibilités d’hébergement. Cent vingt-cinq jeunes mineurs isolés ont, le soir même, dormi dans des centres d’hébergement spécialisés prévus à cet effet, mais ce n’est pas de notre fait si les deux cents places prévues pour les adultes n’ont pas été utilisées : aucun adulte ne s’est présenté…

La description que vous avez faite de la situation « post-jungle », si je puis dire, est objectivement fausse.

Pour ce qui est du grand froid et de la situation qui en résulte, permettez-moi d’affirmer que l’État joue son rôle, contrairement à ce que vous avez laissé entendre, car il aide les associations, matériellement et financièrement. On ne peut donc pas prétendre qu’il ne joue pas son rôle : il le joue au même titre que les collectivités locales, les régions et les départements.

S’agissant des enfants et des adolescents, vous savez parfaitement, monsieur Mermaz, que la France se singularise par le fait qu’aucun mineur étranger isolé présent sur son sol n’est jamais raccompagné à la frontière. Nous allons au-delà de ce que préconise le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, qui demande simplement un abri convenable pour rendre possible la reconduite de ces enfants ou de ces adolescents dans leur pays d’origine. Ce faisant, la France non seulement respecte sa tradition d’asile, mais, parlons franchement, clairement - on ne saurait être trop concret en la matière -, le citoyen français, et donc le contribuable, paie suffisamment cher cette obligation morale pour ne pas avoir à s’offrir, en plus, le luxe de l’auto-flagellation !

Sachons au moins reconnaître les mérites de nos initiatives. Je regrette, à ce titre, la description caricaturale et négative que vous avez faite de notre action en la matière. (Très bien ! sur les travées de lUMP.)

M. Éric Besson, ministre. Mais je reprends l’examen de notre situation au regard des trois conditions posées par la directive.

Deuxième condition, donc, notre dispositif d’accueil des demandeurs d’asile afghans et d’examen de leurs demandes n’est pas saturé. Les demandeurs d’asile afghans, qui auraient vocation à bénéficier d’une protection temporaire en application de la directive du 20 juillet 2001, bénéficient aujourd’hui du droit d’asile en France, sans qu’aucune saturation ne vienne ralentir l’examen de ces demandes et la délivrance éventuelle du statut de réfugié.

En 2009, 352 décisions ont été prises par l’Office français des réfugiés et apatrides, l’OFPRA – organisme indépendant dont je respecte scrupuleusement toutes les décisions, je n’en infirme jamais aucune – conduisant à l’octroi de 127 statuts de réfugiés à des ressortissants afghans. Le taux de reconnaissance d’une protection a progressé, passant de 30 % en 2008 à 36 % en 2009.

Enfin, troisième et dernière condition, le retour dans le pays d’origine n’est pas impossible, que ce soit sur une base volontaire – j’y reviendrai – ou sur une base forcée, puisque c’est surtout le point que vous avez évoqué.

Monsieur Mermaz, la France a mis en œuvre des mesures d’éloignement, volontaire ou forcé, vers l’Afghanistan chaque année depuis vingt ans, y compris lorsque les talibans étaient au pouvoir, entre 1997 et 2001 ; j’étais alors moi-même dans la majorité et vous avez bien compris à quelle époque je faisais allusion. Ce n’est donc pas, contrairement à ce que vous avez suggéré, une nouveauté liée à ce gouvernement : la France, comme tous les pays européens, a réalisé des retours forcés vers l’Afghanistan sans discontinuer depuis vingt ans.

La totalité des pays visés par les filières d’immigration clandestine en provenance d’Afghanistan mettent en place de telles mesures de retour contraint, qu’il s’agisse du Royaume-Uni, travailliste (M. Marcel-Pierre Cléach s’exclame), avec plus de 1 000 reconduites réalisées au cours de l’année 2009, de la Norvège, avec plus de 100 reconduites forcées, de l’Allemagne, avec plus de 40 mesures, ou de la Suède et des Pays-Bas, avec plus d’une dizaine de mesures.

Autrement dit, tous les pays cibles des filières mafieuses de l’immigration clandestine en provenance de l’Afghanistan reconduisent les Afghans vers leur pays d’origine, tous, mesdames, messieurs les sénateurs.

Concernant les mesures d’éloignement mises en œuvre par la France, le Gouvernement a veillé à ce que toutes les solutions alternatives soient préalablement proposées à ces personnes. Chacune d’entre elles s’est vu proposer le dépôt d’une demande d’asile. J’ai même ouvert, à titre exceptionnel, monsieur Mermaz, un bureau à la sous-préfecture de Calais pour que les Afghans, notamment, puissent déposer leur demande d’asile sans se rendre à Lille, puisque de nombreuses associations humanitaires prétendaient que la distance était un frein à l’exercice de ce droit.