Question préalable
Dossier législatif : projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité
Demande de renvoi à la commission (interruption de la discussion)

M. le président. Je suis saisi, par MM. Courteau, Raoul, Bourquin, Daunis, Mirassou, Teston et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n °146, tendant au renvoi à la commission.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (n° 644, 2009-2010).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n’est admise.

La parole est à M. Martial Bourquin, auteur de la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Martial Bourquin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous avons déposé la présente motion tendant au renvoi à la commission pour trois raisons essentielles.

Premièrement, le projet de loi qui nous est soumis constitue une remise en cause du pacte nucléaire.

Mes chers collègues, il ne s’agit pas d’une ouverture à la concurrence comme les autres. Dans un pays, deux indépendances sont indispensables : l’indépendance alimentaire et l’indépendance énergétique. Or le texte que nous examinons aujourd'hui est très lourd de conséquences, comme je vais m’efforcer de vous le montrer.

Les Français ont conclu ce pacte, et ils ont accepté le nucléaire en échange de tarifs bas et d’investissements en faveur de la sûreté et de la sécurité des approvisionnements. Aujourd’hui, non seulement le pacte est rompu, mais on spolie l’opérateur public !

Imaginez que l’on fasse de même pour Total. J’entends déjà ce que diraient nos collègues sur certaines travées : « Vous vous rendez compte ? Total, cette grande société ! » Or on s’apprête aujourd'hui à brader le grand opérateur public !

Ne nous leurrons pas. Derrière ce projet de loi – je pense que M. le rapporteur a été suffisamment explicite tout à l’heure –, il y a la volonté d’envisager des prises de participation privée supplémentaires dans des centrales existantes et nouvelles, ce qui commande un débat encore plus clair.

Certes, nous commençons la discussion par la fin, par ce qui vient d’être évoqué par M. le rapporteur. Il serait tout de même normal que la commission puisse retenir un tel angle de changement programmé de structure de financement du nucléaire pour en débattre maintenant plutôt qu’en 2015.

Deuxièmement, nous nous interrogeons au plus haut point sur l’accord Kroes-Fillon, qui a préfiguré le projet de loi. Était-ce le meilleur accord possible ?

Hier, M. le rapporteur nous a appelés à nous montrer « raisonnables », arguant que notre pays n’avait pas le choix et était bien obligé de suivre les injonctions de la Commission européenne. Pour ma part, j’aimerais bien que l’on mette autant d’ardeur à suivre les injonctions du Parlement européen sur les Roms… Sur ce sujet, on défie la Commission européenne et le Parlement européen ; je préférerais qu’on le fasse à propos de l’énergie.

M. Jean-Luc Fichet. Très bien !

M. Martial Bourquin. Je vais vous expliquer pourquoi.

Est-il raisonnable de mettre en cause l’accord Kroes-Fillon ?

Je signale déjà que cet accord est intervenu en pleine crise financière, la procédure datant de 2007 et la commission Champsaur ayant mené ses travaux en 2008.

Vous le savez, il y a texte et contexte. Et l’on est en droit de se demander si nous avons le meilleur texte dans ce contexte précis ! La lettre tue et l’esprit vivifie.

Mes chers collègues, après la crise extraordinaire que nous avons vécue, une crise financière qui a fait trembler l’ensemble de la planète, nous étions en droit d’attendre un autre accord sur la question de l’énergie !

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Martial Bourquin. Nous étions en droit de nous demander si le néolibéralisme échevelé que nous connaissons aujourd'hui est bien le meilleur système pour garantir l’indépendance énergétique. Souvenez-vous des déclarations que nous avons entendues à l’époque sur le « capitalisme sauvage » ! Et, pourtant, on nous présente ce texte-là !

Notre intention est non pas de chercher des « crosses » – même si le projet de loi résulte d’un accord entre M. le Premier ministre et Mme Kroes (Sourires.) – au Gouvernement, mais d’essayer de comprendre ce qui se passe et de tirer la sonnette d’alarme sur les risques encourus.

Mes chers collègues, nous vivons une crise très importante. Actuellement, 4,2 millions de nos concitoyens – j’insiste sur ce chiffre – sont inscrits à Pôle emploi. C’est sur les conséquences d’une pauvreté de plus en plus importante que nous tirons la sonnette d’alarme.

M. Martial Bourquin. Dans ces conditions, est-il raisonnable d’ouvrir la voie à une augmentation du coût de l’énergie de 10 % ?

Troisièmement, et ce sera l’essentiel de mon argumentation, dans sa rédaction actuelle, le projet de loi mésestime de manière flagrante, me semble-t-il, les conséquences économiques de la nouvelle organisation proposée. Il est fondé sur une étude d’impact qui, à mon avis, contient plus d’impact que d’étude…

Ce texte aura des conséquences sur les prix et sur l’investissement. Vous le savez bien, la bataille de la concurrence ne peut pas être menée en même temps que celle de l’investissement ; il va y avoir de gros dégâts sur des activités et sur des bassins d’emplois industriels.

Je citerai un exemple. Thierry Repentin, Élisabeth Lamure et moi-même étions à Saint-Jean-de-Maurienne voilà quelques jours. Nous avons rencontré une dizaine d’industriels, et tous nous ont indiqué qu’une augmentation du coût de l’électricité serait perçue par certaines entreprises comme une incitation à délocaliser.

M. Roland Courteau. Bien sûr !

M. Martial Bourquin. Après cela, aurons-nous encore une filière aluminium ? Je ne le pense pas. D’ailleurs, le responsable de Rio Tinto le disait lui-même. Aurons-nous une filière silicium, afin que les panneaux photovoltaïques installés sur les toits français ne viennent pas tous de Chine ou d’Allemagne ? Aurons-nous nos propres panneaux photovoltaïques parce que nous aurons notre propre silicium ?

Car c’est bien en ces termes que se pose le problème lié à la nouvelle hausse du prix de l’énergie ! Nous risquons de ne plus avoir de filière solaire. Ce sont toutes ces questions qui sont au cœur du débat économique. Or, au moment où nous voulons nous doter d’une politique industrielle, nous évacuons tous ces sujets avec une facilité déconcertante.

Dans les débats sur la « compétitivité », on évoque souvent, trop souvent à mon goût, le coût du travail. Mais on ne parle jamais du coût de l’énergie ! Or si la France attire encore beaucoup de capitaux – notre pays est la première destination pour les investissements à l’étranger –, c’est aussi en raison du coût de l’énergie. Et le sujet est très peu abordé, voire complètement occulté.

Monsieur le secrétaire d’État, vous nous avez fait un très bref cours sur l’histoire du libéralisme et du communisme. Il faudrait tout de même se souvenir que cette histoire s’est arrêtée avec l’effondrement du mur de Berlin. Et si l’on veut faire de l’histoire, il ne faut jamais oublier que nous devons notre indépendance énergétique au Conseil national de la Résistance ! On a parlé de Marcel Paul ; il faudrait également évoquer Charles de Gaulle !

M. Gérard Longuet. Ainsi que Valéry Giscard d’Estaing et Michel d’Ornano !

M. Martial Bourquin. À un moment donné, un consensus est apparu entre la gauche et la droite en faveur de l’indépendance énergétique. Et vous vous apprêtez – je m’adresse aussi à des gaullistes qui, en d’autres temps, ont défendu cette indépendance – à brader cet héritage en adoptant le projet de loi en l’état ! Mes chers collègues, je suis parfois un peu stupéfait d’entendre des intervenants affirmer de manière systématique que la concurrence serait le seul moyen de moderniser notre économie, le seul remède à une situation donnée.

Je pense que nous avons la chance d’avoir l’excellence en matière énergétique. On nous envie EDF ! Notre politique énergétique est un modèle pour l’Europe entière !

Certes, il y a eu des négociations avec la Commission européenne, mais je pense que nous avons été battus en rase campagne et que le gouvernement français a baissé pavillon. Au final, le résultat des négociations est tout à fait déplorable pour notre économie et notre pays.

Mes chers collègues, je vous demande de prendre en compte la question fondamentale de la compétitivité de notre économie, en l’abordant sous l’angle du coût de l’énergie.

Il y a au moins deux raisons de rejeter le présent projet de loi.

D’une part, le dispositif proposé aboutira à une exceptionnelle augmentation des coûts de l’énergie. Celles et ceux qui ont opté pour des fournisseurs indépendants ont parfois vu leur facture énergétique augmenter de 30 % à 40 % ; c’est le cas d’un hôpital public de mon département. Cela doit servir de leçon !

Songeons aux responsables d’entreprises qui tirent la sonnette d’alarme ! La semaine dernière, plusieurs d’entre eux nous ont recommandé d’être extrêmement vigilants sur le projet de loi NOME, soulignant qu’un renchérissement du coût de l’énergie pourrait porter un coup fatal à la compétitivité de l’économie française.

Ne nous plaignons pas, après de telles décisions, qu’il y ait des délocalisations en chaîne ! Ne demandez pas toujours aux mêmes, celles et ceux qui paient beaucoup, d’assumer les frais d’une politique aussi incohérente ! Car je sais bien ce qui se passera : un jour ou l’autre, au nom de la compétitivité, on demandera encore aux mêmes de travailler plus pour gagner moins !

Telle est, mes chers collègues, la première justification de la présente motion tendant au renvoi à la commission. Je pense que nous n’avons pas été suffisamment informés sur l’accord intervenu entre Mme Kroes et M. le Premier ministre ; la commission des affaires européennes et la commission de l’économie auraient dû être saisies et débattre des conséquences de cet accord bien avant l’examen du présent projet de loi !

D’autre part, nous aurions également dû avoir – c’est absolument indispensable – une réflexion, via une véritable étude d’impact, sur les effets qu’aura la loi NOME sur notre économie.

Je pense à celles et à ceux qui travaillent dur, qui se lèvent tôt, qui ont des conditions de vie et de travail difficiles. Je pense à cette pauvreté qui s’étend dans nos villes, dans nos villages. À mon sens, ils méritent mieux qu’une augmentation exponentielle des coûts de l’énergie ; ce sont déjà eux qui ont payé les centrales et assuré le financement de cette filière énergétique.

C’est pourquoi nous souhaitons que le projet de loi soit renvoyé en commission. Ce texte est funeste pour l’économie, funeste pour les ménages. Il faut recommencer le travail depuis le début ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Cher collègue, je ne reviendrai pas sur les arguments que j’ai développés au sujet de la motion précédente. J’insisterai simplement sur trois des points que vous mettez en avant pour défendre cette motion.

En ce qui concerne l’étude d’impact, il est vrai qu’elle est partielle et partiale. Les études d’impact sont des procédures nouvelles rendues obligatoires par la réforme constitutionnelle de 2008 et par la loi de 2009. Leur instauration constitue un progrès, partiel pour le moment, mais néanmoins utile.

Je ne sais pas si vous avez pris le temps de lire intégralement l’étude d’impact réalisée sur ce projet de loi. Bien sûr, c’est un pavé, mais il n’est pas inintéressant. Je considère cette procédure comme un progrès, même si elle est nouvelle et que nous ne savons pas encore bien travailler avec de tels documents.

M. Roland Courteau. Cette étude d’impact est idyllique !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Je dis : vive les études d’impact ! Surtout ne les remettons pas en cause.

En ce qui concerne la clause de revoyure, nous n’avons de leçons à recevoir de personne. Il est arrivé à tous les gouvernements de prévoir de tels rendez-vous dans certains textes de loi. Je sais bien que l’ARENH est un dispositif complexe…

M. Daniel Raoul. Eh bien oui !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. … et que son fonctionnement n’est pas évident. Personne ne le nie. Même le Gouvernement le reconnaît !

M. Roland Courteau. Oui, parce que c’est une usine à gaz !

M. Daniel Raoul. Tout à fait !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Il s’agit d’un mécanisme qui n’est pas facile à mettre en place. Il est vraisemblable qu’après la loi NOME les choses ne changeront que peu, voire pas du tout, pour les consommateurs particuliers. Comme l’a souligné M. le ministre d’État, la différence se fera surtout sentir pour les entreprises. Nous souhaitons, bien évidemment, que cette évolution soit positive.

La clause de revoyure prévoit un rendez-vous tous les cinq ans. Ce n’est peut-être pas suffisant. De plus, il ne faut pas se contenter de se donner rendez-vous de temps en temps pour faire un bilan. Il faut aussi tirer les conséquences de tout cela, faute de quoi la démarche perd complètement son sens. Quoi qu’il en soit, les clauses de revoyure sont de bonnes choses, surtout dans le cas d’un texte comme celui-ci qui créera une situation différente.

M. Roland Courteau. Par force !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Dernière remarque sur cette motion, la base du travail en commission repose sur la capacité d’écoute et sur la volonté de réaliser des auditions.

J’ai été, comme un certain nombre de mes collègues ici, successivement député et sénateur. Je dispose donc d’un élément de comparaison pour juger du travail réalisé par le Sénat. J’en demande par avance pardon à M. le secrétaire d'État, qui est issu des rangs de l’Assemblée nationale, …

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Personne n’est parfait !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. … mais l’expérience me pousse à considérer que le travail réalisé par le Sénat en commission est très souvent plus approfondi qu’à l’Assemblée nationale, car nous disposons de plus de temps et réalisons beaucoup plus d’auditions.

M. Charles Revet. Le travail du Sénat est très bon !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Charles Revet le sait bien puisqu’il a été comme moi député et sénateur !

J’ai procédé à l’audition de près de cinquante personnes, entendues en groupe ou individuellement, lorsque nous avons commencé à travailler sur ce texte avant le mois de juillet. La commission a entendu sur les questions énergétiques les sept plus grands acteurs du secteur. J’ai ensuite de nouveau procédé à l’audition d’un certain nombre de ces personnes, voire de nouvelles, avant le réexamen du texte en commission il y a quelques jours. Je considère que le travail d’audition est exemplaire. Je ne vois donc aucune raison de renvoyer ce projet de loi en commission et de recommencer tout à zéro.

C'est la raison pour laquelle je suis défavorable à cette motion tendant au renvoi en commission.

M. Roland Courteau. C’est dommage !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Défavorable.

M. Marc Daunis. C’est un peu sec !

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 146, tendant au renvoi à la commission.

J’ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission de l'économie.

Je rappelle que la commission et le Gouvernement se sont prononcés contre la motion.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 280 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 340
Majorité absolue des suffrages exprimés 171
Pour l’adoption 153
Contre 187

Le Sénat n'a pas adopté.

Demande de renvoi à la commission (début)
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Discussion générale

5

Candidatures à une commission mixte paritaire

M. le président. Mes chers collègues, j’ai reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi complétant les dispositions relatives à la démocratie sociale issues de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008.

J’informe le Sénat que la commission des affaires sociales a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à cette commission mixte paritaire.

Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.

6

Demande de renvoi à la commission (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité
Articles additionnels avant l'article 1er

Nouvelle organisation du marché de l'électricité

Suite de la discussion d'un projet de loi

(Texte de la commission)

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, portant nouvelle organisation du marché de l’électricité.

La motion tendant au renvoi à la commission ayant été repoussée, nous passons à la discussion des articles.

Discussion générale
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Article 1er (début)

Articles additionnels avant l'article 1er

M. le président. L'amendement n° 256 rectifié bis, présenté par MM. Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Mézard, Milhau, Plancade, Tropeano et Vall, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le parc électronucléaire ne peut être composé que de centrales exploitées par des personnes morales à capitaux majoritairement publics.

La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Il s’agit d’un amendement de principe visant à prévoir que le parc nucléaire français restera sous maîtrise publique.

La question est de savoir quelle est la volonté du Gouvernement pour l’avenir. Il est donc important d’inscrire clairement dans la loi que « Le parc électronucléaire ne peut être composé que de centrales exploitées par des personnes morales à capitaux majoritairement publics. »

Plusieurs centrales fonctionnent déjà avec des capitaux qui viennent du privé, en partenariat avec le public. Ce sont des minorités qui n’ont pas le pouvoir d’agir sur les décisions, mais qui apportent une contribution en échange de laquelle elles obtiennent un certain volume d’énergie.

Cet amendement vise à préciser plus clairement les contours d’une exigence partagée, nous semble-t-il, par l’ensemble des Français.

L’acceptabilité sociale du parc nucléaire est liée à son caractère public.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. La commission est tout à fait défavorable à cet amendement, qui vise à prévoir que le parc électronucléaire français ne pourra être composé que de centrales exploitées par des personnes morales à capitaux majoritairement publics.

En ce cas, il faudrait aussi accepter qu’en Allemagne, par exemple, le parc électronucléaire ne soit composé que de centrales exploitées par des capitaux allemands. Que ferez-vous des 19 000 mégawatts qu’EDF exploite dans ce pays ? Que ferez-vous également des huit centrales qu’EDF gère au Royaume-Uni ? Souhaitez-vous qu’EDF revende ses parts à des capitaux britanniques ?

Soyons logiques, si nous voulons permettre à des entreprises françaises d’exploiter des centrales à l’étranger, nous devons accepter qu’un jour, peut-être, une centrale en France ne soit pas exploitée par EDF.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Nous savons tous que GDF Suez est candidat pour la construction d’un EPR sur le territoire national. Je vous rappelle que GDF Suez exploite plutôt bien huit centrales en Belgique puisque les taux de disponibilité des centrales belges sont supérieurs à ceux de nos centrales.

M. Daniel Raoul. Les réacteurs n’ont pas le même âge !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. C’est donc un exploitant qui travaille bien et qui gérera peut-être un jour une centrale nucléaire en France. Je ne vois pas en vertu de quoi nous remettrions en cause le principe de réciprocité.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement et de l'urbanisme. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement.

M. le rapporteur a évoqué à l’instant le problème posé par la remise en question du principe de réciprocité. Comment ne pas accepter en France ce que nous acceptons à l’étranger ?

Par ailleurs, à l’heure où nous parlons, toutes les centrales françaises sont exploitées par EDF et tous les projets lui ont été attribués. Au vu de la programmation pluriannuelle des investissements, il n’y aura pas de nouvelle centrale nucléaire avant 2020. Le problème que vous soulevez, monsieur le sénateur, ne se posera donc en réalité qu’après 2020, soit dans dix ans. Prévoir une telle disposition aujourd'hui me paraît pour le moins prématuré.

Pour finir, M. le rapporteur a évoqué la question essentielle de la qualité de l’exploitant et de la sûreté de l’exploitation. Or il n’y a aucune raison intrinsèque pour qu’une société aux capitaux majoritairement publics exploite mieux une centrale qu’une société aux capitaux majoritairement privés, toutes deux étant soumises au contrôle draconien de l’Autorité de sûreté nucléaire.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 256 rectifié bis.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 40, présenté par MM. Courteau, Raoul, Botrel, Bourquin, Daunis, Guillaume et Mirassou, Mme Nicoux, MM. Rainaud, Repentin, Teston, Bérit-Débat, Berthou et Besson, Mme Bourzai, MM. Guérini, Jeannerot, Mazuir, Sergent et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Toute nouvelle centrale nucléaire ne peut être exploitée que par des personnes morales dont les capitaux sont au moins à 70 % publics.

La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Cet amendement a pour objet de réaffirmer le principe, qui nous paraît aujourd’hui fondamental, selon lequel toute nouvelle centrale ne peut être exploitée que par des personnes morales dont 70 % au moins des capitaux sont publics. Telle est actuellement la composition du capital d’EDF, exploitant public de notre parc nucléaire, et nous considérons qu’elle doit demeurer en l’état.

Je tiens à rappeler les propos tenus par M. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, le 15 juin 2004 lors de l’examen du projet de loi changeant le statut de l’opérateur historique : « Il n’y aura pas de privatisation parce qu’EDF, c’est le nucléaire, et qu’une centrale nucléaire, ce n’est pas un central téléphonique. » Or, comme les promesses n’engagent que ceux qui les tiennent, et que ce gouvernement nous a habitués à de multiples promesses non tenues, nous ne savons plus très bien quelle est, aujourd’hui, sa volonté réelle, pas plus d’ailleurs que celle du Président de la République. La synthèse du rapport Roussely qu’on a bien voulu mettre à la disposition des parlementaires nous laisse également sur notre faim.

En outre, M. le rapporteur, lors de la réunion de la commission du 7 juillet dernier, a tenu des propos qui nous ont laissés perplexes : « En présence du ministre Benoît Apparu, je veux regretter, après m’en être ouvert à M. Jean-Louis Borloo, que le Gouvernement n’ait pas exploré la piste de l’ouverture du capital des centrales nucléaires. [...] Il aurait fallu creuser la piste de l’ouverture du capital des centrales nucléaires. D’autant qu’elle a déjà été explorée : la centrale de Tricastin est détenue par GDF-Suez à hauteur de 12,5 %, celle de Fessenheim par l’allemand EnBW à hauteur de 17,5 % et par un consortium suisse conduit par Alpiq à hauteur de 15 %. » Il a ajouté qu’il souhaitait qu’EDF « cède des parts qui ne dépassent pas 15 %, centrale par centrale ».

Or, concernant le parc historique nucléaire, je tiens à préciser que tous les actifs nucléaires figurent à hauteur de 100 % au bilan d’EDF. Il est donc inexact de parler, dans ce cas, d’ouverture du capital. En revanche, des contrats en participation existent, comme je l’ai déjà expliqué hier : ces contrats à long terme donnent aux opérateurs un « droit de tirage » sur l’électricité produite par ces centrales nucléaires. Il ne s’agit, en aucun cas, d’une prise de participation par un opérateur privé dans le capital d’une centrale nucléaire.

Cette précision est d’autant plus utile que vous avez exprimé l’intention, monsieur le rapporteur, d’ouvrir le capital des centrales nucléaires, pour la prolongation de leur durée de vie ou dans le cadre de la création de nouvelles centrales. Vos propositions relèvent d’une logique de privatisation rampante, qui aboutirait à démanteler le parc nucléaire français, à le privatiser par petits morceaux, contribuant à la désintégration de l’opérateur historique.

Le choix de ces orientations mérite un minimum de débat démocratique : comme l’a dit le Président de la République, « une centrale nucléaire n’est pas un central téléphonique » ! Les enjeux concernant la sûreté sont d’une autre dimension.

Quant à nous, nous voulons que le nucléaire reste complètement sous la maîtrise publique, que les capitaux privés demeurent minoritaires, sans avoir de pouvoir de gouvernance : autrement dit, que la gouvernance, les décisions stratégiques industrielles et financières ne puissent basculer entre les mains d’acteurs privés.

De tels enjeux méritent un débat au Parlement et nous aimerions connaître sur ce point la position du Gouvernement concernant les nouveaux projets EPR de Flamanville et de Penly. Peut-on nous éclairer sur le type de partenariat et sur les montages financiers dont il s’agit ?

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. L’avis de la commission est exactement identique à celui qu’elle a émis sur l’amendement précédent. En effet, la seule différence entre l’amendement n° 256 rectifié bis et l’amendement n° 40, c’est qu’au lieu de réserver l’exploitation des centrales nucléaires à des sociétés aux capitaux majoritairement publics, l’amendement n° 40 élève le niveau de la participation publique à 70 %. En revanche, tout le développement de notre collègue Roland Courteau n’avait rien à voir avec son amendement.

Cher Roland Courteau, j’ai pris une position personnelle, qui n’est pas celle du Gouvernement. J’ai donné mon avis, mais j’ai bien compris que le sujet n’était pas à l’ordre du jour. J’assume cependant ma position.

Par ailleurs, je tiens à rappeler que l’ouverture du capital de certaines centrales à des entreprises autres qu’EDF est intervenue dans des périodes où le gouvernement était de droite, mais aussi lorsque le gouvernement était socialiste. L’État est majoritaire dans le capital d’EDF : autrement dit, cette ouverture a obtenu le feu vert de gouvernements de droite dans certains cas, et de gauche dans d’autres, c’est tout !

C’est la raison pour laquelle je m’étais permis de vous dire hier, en vous taquinant, que l’on se trouve un jour dans la majorité, et l’autre dans l’opposition. Il convient donc de tenir des propos qui nous évitent de nous contredire trop vite.

M. Didier Guillaume. Ne vous inquiétez pas pour nous !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. Puisqu’il s’agit du même amendement, le Gouvernement émet le même avis que sur l’amendement n° 256 rectifié bis.